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CDS
047 CDS 15 F
Original : anglais
Assemblée parlementaire de l’OTAN
COMMISSION SUR
LA DIMENSION CIVILE DE LA SECURITE
LES DEFIS POSES PAR
LE TERRORISME ENDOGENE
PROJET DE RAPPORT GENERAL*
Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (France)
Rapporteure générale
www.nato-pa.int
*
24 mars 2015
Aussi longtemps que ce document n’a pas été approuvé par la Commission sur la dimension civile de
la sécurité, il ne représente que les vues de la rapporteure.
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TABLE DES MATIERES
I.
INTRODUCTION ..................................................................................................................................... 1
II.
LES LEÇONS TIREES DES RECENTS ATTENTATS TERRORISTES ................................................ 1
III.
LA REPONSE DES SERVICES CHARGES DE L’APPLICATION DE LA LOI FACE AU DEFI ............. 5
A.
LES EFFORTS DES SERVICES CHARGES DE L’APPLICATION DE LA LOI DES
DIFFERENTS PAYS ..................................................................................................................... 5
B.
L’ARTICULATION ENTRE LA SECURITE ET LA LIBERTE ...................................................... 10
IV.
LES REPONSES FACE AU DEFI : LA PREVENTION DE LA RADICALISATION ET LA
DERADICALISATION............................................................................................................................ 12
V.
CONCLUSIONS PROVISOIRES ET RECOMMANDATIONS .............................................................. 17
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 20
i
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I.
INTRODUCTION
1.
Les terribles actes terroristes perpétrés à Paris en janvier 2015 ont été présentés comme le
11 septembre de l’Europe. Ils ont également replacé la question du terrorisme au premier plan des
préoccupations politiques européennes. La montée en puissance de l’organisation dite Etat
islamique (ou EI, également appelée Daech) ainsi que d’autres groupes extrémistes se réclamant
d’EI ou d’al-Qaïda en Afrique et en Asie a suscité une profonde inquiétude au sein de la
communauté euro-atlantique, même s’il est communément admis que ces groupes –
contrairement à l’organisation al-Qaïda de Ben Laden – ont des visées principalement locales et
ne représentent pas une menace directe pour les sociétés occidentales.
2.
Il n’en reste pas moins que l’attentat contre Charlie Hebdo a amené les services de
renseignement, les analystes et les responsables politiques à centrer de plus en plus leur attention
sur la menace d’attaques terroristes djihadistes perpétrées par des individus nés et/ou ayant
grandi en Occident. Ce type de terrorisme est devenu d’autant plus inquiétant qu’un nombre
croissant d’Occidentaux vont rejoindre les mouvements djihadistes extrémistes et que les individus
qui commettent ces attentats ont une très bonne connaissance des sociétés qu’ils prennent pour
cibles. La communauté euro-atlantique risque donc de voir sa sécurité menacée par la
participation de ses propres citoyens aux conflits qui ont lieu en Syrie, en Iraq, en Somalie ou au
Nigeria, en particulier si ces individus radicalisés rentrent ensuite dans leur pays. On appelle cela
« l’effet boomerang ».
3.
Cela dit, l’ampleur du problème dépasse de loin le phénomène du retour des combattants
dans leurs pays. Certains terroristes « de l’intérieur » n’ont eu que des contacts indirects avec les
groupes extrémistes d’Afrique ou du Moyen-Orient, voire pas du tout. La radicalisation dans les
sociétés occidentales de certains groupes ou de certains individus est donc une question
beaucoup plus complexe qui nécessite de toute urgence une analyse approfondie, ainsi qu’une
réponse adaptée.
4.
Le présent projet de rapport s’appuie sur les constats énoncés dans le rapport 2014 de la
Sous-commission sur la gouvernance démocratique. Le point de vue de la rapporteure est que la
nature complexe de la menace terroriste et les nouvelles tendances précitées exigent de la
communauté euro-atlantique qu’elle révise et ajuste ses stratégies et ses instruments. En
l’occurrence, des améliorations sont requises sans délai dans le domaine de l’échange
d’informations entre les services de renseignement et ceux chargés de l’application de la loi. Une
autre nécessité est d’associer les méthodes répressives avec des stratégies à long terme
destinées à contenir la progression des idéologies extrémistes. La rapporteure soulignera une fois
de plus combien il est important de mettre en place des garde-fous supplémentaires pour s’assurer
que les politiques de lutte contre le terrorisme et de déradicalisation ne portent pas atteinte aux
libertés et droits fondamentaux.
I.
LES LEÇONS TIREES DES RECENTS ATTENTATS TERRORISTES
5.
Le début de l’année 2015 a été marqué par de terribles attentats terroristes dans plusieurs
capitales européennes. Dès le 7 janvier et pendant trois jours, la ville de Paris a vécu deux
attaques terroristes et deux prises d’otages qui ont causé 17 morts et au moins 20 blessés. Deux
hommes armés de fusils d’assaut – des Kalachnikov – ont fait irruption dans les bureaux du journal
Charlie Hebdo à Paris et ont fait feu sur le personnel et d’autres personnes présentes lors de la
réunion de l’équipe de rédaction. La seconde prise d’otages a eu lieu dans un supermarché kacher
à l’est de Paris. Trois des terroristes impliqués ont été abattus, et une complice a pris la fuite.
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6.
Peu après ces attentats, le 15 janvier, deux hommes ont été abattus en Belgique lors d’une
descente de police. Cette opération, ainsi qu’une dizaine d’autres, a été conduite au domicile de
combattants de nationalité belge qui étaient rentrés de Syrie et étaient sur le point de lancer « des
attaques terroristes de grande envergure ».
7.
Un mois plus tard à Copenhague, un extrémiste islamiste violent a tiré sur les personnes
présentes lors d’un groupe de parole puis dans une synagogue, provoquant la mort de deux
d’entre elles. L’individu, qui tentait de s’enfuir, a été abattu lors d’une fusillade avec le groupe
d’intervention de la police. Cinq policiers ont été blessés au cours de l’assaut.
8.
Selon un éminent expert de la lutte antiterroriste, Thomas Hegghammer, les attentats
perpétrés à Paris ne présentent pas les caractéristiques des actes commis généralement par ce
que l’on appelle un « loup solitaire » ou un individu agissant de façon spontanée sans avoir passé
beaucoup de temps dans les camps djihadistes. La fusillade au Parlement canadien et la prise
d’otages à Sydney fin 2014 en sont en revanche des exemples types. A Paris, les auteurs des
attentats n’étaient pas des amateurs et étaient clairement habitués au maniement des armes. Les
effets ont donc été plus dramatiques, cet attentat étant considéré comme le quatrième le plus
meurtrier commis en Europe dans les années 2000, après Utøya, Londres et Madrid.
9.
Les attentats terroristes récents montrent clairement que le retour des combattants étrangers
est un véritable problème. La fusillade de mai 2014 au musée juif de Bruxelles (Belgique) a été
perpétrée par un ressortissant français, Mehdi Nemmouche, qui avait combattu en Syrie.
Concernant la fusillade à Charlie Hebdo, l’un de ses auteurs, Saïd Kouachi, avait suivi un
entraînement dans un camp d’al-Qaïda au Yémen. Son frère, Chérif, aidait au recrutement de
jeunes djihadistes français pour le chef du groupe d’al-Qaïda en Iraq, Al-Zarqawi. Enfin, s’agissant
des attentats commis à Toulouse et Montauban en mars 2012, leur auteur, le Français Mohammed
Merah, s’était vraisemblablement rendu en Afghanistan et au Pakistan, où il avait eu des contacts
avec al-Qaïda.
10. Selon l’ICSR (International Center for the Study of Radicalisation and Political Violence), en
janvier 2015, le nombre de combattants étrangers ayant rejoint des organisations radicales en
Syrie/Iraq était d’environ 20 000, soit 5 000 de plus que dans les estimations d’octobre 2014. Selon
les chiffres d’Europol, entre 3 000 et 5 000 Européens sont partis combattre en Syrie, en Iraq et
dans d’autres zones de conflit. Quelque 2 500 noms ont été recueillis. La plupart de ces individus
sont originaires des grands pays d’Europe : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. La France
compte environ 1 200 ressortissants partis combattre en Iraq et en Syrie. Quelque
600 ressortissants britanniques seraient partis au Moyen-Orient pour rejoindre des groupes
extrémistes, dont l'infâme « Jihadi John » qui est apparu dans plusieurs vidéos de décapitations.
Selon le responsable des services de renseignement fédéraux allemands, 60 combattants
allemands ont été tués à ce jour en Syrie et en Iraq, et 180 environ sont rentrés au pays. Cela dit,
si l’on rapporte les chiffres à la taille de la population, les pays les plus touchés par ce phénomène
sont la Belgique, le Danemark et la Suède. Un aspect particulièrement préoccupant est le nombre
croissant de femmes parmi les djihadistes. La plupart d’entre elles, inexpérimentées et
impressionnables, ont été recrutées via Internet et attirées par une promesse de mariage ainsi que
la perspective d’une vie heureuse et pleine d’aventures dans le monde musulman.
11. Le nombre aujourd’hui extrêmement élevé de citoyens occidentaux partant faire le djihad à
l’étranger a, semble-t-il, considérablement accru le risque d’attentats terroristes dans les pays
d’origine de ces combattants. Grosso modo, le ratio entre le nombre de combattants étrangers et
le nombre de ceux qui tentent de commettre des attentats une fois rentrés dans leurs pays est de
neuf pour un. Bien que la plupart des combattants ne rentrent pas pour commettre des opérations
sur le sol national, ceux qui ont eu ce parcours sont plus efficaces que ceux qui ne l’ont pas eu. Le
statut des combattants étrangers leur permet de recruter d’autres individus et de les radicaliser en
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vue de les amener à combattre – à l’étranger ou dans leur pays. Il convient toutefois de noter que
la proportion de combattants rentrant au pays varie considérablement selon les conflits.
12. Les raisons qui poussent certains individus à aller participer à un conflit dans un autre pays
sont nombreuses, complexes et en constante évolution. Les autorités de sécurité considèrent
toutefois que la décision de partir traduit souvent moins un engagement religieux ou politique
qu’une envie de rébellion et une soif d’aventure de la part d’individus jeunes, principalement de
sexe masculin (Byman et Shapiro, 2014). Les études montrent que les citoyens qui se radicalisent
ne partent généralement pas avec l’intention de commettre un attentat une fois qu’ils seront
rentrés, même si certains acquièrent cette motivation en cours de route. Même s’ils arrivent sur les
zones de combat sans a priori idéologique, leurs avis peuvent changer une fois qu’ils ont été
formés aux idées radicales, qu’ils ont appris à manier les armes dans les camps d’entraînement et
qu’ils ont expérimenté la sensation d’appartenir à quelque chose qui les dépasse et de loyauté à
l’égard de leurs compagnons d’armes et de leurs mentors. Les camps d’entraînement donnent aux
combattants la conscience de ce que sont une mission et un objectif, tandis que la brutalité des
combats les endurcit, en même temps qu’elle leur permet d’acquérir des compétences pratiques.
Un combattant peut progressivement changer d’avis en ce qui concerne la légitimité d’attaques
commises dans son pays, et rejeter toute considération morale sur le terrorisme. Cela peut arriver
lorsqu’il fréquente exclusivement des radicaux et que les opinions sur la violence auxquelles il est
exposé ne sont pas très variées (Hegghammer, 2013).
13. Malgré les craintes qu’une vague de terrorisme ne balaie l’Europe – dans le sillage en
particulier de la guerre en Syrie et de la crise en Iraq –, la menace que représente le retour des
combattants étrangers peut facilement être exagérée. Des mises en garde similaires avaient par
exemple été lancées après l’invasion de l’Iraq par les Etats-Unis en 2003, mais les combattants
américains rentrés au pays s’étaient avérés beaucoup moins dangereux que ne l’avaient prédit les
services de sécurité. Les experts appellent l’attention sur plusieurs facteurs ayant pour effet de
réduire (mais pas d’éliminer totalement) la menace d’acte terroriste éventuel de la part des
combattants rentrant de Syrie et d’Iraq : nombre d’entre eux meurent au combat à l’étranger ;
nombre d’entre eux ne rentrent jamais dans leur pays, mais continuent le combat dans la zone de
conflit ou s’engagent dans une autre bataille du djihad ; nombre d’entre eux sont rapidement
désillusionnés et ne sont pas violents ; enfin, certains sont arrêtés ou mis hors d’état de nuire par
les services de renseignement. Compte tenu des vastes réseaux de renseignement et de
surveillance qui existent aujourd’hui, le fait de partir combattre à l’étranger a des chances d’attirer
l’attention des services de sécurité (Byman et Shapiro, 2014).
14. Il est important de souligner que dans de nombreux cas, les terroristes de l’intérieur n’ont
pas été combattre à l’étranger. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas eu de contact avec des
anciens combattants ni eu le souhait d’aller combattre à l’étranger. Les frères tchétchènes
Dzhokhar et Tamerlan Tsarnaev – naturalisés Américains – qui ont perpétré les attentats du
marathon de Boston en avril 2013, le citoyen canadien Michael Zehaf-Bibeau, auteur de la
fusillade au Parlement d’Ottawa, le citoyen australien Man Haron Monis, preneur d’otages à
Sydney, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attentats parisiens, ainsi qu’Omar Abdel
Hamid El-Hussein, qui a attaqué le quotidien danois Jyllands-posten, n’ont jamais combattu ni suivi
d’entraînement aux côtés des groupes extrémistes d’Asie centrale ou d’Afrique.
15. A la question de savoir comment ces citoyens occidentaux ont découvert l’idéologie
extrémiste et pourquoi ils se sont tournés vers le terrorisme, plusieurs explications sont possibles.
Certains de ces hommes se sont radicalisés en prison (par exemple El Hussein au Danemark et
Mohammed Merah en France ; Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se sont rencontrés et ont
fraternisé en prison), d’autres au travers de leurs contacts avec des imams radicaux
(Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly). Certains (de nouveau Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly)
ont reçu un entraînement paramilitaire au sein de cellules djihadistes locales, par exemple celle
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des Buttes-Chaumont, à Paris. Des facteurs médicaux tels que des troubles mentaux ou de graves
problèmes psychologiques sont également à prendre en compte dans certains cas (par exemple
ceux de Zehaf-Bibeau au Canada et de Mohammed Merah en France).
16. Internet et les médias sociaux sont des outils extrêmement puissants pour recruter des
extrémistes et radicaliser des partisans. Les frères Tsarnaev aux Etats-Unis, Man Haron Monis en
Australie et El Hussein au Danemark ont utilisé activement les ressources en ligne pour s’initier à
l’idéologie radicale et faire part de leurs opinions. Les sermons empreints de violence de l’influent
idéologue djihadiste Anwar al-Awlaki, lui-même citoyen américain, sont particulièrement bien reçus
dans les milieux radicaux. Ces sermons, ainsi que d’autres contenus tels que le magazine Internet
Inspire auraient été les éléments déclencheurs de plusieurs projets terroristes ourdis par des loups
solitaires, comme par exemple la tentative d’attentat contre le vol 253 de la compagnie aérienne
Northwest/Delta Airlines le 25 décembre 2009. Selon le Conseil musulman des affaires publiques,
al-Awlaki a joué un rôle psychologique et/ou opérationnel dans 18 des 28 projets terroristes
recensés aux Etats-Unis entre 2009 et 2012. L’Etat islamique a également déployé une habile
présence sur Internet, utilisant Twitter, Facebook et d’autres médias sociaux pour diffuser ses
messages et recruter de nouveaux combattants. L’organisation a même fait réaliser un long
métrage de propagande, disponible en ligne. Hormis les vidéos violentes de décapitation d’otages,
l’EI met également en ligne des images pacifiques représentant par exemple des activités
agricoles soi-disant prospères dans les territoires placés sous son contrôle. En mars 2015, une
délégation de la CDS a été informée par les responsables du Département de police de la ville de
New York (NYPD) que les citoyens américains radicalisés projetant de réaliser des actes
terroristes dans la ville de New York font une utilisation poussée des ressources Internet.
17. Les attentats de Paris et de Copenhague mettent en évidence de nouvelles tendances dans
l’évolution de la menace terroriste. Premièrement, selon M. Hegghammer, les actes terroristes
commis récemment en Occident visaient pour la plupart ce que l’on appelle des cibles civiles –
c’est-à-dire des entités non gouvernementales non armées – et non des cibles officielles telles que
des organisations politiques, des personnalités politiques de haut rang ou des chefs d’Etat.
D’après une théorie largement admise, l’objectif de ces attentats n’est pas en soi de faire
beaucoup de victimes, mais de provoquer une vague de terreur et de susciter l’attention des
médias en frappant des cibles symboliquement importantes. Les dessinateurs des journaux
Charlie Hebdo et Jyllands-posten étaient considérés par les extrémistes radicaux comme des
cibles de prestige. Depuis le début de la controverse des caricatures de Mahomet en 2005,
plusieurs tentatives d’attentats et actes de moindre ampleur ont eu lieu, en particulier contre le
quotidien Jyllands-posten, mais jusqu’à janvier 2015, aucun acte d’envergure n’avait réussi.
18. La seconde caractéristique inédite des récents attentats est l’utilisation d’armes portatives.
Ces types d’armes ont en effet été utilisés dans la grande majorité des attaques commises
récemment en Occident. L’une des explications possibles est peut-être que les armes portatives
sont plus faciles à trouver et à utiliser que les bombes, et qu’elles permettent – dans une plus large
mesure – aux terroristes de contrôler les cibles qu’ils vont frapper. A titre de comparaison, les
actes terroristes perpétrés en Europe il y a dix ans étaient des attentats à l’explosif simultanés sur
des réseaux de transport, qui ne laissaient aux terroristes qu’un contrôle limité sur les cibles qu’ils
allaient effectivement atteindre. Depuis les attentats à la bombe commis à Londres en 2005,
l’organisation al-Qaïda a tué plus de musulmans que de non-musulmans, ce qui a suscité certains
problèmes auprès de ses partisans. L’évolution vers un ciblage plus précis semble être également
de mise dans le contexte du terrorisme djihadiste international, comme l’atteste la fusillade du
centre commercial Westgate à Nairobi, où les terroristes se sont efforcés d’épargner les
musulmans. L’utilisation d’armes portatives peut, dans une certaine mesure, résoudre ce dilemme,
même si les auteurs de l’attentat parisien n’ont pas hésité à tuer le policier musulman
Ahmed Merabet qui était en poste devant les bureaux de Charlie Hebdo.
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19. Un troisième changement est, semble-t-il, l’abandon de la pratique autrefois dominante de
l’attentat-suicide. La tendance est aujourd’hui à la fuite des terroristes de la scène de crime, ce qui
ne leur a jusqu’ici pas réussi puisqu’ils ont été soit arrêtés, soit abattus.
II.
LA REPONSE DES SERVICES CHARGES DE L’APPLICATION DE LA LOI FACE AU
DEFI
20. Les outils dont dispose la communauté euro-atlantique pour lutter contre le terrorisme sont
notamment les actions préventives et réactives en matière d’application de la loi, les stratégies de
déradicalisation et la coopération entre les Etats et les institutions internationales. Les réponses
apportées sont très variables selon les Etats, à la fois en ce qui concerne les outils retenus et la
portée de leur utilisation. Comme c’est le cas en général pour les politiques de lutte antiterroriste,
un débat agite actuellement les sociétés occidentales pour déterminer comment les services
chargés de l’application de la loi devraient traiter le problème du terrorisme endogène, et en
particulier celui des combattants étrangers. Ce débat porte principalement sur les éventuels
compromis qui doivent être faits dans les Etats démocratiques libéraux entre la sécurité publique
et la protection de la vie privée, ainsi qu’entre la sécurité et les libertés civiles. Les autres
questions abordées sont notamment l’efficacité relative des diverses politiques telles que :
surveillance approfondie, emprisonnement, censure, révocation de la citoyenneté et mise en
œuvre de restrictions de déplacement.
A.
LES EFFORTS DES SERVICES CHARGES DE L’APPLICATION DE LA LOI DES
DIFFERENTS PAYS
21. La prévention des actes terroristes endogènes et les mesures à prendre pour y faire face
incombent aux services chargés de l’application de la loi des différents pays, notamment les
services de renseignement et la police. Ces mêmes services sont également chargés, en dernier
ressort, de mettre en œuvre les grandes décisions internationales, telles que la résolution 2178 du
Conseil de sécurité de l’ONU sur les combattants étrangers, adoptée en septembre 2014 avec le
soutien de plus de 120 Etats. Ce texte appelle l’ensemble des Etats membres de l’ONU à renforcer
la sécurité aux frontières et à contrôler – voire arrêter – les combattants terroristes étrangers qui se
rendent dans les zones de conflit ou en reviennent. Les Etats membres sont exhortés à ériger en
infraction pénale le fait notamment : a) de se rendre dans un autre pays dans le dessein de
commettre des actes terroristes ou de recevoir un entraînement au terrorisme ; b) de collecter des
fonds pour les combattants étrangers ; et c) de faciliter (notamment par le recrutement) le voyage
de personnes afin qu’elles participent à des activités terroristes.
22. Le pouvoir dont disposent les services chargés de l’application de la loi n’est pas le même
dans tous les pays de la communauté euro-atlantique. En France, la société – qui inclut les
responsables gouvernementaux, les grands partis politiques, les juges et les médias – affiche un
large consensus sur ce qu’elle considère être un juste équilibre entre la sécurité et la liberté. Le
point de vue dominant est que la sécurité de la République prévaut sur toute autre considération
(Foley, 2013). Il existe toutefois dans le pays un puissant groupe de pression pour qui la protection
de la vie privée est plus importante que la sécurité, et dont plusieurs des organisations membres
utilisent les réseaux sociaux pour promouvoir cette vision.
23. Les forces de lutte antiterroriste françaises sont généralement considérées comme dotées
des pouvoirs les plus étendus dans le monde démocratique. Après la vague des attentats à la
bombe dans les années 80, la France a engagé plusieurs actions antiterroristes d’envergure et n’a
cessé d’accroître les prérogatives des enquêteurs chargés des affaires de terrorisme – c’est-à-dire
les juges d’instruction – en les autorisant à demander des écoutes téléphoniques et à placer les
suspects en garde à vue pendant un certain temps même en l’absence de charges. Selon le droit
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français, les affaires de terrorisme sont traitées par des procureurs spéciaux, et celles associées à
des actes terroristes graves peuvent être jugées dans des tribunaux spéciaux (par opposition aux
tribunaux ordinaires). Les juges d’instruction sont habilités à ordonner rapidement des mises sur
écoute téléphonique ou la détention provisoire de suspects. Ces prérogatives ont permis
l’arrestation de nombreux suspects dans le cadre des enquêtes menées sur des projets
d’attentats. Lorsqu’il est question de mise en détention, d’arrestation et d’expulsion, l’approche
française est relativement énergique. Entre 2001 et 2010, par exemple, 129 extrémistes présumés
ont été expulsés de France, contre seulement neuf au Royaume-Uni (The Economist, 2014). Le
recours à la détention provisoire est également courant ; en 2012-2013, les autorités françaises
ont arrêté 234 personnes pour des faits de terrorisme djihadiste, dont 32 seulement ont été jugées
(Jenkins et Clair, 2015). Les structures françaises de lutte antiterroriste manquent cela dit de
financement adéquat. Seuls huit juges sont spécialisés dans les affaires de terrorisme, et les
prisons sont surpeuplées. Un autre problème est celui des lourdeurs administratives. A cet égard,
un juge français bien connu, Marc Trevidic, a indiqué à la rapporteure que la France possède un
programme sophistiqué de cryptage et de décodage permettant de suivre les communications des
terroristes, et que pour l’utiliser au mieux, il convient de capter les informations intéressantes avant
qu’elles ne soient codées par les malfaiteurs. Or, du fait des lourdeurs du système, il est très
difficile dans la pratique d’accéder auxdites informations.
24. Une nouvelle loi sur la lutte antiterroriste adoptée en 2012 permet d’engager des poursuites
à l’encontre des citoyens français qui rentrent au pays après avoir commis des actes terroristes à
l’étranger, ou suivi un entraînement dans des camps terroristes. Un nouveau texte adopté en 2014
interdit par ailleurs les déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités
terroristes, et autorise la confiscation des documents d’identité pendant un maximum de deux ans
lorsqu’un individu est soupçonné de telles activités. Lorsqu’un Français est soupçonné d’essayer
de se rendre « sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, dans des conditions
susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique », il peut faire l’objet d’une
interdiction de sortie du territoire d’une durée maximale de six mois. En février 2015, la France a
saisi les passeports de six personnes et prononcé une interdiction de sortie du territoire à
l’encontre de 40 individus soupçonnés de se préparer à partir en Syrie et en Iraq. C’était la
première fois que la loi était mise en application depuis son entrée en vigueur.
25. Les enquêteurs français sont connus pour leurs compétences dans le domaine de la collecte
de renseignements et d’informations confidentielles sur les groupes terroristes. Cela ne les
empêche pas d’être parfois critiqués par les observateurs des droits humains tels que
l’organisation Human Rights Watch, qui s’est dite préoccupée par le fait que les règles françaises
de restriction des déplacements confèrent des pouvoirs très vagues et très larges aux services
chargés de l’application de la loi.
26. Au Royaume-Uni, les mesures de mise en application de la loi antiterroriste sont plus
circonspectes qu’en France. Contrairement à la pratique française, les affaires de terrorisme y sont
jugées dans des tribunaux ordinaires et devant un jury populaire. De surcroît, les actes de
terrorisme y sont définis de façon plus précise et plus circonscrite. Selon le Centre international
d’étude de la radicalisation et de la violence politique – installé à Londres –, les hommes politiques
britanniques ont des points de vue fondamentalement différents et opposés sur la façon dont la
société devrait s’y prendre pour assurer à la fois la sécurité nationale et la protection des libertés
civiles. Il en résulte que la stratégie de lutte antiterroriste du Royaume-Uni – baptisée CONTEST et
adoptée en 2006 – a fait l’objet d’importantes révisions suite aux changements successifs de
gouvernement.
27. Le gouvernement britannique adopte aujourd’hui une approche plus proactive. Suite aux
attentats parisiens et du fait de l’inquiétude croissante suscitée par le départ de musulmans
britanniques vers l’étranger pour rejoindre des groupes comme al-Qaïda et l’EI, une loi sur la
sécurité et la lutte antiterroriste a été adoptée en février 2015. Selon le ministre de l’Intérieur, la
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police et les services de sécurité britanniques seront dotés de pouvoirs nouveaux, à un moment où
le Royaume-Uni est confronté à une menace terroriste « qui n’a peut-être jamais été aussi
importante ». L’une des dispositions controversées de la loi est qu’elle autorise la police à saisir
sur le champ les passeports et documents de voyage des personnes soupçonnées de se rendre à
l’étranger pour participer à des activités terroristes (BBC, 2014). La loi autorise en outre les
autorités à contraindre les suspects à déménager dans une autre région ; elle renforce également
la sécurité dans les avions en obligeant les compagnies aériennes à communiquer plus
rapidement et plus efficacement les données relatives aux passagers. Ce nouveau texte interdit
par ailleurs aux compagnies d’assurance de couvrir les rançons et oblige les entreprises privées à
fournir à un moment donné à la police des informations détaillées sur l’utilisation qui est faite de
certains ordinateurs ou téléphones portables.
28. Aux Etats-Unis, l’un des textes de loi les plus importants est le Patriot Act, voté en 2001, qui
confère aux autorités fédérales un large éventail de pouvoirs en matière de surveillance et
d’interception, ainsi que de gestion de la sécurité et de blanchiment de fonds. Contrairement à ce
qui se passe au Royaume-Uni par exemple, le droit américain prévoit que les écoutes
téléphoniques peuvent être utilisées comme éléments de preuve au cours d’un procès. En règle
générale, les condamnations prononcées aux Etats-Unis pour des actes terroristes sont beaucoup
plus sévères que dans la plupart des pays européens, les peines de prison pouvant aller jusqu’à
100 ans ou plus.
29. Le président Obama a banni l’expression « combattants ennemis » qui était employée après
le 11 septembre 2001 dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », guerre en vertu de
laquelle les auteurs d’actes terroristes devaient être soumis à la loi martiale. En conséquence,
Dzhokhar Tsarnaev, soupçonné d’avoir participé au double attentat à la bombe du marathon de
Boston, a été jugé devant un tribunal civil. Le traitement appliqué par les Etats-Unis depuis le
11 septembre 2001 aux individus soupçonnés d’actes terroristes a fait l’objet d’un examen
approfondi, et un rapport du Sénat sur l’usage de la torture à l’encontre des suspects a été publié
en décembre 2014.
30. Contrairement à ce qui se passe en France, aux Etats-Unis, le FBI et les services de police
locaux ne peuvent arrêter des présumés terroristes que s’ils disposent de preuves suffisantes de
leur activité criminelle. Cela implique que tous les individus arrêtés – ou presque – sont jugés, et
que le pourcentage de condamnations est proche de 100 %. Les autorités américaines ont
beaucoup recours à des indicateurs et des agents infiltrés qui enregistrent l’intention des suspects.
Dans la mesure où, selon le droit américain, la preuve de l’intention est suffisante pour condamner
un individu, la grande difficulté pour les autorités américaines est de faire en sorte que ce procédé
ne soit pas considéré comme une incitation à commettre effectivement l’infraction (Jenkins et Clair,
2015). Contrairement aux Etats-Unis, de nombreux pays européens n’ont pas les ressources
suffisantes (sur le plan financier, technique et humain) pour mener des opérations antiterroristes
aussi complexes.
31. Suite aux attentats survenus récemment en Europe, l’administration américaine chargée de
la sécurité des transports a pris des dispositions pour accroître le nombre de fouilles aléatoires des
passagers et des bagages à main embarquant dans les aéroports des Etats-Unis. Le ministère
américain de la Sécurité intérieure étudie quant à lui la possibilité d’étendre la procédure de
prédédouanement à d’autres aéroports étrangers opérant des vols vers les Etats-Unis. Grâce à ce
procédé, les contrôles douaniers, sanitaires et d’immigration des personnes et des biens
acheminés par avion vers les Etats-Unis peuvent être effectués depuis l’aéroport d’embarquement.
A ce jour, des dispositifs de prédédouanement à destination des Etats-Unis ont été mis en place
dans 15 aéroports de 6 pays.
32. L’une des caractéristiques des politiques de lutte antiterroriste menées aux Etats-Unis est
l’importance majeure accordée à cette lutte au niveau infranational. Lors de la visite de notre
7
047 CDS 15 F
commission au NYPD en mars 2015, les délégués ont appris que le NYPD compte
51 000 fonctionnaires, soit plus que le FBI. Le NYPD a mis en place un vaste programme de lutte
antiterroriste, afin de prévenir tout acte terroriste dans une ville qui accueille quelque 54 millions de
visiteurs par an. L’accent est mis sur la prévention, avec un ample déploiement stratégique de
policiers dans des quartiers à risque. L’objectif du NYPD est d’étendre encore ses patrouilles en
créant une nouvelle unité antiterroriste – le Strategic Response Group – dont le rôle sera
d’encourager les policiers à passer plus de temps dans les quartiers pour dialoguer avec les
habitants et gagner leur confiance (Shallwani, 2015). Le NYPD a en outre tissé un ample réseau
de liens horizontaux avec les services de police des grandes villes d’Europe. Pour citer un
exemple, au lendemain des attentats parisiens, des policiers du NYPD basés à Paris ont pu
rapidement relayer les informations et ainsi prévenir des actes similaires à l’encontre de cibles du
même type dans la ville de New York. Le NYPD utilise par ailleurs le melting-pot ethnique et
culturel de New York comme un atout : ses fonctionnaires représentent 53 pays et parlent
75 langues.
33. Face à la menace sécuritaire accrue du terrorisme endogène et au nombre élevé de
combattants djihadistes européens à l’étranger, le gouvernement allemand a approuvé le
14 janvier 2015 un projet de loi visant à empêcher les individus impliqués dans des activités
terroristes de voyager. L’objectif de ce texte est de modifier la loi allemande sur les documents
d’identité, afin de mettre en place un autre système d’identification qui limiterait au seul territoire
allemand les déplacements des titulaires de certains documents d’identité. Ce texte aurait
également une incidence sur la loi existante relative aux passeports (EurActiv, 2015). L’Allemagne
a par ailleurs criminalisé le recrutement de combattants djihadistes ainsi que l’utilisation de
symboles liés au terrorisme (comme par exemple le drapeau de l’EI) et de diverses plateformes
(telles que les médias sociaux) à des fins de provocation.
34. Le Canada envisage d’adopter une nouvelle législation antiterroriste, ou projet de loi C-51,
dont le but est avant tout de renforcer le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
Le projet de loi C-51 permettrait au SCRS de « prendre des mesures, même à l’extérieur du
Canada, pour réduire la menace » qui pèse sur la sécurité du pays. Ces mesures sont notamment
la capacité pour les autorités d’empêcher le retour au pays des Canadiens partis combattre à
l’étranger, le retrait des pages Web au contenu menaçant et le blocage des comptes bancaires
des individus soupçonnés d’activités terroristes. Pour ce qui est des garde-fous démocratiques, le
SCRS aurait à se doter de garanties judiciaires conformes à la Charte canadienne des droits et
libertés (Forcese et Roach, 2015).
35. En Autriche, le parlement a récemment adopté une loi permettant de retirer la nationalité
autrichienne aux personnes qui, possédant la double nationalité, participent à des conflits armés.
Aux Pays-Bas, les autorités peuvent retirer la nationalité néerlandaise à un individu qui, possédant
la double nationalité, est reconnu coupable d’actes terroristes, cette charge incluant le recrutement
de combattants aux fins de participation à un djihad violent, à un génocide, à des crimes de guerre
ou à des crimes contre l’humanité. La nationalité étant considérée comme un droit humain
fondamental, ce type de mesure n’est pas possible dans les pays qui n’autorisent pas la double
nationalité. A l’inverse, une proposition de retrait des cartes d’identité a été rejetée en Belgique au
motif que cela risquerait de stimuler le marché des cartes volées et falsifiées (Global Center,
2014).
36. Un autre aspect important est l’encouragement du grand public à être vigilant et à prendre
des initiatives. Au Danemark et en France, des lignes téléphoniques ont été spécialement mises
en place pour permettre aux citoyens d’alerter les autorités s’ils connaissent une personne
susceptible de partir combattre à l’étranger. Le Danemark a également conçu un programme pour
mettre en garde les éventuels candidats au départ des dangers qu’ils encourent en allant
combattre et des conséquences auxquelles ils devront faire face à leur retour.
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047 CDS 15 F
37. Certains hommes politiques et responsables de l’action antiterroriste occidentaux ont appelé
la Turquie à intensifier son action pour enrayer le flux de combattants étrangers transitant par son
territoire. Les autorités turques font savoir que des mesures de surveillance supplémentaires ont
été prises dans les aéroports et les gares (ferroviaires et routières) pour contrôler les voyageurs
suspects, en particulier ceux possédant uniquement un voyage aller. Les contrôles à la frontière
avec la Syrie et l’Iraq ont en outre été renforcés. La traque des éventuels combattants étrangers
n’est cependant pas une tâche facile, car ces individus peuvent facilement se fondre au milieu des
touristes ou des populations locales. Les responsables turcs avancent par ailleurs que les pays
d’origine seraient bien avisés d’empêcher ces individus de partir pour la Turquie. Les échanges de
renseignement avec les pays occidentaux doivent en outre être améliorés, même si les récentes
arrestations en Turquie de trois adolescents arrivant de Grande-Bretagne et se rendant
apparemment en Syrie montrent que les choses progressent dans ce domaine.
38. Si les actes terroristes sont très médiatisés, il est important de signaler que les actions
menées par les services nationaux chargés de l’application de la loi pour déjouer les tentatives
d’attentats sont souvent couronnées de succès. Les informations relatives à ces actions sont en
grande partie classifiées, et seuls quelques éléments partiels sont diffusés dans certains cas par
des sources publiques. C’est le cas par exemple pour les tentatives d’attentats mises au jour et
déjouées par les forces spéciales belges et françaises en janvier 2015, qui se sont soldées par des
échanges de tirs faisant plusieurs victimes, et par plusieurs arrestations. S’exprimant le lendemain
des attentats parisiens, Andrew Parker, directeur général des services de renseignement
britanniques (MI5), a indiqué que ses services avaient eu connaissance de 20 tentatives
d’attentats liées à la Syrie, tentatives qui avaient été soit déjouées, soit mises à exécution (Jones
et Chassany, 2015). Aux Etats-Unis, les autorités ont fait échouer 36 de la quarantaine au moins
de projets d’attentats djihadistes détectés depuis le 11 septembre 2001.
39. L’échange de renseignements – notamment des enseignements tirés à la fois des attentats
et des tentatives avortées – entre les services chargés de l’application de la loi de la communauté
euro-atlantique est un impératif. Après tout, le terrorisme endogène est souvent, paradoxalement,
une entreprise hautement mondialisée qui suppose fréquemment des déplacements à l’étranger
ainsi que le transport d’armes et d’individus. Les informations disponibles publiquement sur la
portée et l’ampleur de la coopération entre les services de renseignement nationaux sont limitées
et font souvent état des importantes lacunes dans le domaine. Au lendemain des récents attentats
terroristes, il a été révélé que les services de renseignement étaient en possession d’informations
importantes sur les terroristes et leurs projets, mais que ces informations n’avaient pas circulé
entre les services. Ainsi, l’un des auteurs des attentats parisiens, Saïd Kouachi, était semble-t-il
surveillé par les Etats-Unis depuis son voyage au Yémen en 2011, ce qui suscite des
interrogations quant au bon fonctionnement de la coopération entre les Etats-Unis et la France
dans le domaine du renseignement.
40. La résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations unies identifie INTERPOL comme la
plateforme de facilitation « d’échanges d’informations utiles aux services chargés de l’application
de la loi du monde entier » concernant les combattants étrangers. Une petite quarantaine de pays
ont déjà fourni à cette organisation des informations sur plus de 1 500 combattants (présumés et
confirmés) ayant un lien avec la Syrie et l’Iraq (à la date du 19 février 2015). INTERPOL indique
avoir diffusé les analyses qui ont été réalisées concernant les individus, les itinéraires empruntés
et les tactiques employées, afin que des actions de répression puissent être engagées. Les
individus faisant l’objet d’alertes INTERPOL (ce que l’Organisation appelle les diffusions ou les
notices) peuvent ainsi être repérés et arrêtés en vue de leur extradition. La base de données de
l’Organisation sur les documents de voyage volés et perdus permet par ailleurs aux fonctionnaires
des poste-frontières de disposer d’informations sur les passeports annulés, volés ou perdus, et
ainsi d’arrêter les combattants étrangers voyageant sous de fausses identités.
9
047 CDS 15 F
41. Cela dit, les échanges de renseignements très sensibles n’ont lieu qu’entre les alliés les plus
proches. Five Eyes est une vaste alliance entre les services de renseignement de l’Australie, du
Canada, des Etats-Unis, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. Ses pays membres sont unis
par l’accord multilatéral de 1947 entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui prévoit une
coopération dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique. Chaque pays
membre de cette alliance est responsable de la collecte et de l’analyse de renseignements pour
une certaine partie du globe et fait part de ses résultats aux quatre autres membres. Five Eyes
collabore avec des tiers dans le cadre de deux alliances au moins : Nine Eyes (les membres de
Five Eyes plus le Danemark, la France, la Norvège et les Pays-Bas) et Fourteen Eyes (les
membres de Nine Eyes plus l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et la Suède).
42. L’intensification des échanges de renseignements et de la coopération en matière de
sécurité est une tâche difficile, et ce pour de nombreuses raisons telles que : le caractère parfois
sensible des informations concernées ; les différences de législation entre les pays ; l’existence de
différents partenariats ; enfin, la disparité de la structure des services de police et de
renseignement d’un pays à un autre. La confiance mutuelle est d’autant plus essentielle pour les
échanges de renseignements que la vulnérabilité des pays concernés est proportionnelle au degré
de sensibilité des informations échangées. Un autre impératif pour que l’échange soit fructueux est
que le récipiendaire des renseignements doit pouvoir avoir confiance dans la validité des
renseignements qu’il reçoit.
43. Les politiques européennes de lutte antiterroriste et la contribution d’institutions telles
qu’Europol et Frontex sont abordées dans le rapport 2014 de la Sous-commission sur la
gouvernance démocratique de l’AP-OTAN [187 CDSDG 14 F rév. 1 fin.]. La rapporteure tient en
outre à appeler l’attention sur l’initiative « Frontières intelligentes » de l’UE, qui a plusieurs
objectifs. Le premier est d’améliorer la gestion des frontières externes des pays membres de
l’espace Schengen. Les autres sont de contribuer à la lutte contre l’immigration clandestine et de
fournir des informations sur les personnes outrepassant la durée de séjour autorisée, ainsi que de
faciliter le passage des frontières pour les ressortissants de pays tiers qui voyagent fréquemment
et ont fait l’objet d’un contrôle de sûreté préalable. L’initiative « Frontières intelligentes » inclurait
un système d’entrée-sortie qui enregistrerait dans une base de données électronique le lieu et la
date d’entrée sur le territoire ainsi que la durée des séjours de courte durée autorisés. Ces
données seraient ensuite transmises aux autorités chargées du contrôle aux frontières et de
l’immigration.
B.
L’ARTICULATION ENTRE LA SECURITE ET LA LIBERTE
44. S’agissant des arbitrages éventuels entre la sécurité publique et les libertés civiles – ainsi
que la protection de la vie privée –, il est bon de savoir que les services chargés de l’application de
la loi utilisent de plus en plus les renseignements issus de la surveillance des signaux
électromagnétiques et de la collecte de données, ainsi que les informations fournies par des
indicateurs ou des agents d’infiltration. Ces techniques de renseignement permettent de mettre en
évidence des tendances, de comprendre les réseaux, de repérer des individus potentiellement
dangereux, de pister et de surveiller des suspects déjà connus, et enfin d’obtenir des informations
à des fins d’intervention.
45. Les déclarations d’Edward Snowden concernant l’ampleur des opérations de surveillance
électronique menées par l’Agence américaine de sécurité nationale (NSA) ont suscité l’un des
plus grands débats qu’ait connu un pays démocratique sur la question de l’équilibre entre la
protection des données/de la vie privée et la sécurité nationale. Le président Obama a annoncé
des réformes qui garantiront un encadrement plus rigoureux des activités de la NSA, fixeront des
délais plus stricts pour la conservation des données brutes, et assureront le respect de l’obligation
pour les fonctionnaires concernés de n’agir que sur décision de justice. Cela dit, le sujet ne
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047 CDS 15 F
concerne pas uniquement les Etats-Unis. En France, par exemple, les médias ont révélé que la
Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) recueille, conserve et analyse des
métadonnées avec l’étroite collaboration de sociétés de télécommunication comme Orange
(Follorou, 2014).
46. L’UE n’a pas encore défini de ligne de conduite en ce qui concerne la gestion des données.
Sa directive de 2006 sur la conservation des données oblige les sociétés de télécommunication à
conserver les données relatives à l’identité d’une personne et les paramètres de la communication
effectuée par cette personne pendant au minimum six mois et au maximum deux ans. Les sociétés
en question autorisent ensuite les autorités nationales compétentes qui en font la demande à
accéder à ces données. En 2014, cependant, la Cour européenne de justice a statué que cette
directive constituait une violation de la vie privée et qu’elle ne prévoyait pas de garanties
suffisantes pour prévenir d’éventuels abus. Une nouvelle législation doit donc être adoptée à l’UE
pour tenir compte de cette décision. Certains gouvernements, comme celui du Royaume-Uni, sont
convaincus que la conservation des données de communication est absolument essentielle pour
que les services chargés de l’application de la loi puissent effectuer leur travail de lutte contre le
terrorisme.
47. Les terroristes faisant depuis longtemps usage d’Internet, la question d’une éventuelle
censure de certains sites Web fait actuellement débat dans les milieux politiques. Alors
qu’al-Qaïda et sa nébuleuse utilisaient le Net pour y poster des contenus à titre anonyme ou
communiquer dans des espaces secrets, de son côté, l’EI saisit toutes les possibilités qui sont
offertes par le Web. L’organisation utilise en effet Internet pour faire sa propre publicité, intimider
les populations et radicaliser de nouvelles recrues. Internet est également un vecteur
d’auto-radicalisation, comme l’attestent les nombreux cas d’individus qui se sont radicalisés par
eux-mêmes après avoir consulté des sites Web contenant de la propagande extrémiste et faisant
l’apologie d’un djihadisme violent.
48. Dans certains cas, la restriction de la propagande extrémiste présente sur le Web est mise
en œuvre avec la collaboration des sociétés de gestion des médias sociaux. YouTube, par
exemple, indique clairement que les vidéos faisant l’apologie de la haine ou représentant des
scènes d’une extrême violence (telles que des décapitations) ne sont pas conformes au
Règlement de la communauté. La suppression physique de ces vidéos est cependant une gageure
car une centaine d’heures de contenus nouveaux sont postées sur YouTube à chaque minute. Le
site compte donc dans une large mesure sur ses utilisateurs pour signaler la présence de vidéos
de ce type.
49. La fermeture des sites Web ou le blocage de certains comptes a cependant un impact limité,
car les extrémistes peuvent facilement créer de nouveaux comptes. Qui plus est, le blocage des
sites risque d’encourager le cryptage de l’ensemble des communications, et donc de compliquer
davantage la collecte de renseignements. En vérité, les techniques de cryptage ou la capacité de
donner aux messages un couvert d’anonymat – procédés qui étaient autrefois réservés aux
Etats – sont aujourd’hui des dispositifs technologiques courants. A ces fonctionnalités s’ajoutent
les différents niveaux de sécurité dont sont dotés les programmes et applications mobiles
disponibles en ligne gratuitement. Apple a par exemple annoncé que son nouveau système
d’exploitation mobile iOS 8 inclura dans sa configuration d’usine des fonctions de cryptage.
50. Le problème est rendu encore plus complexe par le fait que les sites Web extrémistes sont
également un moyen important pour les services de renseignement et les enquêteurs de voir ce
qui se passe dans les milieux radicaux en général et de suivre en particulier certains individus. La
consultation des forums djihadistes permet d’observer le processus de radicalisation des
utilisateurs, ainsi que leur éventuelle disparition de ces forums et des médias sociaux – ce qui peut
être le signe d’une entrée dans la clandestinité avant le lancement d’une opération. Avant de
passer à l’acte, certains terroristes en puissance prêtent allégeance à l’Etat islamique sur leur
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047 CDS 15 F
compte Facebook (cela a été le cas par exemple pour El Hussein au Danemark). Les médias
sociaux sont également une plateforme sur laquelle les services de sécurité découvrent les
terroristes potentiels pour la première fois. Il n’est pas rare que ces individus expliquent en ligne
qui ils sont et ce qu’ils font avant de partir combattre à l’étranger. Récemment, par exemple, le
NYPD
a
arrêté
deux
habitants
de
Brooklyn
originaires
d’Asie
centrale,
Akhror Saidakhmetov et Abdurasul Juraboev, principalement grâce au suivi de leurs activités en
ligne. Les deux individus s’apprêtaient à partir en Syrie pour rejoindre les rangs de l’EI.
51. Il arrive également que les activités en ligne des radicaux avérés apportent des preuves
compromettantes telles que leur appartenance à un groupe, leur présence lors de l’exécution
d’atrocités et l’identité de leurs compagnons d’armes. L’analyse ultérieure des amis et des
followers qu’ils ont sur Internet permet ensuite de mieux comprendre les réseaux au sens large
(d’influence, de recrutement, de communication, d’allégeance) et leurs intentions, ainsi que de
recueillir des renseignements sur les dates de retour éventuelles des combattants étrangers
(Byman et Shapiro, 2014). Les sites Web radicaux sont aussi des espaces où des individus
frustrés peuvent s’exprimer librement sans nécessairement en venir à la violence.
52. Un autre volet important dans le domaine de la sécurité/protection de la vie privée est le
dossier passager (PNR). Les partenaires de l’Europe situés Outre-Atlantique s’impatientent de
l’absence d’évolution du projet de loi présenté en 2011 par la Commission européenne concernant
l’instauration au sein de l’UE d’un dossier passager. Ce texte propose que les données des
passagers effectuant un vol international – qui sont enregistrées dans les systèmes de réservation
des compagnies aériennes – soient transférées vers une unité spécialisée du pays européen
d’arrivée ou de départ, afin que les pays membres puissent analyser et conserver ces données à
des fins de prévention, de détection, d’enquête et de poursuite en cas d’infractions graves et
d’actes terroristes. Après avoir bloqué l’adoption de ce texte en 2013, les membres de la
Commission des libertés civiles du Parlement européen sont aujourd’hui exhortés à trouver un
accord avec le Conseil.
53. Lors du sommet de l’UE en août 2014, les Etats membres ont exprimé leur volonté qu’un
PNR européen soit rapidement mis en œuvre. La question a ensuite suscité une nouvelle attention
lorsque le gouvernement allemand a appelé à ce que les données passagers puissent être
conservées dans l’ensemble des pays de l’UE sans aucune justification, afin de pouvoir détecter
les habitudes de déplacements des individus soupçonnés d’activités terroristes et tirer des
conclusions concernant leurs séjours dans des camps d’entraînement ou des zones de conflit
(EurActiv, 2014). Alors que des accords sur le PNR ont déjà été conclus par le passé avec les
Etats-Unis et l’Australie, la recommandation de l’Allemagne a relancé les débats au
Parlement européen sur la question de la protection juridique des données. La proposition a pris
un tour encore plus important après les attentats perpétrés en Europe début 2015. Début février,
les députés du Parlement européen ont décidé, si tant est qu’elle ne pose pas de problème au
regard de la violation de la vie privée, de débloquer la question du PNR européen. Le texte devrait
donc être adopté avant la fin de l’année.
III.
LES REPONSES FACE AU DEFI : LA PREVENTION DE LA RADICALISATION ET LA
DERADICALISATION
54. La communauté internationale prend de plus en plus conscience que les mesures prises par
les services chargés de l’application de la loi ne suffisent pas à contenir la menace complexe du
terrorisme contemporain. Surveiller en permanence l’ensemble des combattants rentrés dans leur
pays ainsi que les autres extrémistes potentiels est matériellement impossible. La nécessité est
donc de s’attaquer aux causes profondes de la violence terroriste.
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047 CDS 15 F
55. La résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations unies appelaient les Etats à prendre
des mesures préventives pour se prémunir de l’extrémisme violent, par exemple en nouant le
dialogue avec les populations au niveau local afin de stopper la propagation des idéologies
extrémistes. Plusieurs pays européens ont, au cours des 15 dernières années, mis au point des
stratégies très complètes visant à prévenir la radicalisation initiale des citoyens ainsi qu’à
déradicaliser les extrémistes engagés ou faire en sorte qu’ils se désengagent. Ces programmes
comportent toutefois d’importantes différences selon les pays, à commencer par les autorités qui
en sont responsables et les types d’interventions. Un consensus semble pourtant se dégager en
Europe en ce qui concerne le caractère indispensable de ces programmes civils pour lutter contre
le terrorisme (Vidino et Brandon, 2012). Ces politiques sont le reflet de la prise de conscience
croissante que les terroristes ne sont pas des individus présentant fondamentalement une
déviance sociale ou psychologique, mais des personnes normales ayant suivi un processus de
radicalisation qui peut être modifié, voire inversé.
56. Comme le soulignait le rapport 2014 de l’AP-OTAN [187 CDSDG 14 F rév. 1 fin.], l’accent
qui est mis sur la déradicalisation et la lutte contre la radicalisation en tant que méthodes de
prévention du terrorisme n’est pas le même aux Etats-Unis qu’en Europe, et présente également
des différences entre les divers pays européens. Pour résumer, les pays européens ont tendance
à privilégier la lutte contre la radicalisation en raison de leurs expériences des dictatures, des
révolutions et autres formes d’instabilité politique fondées sur les idéologies radicales. A l’opposé,
les Etats-Unis s’intéressent plutôt aux actes illicites des individus qu’aux idéologies qui les soustendent, même si quelques actions de déradicalisation sont menées localement.
57. En Europe, un pays particulièrement en avance sur le front de la lutte contre la radicalisation
est le Royaume-Uni. Le programme « Prevent », lancé en 2007 dans le cadre de la stratégie
globale du pays en matière de lutte contre le terrorisme – baptisée CONTEST –, s’attaque au
« défi idéologique » du terrorisme et à la menace représentée par ceux qui l’encouragent. Les
mesures de prévention du terrorisme et d’investigation qui ont été prises pour contrer le risque
d’effet boomerang au retour des combattants étrangers prévoient que les combattants britanniques
rentrant de Syrie et d’Iraq doivent participer à des programmes de lutte contre l’extrémisme.
Depuis la nouvelle loi britannique sur la lutte antiterroriste, la charge de la preuve qui est
nécessaire pour obliger des terroristes présumés à participer à des programmes de
déradicalisation repose non plus sur une « suspicion raisonnable » mais sur la « prépondérance
des probabilités ». Cette nouvelle loi oblige par ailleurs les établissements scolaires (notamment
post-secondaires) et les agents de probation à agir pour empêcher que les individus ne se
radicalisent.
58. Les Pays-Bas ont eux aussi conçu un programme efficace de lutte contre la radicalisation
qui est mis en œuvre principalement par les municipalités et comporte un double volet répressif :
l’expulsion des imams radicaux et la fermeture des sites Web extrémistes, ainsi que la mise en
avant d’un discours alternatif s’adressant en particulier aux jeunes qui cherchent des réponses aux
questions d’identité et de religion. Les autorités néerlandaises s’intéressent également de près aux
facteurs socio-économiques susceptibles de rendre les individus plus vulnérables à la
radicalisation. Elles organisent des projets pour faciliter l’accès au marché du travail et améliorer
les conditions de vie dans les quartiers défavorisés. Le projet phare des Pays-Bas est celui de la
« maison municipale d’information sur la radicalisation », qui élabore des formes d’intervention
appropriées – personnalisées et globales – et apporte un soutien aux individus à risque en
s’appuyant sur les informations fournies par les travailleurs de terrain.
59.
En France, la lutte contre le terrorisme repose dans une large mesure sur les opérations
des services de police et de renseignement ; le dispositif national de déradicalisation n’est en
revanche pas aussi développé qu’au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Pour autant, une nouvelle loi
antiterroriste adoptée récemment autorise les autorités compétentes à bloquer les sites Web
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047 CDS 15 F
promouvant le terrorisme. Le gouvernement français a en outre créé un site d’information sur les
signes de la radicalisation djihadiste, qui s’adresse aux personnes dont un proche court peut-être
le risque de se radicaliser. Ce site fournit en outre les coordonnées de travailleurs sociaux ou de
psychologues, ainsi que des informations sur la démarche à suivre pour alerter les autorités.
D’autres sites non gouvernementaux consacrés aux djihadistes rentrés au pays devraient être
créés pour aider à la déradicalisation.
60. En Allemagne, des politiques proactives de lutte contre la radicalisation sont menées pour
promouvoir la démocratie et la tolérance au sein de la population, et plus généralement pour
éradiquer le racisme et la xénophobie. Si la politique allemande de lutte contre l’extrémisme est
parvenue à minimiser l’importance des mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, le
nombre d’actes de violence commis par des individus radicaux ou des petits groupes clandestins
s’est néanmoins accru ces dernières années. Pour empêcher les citoyens allemands d’aller
combattre à l’étranger, le gouvernement allemand a approuvé en janvier un projet de loi visant à
empêcher les individus impliqués dans des activités terroristes de voyager.
61. En Belgique, les autorités locales et fédérales échangent des informations et mettent en
place des opérations par l’intermédiaire de plus d’une vingtaine de forces spéciales créées dans le
cadre du « plan d’action contre le radicalisme », autre nom de la stratégie belge de lutte contre la
radicalisation. Afin d’empêcher que des individus ne deviennent des combattants étrangers, le
ministère de l’Intérieur a créé une « task force Syrie », chargée d’élaborer des mesures de
dissuasion, ainsi que l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM/OCAD).
L’OCAM a dressé une liste des individus qui se sont rendus en Syrie ou sont soupçonnés de s’y
trouver/d’avoir l’intention d’y aller. La Belgique a par ailleurs conclu un accord avec la Turquie pour
que certains ressortissants belges – recensés comme ayant des affinités avérées avec l’idéologie
extrémiste – soient empêchés de se rendre en Syrie via le territoire turc. Des initiatives de
prévention sont en outre menées au niveau local, en particulier au sein des populations comptant
un pourcentage élevé de combattants étrangers. Lorsque ces derniers rentrent en Belgique, la
menace posée par chacun d’eux est évaluée par les autorités. Lorsqu’un individu est jugé
dangereux ou que l’on détient des preuves de son activité terroriste, des poursuites sont engagées
à son encontre. Pour les autres, des solutions de réinsertion personnalisées sont proposées par
les autorités locales, en collaboration avec l’OCAM/OCAD.
62. S’appuyant sur l’étude des initiatives anti-radicalisation menées au Royaume-Uni, au
Danemark et aux Pays-Bas, ainsi que sur celle de ses propres actions à l’encontre des groupes
néonazis et d’extrême droite, la Norvège a mis au point une stratégie de lutte contre la
radicalisation. Contrairement à ce qui se fait dans certains autres pays européens, en Norvège, les
actions anti-radicalisation sont en grande partie intégrées au travail quotidien de la police.
L’élément central du plan d’action norvégien pour prévenir la radicalisation et l’extrémisme violent
est le programme « Empowerment Conversations » : dirigé par les forces de police locales, il aide
les jeunes ayant un penchant pour l’extrémisme politique, les comportements antisociaux, la
délinquance et la violence à retourner sur le chemin de la légalité. L’accent est mis sur la
réinsertion plutôt que sur la punition, les solutions judiciaires n’étant envisagées qu’en dernier
recours (Vidino et Brandon, 2012).
63. Le Danemark – qui se place en deuxième position seulement derrière la Belgique pour le
nombre de combattants étrangers en Syrie et en Iraq par rapport au nombre de ses habitants – a
mis en place plusieurs mesures de lutte contre la radicalisation pour empêcher les candidats au
djihad de partir combattre et les démotiver, et pour réinsérer ceux qui rentrent. Le Danemark met
l’accent sur la possibilité pour les combattants étrangers de bénéficier à leur retour d’un travail,
d’un logement, d’une formation et d’un traitement psychologique. Un suivi attentif de ces individus
est assuré par la police.
14
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64. Au niveau de l’UE, le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR) recueille
des connaissances spécialisées et facilite les discussions sur le thème de la déradicalisation. Ce
réseau, qui s’attache plus particulièrement à endiguer la propagande terroriste, sert de cadre à
l’instauration d’un nouveau pôle européen de connaissance destiné à aider les autorités locales et
nationales dans leur travail.
65. Comme nous l’avons vu, aux Etats-Unis, la démarche ne consiste pas à traquer les idées
ou les discours radicaux, mais à prévenir les actes de violence. Cela dit, le ministère américain de
la Sécurité intérieure a fait des efforts pour favoriser et soutenir les programmes de proximité
visant à encourager les habitants des quartiers à communiquer aux services chargés de
l’application de la loi toute information suspecte. Il a, à cette fin, formé des milliers de policiers de
terrain et d’intervenants de première ligne afin de créer un climat de confiance entre la police et les
populations susceptibles d’être ciblées par les extrémistes violents à des fins de recrutement.
Cette formation concerne notamment l’efficacité du travail de police – sans profilage ethnique ou
racial – ainsi que la mise en place de bonnes pratiques dans les actions de sensibilisation auprès
de la population. Le ministère de la Sécurité intérieure organise par ailleurs des ateliers et octroie
des subventions bénéficiant directement aux partenaires locaux et aux actions de sensibilisation
des populations dont le but est de comprendre, d’identifier et de signaler les activités terroristes
éventuelles.
66. Une étude de l’ICSR sur les expériences de lutte contre la radicalisation menées au
Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark et en Norvège a montré que les stratégies nationales
sont façonnées par la culture, l’environnement politique, le cadre juridique et l’évaluation des
menaces de chaque pays. Par conséquent, aucune initiative ou stratégie globale ayant trait à ce
domaine d’action ne peut être exportée ailleurs à moins d’être adaptée à la réalité locale (Vidino et
Brandon, 2012).
67. Pour ce qui est des questions communes à l’ensemble des pays de la zone euro-atlantique,
il est important d’en citer deux. Premièrement, les prisons ont été identifiées comme des lieux de
vulnérabilité, souvent propices à la radicalisation. Selon l’ICSR, il est fréquent que les terroristes
utilisent leur temps de détention pour trouver des soutiens extérieurs, radicaliser d’autres
prisonniers et tenter de recréer des structures de commandement opérationnel (Neumann, 2012).
Selon les fichiers de la Police française, les auteurs des attentats parisiens – Kouachi et
Coulibaly – avaient rencontré en prison Djamel Beghal, membre d’al-Qaïda reconnu coupable
d’activités terroristes, qui les avait initiés au djihadisme. Omar Abdel Hamid El-Hussein, auteur
présumé des attentats meurtriers de Copenhague, venait de purger une peine de prison au
Danemark pour des actes de violence. Mohammed Merah et Mehdi Nemmouche, auteurs
respectivement des attentats de Toulouse en 2012 et de l’attaque contre le musée juif de Bruxelles
en 2014, avaient eux aussi été incarcérés dans des prisons françaises pour des faits de vol avec
violence. Abdelhamid Abaaoud, accusé d’être l’instigateur d’une tentative d’attentat avortée en
Belgique, se serait radicalisé dans une prison de Saint-Gilles, à Bruxelles.
68. Pour éviter la radicalisation en prison, la nécessité ou non de séparer les combattants
étrangers des terroristes ou de les isoler du reste des prisonniers pour éviter qu’ils ne les
influencent est une question qui divise les experts. L’isolement des prisonniers djihadistes les plus
radicaux est d’ores et déjà expérimenté à petite échelle dans un établissement pénitentiaire de la
région parisienne. Il est trop tôt néanmoins pour en évaluer les résultats (Arsenault, 2015). Les
études de l’ICSR montrent qu’il n’y a pas de règle préétablie concernant le traitement à réserver
aux terroristes emprisonnés, à savoir les regrouper, les séparer et/ou les isoler. En revanche, le
constat est que, dans la plupart des 15 pays examinés, les politiques mises en œuvre associent
regroupement et dispersion, en répartissant les terroristes entre plusieurs établissements de haute
sécurité. Même dans des environnements mixtes comme ceux-là, il n’est pas recommandé de faire
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se côtoyer d’éventuels leaders et d’éventuels suiveurs, ou des idéologues et des individus sans
repères (Neumann, 2012).
69. Sur la question des combattants étrangers, le coordinateur de l’UE pour la lutte contre le
terrorisme, Gilles de Kerchove, préconise que les individus qui rentrent de Syrie mais ne sont pas
suspectés d’avoir du sang sur les mains ne soient pas incarcérés. Il insiste, ainsi que d’autres
experts, sur la nécessité de mettre en place – à l’intérieur et à l’extérieur des prisons – des
programmes de réinsertion, et appelle les autorités à faire la différence entre les combattants qui
sont revenus aguerris et ceux que les combats ont traumatisés.
70. Les prisons peuvent aussi jouer un rôle positif dans le règlement des problèmes de
radicalisation et de terrorisme qui touchent la société dans son ensemble. Les études réalisées par
l’ICSR dans 15 pays ont montré que dans plusieurs cas, des groupes armés s’étaient
complètement démantelés après que des leaders terroristes incarcérés aient usé de leur influence
pour amorcer des processus collectifs de déradicalisation et de démotivation. Ces cas ont
cependant été peu nombreux et ont eu lieu dans des circonstances très particulières.
71. Le deuxième point évoqué plus haut est que certains pays ont adopté des mesures de
prévention sexospécifiques. Le gouvernement britannique a, par exemple, encouragé les
femmes musulmanes à persuader les hommes de leur entourage de ne pas partir combattre à
l’étranger aux côtés de groupes djihadistes. Bien que la mobilisation des femmes musulmanes soit
un aspect important dans la stratégie de l’EI, les puissances occidentales ne l’ont pas privilégiée et
n’y ont donc pas consacré d’actions spécifiques. La tendance qui veut que les femmes allant
combattre à l’étranger soient considérées comme des victimes plutôt que comme de ferventes
djihadistes risque de conduire à la sous-estimation de menaces potentielles et d’empêcher la
conception de politiques préventives adaptées et pertinentes. Les stéréotypes concernant les
femmes musulmanes – à savoir leur retranchement dans la vie domestique et leur passivité – ont
conduit à l’idée qu’elles sont toujours sous l’influence des hommes, et donc que les femmes
partant combattre à l’étranger ont nécessairement été bernées ou forcées à partir. Or, nombre de
femmes vont rejoindre les groupes djihadistes pour des raisons souvent identiques à celles des
hommes, notamment la quête d’aventure, le sentiment d’être victimes d’exclusion dans leur pays
d’origine, l’appel à l’activisme social et l’attrait de la cause. A l’instar des jeunes hommes, les
jeunes femmes cherchent des réponses à leur questionnement identitaire et sont vulnérables face
aux discours prononcés avec assurance sur l’obligation religieuse, la maternité et la famille,
discours qui leur donnent un but à atteindre et les invitent à participer à une grande cause.
Actuellement, l’une des personnes les plus recherchées au monde pour ses activités terroristes
présumées est Hayat Boumeddiene, l’épouse de l’un des auteurs des attentats parisiens. Selon
les estimations, 10 à 20 % des combattants étrangers de l’EI sont des femmes (Pandith et
Havlicek, 2015). Farah Pandith, fondatrice de l’initiative Women and Extremism à l’Institute for
Strategic Dialogue de Londres estime par conséquent que les stratégies visant à prévenir le
recrutement des femmes devraient inclure des arguments spécialement adaptés à ce public.
72. Un autre problème à résoudre concerne la difficulté à mesurer les effets des politiques de
prévention et des mesures de lutte contre l’extrémisme, notamment les programmes de
déradicalisation et de réinsertion. Les mesures préventives générales sont particulièrement
difficiles à évaluer de façon empirique. Elles sont donc souvent difficiles à défendre politiquement
en des temps de restrictions budgétaires. Il est par ailleurs tentant, au retour des combattants
étrangers, de se contenter de les arrêter plutôt que d’essayer de les réinsérer. Cela est
particulièrement vrai au vu des ennuis et des critiques que peuvent essuyer les services de
sécurité et les gouvernements lorsqu’un combattant étranger qui n’était pas suivi de près par les
autorités commet à son retour une attaque. Dans les pays où les partis politiques d’extrême droite
et les attitudes islamophobes sont visibles, les autorités peuvent être exhortées à privilégier les
mesures coercitives. Même si de nombreux combattants étrangers rentrent traumatisés et ont
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besoin d’un suivi psychologique, il peut être difficile sur le plan politique de trouver des sources de
financement pour des individus souvent considérés comme des terroristes. Il est, cela dit,
important de privilégier les mesures de prévention – y compris la lutte contre la radicalisation et la
réinsertion – car dans la négative, l’on risque de fomenter de la violence qui aurait pu sinon être
évitée.
IV.
CONCLUSIONS PROVISOIRES ET RECOMMANDATIONS
73. La nature et l’ampleur des défis que pose actuellement le terrorisme endogène à la
communauté euro-atlantique appellent une réaction urgente aux niveaux international, régional,
national et infranational. Il est notamment primordial d’améliorer la coopération entre les services
de renseignement et ceux chargés de l’application de la loi. Les Etats membres de l’UE et de
l’OTAN gardent trop jalousement pour eux leurs compétences nationales en matière de lutte
antiterroriste. Le choc des révélations d’Edward Snowden ayant été en grande partie surmonté, la
confiance et la coopération entre les partenaires euro-atlantiques doivent être considérablement
renforcées, éventuellement en s’inspirant des dispositifs existants tels que l’alliance Five Eyes. La
coopération horizontale entre les services chargés de l’application de la loi (sur le modèle des
projets de coopération internationale mis en place par le NYPD) doit être encouragée. Il est
particulièrement important que des systèmes permettant d’informer rapidement du départ et du
retour des combattants terroristes étrangers soient mis en place.
74.
A mesure que les terroristes d'endogène deviennent plus nombreux et mieux sophistiqués,
les services chargés de l’application de la loi doivent se doter de ressources financières, de
moyens techniques et d’effectifs suffisants. Actuellement, en Europe, un grand nombre de ces
services sont surchargés car ils doivent assurer le suivi d’une liste grandissante d’individus
pouvant devenir des extrémistes violents. Des projets d’envergure européenne seraient à cet
égard utiles. Plus précisément, l’UE devrait envisager sérieusement d’adopter un certain nombre
de mesures telles que : la création d’un dossier passager européen ; l’élaboration d’une liste noire
européenne des présumés terroristes ; la mise en place d’un système européen de surveillance du
financement du terrorisme semblable à celui des Etats-Unis ; le renforcement de Frontex et
d’Europol ; l’adoption du paquet de mesures « Frontières intelligentes » ; enfin, la consolidation du
Système d’information Schengen. Une plateforme européenne – s’appuyant éventuellement sur
Europol – est également indispensable pour améliorer la surveillance des activités extrémistes sur
Internet (notamment les médias sociaux) et lutter contre la cybercriminalité. La création d’un
tribunal européen spécialisé dans les affaires de terrorisme devrait être envisagée. Il conviendrait
également que les partenaires euro-atlantiques partagent davantage leurs pratiques nationales
innovantes : par exemple, le retrait des passeports en cas de double nationalité, ou encore
l’adoption d’une loi permettant aux services chargés de l’application de la loi de recevoir des
entreprises technologiques les informations dont ils ont besoin, tout en maintenant des garde-fous
démocratiques. Des efforts supplémentaires sont en outre nécessaires pour endiguer le trafic des
armes de petit calibre et les transferts d’argent illégaux. Enfin, il conviendrait d’accroître l’aide aux
Alliés et partenaires de la région MOAN dont les capacités de lutte antiterroriste sont moins
avancées.
75. Face aux risques du terrorisme de l’intérieur, une démarche axée sur la seule application de
la loi n’est pas suffisante. Il est indispensable, pour limiter l’influence de l’idéologie extrémiste, de
renforcer les programmes de déradicalisation. Les pays leaders dans ce domaine devraient être
encouragés à partager leurs meilleures pratiques avec les autres membres de la communauté
euro-atlantique et au-delà. Les prêcheurs de haine qui diffusent de la propagande extrémiste ne
devraient pas être autorisés à sévir dans le monde libre, et les codes pénaux devraient, si
nécessaire, être révisés en conséquence. Les programmes de déradicalisation et de lutte contre la
radicalisation devraient être complétés par des initiatives plus générales visant à sortir les
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populations immigrées de la ghettoïsation et à répondre à leurs besoins socio-économiques, en
particulier ceux de la jeune génération. S’agissant des combattants qui reviennent de l’étranger, la
mise en détention immédiate ne devrait pas être considérée comme la seule option possible : des
programmes de réinsertion devraient également être créés afin de proposer aux individus
souhaitant abandonner la cause extrémiste une véritable alternative.
76. Un travail plus poussé de recherche et d’analyse devrait être consacré au phénomène du
terrorisme de l’intérieur. Selon le tour d’horizon de la littérature sur le terrorisme réalisé par
Psicothema, à l’heure actuelle, seuls 3 % des articles publiés dont les sources ont été révisées
semblent s’appuyer sur des analyses empiriques (Biglan, 2015). Pour citer un exemple, les
sociétés occidentales comprennent mal que la communauté musulmane vivant dans leurs pays est
très hétérogène : ne serait-ce que dans la même ville, les musulmans sont souvent répartis en
fonction de leur pays d’origine et ont parfois des visions du monde très différentes. Il arrive que les
autorités elles-mêmes n’aient pas connaissance de l’existence de certaines communautés
musulmanes – or, ces communautés doivent être activement associées au dialogue si l’on veut
prévenir la radicalisation de certains de leurs membres.
77. Cela dit, comme l’a indiqué à cette Commission Farah Pandith, éminente experte de la lutte
contre l’extrémisme aux Etats-Unis, les responsables politiques du monde entier ne se rendent
souvent pas compte qu’une partie de la population musulmane – en particulier les jeunes – connaît
une crise identitaire dont les caractéristiques sont les mêmes pour une personne vivant en
Occident ou dans un pays à dominante musulmane. Même dans les pays musulmans, ces
personnes peuvent se sentir isolées et exclues. Les individus en pleine crise identitaire sont en
quête de réponses simples, et les organisations terroristes comme l’EI savent habilement exploiter
leurs doutes.
78. Pour mettre en échec les discours extrémistes, il est très important que des politiques
d’information soient mises en œuvre. L’Occident ayant peu de crédibilité auprès des partisans
éventuels de l’EI, la campagne pour recueillir la sympathie et l’adhésion des combattants
potentiels doit être menée par des personnalités musulmanes. La population du monde musulman
est dans sa grande majorité pacifique et modérée. La communauté euro-atlantique devrait aider
les personnalités musulmanes modérées à prendre la parole pour expliquer que les partisans
d’une ligne dure insultent l’islam et en font une interprétation erronée. Ces voix devraient par
exemple être suffisamment nombreuses pour éclipser – ou tout au moins concurrencer – la
propagande extrémiste disponible sur Internet simplement via les moteurs de recherche. Afin
d’attirer la jeune génération, ce discours anti-extrémiste devrait sortir de la bouche de
personnalités musulmanes populaires telles que des chanteurs, des sportifs ou des bloggeurs.
79. Des dirigeants occidentaux comme Barack Obama et David Cameron ont déclaré
publiquement que les activités de l’EI étaient contraires à l’islam ; de leur côté, de nombreux
religieux et chefs de communautés musulmans ont condamné l’EI et al-Qaïda comme faisant
offense à l’islam. Bien que ces initiatives soient extrêmement bienvenues, elles ne suffisent pas.
Comme l’indiquent certains experts, les appels à la modération et à la coexistence pacifique ne
convaincront peut-être pas les jeunes rongés par la colère et l’envie de devenir quelqu’un
d’important. Pour eux, le discours anti-extrémiste doit proposer une autre cause tout aussi
passionnante, comme par exemple celle de défendre l’honneur de leur religion en résistant à ceux
qui la salissent par des actes de brutalité et de violence (Kruglanski, 2014).
80. La communauté euro-atlantique doit rester ferme dans la défense de ses valeurs de liberté
et de démocratie. La liberté d’expression, même sous une forme satirique, est l’un des principes
fondamentaux de cette communauté, et l’on ne saurait transiger sur ce point. La rapporteure est
convaincue que l’on peut concilier sécurité et liberté et que, grâce à des processus tels que les
discussions sur la politique européenne de conservation des données et les négociations entre les
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Etats-Unis et l’UE sur les accords de partage des informations, la communauté euro-atlantique
finira par trouver le juste équilibre. De manière générale, cet équilibre repose sur une
responsabilisation suffisante des organes d’Etat concernés, ainsi que sur le renforcement des
principes du contrôle démocratique et la mise en place de procédures d’autorisation légale
appropriées.
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