Comprendre le phénomène de mondialisation, c`est possible dès le

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Comprendre le phénomène de mondialisation, c`est possible dès le
Pratique
Comprendre le phénomène de mondialisation,
c'est possible dès le CE2...
Pascale Billerey
Dépasser la conception passéiste, utilitariste des
contenus des nouveaux programmes 2008 pour
l’école primaire
Comment dépasser ce manque d'ambition où la centration du programme d'histoire sur la seule histoire de
France s'apparente aux IO de 1923, où il ne reste plus
qu'à sortir les tableaux « Rossignol », les grands personnages sortis de leur contexte sociétal, quand la géographie est encore plus mal traitée avec des concepts éparpillés, passant des territoires à la démographie, à la langue française ?
Du CE2 au CM2 : « Les sujets étudiés se situent en premier
lieu à l'échelle locale et nationale; ils visent à identifier et connaître les principales caractéristiques de la géographie de la France
dans un cadre européen et mondial. » « Des réalités géographiques
locales à la région où vivent les élèves/ Le territoire français dans
le cadre européen/ Les Français dans le contexte européen/ Se
déplacer en France et en Europe/ Produire en France/ La
France dans le monde/ L'Union Européenne....»
Cette progression qui va du local au national est un
retour au francocentrisme : la France est l'échelle de
référence à partir de laquelle on s'ouvre au monde...
On est bien loin d'une vision systémique du monde,
alors que l'on sait combien les élèves ont des capacités
en matière de réflexion, de conceptualisation, de création...
Comment ne pas prendre ce recul des idées pédagogiques et politiques au pied de la lettre, mais mettre en
travail ces nouveaux programmes, les re-visiter et prendre appui sur certains leviers ?
La liberté de choix pédagogique est maintenue. On peut
construire des repères temporels et spatiaux pour com-
prendre l'unité et la complexité du monde, on peut aussi
lire et utiliser différents langages (de la carte aux documents). Développement de la curiosité, du sens de l'observation, de l'esprit critique, sensibilisation au développement durable sont mentionnés, tout en sachant que le
temps imparti risque de mettre à mal ces finalités éducatives.
Mobiliser ces outils d'analyse et de mise à distance critique pour permettre à tous les élèves de se situer dans
le monde dans lequel ils vivent, de se préparer à exercer
leur citoyenneté en toute connaissance de cause suppose l'engagement dans une réflexion collective pour les
adapter à la compréhension du monde d'aujourd'hui.
Et les élèves? Comment se représentent-ils cette
nouvelle matière, « L'histoire », après un trimestre d'apprentissage au CE2 ?1
Seul un tiers des élèves a compris à quoi sert l'histoire,
mais ils déclarent que l'histoire sert à connaître son
passé, sans lien avec la compréhension du monde d'aujourd'hui...
Comment donner des clés de compréhension à ces élèves, les mettre en situation d'historiens qui, en accéléré,
vont re-découvrir l’origine de l’Histoire.
Comment se servir des travaux de chercheurs avec une
nouvelle approche de l'histoire : l'histoire globale s'est
développée avec la mondialisation et étudie les interactions entre les civilisations, les transferts entre les zones
culturelles, pour revisiter l'histoire à l'échelle du monde.
Il s'agit d'un nouveau paradigme qui consiste à confronter les histoires des différents pays de la planète.
1 Avant le CE 2, les élèves ne font pas d’histoire et de géographie. Ils abordent les concepts de temps et d’espace en « découverte du
monde ».
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DIALOGUE n° 133 «Géographies : Comprendre et agir sur le monde» juillet 2009
Récit d'une pratique de classe au CE2
L'étude en classe à partir de documents variés (images
virtuelles, photos d'objets retrouvés, de fouilles) de l'histoire de la naissance de Besançon – du 1er village préhistorique à « Vesontio », ville romaine – va leur permettre de s'approprier les premiers questionnements.
Ils devaient imaginer, en se servant de leurs premières
connaissances historiques, la vie de ces premiers hommes. Puis ils ont tenté de comprendre pourquoi ils
avaient abandonné la vie nomade, domestiqué les animaux, étaient devenus agriculteurs ? Étaient-ils égaux?
Les premiers villages, les premiers métaux, l'écriture ne
sont pas apparus en même temps en France,
Méditerranée et Proche Orient et qu'il n'y a pas qu'une
seule chronologie mondiale.
C'est ainsi qu'avec les élèves nous avons pris le temps
d'élaborer une frise chronologique...
Mon impossibilité « épistémologique » à concevoir une séquence sur la mondialisation
Difficile pour moi d'imaginer la suite de ce travail, consciente que j'étais partie d'une approche locale pour l'élargir à l'histoire de l'humanité, mais que j'étais loin
d'une approche globale qui permettrait de comprendre
comment les différentes civilisations vont naître, interagir et se mondialiser....
Comment faire construire par chacun des élèves cette
nouvelle culture historique en rupture avec une vision
nationale, voire ethnocentrée chez la formatrice ?
Dynamiser son enseignement de l'histoire suppose de
traquer dans les contenus mêmes quelles ruptures épistémologiques on va soulever qui coïncideront sans
doute avec les difficultés d'acquisitions rencontrées par
les élèves. Cette phase d'approfondissement du contenu, cette re-lecture problématisante des nouveaux programmes conduite individuellement me mène à une
impasse : je découvre que je suis prisonnière d'une formation disciplinaire trop cloisonnée.
Qu'est-ce qui se cache dans cette carte (à première vue géographique), pleine de tiroirs ?
Je ressens la nécessité d'associer d'autres personnes
pour tenter de comprendre en quoi cette carte peut
constituer un levier pour comprendre la naissance du
concept de mondialisation. Lire le dessous de cette
carte, essayer d'identifier et de relier les connaissances
sous-jacentes ne me semble pas aisée, je suis prisonnière d'une lecture cloisonnée et uniquement géographique.
Je demande à Michel Huber d'animer cette séance, face
à mon impossibilité à la concevoir et à l'animer avec des
élèves...
Quelle surprise de voir comment une discussion s'engage aisément entre les élèves, passant d'un domaine disciplinaire à l'autre !!!
Ils repèrent facilement qu'il s'agit d'un planisphère et
savent que cette croyance en la platitude de la terre a
existé, mais que ce n'est, ici, qu'une représentation.
DIALOGUE n° 133 «Géographies : Comprendre et agir sur le monde» juillet 2009
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Ils débattent librement sans l'intervention du formateur
pour rebondir sur d'autres détails de la carte : « les flèches qui se déplacent, c'est Lucy », tentant d'articuler
cette information visuelle avec leurs connaissances historiques des précédentes séances.... Ils butent sur la
polysémie du mot « foyer » ce qui les disperse. Le formateur réorganise leurs propos et leur donne le sens du
mot.
Ils repèrent que la carte du monde est divisée en trois
domaines : du maïs en Amérique, du blé en Europe et
Afrique, du riz en Asie. On bascule vite sur le versant
géographique pour débattre aussitôt de la naissance des
plantes et des conditions nécessaires à leur germination
pour s'interroger ensuite sur la manière dont les hommes ont appris à les cultiver. Le formateur ne semble
toujours pas dépassé par ce flot de propos dispersés et
pas toujours en lien les uns avec les autres...
Il leur propose même de faire l'inventaire de ces céréales, demandant à un élève d'origine sénégalaise de
demander à ses parents ce qu'est le « gros mil ».
A ce moment précis, les élèves semblent prêts à imaginer ce que la naissance de l'agriculture sur tous les
continents va modifier, transformer. Qu'est-ce que cela
va apporter aux hommes ?
Les réponses fusent : « Ils vont pouvoir faire de la vente,
du commerce, des échanges, avoir des maisons plus
confortables, avoir une meilleure santé, une meilleure
connaissance, des bijoux, des armes, des richesses et
même de la monnaie qui vont provoquer des guerres et
créer aussi des riches et des pauvres... »
Nouvelle situation-problème : pourquoi ce changement ?
Aussitôt, une élève dit : « C'est l'évolution ! », puis se tait
aussitôt sans aucun autre commentaire...
Un autre élève parle « d'imagination qui a permis d'inventer des moyens de transport pour les envoyer dans
le monde entier. »
Le formateur leur explique qu'effectivement même s'il
existait déjà beaucoup d'échanges entre ces civilisations,
pendant longtemps on ne pouvait pas mettre des sacs
de riz sur les bateaux car ils risquaient de moisir et qu'il
a fallu attendre des moyens de transport plus rapides
(train, avion..) pour que ces échanges se mondialisent.
On décide d'approfondir cette séance
Du côté des élèves :
Les élèves proposent des recherches complémentaires
en BCD sur les différentes civilisations évoquées, sur le
concept d'évolution, en sciences sur une compréhension plus fine en botanique des céréales, des graminées...
Du côté des formateurs :
Donner des pouvoirs de compréhension du monde
nécessite qu'apprendre c'est aussi désapprendre, c'est
aussi « se déprendre pour penser autrement ». ■
Un magistral en situation
Michel Huber leur explique qu'ils viennent de comprendre ce qu'est la naissance d'une civilisation, qu'ils
viennent de quitter la préhistoire sans s'en rendre
compte : comme on produit de plus en plus et qu'il y a
de plus en plus de richesses, les hommes vont apprendre à compter, les chiffres font partie des premières écritures, puis ils vont écrire pour raconter leur histoire.
Avec l'écriture naissent la civilisation, le commerce, les
échanges, les guerres et les inégalités sociales...
Des trois grandes plantes maîtrisées par l'homme émergent les trois civilisations : la civilisation égyptienne,
grecque et romaine/ la civilisation indienne (de l’Inde)
et chinoise/ et enfin la civilisation amérindienne.
L'histoire, ça sert à comprendre aussi aujourd'hui...
Michel Huber relance le débat entre les élèves en leur
demandant sous quelles formes on mange le blé, le riz
et le maïs pour s'apercevoir que l'on mange aujourd’hui
tous ces aliments de manière diversifiée et sur tous les
continents : pain, farine, crêpe, gâteau, pop corn, salade
de maïs, alors qu'au temps de la Préhistoire les premiers
agriculteurs de Besançon ne mangeaient ni riz, ni maïs,
seulement du blé.
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DIALOGUE n° 133 «Géographies : Comprendre et agir sur le monde» juillet 2009