Ac anti-peau - Laboratoire CERBA
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Ac anti-peau - Laboratoire CERBA
Ac anti-peau Les anticorps anti-peau sont responsables de diverses affections autoimmunes de l’épiderme et de la jonction dermo-épidermique : les maladies bulleuses autoimmunes ; l’immunofluorescence indirecte (IFI) joue un rôle de premier plan dans leur diagnostic. On distingue les anticorps anti-membrane basale dermo-épidermique et les anticorps anti-substance intercellulaire (SIC ou ICS). La formation des bulles est liée à la perte d’adhésion des kératinocytes à la membrane basale cutanée ou entre eux (acantholyse), les autoanticorps perturbant les mécanismes actifs d’adhésion de ces cellules. Des progrès récents ont permis de définir avec précision les cibles antigéniques de certains de ces anticorps et de mieux comprendre les mécanismes physiologiques de ces molécules d’adhésion. Le pemphigus représente un modèle des maladies autoimmunes spécifiques d’organe, dans lequel le rôle pathogène des autoanticorps a pu être montré. La recherche de ces autoanticorps repose sur leur mise en évidence dans le sérum des patients par IFI sur coupe d’œsophage de singe et sur la mise en évidence de leur dépôt (en association avec le complément) par immunofluorescence directe (IFD) sur biopsie de peau (de préférence en peau saine, à proximité des lésions). En raison du caractère traumatique et plus coûteux de l’IFD sur biopsie, leur recherche par IFI est en général effectuée en première intention. L’IFD est cependant plus sensible : elle est indiquée en cas de résultat négatif à l’IFI. Pour l’IFI, l’œsophage de singe est considéré comme le substrat le plus sensible ; les substrats de rongeurs sont significativement moins sensibles. La technique est grandement améliorée en confort de lecture et en sensibilité si l’on utilise une antiglobuline spécifique humaine et reconnaissant toutes les sous-classes d’IgG. Les anticorps sont recherchés sur sérum dilué au 1/10. Le conjugué à utiliser sur le tissu de singe doit être spécifique des immunoglobulines (Ig) humaines et ne doit pas marquer les Ig de singe présentes dans les tissus. Pour éviter des fixations non spécifiques par réactivité croisée entre Ig humaines et Ig de singe, il faut utiliser un « conjugué spécial singe », obtenu par adsorption sur sérum de singe. Les anticorps anti-membrane basale donnent un marquage linéaire et la jonction dermo-épidermique. Ils sont présents dans 60 à 80 % des pemphigoïdes bulleuses. Les anticorps anti-substance intercellulaire (anti-SIC) donnent un marquage en nid d’abeille limité à l’épithélium, et sont surtout associés au pemphigus où on les retrouve dans 90 % des cas. Bien que rares, les allo-anticorps de groupe sanguin anti-A et anti-B du sérum à tester peuvent donner des faux positifs d’aspect semblable aux anti-SIC, car les tissus de singe expriment les antigènes A et B. Il est donc recommandé de contrôler les sérums positifs après les avoir adsorbés sur neutralisant anti-AB. La recherche de la spécificité de ces autoanticorps peut se faire par immuno-empreinte ou ELISA, techniques relevant de laboratoires spécialisés. L’IFI est facile à réaliser, mais manque de sensibilité par rapport à l’IFD (30 % de faux négatifs). Par ailleurs, l’œsophage de singe est également le substrat de choix pour la recherche des anticorps antiendomysium, au cours de la maladie cœliaque et de la dermatite herpétiforme. Ac anti-membrane basale Ces autoanticorps sont dirigés contre un groupe hétérogène de protéines de la jonction dermo-épidermique, au cours de maladies bien distinctes : la pemphigoïde bulleuse, la pemphigoïde gestationis (ou herpès gestationis), la pemphigoïde cicatricielle, l’épidermolyse bulleuse acquise et la dermatose à IgA linéaire. Ils sont également trouvés chez 1 % des sujets normaux. La jonction dermo-épidermique est composée : • du pôle basal des kératinocytes basaux, constitué des hémi-desmosomes auxquels s’attachent les filaments intermédiaires de cytokératine. Les protéines des hémi-desmosomes sont principalement la BPAg1 de 230 kDa (bullous pemphigoid antigen) et la plectine ; • de la membrane basale composée de la lamina lucida traversée par les filaments d’ancrage, dont les composants principaux sont la BPAg2 de 180 kDa, la laminine 5 et l’intégrine, et de la lamina densa composée de collagène VII. La recherche des autoanticorps anti-membrane basale en IFI donne un aspect similaire pour toutes les pemphigoïdes ; seul l’examen histologique sur biopsie de peau clivée (solution de NaCl 1M) permet ensuite de les différencier. La fluorescence est linéaire, avec un aspect plus granulaire dans certains cas, et épouse la membrane basale. La sensibilité de la technique est de 75 %, comparable à celle de l’IFD. Elle n’est pas totalement spécifique, puisqu’elle peut se positiver au cours d’autres affections comme l’hépatite virale B chronique et certaines atteintes cutanées induites par les médicaments. — Pemphigoïde bulleuse (PB, anciennement maladie de Dühring-Brocq) Elle survient vers 60–70 ans et se caractérise par des bulles apparaissant sur la peau saine ou sur une base érythémateuse. C’est la plus fréquente des maladies bulleuses autoimmunes de la jonction dermo-épidermique. Les lésions ne sont pas extensives et ne concernent pas les muqueuses. Elles apparaissent par poussées, avec des phases d’acutisation et de rémission. La PB peut être associée à d’autres maladies autoimmunes comme le lupus érythémateux systémique, l’anémie pernicieuse ou le pemphigus. À l’examen histologique, les bulles sont sous-épidermiques et l’infiltrat inflammatoire, composé de polynucléaires éosinophiles. En immunofluorescence directe sur peau clivée, les dépôts d’IgG et/ou de C3 intéressent le versant épidermique. Les autoanticorps sont des anti-BPAg1 (80 %) et antiBPAg2 (40 %). Des taux élevés d’IgE peuvent être trouvés chez ces patients. Il n’y a pas de corrélation entre le taux des autoanticorps et l’évolution de la maladie. — Pemphigoïde gestationis ou herpes gestationis C’est une maladie bulleuse et prurigineuse peu fréquente, qui apparaît chez la femme enceinte (fréquence 1/10 000) au cours du 3e trimestre et pendant le post-partum. Les lésions sont variables, allant de l’urticaire à des vésicules ou des bulles de taille importante, siégeant principalement sur l’abdomen (localisation péri-ombilicale évocatrice) ou aux extrémités. Dans 10 % des cas, le nouveau-né présente une éruption cutanée liée au passage transplacentaire des autoanticorps maternels IgG ; des avortements spontanés peuvent survenir en cas de manifestations graves chez la mère. L’histologie et l’IFD sont comparables à la PB. Les autoanticorps sont des anti-BPAg2. La maladie disparaît rapidement sous corticothérapie et au maximum dans les 6 mois suivant l’accouchement. Elle ne réapparaît pas en dehors de la grossesse. La sensibilité de la recherche des IgG par IFI et par IFD n’est que de 25 %, tandis qu’elle est de 100 % si on utilise une antiglobuline anti-C3 en IFD. Cet anticorps anti-membrane basale fixant le complément est aussi connu sous le nom d’herpes gestationis factor. — Pemphigoïde cicatricielle Elle atteint les muqueuses, avec une évolution cicatricielle. L’examen histologique montre que les bulles sont liées à un clivage dermo-épidermique avec un infiltrat polymorphe. Les dépôts d’IgG et/ou de C3 intéressent les versants dermique et épidermique. Les autoanticorps sont des anti-PBAg2 et des anti-laminine 5. — Épidermolyse bulleuse acquise Cette dermatose, qui est très rare, débute vers 30–40 ans. Au cours de celle-ci, les bulles prédominent sur les zones de frottement, elles peuvent concerner les muqueuses, avec cicatrisation atrophique (grains de milium). On note une dystrophie unguéale. Le clivage est dermo-épidermique et l’infiltrat pauvre. Les dépôts d’IgG et/ou de C3 siègent sur le versant dermique du décollement. Les autoanticorps sont des anticollagène VII. — Dermatose à IgA linéaire Elle est définie par des dépôts linéaires d’IgA le long de la jonction dermo-épidermique (versants dermique et épidermique). L’infiltrat est composé de polynucléaires neutrophiles et éosinophiles. Elle ne constitue pas une entité homogène, car plusieurs types d’autoanticorps peuvent être mis en évidence : contre la région extracellulaire de la BPAg2 (97 kDa), contre la BPAg1, le collagène VII et d’autres protéines. Si le tableau clinique est proche de la PB chez l’adulte, chez l’enfant, les bulles en peau saine sont de disposition arciforme et de topographie génitale. Ac anti-substance intercellulaire Ces autoanticorps sont dirigés contre des protéines qui assurent la cohésion interkératinocytaire et sont responsables de la perte de l’adhésion entre ces cellules ou acantholyse, qui définit le groupe des pemphigus. On distingue trois types de pemphigus : • pemphigus vulgaire ; • pemphigus superficiels ; • pemphigus paranéoplasique. Chaque forme anatomoclinique de pemphigus résulte d’une autoimmunisation contre un antigène ou un groupe d’antigènes particuliers, localisés au niveau des desmosomes. Le pemphigus vulgaire est la forme la plus commune et la plus grave. Les desmosomes sont les systèmes de jonction interkératinocytaire, composés d’une région intracellulaire : la plaque desmosomale, et d’une région extra-cellulaire : la desmoglie. La plaque desmosomale est constituée par les plakines, un groupe de protéines intracytoplasmiques assurant la liaison aux protéines du cytosquelette : les desmoplakines 1-2, envoplakine, périplakine… La desmoglie est composée de protéines d’adhésion de la famille des cadhérines : notamment les desmocollines 1-2, la desmogléine 1 et la desmogléine 3. La recherche des autoanticorps anti-substance intercellulaire en IFI donne un aspect similaire pour tous les pemphigus ; seul l’examen histologique sur biopsie de peau permet ensuite de les différencier. La sensibilité de l’analyse est de 90 % (contre 100 % pour l’IFD). L’image est classiquement en « grillage », ne colorant pas le cytoplasme des cellules. — Pemphigus profond ou vulgaire (PV) Le pemphigus vulgaire touche surtout l’adulte (homme ou femme) de 40–50 ans. Il se caractérise par des érosions muqueuses et des bulles apparaissant en peau saine. Histologiquement, on objective le clivage suprabasal et l’acantholyse ; les dépôts d’IgG et/ou de C3 siègent à la surface des kératinocytes (fluorescence intercellulaire). Leur recherche est également positive en peau périlésionnelle. Les autoanticorps sont des antidesmogléine 3 et dans 50 % des cas, notamment au cours des atteintes cutanées étendues, en plus de l’atteinte muqueuse, des anti-desmogléine 1. Le taux des anticorps sériques est corrélé à la sévérité de la maladie. Une recherche négative ne permet pas d’infirmer le diagnostic, notamment dans les formes précoces et localisées (pemphigus buccal isolé). — Pemphigus superficiels Ils ne s’accompagnent pas d’atteinte muqueuse (érythémateux de Senear-Usher, foliacé, endémique) : les lésions cutanées, douloureuses, sont squamo-croûteuses et concernent les régions séborrhéiques (thorax, visage, cuir chevelu) ; la membrane des bulles est fine et rompt facilement. L’étude histologique montre le clivage superficiel et l’acantholyse. L’aspect en IFD est similaire à celui rencontré dans le PV. Les autoanticorps sont des anti-desmogléine 1, jamais des anti-desmogléine 3. — Pemphigus induits Ils sont induits par la D-pénicillamine ou des médicaments comportant un radical sulfhydryl (captopril, piroxicam, tiopronine), ou plus rarement par la pénicilline, l’ampicilline, la rifampicine ou le phénobarbital. — Pemphigus paranéoplasique Ses signes cutanés sont une éruption cutanéo-muqueuse polymorphe (surtout muqueuse) faite de bulles et d’érosions, rappelant la pemphigoïde bulleuse, le lichen plan ou un syndrome de Stevens-Johnson. L’examen histologique montre un clivage suprabasal, avec acantholyse, nécroses kératinocytaires, dermite vacuolaire de l’interface. Les dépôts d’IgG et/ou de C3 intéressent la surface des kératinocytes et la jonction dermo-épidermique. En IFI, l’aspect est celui des anticorps anti-substance intercellulaire, associé à un marquage de la membrane basale et parfois du cytoplasme des cellules de la couche la plus profonde. Les autoanticorps sont très divers : anti-plakines et anti-desmogléine 3, et ne reconnaissent pas seulement des antigènes d’épithéliums stratifiés, mais aussi d’épithéliums cylindriques : trachée, intestin. C’est pourquoi on a proposé d’utiliser, en plus de leur recherche sur œsophage de singe, des substrats tels que l’épithélium de transition de la vessie de singe ou d’autres tissus non épithéliaux. Le pemphigus paranéoplasique peut être associé à la macroglobulinémie de Waldenström, aux lymphomes non hodgkiniens et à la leucémie lymphoïde chronique. Au cours du pemphigus, il y a un parallélisme entre le taux des anticorps circulants et l’activité de la maladie, les plasmaphérèses sont efficaces et les nouveau-nés de mère atteinte peuvent naître avec un pemphigus néonatal transitoire : ces faits sont en faveur du rôle pathogène des autoanticorps, qui a pu être confirmé par l’acantholyse induite en culture de kératinocytes par le sérum de patients atteints de pemphigus. La présence d’autoanticorps anti-substance intercellulaire est pratiquement pathognomonique d’un pemphigus. Cependant, ils sont parfois positifs, mais à taux faible, lors de brûlures étendues ou au cours de certaines maladies autoimmunes ; de même, mais de façon transitoire, lors d’une toxidermie ou d’un rash maculopapuleux aux â-lactamines. ( Humbel RL, Oksman F, Olsson NO. Méthodes de détection des autoanticorps associés aux dermatoses bulleuses auto-immunes. GEAI L’Info 2003 ; No 6 : 12-16. Oksman F, Fortenfant F. Autoanticorps des maladies bulleuses : Pemphigus et Pemphigoïdes bulleuses. Biotribune 2004 ; No 9 : 53-54. Sibilia J, Lipsker D. Les dermatoses bulleuses auto-immunes. GEAI L’Info 2003 ; No 6 : 5-11.