Chat Dermatose croûteuse

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Chat Dermatose croûteuse
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Chat
CAS CLINIQUE
Dermatose croûteuse
Démarche diagnostique
Nous présentons ici le cas d’une chatte de 8 ans amenée en consultation pour des lésions cutanées croûteuses et
suintantes. Les examens complémentaires entrepris aboutiront à un diagnostic de pemphigus foliacé. Un traitement
par corticoïdes à doses dégressives permettra la guérison et la stabilisation durable de cette patiente.
« Caprice », chatte européenne âgée de 8 ans, est présentée à la consultation pour des lésions croûteuses et
suintantes faciales et digitées évoluant chroniquement.
(photo 3). Les lésions sont plus discrètes sur le chanfrein, avec un petit placard croûteux sur la truffe (photo 4) ;
en revanche les coussinets sont intacts.
Commémoratifs
Elle a été acquise à deux mois, et vit depuis en appartement
sans accès possible à l’extérieur depuis des années, et sans
congénères. Elle est nourrie avec un aliment sec industriel
de qualité, mais n’est pas vaccinée. Les traitements antiparasitaires internes et externes sont occasionnels et aléatoires.
© Jean-Loup Mathet
Jean-Loup Mathet
Docteur Vétérinaire
CES Dermatologie
CES Hématologie-Biochimie
CEAV Médecine Interne
Clinique Vétérinaire des Glycines
ORLÉANS
La dermatose évolue donc depuis un an environ, a débuté
par la chute inexpliquée d’un ongle qui a repoussé après.
Ensuite des croûtes sont apparues sur la truffe et les
pavillons auriculaires, puis ont atteint d’autres doigts s’accompagnant de léchage et de mordillements importants.
Aucun antécédent pathologique n’est signalé. Divers traitements antibiotiques administrés par un confrère n’ont
apporté aucune amélioration significative.
3
Examen clinique
Atteinte du pavillon auriculaire gauche (squames, croûtes).
L’examen rapproché montre d’épaisses croûtes agglomérées en amas autours de certains ongles ; un pus épais d’aspect « crémeux » est souvent présent sous les croûtes (photos 1 et 2). Des croûtes identiques et des érosions atteignent
le pavillon auriculaire gauche, l’oreille droite étant indemne
© Jean-Loup Mathet
L’animal est abattu et modérément prostré, la manipulation des zones atteintes par la dermatose est douloureuse.
À distance on observe une dermatose croûteuse marquée
des pavillons auriculaires, du chanfrein et de l’extrémité
de certains doigts.
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Lésion croûteuse plus discrète du chanfrein.
Le bilan clinique est donc une dermatite croûteuse, érosive et squameuse, prurigineuse, chronique, multifocale,
atteignant le chanfrein et la truffe, les pavillons auriculaires, les doigts et la matrice unguéale.
2
Croûtes épaisses péri-unguéales et exsudat « crémeux ».
© Jean-Loup Mathet
1
© Jean-Loup Mathet
Les hypothèses étiologiques sont les suivantes :
• Pemphigus foliacé
• Dermatophytie
• Pyodermite bactérienne
• Démodécie.
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Chat
CAS CLINIQUE
La douleur étant marquée, nous poursuivons donc les examens sous sédation modérée. Le nettoyage d’un ongle et
d’un pavillon avec décollement délicat des croûtes laisse
apparaître de nombreuses érosions voire ulcérations, ainsi
qu’un derme très hémorragique (photo 5).
est envoyée au laboratoire DPM de l’ENVN-Oniris pour
recherche de dermatophytes : elle est négative.
Des biopsies sont réalisées au niveau digité, péri-unguéal
et auriculaire : des croûtes sont également envoyées pour
l’examen histologique au LAPVSO.
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© Jean-Loup Mathet
L’histopathologie des croûtes montre une stratification séropurulente emprisonnant des kératinocytes acantholysés
anciens, et d’autres plus récents, arrondis, à noyau plus
viable (photos 7 et 8).
Les raclages et un trichogramme ne montrent aucune anomalie. Le bilan hématobiochimique (numération-formule,
exploration rénale et hépatique) est dans les valeurs usuelles
et un test pour les rétroviroses félines est négatif.
© Dr Frédérique Degorce - LAPVSO
Aspect lésionnel hémorragique du pavillon gauche après décollement des croûtes.
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La cytologie sous-crustacée montre des images dites « en
roue crantée » correspondant à des kératinocytes acantholysés, de forme arrondie, entourés de neutrophiles,
ainsi qu’une population de neutrophiles non dégénérés
(photo 6).
© Dr Frédérique Degorce - LAPVSO
Pustule ouverte et croûte stratifiée épaisse avec recornification du plancher épidermique (flèche jaune), petite pustule intra-épidermique (flèche verte), et pustule ouverte
(flèche rouge) (x 40).
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Cytologie d’une image en « roue crantée » (x 1 000 immersion, RAL).
La cytologie du pus péri-unguéal met en évidence une forte
population de bactéries essentiellement extracellulaires
(cocci). Cette prolifération bactérienne n’est pas retrouvée
sur les cytologies réalisées sur d’autres localisations lésionnelles. Un écouvillon de ce pus est envoyé pour examen bactériologique et antibiogramme au laboratoire Vebio à Paris.
Un germe opportuniste multi-résistant est mis en évidence ;
il s’agit d’un entérocoque, Enterococcus faecalis, très abondant, mais non responsable des lésions majoritaires.
Une culture fongique (méthode du carré de moquette stérile)
© Jean-Loup Mathet
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Pustule intra-épidermique intacte superficielle (flèche rouge) et kératinocytes acantholysés récents en cours de détachement (flèche jaune).
On observe également de nombreuses vésiculo-pustules,
étendues et planes, remaniées, avec des squamo-croûtes
stratifiées qui peuvent ponter les abouchements folliculaires. Ces vésiculo-pustules contiennent de nombreux kératinocytes acantholytiques, acidophiles avec des neutrophiles
et des éosinophiles macérés. Sur le plancher (épiderme
et infundibula folliculaires) de certaines de ces pustules,
on constate un net détachement par plages de jeunes
kératinocytes arrondis, acidophiles, présentant encore
un noyau viable (photo 8).
Le diagnostic histologique est donc celui d’une dermatite vésico-pustuleuse, avec pustulose éosinophilique
sous-cornée, ulcérative et érosive, acantholytique.
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CAS CLINIQUE
Diagnostic
Leur pathogénie est basée sur la production d’auto-anticorps contre les desmosomes à l’origine d’une séparation cellule par cellule appelée acantholyse. L’hétérogénéité moléculaire des desmosomes explique que
selon la localisation de l’antigène cible dans l’épiderme
le clivage sera plus ou moins haut dans ce dernier. Chez
le Chat, les antigènes n’ont pas été parfaitement identifiés, et la pathogénie exacte des pemphigus demeure
indéterminée2.
Pemphigus superficiel de type pemphigus foliacé.
Traitement
Une corticothérapie par voie orale est mise en place avec
de la prednisolone (Dermipred® comprimés à 5 mg) à la
dose de 2 mg/kg/jour pendant 10 jours puis 1 mg/kg/jour,
en maintenance pendant 1 mois. À la réception de l’antibiogramme, une association amoxicilline et acide clavulanique est administrée, à la dose de 12,5 mg/kg, deux fois
par jour, pendant 21 jours (Kesium® comprimés 50 mg).
Les facteurs déclenchants sont potentiellement environnementaux (ultraviolets, saisonnalité), médicamenteux,
génétiques, ou liés à des maladies chroniques concomitantes (allergies) mais des études complémentaires sont
nécessaires2, 3.
Une désinfection locale avec parage des zones squamocroûteuses est effectuée pendant la sédation ; le relais
est pris avec nettoyage quotidien à l’aide de disques imprégnés de chlorhexidine Douxo Pads®.
Le pemphigus foliacé est la forme la plus reconnue de
pemphigus chez les animaux, mais demeure rare chez
le Chat. Ses caractéristiques cliniques sont communes à
la plupart des espèces animales, et sont exclusivement
cutanées. Les lésions primaires sont des vésiculo-pustules
ou des pustules fragiles donc rarement observées, qui évoluent ensuite en érosions, squames, et croûtes s’accompagnant également d’alopécie. Les localisations habituelles sont la face, le chanfrein, les pavillons auriculaires
et les coussinets1.
L’amélioration est rapide en une dizaine de jours, les
lésions continuent à régresser au cours des semaines suivantes. L’antibiothérapie n’est pas poursuivie et la corticothérapie à base de prednisolone est maintenue à la dose
de 1 mg/kg/jour, tous les jours.
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Aspect d’un ergot et du chanfrein après 1 mois de traitement, persistance de rares croûtes.
Discussion
Les pemphigus regroupent un ensemble de dermatoses
auto-immunes caractérisées par un clivage dermo-épidermique résultant d’un détachement cellulaire par acantholyse. La classification est établie selon la profondeur
de la séparation et permet de distinguer des formes superficielles (pemphigus foliacé, pemphigus érythémateux
et pemphigus à IgA) et profondes (pemphigus vulgaire,
végétant et paranéoplasique)1.
Chez le Chat, peu de critères épidémiologiques ont été
mis en évidence hormis une atteinte des adultes ; il n’existe
pas de prédispositions raciale ou sexuelle sur les séries
publiées. Cliniquement, les érosions et les croûtes jaunâtres à brunes épaisses prévalent, les pustules sont transitoires. La face, les coussinets, les doigts et les plis unguéaux
sont régulièrement atteints, avec parfois des chutes de
griffes (onychomadèse) ou atteinte péri-mamelonnaire. Les
lésions sont préférentiellement localisées, plus rarement
généralisées, et souvent bilatérales et symétriques3.
© Jean-Loup Mathet
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© Jean-Loup Mathet
Après cinq semaines, l’état cutané s’est amélioré, il ne subsiste que quelques croûtes péri-unguéales, le chanfrein est presque guéri, le prurit a disparu mais la manipulation des doigts
atteints reste désagréable pour la chatte (photos 9 et 10).
La présence d’un pus crémeux péri-unguéal est parfois
présenté comme pathognomonique du pemphigus foliacé
félin, par sa richesse en kératinocytes acantholysés, mais
d’autres auteurs lui attribuent plutôt une origine bactérienne secondaire4, 5. L’évolution de la dermatose est lente
et l’atteinte générale modérée ; le prurit est souvent présent et important.
Le diagnostic est clinique, cytologique, histopathologique,
immunohistologique et immunohistochimique. Le diagnostic différentiel est important avec les dermatophytes
à tropisme épidermique cornéen ; Trichophyton sp envahit primitivement le stratum corneum et l’infundibulum
folliculaire7. Ces mycoses peuvent provoquer une dermatose pustuleuse et squamo-croûteuse massive mimant
un pemphigus foliacé tant cliniquement qu’histopathologiquement, par un phénomène identique d’acantholyse9.
Plus rarement, les pyodermites, bien que rares chez le
Chat, doivent être envisagées car certains staphylocoques
peuvent produire des toxines exfoliatives6, 7.
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CAS CLINIQUE
Les critères d’Olivry pour le diagnostic de certitude sont
clinico-pathologiques, il distingue trois groupes2:
• Lésions cutanées : pustules évoluant rapidement en
érosions et croûtes atteignant principalement la face et
les pieds ;
• Lésions histopathologiques : pustules superficielles
épidermiques riches en neutrophiles et kératinocytes acantholytiques ;
• Diagnostic différentiel avec les staphylococcies exfoliatives et les dermatophyties de la couche cornée
Dans notre cas, ces trois critères diagnostiques sont présents et validés, nous allons les reprendre un par un :
• Cliniquement, la dermatose a débuté par une atteinte
unguéale (onychomadèse) puis s’est lentement étendue à la
face (pavillon et chanfrein). Les lésions primaires (vésiculopustules) n’étaient pas visibles au moment du diagnostic,
cependant, la symétrie lésionnelle habituellement décrite
n’est pas retrouvée ici, ce qui est en opposition avec les données disponibles ; l’évolution sur une année exclut un délai
trop court avant éventuelle généralisation bilatérale.
• Histopathologiquement, les principales caractéristiques
diagnostiques sont retrouvées sur les biopsies de ce cas :
• Pustules épidermiques étendues pontant les abouchements folliculaires, riches en neutrophiles et éosinophiles
ainsi qu’en kératinocytes acantholytiques isolés ou en
radeaux « flottants » dans le contenu de la pustule ;
• Détachement progressif en plage des kératinocytes acantholytiques de la membrane basale ;
• Présence de « jeunes » kératinocytes acantholytiques,
acidophiles, à noyau viable traduisant une acantholyse
active et récente ;
• Présence de kératinocytes acantholytiques dans les
couches stratifiées de kératine des croûtes ;
• Derme inflammatoire riche en mastocytes et éosinophiles
même si ces images ne sont pas significatives isolément.
L’aspect pathognomonique de la présence de pus crémeux
péri-unguéal chez le chat peut être discuté. Il pourrait s’agir
d’un exsudat inflammatoire neutrophilique (lié au processus immunitaire d’acantholyse), qui se surinfecte
ensuite, ou bien du résultat de la prolifération bactérienne
seule.
• La cytologie est plutôt évocatrice d’une infection secondaire donc opportuniste sur un terrain d’immunodépression (sous-jacent) par la présence de nombreuses bactéries extracellulaires. La mise en évidence d’un entérocoque,
germe d’origine digestive fécale, apporté par le léchage,
montre qu’il n’est pas un germe pathogène responsable
de pyodermite à lui seul, au contraire des staphylocoques. Dans une publication récente sur une série de
52 cas de pyodermites félines, une cause sous-jacente
a été retrouvée dans trois cas sur quatre, dont deux cas de
maladies auto-immunes associées (pemphigus foliacé et
lupus érythémateux systémique)8. Les multirésistances
Chat
de l’antibiogramme peuvent être attribuées aux antibiothérapies aléatoires prescrites dans les mois précédant la
consultation à la clinique.
L’autre élément fondamental du diagnostic différentiel,
une dermatophytie à Trichophyton sp, a été éliminé par
la culture mycologique et par l’examen histopathologique.
Les thérapeutiques classiques décrites chez le chat utilisent la corticothérapie orale avec la prednisolone en monothérapie, mieux tolérée chez le Chat que chez le Chien,
ou la prednisone en association avec le chlorambucil,
les sels d’or, la dexaméthasone ou la triamcinolone.
Dans l’espèce féline, les glucocorticoïdes employés seuls
permettent de contrôler un tiers des cas1, 2. Des rémissions sont possibles, ainsi que des évolutions cycliques,
par poussées10.
Le traitement mis en place regroupe une corticothérapie
orale classique, associée dans les trois premières semaines
à une antibiothérapie adaptée au germe, il a permis de
stabiliser rapidement la dermatose. L’état général de la
chatte s’est nettement amélioré et même si nous avons peu
de recul sur le suivi, aucune rechute n’est constatée cinq
mois après le début du traitement avec une maintenance
de la prednisolone per os à la dose de 0,5 mg/kg/jour,
soit une posologie relativement basse, à des doses antiinflammatoires et non-immunosuppressives.
Ce cas de pemphigus foliacé félin est donc une présentation relativement typique, d’évolution chronique, mais
sans l’aspect bilatéral habituellement observé, et répondant à une thérapeutique peu agressive. n
L’auteur et la rédaction remercient
le Dr Frédérique Degorce du LAPVSO
pour l’examen et les clichés histopathologiques.
Bibliographie
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5- GUAGUERE E. Communication personnelle.
6- OLIVRY T. LINDER KE. Dermatoses affecting desmosomes in animals : a
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