L`évaluation des élèves (1ère partie), par A. Jorro

Transcription

L`évaluation des élèves (1ère partie), par A. Jorro
Réussite : vers la performance des élèves
Numéro 8 - Décembre 2007
Des repères pour l'action
L’évaluation des élèves (première partie)
Par Anne JORRO, Professeur des universités
Transcription de la conférence du 21 mars 2007 au
Havre par Francis AUCOMTE, Proviseur du lycée
Jules Siegfried du Havre
La question de l’évaluation concerne tout le cursus des
études, de l’école primaire à l’université, et la question
que je voudrais travailler avec vous, c’est celle de
l’évaluation comme démarche, comme processus qui
vient aider à la compréhension des apprentissages
que vivent nos élèves.
Aussi voudrais-je vous proposer quatre temps.
Premier temps : revenir avec vous sur la question de
l’évaluation, vous avez bien vu tout à l’heure que la
définition du Robert consistait à dire que l’évaluation
c’est porter un jugement de valeur, alors vous aurez
la mienne, évaluer, c’est interroger la valeur d’une
activité, la valeur d’un apprentissage, la valeur
professionnelle d’une action pédagogique, la
valeur d’un dispositif de formation. Interroger la
valeur, c’est-à-dire la qualité de ce qui est appris, la
qualité de ce qui est mis en œuvre.
La question des valeurs est très importante parce
que nous enseignants, nous sommes les premiers
médiateurs avec les parents de valeurs auprès des
élèves. Nous sommes en situation de rendre explicites
les valeurs éducatives, les valeurs de l’étude, les
valeurs d’une discipline, si l’école est là, si l’école a
raison d’être, légitimité, c’est bien parce que l’école
débat de ce qui a de la valeur, de ce qui vaut, de ce
qui est estimable. C’est ça l’évaluation, mettre au jour
ce qui est estimable, ce qui a du prix, ce qui a de la
valeur. Donc évidemment ça n’est pas simple parce
qu’il y a probablement des conflits de valeurs, il y a
probablement des positionnements différents sur les
valeurs et c’est toute l’aventure que nous vivons en
tant qu’enseignants, d’essayer de faire converger les
élèves sur des valeurs auxquelles nous croyons, nous,
enseignants. Et apprendre en didactique du français,
en didactiques des maths, en didactique de l’histoire,
etc, et bien c’est essayer de concerner un ensemble
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d’élèves sur les valeurs de la discipline. Alors ce n’est
pas simple.
Deuxième point sur lequel je vais revenir, c’est celui
de l’évaluation dans les apprentissages, c’est la
plus belle question qui existe aujourd’hui : comment
intégrer l’évaluation dans les apprentissages ?
Troisième point, si j’ai le temps, je vous parlerai de
deux situations évaluatives très importantes pour
nous enseignants et puis une question professionnelle :
nous sommes des enseignants mais n’oublions pas
que nous sommes des enseignants évaluateurs
avec des postures particulières. Nous sommes en
permanence dans des situations de contrôle, des
renvois que nous devons faire aux parents, à l’institution.
Quatrième point, nous avons dans les apprentissages
à tenir une posture différente, celle de l’ami critique
et je vous en parlerai car nous sommes tous ici des
amis critiques par moments.
La question des valeurs
C’est une question qui déborde largement le cadre
de l’école, sachons quand même regarder à l’horizon
de l’humanité. Il s’agit d’un lien irréductible avec
l’histoire de l’humanité. Si les sociétés se sont
constituées, c’est bien parce qu’elles ont pu à un
moment donné fournir des valeurs pour vivre ensemble.
Donc du plus loin que nous nous retournions, les
premiers hommes ont passé un temps infini à construire
des valeurs. Alors, ont-ils eu une pensée de l’évaluation
ou une pratique de l’évaluation ? Certainement pas en ces
termes et pourtant l’évaluation existe puisque évaluer
c’est bien à la fois questionner et créer des valeurs.
Donc la question des valeurs nous précède, elle existe
dans une histoire familiale et les élèves arrivent déjà
à l’école formés par les valeurs héritées, construites
au sein de la famille. Evidemment, l’évaluation
n’est pas posée en ces termes dans la famille.
Alors, il me semble que nous devrions réinterroger le
terme « valeurs » puisque c’est un terme récent dans
les circulaires.
Réussite : vers la performance des élèves
Le terme de « valeur » apparaît au Moyen-âge.
Le premier « évaluation » apparaît au 13ème siècle,
parce que, à cette époque-là, on va penser
en termes de personnages valeureux, de
personnages vaillants, c’est-à-dire qu’on va mettre en
évidence les qualités d’un homme, sa bravoure au
combat mais on va mettre aussi en évidence ses points
faibles, on pourra dire ainsi par exemple en 1540 que
celui-là est un vaurien. Vous voyez que la question de
l’évaluation se rapproche de l’activité de l’homme et
qu’elle est nommée telle de cette façon-là.
Auparavant, elle existe, mais utilise un autre terme,
l’antiquité parle de mesure. L’homme est la mesure
de toute chose, il doit donc pouvoir comprendre que
dans sa vie, il ne peut pas en permanence faire des
actes illicites, basculer dans la licence, se laisser
aller, au contraire, il doit avoir une certaine rigueur
de comportement, rigueur intellectuelle et donc on lui
demande une certaine mesure.
Ce mot de « mesure » disparaît ensuite, il reviendra au
20ème siècle, ou plutôt au 19ème, on va quantifier. On
mesure même les Miss France, on évalue leur beauté
en mesurant, vous voyez que la mesure, c’est quelque
chose qui dit beaucoup, qui parle beaucoup du 19ème
au 20ème ; aujourd’hui nous sommes dans l’univers de
la mesure.
Il est nécessaire de parler des valeurs en éducation,
des valeurs de l’enseignant en classe. Les élèves
comprennent le sens de l’évaluation à partir des
valeurs que laisse entrevoir l’enseignant dans son
activité quotidienne. L’évaluation ne peut pas se poser
en classe indépendamment du climat de travail et
des valeurs que laisse circuler l’enseignant dans sa
classe.
Il y a donc un contexte culturel, social, démocratique,
pour installer la démarche d’évaluation en classe. Ne
nous leurrons pas, nous ne mettrons pas en classe
des pratiques évaluatives dites formatives si l’élève,
la classe, les parents ne perçoivent pas chez les
enseignants la valeur une, première, la plus belle des
valeurs, l’éducabilité, c’est-à-dire la conviction, la
croyance que tout élève peut apprendre quelque
chose, peut aller de ce qu’il sait faire à un temps dans
un temps donné. Donc ce processus d’éducabilité,
cette valeur d’éducabilité est fondatrice d’une activité
enseignante ou bien il vaut mieux faire autre chose.
Cela veut dire que vos élèves, que les élèves perçoivent
à travers des gestes professionnels, à travers des
manières d’écrire (des annotations par exemple), à
travers la manière de mettre en place une communication
et qu'ils peuvent se sentir poussés par l’enseignant
ou au contraire interdits d’avancer. L’éducabilité, elle
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se joue dans un regard, dans des paroles, dans des
pratiques, à travers des tâches (on reviendra à cette
question).
Deuxième valeur sur laquelle vous savez que les
élèves ont une hyper sensibilité, la justice, l’équité :
« Cet enseignant, il est juste ». Autrement dit, est-ce
qu’il y a une relation équitable avec l’élève en grandes
difficultés, l’élève insupportable, l’élève qui nous fait
sortir de nos gonds, l’élève qui est peut-être un peu
trop passif, qui se laisse fondre dans le moule, l’élève
leader, etc ? Est-ce que cet enseignant regarde et
accorde à ses élèves une certaine considération ?
La valeur de regard juste, d’accompagnement
équitable est une valeur extrêmement importante
sur laquelle nous avons des retours. La plus grande
souffrance des élèves dans nos classes, c’est
l’injustice. Dites-vous bien que les élèves nous
renvoient aussi l’idée suivante : les professeurs laxistes,
ils s’en servent mais ils ne les considèrent pas. On
peut être un prof exigeant et tout à fait apprécié de
ses élèves, même s’ils râlent. Il y a une posture de
façade des élèves devant l’exigence de l’enseignant,
ils vont râler par principe mais ils apprécient. La notion
d’équité est une notion extrêmement importante et elle
est très vite parlée et mise en mots par les élèves.
Troisième valeur, une valeur très forte sur laquelle
nous nous disons que nous nous épuisons, c’est celle
de rendre les élèves autonomes, puisqu’il y a une
demande de plus en plus forte de prise en charge qui
émane des élèves « Madame, Monsieur, je sais pas
faire, pouvez-vous me donner une aide ? » A nous de
résister, de ne pas rentrer dans le jeu de cette demande
de prise en charge. L’autonomie, c’est une chose
extrêmement difficile à travailler, ingrate, épuisante
pour l’enseignant et pourtant ça fait partie du métier.
Dernier point sur lequel nous sommes tous d’accord
parce que nous nous lamentons, c’est sur l’esprit
critique qui semble parfois déserter la classe, qui
semble parfois déserter le retour sur les productions
et nous essayons de faire en sorte que ces élèves
aient un peu de distance par rapport à ce qu’ils ont
écrit, pensé, produit et qu’ils puissent relever dans ces
productions évidemment des points d’amélioration, ou
des points pourquoi pas tout à fait positifs.
Ensuite, la question des valeurs, c’est aussi celle du
rapport à la norme des enseignants. Quand on
travaille en évaluation, on est très, très vigilant sur
le fait qu’il faut absolument rendre accessibles les
règles du jeu, c’est-à-dire poser le cadre du travail
en classe, poser des normes en les rendant les plus
accessibles avec le langage des élèves, pas avec
un langage abstrait et puis surtout montrer qu’on
Réussite : vers la performance des élèves
a un rapport à la norme quoi n’est pas un rapport
obsessionnel. Qu’est-ce à dire ? En évaluation, on
fera la différence entre un rapport d’usage et un
rapport de conformité.
norme. Qu’il tende vers cette norme, qu’il s’approche
de cette norme, oui ! Mais c’est pareil pour les élèves :
n’attendons pas de nos élèves qu’ils correspondent
à un idéal d’élève, mais qu’ils puissent tendre vers la
norme que nous communiquons, qu’ils puissent faire
Si je suis enseignante et que je rappelle de façon un effort pour s’en approcher.
très stricte la norme, je vais me faire plaisir,
j’aurai la conscience tranquille, en revanche En revanche, vous allez en permanence être très très
ça risque d’être un message complètement étranger déçus si vous attendez qu’ils rentrent dans un rapport
pour un élève. En revanche, si je rappelle la norme, miraculeux de correspondance à la norme.
mais que j’ai un regard de tolérance, de marge, (il y
a des jeux possibles par rapport à une norme), j’aurai Vous voyez que l’évaluation, c’est déjà se donner
un rapport d’usage à cette norme. Bien malin celui qui une petit culture de tolérance par rapport aux usages
ici correspond à la lettre à une norme. Bien malin celui du regard critique que nous allons avoir sur les
qui est en mesure d’expliquer cette correspondance productions des élèves. N’oublions pas que si nous
systématique à la norme à des élèves. Nous n’avons nous regardons nous-mêmes agir, nous sommes en
affaire qu’à des rapports d’usage par rapport à des permanence en décalage. Donc, ça, vous voyez, ce
règles du jeu et à des normes. Cela revient à dire que sont des choses que les élèves perçoivent, ce sont
nous devons parler, discuter de ces normes. Comment à travers des gestes professionnels, des manières
s’approcher de la norme ? Correspondre de façon d’agir, des manières de parler que les élèves
parfaite, identique à la norme, ça s’appelle une utopie. perçoivent notre rapport à la norme. Nous sommes
trop stricts, trop sévères ou nous essayons au contraire
Cela fait vingt ans que je travaille sur l’évaluation, je de poser des règles mais d’accepter qu’un jeu puisse
n’ai jamais rencontré sur mon parcours un professionnel exister.
de l’enseignement, de la formation, de l’éducation qui,
à un moment, ait pu revendiquer la conformité à la Contacts : [email protected]
[email protected]
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