Paresseux - Association Française des Vétérinaires de Parcs

Transcription

Paresseux - Association Française des Vétérinaires de Parcs
Pratiquer
les nac et les animaux sauvages
Anesthésie et procédures mineures chez les paresseux
Norin CHAI*
Les paresseux, relativement bien représentés dans les forêts tropicales d’Amérique Centrale et du Sud, appartiennent à l’ordre des Xénarthres,
un taxon hautement spécialisé dérivant d’une espèce ancestrale existant bien avant la différenciation de la plupart des ordres de mammifères
modernes. Les Xénarthres ou « Edentés » possèdent une anatomie unique : double veine cave postérieure, 6 à 9 vertèbres cervicales, des
articulations appelées « xénarthroles », entre les vertèbres lombaires qui leur permettent un certain support et mobilité [2,3]. Leur faible métabolisme
basale serait probablement dû à une activité thyroïdienne réduite et à leur hétérothermie [1].
En dépit de leur aspect lent, les paresseux peuvent être très agressifs et leur force assez surprenante. Aussi, l’anesthésie est-elle nécessaire
pour des examens cliniques avancés ou des procédures mineurs… Cependant, l’anesthésie de ces espèces peut sembler délicate, vu certaines
de leurs caractéristiques, faible métabolisme avec une fréquence cardiaque oscillant entre 40 et 60 bpm, une grande variation de la température
interne (24°C à 35°C) [4]. De plus, les paresseux sont physiologiquement aptes à présenter des apnées durant jusqu’à 40 minutes [2] rendant
l’utilisation de l’isoflurane hasardeuse.
Ici, sont relatés deux exemples d’anesthésies réalisées sur deux paresseux (Choloepus didactylus). La combinaison médétomidine – kétamine
a apporté des résultats très satisfaisants. Le monitoring s’est effectué à l’aide d’un ECG et d’un stéthoscope oesophagien. Pour les deux, une
diète de 24 h a été imposée. Les manipulations se sont effectuées le matin. Les animaux sont alors habitués aux allés et venues des soigneurs
qui posent les gamelles de nourriture et nettoient la présentation. On peut ainsi s’approcher des animaux et leur injecter à la seringue, dans les
cuisses, le mélange anesthésique. On laisse l’animal s’endormir dans le calme. L’induction se déroule ainsi sans stress. Les animaux sont ensuite
« décrochés » de leur branche, puis transportés jusqu’à la salle d’opération dans une caisse isotherme.
Cas 1
Le paresseux A1 est né en milieu sauvage, arrivé à la Ménagerie le
6 août 1993 et son année de naissance est estimée à 1989. Il a été
capturé pour un examen clinique, une coupe de griffe et un sexage.
A1 pèse 6 kg.
Anesthésie
A T0, A1 a reçu en IM, 0,28 mg de médétomidine (DOMITORND) + 20
mg de kétamine (IMALGENEND), soit 0,046 mg/kg de médétomidine et
3,33 mg/kg de kétamine.
A T0+ 6 minutes, un stade 3 a été
atteint.
Pendant toutes les manipulations,
l’animal a présenté des fréquences
cardiaque (FC) et respiratoire (FR)
relativement stables : FC entre 25
et 30 bpm et FR entre 10 et 15
rpm. Aucun épisode d’apnée n’a
été noté.
A T0 + 54 minutes, une injection
en IM de 1,5 mg d’atipamézole
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(ANTISEDANND) ramène l’animal
L’induction s’effectue
en stade 1 au bout de 5 minutes.
directement à la seringue.
Coupe de griffe
Des griffes, de croissance anormale, ont été réalignées avec une
DREMELND.
Sexage par examen externe
Le sexage est à distance impossible chez les paresseux. Les testicules
sont intra abdominaux. A l’examen, en palpant bien la zone anogénitale, on peut néanmoins observer un dimorphisme. Chez le mâle,
l’ouverture urogénitale est un trou (une fente chez les femelles) et la
distance anogénitale est plus importante.
Après examen et éversion des plis de peaux périanaux, A1 est
considérée comme une femelle.
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Réalignement à la DREMELND des griffes de la patte postérieure
gauche (photos 2 & 3) et antérieure droite (photos 4 & 5).
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En éversant bien les plis péri-anaux, on peut mettre en évidence
l’orifice urogénital. Ici, il se présente sous la forme d’une fente.
* Docteur vétérinaire, Ménagerie du Jardin des Plantes, MNHN - 57 rue Cuvier 75005 PARIS
Sexage par endoscopie
Le matériel utilisé est un endoscope de 2,7 mm de diamètre avec
chemise et un insufflateur constant de CO2. Après tonte et désinfection
classique, une incision cutanée de 2 cm est effectuée sur la ligne
médiane en arrière de l’ombilic. Puis suivent la ponction et dissection
mousse de la paroi musculaire (pas de présence évidente d’une
ligne blanche). La cavité coelomique est ponctionnée. L’orifice est
ensuite naturellement agrandi par l’insertion de l’endoscope avec
sa chemise. Un pneumopéritoine est artificiellement induit. Chez les
femelles, les tractus génital et urinaire sont regroupés en un tractus
commun. On repère les ovaires entourés de leurs vascularisations
particulières. Avant de poser un point en X sur les parois abdominale
et musculaire, le pneumopéritoine est évacué. Puis, un point cutané
en U est effectué.
Cas 2
Le paresseux A2 est né en milieu sauvage, arrivé à la Ménagerie le 4
novembre 2004 du parc zoologique de Mulhouse qui l’avait lui-même
acquis le 2 mai 1972 déjà adulte. Son âge est donc indéterminé. Il a été
capturé pour un examen clinique et un sexage. A2 pèse 6,8 kg.
Anesthésie
A T0, A2 a reçu en IM, 0,28 mg de médétomidine (DOMITORND) + 20
mg de kétamine (IMALGENEND), soit 0,041 mg/kg de médétomidine et
3 mg/kg de kétamine.
A T0+ 4 minutes, un stade 2 a été atteint.
A T0+ 10 minutes, le stade 3 a été atteint.
Pendant toutes les manipulations, l’animal a présenté une fréquence
cardiaque stable : entre 31 et 46 bpm. En revanche la FR variait entre
6 et 15 rpm. Deux épisodes d’apnée ont été notés : lors de deux
importantes insufflations.
A T0 + 46 minutes, une injection en IM de 1,5 mg d’atipamézole
(ANTISEDANND) ramène l’animal en stade 1-2 au bout de 10 minutes.
Par la suite l’animal s’est réveillé sans problème particulier.
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Endoscope avec sa chemise reliée à un insufflateur à débit constant de
CO2, indispensable pour les laparoscopies de Mammifères.
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Monitoring de l’anesthésie avec un ECG et un stéthoscope
oesophagien.
Examen de la cavité buccale et traitement d’un abcès
dentaire
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Les Xénarthres ne possèdent pas d’incisives, ni de canines. En
revanche les Choloepus sp possèdent des prémolaires caniniformes.
L’une d’entre elle était tombée. A l’examen, on note un abcès sur la
racine dentaire et une gingivite locale, lesquels ont été traités avec
un parage, une désinfection à la chlorexidine et une antibiothérapie
générale à base d’advocine (6 mg/kg, une SC unique, A180ND).
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Photo 9 : ovaire droit, vue médiale. Photo 10 : ovaire gauche vue
dorsale. Les ovaires sont localisées en face médio-ventrale du tractus
(commun) uro-génital.
Abcès dentaire (prémolaire droite). On notera la tubulure du
stéthoscope oesophagien.
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Examen ophtalmique
Sexage par endoscopie
De légers épiphoras intermittants avaient été signalés sur cet animal. La procédure est identique à la première manipulation. Les testicules
A été notée une légère conjonctivite bilatérale. Les canaux lacrymaux sont intra abdominaux et situés entre le rectum et la vessie.
fonctionnent correctement. Une simple pommade a été posée à
base de chloramphénicol (LACRYBIOTICND) lors de l’examen. Un
traitement plus soutenu aurait nécessité des captures régulières de
l’animal, susceptibles d’induire des effets plus néfastes que le simple
épiphora.
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Chez les paresseux, il est possible d’explorer les canaux lacrymaux
avec un test à la fluorescéine.
Sexage par examen externe
Après examen et éversion des plis de peaux péri anaux, A2 est
considéré comme un mâle.
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Il faut aller chercher les gonades entre le rectum et la vessie. On notera
la vascularisation particulière des testicules (du moins sur ce sujet).
Discussion
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Le mélange médétomidine / kétamine a montré une bonne efficacité,
reproductible. Dans une étude comparative sur 202 paresseux
(Choleopus didactylus), cette combinaison s’est avérée être la plus
efficace, pour une durée d’anesthésie d’environ 45 minutes[5].
Le sexage par examen clinique rapproché est pratique et efficace. Pour
le sexage par endoscopie, la voie utilisée n’était pas la plus adéquate.
Une voie paramédiane aurait été plus adaptée pour mieux visualiser les
gonades qui sont finalement bien médiaux, voire cachés dessous les
tractus digestifs et/ou uro-génital.
Bibliographie
1 - Divers BJ. 1986. Edentata. In : Fowler ME [Ed.]. Zoo and Wild Animal Medicine, 2nd ed. WB
Saunders Co., Philadelphia, Pennsylvania. : 621 - 630
2 - Gillespie DS & Fowler ME. 1993. Edentata : diseases. In : Fowler ME [Ed.]. Zoo and Wild
Animal Medicine, 2nd ed. WB Saunders Co., Philadelphia, Pennsylvania. : 304 - 309
3 - Glass BP. 1985. History of classification and nomenclature in Xenarthra (Edentata). In
: Montgomery GG [Ed.]. The Evolution and Ecology of Armadillos, Sloths and Vermillinguas.
Smithsonian Institution Press, Washington DC : 1 – 3
4 - Tröndle U, Strike T & T Sainsbury. 2006. Anesthesia of two true two-toed sloths (Choleopus
didactylus) at London Zoo, UK. EAZWV. 6th scientific meeting, May 2-4 28. Budapest. Hungary.
5 - Vogel et al. 1998. Comparaison of injectable anesthetic combinations in free-ranging twotoesloths
in French Guyana. Journal of Wildlife Diseases. 34(3) : 555 – 566
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Remerciements : les services Reptile et Vétérinaire de la
En éversant bien les plis péri-anaux, on peut mettre en évidence orifice Ménagerie du Jardin des Plantes.
urogénital de forme ovale. Une structure «pénienne» aussi marquée
comme sur ces photos n’est pas toujours présente. Le plus souvent, on Crédits photos : Norin Chai sauf photos 1, 8 & 12 (Florine Popelin)
ne note que l’orifice urogéntial et les plis péri-anaux.