Le « labo » israélien de Patrick Drahi

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Le « labo » israélien de Patrick Drahi
Le « labo » israélien de Patrick Drahi
LE MONDE | 21.03.2014 à 11h14 • Mis à jour le 22.03.2014 à 09h12 Par Marie de Vergès (Jérusalem, correspondance)
Il ne parle guère l'hébreu, a pris la nationalité israélienne sur le tard et ne vient à Tel-Aviv que
quelques jours par mois. Pourtant Israël est bien pour Patrick Drahi une terre d'élection.
Le patron d'Altice, propriétaire de Numericable, est entré en négociation exclusive avec Vivendi,
mi-mars, dans le but de lui racheter sa filiale SFR. L'opérateur de télécommunications français est
toujours convoité par BouyguesTelecom, qui a déposé une contre-offre à Vivendi, jeudi 20 mars.
Mais, au-delà de cette bataille hexagonale, M. Drahi a investi temps, argent et beaucoup de luimême dans l'Etat hébreu pour y consolider l'un des principaux piliers de son empire des télécoms.
En mettant, en 2009, la main sur Hot, le câblo-opérateur local, l'homme d'affaires a fait d'une
entreprise en perte de vitesse l'un des premiers groupes de communication du pays. Et réalisé la
fameuse convergence entre fixe et mobile, ce credo brandi à l'envi depuis qu'il a rendu public son
intérêt pour SFR.
Israël, laboratoire de la vision entrepreneuriale de M. Drahi ? « C'est plus que cela, estime Patrice
Giami, son représentant dans le pays et vice-président de Hot. D'un côté, on importe le savoir-faire
développé en France, de l'autre, on constitue ici un centre d'expertise qui nous sert ailleurs. Patrick
Drahi est venu avec une vision de long terme et Hot est certainement, après Numericable, la
deuxième pépite d'Altice. »
Discret en France, M. Drahi l'est tout autant en Israël. Il fuit la presse et s'affiche très rarement dans
les grand-messes du monde des affaires. Le magnat du câble s'est quand même construit une solide
notoriété en développant les métiers d'un groupe dont plus d'un Israélien sur deux est aujourd'hui
client. « Il faut saluer le chemin parcouru, loue un financier de Tel-Aviv, qui a suivi de près
l'aventure. Avant que Drahi s'y intéresse, Hot a frôlé le dépôt de bilan. Il a su le rénover grâce à une
gestion plus efficace, en lui faisant atteindre une taille critique et en créant des synergies entre ses
différentes activités. »
LE TYCOON DES TÉLÉCOMS
De fait, quand le polytechnicien commence à se pencher sur le câblo-opérateur israélien, celui-ci
traverse une bien mauvaise passe. Le groupe partage toujours, avec le spécialiste du satellite Yes, le
leadership sur le secteur de la télévision payante. Mais, miné par les divisions entre ses
actionnaires, il pâtit d'un manque de vision industrielle et d'une panne d'investissements dans le
réseau. Un dossier rêvé pour Patrick Drahi, qui s'est fait une spécialité deracheter des entreprises
mal gérées pour les remettre au carré. Avec une méthode bien rodée : il place ses équipes,
optimise, modernise.
Le tycoon des télécoms va s'emparer de Hot morceau par morceau, jusqu'à le retirer, en 2012, de la
Bourse de Tel-Aviv. Il rationalise les coûts sans trop d'états d'âme. Les équipes techniques sont
externalisées à des sous-traitants. Au prix d'une saison de grèves et de manifestations, les effectifs
sont passés de 5 000 personnes fin 2011 à 2 200 aujourd'hui.
« D'un point de vue financier, il a réalisé une très belle opération. Il a restructuré Hot un peu
comme un banquier et a considérablement amélioré sa rentabilité après l'avoir sorti de la Bourse »,
juge Gil Picovsky, associé chargé des télécommunications au sein de la société d'investissement
Cukierman & Co.
Etape par étape, l'hommed'affairesréorienteuneentreprisefocaliséesurl'infrastructure en groupe de
médias global. En 2012, il devient fournisseur d'accès à Internet. Hot sera le premier à proposer au
consommateur israélien du « triple play ». Monnaie courante en France, ces offres commerciales
alliant Internet, téléphonie fixe et télévision sont alors inconnues en Israël.
L'UN DES PRINCIPAUX ARTISANS DE LA « RÉVOLUTION MOBILE »
Pour le grand public israélien, M. Drahi s'est sur tout imposé comme l'un des principaux artisans de
la « révolution mobile ». Dès 2010, il rachète Mirs, un opérateur confidentiel réservé à une clientèle
de professionnels, avec l'idée de remporter le prochain appel d'offres sur les licences 3G. C'est
chose faite un an plus tard. Il lance alors Hot Mobile et dégaine au printemps 2012 une offre de
forfaits à des prix défiant toute concurrence. Sur le ring, il affronte un autre Franco-Israélien :
Michaël Golan, patron de Golan Telecom et ancien directeur général en France d'Iliad, la maison
mère de Free, qui déboule en même temps avec la même stratégie low cost.
Ironie de l'histoire, M. Golan – qui s'appelait en France Michaël Boukobza – a travaillé comme
consultant chez Hot pendant dix-huit mois, en 2009 et 2010. Soutenu par son ancien mentor, le
fondateur d'Iliad-Free Xavier Niel (actionnaire à titre individuel du Monde), il a finalement repris
son indépendance et décidé de concourir lui aussi à l'appel d'offres du gouvernement israélien sur
les licences mobiles. Un coup de théâtre que Patrick Drahi n'a jamais digéré.
Quoi qu'il en soit, l'irruption de ces deux-là provoque un électrochoc sur un marché auparavant
contrôlé par trois groupes pratiquant des tarifs exorbitants. La guerre des prix qui s'ensuit permet
au consommateur de voir sa facture divisée par deux, voire trois. Dépassant toutes les prévisions
des analystes, Hot Mobile réunit en moins de deux ans 592 000 abonnés, soit quelque 6 % de part
de marché.Il est talonné par Golan Telecom, qui revendique 435 000 abonnés.
UN LIEN PARTICULIER
Tous les spécialistes s'inclinent aujourd'hui devant la métamorphose du groupe. Un Hot ragaillardi
et offensif a bousculé le secteur israélien des télécoms, longtemps paralysé par les situations de
monopole et les réglementations kafkaïennes. Mais quelques gros bémols viennent nuancer ce
bilan flatteur. « Avec eux, tout est basé sur la logique bas prix-bas de gamme : on paie moins et on
reçoit moins, décrit un journaliste israélien, fin connaisseur de l'entreprise. Leur service clients est
épouvantable. Ces derniers temps, cela leur a fait perdre des abonnés dans presque toutes les
activités. »
Et après ? Patrick Drahi l'affirme : il est là pour rester. D'autant que ce Séfarade né au Maroc a
développé avec Israël un lien particulier. Il adore Tel-Aviv, où il possède un appartement dans la
luxueuse tour Rothschild. « S'implanter ici était initialement une décision très rationnelle, en
rapport avec une opportunité industrielle, décrit Patrice Giami. Puis est venu un intérêt, un
attachement beaucoup plus sentimental pour ce pays, son état d'esprit et le projet qu'il incarne. »
C'est cette inclination qui l'a poussé à lancer, à l'été 2013, la chaîne d'information i24 News avec
l'ambition d'offrir un autre regard sur Israël. Une initiative plus « philanthropique » qu'économique,
puisqu'il la finance aujourd'hui à fonds perdus.
Côté business, les experts du secteur tablent sur une poursuite de l'expansion de Hot. Certains
prophétisent même un rachat de Golan Telecom, que des rumeurs disent sur le point d'être mis en
vente. Une façon, peut-être, de solder les comptes entre les deux meilleurs ennemis…
http://www.lemonde.fr/accesrestreint/technologies/article/2014/03/21/6d686a9d656d6ec594686668649b70_4387286_651865.
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