Les Vermireaux – L`Aurore 8 juillet 1910 : Avallon – La mutinerie
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Les Vermireaux – L`Aurore 8 juillet 1910 : Avallon – La mutinerie
Les Vermireaux – L'Aurore 8 juillet 1910 : Avallon – La mutinerie des Vermireaux. L'émeute qui a éclaté à la colonie pénitentiaire des Vermireaux est, du moins provisoirement, réprimée. M. Marty, préfet de l'Yonne, recherche à l'heure actuelle à en définir les causes bien précises. Les gendarmes d'Avallon campent toujours à la colonie. Chaque jour, un convoi de six colons est amené à Avallon. Les mutins sont interrogés séparément par le juge d'instruction à Avallon, puis sont ramenés le soir aux Vermireaux. Le nombre des individus qui se trouvent actuellement à la colonie pénitentiaire est d'une centaine. On y compte des détenus de droit commun, des pupilles difficiles de l'assistance publique et des anormaux. Malheureusement, en raison du manque de place, tous sont réunis sans classement par catégorie. Il en résulte une fâcheuse promiscuité qui n'est pas faite pour améliorer les quelques sujets susceptibles d’amendement. Le grief principal des mutins, c'est l'insuffisance de nourriture, et par contre l'abondance de mauvais traitements. M. Soliveau, directeur de la colonie, a indiqué aux autorités que sur le premier point, les réclamations des détenus n'étaient nullement fondées. L'ordinaire des repas est le suivant : soupe et plat de légumes à tous les repas, un quart de vin au déjeuner et du pain en suffisance. Trois fois par semaine, un plat de viande, des filets de hareng ou de la morue ; enfin, parfois quelques desserts. Le directeur a ajouté que les détenus n'étaient astreints a aucun travail pénible ; on les envoie aux champs. Mais, insuffisamment surveillés, ils prennent la fuite à chaque instant. La punition la plus sévère consisterait, d'après M. Soliveau, dans l'incarcération en cellule durant une journée. 25 janvier 1911 : Opinions - Traite d'assistés. La femme de César, disait-on sous l'Empire, ne doit pas être soupçonnée. Ne touchez pas à la reine ! disaient les Anglais, sous le règne de Victoria. Nous sommes en République et nous n'avons à ménager ni la femme de César, ni la reine. Mais nous avons des institutions d'Etat qui, pas plus que les souveraines d'antan, ne devraient être soupçonnées. Telle l'Assistance publique, le placement de ses pupilles à la campagne. Combien de fois l'indignation de l'opinion républicaine ne se dressa-t-elle pas contre certaines entreprises d'éducation de philanthropie religieuses dont l'immoralité soulevait les consciences ou dont le mercantilisme odieux dénonçait une spéculation abominable et criminelle ! Faut-il que sous un régime républicain, sans étiquette confessionnelle, de pareils scandales s'abritent sous l'égide de nos institutions et demeurent par là même impunis ? Qui l'oserait prétendre ? Et cependant, hélas, ces scandales existent... La Chambre, précisément, s'entretenait hier des colonies pénitentiaires et de celles de l'Assistance publique. Personne n'a élevé la voix contre les faits qui déshonorent l'institution des Vermireaux dans l'Yonne. Ces faits sont de notoriété publique. Ils font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire à laquelle procèdent avec beaucoup de zèle l'honorable procureur de la République d'Auxerre et le distingué juge d'instruction d'Avallon. Les organes de tous les partis les ont dénoncés. Il y va de l'honneur de la République de les réprimer, si l'on ne veut pas que ses institutions du caractère le plus touchant et le plus sacré tombent sous le discrédit et sous le mépris de l'opinion populaire. On a souvent parlé des bagnes d'enfants. Ils ont inspiré le drame et le théâtre. Que de plumes généreuses ont bataillé contre leur martyrologe ! L'histoire des Vermireaux serait un chapitre de cette tragédie sociale. Imaginez près du gros bourg de Quarré-les-Tombes, sur la lisière du Morvan, à quelques lieues d'Avallon, une maison où l'on recueille des enfants condamnés correctionnellement, des pupilles de l'Assistance publique et tout à la fois des enfants débiles placés là, en pension, par leurs familles. En juillet dernier, une révolte éclata parmi cette colonie. Les enfants exaspérés s'écriaient : - Menez-nous en prison, mettez-nous au bagne, nous aimons mieux être là qu'ici. Nous y sommes trop malheureux... Les gendarmes survinrent, escortant le parquet. L'enquête révéla des faits monstrueux. Mal nourris, à peine vêtus, hâves, déguenillés, faméliques, mangeant une viande avariée, pourrie, dont les chiens ne voudraient pas, privés en outre de tout élément d'instruction élémentaire, les pauvres pupilles des Vermireaux y étaient soumis à une discipline sévère, implacable, et subissaient, les traitements les plus barbares. Le préfet de l'Yonne, M. Marty, dont on ne peut que louer l'attitude correcte, en fut littéralement écœuré. Il y a, en effet, des détails qui soulèvent le cœur et le régime du cachot, notamment, défie toute description. C'est simplement horrible. Ajoutez à cela les coups de bâtons, les bâtons cassés sur le dos des pupilles récalcitrants par une mégère, directrice de ce bagne, et vous serez édifiés sur le régime hospitalier de cette maison maudite. Les Vermireaux ont trois annexes, toujours dans l'Yonne, aux environs d' Avallon. De nombreuses plaintes ont dénoncé des faits criminels et une enquête actuellement se poursuit sur ce qui s'y passe. Voici la Pierre-qui-Vire, ancien monastère des Bénédictins, acheté par M. Landrin. L'acquéreur y a installé un "Institut sanitaire pour le redressement physique et intellectuel des anormaux". Il y a deux ans, cet Institut fut fermé par ordre de l'autorité administrative. On l'avait transformé en un véritable Parc-aux-Cerfs, sinon en lupanar privé, à l'usage de quelques familiers. Les jeunes filles hospitalisées à la Pierre-qui-Vire constituaient une façon de sérail pour ceux qui y venaient choisir des victimes de choix. Des bijoux de pacotille, boucles d'oreilles, chaînes en sautoir, etc., récompensaient leur complaisance. Pretium stupri, disaient les Latins. Mais, un jour, une des pensionnaires refusa de se soumettre au caprice du maître. Elle se jeta d'un deuxième étage sur le pavé et se tua. Enquête. Découverte du pot aux roses, des scandales dont cette maison était le théâtre. Cependant, d'autres maisons sont placées sous la même direction. Le Moulin-Colas, entre autres. On y recueille les anormaux, garçons et filles. Là encore, les pires mauvais traitements constituent la base de la discipline. Coups de bâtons, et le reste. Les anormaux ont une infirmité : ils souillent leurs draps. Alors, on les expose dans la cour, revêtus de leurs draps souillés, pour les faire sécher. Une défaillance, et c'est la tournée de coups de bâtons, parfois jusqu'à ce que mort s'ensuive. On n'y compte plus les décès. Et pour ne faire jaser dans le pays, on enlève les cadavres la nuit. Les voisins, tout de même, savent ce qui s'y passe, et la justice finit par s'émouvoir. Un décès, celui du jeune Lorident, vingt-cinq ans, provoqua une intervention du parquet. La directrice de cet asile (?), Rosine Delsipèche, fut obligée d'avouer que ce malheureux avait succombé à ses mauvais traitements. Mais cette mégère était enceinte ; on la laissa provisoirement en liberté. Une troisième annexe des Vermireaux est installée à Mont-les-Champlois. Ici, pas d'assassinats. Mais c'est un idiot qui dirige la maison, aidé d'un chien dressé à mordre les pupilles. Filles et garçons logent et couchent à même les uns dans une écurie, les autres dans un dortoir, sans distinction de sexes. Et l'on devine ce qui s'y passe. Grossesses, avortements, décès suspects de nouveau-nés. C'est fatal. Ajoutons-y quelques décès provoqués par le défaut d'hygiène et de soins. S'il fallait décrire ici le régime de ce bagne d'enfants, plusieurs colonnes de ce journal n'y suffiraient pas... Tels sont les scandales des Vermireaux et de leurs annexes. Une instruction, nous l'avons dit, est ouverte. Nous savons que le parquet d'Avallon y déploie tout son zèle. Il interroge des témoins et il a même fort à faire de démêler la sincérité de certaines dépositions visiblement dictées par la crainte des représailles officielles ou par le désir de ménager certaines influences. Mais le juge d'instruction est un magistrat intègre et nul doute que son enquête ne soit à la fois impartiale et sévère. Nous savons, d'autre part, que l'autorité administrative supérieure est au courant des faits que nous venons de résumer. N'a-t-elle pas sévi déjà ? Elle attend (ce qui est naturel), que des sanctions judiciaires interviennent avant d'intervenir à son tour. Elle respecte le principe de la séparation des pouvoirs. Mais ses sanctions interviendront à leur tour, et elles seront également sévères. Il serait intolérable qu'il en fût autrement. Que l'Assistance publique envoie là-bas ses inspecteurs. Mais que ses inspecteurs soient indépendants, non suspects de sympathie ou de complaisance pour les coupables. On en a vu qui annonçaient à l'avance leur visite et qui étaient traités, hébergés par ceux-là mêmes qui étaient l'objet de leur enquête. Dès lors, quelle garantie d'impartialité, de justice pouvaient-ils offrir ? L'Assistance publique ne désigne pas directement les tenanciers de ces maisons maudites. Mais elle conserve un droit de contrôle, de surveillance et de répression. Les sanctions que l'opinion attend avec impatience sont nécessaires, indispensables. Gageons qu'elles ne feront pas défaut pour la satisfaction de la conscience publique. Même sous la République, surtout sous ce régime d'honnêteté, de justice démocratique, il ne faut pas que la femme de César soit soupçonnée. Marcel Huart 19 juillet 1911 : Les brutalités de la colonie des Vermireaux. Hier ont commencé devant le tribunal d'Avallon les débats de la lamentable affaire des Vermireaux. On se rappelle les faits qu'elle évoque, et qui datent de juillet 1910. Lassés par les mauvais traitements qu'ils subissaient et voulant, par une manifestation violente, attirer l'attention sur leur sort, les pensionnaires de cet établissement se mirent en révolte et brisèrent vitres et mobilier. Il fallut, pour les réduire, l'intervention de la gendarmerie. A la suite de ces faits, une instruction qui révéla les choses les plus douloureuses et aussi les plus étonnantes fut ouverte. Elle a abouti au renvoi devant la police correctionnelle des directeurs de la colonie, les époux Soliveau, de leur associé, Alexandre Landrin, de la femme Jougla, surveillante, des gardiens ou anciens gardiens de la colonie, Rault, Rémy, Cauchon, Baehr et Morlat, et enfin d'une trentaine de pupilles poursuivis pour bris de clôture. Les délits relevés contre les premiers inculpés sont ceux de coups volontaires, violences et voies de fait, privation d'aliments, de vêtements et de soins à des mineurs, au point de compromettre leur santé. La surveillante Jougla est de plus prévenue d'homicide par négligence. Me Henri Robert défend la femme Soliveau, directrice de la colonie ; Me Jallu, secrétaire de M. Poincaré, défend Landrin. Mme Soliveau, interrogée la première, dit qu'elle dirigea la colonie en véritable mère ; elle jure qu'elle n'a pas maltraité les enfants et s'indigne quand le président énumère des actes de brutalité contre une vingtaine de pupilles qu'on mettait en cellule après les avoir roués de coups. L'interrogatoire des inculpés et l'exposé de certains faits scandaleux ou inhumains provoque quelques incidents. Me Henri Robert, insistant sur la présence dans la salle du juge qui instruisit l'affaire, obtient que ce magistrat quitte l'audience. Les dépositions des témoins auront lieu aujourd'hui. Richard de Burgue 28 juillet 1911 : Bavardage. Sans être féroce, il convient de se réjouir de la condamnation assez dure qui a frappé les gens des Vermireaux, tortionnaires des pupilles confiés à leur garde. Ce n'est malheureusement pas la première fois que pareille affaire est portée devant les tribunaux, et nous en pourrions rappeler d'aussi graves, d'aussi révoltantes dans tous leurs détails et qui se terminaient purement et simplement par un acquittement. Bien plus, ces maisons où des enfants sont maltraités, exploités, où se passent des faits monstrueux révélés par les témoins, ces prétendus asiles dont le rôle semble être d'aggraver la misère et de décupler la douleur de vivre continuent leur commerce sous l'oeil paternel de l'autorité, couverte par les verdicts d'acquittement dont les bienfaiteurs (!) ont bénéficié... Cette fois, le président a bien voulu se montrer impartial : il n'a pas imposé silence aux accusateurs, en réservant tous ses sourires et ses encouragements aux protecteurs de l'oeuvre néfaste. Le procès s'est déroulé dans toute sa précision, et le tribunal, complètement édifié, a fait justice. Nous devons l'en remercier. De tout ceci, ressort un fait évident, c'est qu'il y a dans l'âme humaine des férocités toujours latentes et prêtes à éclater. Je me rappelle certain procès d'autrefois, à propos du refuge pénitentiaire de Porquerolles. La femme du directeur était intelligente, de bonté banale, elle écrivait des romans d'où débordait la sensibilité. Là-bas, dans le pénitencier, elle s'enivrait, s'exaspérait. Certes les petits détenus n'étaient rien moins que des anges, ils avaient toutes les tares que l'organisation sociale développe chez les déshérités de la vie. Celle femme, (cette dame), avait alors des accès de rage, donnait des ordres cruels, ordonnait des châtiments et assistait à l'exécution. L'opinion publique intervint et la justice s'émut. Mais grâce à certaines influences, l'affaire fut à peu près étouffée. Mais elle avait démontré une fois de plus les étranges déviations cérébrales que détermine chez un être humain le sentiment de l'autorité. Ces gens à qui on donne pouvoir sur des enfants en arrivent à les considérer comme des bêtes fouaillables à merci. Joignez à cela l'avidité ignoble qui rogne sur la nourriture et supprime tout bien-être, et vous aurez les monstres des Vermireaux. Si on donnait les geôliers à garder aux détenus, cela n'irait pas plus mal. Ça serait la même chose. Jules Lermina 30 juillet 1911 : Opinions – Bagne d'enfants. C'est par des condamnations sévères (et combien méritées), que s'est dénoué devant le tribunal correctionnel d'Avallon le procès de la colonie des Vermireaux. Nous en avions naguère, ici même, dénoncé le scandale. Il fallait s'attendre à un châtiment exemplaire. Le tribunal, présidé par M. Goussard, n'a pas failli à sa tâche. Il a condamné tous les prévenus, sans exception : la Soliveau, directrice de ce bagne d'enfants, à trois ans de prison et 2.000 francs d'amende ; Landrin, sous-inspecteur des enfants assistés, deux ans de prison et 2.000 francs d'amende ; Soliveau, mari, depuis peu, de la principale inculpée, six mois de prison avec sursis ; le surveillant Morlat, quatre mois avec sursis ; Rosine Delsipèche, un an avec sursis ; le cuisinier Rault, et Rémy, chacun deux mois avec sursis. Ces condamnations sont proportionnées à la culpabilité de chacun. Elles sont impitoyables pour les principaux responsables. Mais elles accordent des sursis aux indignes comparses. Peut-être eût- il mieux valu qu'aucun sursis ne fût prononcé. Ce jugement, cependant, donnera satisfaction à la conscience publique révoltée. On n'imagine pas, en effet les abominables sévices qui étaient exercés aux Vermireaux sur les malheureux pupilles que l'Assistance publique confiait à cette colonie devenue pour eux un véritable bagne, un enfer terrestre. Le coeur se soulève de dégoût, de nausées au récit des faits qui ont été révélés au cours du procès. C'est une indignation qui jaillit de toutes les consciences à l'étalage des scandales dont les Vermireaux furent le théâtre. Il semble que jamais la férocité humaine ne puisse atteindre l'atrocité des mauvais traitements que les bourreaux de cette colonie infligeaient à leurs pupilles. Ceux-ci, sans doute, ne sont pas des anges. Ce sont, à l'ordinaire, des enfants dont les tares, les prédispositions, les antécédents, les penchants pervers ne plaident pas toujours en leur faveur. Mais ce sont avant tout des créatures humaines, le plus souvent victimes de fâcheuses hérédités et, comme telles, ayant droit à la pitié, à un traitement d'éducation peut-être sévère, à une discipline serrée, mais non à la torture. Pour un rien, pour une peccadille, ils étaient frappés à coups de canne, à coups de matraque, à coups de pied dans le bas ventre par la Soliveau, cette bourrelle sans entrailles ; par Landrin, son complice, à qui elle allouait une commission de cinq francs par mois et par tête d'enfant... Un pupille des Vermireaux eut une oreille décollée d'un coup de canne asséné par la Soliveau. Celle-ci, un jour, frappa trois enfants avec une telle rage qu'ils en furent tout ensanglantés. Elle avait les mains rouges de sang. "Eh quoi ! fit-elle au tribunal, dirait-on pas que j'ai commis un crime ?". Dans son bureau, Landrin, d'un coup de pied au bas ventre, renversa une pupille de la colonie. Et l'on a expliqué au tribunal que la victime avait eu le tort de se retourner à ce moment, le coup de pied qui lui était destiné devant l'atteindre seulement au bas... du dos, où il ne lui aurait pas fait grand mal. Les punitions infligées aux Vermireaux ne consistaient pas seulement en voies de fait. Le jeune Moullec avait eu la jambe amputée au-dessus du genou. Par ordre de Landrin, il fut privé pendant deux jours de sa jambe de bois, obligé de s'appuyer sur des béquilles qui le blessaient cruellement. En toute saison, hiver comme été, les enfants étaient jetés en cellule, sans paillasse, ni matelas, ni couverture, les pieds nus. Pour tout mobilier, un seau à ordures qu'on ne vidait que rarement. Pour nourriture, des morceaux de pain qu'on leur jetait n'importe où et qu'ils ramassaient à même, dans l'ordure et les déjections. "Ces cellules étaient acceptées telles qu'elles étaient par le ministère de l'Intérieur", objecte Landrin. Il néglige de dire qu'elles étaient acceptées sur des rapports signés : Landrin. La Soliveau avait fait garnir de morceaux de verre plantés dans le ciment le rebord d'une fenêtre, où les enfants en cellule se haussaient pour respirer une bouffée d'air pur. Ils se déchiraient ainsi les bras jusqu'au sang. Un enfant, cependant, parvint à se libérer de ses souffrances : il se pendit dans sa cellule. Sans doute pour embêter cette excellente Mme Soliveau. Quant au régime alimentaire des Vermireaux, on en jugera par ce fait : tous les témoins sont unanimes à dire qu'on nourrissait, parcimonieusement, les pupilles avec de la viande corrompue et des légumes avariés. On dut parfois enfouir cette viande, tant elle était pourrie. Il y avait des vers dedans, et aussi dans les haricots, a dit un témoin. Un autre déclare que, dans la bouche, cette viande tournait en vase ! La soupe sentait le phénol, le purin ou le pétrole. Les vêtements des pupilles ? Des culottes de treillis en plein hiver et des loques rapiécées, des haillons innommables. La Soliveau reprochait à la lingère de dépenser trop de fil en raccommodages. Les vêtements, a dit un témoin, n'étaient plus que des portes et des fenêtres par où l'on voyait la peau. Enfin, il y avait aux Vermireaux 71 lits pour plus de 90 pensionnaires. Aussi l'étable servait-elle fréquemment de dortoir même en hiver. Mais les animaux y étaient mieux traités que les enfants. A ce régime, les enfants mouraient comme des mouches, a dit un témoin. On les abandonnait d'ailleurs, sans aucun soin, aux atteintes du mal. Un petit était malade. Le médecin, beau-frère Landrin le visita. "Tout ça, c'est du chiqué", fit-il. Et il ordonna de l'ipéca. Deux heures après, l'enfant mourait. Un autre, qui crachait le sang, mourut sans aucun secours. Un petit sourdmuet souffrait tellement qu'il se frappa à coups de sabot sur la bouche. Il mourut, lui aussi. Un gamin de treize ans, Piou, s'évada, traversa une rivière à le nage en hiver. On le rattrapa. On le ramena en cellule, tout mouillé. Le lendemain, il avait les pieds gonflés d'engelures. Et d'autres encore, qui moururent les pieds gelés. Il n'était pas rare, d'ailleurs, qu'on obligeât les enfants à vider les seaux d'ordure pieds nus, dans la neige. Rosine Delsipèche, ancienne pensionnaire devenue surveillante, traîna ainsi un enfant pieds nus, en plein hiver. "Il tombait à chaque pas dans la neige, avoua- t-elle au tribunal. Quand il a été coucher il ne parlait plus. Je lui ai attaché les pieds et les mains au lit pour qu'il ne se fît pas mal. Il est mort dans la nuit !". Et voilà. Pas un mot de pitié, de regret, de repentir. Telles sont les abominables canailles que le tribunal d'Avallon vient de condamner. Ce procès fait grand bruit dans le pays. La presse cléricale s'en autorise pour en tirer argument contre l'esprit laïque, contre l'administration civile. Toujours l'histoire de la paille et de la poutre. Il ne faudrait tout de même pas oublier certaines maisons dirigées par les "saintes femmes" (le Bon Pasteur et autres), où de pareils sévices sont exercés contre des enfants. Et cependant, là, dans ces maisons du "bon Dieu", la religion devrait y inciter à des traitements plus humains. Pour nous, il n'y a pas de différence entre les mégères ni les bourreaux d'enfants, quels qu 'ils soient, religieux ou laïques. Tous méritent le même châtiment. Et le jugement d'Avallon témoigne pour le moins que la justice républicaine n'est pas précisément boiteuse. Les scandales odieux, les monstrueuses atrocités des Vermireaux appelaient un châtiment. Il ne s'est pas fait attendre. Le couvent dissimule volontiers ses crimes. La République découvre les siens et condamne les coupables. Une question reste à résoudre, celle du contrôle et de l'inspection de certains établissements d'assistance. Il ne faut pas que des parasites de la République comme ce Landrin puissent exercer impunément leur sauvage passion. La question sera posée au Parlement. Elle y recevra certainement la solution que tous les honnêtes gens attendent, une solution conforme à la justice, à l'humanité, aux devoirs d'éducation et d'assistance que la République a contractés envers les déshérités, les anormaux et les infirmes. Marcel Huart 6 août 1911 : L'Affaire des Vermireaux en Appel. Mme Soliveau et M. Flandin, condamnés le 26 juillet dernier par le tribunal correctionnel d'Avallon à deux et trois ans de prison et à 2.000 francs d'amende, pour sévices et mauvais traitements sur les pupilles des Vermireaux, ont fait hier appel du jugement. De son côté, le procureur de la République a interjeté appel a minima. Retranscription Cheny mon village – http://www.cheny.net