Divers problèmes relatifs à la transmission de l
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Divers problèmes relatifs à la transmission de l
DIVERS PROBLÈMES RELATIFS À LA TRANSMISSION DE L'ENTREPRISE FAMILIALE PAR L'UTILISATION DE LA FIDUCIE DISCRÉTIONNAIRE ENTRE VIFS JOURNÉE MAXIMILIEN CARON 2004 Me Daniel Lafortune LL.M. (Montréal), LL.M. (Londres) Associé Lafortune Leduc, s.e.n.c. (c) Me Daniel Lafortune / 2 INTRODUCTION [1] Le passage d'une entreprise familiale(1), d'une génération à l'autre, est une tâche des plus ardues. [2] Fréquemment, l'entreprise familiale – ou autre - ne survit pas très longtemps à son fondateur ( 2). Pensons au cas des anciens magasins d'alimentation Steinberg ou celui des magasins de quincaillerie Pascal. Lorsque l'entreprise familiale survit, c'est souvent parce qu'elle est passée des mains du fondateur à celles de tiers étrangers. [3] Or, l'entreprise familiale - généralement une PME – est le moteur de notre économie. [4] L'entreprise familiale possède certaines particularités dont il faut tenir compte lors de sa transmission d'une génération à l'autre. [5] Tout d'abord, constatons que le fondateur d'une telle entreprise est souvent une personne clé. [6] Le fondateur possède-t-il plus d'une famille? A-t- il une famille reconstituée avec des enfants de plus d'un lit? En d'autres termes, le passage d'une entreprise d'une génération à l'autre ne doit pas uniquement envisager des éléments fiscaux, financiers et légaux. [7] (1) (2) Divers enjeux entrent en ligne de compte lors de la transmission d'une entreprise familiale. Pensons aux suivants : - Quelle est la valeur de l'entreprise à transférer? - À quel moment doit-on envisager le transfert de l'entreprise familiale? - Doit-on distinguer le moment du transfert du contrôle de celui du transfert de l'accroissement de la valeur de l'entreprise? Cette expression est utilisée d'abord et avant tout dans le sens de 1525 al. 3 C.c.Q. Par ailleurs, généralement, cette entreprise est exploitée par une personne morale Dans le présent texte, pour simplifier ce dernier, nous parlons principalement du transfert des actions d'une personne morale exploitant une entreprise; ces actions étant la propriété d'un individu. Ceci étant, nos propos s'appliquent aussi au transfert des actions d'une personne morale par une personne qui n'est pas le fondateur de celle-ci, mais plutôt son actionnaire de contrôle / 3 - Qui sera le successeur ? Est-ce que le «pouvoir» sera partagé entre diverses personnes? - Comment la transition se fera-t-elle afin que le nouveau dirigeant conserve le respect de employés? Rien ne serait plus difficile à vivre que le remplacement du fondateur d'une entreprise par un de ses enfants qui n'a aucune conna issance du monde des affaires et de l'entreprise. Il va sans dire que la préparation et la formation du successeur sont des éléments clés de la transmission de l'entreprise. Il peut être des plus utiles qu'il ait pu acquérir de l'expérience au sein de l'entreprise ou ailleurs. Sur ce dernier point, le fait d'avoir occupé des postes subalternes avant d'être devenu le grand patron, en plus d'affermir la confiance du successeur, rassurera les employés, fournisseurs, clients et banquiers! - Quels sont les styles de gestion du fondateur et du successeur? La nouvelle génération a-t-elle un style progressiste? A-t-elle un leadership faible? - Comment le fondateur fera-t- il la cession des rennes du pouvoir? Graduellement ou non? - Pourquoi ne pas céder l'entreprise familiale directement à la seconde génération? - Comment la nouvelle génération financera-t-elle l'acquisition de l'entreprise? - Après la cession, est-ce que le fondateur demeurera impliqué? Si oui, quel rôle occupera-t-il? - Quelles sont les considérations fiscales reliées au transfert? - Comment réduire les incidences fiscales pour l'auteur du transfert? roulements fiscaux sont disponibles? - Qui seront les bénéficiaires du transfert? Y aura-t-il des mineurs ou d'autres personnes devant faire l'objet d'une protection? Quel est le niveau de maturité des bénéficiaires? Existe-t- il des bénéficiaires influençables? Y a-t-il des bénéficiaires souffrant d'une fragilité psychologique? Y a-t-il des bénéficiaires souffrant de problèmes de jeu, de drogue ou d'alcool? - Comment réagiront les autres membres de la famille qui sont écartés? - Doit-on favoriser les membres de la famille du fondateur qui sont des employés de l'entreprise? Quels / 4 - Existe-t- il des mésententes entre les membres de la famille du fondateur? - En plus des membres de sa famille, le fondateur veut- il avantager des employés clés? - Est-ce que certains bénéficiaires connaissent une instabilité matrimoniale? - Veut-on aussi utiliser le véhicule de la fiducie pour effectuer une protection d'actifs des bénéficiaires? I- PRÉPARATION DE LA SUCCESSION [8] Afin de bien planifier le transfert entre générations, l'opération de transmission devrait être considérée et débuter bien avant la date de la transmission( 3). [9] Certains entrepreneurs mettent sur pied un conseil de travail ou comité consultatif relatif à la transmission de leur entreprise. Les personnes membres peuvent être uniquement des conseillers de l'entrepreneur – tels ses conseillers légaux et comptables – ou inclure des membres de sa famille. Bien que ce conseil ou comité n'ait pas le pouvoir de lier l'entrepreneur, il a l'avantage de lui permettre d'amorcer, sinon d'approfondir, sa réflexion sur les enjeux de la transmission. Autant peser le pour et le contre de sa volonté avant de l'implanter et de découvrir des difficultés non soupçonnées. [10] Certains entrepreneurs débutent le processus de la transmission de leur entreprise en «ouvrant» les portes de leur conseil d'administration à leur(s) successeur(s) possible(s). Ainsi, une personne pressentie pour devenir le successeur peut s'initier à la mécanique d'un conseil d'administration, tout en étant informée des problèmes et des développements les plus importants pour l'entreprise. [11] L'entrepreneur peut aussi inviter une personne externe à devenir administrateur afin de contrebalancer une dynamique familiale peu efficace ou malsaine. [12] L'entrepreneur et son successeur auraient aussi avantage à réfléchir sur le rôle – s'il en est un – de l'entrepreneur à la retraite au sein de l'entreprise. (3) Certains suggèrent de s'attaquer à ce sujet 5 ou 10 ans avant le départ du fondateur / 5 II- TECHNIQUE DU GEL PAR LA FIDUCIE DISCRÉTIONNAIRE [13] Dans notre contexte, lorsqu'on parle de gel, on vise une ou plusieurs séries d'opérations légales visant à transférer, directement ou indirectement, les actions participantes de l'entrepreneur détenues dans une société à une fiducie discrétionnaire(4), tout en évitant les impôts qui pourraient en résulter. [14] En effet, si les actions participantes d'une personne morale sont disposées par une personne en faveur d'une fiducie, il peut en résulter un impact fiscal pour le cédant. Il est fréquent que les actions d'une entreprise soit un actif détenu depuis fort longtemps, dont la juste valeur marchande (JVM) est supérieure au prix de base rajusté (PBR). Le transfert d'un tel bien pourrait entraîner la réalisation d'un gain en capital important. En principe( 5), le bien transféré par un individu à une fiducie ne fait pas l'objet d'une disposition de roulement prévue aux lois fiscales. [15] Un exemple : JVM des actions : PBR des actions Capital versé des actions Fiduciaire : Paul, auteur du gel Constituant : Mathieu, avocat de l'auteur du gel Bénéficiaires de la fiducie : les enfants de Paul 1 000 000$ 100 000$ 100 000$ En cas de disposition des actions de Paul en faveur de la fiduc ie constituée au bénéfice de ses enfants, un gain en capital de 900 000$ serait réalisé. Ce gain en capital est imposé à la moitié ( 6), soit 450 000$, à un taux marginal de 48.215% pour un résident du Québec. Donc, un transfert d’actions direct à la fiducie résulte en une facture d'impôt potentiel de (4) (5) (6) Un gel peut aussi s'effectuer par l'auteur du gel (l'entrepreneur) par un transfert d'actions en faveur d'une société de portefeuille en contrepartie d'actions de gel de cette dernière ou par une réorganisation corporative de la société opérante prenant la forme d'échange d'actions entre l'auteur du gel et la société opérante ou un remaniement de capital de la société opérante Des exceptions existent en matière fiscale : ex. la fiducie à soi-même («alter ego trust») : art. 73 Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), L.R.C. (1985), 5e supp., c. 1 et mod. (« L.I.R.»); par. 248 (1) «fiducie pour soi-même», art. 1 «fiducie pour soi-même» L.I.R. (et les articles correspondants de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3 et mod. («L.I.»)). V. généralement Sophie Bélanger et Isabelle Gouin, «Fiducie en faveur de soi-même, fiducie mixte au profit du conjoint et autres modifications législatives», (2000-2001) 22 R.P.F.S. 467 Al. 38 a) L.I.R.; Art. 231 L.I. / 6 216 967,50$! Or, très souvent une fiducie ne peut pas payer, dès le transfert, un prix d’achat important. L'impôt à payer lors de la disposition peut être évité si l'on met en place une planification fiscale efficace( 7). [16] Une planification fréquente est la suivante : L'auteur du gel échange ses actions participantes pour des actions non participantes. Généralement, les nouvelles actions reçues par l'auteur du gel ont une valeur fixe de rachat équivalente à celle qu'avaient les actions participantes au moment de l'échange, moins la valeur de toute autre contrepartie reçue (8). Si tel n'est pas le cas, des conséquences fiscales immédiates peuvent survenir. En effet, en principe, les personnes liées sont réputées transiger entre elles à la juste valeur marchande( 9). Afin d'éviter toute contestation sur leur valeur, les nouvelles actions sont rachetables, au gré de leur détenteur, à cette valeur fixe de rachat. Une convention entre actionnaires qui (7) (8) (9) Cet impôt sera reporté Selon l'Agence du revenu du Canada (RCT 85-191 Revenue Canada position paper on estate freezes, 1er juillet 1980), parmi les éléments importants pour démontrer que la juste valeur marchande des actions de gel est équivalente à celle des actions transférées (moins toute autre contrepartie reçue), notons le fait que leur valeur de rachat soit indiquée dans leur description du capital-actions et qu'elles soient rachetables à cette juste valeur marchande au gré de leur détenteur. Tel que l'indique le professeur Marc Jolin dans sa conférence intitulée : «Planification à l'égard de la gestion des jours de disposition présumée (21 ans)», conférence du 12 février 2004, prononcée lors du colloque de l'A.P.F.F. : Les fiducies : nouveautés et opportunités de planification, à la page 33 : «Cette exigence n'est cependant pas un critère absolu. En effet, les actions pourraient quand même valoir leur pleine valeur de rachat dans le cas où le taux de dividende serait cumulatif, qu'il corresponde à un taux commercial réaliste et que les actions deviennent rachetables au gré du détenteur après un certain nombre d'années. Il serait même possible de structurer l'échange des 100 actions participantes contre 20 catégories distinctes d'actions privilégiées, disons des actions de catégories «C.1» à «C.20» dont la principale différence serait que les actions, par exemple, de catégorie «C.1» deviendraient rachetables au gré du détenteur à compter du 1 er janvier 2005, les actions de catégorie «C.2», à compter du 1er janvier 2006, et ainsi de suite jusqu'aux actions de catégorie «C.20», qui deviendraient rachetables au gré du détenteur le 1 er mars 2025.» V. l'art. 69 L.I.R. «… "fair market value" … That common understanding I take to mean the highest price an asset might reasonably be expected to bring if sold by the owner in the normal method applicable to the asset in question in the ordinary course of business in a market not exposed to any undue stresses and composed of willing buyers and sellers dealing at arm's length and under no compulsion to buy or sell.": Henderson Estate and Bank of Montreal c. MRN, 73 D.T.C. 5471 (C.F. 1re inst.); appel rejeté, 75 D.T.C. 5332 (C.A.F.). Les dispositions des articles 51 (échange ou conversion d'actions d'une société en actions d'une autre catégorie), 85 (roulement de biens ou d'actions à une société en échange d'actions émise par le cessionnaire) et 86 (remaniement de capital) L.I.R. (et les articles correspondants de la loi québécoise, savoir les articles 301, 518 et 541 L.I.) en vertu desquels s'effectuent la grande majorité de gels, permettent d'effectuer ceux-ci sans incidence fiscale. Cependant, lors d'un gel, des dispositions spécifiques pourront entraîner une imposition immédiate chaque fois que l'auteur du gel avantage une personne qui lui est liée en acceptant des actions de gel ayant une valeur inférieure à la juste valeur marchande des actions ou autres biens ayant fait l'objet du transfert. De façon similaire, si la valeur totale de la considération reçue par l'auteur du gel (ex. des actions de roulement et un billet) excède la valeur des actions ou des biens transférés lors du gel de façon à conférer un avantage à l'auteur du gel, le par. 15(1) L.I.R. (art. 111 L.I.) pourra s'appliquer pour inclure dans le calcul du revenu imposable de l'auteur le montant de cet excédant / 7 limiterait le droit de l'actionnaire d'exiger le rachat des actions de gel pourrait affecter à la baisse la juste valeur marchande des actions. Il en est de même si le montant de rachat est payable sur une longue période de temps sans porter des intérêts raisonnable s(10). L'octroi d'un dividende (non cumulatif) aux actions de gel est l'usage. Bien que ceci ne soit pas essentiel pour justifier la juste valeur marchande des actions de gel, il s'agit d'un élément supportant l'évaluation des actions de gel, tout en procurant un revenu souvent fort bienvenu pour l'auteur du gel.(11). Les actions de gel doivent également être prioritaires en cas de liquidation et ou de rachat( 12). La catégorie d'actions de gel doit être protégée contre le rachat d'actions d'autres catégories ou la déclaration et le paiement de dividendes sur les autres catégories qui résultent dans la diminution de la valeur des actions de gel. De même, un droit de veto devrait être accordé à la catégorie d'actions de gel à l'égard des changements aux droits, privilèges et restrictions de capital réduisant leur valeur ( 13). Cette nouvelle catégorie d'actions devrait également comporter une clause de rajustement en cas de contestation par les autorités fiscales( 14). (10) (11) (12) (13) (14) F. Auger et G. Lille, «Gel successoral – pièces et attrapes», Colloque La Planification successorale, 2 février 2000, A.P.F.F., 14 à 16 «Revenue Canada Round Table», dans 1981, Conference Report, Toronto, Association Canadienne d'études fiscales, 1982, p. 726 à 766, question 45 «Revenue Canada Round Table», dans 1980 Conference Report, Toronto, Association canadienne d'études fiscales, 1980, question 13 à la page 602. V. aussi la politique administrative de l'Agence du revenu du Canada, RCT 85-191 citée plus haut à la note 8 F. Auger et G. Lille, op. cit., supra, note 10, 17, citant «Revenu Canada Round Table», dans 1981 Conference Report, Toronto, Association Canadienne d'études fiscales, 1981, question 45 à la p. 759. Les actions privilégiées de gel peuvent octroyer le contrôle de la société sans ainsi affecter la juste valeur marchande de ces actions: Re Mann Estate, [1974] 2 W.W.R. 574 (C.S.C.) confirmant [1973] 4 W.W.R. 223 (B.C.C.A.) Pour éviter que l'auteur du gel ne reçoive pas moins et pas plus que la juste valeur marchande des biens faisant l'objet du gel, particulièrement dans le cas d'une société privée, il est fortement suggéré que les parties obtiennent une évaluation écrite (dans le cadre d'une contestation éventuelle, laquelle peut survenir plusieurs années après la mise en place du gel, il sera plus qu'utile d'avoir les hypothèses, comparables et faits sur lesquels l’évaluation est basée) indépendante et sérieuse de la juste valeur marchande des actions transférées. Une clause de rajustement de prix devrait être insérée (dans les statuts ou dans la convention de transfert) pour corriger toute erreur lors de l'évaluation initiale. Les autorités fiscales donnent effet aux clauses d'ajustement de prix – permettant d'atteindre une juste valeur marchande - en autant que soient respectées les conditions édictées dans leur politique administrative. V. Revenu Canada, Bu lletin d'interprétation IT-169, «Clause de rajustement de prix», 6 août 1974, par. 1; Revenu Québec, Bulletin d'interprétation IMP 28-4 «Clauses de rajustement de prix», 28 avril 1989, par. 3. Notons que la clause n'aurait pas d'effet légal si elle constitue un trompe-l'œil ou un artifice au motif que les parties ne désiraient pas vraiment transiger à la juste valeur marchande et que les parties n'ont pas fait d'efforts raisonnables en vue d'établir cette juste valeur marchande : V. Guilder News Co. (1963) Ltd. et al. c. M.R.N., 73 D.T.C. 5048 (C.F.A.) et Miko Leung and Sit Wa Leung c. M.R.N., 92 D.T.C. 1090 (C.C.I.). Naturellement, si les biens transférés sont ceux d'actions cotées à une bourse, la valeur boursière est un excellent point pour / 8 [17] L'accroissement futur de la valeur de l'entreprise bénéficiera au nouveau détenteur des actions participantes, savoir la fiducie discrétionnaire, d'où l'expression de «gel». [18] Dans le contexte de la transmission de l'entreprise familiale, la raison la plus fréquente pour justifier un gel est de maximiser la valeur du patrimoine ultimement dévolu à la prochaine génération. En effet, puisqu'une personne est réputée disposer de ses biens à leur juste valeur marchande avant son décès, pouvant ainsi entraîner des impôts à payer, le gel permet de réduire la valeur future du patrimoine qui fera l'objet de la ponction fiscale au décès. Ainsi, le patrimoine ultimement transmis aux héritiers de l'entrepreneur devrait être maximisé. D'autres motivations peuvent justifier l'entrepreneur à effectuer un gel de la valeur de ses actions : - une répartition des revenus entre plusieurs membres de sa famille; la protection d'éléments d'actifs contre les créanciers; le transfert «ordonné » de son entreprise; le désir d'avantage r une ou plusieurs personnes pour des raisons matrimoniales, familiales ou personne lles. [19] Un gel requerra souvent un remaniement du capital de l'entreprise, savoir une modification de son capital-actions pour créer une catégorie d'actions de gel non participantes et une catégorie d'actions votantes à droit de votes multiples ou simples. Cette dernière catégorie d'actions est émise à l'auteur du gel afin de lui permettre de conserver le contrôle de la personne morale exploitant l'entreprise. En pratique, l'auteur du gel est prêt à partager la croissance future de la valeur de son entreprise, mais ne désire pas en disposer du contrôle ( 15). [20] Naturellement, un gel peut être total ou partiel. [21] Une personne physique, une société (un holding) ou une fiducie ( 16) peut être l'actionnaire détenteur des actions participantes qui sont émises dans le cadre du gel. (15) (16) fournir une valeur objective et fiable de la juste valeur marchande. Par ailleurs, ce point n'est pas toujours déterminant. Pensons au cas où l’évaluation de ces actions doit faire l'objet d'une prime (actions faisant partie d'un bloc de contrôle) ou d'un escompte (faible négociabilité; actions entiercées durant une longue période ou faisant l'objet d'options d'achat ou de vente à un prix déterminé). V. F. Auger et G. Lille, op. cit., supra, note 10, p. 7 et s.; L. Racette, «Évaluation de l'entreprise familiale», Congrès 1997, Montréal, A.P.F.F., p 18-1 et s. Les actions de contrôle pourront elles aussi être transférées dans une fiducie. Dans un cadre de protection d'actifs, une fiducie à soi-même, au sens fiscal de l'expression pourrait être considérée Lorsqu'il s'agit d'une fiducie discrétionnaire, aucun bénéficiaire n'a un droit certain au capital ou au revenu. Indirectement, on peut, entre autres, atteindre un but recherché par les catégories d’actions prévoyant des dividendes discrétionnaires. V. McClurg c. La Reine, [1990] 3 R.C.S. 1020 et Neuman c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 770 / 9 [22] L'auteur du gel pourra être l'unique fiduciaire de la fiducie ou l'un de ceux-ci. Un fiduciaire doit être une personne d'une grande confiance, surtout lorsqu'il dispose d'une grande latitude quant à l'attribution du revenu et du capital des bénéficiaires d'une fiducie. De plus, un fiduciaire doit également être un bon gestionnaire. Bien qu'en théorie, un fiduciaire corporatif puisse agir dans le cadre d'une fiducie discrétionnaire, en pratiq ue, compte tenu des objectifs visés par l'auteur du gel des actions d'une entreprise et la réticence d’un fiduciaire corporatif d’agir dans le cadre d’une fiducie discrétionnaire, un tel fiduciaire n'est pas désigné ; on lui préfère plutôt une ou des personnes physiques. III- UN PREMIER PROBLÈME : LA RÈGLE DE L'ARTICLE 1275 C.c.Q. [23] Pour reprendre les termes de l'article 1275 C.c.Q., le constituant ou le bénéficiaire d'une fiducie peut être un fiduciaire, mais à condition «d'agir conjointement avec un fiduciaire qui n'est ni constituant ni bénéficiaire». [24] Lorsque cet article n'est pas respecté – ce qui pourrait être la volonté du fondateur d'une entreprise -, quelle en est la conséquence? [25] L'article 1275 C.c.Q. s'exprime impérativement. On pourrait argumenter qu'il s'agit d'une interdiction légale et invoquer les articles 41.3 et 41.4 de la Loi d'interprétation, L.R.Q., c. I-16, savoir : «41.3 Les lois prohibitives emportent nullité quoiqu'elle n'y soit pas prononcée.» «41.4 On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public.» Bref, il pourrait être argumenté qu' une fiducie qui est constituée avec un seul fiduciaire qui est également son bénéficiaire ou son constituant pourrait être considérée comme nulle ou inexistante. C'est l'opinion du tribunal dans Mathieu c. Tardif, REJB 1997-03204 (C.Q.) au paragraphe 16. Invoquant l'article 1275 C.c.Q. dans une situation où le constituant est l'unique fiduciaire, le tribunal énonce, dans un obiter dictum : «Comme aucun autre fiduciaire n'a été nommé conjointement avec la défenderesse [la constituante] pour administrer les comptes en question, il n'a pu y avoir constitution d'une fiducie.» [26] Cette position faisant en sorte que la violation de cet article empêche la constitution d'une fiducie nous apparaît discutable. / 10 De plus, nous croyons qu'il faut distinguer l'impact possible de cet article lors de deux moments : à l'occasion de la création de la fiducie et pendant son administration. [27] Lors de l'adoption des articles 1260 à 1298 du Code civil du Québec, le législateur désirait moderniser l'institution de la fiducie et faciliter son utilisation et sa création. Il désirait, pour reprendre les mots du Ministre de la Justice, refléter «l'évolution de cette institution» et les «besoins des justiciables»(17). Le but de l'article 1275 C.c.Q. était d'écarter une difficulté du droit antérieur, savoir qu'un donateur ne pouvait être fiduciaire( 18). [28] L'article 1275 C.c.Q. n'énonce aucune sanction à sa violation. Il ne décrète pas l'inexistence de la fiducie ou la nullité des gestes posés à son encontre. Si telle avait été la volonté du législateur, le Code civil du Québec l'aurait exprimé clairement, compte tenu des graves conséquences qui en découleraient pour les parties impliquées. [29] De toute façon, sommes-nous vraiment face à un article d'ordre public(19)? (17) Ministère de la Justice, Le Code civil du Québec – Commentaires du ministre de la Justice, Tome 1, Québec, Les publications du Québec, 1993, p. 746; «La fiducie se trouvait bien à l'étroit avant le 1er janvier 1994, alors qu'elle était limitée par le Code civil du Bas-Canada à l'administration d'une libéralité entre vifs ou testamentaire. Des lois particulières étaient devenues nécessaires pour permettre son utilisation à d'autres fins, mais leur application était très limitée. Les pouvoirs du fiduciaire étaient tellement conservateurs que l'acte de fiducie nécessitait une longue énumération de pouvoirs additionnels. La période d'administration de la fiducie, souvent très longue, pouvait vraisemblablement être ponctuée d'événements plus ou moins prévisibles au temps de sa création et il était souvent impossible d'adapter le véhicule fiduciaire à ces nouvelles réalités. Plusieurs éléments de son application relevaient d'une zone grise. Un faible éclairage était apporté par quelques auteurs et une poignée de jugements, et ce portrait avait, pour toile de fond, les principes du trust de la Common Law servant de source d'inspiration pour suppléer aux règles manquantes. Dans ce contexte, l'imagination des praticiens pouvait naviguer à leurs risques et périls. Le nouveau Code civil du Québec modernise la fiducie et y apporte plus de précisions et de flexibilité, pour répondre aux exigences contemporaines. Ainsi, de nouveaux articles en élargissent le champ d'application, reprennent certains principes élaborés par la jurisprudence et la doctrine, prévoient des mécanismes supplémentaires pour la protection des intérêts du constituant et des bénéficiaires, et augmentent les possibilités d'intervention du tribunal, notamment en lui permettant de modifier l'acte de fiducie dans certaines circonstances» : Diane Bruneau, «La fiducie et le droit civil», 1996, 18 R.P.F.S. 755, à la p. 757 Commentaires du Ministre de la Justice, Id., p. 759. Si oui, afin d'éviter cet article, il ne serait pas possible de constituer la fiducie d'un québécois en vertu d'un système juridique ne contenant pas une telle règle légale : Art. 3107, 3108 et 3081 C.c.Q. V. Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Traité de droit civil, Droit international privé, Tome II, Règles spécifiques, Montréal, Yvon Blais, no. 336, p. 389 et s. Sur l'inexistence d'une règle semblable à l'article 1275 C.c.Q. en Common Law, v. William I. Innes, «Advantages and Disadvantages in Using a Quebec Trust or an Ontario Trust in Commercial Matters – A Comparative Analysis», (1997), Conférences Meredith, Montréal, 389, aux pp. 393 et 407; Jean-Charles Hare, «Panel sur les fiducies, Comparaison entre les fiducies de droit civil et fiducies de la Common Law», Congrès 1998, A.P.F.F., 7:1, à la p. 7:8 (18) (19) / 11 Il n'a pas utilisé des termes, comme à l'intérieur d'autres dispositions du Code civil du Québec, à l'effet que toute stipulation contenue dans l'acte constituant la fiducie, contraire à l’article 1275 C.c.Q., est sans effet ou réputée non écrite(20). [30] Les tribunaux détermineront éventuellement la nature de la sanction découlant du non respect de cet article. La Cour suprême du Canada a déjà eu l'occasion d'énoncer des critères permettant aux tribunaux d'évaluer le caractère d'ordre public d'une règle légale. Dans l'arrêt Garcia Transport Ltée c. Compagnie Trust Royal( 21), Madame la juge L'Heureux-Dubé énonce que «le critère qui distingue les lois d'ordre public des autres types de lois, réside dans l'intérêt public, plutôt que simplement privé, dont se soucie le législateur…»(22). Quelle était l'intention du législateur en adoptant l'article 1275 C.c.Q.? La principale motivation énoncée dans les Commentaires du ministre de la Justice est la protection des créanciers; la protection des bénéficiaires semble être secondaire : «Cet article, en créant une ouverture en faveur du constituant, répond à une question que posait le droit antérieur; l'on estimait, vu la formulation de l'article 981a C.C.B.C., que le donateur ne pouvait être fiduciaire. L'ouverture en faveur du bénéficiaire est nouvelle, mais conforme au droit antérieur et à la pratique. Cette ouverture demeure tempérée, cependant, par l'exigence de la présence d'un fiduciaire impartial, exigence propre à assurer une administration objective et à tempérer les conflits d'intérêts possibles. L'article ne retient pas la possibilité que le constituant ou le bénéficiaire puisse agir comme fiduciaire unique car, même si, dans nombre de cas, un constituant ou un bénéficiaire peut désigner un fiduciaire conciliant envers ses propres besoins, lui permettre d'agir seul favoriserait une division purement artificielle du patrimoine et fournirait un moyen aisé d'éviter le paiement de certaines obligations. L'article 1275 permet au constituant de participer au fonctionnement de la fiducie à laquelle il a donné l'élan premier, et au bénéficiaire d'exercer un certain droit de regard dans la prise de décisions qui le (20) (21) (22) V. par ex. l'article 1893 C.c.Q. en matière de louage d'habitation et l'article 2414 C.c.Q. en matière de contrats d'assurance [1992] R.C.S. 499 Id., p. 524 / 12 concernent, tout en assurant à la gestion fiduciaire un minimum d'objectivité.»(23) (les soulignés sont de nous) Selon nous, la règle de l'article 1275 C.c.Q. se justifie principalement sur la base du principe que le fiduciaire n'a pas à recevoir d'instructions du constituant ou d'un bénéficiaire et par une volonté de diminuer les conflits d'intérêts possibles. [31] La violation de l'article 1275 C.c.Q. entraîne une impossibilité légale pour le fiduciaire d'agir et de lier le patrimoine fiduciaire( 24). Malgré les Commentaires du ministre de la Justice qui justifie l'article sur la base de la protection des droits des créanciers, cette incapacité a pour but d'assurer une gestion du patrimoine fiduciaire qui ne soit pas soumise à la possibilité d'un conflit d'intérêts perpétuel, ce qui contreviendrait à de multiples dispositions du Code civil du Québec( 25). [32] La violation de l'article 1275 C.c.Q. entraîne une incapacité d'ordre privé(26). Compte tenu du but de l’article 1275 C.c.Q. et, à notre avis, de son caractère d’ordre public, il ne peut être soutenu qu’il s’agit d’une règle supplétive à laquelle l’acte constituant la fiducie peut passer outre. Ceci étant, le Code civil du Québec ne rend pas nulle la fiducie constituée ou gérée en violation de son article 1275. [33] Dans un cas de la violation de l'article 1275 C.c.Q., le tribunal peut nommer un ou plusieurs autres fiduciaires qui ne sont pas des bénéficiaires ou le constituant. C'est un cas où l'administration de la fiducie l'exige ( 27). [34] Pour ceux qui seraient en désaccord avec l'usage de l'article 1277 C.c.Q. dans le contexte de la violation de l'article 1275 C.c.Q., soulignons deux arguments : (23) (24) (25) (26) (27) (28) - Pourquoi le tribunal ne pourrait- il pas désigner un autre fiduciaire afin d’obvier au défaut de l'article 1275 C.c.Q., alors qu'il peut désigner un fiduciaire lorsque le constituant a omis de le faire? (art. 1277 al. 1 C.c.Q.); - Pourquoi la nullité absolue de la fiducie devrait être retenue alors que les buts de cette disposition légale sont l’«administration objective»( 28) et «tempérer les P. 759 Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les Obligations, 5ième édition, Montréal, Yvon Blais, p. 285, no. 324 Art. 1308 al. 1, 1309 al. 2, 1310 et 1278 C.c.Q. "Les incapacités d'ordre public sont désormais peu nombreuses. L'exemple le plus connu est celui frappant les officiers de justice quant à l'acquisition des droits litigieux." J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, op. cit., supra, note 24, p. 286, no. 325 Art. 1277 al. 2, C.c.Q. : "Il [le tribunal] peut, lorsque les conditions de l'administration l'exigent, désigner un ou plusieurs autres fiduciaires." Op. cit., supra, note 17, p. 759 / 13 conflits d’intérêts possibles»( 29) et qu’il est aisé de remédier à la violation de cet article, tout en protégeant les droits des intéressés qui s’estimeraient lésés(30). [35] Si une fiducie peut exister en l’absence d’un fiduciaire, soit parce que le constituant a omis de le désigner ou encore en raison d’un prédécès, considérant l’article 1277 C.c.Q., il devrait être soutenu qu’une fiducie peut être établie même si l'unique fiduciaire en est le constituant ou le bénéficiaire. [36] Le défaut de respecter la règle de l’article 1275 C.c.Q. devrait uniquement résulter dans le fait que tous les actes faits par le fiduciaire unique, dans le cadre de l'administration fiduciaire, sont sans effet pour défaut de capacité( 31), bien que la fiducie demeure constituée(32). À notre avis, l'absence de capacité découlant de cet article ne vise pas l'acte de constitution de la fiducie, laquelle peut être créée même en l'absence de fiduciaire «indépendant ». [37] La fiducie se crée par l'acceptation de la personne qui devient fiduciaire( 33). Or, à l'instant où la personne accepte la saisine du bien constituant le patrimoine fiduciaire, elle n'est pas encore un fiduciaire, mais le devient immédiatement après son acceptation, laquelle crée le patrimoine fiduciaire( 34). (29) Ibid Art. 1631 à 1635 C.c.Q. (action en inopposabilité du créancier contre le débiteur qui agit en fraude de ses droits); art. 91 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3, art. 91 (recours en annulation des dispositions); art. 1310 et s. C.c.Q. (conflit d’intérêts du fiduciaire); art. 1309 (obligation du fiduciaire d'agir avec prudence et diligence, honnêtement, avec loyauté et dans le meilleur intérêt des bénéficiaires); art. 1292 C.c.Q. (responsabilité du fiduciaire, du constituant et du bénéficiaire pour les actes qu’ils ont exécutés en fraude des droits des créanciers du constituant). V. aussi Michel Legendre, «L'utilisation de la fiducie à titre de mécanisme de protection des actifs dans un contexte de difficultés financières», (1997) 19 R.P.F.S. 11 L'auteur André J. Barrette est au même avis dans son texte intitulé «Problèmes courants en matière d'administration fiduciaire : le cas des fiducies testamentaires», Fiducies personnelles et successions, Service de la formation permanente, Barreau du Québec 2003, Yvon Blais, 67, aux pp. 78-79, tout en ajoutant une exception permettent au fiduciaire unique d’avoir la capacité pour agir en matière d’actes conservatoires. Cette dernière exception est fort discutable et s'explique difficilement. Le défaut de respecter l'article 1275 C.c.Q. n'est pas une cause de fin des fiducies indiquée à l'art. 1296 C.c.Q. Art. 1264 C.c.Q. John E.C. Brierley, «Titre sixième De Certains patrimoine d'affectation Les Articles 1256-1298», dans La réforme du Code civil, Personnes, successions, biens, tome 1, textes réunis par le Barreau du Québec et la chambre des notaires du Québec, Ste-Foy, no. 16, p. 750. Toujours au no. 16 de son texte, le professeur Brierley précise 3 conditions ou "certitudes" devant être rencontrées pour qu'une fiducie existe. Celles-ci sont la volonté de créer une fiducie, les biens transférés à la fiducie et les bénéficiaires : "Il faut remarquer qu'une certitude en ce qui concerne le fiduciaire, personnage central pour le fonctionnement de la fiducie, ne figure néanmoins pas à cette liste. La raison en est que le tribunal peut, à la demande d'un intéressé, désigner un fiduciaire lorsque le constituant a omis de le faire ou qu'il est impossible de pourvoir à la désignation selon l'acte de fiducie (article 1277). Or, bien que l'acceptation d'un fiduciaire soit essentielle pour le perfectionnement de la fiducie (article 1264), il ne s'ensuit pas que sa désignation préalable doive avoir lieu pour que la fiducie prenne une certaine vie." (30) (31) (32) (33 ) (34) / 14 [38] Bref, il faut distinguer entre la constitution de la fiducie (où la règle de l'article 1275 C.c.Q. ne devrait pas être invoquée) et sa gestion (où la règle de l'article 1275 C.c.Q. peut entrer en ligne de compte). [39] Il va s’en dire que l’exigence d’un fiduciaire indépendant peut, pour plusieurs entrepreneurs désirant utiliser la fiducie, être un irritant sérieux. [40] Souvent, l’entrepreneur désire conserver la plus grande latitude possible dans l’administration fiduciaire. Il peut arriver à cette fin, s’il n’est pas un bénéficiaire et est le fiduciaire. En est- il de même si un bénéficiaire est une personne morale dont il est actionnaire ? Compte tenu du principe de la personnalité distincte de la personne morale ( 35), sauf dans l'un de ces cas exceptionnels où la levée du voile corporatif est en cause( 36), on ne devrait pas prétendre qu'il y a une violation de l'article 1275 C.c.Q.(37). [41] Au niveau de la présence d’un fiduciaire indépendant, un seul fiduciaire indépendant est requis et ce, peu importe le nombre de fiduciaires-bénéficiaires ou de fiduciairesconstituants( 38). [42] Afin de diminuer le pouvoir d'un fiduciaire indépendant de bloquer une décision, le constituant de la fiducie peut faire en sorte que ce fiduciaire indépendant soit minoritaire, par exemple deux autres fiduciaires-bénéficiaires peuvent être en fonction. [43] Le fiduciaire indépendant au sens de l’article 1275 C.c.Q. ne doit pas nécessairement être du côté de la majorité lors d’une prise de décision par les fiduciaires. Le Code civil du Québec ne lui donne pas un droit de veto ou un droit prépondérant dans la prise de décision( 39). Il importe qu’il agisse « conjointement » avec le(s) fiduciaire(s)constituant(s) ou le(s) fiduciaire(s)-bénéficiaire(s)(40). Même s’il est dans la minorité, le fiduciaire indépendant joue le rôle envisagé par l’article 1275 C.c.Q. lorsqu’à titre de personne impartiale et détachée, il fait valoir ses commentaires aux autres fiduciaires. (35) (36) (37) (38) (39) (40) Art. 298, 302 et 309 C.c.Q. Art. 317 C.c.Q. Voir aussi la partie IV de ce texte Diane Bruneau, «La fiducie et le droit civil», (1996) 18 R.P.F.S. 755, 771; Jacques Beaulne, Droit des fiducies, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, pp. 174-175, no. 291 ; Hugo Patenaude, «Pot-pourri civil et fiscal en matière de fiducie», Congrès 2001, A.P.F.F., 33:46 Contra: Élise Poulin, «Les Fiducies», Congrès 2002, A.P.F.F., 39:1, à la p. 39-8 : «Les versions anglaises de ces articles [1275 et 1332 C.c.Q.] remplacent les mots «agir conjointement» et «agissent de concert» par act jointly. Ainsi, on pourrait être porté à croire que les dispositions de l'article 1275 C.c.Q. lues en parallèle avec les dispositions de l'article 1332 C.c.Q. obligeraient le fiduciaire indépendant et le fiduciaire cumulant un rôle de bénéficiaire ou de constituant à agir à l'unanimité.» D. Bruneau, op. cit., supra, note 38 / 15 [44] Également, nous ne voyons pas pourquoi l’acte créant la fiducie ne pourrait pas permettre de remplacer, par exemple, sur une base annuelle, le fiduciaire indépendant par une autre personne (41). Ceci est permis aux termes de l’article 1276 C.c.Q. Ceci étant, si ce droit est exercé afin d’écarter un fiduciaire indépendant qui bloque de bonne foi l’adoption d’une décision (par exemple lorsqu’il n’y a que deux fiduciaires, dont un fiduciairebénéficiaire), on pourrait certainement argumenter que les règles des articles 6 et 7 du Code civil du Québec seraient violées pour sanctionner cet exercice du droit de remplacer un fiduciaire. IV- UN SECOND PROBLÈME : LA PERSONNE MORALE BÉNÉFICIAIRE DE LA FIDUCIE [45] Les bénéficiaires de la fiducie peuvent être toute personne physique ou morale. Dans le contexte d'un gel dans le cadre d'une entreprise familiale, les bénéficiaires peuvent notamment être : - (41) (42) (43) (44) (45) l'auteur du gel; son conjoint(42); ses enfants(43); ses petits-enfants; une autre fiducie; les employés clés ou fournisseurs clés de l'entreprise familiale qui ne sont pas des membres de la famille; le conjoint de tout bénéficiaire(44); une personne morale détenue par l'auteur du gel( 45). H. Patenaude, op. cit., supra, note 38, p. 33:49 énonce ainsi le raisonnement afin que ce droit puisse être exercé en tout temps et au gré du constituant ou des bénéficiaires : «…le pouvoir de destituer un fiduciaire de la fiducie et de choisir son remplaçant ne permet pas à cette personne de prendre une décision sans la soumettre à un fiduciaire indépendant. Une fois désigné, le nouveau fiduciaire disposera des droits et obligations qui lui sont conférés par la loi et par l'acte de fiducie.» Une définition du mot conjoint peut être utile à l'intérieur de l'acte de fiducie. Cette définition peut englober les personnes unies par le lien du mariage ou de l'union civile aux termes du C.c.Q., de même que les conjoints de fait au sens du par. 248(1) L.I.R. À l'inverse, cette définition peut exclure, nonobstant toute règle légale à l'effet contraire, un conjoint à partir du moment où il y a cessation de la vie commune en raison de l'échec du mariage ou de l'union civile ou de fait, de l'introduction de toute procédure concernant une séparation de corps, un divorce, la nullité du mariage ou de l'union civile ou la dissolution de l'union civile La clause peut être rédigée afin de viser tout enfant ou descendant reconnu volontairement par le constituant, les descendants du constituant, ainsi que tout enfant adopté ou en instance d'adoption par le constituant et ses descendants. L'acte de fiducie discrétionnaire accordant au fiduciaire une telle faculté permettra d'attribuer du revenu ou du capital au conjoint d'un bénéficiaire, dans l'hypothèse, par exemple où ce dernier a des problèmes financiers ou est en faillite Selon l'art. 1272 al. 2 C.c.Q., les personnes morales peuvent être bénéficiaires d'une fiducie pour un terme n'excédant pas 100 ans. Le tout, plus exactement, est sujet à la capacité de la personne morale aux termes de sa loi constitutive et de ses statuts. Aucun problème n'existe pour une compagnie incorporée en vertu de / 16 [46] Au niveau de la personne morale à titre de bénéficiaire, deux questions intéressantes se posent : - Cette personne morale peut-elle avoir comme actionnaire le constituant ou le fiducia ire unique de la fiducie sans contrevenir à la règle de l'article 1275 C.c.Q.? - Cette personne morale peut-elle avoir comme actionnaire la fiducie dont elle est bénéficiaire? [47] Aucune interdiction légale spécifique n'existe à l'encontre de ces deux situations. [48] La première question trouve appui pour une réponse positive dans le principe de la personnalité distincte de la personne morale ( 46) et de ses actionnaires et l'idée que la fiducie est un patrimoine d'affectation autonome( 47). [49] Une réponse positive à la deuxième question amènerait des situations que d'aucuns pourraient qualifier d'incestueuses. Cette dernière question mérite d'être analysée sous l'angle du droit corporatif et sous celui du Code civil du Québec. Depuis l'arrêt Trevor c. Whitworth(48), la jurisprudence a énoncé une règle à l'effet qu'une personne morale ne peut posséder ses propres actions ou celles de sa compagnie mère : «… it is inconsistent with the essential nature of a company that it should become a member of itself. It cannot be registered as a shareholder to the effect of becoming debtor to itself for calls, or of being placed of the list of contributories on its own liquidation.»(49) Cette interdiction découle de la nature même de la personne morale. Sauf les cas permis par le législateur, une personne morale ne peut détenir ses propres actions ou celles de sa compagnie mère ( 50). (46) (47) (48) (49) (50) la Partie IA de la Loi sur les compagnies, L.R.Q., c. C. 38 («L.C.Q.») (art. 123.29 L.C.Q.) ou aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985) c. 44 («L.C.S.A.») (art. 15 et 16 L.C.S.A.). V. Luc Pariseau, «Panel sur les fiducies, Structures particulières utilisant une fiducie», Congrès 1998, A.P.F.F., 7:18 et s. Voir la note 35 de ce texte Art. 1268 C.c.Q. (1887) 12 A.C. 409. Au niveau historique, V. Y. Renaud et J. Smith, Droit québécois des corporations commerciales, Vol. II, 1974, Montréal, Judico, p. 837 et ss. Id., p. 424 Art. 123.43 et s. L.C.Q. ; arts. 30 et s. L.C.S.A. / 17 Lorsqu'une fiducie détient les actions d'une personne morale, laquelle est également un ou l'unique bénéficiaire, on ne se retrouve pas dans une situation où la personne morale détient ses actions. La personne morale détient plutôt un droit –conditionnel ou nondiscrétionnaire ou non – de recevoir du revenu ou du capital de la fiducie. Lorsque la personne morale reçoit un revenu ou du capital de la fiducie, du point de vue du droit civil ou du droit corporatif, il ne s'agit pas d'un dividende ou d'une autre distribution d'actif provenant de la personne morale. Par conséquent, en l'absence d'une prohibition législative, compte tenu de la nature du patrimoine d'affectation de la fiducie, soit une masse de biens et de passifs n'ayant aucun titulaire(51), à notre avis, une fiducie peut être actionnaire de son bénéficiaire( 52). La personne morale bénéficiaire d'une fiducie ne détient – à titre de bénéficiaire - aucun droit de propriété ou droit réel à l'égard de la fiducie(53). Il y a donc une coupure empêchant de prétendre que la personne morale détienne ses propres actions ou un droit quelconque à l'égard de son actionnaire( 54). Si l'on veut ajouter une protection additionnelle à la situation où la fiducie est actionnaire de son bénéficiaire, nous pouvons imaginer une structure où le bénéficiaire de la fiducie est une compagnie filiale d'une autre compagnie, dont les actions sont détenues par la fiducie. Au niveau des compagnies régies par la Partie IA de la L.C.Q. « … l'interdiction visant les actions croisées ne s'étend pas au-delà d'un seul niveau : ainsi, rien n'interdit à une filiale d'acquérir des actions de la compagnie mère, ni à une compagnie mère d'émettre des actions à la filiale de sa filiale. Au fédéral, depuis 1994, ceci n'est plus exact : le mot «filiale» englobe dorénavant la sous-filiale, et ainsi de suite.»( 55). [50] Aucune acceptation des bénéficiaires n'est requise lors de la constitution de la fiducie ( 56). Par conséquent, il est possible d'envisager que l'acte de fiducie discrétionnaire d'utilité privée indique comme bénéficiaires des personnes morales à être constituées faisant partie d'une catégorie déterminée(57). (51) John E.C. Brierley, op. cit., supra, note 34, p. 747, no. 13 et p. 749, no. 15 Au même effet, v. L. Pariseau, op. cit., supra, note 45, p. 7:32. Cet auteur énonce aussi qu'aucun empêchement n'existe en la matière aux termes des lois fiscales Art. 1261 C.c.Q. Un fiduciaire peut être administrateur ou dirigeant de la société dont la fiducie détient des actions : Pelletier c. Desrochers, J.E. 97-1559 (C.S.) Martel M. et Martel P., La Compagnie au Québec, vol. 1, Les aspects juridiques, Montréal Ed. Wilson & Lafleur, Martel Ltée, éd. feuilles mobiles, p. 18-13, référant à l'art. 2(5) (a)(iii) et (b) et aux art. 30 et s. L.C.S.A. L'accord du créancier de l'entreprise pourrait être requis (ex. la banque ou le bailleur) pour éviter un cas de défaut résultant d'un changement à l'actionnariat aux termes des ententes de crédit, d'un bail, d'un crédit-bail ou d'une sûreté visant l'entreprise dont les actions sont acquises par la fiducie Art. 1282 C.c.Q. (52) (53) (54) (55) (56) (57) / 18 V- UN TROISIÈME PROBLÈM E : L'ENCADREMENT ET LA MODIFICATION DE LA DISCRÉTION DU FIDUCIAIRE [51] Afin de correspondre à la volonté de l’entrepreneur –telle qu’elle peut évoluer - l'acte de fiducie devrait prévoir une discrétion totale en faveur du ou des fiduciaires dans l'attribution, et les modalités d'attribution, du revenu ou du capital de la fiducie à l'un ou l'autre des bénéficiaires; d'où l'expression de fiducie discrétionnaire. Ainsi, d'une année à l'autre, l'auteur du gel ou d'autres bénéficiaires pourront recevoir du revenu par le biais de la fiducie. De même, un «dégel» de la fiducie pourra même être possible. Également, le ou les fiduciaires pourront décider d'avantager l'auteur du gel ou un autre bénéficiaire: [52] - lorsque la situation financière de l'auteur du gel s'est détériorée depuis le gel initial; - lorsqu'un bénéficiaire fait faillite ou devient insolvable; - lors du départ du bénéficiaire qui était actif et s'intéressait à l'entreprise; - lors d'un mariage, d'un divorce ou d'une séparation de l'auteur du gel; - etc. Dans le cadre d'une fiducie discrétionnaire, est-ce que le constituant peut, dans son testament ou dans un autre document, indiquer ses souhaits quant à la gestion du patrimoine fiduciaire ou à la distribution du revenu ou du capital? Peut-on stipuler qu'à compter du moment où un fiduciaire déterminé n'agit plus à ce titre en raison de son décès, d'une incapacité ou toute autre raison, que les fiduciaires en fonction doivent exercer leurs pouvoirs relatifs au choix des bénéficiaires et à la détermination de leur part dans le revenu ou le capital de la fiducie de la manière prévue dans des directives données par cet ex- fiduciaire dans son testament, son mandat en cas d'inaptitude ou tout autre document plus récent exprimant sa volonté à cet égard? Le professeur Beaulne est d'avis que le constituant ne peut accorder un pouvoir de modification de l'acte de fiducie à un fiduciaire au motif que le Code civil du Québec ne le prévoit pas, que ceci va à l'encontre des motifs reconnus en droit anglais pour modifier une fiducie; le pouvoir du tribunal étant pour lui exclusif en la matière et balisé par l'article 1294 C.c.Q.(58). (58) Jean Beaulne, op. cit, supra, note 38, Nos 409 et s. p. 258 et s. Au niveau de la modification judiciaire d'une fiducie, V. Diane Bruneau, «La modification et la terminaison des fiducies par les tribunaux du Québec», (2003) R. du N. 409 / 19 Il est certain que ces instructions ou souhaits du constituant n'ont pas une force exécutoire dans le cadre d'un acte de fiducie ne prévoya nt pas que les fiduciaires doivent respecter ces instructions ou souhaits. Dans le cas où l'acte de fiducie prévoit que l'on doit suivre les instructions ou souhaits du constituant, pourquoi le pouvoir du tribunal devrait-il être le seul reconnu pour modifier un acte de fiducie? Pourquoi les dispositions de l'acte de fiducie ne pourraient-elles pas prévoir un tel mécanisme? Pourquoi ne devrait-on pas reconnaître la volonté du constituant exprimée dès la constitution de la fiducie en l'absence d'une interdiction légale? Pourquoi ne pas respecter, en matière d'acte de fiducie créée par contrat, la règle fondamentale de notre droit civil en matière de liberté contractuelle? Le Code civil du Québec ne nous donne-t-il pas une indication en ce sens lorsqu'il permet au constituant de prévoir que le fiduciaire ou un tiers peut désigner les bénéficiaires et déterminer leur part(59). N'est-ce pas en soi une modification sur un point des plus fondamentaux? Suivant les règles générales de notre droit civil, un contrat se modifie du consentement des parties( 60). Sauf exception législative, cette règle s'applique à tous les contrats( 61). Le législateur n'a pas exclu de l'application de cette règle la fiducie constituée par contrat. Donc, l'acte de fiducie pourrait stipuler que celui-ci peut être modifié par constituant et du fiduciaire ou d'une autre façon. Le bénéficiaire n'étant pas l'acte de fiducie et n'ayant aucune relation contractuelle avec le fiduciaire, requis de requérir son accord pour modifier un acte de fiducie, selon contractuelle d’amendement d’un acte de fiducie ( 62). l'accord du une partie à il n'est pas une clause Si la fiducie était une stipulation pour autrui, on ne pourrait pas la révoquer sans l'accord du bénéficiaire(63). Or, la fiducie n'est pas une stipulation pour autrui. (59) (60) (61) (62) (63) Art. 1282 et 1283 C.c.Q. Selon l'art. 1282 al. 2 C.c.Q. en matière de fiducie personnelle (art. 1267 C.c.Q. – le sujet de notre texte) ou d'utilité privée (art. 1268 C.c.Q.), la faculté d'élire ne peut être exercée que lorsque le bénéficiaire est clairement déterminé dans l'acte constitutif Art. 1439 C.c.Q. Dans certains cas, le C.c.Q. prévoit que des changements qui ne seraient pas de l'unanimité de toutes les parties peuvent lier l'ensemble. Art. 2272 C.c.Q. (contrat d'association); indivision (Art. 1026 al. 2 C.c.Q. pour les modifications non substantielles au bien détenu par copropriété indivise); copropriété divise (Art. 1059 al. 2 et 1097 al. 4 C.c.Q. modification à la déclaration de copropriété divise ou à l'état descriptif des fractions signée par le syndicat sur vote des ¾ des propriétaires présents) Le fiduciaire n'est pas le mandataire, le représentant ou l'employé des bénéficiaires. Le fiduciaire agit dans leur intérêt sans qu'un lien de droit contractuel existe entre eux Art. 1446 C.c.Q. / 20 Notre droit civil contient des règles de protection des bénéficiaires de la fiducie. Le fiduciaire ne peut rien faire qui soit en fraude des droits des bénéficiaires – compte tenu de leurs droits, lesquels peuvent être cond itionnels ou très ténus – ou soit contraire aux buts de la fiducie(64). Un fiduciaire ne peut consentir à l'amendement d'un acte de fiducie ne respectant pas les droits des bénéficiaires ou les buts de la fiducie ( 65). En matière de fiducie discrétionnaire, lorsque la discrétion est totale en faveur du fiduciaire et que le constituant et le fiduciaire original ont permis dans l’acte constitutif l'amendement des dispositions de ce dernier ou y ont stipulé que le fiduciaire doit suivre les instructions du constituant, nous ne voyons pas pourquoi l'on devrait mettre de côté l'intention des parties à l’acte de fiducie. Dans le cadre des actes de fiducie garantissant des débentures émises dans le cadre de financement (acte de fiducie, d'hypothèque et de gage de nantissement), la jurisprudence avait reconnu sous l'égide du Code civil du Bas-Canada, la possibilité que l'acte de fiducie contienne des clauses contractuelles de modification( 66). Lors de l'adoption du chapitre actuel de la fiducie dans le Code civil du Québec, le législateur n'ignorait pas la règle générale des obligations permettant d'introduire des clauses de modification contractuelle dans un contrat, ni cette jurisprudence. Pourquoi insérer des restrictions que le législateur n'a pas lui- même introduites? Bien que le tribunal ait le pouvoir de modifier la fiducie aux termes de l'article 1294 du Code civil du Québec, cet article ne constitue pas, à notre avis, une indication que le législateur refuse d'admettre qu'un acte de fiducie, de la nature d'un contrat, puisse être modifié selon les dispositions d'une clause d'amendement qu'il contiendrait, dans le (64) (65) (66) Art. 1290 et 1306 C.c.Q. V. par analogie TSCO of Canada c. Châteauneuf, [1995] R.J.Q. 637 (C.A.). Cette affaire traitait notamment de l'amendement d'un régime de retraite et de l'affection des surplus de ce dernier. Après avoir cité une disposition du régime de retraite qui énonçait : "no such modification or amendment shall make it possible for any part of the corpus or income of the Trust Fund to be used for, or diverted to, purposes other than for the exclusive benefit of members…" (p. 686), le Juge Lebel énonce à la p. 686 : "… les administrateurs en sont saisis à titre de fiduciaires. Ils gèrent pour le compte d'autrui... La gestion de la caisse est orientée vers une fin précise : le bénéfice des participants. La caisse de retraite constitue un ensemble de biens que l'on peut qualifier de patrimoine d'affectation… Même s'il conserve le contrôle du régime par son comité de retraite et ses liens avec le fiduciaire, la compagnie n'administre pas pour ellemême mais pour le compte d'autrui, c'est-à-dire pour les bénéficiaires du régime. Dans ses amendements, il ne peut prendre des décisions destinées à modifier l'affectation même d'une partie de la caisse en changeant l'attribution ultime des surplus lorsqu'il en existe." Perron c. L'Éclaireur, (1934) 57 B.R. 445, p. 459. V. aussi le développement de Louis Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 2ième éd., Cowansville, Yvon Blais, 2001, p. 840 et s., no 1931 et s. qui, après analyse de la question, opine favorablement pour l'insertion d'une clause contractuelle de modification à l'intérieur du contrat de fiducie-sûreté / 21 respect des objectifs de l'acte de fiducie et des obligations du fiduciaire. Selon nous, cet article a pour but de suppléer à l'absence d'une disposition d'amendement dans l'acte constituant une fiducie. Notons que l'article 1294 C.c.Q. n'est pas le seul cas prévu par le Code civil du Québec où le tribunal a le pouvoir, dans certaines circonstances, de modifier un acte juridique sans que ceci soit interprété comme une indication qu'uniquement la modification judiciaire est possible ( 67). En matière de fiducie constituée par contrat, il y a lieu d'appliquer la règle générale de l'article 1439 du Code civil du Québec à l'effet que le contrat peut être modifié selon l'accord des parties( 68). Pourquoi judicia riser une question de nature privée? VI- COMPARAISON DE LA FIDUCIE PAR RAPPORT À L'USAGE D'UNE PERSONNE MORALE DANS UN CONTEXTE DE TRANSMISSION D'UNE ENTREPRISE [53] La constitution d'une fiducie ne requiert pas le dépôt de statuts de constitution ou d'un document similaire auprès d'un organisme gouvernemental. La création d'une fiducie peut, aux termes des articles 1260 et 1262 C.c.Q., résulter d'un testament ou d'un contrat( 69) par lequel le constituant transfère de son patrimoine (acte de dessaisissement des biens du constituant) à un patrimoine qu'il constitue (le patrimoine fiduciaire) des biens qu'il affecte à des fins particulières; ces biens étant détenus et administrés par un ou plusieurs fiduciaires. La fiducie est constituée dès que l'un des fiduciaires aura accepté d'administrer la fiducie(70) ce qui rend certain le droit du ou des bénéficiaires( 71). Dans le cadre d'une transmission d'entreprise, beaucoup de fiducies puisent leur création dans un acte de donation – la donation fiduciaire( 72). Notons que le transfert des biens au patrimoine fiduciaire n'implique pas un transfert de propriété à quiconque. Ni le fiduciaire, ni le bénéficiaire, ni personne d'autre d'ailleurs, ne détient de droit réel sur tout bien de la fiducie. Lorsque la fiducie est constituée par une donation qui n'est pas un don manuel, l'acte de fiducie doit obligatoirement être notarié et être publié au registre des droits personnels et réels mobiliers( 73). La publicatio n au RDPRM est également requise (67) (68) (69) (70) (71) (72) (73) Ex. art. 1437 C.c.Q. (clause abusive du contrat d'adhésion ou de consommation), art. 1623 C.c.Q. (clause pénale abusive) et art. 2332 C.c.Q. (contrat de prêt d'argent) Cette règle, comme le précise l'art. 1377 C.c.Q., s'applique "à tout contrat quelle qu'en soit la nature" Une fiducie peut également être constituée par la loi ou un jugement, lorsque la loi l'autorise : art. 1262 C.c.Q. Art. 1264 C.c.Q. Dans le cas d'une fiducie testamentaire, les effets de l'acceptation sont rétroactifs à la date du décès Art. 1265 C.c.Q. Les biens pouvant faire partie du patrimoine fiduciaire peuvent être corporels, incorporels, mobiliers et immobiliers En soi, ce n'est pas la création de la fiducie qui exige cette publication mais plutôt la donation. En principe, aux termes de l'article 1824 C.c.Q., toute donation doit se faire par acte notarié portant minute et être / 22 si l'on veut rendre opposable aux tiers les stipulations d'inaliénabilité de l'acte de fiducie ( 74), par exemple, celles prévoyant l'inaliénabilité des droits des bénéficiaires. [54] Les lois corporatives et certains arrêts des tribunaux accordent des droits et des recours aux actionnaires minoritaires d'une personne morale( 75). Ainsi, au niveau d'une société fédérale, le tribunal peut intervenir et sanctionner le comportement oppressif d'une société qui ne respecte par les expectatives raisonnables d'un actionnaire( 76). Imaginons que le fondateur d'une société est une personne avec une forte personnalité. Il peut choisir qui seront les héritiers de ses actions. Plutôt que d'effectuer un gel successoral et d'octroyer directement à ses enfants les actions ordinaires (participantes dans l’accroissement de la valeur future de l’entreprise), il peut choisir de les attribuer à une fiducie discrétionnaire, dont il sera le seul fiduciaire. À titre de fiduciaire d'une telle fiducie, il décide d'octroyer le revenu et le capital de la fiducie comme il l'entend. D'une année à l'autre, les règles de distribution (et ultimement son «successeur») peuvent changer. Aucun enfant ne pourra intenter un recours en invoquant que ses expectatives raisonnables ne sont pas respectées, ni tenter de révoquer le fiduciaire lors d'une assemblée annuelle de bénéficiaires, puisqu'une telle assemblée - ayant le pouvoir de révoquer un fiduciaire - n'existe pas dans notre droit. [55] (74) (75) (76) Le bénéficiaire d'une fiducie ne possède pas des droits et recours aussi importants que ceux d'un actionnaire d'une personne morale. publiée au Registre des droits personnels et réels mobiliers («RDPRM»). Ces règles d'ordre public n'ont pas à être respectées lorsque la donation s'accompagne de la délivrance par le donateur (le constituant dans le cadre d'un acte de donation fiduciaire) et de la possession immédiate du bien par le donataire (le fiduciaire qui gère le patrimoine fiduciaire) Ici encore, l'exigence de la publication au RDPRM ne découle pas d'une règle spécifique à la fiducie, mais des articles 1212 et s. C.c.Q. Ces articles édictent que toute stipulation d'inaliénabilité est sans effet, à moins qu'elle ne soit faite dans un acte à titre gratuit (une donation ou un testament - art. 1212 C.c.Q.-), qu'elle soit temporaire (dans le cadre d'une fiducie, la stipulation peut valoir pour toute la durée de la fiducie: art. 1212 al. 3 C.c.Q. Cette situation peut aussi être en relation avec d'autres critères (ex. 50 ans après la signature de l'acte constitutif de la fiducie) et justifiée par un intérêt sérieux et légitime. Une telle clause dans un acte de fiducie est justifiée par un intérêt sérieux et légitime lorsqu'elle vise à préserver un certain patrimoine ou revenu convenable. De plus, selon l'art. 1214 C.c.Q., la stipulation d'insaisissabilité n'est opposable aux tiers que si elle est publiée au RDPRM Martel M. et Martel P., op. cit., supra, note 55, chapitre 31 Par exemple : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. 2849-2478 Québec Inc., REJB 199700307 (C.S.); Westfair Foods Ltd. c. Watt, (1991) 5 B.L.R. (2d) 160 (Alta, Q.B.); Krela c. OrthoSoft Inc. et al., REJB 2001-23139 (C.S.); Roy c. Guertin et al., REJB 2001-25387 (C.S.); McAlteer et al. c. Devoncroft Developments Ltd. et al., (2001) 24 B.L.R. (3d) 1 (Alta Q. B.) / 23 Le bénéficiaire n'est pas bénéficiaire d'un droit réel dans les biens de la fiducie( 77). Il n'est pas propriétaire d'un droit réel dans une part de la fiducie. Le bénéficiaire ne peut réclamer sa participation dans une fiducie qu'après avoir rempli les conditions prévues dans l'acte constitutif( 78). L'acte de fiducie peut prévoir une discrétion importante – sinon une discrétion absolue – en faveur du fiduciaire pour distribuer ou non les revenus ou le capital (79) de la fiducie entre un ou plusieurs bénéficiaires. Souvent le fondateur d'une entreprise constitue une fiducie où une telle discrétion absolue existe. Les droits du bénéficiaire d'une fiducie discrétionnaire sont donc des plus précaires. Ce bénéficiaire a un droit potentiel, et non un droit certain, de se voir attribuer un revenu ou du capital par le fiduciaire. À l'inverse d'un bénéficiaire d'une fiducie discrétionnaire, l'actionnaire minoritaire d'une société fédérale ou d'une compagnie québécoise possède des droits et recours qu'il peut vouloir exercer en certaines circonstances. La loi peut obliger d'effectuer une consultation, sinon d'obtenir le consentement d'actionnaires minoritaires lors de changements importants d'une personne morale( 80). La jurisprudence permet de sanctionner une société fédérale qui ne respecte pas les attentes raisonnables des actionnaires minoritaires et les gestes d'une société fédérale constituant un abus de droit de ses actionnaires minoritaires( 81). Des auteurs et une certaine jurisprudence prétendent également que des motifs similaires à ceux de l'article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions permettent au tribunal d'intervenir dans les affaires d'une compagnie régie par la Partie IA de la Loi sur les compagnies( 82). (77) (78) (79) (80) (81) (82) Art. 1261 C.c.Q. Art. 1280 C.c.Q. V. les arts. 908 et s. C.c.Q. au niveau de la distinction des concepts de capital et de revenu Fusion (art. 183 L.C.S.A. et art. 123.126 et 123.127 L.C.Q.); vente ou location de la totalité ou quasi-totalité des biens (art. 189(3) L.C.S.A.); modification des statuts (art. 173(1), 176 et 2(1) déf. de résolution spéciale L.C.S.A et art. 123.103 L.C.Q.). De tels changements peuvent aussi donner droit à la dissidence des actionnaires d'une société fédérale (art. 190 L.C.S.A.) V. les notes 75 et 76 Paul Martel, «Le «recours pour oppression» en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions», 2003 Développements récents en droit des affaires, Montréal, Yvon Blais, 265, p. 312 et s.; Guy Paquette, «Développements récents du droit des actionnaires soumis à la loi sur les compagnies du Québec», texte d'une conférence du 27 mars 2003 prononcée lors des développements récents en droit des affaires 2003 organisés par le Service de formation permanente du Barreau du Québec; Laurent c. Buanderie Villeray Limitée, J.E. 2002-3, par. 15 et s. (C.S.); Équipements Oliva Poulin Inc. c. Carrier, J.E. 2003-180, au par. 36 (C.S.); Martineau, Provencher & Associés Ltée c. Grace, [2001] R.J.Q. 2414, p. 2435-2436, aux par. 171 et 172 (C.A.) / 24 Donc, el s bénéficiaires de la fiducie discrétionnaire n'étant pas des actionnaires de la personne morale ayant fait l'objet du gel, ils ne peuvent prétendre aux droits des actionna ires minoritaires. De plus, la gestion fiduciaire n'étant pas soumise à l'approbation des bénéficiaires(83), la décision de verser ou non du revenu ou du capital à un ou plusieurs bénéficiaires est difficilement contestable ( 84). En effet, dans un acte de fiducie discrétionnaire, il est expressément indiqué que le fiduciaire a l'entière discrétion à cet égard et que cette discrétion ne peut pas être questionnée par les bénéficiaires. VII- GESTES PRÉALABLES À LA FIN DE LA FIDUCIE [56] Plusieurs des avantages de la fiducie pourraient être perdus si lors de la distribution éventuelle du capital de la fiducie - donc de la remise des actions ordinaires de l'entreprise - les bénéficiaires recevaient purement et simplement ces actions. [57] Aussi surprenant que cela puisse paraître, la rédaction de l'acte de fiducie pourrait prévenir des problèmes qui pourraient survenir après sa fin( 85), problèmes que l'entrepreneur voulait éviter par la création de la fiducie. [58] Avant de distribuer les actions ordinaires de l'entreprise aux bénéficiaires, un remaniement de capital des actions de l'entreprise peut être effectué avec l'accord du fiduciaire. Quel pourrait être l' utilité d'un tel remaniement? (83) (84) (85) "…le fiduciaire n'est soumis à aucun contrôle direct de la part des bénéficiaires; ceux-ci ne peuvent que le contraindre à se conformer à son devoir d'agir à l'égard des biens selon les termes de la fiducie.": J.E.C. Brierley, op. cit., supra, note 34, no. 15, p. 750. Les bénéficiaires peuvent, dans certains cas, exercer des recours conservatoires à l'encontre du fiduciaire : Arts. 1287 et s. C.c.Q. Lorsque l'acte de fiducie établit clairement une fiducie discrétionnaire, l'exercice ou non de la discrétion du fiduciaire ne pourrait être attaqué que de façon exceptionnelle, à savoir que lorsqu'il est exercé de façon contraire aux objets de la fiducie, aux arts. 6, 7 et 1434 C.c.Q. ou à des dispositions d'ordre public Il en serait notamment ainsi par exemple, si l'exercice de la discrétion du fiduciaire est basé sur des motivations allant à l'encontre de la liberté de religion du bénéficiaire : Art. 3, 10 et 13 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12 Les lois fiscales prévoient pour la majorité des fiducies une disposition présumée des immobilisations détenues par celles-ci à la fin du jour qui arrive 21 ans après le jour de la constitution de la fiducie et à la fin du jour qui arrive à tous les 21 ans par la suite : s. al. 104(4)(b)(ii) L.I.R. Cette présomption fiscale n'équivaut pas à la liquidation de la fiducie aux fins du C.c.Q. Souvent, une liquidation de la fiducie et une remise de son capital à ses bénéficiaires sont prévues dans l'acte de fiducie la 20e année de la constitution de la fiducie afin d'éviter cette incidence fiscale. En effet, un roulement fiscal "à la sortie" est possible lorsque les biens de la fiducie sont remis au bénéficiaire : Par. 107(2) L.I.R.; Art. 688 L.I. Cette remise de capital doit intervenir avant le 21e anniversaire de constitution de la fiducie. Lorsque le roulement à la sortie n'est pas utilisé, le produit de disposition des biens de la fiducie équivaut à la juste valeur marchande des immobilisations (art. 70(5.3) L.I.R. et art. 450.2 L.I.). Naturellement, certains préfèrent ne pas distribuer les biens de la fiducie et ne pas bénéficier du roulement fiscal. Cela peut être le cas si la facture d'impôt à payer est petite par rapport aux avantages découlant du maintien de la fiducie. Donc, plutôt que d'"ordonner" la liquidation de la fiducie afin de bénéficier d'un roulement à la sortie, la discrétion devrait être accordée au fiduciaire / 25 Avant de procéder à une remise d'actions aux bénéficiaires, pour éviter la règle de disposition présumée aux 21 ans, le fiduciaire peut procéder à l'échange des actions ordinaires pour 2 types d'actions, des actions participantes sans droit de vote et des actions votantes (ou tout autre scénario). L'acte de fiducie discrétionnaire pourrait permettre au fiduciaire de remettre les actions non votantes à tout bénéficiaire du capital et de conserver des actions votantes, mais non participantes. [59] L'acte de fiducie peut stipuler que la remise des actions ordinaires aux bénéficiaires doit être précédée de la signature, par le fiduciaire, d'une convention entre actionnaires de l'entreprise (ou à une convention de société ou une convention d'exercice des droits de vote) et l'adhésion des bénéficiaires à cette convention. Bien que le fiduciaire peut probablement conclure une convention unanime d'actionnaires qui lierait les bénéficiaires(86) peut- il conclure une convention d'actionnaires – non unanime- et prétendre que celle-ci lie les bénéficiaires une fois qu'ils deviennent les détenteurs des actions ( 87)? Si l'acte de fiducie contient une telle clause, un bénéficiaire ne pourra pas menacer de poursuivre le fiduciaire qui refuse de lui remettre les actions ordinaires au motif que le bénéficiaire n'a pas à adhérer à une convention d'actionnaires. De plus, il ne pourra poursuivre pour obtenir la remise des actions tant et aussi longtemps qu'il n'a pas adhéré à la convention d'actionnaires. En l'absence de dispositions spécifiques dans l'acte de fiducie, le bénéficiaire mécontent pourrait poursuivre le fiduciaire au motif que celui-ci n'a pas respecté les objectifs de l'acte de fiducie et a omis d'agir de façon impartiale et dans le meilleur intérêt des bénéficiaires( 88). [60] Un acte de fiducie discrétionnaire contenant des clauses spécifiques comme celles obligeant les bénéficiaires à adhérer à toute convention d'actionnaires comme condition de la remise de capital ou permettant au fiduciaire d'effectuer une remaniement en capital permettra d'éviter de payer les impôts découlant de la disposition présumée aux 21 ans, d'augmenter la flexibilité du fiduciaire quant à l'attribution du capital et du revenu de la fiducie et d'assurer une certaine protection des biens remis aux bénéficiaires. (86) Au sens des lois corporatives : Art. 123.91 et s. L.C.Q.; Art. 146 et par. 2(1) déf. de «convention unanime des actionnaires» L.C.S.A. V. Daniel Lafortune, «La convention d'actionnaires», (2002) 36 R.J.T. 197, 209 et s. et 218 et s. Id Art. 1309 C.c.Q.; Les obligations d'agir avec impartialité à l'égard de l'ensemble des bénéficiaires et d'agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires peuvent être écartées par l'acte de fiducie, et ce, sans violer l'ordre public : J. Beaulne, op. cit., supra, note 38, p. 191, no. 313; Hugo Pattenaude, op. cit., supra, note 38, à la p. 33:30. Les 2 auteurs réfèrent à St-Louis c. St-Louis, J.E. 97-494; REJB 1997-00165 (C.S.) (87) (88)