L`université de Strasbourg cherche désespérément un vrai budget

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L`université de Strasbourg cherche désespérément un vrai budget
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ont rappelé qu’en dépit de la priorité affichée pour
l’éducation, la situation des universités n’a cessé de se
dégrader.
L'université de Strasbourg cherche
désespérément un vrai budget
PAR LUCIE DELAPORTE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 29 JANVIER 2014
François Hollande a choisi l'université de Strasbourg
pour s'exprimer, jeudi, sur l'enseignement supérieur
et la recherche. Alors qu'une quinzaine d’universités
sont en déficit, le chef de l'État arrive dans un
établissement « modèle » qui doit, en catastrophe,
revoir drastiquement son budget.
François Hollande et Geneviève Fioraso
La visite du chef de l’État à Strasbourg s’annonce
pourtant moins sereine que prévu. Depuis une dizaine
de jours, l’université de Strasbourg est secouée par
une crise inédite qui illustre combien les universités
sont plus que jamais dans une position intenable. Un
mois seulement après l’adoption du budget 2014 en
conseil d’administration, la présidence de l’université
a reconnu que son budget avait été bien trop optimiste
par rapport aux dotations effectives de l’État et qu’elle
devait donc immédiatement récupérer… 3,8 millions
d’euros.
Pour sa première visite dans une université depuis
son élection, François Hollande avait, a priori, choisi
la facilité. Dans un paysage universitaire malmené
par l’austérité et qui n’a vu aucun des changements
attendus depuis un an et demi, l’université de
Strasbourg, où il doit se rendre jeudi, devait jouer
les vitrines. Issue de la fusion de trois universités,
elle est, avec plus de 43 000 étudiants, l’une des
plus grandes du pays et l’une des premières à être
passées à l’autonomie. Son pôle de recherche, qui
compte aujourd’hui trois prix Nobel en activité, est
mondialement reconnu. L’université vient d'entrer
dans le Top 100 du dernier classement de
Shanghai, qui recense les meilleures établissements
d'enseignement supérieur dans le monde.
Passé les fêtes, les composantes de l’université ont
reçu une lettre qui leur a fait l’effet d’une douche
froide. La direction générale des services, dans un
courrier adressé le 16 janvier, demande à chacune
« d’indiquer à la direction des finances les centres
financiers sur lesquels il était possible de restituer
des crédits ». Soit, très concrètement, de proposer des
pistes pour amputer leur budget de fonctionnement de
20 % ! « Il est désormais nécessaire que des mesures
structurelles soient prises, le modèle économique
actuel ne permettant plus de fonctionner comme nous
l’avons fait depuis des années », précisait pour ceux
qui n’avaient pas bien saisi le président Alain Beretz
dans une lettre aux personnels.
En se rendant à Strasbourg, François Hollande a
voulu mettre les projecteurs sur un site d’excellence,
dans la droite ligne de la politique défendue par
Valérie Pécresse, ancienne ministre de l'enseignement
supérieur sous Nicolas Sarkozy. Ce choix est aussi
destiné à éclipser la récente fronde de Montpellier 3,
où la présidente menaçait de fermer son antenne de
Béziers ou de tirer au sort les étudiants faute de pouvoir
tous les accueillir, ou plus récemment les appels au
secours de l’université de Versailles-Saint-Quentin, en
quasi-cessation de paiement. Autant d’événements qui
Dans un contexte financier déjà très tendu
– l’université avait notamment gelé 50 recrutements
pour contenir son budget –, ces nouvelles restrictions
indignent. « Il y a un profond sentiment de ras-le-bol
qui est en train de monter », reconnaît le professeur
de biotechnologie élu au CEVU(conseil des études de
la vie universitaire) Jacques Haiech. Il estime que, ces
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trois dernières années, les budgets de fonctionnement
récurrents des composantes auront diminué de près
de 40 %. Concrètement, ce sont des conférences, des
colloques, qui vont être annulés tout comme sera réduit
au minimum le recours à des intervenants extérieurs ou
le budget photocopies… Tout ce qui fait, au quotidien,
qu’une université « fonctionne ».
pour mener les restructurations de fond dont il pense
que l’université a besoin ». Les déclarations d’Alain
Beretz qui affirmait dans un récent entretien au
journal de l’université que ces difficultés financières
pouvaient être « une opportunité » pour « prioriser les
chantiers », voire pour « faire mieux », ont achevé de
semer le doute.
Dans un entretien au journal interne de la fac, le
président Alain Beretz donne le ton : « Chacun peut
agir concrètement sur la situation en éteignant son
ordinateur le soir en partant, en baissant le chauffage
dans son bureau le week-end, en se demandant s’il est
vraiment nécessaire de voyager en première classe… »
Rationaliser, mutualiser, réduire l’offre de formation,
mais aussi développer leurs financements propres
par des partenariats avec les entreprises… Autant
de remèdes chocs que les universités autonomes
sont désormais contraintes d’appliquer pour ne pas
voir leurs comptes trop se dégrader et que la
ministre Geneviève Fioraso encourage d’ailleurs
avec constance. Aujourd’hui, alors qu’une quinzaine
d’universités sont en déficit et que près de la moitié
ont un fonds de roulement de moins de 30 jours – le
seuil prudentiel à, normalement, ne pas dépasser pour
un établissement public –, le ministère a clairement fait
le choix de leur maintenir la tête sous l’eau, persuadé
qu’il est que c’est la seule manière de « réformer »
un monde universitaire enfermé dans des postures
archaïques et idéologiques.
L’intersyndicale, qui estime que cette décision
« mettra toutes les entités de notre université
dans une situation intenable », a demandé qu’un
congrès exceptionnel soit convoqué pour envisager
d’autres pistes que cette nouvelle amputation. « Les
composantes ont déjà atteint leurs limites les plus
extrêmes. Pour les personnels, dont certains sont
déjà en grande souffrance, on est vraiment au-delà
du supportable », tonne Pascal Maillard, secrétaire
académique du Snesup-FSU.
L’université de Strasbourg, si bonne élève qu’elle soit,
n’échappe pas à la règle. « Cela n’amuse personne
d’être amené à ce type de décision mais la fuite en
avant budgétaire serait irresponsable, explique Alain
Beretz. Ne pas reconstituer notre fonds de roulement,
c’est handicaper l’avenir des étudiants comme des
enseignants-chercheurs. » Ce président élu sous le
précédent quinquennat estime aussi qu’il est « difficile
de faire abstraction de la situation des finances
publiques, le budget de l’enseignement supérieur étant
plutôt moins touché que les autres ».
Un budget insincère
Ce nouveau tour de vis passe d’autant plus mal que la
confiance vis-à-vis de la présidence est sérieusement
ébranlée. Les élus des conseils centraux ont en effet
découvert que la présidence de l’université avait fait
voter sciemment un budget qu’elle savait insincère.
Les dotations définitives de l’État – 320 millions
d’euros – lui sont en effet parvenues le 13 décembre,
soit quatre jours avant le conseil d’administration qui
a approuvé le budget. Interrogé par Mediapart, le
président Alain Beretz justifie cet équilibrisme par le
manque de temps : « Nous avons reçu la dotation
finale le vendredi à 17 heures alors que notre CA était
prévu le mardi. Vous ne pouvez pas corriger un tel
budget en 48 heures ! » La réponse ne convainc guère
jusqu’au ministère qui estime qu’il était tout à fait
possible et bien plus raisonnable de repousser le CA.
À la veille de l’arrivée du chef de l’État, le ministère
s’agace de cette agitation et rappelle que les dotations
à l’université de Strasbourg sont stables voire en légère
hausse ces dernières années. Cette stabilité ne couvre
pas néanmoins la croissance « naturelle » de la masse
salariale par l’effet mécanique du vieillissement et
se traduit concrètement par un financement étatique
toujours très en deçà des besoins réels.
Au-delà, certains s’interrogent sur la stratégie même
du président de l'université. Pour Pascal Maillard,
Alain Beretz « se sert en réalité du levier de l’austérité
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Dans l’entourage de Geneviève Fioraso, on fait valoir
que la crise que connaît Strasbourg démontre aussi
un certain amateurisme sur les questions financières
des jeunes universités autonomes. « Le budget d’une
université comme Strasbourg, c’est trois fois le
budget du Louvre, est-ce qu’ils ont vraiment les
compétences en interne pour le gérer ? » s’interroge
un fonctionnaire du ministère. Pour faire face à leurs
nouvelles responsabilités en matière financière, les
universités ont pourtant bien privilégié l’embauche de
gestionnaires au détriment – à moyens constants – de
l’enseignement et de la recherche. Jusqu’où ?
Les récentes déclarations de Geneviève Fioraso
aux Échos, appelant les universités à se considérer
comme « des centres de coûts et de profits », ont
jeté la consternation dans un monde universitaire déjà
profondément déboussolé. « Le pouvoir de résilience
du milieu scientifique (…) touche malheureusement
une limite structurelle qui ne peut plus exempter les
politiques de leur responsabilité d'assurer l'avenir de
la recherche et des universités », écrit à ses collègues
de Strasbourg le chimiste Jean-Pierre Djukic, directeur
de recherche au CNRS dans un courrier résumant bien
l’état d’esprit général. François Hollande, qui devrait
être accueilli par diverses actions de mécontentement,
sait à quoi s’en tenir.
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