Seuil de déclenchement de l`obligation d`établir un PSE : prise en

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La Semaine Juridique Social n° 16-17, 19 Avril 2011, 1201
Seuil de déclenchement de l'obligation d'établir un PSE : prise en compte des
préretraites
Commentaire par Romain Chiss
avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
Licenciement pour motif économique
Sommaire
Lorsqu'elles entraînent la rupture du contrat de travail, les préretraites mises en oeuvre en raison de difficultés
économiques doivent être prises en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi est obligatoire.
Cass. soc., 1er févr. 2011, n° 09-70.121, F-D, Mme C., épse B. c/ Sté Sud Céréales : JurisData n° 2011-000995
LA COUR - (...)
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-61 du Code du travail ;
o Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagée par la société coopérative agricole Sud Céréales à compter du 18 juin
1973, Mme B., qui exerçait en dernier lieu les fonctions d'assistante auprès de la direction générale, a été licenciée
pour motif économique le 28 septembre 2005 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale :
o Attendu que pour rejeter la demande de la salariée tendant à l'annulation de son licenciement en raison de
l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, l'arrêt retient que le nombre de licenciements envisagés et effectués
étant inférieur à 10 sur une période de 30 jours, l'employeur n'était pas tenu d'élaborer un tel plan ;
o Attendu cependant que, lorsqu'elles entraînent la rupture du contrat de travail, les préretraites mises en oeuvre en
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raison de difficultés économiques doivent être prises en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de
l'emploi est obligatoire ;
o Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher si les mesures de préretraites mises en oeuvre par
l'employeur avant les licenciements n'avaient pas entraîné la rupture du contrat de travail des salariés concernés, la
cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen de cassation :
o Casse et annule (...)
Note :
Une salariée a été licenciée pour motif économique. Elle a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir prononcer la
nullité de son licenciement au motif que son employeur n'avait pas mis en place de plan de sauvegarde de l'emploi.
Selon elle, ce dernier y était obligé conformément aux dispositions de l'article L. 1233-61 du Code du travail aux termes
duquel dans les entreprises de cinquante salariés et plus, lorsque le projet de licenciement concerne dix salariés ou plus
dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour
éviter les licenciements ou en limiter le nombre. La salariée faisait valoir que son employeur avait manqué à cette
obligation puisque préalablement à la notification de huit licenciements pour motif économique, dont le sien, il avait
déjà procédé à dix mises en préretraite totale et neuf mises en préretraite partielle. La cour d'appel de Nîmes, dans un
arrêt du 5 mai 2009, a rejeté la demande de la salariée : le nombre de licenciements envisagés et effectués étant inférieur
à dix sur une période de 30 jours, l'employeur n'était pas tenu d'élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi. La question
qui se posait à la Cour de cassation était de savoir si l'employeur devait tenir compte du nombre de mises en préretraite
(totales ou partielles) pour apprécier si le nombre de licenciements intervenus était ou non inférieur à dix sur une même
période de trente jours. La Cour de cassation a annulé la décision des juges du fond au motif que lorsqu'elles entraînent
la rupture du contrat de travail, les préretraites mises en oeuvre en raison de difficultés économiques doivent être prises
en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi était obligatoire. Autrement dit, l'employeur qui
envisage, à l'occasion de difficultés économiques, de se séparer d'au moins 10 salariés sur une même période de trente
jours, soit par des licenciements soit par des mises en préretraite doit respecter l'exigence de mise en oeuvre d'un plan de
sauvegarde de l'emploi.
Cette décision s'inscrit logiquement dans le cadre des dispositions de l'article L.1233-3 du Code du travail (issues de
L. n° 92-722, 29 juill. 1992 : Journal Officiel 30 Juillet 1992 mod. par L. n° 2005-32, de cohésion sociale, 18 janv.
2005 : Journal Officiel 19 Janvier 2005) selon lesquelles les procédures de licenciement pour motif économique sont
applicables à toute rupture du contrat de travail fondée sur un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié
résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément
essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations
technologiques. À cet égard, il a, par exemple, été jugé que les dispositions précitées étaient applicables, y compris
lorsque les emplois étaient supprimés par voie de départ volontaire (Cass. soc., 4 avr. 2006, n° 04-48.055 : RJS 2006,
n° 709). Il en va de même s'agissant des ruptures conventionnelles : lorsqu'elles s'inscrivent dans un processus de
réduction des effectifs, elles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure de consultation des
représentants du personnel et les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi (Cass. soc., 9
mars 2011, n° 10-11.581 : JurisData n° 2011-00291 ; V. supra JCP S 2011, 1200, note F. Favennec-Héry). S'agissant
de la mise à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, il a été jugé qu'elle devait être assimilée à un
licenciement économique pour suppression d'emploi (Cass. soc., 18 avr. 2000, n° 97-45.434 : JurisData
n° 2000-001550 ; Bull. civ. 2000, V, n° 142 ; RJS 2000, n° 652 ; JCP E 2000, p. 1666, note A. Teissier. - Cass. soc.,
2 nov. 2005, n° 03-46.325 : RJS 2006, n° 30), même si, selon la Cour de cassation, l'indemnité conventionnelle de
licenciement ne se substitue pas de plein droit à l'indemnité de mise à la retraite : les salariés concernés ne peuvent y
prétendre que si le plan de sauvegarde de l'emploi leur en étend expressément le bénéfice (Cass. soc., 18 mars 2008,
n° 07-40.269 : JurisData n° 2008-043259 ; Bull. civ. 2008, V, n° 63 ; JCP S 2008, 1368, note D. Everaert-Dumont ;
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RJS 2008, n° 532). S'agissant du départ à la retraite, y compris s'inscrivant dans le cadre d'un plan de sauvegarde de
l'emploi, il constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre pas droit à l'indemnité de licenciement (Cass. soc.,
25 juin 2002, n° 00-18.907 : JurisData n° 2002-014982 ; Bull. civ. 2002, V, n° 214 ; RJS 2002, n° 1154 ; JCP E 2003,
p. 514, note S. Darmaisin. - Cass. soc., 9 juill. 2003, n° 01-43.298 et n° 01-43.299 : JurisData n° 2003-020073 ; RJS
2003, n° 1161). Quoiqu'il en soit, en application de l'article L. 1233-1 du Code du travail, l'employeur qui envisage de
mettre des salariés à la retraite ou en préretraite à l'occasion de difficultés économiques doit observer les dispositions
relatives aux licenciements pour motif économique en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du
personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi dès lors que les conditions légales sont remplies.
S'agissant du périmètre d'appréciation de l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi,
l'administration avait précisé que pour les entreprises qui ont des établissements distincts, le décompte des salariés
concernés se fait selon les règles suivantes : (i) si un chef établissement disposant d'une grande autonomie projette de
réaliser des licenciements pour des motifs économiques propres à son établissement, n'excédant pas les pouvoirs qui lui
sont reconnus, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre dans cet établissement, (ii) si des
établissements distincts réalisent simultanément des licenciements pour un même motif économique dans le cadre d'un
plan de restructuration dont les modalités excèdent les pouvoirs des chefs d'établissement, le nombre de licenciements à
prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau global de l'entreprise ; si un licenciement collectif pour un même
motif est envisagé au niveau général de l'entreprise et affecte des entités ou des structures différentes de l'entreprise, le
nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau de l'entreprise (Circ. DGEFP/DRT/DSS
n° 2002/01, 5 mai 2002, n° III-A 1° : BO Travail n° 2002/11, p. 219). La jurisprudence a apporté les précisions
suivantes : pour les licenciements pour motif économique intervenant au sein d'une société intégrée dans un groupe plus
vaste, la condition d'effectif et de nombre de licenciements est circonscrite au périmètre dans lequel les licenciements
sont envisagés (Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-42.672 : JurisData n° 2004-024395 ; Bull. civ. 2004, V n° 186 ; RJS
2004, n° 1015 ; JCP G 2005, I, 122, obs. P. Morvan. - Cass. soc., 16 janv. 2008, n° 06-46.313 : JurisData
n° 2008-042330 ; Bull. civ. 2008, V, n° 8 ; Rev. proc. coll. 2008, comm. 81, note F. Taquet ; RJS 2008, n° 395). Dans le
cas où la société relève d'une unité économique et sociale, il avait été jugé que les conditions d'effectif et de nombre des
licenciements imposant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi devaient être appréciées au niveau de
l'entreprise qui emploie les salariés concernés : il n'était donc pas possible de prendre en compte le périmètre de l'unité
économique et sociale sans rechercher si l'ensemble des personnes morales la composant avaient la qualité d'employeur
des salariés concernés (Cass. soc., 28 janv. 2009, n° 07-45.481 : JurisData n° 2009-046860 ; Bull. civ. 2009, V, n° 26 ;
RJS 2009, n° 331 ; JCP S 2009, 1176, note F. Dumont). En revanche, il en allait autrement lorsque, dans le cadre d'une
unité économique et sociale, la décision de licencier était prise au niveau de cette dernière (Cass. soc., 16 nov. 2010,
n° 09-69.485 à n° 09-69.489 : JurisData n° 2010-021344 ; JCP S 2011, 1007, note N. Dauxerre). Ainsi, la cour d'appel
ayant constaté que les sociétés formant l'unité économique et sociale s'étaient concertées pour envisager simultanément
une série de licenciements pour motif économique relevant d'un même plan de restructuration et dont le nombre était
d'au moins dix, l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi était obligatoire (Cass. soc., 9 mars 2011,
n° 10-11.581 : JurisData n° 2011-002913). Il sera intéressant d'observer comment la Cour de cassation adaptera cette
position aux groupes de sociétés, hors l'hypothèse de l'existence d'une unité économique et sociale.
Afin de déterminer l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi, il convient d'envisager le nombre
des licenciements (ou de contrats modifiés) qui se sont succédé ou qui vont se succéder, d'une part sur une même
période de trente jours, d'autre part pendant les trois mois consécutifs qui ont précédé, enfin, pendant l'année civile qui
vient de s'écouler (V. sur ce point, R. Chiss, Seuil de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, à propos de la
pratique des « petits paquets » : JCP S 2005, 1348).
Licenciement pour motif économique. - Procédure. - Plan de sauvegarde de l'emploi. - Non prise en compte des
mises en préretraites en raison de difficultés économiques dans le seuil de déclenchement d'établir un plan de
sauvegarde de l'emploi. - Nullité des licenciements
Textes : C. trav., art. L. 1233-3 et L. 1233-61
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Encyclopédies : Travail Traité, Fasc. 31-3, par Patrick Morvan
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