Juge Murray Sinclair, président, Témoignage et réconciliation Canada

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Juge Murray Sinclair, président, Témoignage et réconciliation Canada
Juge Murray Sinclair, président, Témoignage et
réconciliation Canada
Allocution prononcée à la cérémonie de « témoignage de l'avenir »
Le jeudi 15 octobre 2009
Rideau Hall, Ottawa
Votre Excellence, la Très honorable Madame Jean, aînés, distingués invités, mesdames et
messieurs.
J'ai le privilège d'être président de Témoignage et réconciliation Canada et de me
présenter devant vous aujourd'hui en compagnie de mes collègues commissaires, le chef
Littlechild et Madame Marie Wilson, et des membres importants du Residential Schools
Advisory Committee. J’aimerais vous présenter les membres de ce comité. Je leur
demanderais de se lever lorsque je les nomme :
M. Eugene Arcand
M. John Banksland
Mme Terri Brown
Mme Lottie May Johnson
M. John Morrisseau
M. Barney Williams Jr.
M. Gordon Williams
Rebekah Uqi Williams
Doris Young
Et, M. Raymond Arcand, qui n’a pu se joindre à nous aujourd’hui pour cause de maladie.
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Au nom de la commission, nous vous remercions, Votre Excellence, de nous avoir invités
à tenir cet événement important à Rideau Hall.
Nous sommes reconnaissants de la collaboration et du travail de votre personnel pour
aider nos employés à préparer cette journée.
Je tiens aussi à souligner la présence des nombreux invités spéciaux et dignitaires
représentant des associations autochtones, les gouvernements, des organismes religieux et
le public.
En particulier, je souhaite rendre hommage aux nombreux survivants des pensionnats qui
sont ici aujourd'hui et à ceux qui se joignent à nous par l'entremise de différents organes
d'information.
Votre Excellence, le concept des commissions de vérité n’est pas nouveau.
C’est le mécanisme qu’utilisent de plus en plus souvent les pays qui doivent examiner de
près leur réalité, lorsqu’un événement passé les empêche d’aller de l’avant et de réaliser
leur plein potentiel.
Même si de telles commissions ne sont pas nouvelles, la nôtre comprend deux éléments
uniques :
D’abord, elle n’est pas le résultat d’une décision prise seulement par le gouvernement.
Elle a été créée parce que plusieurs courageux survivants des pensionnats ont intenté des
poursuites, au nom de tous les anciens élèves, contre le gouvernement et les églises qui
administraient les pensionnats, en raison des mauvais traitements subis pendant leur
séjour dans ces pensionnats. Lorsque les tribunaux du pays ont conclu que les élèves
avaient une cause d’action raisonnable, le gouvernement et les églises défendeurs ont
accepté de régler plusieurs de ces recours collectifs. La Convention de règlement conclue
a été approuvée par toutes les parties, y compris les élèves.
Le gouvernement, les églises et les élèves ont convenus qu’il y avait eu des
transgressions du droit positif et ont décidé d’établir un processus qui permettrait aux
élèves de ces pensionnats d’être dédommagés pour ces transgressions.
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Je n’ai pas besoin d’exposer la nature de ces transgressions – les élèves nous en parlerons
plus tard.
Cependant, les personnes qui ont étudié cette triste expérience ont toutes fait remarquer
que, du point de vue du droit, les droits des enfants et de leurs parents ont été violés de
manière alarmante. S’appuyant sur des lois qu’aucun Canadien ne tolérerait aujourd’hui,
les représentants du gouvernement et des églises se sont systématiquement attaqués aux
sociétés autochtones en ciblant leurs éléments les plus vulnérables – leurs enfants.
Sous le sceau de lois intolérantes, les enfants ont été séparés de leurs familles et éduqués
dans des établissements où l’on prônait l’intolérance, ce qui a mené presque
inévitablement, à leur mauvais traitement.
Il est donc important de se rappeler que c’est pour le bénéfice de ces enfants victimes que
la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens se devait d’être et a été
approuvée par les tribunaux. C’est aussi pour le bénéfice de ces victimes que les
tribunaux du pays conservent un rôle de supervision directe en ce qui concerne la mise en
œuvre de la convention et les travaux de cette commission.
Auparavant utilisées pour sanctionner le mauvais traitement des Autochtones, les lois ont
finalement été appliquées pour protéger les impuissants, comme cela aurait toujours dû
être le cas. Les Autochtones qui ont de la difficulté – compte tenu de ces antécédents
historiques – à croire en la primauté du droit, en retirent un certain réconfort.
Deuxièmement, à notre connaissance, Témoignage et réconciliation Canada est la
première commission au monde à se pencher spécifiquement sur le sort des enfants d'une
race particulière : les enfants autochtones du Canada.
Et, même si on les appelle pensionnats indiens, ces écoles ont été fréquentées par des
enfants inuits, métis et des Premières nations. Aux fins de l’exécution de notre mandat,
nous ne faisons pas de distinction entre ces groupes.
Le mandat de la commission comprend de nombreux éléments complexes. Toutefois, au
bout du compte, tous les éléments tendront vers un même but principal. Témoignage et
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réconciliation Canada recueillera le plus d’information possible sur les pensionnats
indiens, y compris des récits de personnes ayant fréquenté les pensionnats ou ayant été
touchées par ceux-ci. Tout au long du processus, nous apprendrons des choses
importantes sur nous mêmes et sur les autres :
Nous apprendrons comment nous nous sommes traités mutuellement pendant une période
particulière de notre histoire et comment nous souhaitons nous traiter mutuellement,
maintenant et à l’avenir, parce que nous avons tiré des leçons de notre passé.
Témoignage et réconciliation Canada a notamment pour objectif : « d’assister aux
événements de vérité et de réconciliation, au niveau national et communautaire, et
d’appuyer, de promouvoir et de faciliter de tels événements ».
Selon les traditions autochtones et européennes, une invitation à assister à une occasion
ou à un événement d’importance constitue l’un des plus grands honneurs conférés à une
personne. Il peut s’agir d’une cérémonie, telle qu’un mariage ou un baptême, où le
témoin est chargé d’observer l’événement, puis de rendre compte de son importance et de
son caractère significatif à l’avenir. En fait, le statut du témoin rehausse souvent
l’événement. En acceptant d’être témoin d’un événement, une personne s’engage à
confirmer non seulement qu’il a eu lieu, mais aussi qu’il était important et qu’il s’est
déroulé selon les solennités requises. Être invité à remplir un tel rôle est un signe de
respect mutuel et permet d’établir des relations importantes.
Au cours des cinq prochaines années, nous espérons sincèrement que les travaux de
Témoignage et réconciliation Canada rapprocheront les nombreux peuples des nombreux
territoires du pays en proposant de nouveaux et meilleurs moyens de se comprendre.
C’est dans cet esprit de complicité que notre gouverneure générale, Son Excellence la très
honorable Michaëlle Jean, a accepté d’agir en qualité de témoin honoraire aujourd’hui et
de porter témoignage pour nous à l’avenir.
Votre Excellence, en acceptant notre invitation, vous reconnaissez la validité de
l’initiative que nous avons entreprise et vous en rehaussez l’importance. C'est avec le
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plus grand respect que nous saluons votre présence ici et que nous vous remercions
d'honorer ainsi la commission.
Le thème de la journée est « Témoignage de l'avenir ».
Nous l’avons choisi parce que nous vous demandons à vous tous ici présents dans la salle
et aux participants de l’extérieur de commencer à réfléchir à ce que cela pourrait signifier
pour vous d’être « témoin » d’un événement important de vérité et de réconciliation.
Qu'est-ce que cela pourrait signifier?
Selon le mandat de la Témoignage et réconciliation Canada :
« La révélation de nos expériences communes aidera à libérer nos esprits et à ouvrir la
voie à la réconciliation ».”
Eh bien, pour connaître la vérité, nous devons commencer par en parler.
Il s'agit d'une démarche importante que nous avons entreprise il y a un peu plus d’un an.
Le 11 juin 2008, le premier ministre, au nom de tous les Canadiens, a présenté des
excuses aux peuples autochtones du Canada, admettant que les pensionnats avaient été
fondés sur le principe de l’intolérance raciale.
Au nom des Canadiens, le premier ministre a avoué que ce qui était arrivé aux enfants
autochtones en raison des méthodes d’administration des pensionnats et des lois adoptées
par le gouvernement était indéfendable.
Et, au nom des Canadiens, il a exprimé des regrets du mal qui a été fait.
En tant qu’enfant d’un survivant des pensionnats, j’ai entendu ces excuses, ainsi que
celles présentées par les dirigeants du Parlement du Canada, et je les ai acceptées comme
des gestes sincères et comme un aspect important de la vérité sur les pensionnats indiens.
Ce n'était pas toute la vérité, mais une partie importante de celle-ci, et un point de départ
essentiel.
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Comme nous le savons tous, il est inutile de s'excuser si l'on ne prend pas les mesures
nécessaires pour redresser la situation.
Mais, comment pouvons nous réparer les torts causés si nous ne comprenons pas
complètement comment les choses se sont mises à se détériorer et jusqu’à quel point elles
se sont détérioriées, malgré les nombreux aspects positifs des pensionnats et malgré les
bonnes intentions des nombreuses personnes associées à ceux-ci.
Aux personnes qui disent : « C'était il y a longtemps. Pourquoi ne peuvent-ils pas s’en
remettre? », je réponds ceci : « nous – et vous – n’avons pas encore laissé le passé
derrière nous. Nos familles ont été détruites et doivent être reconstituées. Nos relations
ont été endommagées et doivent être rétablies. Nos esprits ont été volés et doivent être
retournés. Notre amour de la vie a été transformé en peur et nous devons travailler
ensemble pour apprendre à nous faire confiance à nouveau. »
Il nous reste tellement de chose à apprendre sur les séquelles à long terme des
pensionnats.
Chaque récit donne la possibilité à une personne de partager le fardeau de sa propre
histoire et de s'en libérer.
Aujourd’hui, nous espérons que Témoignage et réconciliation Canada donnera l’occasion
aux personnes qui souhaitent s’exprimer de le faire.
Vous seuls… les témoins de notre histoire… pouvez dire toute la vérité :
Les élèves qui ont fréquenté les pensionnats;
Les personnes qui les ont administrés;
Les personnes qui y ont enseigné et travaillé;
Les membres de vos familles et de vos collectivités qui ont subi les conséquences de ce
rôle et de ces pensionnats, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire.
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Nous souhaitons que toute personne au Canada qui a été touchée de quelque façon que ce
soit par les pensionnats ait la possibilité de s'exprimer.
Nous voulons nous renseigner sur vos expériences, et savoir ce que vous ressentez.
La tristesse, bien sûr, mais aussi les triomphes, le courage, les amitiés, les réalisations, les
relations établies et la joie que vous avez ressentie dans ces relations.
Toutes ces choses font partie de l’histoire des pensionnats indiens au Canada…
En tant que commissaires, nous croyons que c'est là le cœur de notre travail et notre
raison d'être.
Au cours des cinq prochaines années, nous travaillerons avec vous afin de trouver des
moyens significatifs et sûrs pour vous permettre de partager vos histoires avec les
Canadiens.
Nous tiendrons notamment une série d'événements nationaux.
Comme dans le cas de la rencontre d'aujourd'hui, chaque événement national donnera
l'occasion de « raconter la vérité », ainsi que de poser des gestes de réconciliation
importants.
Aujourd’hui, je suis heureux d’annoncer que la Commission a accepté la
recommandation du Survivors Advisory Committee…
Le premier événement national de Témoignage et réconciliation Canada aura lieu au
printemps à Winnipeg, au Manitoba.
Il nous reste à confirmer les heures et les emplacements exacts de tous les autres
événements nationaux. Mais, je peux déjà vous dire qu’il y aura des événements
nationaux dans les régions suivantes (par ordre alphabétique) :
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•
L’Alberta
•
La Colombie-Britannnique
•
Les Maritimes
•
Le Nord du Canada
•
Le Québec
•
La Saskatchewan
Il me fait également plaisir d'annoncer que nous pouvons répartir ces événements
nationaux sur la période complète de cinq ans de notre mandat.
Nous n’avons plus besoin de nous en tenir aux deux premières années de notre mandat.
Les parties concernées que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous avons discuté
nous ont indiqué qu’elles étaient prêtes à autoriser la modification de notre mandat afin
que ces événements importants puissent se dérouler sur une période appropriée.
Cela nous donnera plus de temps pour planifier soigneusement chaque événement.
Nous souhaitons que chaque événement national nous permette de recueillir vos histoires
de nombreuses façons : des déclarations individuelles, des cercles de partage, des
poèmes, des chants, des danses, des vidéos… par toute méthode possible et significative.
Je tiens aussi à annoncer que notre site Web, qui sera modifié bientôt, comprendra le
Cahier souvenir de Témoignage et réconciliation Canada.
Il s’agit d’un nouvel outil qui pourrait vous aider à rassembler et à organiser vos idées et
vos souvenirs concernant votre expérience des pensionnats, pendant que vous vous
préparez à participer aux activités que nous organiserons.
La Commission a pour rôle de partager vos histoires avec l'ensemble des Canadiens, afin
que nous puissions tous tirer des leçons de notre passé.
Comme pays, nous aimons croire que :
Nous défendons notre position et que nous faisons notre part si nous estimons qu’il est
nécessaire d’améliorer ce qui se passe autour de nous.
Pour leur part, les commissaires estiment que le partage de ces histoires incitera les
Canadiens à poser de tels gestes et à concrétiser la réconciliation.
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Comme je l'ai dis, de nombreux survivants des pensionnats indiens sont nos invités
spéciaux aujourd'hui.
Nous savons que certains d'entre vous s'opposent à l'utilisation du terme « survivant »,
car de nombreuses personnes continuent d'éprouver des difficultés.
Nous tenons à ce que vous sachiez que lorsque nous utilisons ce terme, nous souhaitons
souligner la détermination et le courage dont vous avez dû faire preuve pour en arriver où
vous êtes aujourd'hui et célébrer votre cheminement de guérison.
Le commissaire Littlechild vous entretiendra plus longuement à ce sujet, et c’est lui le
prochain orateur.
Mais, nous devons d’abord vous permettre de vous exprimer.
Un certain nombre d'entre vous ont accepté de partager leur histoire, en tant que
représentants des survivants du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest. Vous avez
généreusement convenu de faire participer vos petits-enfants à vos récits.
Nous espérons sincèrement qu’en réunissant vos voix de cette façon, nous favoriserons
une meilleure compréhension entre les générations, au sein des familles et au sein de la
société en générale.
Nous souhaitons engendrer une nouvelle compréhension de ce qui s’est passé et de
l’immense espoir qui nous habite concernant l’avenir.
Mais, avant de commencer à écouter ces histoires, je tiens à vous donner cet
avertissement. Je souhaite vous rappeler que ces histoires sont parfois difficiles à
entendre et que vous devriez vous préparer. Je veux que vous compreniez qu’il est
important qu’elles soient partagées. Car, ce n’est que de cette façon que nous pourrons
tous nous soulager de leur fardeau. En particulier, je demanderais aux survivants, ici et à
la maison, de ne pas oublier que d’écouter ses histoires pourraient leur rappeler des
événements de votre propre vie et être pénibles. Si nous sommes la cause de problèmes,
nous nous en excusons. Nous savons que parfois ces histoires peuvent vous faire revivre
des événements traumatisants. Assurez-vous d’avoir des mécanismes de soutien à
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proximité ou de savoir comment y accéder aujourd’hui et au cours des prochains jours si
les événements vous accablent.
Nous vous cédons maintenant la parole.
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