Points de repère - Avant Scène Opéra
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Points de repère - Avant Scène Opéra
Points de repère Un sujet historique et littéraire Pour son troisième ouvrage lyrique après Les Fées (composé en 1833 mais non représenté) et La Défense d’aimer (créé en 1836), Richard Wagner s’inspire du grand roman d’Edward BulwerLytton consacré au personnage médiéval de Cola di Rienzo, paru en 1835 et traduit en allemand dès 1836. Selon une habitude qui deviendra inséparable de son geste créateur, il en réalise lui-même le livret. Lire la nouvelle traduction française de Ruth Orthmann, p. 19 Edward George Bulwer-Lytton, peinture de Henry William Pickersgill. Londres, National Portrait Gallery. Wagner avant TANNHÄUSER 1842. Richard Wagner est à la croisée d’influences françaises (le grand-opéra et la pantomime), italiennes (l’opéra à numéros et le bel canto), germaniques (la recherche formelle et orchestrale). Rienzi devient ainsi tout à la fois une fresque à grand spectacle, un défi formel et sonore, et un ouvrage historique qui fait résonner le XIVe siècle dans l’imminente Révolution de 1848. Lire le Guide d’écoute de Jean-François Boukobza, p. 12 Page de gauche : Wolfgang Windgassen (Rienzi), mise en scène de Wieland Wagner, Staatstheater Stuttgart 1957. Archives du Théâtre. Le véritable Cola di Rienzo En couverture : Cola di Rienzo (1313-1354) fut un personnage fort, dessiné pour devenir un héros de roman ou d’opéra. Au XIVe siècle, ce jeune Romain s’élève contre la corruption de la Ville éternelle et ses clans dominants, au point de soulever le peuple qui l’acclame en nouveau tribun. Un parcours fulgurant, que suivra une chute non moins spectaculaire. Lire le portrait réalisé par Chantal Cazaux, p. 86 Une scène du IIIe acte au Théâtre de Dresde en 1843. Aquarelle du baron von Leyser figurant Joseph Tichatschek (Rienzi) et Henriette Kriete (Adriano). Munich, Deutsches Theatermuseum. L’Avant-Scène Opéra n° 270 3 POINTS DE REPÈRE Les opéras de jeunesse de Richard Wagner Le « Wagner de jeunesse » : c’est ainsi que l’on résume parfois les trois premiers ouvrages de Richard Wagner – Les Fées, La Défense d’aimer et Rienzi. Qu’en est-il vraiment ? ces trois titres forment-ils un tout cohérent, ou Rienzi articule-t-il déjà le passage vers les drames lyriques qui suivront ? Lire l’étude de Gérard Condé, p. 88 Un opéra «à la Meyerbeer»? Portrait de R. Wagner par Caesar Willich, ca 1862. D.R. Si les wagnériens ne parlent généralement pas sans réticence À droite : le Hoftheater de Dresde à l’époque de la création de Rienzi. D.R. des autres opéras de jeunesse de Wagner – Les Fées ou La Défense d'aimer –, ils évoquent encore moins volontiers Rienzi, comme s’il s'agissait d'une sorte d'enfant illégitime, d'une erreur que l'on chercherait, sinon à effacer, du moins à faire oublier. Édouard Sans fait un point complet sur le statut méconnu de cet opéra dans l’œuvre wagnérien. Lire l’étude d’Édouard Sans, p. 92 La création parisienne de 1869 C’est le 6 avril 1869, soit 27 ans après sa création à Dresde, que Rienzi fait son entrée à Paris, à l’initiative du chef d’orchestre Jules Pasdeloup. La lourde tâche de la traduction du livret est assumée par Charles Nuitter, comme pour les représentations polémiques de Tannhäuser en 1861. Loin de ce premier scandale, c’est une complicité amicale qui réunit le compositeur, le chef et le traducteur. Lire l’étude de Mark Everist, p. 102 4 L’Avant-Scène Opéra n° 270 RIENZI : mythe, opéra et politique Opéra controversé, entouré d’une réputation sulfureuse, Rienzi est pourtant une aubaine pour notre théâtre moderne, avide de transpositions historiques et de relectures provocantes: le singulier parcours politique du tribun romain, son irrésistible ascension et sa chute spectaculaire, son penchant pour un culte de la personne confinant parfois au mysticisme et son habileté à manier la propagande, tout évoque immanquablement les grands dictateurs fascistes du XXe siècle. Lire l’étude de Jean-François Candoni, p. 108 Histoire scénique de l’œuvre Dès sa création, Rienzi trouve rapidement son public. Mais souvent coupé, déformé, trop étranger aux ouvrages qui font la réputation de son compositeur, il se raréfie ensuite pour renaître dangeureusement sous les auspices du nazisme. L’après-guerre est un second défi, que le tournant des XXe et XXIe siècles continue de relever. Imagerie, Histoire et relecture sont les trois pôles de son existence scénique. Lire l’étude de Pierre Flinois, p. 114 L’Avant-Scène Opéra n° 270 5 POINTS DE REPÈRES Un opéra méconnu et à redécouvrir Une seule captation vidéo légale – et un unique «pirate» en supplément –, treize enregistrements audio dont le seul réellement intégral n’est pas officiellement commercialisé : Rienzi attend encore d’être honorablement représenté au disque et à l’image. Peut-être des surprises à venir pour 2013 ? Rienzi, dessin de Fortunio Matania, 1931. Coll. part. Lire la Discographie et la Vidéographie comparées de Pierre Flinois, p. 130 Rienzi au Théâtre du Capitole de Toulouse (septembre 2012) Alors que Rienzi fera sa toute première apparition à Bayreuth en 2013 seulement – mais toutefois pas au Festspielhaus –, le Théâtre du Capitole de Toulouse ouvre audacieusement sa saison du bicentenaire de Wagner avec une nouvelle production de l’ouvrage signée Jorge Lavelli. D’un Capitole à l’autre… Lire l’entretien avec le metteur en scène Jorge Lavelli, p. 122 Le Serment de Brutus ou La Mort de Lucrèce, attribué à Jacques Antoine Beaufort (1721-1784). Nevers, Musée municipal Frédéric Blandin. 6 L’Avant-Scène Opéra n° 270 Affiche de la création de Rienzi à Munich en 1871. D.R. L’Avant-Scène Opéra n° 270 7 ACTE V 386 IRENE Hier, bei dem Letzten, den der Name des Römers ziert, ist mein Asyl ! Ihr seid Treulose, Schändliche ! Geht, es gibt keine Liebe mehr ! IRÈNE [//...] 387 ADRIANO Ha, meine Liebe, ja, ich fühl’ es, ist Liebe nicht, ist Raserei ! Irene, Irene, sieh mich knien ! Du schwurest einst mir ew’ge Treue ; versünd’ge nicht durch Meineid dich ! Wohl kenne ich noch meinen Schwur ; ich schwur : Tod und Verderben solle mir Losung sein, um jedes Band und jede Schranke zu zertrümmern ! Dies war mein Schwur, ich halt’ ihn jetzt : Tod und Verderben, es ist da ! Dein Bruder ward von Gott verflucht, verflucht von mir und aller Welt, das Volk, es rast, kennt den Verrat. Dies Kapitol, bald steht’s nicht mehr, Ici, chez le dernier à qui le nom de Romain sied encore, se trouve mon asile. Vous êtes infidèles, ignobles ! Partez ! Il n’y a plus d’amour ! [//...] ADRIANO Ha, oui, je le sens, mon amour n’est pas de l’amour mais de la folie furieuse ! Irène, Irène, regarde-moi m’agenouiller ! Un jour, tu m’as juré un amour éternel, ne commets pas le péché d’un parjure ! Je me souviens bien encore de mon propre serment ; j’ai juré : la mort et la ruine seraient ma devise pour déchirer tous les liens et toutes les barrières ! C’était mon serment, je m’y tiens maintenant : la mort et la ruine, les voilà ! Ton frère a été maudit par Dieu, maudit par moi et par le monde entier, le peuple est en délire, connaît la trahison ; le Capitole bientôt ne sera plus debout, « Ha, meine Liebe... » Nancy Gustafson (Irene) et Violeta Urmana (Adriano), mise en scène de David Pountney, Staatsoper, Vienne 1997. Wiener Staatsoper / Michael Pöhn. Page de droite : « Nein ! Du darfst nicht sterben...» Kate Aldrich (Adriano), Camilla Nylund (Irene), mise en scène de Philipp Stölzl, Deutsche Oper, Berlin 2010. Bettina Stoess. répondant aux montées chromatiques des cordes, séquences évoluant par degrés ascendants, carrures sans cesse plus courtes, crescendo continu. La ligne vocale, fondée sur le demi-ton et le saut d’octave, reflète l’irritabilité et la nervosité extrême d’Adriano. Le point culminant, en ré b m. (« Tod und erderben, sieh, ist da »), est l’objet de résolutions exceptionnelles, les septièmes diminuées s’enchaînant aux accords de sixtes augmentées (« bist du mein ») puis aux neuvièmes de dominante (« bin ich treu ? »). 388 La scène se referme sur une musique descriptive illustrant la propagation du feu. Un motif en sextolets de croches donne, par ses répétitions et son ascension régulière vers l’aigu, l’impression de flammes se mul- 80 L’Avant-Scène Opéra n° 270 tipliant et se rapprochant (ex. 24). Les harmonies diminuées, les interventions de plus en plus succinctes des voix et le cri final (« Weg ! ») laissent pressentir un danger imminent. «««««« «««««« «««««« «««««« § § bb & b b b C _œ œ n œ œ _œ _ l _œ b œ n œ œ _œ = ß ll============== __œ ll n _œ l f l l dim. § l § Íl b l l œ œ œ l l============== ? b b b b C __Eœ œ n œ œ n œ l œ b œ n œ œ = Exemple 24 : l’incendie ACTE V schon wird der Feuerbrand genährt ; wer hier betroffen, ist verflucht, sein Tod dem Mörder ein Verdienst – in meiner Hand zuckt selbst der Stahl : dein Bruder fällt, er fällt durch mich ! Tod und Verderben, sieh, ist da ; nun bist du mein ! Sag, bin ich treu ? Zu deinen Füßen lieg’ ich hier ! Sieh meine Liebe, sieh meine Treu’! 388 IRENE (ihn abwehrend) Verruchter ! Die Hölle rast in dir ! Nichts hab’ ich mehr mit dir gemein ! Hier stehe ich, eine Römerin ! [...//] Nur meine Leiche nennst du dein ! (Man hört verworrenes, anwachsendes Getümmel von außen.) 389 ADRIANO Sie kommen… ! Ha ! Die Flamme glüht ! Entsetzen ! Wahnsinn ! Auf, Irene ! 390 IRENE Laß mich, ich fühle Riesenkraft ; Gott hilft mir, dir zu widerstehn ! 391 ADRIANO Nein ! Du darfst nicht sterben, dein Tod trifft mich ! Komm mit, ich reiße dich hinweg ! (Er sucht sich Irenens gewaltsam zu bemächtigen.) 392 IRENE Vergeh, Wahnsinniger ! Frei bin ich ! (Sie hat mit wütender Gewalt Adriano von sich geschleudert und entflieht. Adriano ist zu Boden gesunken.) 393 ADRIANO (rafft sich starren Blickes auf.) O du bist mein ! Durch Flammen selbst find’ ich den Weg ! (Ab. Die Szene verwandelt sich.) déjà on attise le feu. Celui qu’on trouve ici est maudit, sa mort, un acte de bravoure de son assassin – dans ma main brille l’acier : ton frère tombera, il tombera par moi ! La mort et la ruine, vois, elles sont là, maintenant tu es à moi ! Dis-moi, suis-je fidèle ? Je suis couché à tes pieds ! Vois mon amour, vois ma fidélité ! IRÈNE (le repoussant) Infâme, c’est l’enfer qui se déchaîne en toi ! Je n’ai plus rien en commun avec toi ! Me voici debout, moi, une Romaine, [...//] Seul mon cadavre sera pour toi ! (Du dehors on entend une foule en désordre, de plus en plus grande.) ADRIANO Ils arrivent… ! Ha ! La flamme rougeoie ! Horreur – folie ! Allons ! Irène ! IRÈNE Laisse-moi ! Je me sens une force de géant ; Dieu m’aide à te résister ! ADRIANO Non ! Tu ne dois pas mourir ! Ta mort me frappera ! Viens, je t’arrache à ces lieux ! (Il essaie de s’emparer d’Irène par la force.) IRÈNE Disparais ! Fou ! Je suis libre ! (Elle a repoussé avec la force de sa colère Adriano et s’enfuit. Adriano s’est effondré au sol.) ADRIANO (se redresse, le regard fixe.) Oh, tu es à moi ! Même à travers les flammes, je trouverai le chemin ! (Il sort. La scène se transforme.) L’Avant-Scène Opéra n° 270 81 Chantal Cazaux Nicola Lorenzo dit Cola di Rienzo Qui fut « Rienzi, le Dernier des Tribuns » ? Un personnage historique qui, avant d’être choisi par Wagner pour protagoniste de son grand opéra tragique, avait inspiré plusieurs dramaturges (François Laignelot en 1791, Mary Russell Mitford en 1828), un romancier (Edward Bulwer-Lytton en 1835), et allait être étudié au XXe siècle par plusieurs historiens et biographes. Portrait du « vrai » Rienzi. Gravure sur cuivre représentant la maison natale de Cola di Rienzo à Rome. D.R. 86 L’Avant-Scène Opéra n° 270 Fresque de Mario Giovanetti (XIVe s.) représentant le pape Clément VI. Avignon, Palais des Papes, chapelle Saint-Martial. D.R. à droite : Cola di Rienzo, statue de Girolamo Masini (1877). Rome, colline du Capitole. Photo Ron Reznick. Fils de taverniers, Nicola Lorenzo naît à Rome en 1313. La « Ville éternelle » est alors une cité dépeuplée, pauvre et soumise aux luttes de pouvoir de factions rivales – notamment les clans des Colonna et des Orsini. En outre, depuis 1309, le pape Clément V et la Curie se sont installés à Avignon: non seulement Rome n’est plus la capitale du monde occidental… mais elle a chu de son rang de ville pontificale. Ascension intellectuelle et politique Malgré ses origines modestes, Nicola Lorenzo étudie les lettres latines et le droit, et devient notaire. Passionné d’Antiquité, il s’enthousiasme pour la Lex de Imperio Vespasiani, qui documente l’accession démocratique de Vespasien au rang d’empereur en 69. Il s’engage dans la vie de la cité et, en 1342, visite le pape Clément VI à Avignon en tant que légat de Rome. Il y séjourne une année, le temps de lier amitié avec Pétrarque. Il tente de sensibiliser ClémentVI à la déréliction de la vie politique romaine. Plusieurs idéaux le guident simultanément : retrouver le prestigue de l’antique Roma, réconcilier l’État et l’Église, lutter contre l’arbitraire du pouvoir des patriciens. S’il s’attire ainsi beaucoup d’ennemis parmi les barons de Rome, il reste néanmoins sous la protection du pape qui le nomme notaire de la Camera Capitolina. Il en profite pour attiser la colère du peuple romain contre les puissants. Le pouvoir et son ivresse En février 1347, Cola di Rienzo prend la tête d’une délégation populaire qui marche sur le Capitole. Acclamé, nommé au commandement de la ville, il prend le titre de tribun. Les notables romains doivent déclarer leur soumission, et Cola lance des luttes armées contre les barons réfugiés à l’extérieur de la ville – l’une de ses ambitions étant de réaliser une union des cités et provinces alentour. Mais des dérives apparaissent dans sa politique qui verse dans l’arbitraire et la mégalomanie mystique : il organise maintes cérémonies à sa gloire, toujours plus triomphales, jusqu’à s’immerger dans le baptistère de Saint-Jean-de-Latran et se faire couronner à l’égal d’un empereur. C’en est trop, à la fois du point de vue du pape qui l’accuse d’hérésie, et de celui du Saint Empire romain. Privé de soutien, il voit tourner à son désavantage les nouvelles émeutes populaires et fuit finalement la ville. Il n’abandonne pourtant pas tout espoir, ni toute illusion: il s’adresse même à l’empereur Charles IV, prétendant être le fils naturel de son père et prédécesseur Henri VII (!) ; emprisonné, il annonce l’Apocalypse et se consacre à l’écriture. Les Cent jours ? Étrangement, quelques années plus tard, le sort lui est de nouveau favorable : Clément VI meurt en 1352, et son successeur Innocent VI absout Cola de tous ses péchés… l’intégrant même à sa délégation pour Rome ! Il s’agit alors de mater de nouveau les baronnies rivales, mais cette fois pour le compte du pouvoir papal. Cola di Rienzo reconquiert donc Rome en 1354 pour le légat du pape, mais retombe ensuite dans ses travers précédents – arbitraire, violences, gestion calamiteuse. L’adoration ancienne se mue alors en haine populaire, et ses ennemis fomentent aisément son assassinat, qui survient au cours d’une émeute l’année même de son retour à Rome, à l’âge de 41 ans. Ainsi le « Dernier tribun romain », après avoir préfiguré les révolutions populaires, semble-t-il tout autant annoncer le destin chaotique d’un Napoléon... L’Avant-Scène Opéra n° 270 87 Entretien avec Jorge Lavelli Mettre en scène RIENZI Propos recueillis par Sofiane Boussahel le 3 juillet 2012 Dramaturge au Théâtre du Capitole de Toulouse RIENZI au Théâtre du Capitole, Toulouse 2012 Direction musicale : Pinchas Steinberg Conception et mise en scène : Jorge Lavelli Dominique Poulange: Collaboration artistique Ruth Ortmann : Collaboration artistique Scénographie : Ricardo Sánchez Cuerda Costumes : Francesco Zito Lumières : Jorge Lavelli et Roberto Trafferi La nouvelle production de Rienzi au Théâtre du Capitole de Toulouse est un événement en France, où l’ouvrage n’a pas été représenté depuis plus d’un siècle. Le metteur en scène franco-argentin Jorge Lavelli, familier du théâtre comme de l’opéra et découvreur de répertoires exigeants, livre ici ses réflexions sur l’ouvrage méconnu de Wagner. S.B. Quelles sont vos expériences passées avec Wagner et notamment Rienzi ? J.L. Le fait d’avoir autrefois mis en scène Le Vaisseau fantôme à Naples m’a conforté dans l’opinion selon laquelle toutes les œuvres de Wagner ouvrent des chemins particuliers à explorer. De plus, Rienzi rejoint la plupart de mes préoccupations artistiques passées et actuelles. Je me souviens d’avoir vu cet ouvrage à Buenos Aires, probablement à l’âge de douze ans. Il y avait alors beaucoup d’Allemands dans la capitale argentine. Quand j’écoute Rienzi aujourd’hui, il me semble clair que bien des idées y prennent corps, qui se retrouvent dans les ouvrages ultérieurs du compositeur. J’aime beaucoup cette œuvre dans laquelle une forme de révolte sous-jacente explique, à mon avis, le grand succès rencontré lors de la création et à chacune de ses productions postérieures. On peut entendre Rienzi à la lumière de ce qu’on sait de l’activité politique de Wagner, de sa lecture de Proudhon ou de Bakounine. C’est en effet une dimension particulièrement intéressante de son parcours. Ainsi, la thématique de Rienzi, bien que les personnages soient réels, apparaîtra comme hors du temps. Je veux parler bien sûr de cette sorte de dialectique ayant trait à la question du pouvoir, mise en place par Wagner et contenue dans le sujet même de Rienzi ; le personnage principal est un « tribun» prétendant défendre les intérêts du peuple, contre qui le peuple finit par se retourner. La musique est mobilisatrice, portée par une force, une énergie. Cette énergie, dans un contexte d’opposition constante entre le sentiment de pardon et les actes de trahison, sous-tend un climat de perpétuel combat: la trahison domine et en fin de compte l’emporte. Comment mettre de côté le contexte historique très précis de l’argument pour extraire une substance théâtrale dont la portée serait plus universelle ? Wagner a voulu en effet que la dimension politique soit moins caractérisée historiquement, et ce à la faveur d’un niveau de lecture plutôt philosophique. À l’histoire de 122 L’Avant-Scène Opéra n° 270 Stefan Heidemann (Paolo Orsini) et le Chœur de l’Accademia Teatro alla Scala à l’acte I. Tommaso Le Pera. Ci-dessous : Stefan Heidemann (Paolo Orsini), Marika Schönberg (Irene) et le Chœur de l’Accademia Teatro alla Scala à l’acte I. Tommaso Le Pera. Rienzi qui se passe à Rome, au XIVe siècle, s’ajoute pour nous le contexte allemand de l’époque à laquelle a vécu Wagner. La situation de fond, cependant, est d’abord et avant tout la lutte pour la conquête du pouvoir dans le cadre d’un régime autocratique dominé par un exécutif éclairé ; une lutte contre une noblesse héréditaire qui se voit reléguée au second plan. Ce sont des situations concrètes qui se vivent dans le monde contemporain. Malgré ses tendances « anarchistes », une fois qu’il prend le pouvoir, le personnage de Rienzi a besoin de structures et d’appuis, notamment du soutien du pape. L’hésitation entre deux formes de pouvoir constitue tout l’intérêt dramaturgique de l’ouvrage en même temps qu’il est un problème à résoudre. Car ce qui est porté à la scène dans Rienzi, c’est avant tout une immense déception face à la croyance en la perfection de l’être humain et en ses capacités de s’améliorer. Il m’a semblé important de concentrer l’action dans un dispositif scénique, conçu avec Ricardo Sánchez Cuerda, fait de lourdes portes de métal, à la fois évocateur d’un lieu ouvert et fermé : par moment ce dispositif scénique enferme les personnages, à d’autres moments il leur ouvre des possibilités d’évasion. L’Avant-Scène Opéra n° 270 123