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Dimanche 9 Mars 2008
Avec le pasteur Nicolas COCHAND, professeur à la Faculté de théologie
protestante de Montpellier.
Les gros mots de la théologie (3/3) : Le péché.
Luc 6, verset 20.
Musique : Adrian Leroy. Psaume 104 Le psautier de Genève. Cascavelle.
Ouverture : Sous le signe de la grâce, prononcer un mot qui fait mal
NC : Bonjour à vous qui nous écoutez, merci de m’accueillir chez vous.
Théovie, le service de formation à distance de l’Eglise réformée de France, vous a proposé
cette série sur les gros mots de la théologie. Ce matin, pour cette troisième émission, je vais
prononcer un mot qui fait problème, le mot « péché ».
Mais commençons par l’essentiel. Une célébration commence toujours par dire l’essentiel.
Dans un culte protestant, on rappelle que Dieu accorde sa reconnaissance inconditionnelle à
toute personne. On dit que la grâce et la paix nous sont données. La célébration catholique,
quant à elle, commence par le dialogue de paix : « La paix soit avec vous ».
Je crois qu’il est particulièrement important, ce matin, de rappeler que l’ensemble de ce que
je dirai se place sous le signe de la paix. Je pars de la reconnaissance inconditionnelle
offerte à chacun et j’y reviendrai, à cette reconnaissance, à cette grâce.
Particulièrement important, disais-je, car le thème de ce matin est de ceux qui fâchent et
risquent de nous faire perdre de vue l’essentiel.
Un gros mot ! Dans le langage populaire, un gros mot c’est un mot qu’on ne prononce pas
justement, parce qu’il est jugé « gros », grossier. Un gros mot, l’expression est
particulièrement bien choisie pour le thème de ce jour. S’il est un mot, dans le langage
chrétien, qui écorche les oreilles, s’il est un mot qui suscite la controverse, c’est bien le mot
péché. Le péché…
Je dois admettre que c’est avec un peu de crainte et de tremblements que j’ai choisi, dans
cette série conduite par Théovie, d’aborder ce thème. Je prends un risque. Le mot péché est
de ceux qui font mal. Pour certaines personnes, il évoque ce qu’il y a de détestable dans la
religion chrétienne, un esprit de jugement et d’exclusion ; il amène avec lui un sentiment de
faute et de culpabilité ; il évoque une tendance au rabaissement voire au mépris de soi. Pour
les uns, ce mot « péché » est inacceptable, pour les autres, il reste incompréhensible. Quel
poids dans un seul mot !
Alors, pour alléger ce poids, j’aimerais aborder le thème en dialogue avec une chanson,
comme en écho. J’ai choisi une chanson de Jean-Jacques Goldmann, qui s’intitule « Peur de
rien blues », tirée de l’album Entre gris clair et gris foncé, qui date de 1987.
La chanson ne parle pas de péché, ni de religion, mais des choses qui travaillent notre
conscience. C’est pour cela que je me permets de faire le lien.
Quand on parle de péché la première chose qui vient à l’esprit, c’est la morale. Cette
fameuse morale judéo-chrétienne qui détermine le bien, le mal... Des générations depuis les
années soixante ont cherché à s’en libérer de cette morale, mais le mot « péché » semble
suffire à la faire revenir. Et avec elle vient la conscience, plutôt la mauvaise conscience.
Le péché, ce sont toutes les choses interdites, celles qui suscitent l’envie et la tentation.
Musique : Jean-Jacques Goldmann. "Peur de rien blues" plage 17 du CD Entre gris clair et
gris foncé. EPC 460404 2.
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Parler de péché, c’est porter un jugement sur la personne. En fait, ce jugement, nous l’avons intégré. Il se
passe au-dedans de nous. C’est comme si nous avions institué un tribunal intérieur. Nous nous convoquons
nous-mêmes devant ce tribunal, nous prononçons nous-mêmes le réquisitoire. Pour nous-mêmes, nous avons
tendance à être des juges sans pitié.
Musique : Jean-Jacques Goldmann. "Peur de rien blues" plage 17 du CD Entre gris clair et gris foncé. EPC
460404 2.
En même temps, nous élaborons toutes sortes de stratégies pour échapper au sentiment de culpabilité qui
émane de notre tribunal intérieur. Pour le poète, c’est la guitare. La piécette par exemple, celle que nous
donnons au mendiant, est-ce qu’elle fait plus de bien à la personne à qui nous l’avons donnée ou à notre
mauvaise conscience ?
Musique : Jean-Jacques Goldmann. "Peur de rien blues" plage 17 du CD Entre gris clair et gris foncé. EPC
460404 2.
Tout se passe comme si rien n’avait changé. J’ai commencé par rappeler que tout commence et tout finit par
la reconnaissance inconditionnelle de Dieu. Le mot « grâce » prend tout son sens maintenant. Après le
jugement sans appel de notre tribunal intérieur, seule une grâce extérieure peut nous sortir du cycle infernal de
la mauvaise conscience.
Alors, que Dieu nous mette au cœur l’assurance de son pardon. Que Dieu nous mette au cœur l’assurance de
sa reconnaissance inconditionnelle.
Du blues au negro spiritual, la transition est facile et je la risque car le chant exprime l’expérience de cette
grâce et de l’appel qui lui est lié.
Musique : John Littleton. Les plus beaux negro spirituals & gospel songs. "Packing up" Plage 19 CD2.
Auvidis A 6180.
Nous sommes dans une série sur les gros mots de la foi. Aujourd’hui nous avons pris le gros mot par
excellence, le mot « péché ». Dans un premier temps, j’ai évoqué le fait que ce mot éveille en nous des relents
de mauvaise conscience, de sentiment de culpabilité. J’ai rappelé que c’est à partir de la grâce
inconditionnelle de Dieu que nous pouvons examiner sereinement ce que peut être ce péché. Pour aller plus
loin, on peut dire que c’est justement l’expérience de la reconnaissance inconditionnelle de Dieu qui nous
permet de porter un regard lucide sur nous-mêmes et sur notre monde.
J’aimerais maintenant souligner une nouvelle dimension de la réalité humaine qu’on désigne parfois par le
mot péché, une dimension qui, à mon avis, est plus fondamentale qu’un catalogue de fautes réelles ou
supposées.
Cette dimension de notre existence je la vois se jouer entre la maîtrise et la perte de maîtrise. Je vais prendre
pour exemple dans un domaine qui nous concerne tous, d’une manière ou d’une autre, c’est la voiture. Là il
me semble qu’on voit tout de suite ce qu’est une perte de maîtrise. C’est quand on ne contrôle plus son
véhicule et que seule la chance, c’est-à-dire ce qui ne dépend pas de nous, peut nous éviter un accident grave
ou tragique.
Quand on s’installe dans sa voiture, on a le sentiment d’entrer dans un espace protégé, d’être en sécurité.
C’est important de se sentir en sécurité, je crois que cela détermine souvent le choix du véhicule. C’est le
sentiment de sécurité qui donne tant d’attrait aux 4x4, ces gros tout-terrain qui envahissent nos villes.
Notre voiture est un peu comme une extension de nous-mêmes. Vous me direz que c’est particulièrement vrai
pour les jeunes conducteurs et vous aurez raison, mais si on y pense, on y met tous un peu de notre identité,
même si parfois c’est a contrario : on y met un peu de notre sentiment de liberté. D’ailleurs c’est pour plus de
liberté, plus d’indépendance qu’on rêve d’avoir une voiture. Et cette quête d’identité, cet espace de liberté, ce
désir d’indépendance, ce sont des aspirations légitimes, ce sont des moteurs de notre vie, de notre humanité.
Mais la voiture peut en devenir le piège. Imaginez que vous venez d’acquérir une nouvelle voiture. Vous avez
votre véhicule, tout beau, tout neuf, puissant, solide, sûr, et en plus la publicité vous a fait comprendre qu’elle
pollue moins… Voici qu’au volant vous vous sentez maître de la situation. Le danger guette. Ce danger, c’est
l’illusion qu’il n’y a pas de limite à cette maîtrise. La maîtrise du véhicule devient sentiment de puissance, et
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même de toute-puissance, et avec lui, un sentiment d’invulnérabilité. Il ne peut rien m’arriver ! C’est
précisément là que se joue le passage. Quand la maîtrise – qui est nécessaire à la conduite du véhicule – quand
la maîtrise devient un sentiment de puissance. La perte de maîtrise, c’est très rarement le résultat d’une faute
volontaire et encore moins d’une intention. La perte de maîtrise surgit de l’illusion de maîtrise et du fantasme
de toute-puissance.
Est-il vraiment nécessaire d’en arriver à l’accident pour l’admettre ?
Plus largement, ce qui est vrai pour la voiture l’est pour toute notre vie. Je crois que nous sommes à la merci
de l’illusion de maîtrise, et elle peut nous conduire, aussi bien personnellement que collectivement, aux pertes
de maîtrise les plus inattendues et parfois les plus douloureuses. Ce n’est pas une question de volonté. La
meilleure volonté, la meilleure discipline, la meilleure concentration ne nous permet pas d’avoir l’œil à tout.
Ce n’est pas à notre mesure, tout simplement. Notre réalité d’hommes, de femmes, c’est plutôt que lorsque
nous faisons de grands efforts pour maîtriser un aspect de notre vie, au même moment un autre aspect s’en va
à vau-l’eau et bien souvent, nous nous en rendons compte trop tard. Maîtriser totalement sa vie ? C’est une
illusion…
Cette illusion est aussi une réalité collective. Là non plus, ce n’est pas une question de volonté. Je ne voulais
pas, se défend-on volontiers. Evidemment que personne ne voulait ! Personne ne voulait les déportations.
Pourtant elles ont eu lieu. C’est du passé, me dites-vous ? Alors parlons au présent : personne ne veut que des
enfants meurent de faim. Pourtant cela se passe à l’instant où je vous parle. Personne ne veut, non plus, que
des enfants soient arrachés à leur famille pour satisfaire la soif d’enfant d’autres familles. Personne ne veut
que des gens meurent sur la route. Pourtant cela se produit chaque jour…Combien, ce week-end, en France ?
Vingt ? Trente ?
Recevoir la reconnaissance inconditionnelle de Dieu nous amène aussi à porter un regard lucide sur notre
monde. Maîtriser le monde, maîtriser notre vie, ce n’est pas à notre mesure. Le péché, de ce point de vue, ce
n’est pas d’échouer, c’est cette puissance impalpable qui cultive l’illusion qu’avec plus de savoir-faire, plus
de volonté, plus de ceci et plus de cela, nous serons en mesure de tout maîtriser.
Je vous propose une respiration avec un psaume du XVIe siècle en version instrumentale :
Musique : Pierre Creton. "Psaume 130" (mélodie) plage 7 Le psautier de Genève. Cascavelle.
J’ai eu l’audace de prononcer un gros mot de la foi, le mot péché. J’ai évoqué les idées de faute et de
culpabilité que ce mot porte avec lui. J’ai pris ensuite l’exemple de la voiture pour parler du sentiment de
maîtrise, qui peut conduire à l’illusion de toute-puissance et d’invulnérabilité. Cette illusion nous conduit tout
droit à la perte de maîtrise et peut parfois entraîner l’humanité au pire. Parvenus à ce point, nous sommes en
danger de fatalisme. C’est pourquoi j’aimerais maintenant revenir au cœur du message évangélique.
Le cœur du message chrétien, je le vois condensé dans des paroles prononcées par le Christ qu’on appelle
« les béatitudes ». Je vous en dis une, la première, telle qu’elle est rapportée dans l’Evangile de Luc, chapitre
6, verset 20 : « Heureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. ». Cette béatitude est aussi rapportée
par l’évangile de Matthieu, de manière un peu différente mais pas contradictoire à mon avis : « Heureux les
pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! ».
Je reformule la béatitude en une question : Heureux sommes-nous, les pauvres, car le royaume de Dieu est à
nous ?
Je la formule comme une question, cette béatitude, parce que justement, il y a plusieurs réponses possibles, et
que la réponse appartient à chacun.
Accueillir la reconnaissance inconditionnelle de Dieu, c’est se savoir destinataire de la béatitude. A qui le
Christ s’adresse-t-il ? Heureux êtes-vous, les pauvres ? La première question qui nous est adressée est celleci : est-ce que c’est à nous qu’il s’adresse ? Est-ce que je suis en mesure de me ranger parmi les pauvres ? Ou
alors, je suis parmi les riches, qui sont destinataires d’une autre parole de Jésus dans le même passage de Luc,
mais cette parole est une malédiction : « Malheur à vous, les riches, car vous avez touché votre salaire ! ».
Pour le redire avec les mots que j’ai utilisés tout à l’heure, je pourrais dire : Malheur à vous, qui cultivez
l’illusion de tout maîtriser, d’assurer, de ne jamais commettre de faute et de ne jamais perdre la maîtrise.
Mais heureux êtes-vous lorsque vous avez compris que c’est une illusion, que la vie ne se gagne pas par la
maîtrise absolue mais au contraire en lâchant prise !
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Heureux êtes-vous, car le Royaume de Dieu est à vous.
Heureux êtes-vous, car Dieu est proche de vous.
Dieu ! Nous l’avions imaginé un peu comme le grand policier, un « super flic » qui pose des radars le long de
nos routes, qui surveille nos écarts de conduite et nous fait perdre des points à tous les coups. Mais ce n’est
pas cela du tout ! C’est justement cela qui nous perd, c’est d’imaginer que le permis de vivre se gagne point
par point. Ce n’est pas possible, c’est une illusion. La vie n’est pas un permis à points.
Heureux êtes-vous, heureux êtes-vous quand vous acceptez de perdre la maîtrise. Vous avez commis des
fautes ? La belle affaire ! Si on veut quand même parler des points, sachez que Dieu les accorde en
abondance. Ce qui les fait perdre, ce ne sont pas les fautes commises. Ce qui nous fait perdre des points, c’est
notre course effrénée au contrôle et à la maîtrise, tous ces efforts que nous faisons pour nous cacher à nousmêmes nos multiples transgressions quotidiennes.
Sur les routes de la vie, il nous arrive de dépasser, comme d’être dépassés. Mais peut-on se dépasser soimême ? On peut apprendre, assurément. On peut progresser, c’est sûr ! Mais peut-on apprendre sans lâcher
quelques certitudes ? Peut-on progresser sans quitter ce qu’on pensait maîtriser ?
Heureux êtes-vous quand vous lâchez prise et que vous vous en remettez à un autre. A celui qui, précisément,
vous adresse sa bénédiction : heureux êtes-vous, car le royaume de Dieu vous appartient.
Alors, la prochaine fois que vous passerez devant un radar, souriez : vous n’avez pas perdu de points au
permis de la vie, car Dieu les accorde inconditionnellement.
Bénédiction :
Que la grâce de Dieu vous accompagne sur votre route. Dieu vous accorde sa paix, lui qui est Père, Fils et
Saint Esprit.
Musique : John Littleton. Les plus beaux negro spirituals & gospel songs. "In the heaven" plage 3 CD2.
Auvidis A 6180.
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