Guidance du jeune enfant : rien ne sert de courir, il faut partir

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Guidance du jeune enfant : rien ne sert de courir, il faut partir
réalités pédiatriques # 150_Mai 2010
Mises au point interactives
Guidance du jeune enfant :
rien ne sert de courir,
il faut partir sereinement…
Aspect culturel
➞ C. JOUSSELME
Service de Pédopsychiatrie,
Fondation Vallée, GENTILLY.
INSERM U669.
inflation des demandes aux
psychiatres à propos de
bébé tyrans, d’enfants agités, hyperactifs ou présentant des
“troubles des conduites”, est évidente
de nos jours. La présence de messages
médiatiques forts, précisant que l’enfant doit forcément être précoce pour
bien grandir, l’idée que certains jouets
ou matériels peuvent être davantage
“éducatifs” que l’intervention des
parents, font que beaucoup de familles se sentent perdues dans leur accès
à la parentalité.
L’
C’est pourquoi le pédiatre est souvent
interpellé sur les enjeux des premières phases de développement, et la
manière pour les parents d’éduquer
correctement leur enfant.
Notre société se situe davantage dans
la surface que dans la profondeur,
dans l’avoir plutôt que dans l’être.
Elle garde un culte de l’idéal, tout à
fait inhumain, et accélère perpétuellement le mouvement, aussi bien pour
les adultes que pour les enfants. Or,
quelle que soit la culture, le système
de pare-excitation est essentiel dans le
développement de l’enfant. En effet,
celui-ci a besoin de se sentir contenu,
protégé de trop de stimulation, pour
mettre en place progressivement ses
processus de pensée, en concentrant
son attention sur les contrastes entre
les choses, entre les stimulations.
Plus l’enfant est soumis à des stimulations trop fortes, plus très jeune il est
confronté à la violence, à des mécanismes paradoxaux ou pervers, plus il est
en difficulté secondairement pour
bien trouver sa place à la fois au sein
de sa famille et dans la société. L’idée
que tout enfant doit être précoce a
beaucoup poussé les chaînes de télé à
diffuser des émissions pour bébés ou à
fabriquer des jeux vidéo pour les plus
jeunes. La pensée proposée par ces
jeux est toujours en tout ou rien, en on
ou off, en “oui ou non”. Cette pensée
précâblée n’est pas du tout positive
pour le bébé qui a besoin au contraire
de laisser aller sa propre créativité en
lien avec celle de ses parents.
L’interaction autour de programme de
télé, quel qu’il soit, est inadaptée au
fonctionnement du bébé. En effet,
l’image le capte, concentre son énergie, et il n’y a plus du tout de place
pour l’interaction avec l’autre dans cet
échange. Du coup, les émotions ne
sont pas liées aux apprentissages, et
l’enfant y perd de l’humanité. Par ailleurs, la consommation précoce d’humour complètement décalé par rapport au développement de l’enfant
(deuxième degré) ou d’images traumatiques ne peut que dérouter les mécanismes de pensée et pas du tout les
pousser à se développer correctement.
Les enjeux des premiers stades
de développement
L’évolution de l’enfant entre 0 et 6 ans
prend du temps. Il passe d’une
dépendance absolue à un monde
socialisé déjà très codifié en CP. Il sait
alors pourquoi il est un garçon ou une
fille ; à quoi servent les différences de
génération. Durant tout ce développement, ses performances ne sont pas
linéaires, et tout passe par l’échange
dans “l’être” et sûrement pas par la
mise en place de protocoles éducatifs,
de recettes. Si on prend l’exemple du
langage, pour en acquérir le code,
l’enfant doit avoir envie de communiquer, ce qui passe par des échanges
émotionnels forts avec ses parents.
L’idée est donc de proposer aux
parents d’aider leur enfant à se développer à leur rythme, selon leur style
de parentalité, mais aussi selon le
style de personnalité de leurs propres
envies, leurs capacités, au lieu d’effectuer des “couper/coller”, de solu-
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réalités pédiatriques # 150_Mai 2010
Mises au point interactives
tions correspondant à certains et pas
à d’autres.
Les phases de développement s’enchaînent les unes aux autres, chacune
établissant des repères sur lesquels
l’enfant va s’appuyer pour passer au
stade suivant. Aucun développement
n’est linéaire, peu de choses sont irréparables. L’enfant avance comme à
l’âge de la pierre polie, en revisitant
progressivement des conflits internes
complexes pour lui, et en les dépassant peu à peu. Parfois, il régresse,
parfois il avance, en tout cas l’idée est
de ne pas le pousser à aller trop vite
ou trop fort. Ainsi, les paramètres
affectifs, cognitifs, psychomoteurs
seront correctement articulés, et l’enfant ne se sentira pas en surpression
de réussite normative, ce qui ne peut
que l’inhiber ou l’agiter.
Dans les premiers mois, le bébé constitue des réserves narcissiques pour toute
sa vie. Il a besoin de penser que c’est lui
qui crée le monde [1], de vivre profondément qu’il est celui qu’on attendait et
de sentir à côté de lui des parents bienveillants et attentifs qui lui permettent
de décoder les messages de son propre
corps qu’il n’arrive pas encore à bien
analyser. Peu à peu, il a besoin de développer sa capacité à jouer, pour découvrir le monde, dans des jeux d’imagination, et non de règle, jeu qui développe
sa créativité. Pour cela, il a besoin de
parents qui l’autorisent à grandir, à
prendre du champ, ce qui prépare
confortablement ses apprentissages
postérieurs. Les parents doivent alors
être disponibles, ouverts à la surprise
que leur enfant peut provoquer en eux
par ses comportements ou ses inventions, et dans l’envie de co-créer avec lui
des jeux dont ils ne connaissent pas
d’emblée le développement.
L’importance de la mise en place de
mécanismes d’identification doit être
positionée aux parents, mécanismes qui
dépendent bien entendu de l’histoire
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des parents, notamment transgénérationnelle, et qui s’appuient sur l’être et
non sur l’avoir. Pour cela, les parents
doivent avant tout partager avec leur
enfant et non lui imposer des comportements ou lui donner des objets censés
être davantage éducatifs que l’échange
lui-même. Il faut informer les parents
du risque de surconsommation d’images possiblement dangereux pour le
jeune enfant. En effet, les images clé en
main, consommées très tôt, provoquent
une passivité, qui efface l’envie de communiquer par le langage et formatent la
pensée en appauvrissant l’imaginaire.
En effet, l’enfant devient dépendant à
des images produites pour lui, et ne
peut plus se créer de véritable représentation. Secondairement, bien sûr, si ces
images sont violentes et traumatiques,
l’enfant a plutôt tendance à avoir des
comportements d’imitation, sans perception de la souffrance de l’autre. Prôner la lecture ou les jeux non éducatifs
mais ouverts, semblent la meilleure
solution pour aider les parents à trouver
leur place.
Les limites
Pour bien grandir, l’enfant a besoin de
limites pour passer du principe de
plaisir à celui de réalité. Les parents
doivent les poser en sachant qu’elles
doivent être cohérentes, fiables,
situées dans une continuité, ce qui
permet à l’enfant de les anticiper.
Nul parent n’est parfait, et finalement
cela est bien : en effet, par ses imperfections il personnalise sa parentalité,
ce qui fait que son enfant le reconnaît
comme son propre parent. Le parent
doit donc poser à certains moments
des interdits, frustrer l’enfant à bonne
dose, pour qu’il se représente l’objet
absent. Secondairement, il sera alors
capable de faire des efforts pour dans
sa tête se créer un monde imaginaire
l’aidant à peupler sa vie psychique
interne.
Conclusion
Une guidance parentale utile comprend cinq axes :
> Parents et enfant doivent tricoter, et
chaque maille perdue peut être rattrapable. Chaque parent et chaque
enfant a son propre style pour la rattraper. Les parents ont simplement
besoin d’être attentifs et bienveillants,
en sachant que l’histoire de chacun
provoque une résilience plus ou
moins forte à laquelle le pédiatre doit
être attentif.
> Les limites sont utiles : l’enfant a
besoin de les hiérarchiser, de comprendre au quotidien les fonctionnements ordinaires et exceptionnels.
> On ne peut pas vivre en dehors de
sa culture, et les parents doivent avoir
conscience des dangers de la nôtre,
sans pour cela la mettre à la poubelle.
> La force de l’image répétitive
balaye celle des mots et de l’imaginaire, surtout si ces images sont traumatiques, vues très tôt, régulièrement,
par de très jeunes enfants sans encadrement.
> La surface n’est pas primordiale.
L’essentiel est invisible pour les
“yeux”, “l’être” doit être supérieur à
“l’avoir”, seul le partage entre parents
et enfant permet une bonne évolution
de l’enfant dans tous les domaines.
Bibliographie
1. WINNICOTT DW. De la pédiatrie à la psychanalyse. 1969, Payot, Paris.
2. GRAINDORGE (JOUSSELME) C. Quand bébé
grandit. 2006, Leduc.
3. JOUSSELME C. Comme l’aider à avoir
confiance en lui. Collection Comment l’aider, 2010, Milan.
L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflit d’intérêt concernant les données publiées dans
cet article.