Travailler à chercher du sens

Transcription

Travailler à chercher du sens
+
Prévenir l’épuisement
professionnel
Marchal Serge (2015)
+
Le burn-out

Beaucoup le considèrent comme le mal professionnel de notre
siècle.

Est une maladie du trop, comme la toxicomanie.

Les anglo-saxon ont d’ailleurs inscrit dans un autre terme la
parenté entre ces deux univers très différents en forgeant
workaholic.

Dans les deux cas, un équilibre est rompu.

Une activité humaine est devenue impérieuse et addictive
mettant littéralement le feu au système psycho physique.
+
Passionnante généalogie

Le terme est apparu dans une étude de psychologie de Bradley en
1969.

Repris par Freudenberger qui travaillait avec des toxicomanes, à qui
le terme burn-out était parfois appliqué. (1974)

Le personnel soignant montrait aussi des signes d’épuisement
émotionnel et mental : trop de travail, trop d’idéalisme, trop
d’investissement.

Il se sentait vidé, exténué, incapable de récupérer. Il en faisait
toujours plus, s’isolait, niait le malaise jusqu’à un phénomène de
dépersonnalisation : attitudes cyniques, comportements
autodestructeurs, profonde autodépréciation.
+
Passionnante généalogie



Expression utilisée dans les
léproseries pour parler des cas
où la maladie trouve un arrêt
après la perte des orteils et des
doigts.
Ainsi le burn-out, maladie qui
brûle tout de l’intérieur est-il le
signe d’une guérison, d’un
dépouillement, d’une libération.
C’est toute son ambiguïté
étonnante qui résonne avec la
situation actuelle : à la fois
syndrome d’épuisement et
possibilité de changement
+
Le burn-out

Aujourd’hui, il peut apparaître comme une pathologie propre à
notre société technico capitaliste, qui exige toujours plus de
rendement, d’efficacité.

Elle est la maladie du trop : trop de vitesse, d’objet, d’échanges
et de combustion mentale et physique.

Les victimes de burn-out ne sont ni des paresseux, ni des
inadaptés. Ce sont les bons élèves, ceux qui s’investissent le
plus, les plus idéalistes.
+
L’ancêtre, l’acédie

Ce trouble mélancolique touchait
les moines les plus pieux. Tout d’un
coup ils éprouvaient un immense
sentiment de vide, d’angoisse, de
remise en question de leur foi.

Cette crise de foi semble
aujourd’hui affecter les croyants les
plus zélés dans une société qui
idolâtre le travail.

Acédie au Moyen Age ; spleen au
XIX siècle neurasthénie au début
du XX siècle, burn-out aujourd’hui :
les formes changeantes de notre
civilisation s’accompagnent chaque
fois de nouvelles pathologies.
Jérôme Bosch 1500 Madrid
+
L’acédie

L’acédie fut pour l’église ce que le burn-out est au monde de
l’entreprise.

L’analogie la plus marquante est que ces affections
débouchent sur un même état : le perte de la foi.

Si l’Eglise, en tant qu’entreprise de croyance, a tant redouté
l’acédie, c’est qu’elle inclinait le moine à douter de l’existence
de Dieu. Rien de peut-être pire.

De même, le burn-out a sur l’entreprise contemporaine un effet
dévastateur.

Il est toujours une remise en cause des valeurs dominantes : il
génère les nouveaux athées du techno-capitalisme.
+
Le burn-out: une maladie de
l’adaptation

Notre société demande en permanence de s’adapter. L’être
humain possède une grande capacité plastique. Mais le
problème est qu’on lui demande de s’adapter pour s’adapter.

La finalité peut alors s’estomper et ne pas s’inscrire pas dans
une perspective plus large où la personne pourrait se réaliser.

D’où l’impression de perte de sens. La victime du burn-out est
prise en étau entre des contraintes professionnelles de plus en
plus grandes et des exigences morales qui vont dans un sens
contraire.
+
La perte de sens

Cela tient au fait que notre société ne privilégie que le progrès utile
et non subtil.

Le progrès utile est quantifiable, il connaît une progression
multilinéaire, permanente.

Le progrès subtil, beaucoup plus fragile, renvoie à tous ces
domaines de la vie humaine qui ne sont pas mesurables :
l’éducation, le soin, la création. Ils reposent sur une manière par
définition défaillante : l’être humain.

C’est pourquoi les premières professions touchées par le burn-out
ont été celles qui font métier d’aider l’autre. Le déséquilibre des
deux progrès utile et subtil doit être pensé
+
Le burn-out

Ce n’est pas un stress aigu.

Répétition d’un stress chronique dans un cadre professionnel.

Pas de spécificité propre ni sur le plan symptomatique, ni au
plan des mécanismes psychopathologiques.

En pratique psychiatrique: on peut les classer dans les troubles
de l’adaptation.

Malgré sa popularité, le burn-out n’est pas reconnu par l’ICD10 ou le DSM

En juillet 2015, l’Assemblée Nat. française ne reconnaît pas
comme maladie professionnelle
+
Le burn-out

Approche externe initiée par Maslach & Jackson.

Création d’un instrument d’évaluation MBI.

Trois critères: épuisement émotionnel, déshumanisation de la
relation, perte du sens de l’accomplissement de soi au travail.

La déshumanisation est la pierre angulaire du concept.

Les femmes semblent d’abord affectées par l’épuisement
émotionnel, ensuite la déshumanisation et finalement une
baisse du sentiment d’accomplissement. (Med.)

Les hommes manifestent d’abord la déshumanisation, qu’ils
utilisent comme barrière contre l’épuisement émotionnel. Leur
sentiment d’accomplissement personnel semble beaucoup
moins affecté que celui des femmes. (Houke I et coll 2011)
+
Le burn-out

Quand la relation thérapeutique tombe malade la
symptomatologie est celle du burn-out.

25 à 40 % des soignants sont épuisés

Une étude de 2010 évaluait à 19 000 le nombre de cas avérés
annuels de burn-out en Belgique (Service public fédéral
Emploi , travail)

Ceci donne au concept des allures d’épidémie à forte
contagiosité.
+
Le burn-out

Les caractéristiques personnelles ont peu d’influence sur la
sensibilité au burn-out.

Pas de personnalité à risque.

Des traits protecteurs (hardiness, lieu de contrôle interne).

La dépression est un facteur de risque (+ d’antécédents plus
fréquents)
+
Le burn-out

Ce type d’approche quantitative utile mais insuffisant.

Des analyses qualitatives de l’intérieur s’imposent.

Faiblesses épistémologiques.

Faut-il le déconstruire?

La particularité du concept réside dans une question.

Si le burn-out est une pathologie de la relation d’aide, ne
faut-il pas l’envisager aussi comme un phénomène d’ordre
existentiel?
+
Le burn-out: phénomène existentiel

Double rançon de l’efficacité et du développement des soins
ambulatoires.

L’hôpital c’est pour les malades les plus graves et ceux qui ne
peuvent se soigner pour des raisons psycho socioéconomiques.

Patients difficiles, moins gratifiant, qui augment la charge de
travail, réduisant la satisfaction des soignants.

L’hôpital ghetto pour la souffrance, la maladie et la mort

La société est dangereusement cloisonnée. Hôpital processus
pacificateur. Se protéger de la mort et des « accidit ».

Autant de vie autant d’accidents qu’ils écoutent sans véritable
préparation.

Epuisement émotionnel = manifestation d’une mission
impossible subrepticement confiée par la société.
+
Le burn-out: phénomène existentiel

Des soignants confrontés aux souffrances existentielles des
patients mais aussi parce qu’ils souffrent d’une crise de
l’identité.

Constat : inacceptation des limites de la médecine, soignants
emportés dans une illusion mégalomaniaque, invités par la
société civile à tenir un rôle de toute puissance.
+
Souffrance, vous avez dit
souffrance?

Approche individuelle et phénoménologique.

Enthousiasme du début.

Essoufflement plus ou durable.

Extériorisation de l’usure: repli sur soi, qui tend au
désinvestissement, fuir sa souffrance, anesthésier son ressenti,
la sur-occupation.

Radiographie des états d’âme = le personnel jamais constitué
d’individus libres de soucis (entièrement disponibles,
rationnels, bienveillants, motivés pour le bien).

L’institution veut donner l’image de professionnel (personnes
qui n’ont pas de vie, ni sentiment, qui n’échangent pas mais
donnent le change, efficaces, mieux efficients).
+
Souffrance, vous avez dit
souffrance?

Imaginons un hôpital à la Walt Disney.

Personne n’échapperait à la souffrance

Ne cherchons plus dans le monde le coupable et la solution.
Pourquoi
les difficultés
rencontrées nous touchent-elles
à ce point?
+
Souffrance, vous avez dit
souffrance?

Toute notre vie professionnelle et privée est animée par la
recherche du Bonheur .

La recherche du bonheur vise l’accomplissement de trois
désirs entremêlés : le désir de toute puissance, d’être reconnu,
de jouir effectivement du bonheur tant convoité.

Être à la hauteur de ce que nous pensons devoir être. Etre un
bon professionnel. Etre suffisamment fort, intelligent, courageux pour réussir sa vie, faire face aux aléas
Désir de toute puissance:
.
en restant maître de soi et de sa destinée
Désir d’être reconnu :

en tout cas par ceux qui nous importent, se sentir aimé, soutenu,
vivre avec d’autres sur un mode épanouissant

Désir de jouir du bonheur:
S e cache la conviction que celui-ci est dû. Si l’on ne peut
être heureux ici à quoi bon vivre ? Il nous est dû de nous épanouir dans notre travail, d’être remercié, de
voir nos efforts aboutir.
+
Désir versus réalité

La réalité du terrain réduit à néant ces désirs, tout en révélant
leur véritable nature.

Les désirs relèvent notre imaginaire. Désirs infantiles, doux
rêves que l’on a tendance trop souvent, trop rapidement à
prendre pour la réalité elle-même.

Si je m’accroche à mes rêves, décalage, grand écart,
souffrance.

Accepter ce monde tel qu’il est.

Savoir que quand je rêve, JE REVE.

Quelle est cette réalité que nous cherchons à fuir et à
laquelle la vie ne cesse de nous reconduire?
+ Quelle réalité :

La finitude : désigne notre non toute puissance. Elle se révèle dans la
soumission à l’irréversibilité du temps. La mort du patient, l’évolution de la
maladie nous confrontent à l’insupportable impuissance.

La solitude : nous sommes seul à être ce que nous sommes, l’autre est seul
à vivre ce qu’il vit. Nous voudrions partager un peu de sa douleur, nous ne
réussissons qu’à souffrir de le voir souffrir. La non compliance, le refus de
soins, l’incompréhension, la trahison.

L’incertitude : la souffrance me confirme que « rien ne nous est dû ». La vie
ne se plie pas à notre attente. La souffrance frappe aveuglément tout le monde.
Il n’y a que dans notre imaginaire et les statistiques qu’il nous est dû de vivre
80 ans.

La limitation , l’imperfection : accepter ses limites, nos faiblesses,
accepter que nous ne pouvons pas tout et qu’on n’a pas la force de tout
endurer.

La quête de sens face à l’absurde : La vie ne veut pas
nécessairement notre bonheur, elle veut seulement la vie.
+
Huit attitudes à éviter pour prévenir
le burn-out

1. Etre un hyper travailleur : touche ceux qui s’investissent
(trop) dans leur travail.

2. Attendre trop longtemps : Les prémices d’un surmenage
s’accompagnent d’une fatigue persistante s’aggravant.
Repousser ses limites est une grosse erreur

3. Sous-estimer le problème: premiers signes sont
physiques

4. Se croire indispensable: l’hôpital peut tourner sans vous.
Soyez moins exigeant avec vous-même, et plus réaliste
+
Huit attitudes à éviter pour prévenir
le burn-out

5. Se laisser submerger par les émotions: soyez à l’écoute
de vos émotions, ne les reniez jamais .

6. Devenir cynique : c’est parfois un réflexe de survie…cela
ne sert à rien de devenir négatif et destructeur.

7. S’isoler : le comportement crucial qui fait basculer, c'est le
repli sur soi-même. Ne gardez pas le silence, parlez de votre
état d'esprit avec votre entourage ou votre médecin, sollicitez
de l'aide pour chercher des solutions.

8. Ne faire que travailler: Le travail n’est pas la seule chose
dans la vie; il ne peut en aucun cas suffire à vous rendre
heureux. Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier.
+
Prendre conscience de nos
croyances limitantes

Elles sont des messages contraignants souvent inconscients
que nous utilisons dans la vie quotidienne. Issues de notre
éducation

Le « Sois parfait » vise la perfection (Tu peux mieux, tu dois être
parfait à 100%)

« Sois fort » (Il faut être courageux, un homme ne pleure pas, il faut se
débrouiller seul dans la vie)

« Dépêche-toi » pense que les actions importantes sont
toujours urgentes (je suis trop lent, vite fait bien fait, arrête de trainer)

« Fais des efforts » pense qu’il vaut mieux recommencer et
s’acharner à la tâche. (le mérite tient au mal que l’on se donne, tu y
arriveras si tu t’acharnes st si tu te fatigues)
+
Prendre conscience de nos
croyances limitantes

« Fais plaisir » pense qu’il faut toujours être gentil avec tout le
monde, éviter les heurts même à son détriment (ne sois pas
égoïste, fais plaisir aux autres)
+
Se prémunir du burn-out quelques
pistes

Se reconnaitre comme potentiellement vulnérable et savoir que notre
travail est associé à un risque.

Etre conscient de son état de souffrance individuelle, passer de la
plainte générale ("C'est dur pour tout le monde") à l'approche
personnelle ("Je vais mal").

Trouver ses propres solutions : relaxation, méditation, thérapie, TCC.

Travail réflexif sur les propres priorités, on peut accepter de souffrir
sur certains points non gérables, mais à condition de conserver ses
priorités".

Hiérarchiser ses attentes. Faire en sorte que son boulot et soi-même
soient le mieux adapté possible l'un à l'autre.
 Pour
certains, c'est presque l'oeuvre d'une vie
+
Travail d’une vie

Travailler sur soi : est encore assimilé à l’égoïsme , je deviens
l’artiste de ma vie, nécessite une sensibilité pour soi, entreprise
infinie tendant à transformer nos contradictions internes en
facteurs de croissance, on ne peut pas bien prendre soin des
autres s’il n’a pas appris à le faire pour soi.

Travailler ses amitiés, le support social

Travailler l’intimité dans la vie familiale, les enfants donnent
sens à la vie, ils sont le sens de la vie, le couple offre la
sécurité et familiarité

Travail citoyen contribue à l’existence d’une société humaine,
groupe d’entraide, activité sportive , socio culturelle

Travailler à chercher du sens, pourquoi je me lève tous les
jours ? Pour changer le monde
+
Y a t il moyen de se réconcilier ?

On peut progresser sur ce chemin qui nous reconduit à nousmêmes.

Il n’y a pas de réconciliation définitive avec soi-même. La
psychothérapie ne nous libère de nos angoisses névrotiques
mais pas de nos angoisses existentielles.

L’être humain est et restera un être de tension.

Affirmer la vie = accepter mes limites, nos faiblesses, accepter
que la vie ne peut pas tout et qu’on n’a pas la force de tout
endurer.

Ne pas rejoindre la sérénité mais plutôt rejoindre notre être qui
laisse à désirer.
+
Conclusions

La souffrance du soignant est peut-être liée davantage à notre
condition humaine.

En faisant de celle-ci, celle d’une profession on la réduit à un
problème institutionnel, médical, syndical.

Les experts peuvent entretenir l’illusion que le soignant doit
rester ou redevenir tout-puissant. Qu’il mérite le bonheur, la
reconnaissance.

Ce n’est pas parce que la souffrance est un problème à
résoudre que du coup il existe des techniciens de la
souffrance. C’est l’inverse.

La psychologie, l’éthique, le syndicalisme permettent à la
souffrance à se dire , s’élaborer ce qui est déjà beaucoup.
+
Conclusions

Il faut améliorer tout ce qui peut l’être

C’est concrètement jouer le jeu de la vie.

Mais n’attendons plus de ces améliorations qu’elles nous
sauvent de nous-mêmes.
+
Bibliographie

Pascal Chabot . Glbal Burn-out PUF 2013

Freudenberger, H. burn-out "Symptoms of burn-out; Bantum, NY, NY;
1981.

Houke I et coll.: Development of burn-out over time and the causal
order of the three dimensions of burn-out among male and female
GPs. A three wave panel study. BMC Public Health 2011

Delbrouck M. Comment traiter le burn-out de Boeck 2011

Longneaux J-M; La souffrance des soignants et des médecins
n'existe pas. Ethica Clinica n。35, pp24-33, 2004

Peters S, Mesters P. Vaincre l’épuisement professionnel, toutes les
clefs pour comprendre le Burn Out"., (Laffont.2007).

Truchot, D. "Epuisement professionnel et burn-out" (Dunod, Paris,
2004)

Vanderheyden Le Burn-out des Quinquas. De Boeck 2013

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