van Compernolle 2007

Transcription

van Compernolle 2007
« Une pompière ? C’est affreux ! »
Étude lexicale de la féminisation
des noms de métiers et grades en France
Rémi Adam van Compernolle
[email protected]
University of North Texas
Introduction
Depuis des années, on entend beaucoup parler des changements en cours vis-à-vis des femmes sur le plan sociopolitique
en France. Il est souvent question d’accès équitable aux métiers
traditionnellement dominés par des hommes et de parité de
rémunération entre hommes et femmes (voir Lanot & Robin
1997 ; France 2004a, 2004b). De plus, la montée des femmes sur
le marché du travail et dans la sphère politique a entraîné divers
problèmes langagiers, surtout en ce qui concerne les appellations professionnelles (voir Lamothe & Labrosse 1992 ; BarreraVidal 1995 ; Evans 1995 ; Houdebine-Gravaud 1992, 1998, 2003 ;
Fleischman 1997 ; Pogacnik 1999 ; Martel 2001 ; Michard 2003).
La présente étude vise à situer la féminisation des titres dans
la société française actuelle, s’appuyant sur une enquête faite
auprès de 230 étudiants universitaires français.
La féminisation des titres n’est pas une controverse récente. Dès
le début du siècle précédent, les femmes ont commencé à accéder
aux secteurs traditionnellement dominés par des hommes. Aussi
a-t-on vu apparaître la forme féminine de certains titres professionnels (Trudeau 1988 : 79-80). En revanche, les années quatre-vingt et
90 connaissent les plus vives luttes pour et contre la féminisation
© Langage et société n° 120 – juin 2007
Rémi Adam van Compernolle
des titres. En 1984, une commission créée par le Premier ministre d’alors, Laurent Fabius, est chargée d’étudier le vocabulaire
relatif aux activités des femmes alors que l’Académie française,
qui n’avait pas été consultée, se déclare contre la féminisation
des noms de métiers (Académie 2005a). En 1986, une circulaire
du Premier ministre recommande de procéder à la féminisation
des titres dans les textes administratifs. Puis, en 1997, certaines
ministres se font appeler Madame la ministre. L’année suivante, le
Premier ministre, Lionel Jospin, charge la Commission générale de
terminologie et de néologie d’explorer encore une fois la question
de la féminisation des noms de métiers. En 1998, la Commission
rend son Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction,
grade ou titre, trouvant « qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à
une féminisation des noms de métier et de profession » (France
1998). Enfin, en 1999, la féminisation des noms de métiers devient
officielle lorsque le gouvernement français publie Femme, j’écris
ton nom… guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, grades,
titres et fonctions. L’Académie reste pourtant contre la féminisation des noms de métiers, s’appuyant sur l’argument que le genre
dit masculin est en français le genre non marqué : « l’Académie
française déplore les dommages que l’ignorance de cette doctrine
[que le genre masculin est le genre non marqué] inflige à la langue
française et l’illusion selon laquelle une grammaire ‘féminisée’
renforcerait la place réelle des femmes dans la société » (Académie
2005b). Mercier (2002) défend également le genre dit masculin
comme le genre non marqué, aussi bien que Niedzielski (1987)
qui retrace l’évolution du neutre en français du XIIIe au XXe siècle.
D’autres, craignant la dégradation de la langue française, vont jusqu’à s’attaquer à la féminisation des titres (voir Rey-Debove 1998 ;
Druon 1999 ; Muray 2000).
L’emploi des formes féminines des titres n’est pourtant pas
courant dans la société française. Une préférence pour l’emploi
de la forme masculine d’un titre professionnel a été observée et
documentée dans la presse française (Gervais-le Garff 2002) ainsi
que dans les circulaires des partis politiques (Brick & Wilks 2002)
– quoique les partis de gauche tendent à se montrer plus ouverts
à une féminisation grammaticale que la droite (voir aussi Dister
« Une pompière ? C’est affreux ! »
& Moreau 2006). D’une part, il semble que la préférence pour la
forme masculine est due en partie à la familiarité orthographique et phonétique du terme – la forme féminine étant parfois
inconnue, voire même étrange. Qui plus est, bien des femmes
travaillant dans des secteurs traditionnellement dominés par des
hommes ne sont pas pour la féminisation des noms de métiers,
s’appuyant sur l’argument que les noms de professions sont des
substantifs qui correspondent au travail que l’on fait et non à la
personne qui exerce le métier (voir Fleischman 1997 : 837). D’autre
part, la relation des français à une certaine « norme de la langue »
(souvent conservatrice) joue un rôle tout aussi important. Ainsi
que le remarque Houdebine-Gravaud (1998 : 22), « tout se passe
alors comme si la langue d’autrefois était belle et meilleure que
celle d’aujourd’hui toujours décrite comme abâtardie ou s’abâtardissant. Les métaphores sont toujours les mêmes : celle de la
transgression, ou de l’impureté, ou encore de la destruction ».
La féminisation grammaticale des noms de métiers n’est pas
pour autant un problème uniquement français. Le Québec a
également adopté des politiques linguistiques afin de féminiser
les désignations professionnelles (voir Québec 1991 ; VachonL’Heureux 1992 ; Parent 1993 ; Planelles Ivanez 1996). Quoique
la féminisation des titres semble plus acceptée dans la Belle
Province, Conrick (2000) démontre que l’usage des termes féminisés est loin d’être standardisé, voire même répandu. Son étude
des offres d’emploi nous montre que bien des employeurs ont
évité toute formulation sexuée, soit en optant pour un nom
générique, soit en utilisant un pronom à la deuxième personne
dans une sorte d’appel au challenge. La Belgique et la Suisse
ont, elles aussi, pris des mesures dans le dessein de féminiser les
noms de métiers (voir Larivière 1999, 2001 ; Suisse 1991 ; Belgique
« Conseil », « Service » ; Belgique 1994).
1. Démarche méthodologique
Cet article porte sur des données recueillies à partir de questionnaires, à l’automne 2005 à l’Université de Tours (France). On a
. Ce projet a été approuvé par le Committee for the Protection of Human Subjects de
l’University of North Texas en juillet 2005 (Project Application #05-176).
Rémi Adam van Compernolle
demandé aux répondants d’identifier toutes les formes officielles
(masculines et féminines) de 17 désignations professionnelles (voir
annexe). Pour chacune des 17 désignations professionnelles, il y avait
quatre choix, soit, le terme au masculin et trois formes féminisées.
Dans le cas où il y avait plus d’une forme officielle au féminin, les
répondants pouvaient en choisir plusieurs. Toute réponse a été identifiée et analysée selon plusieurs paramètres (e.g., domaine d’activité,
nature de la terminaison, etc.) afin de dégager les tendances existantes.
1.1 Population visée
Dans le but de minimiser l’effet de l’âge du répondant, son niveau
d’études et son appartenance sociale, on a décidé de sonder une
population plutôt homogène d’étudiants en langues étrangères
(anglais, espagnol et italien) : 230 étudiants – âgés de 18 à 58 ans
(moyenne = 20,04) – ont pris part à l’enquête, dont 165 femmes et
65 hommes. La population est composée de futurs professeurs de
langues, population bien loin d’être neutre dans sa relation à une
certaine norme de la langue.
Il convient de signaler un autre facteur qui a présidé au choix
d’une population d’étudiants : celui de la génération. La population ciblée dans le présent article a toujours eu affaire à la féminisation des noms de métiers – la controverse actuelle date de 1984,
donc avant la naissance de la plupart des répondants. Lors de la
publication de Femme, j’écris ton nom – ouvrage dont l’efficacité
est ici remise en question – les répondants étaient âgés de 14 ans
en moyenne. Si les efforts du gouvernement français à officialiser
la féminisation des noms de métiers n’ont eu un effet que sur une
partie de la population française, ce serait, semble-t-il, la génération sondée dans la présente étude, génération qui a toujours
connu la controverse et qui a toujours eu à faire le choix (souvent
difficile) entre l’emploi du « masculin générique » et l’emploi
d’une forme féminine.
. Le terme forme officielle sera entendu dans ce texte comme une forme admise par le
gouvernement français d’après Femme, j’écris ton nom... Guide d’aide à la féminisation
des noms de métiers, grades, titres et fonctions (1999).
. La majorité des répondants étaient âgés de 18 à 25 ans. Deux femmes âgées de 47
et 58 ans, étudiantes elles aussi, ont participé à l’enquête.
« Une pompière ? C’est affreux ! »
1.2 Choix des professions
En premier lieu, on a choisi des professions dont la forme masculine ne serait pas étrangère au français moyen. Deuxièmement, on
a choisi un certain nombre de professions ressenties comme « masculines », ou, en d’autres termes, des métiers qui ont été traditionnellement et pendant longtemps dominés par des hommes, donc
susceptibles de rencontrer une certaine résistance à la féminisation
grammaticale. Enfin, voulant examiner l’influence de la familiarité
orthographique et phonologique sur le choix d’une forme féminisée, on a choisi des noms de professions à dérivations variées.
Les 14 désignations professionnelles suivantes ont été soumises
à l’appréciation des répondants : pompier, docteur, pilote, sénateur,
colonel, président, professeur, policier, avocat, cardiologue, exportateur,
traducteur, écrivain et psychologue. On a également rajouté trois
métiers de natures différentes : serveur, dont la forme féminine serveuse est employée quotidiennement ; baby-sitter, terme d’origine
anglaise dont le genre grammatical est d’ordinaire féminin ; hockeyeur, terme quelque peu étranger aux Français. La liste est donc
composée de diverses professions dans des domaines variés.
En plus des formes officielles (masculines et féminines), on a
rajouté un certain nombre de formes féminisées dans le but de
maintenir la continuité du questionnaire. Certaines de ces formes
avaient été observées (informellement) dans la langue courante,
d’autres étant inventées selon des formulations existantes. Ainsi,
on a rajouté femme à certains termes (e.g., une femme président, une
femme policier, une femme écrivain), un -e final aux métiers se terminant en -eur (e.g., une sénateure, une exportateure), ou, le cas échéant,
une terminaison existante mais quelque peu absurde en l’occurrence (surtout pour les noms se terminant en -ogue, d’où les formes
une cardiologuière, une psychologuesse).
2. Analyse des données
2.1 Le sexe en tant que paramètre d’analyse
Puisqu’il s’agit d’un échantillon de population plutôt homogène,
la priorité sera donnée au sexe du répondant dans les analyses
. Le gouvernement français a proposé une forme masculine pour le terme une babysitter dans Femme, j’écris ton nom.
Rémi Adam van Compernolle
suivantes. Le tableau 1 (T1) compare la fréquence à laquelle les
répondants – hommes et femmes – ont pu identifier les formes
féminines officielles dans le questionnaire.
Tableau 1 : Fréquence des formes féminines officielles identifiées
No. de formes féminines identifiées
(sur 19 possibles)
Hommes
(sur 65)
Femmes
(sur 165)
Total
(sur 230)
≤4
0 (0,00 %)
1 (0,60 %)
1 (0,43 %)
5-7
3 (4,62 %)
4 (2,42 %)
7 (3,04 %)
8-10
13 (20,00 %)
52 (31,52 %)
65 (28,26 %)
11-13
38 (58,46 %)
85 (51,52 %)
123 (53,48 %)
14-16
11 (16,92 %)
23 (13,94 %)
34 (14,79 %)
17 +
0 (0,00 %)
0 (0,00 %)
0 (0,00 %)
Le tableau 1 montre clairement que la grande majorité des
répondants (81,74 %) ont pu identifier entre 11 et 13 des formes
féminines officielles (moyenne = 11,46 formes féminines identifiées, soit 60,32 % des formes officielles), alors que peu d’entre eux
en ont choisi plus de 14 (et aucun d’eux n’en a choisi plus de 16).
De même, les répondants ayant identifié moins de huit formes
féminines officielles sont peu nombreux. On remarque enfin l’absence de différence notable entre les deux sexes.
2.2 Formes officielles
Afin de pouvoir discerner de cet ensemble de données les tendances à l’égard du choix d’une forme féminine, il convient d’analyser
la fréquence à laquelle chaque forme officielle a été choisie.
. Le terme une doctoresse apparaît dans Femme, j’écris ton nom (France 1999 : 81) avec
la remarque : « La forme doctoresse, parfois sentie par certains comme désuète, est
toujours en usage ». Il sera discuté plus loin, compte tenu de la fréquence à laquelle
il a été choisi.
« Une pompière ? C’est affreux ! »
Tableau 2 : Formes officielles et leur fréquence
Forme officielle
Hommes
Femmes
Total
65 (100,00 %)
164 (99,39 %)
229 (99,57 %)
une pompière
5 (7,69 %)
5 (3,03 %)
10 (4,35 %)
une docteure
0 (0,00 %)
1 (0,61 %)
1 (0,43 %)
une docteur
5 (7,69 %)
13 (7,88 %)
18 (7,83 %)
une pilote
42 (64,62 %)
109 (66,06 %)
151 (65,65 %)
une sénatrice
52 (80,00 %)
129 (78,18 %)
181 (78,70 %)
une hockeyeuse
52 (80,00 %)
102 (61,82 %)
154 (66,97 %)
une colonelle
13 (20,00 %)
25 (15,15 %)
38 (16,52 %)
une présidente
51 (78,46 %)
140 (84,85 %)
191 (83,04 %)
une professeur
35 (53,85 %)
77 (46,67 %)
112 (48,70 %)
une professeure
14 (25,14 %)
29 (17,58 %)
43 (18,70 %)
une policière
35 (53,85 %)
79 (47,48 %)
109 (47,39 %)
une avocate
61 (93,85 %)
161 (97,58 %)
222 (96,52 %)
une cardiologue
59 (90,77 %)
151 (91,52 %)
210 (91,30 %)
une baby-sitter
58 (89,23 %)
158 (95,76 %)
216 (93,91 %)
une exportatrice
63 (96,92 %)
154 (93,33 %)
217 (94,35 %)
une traductrice
64 (98,46 %)
165 (100,00 %)
229 (99,57 %)
une écrivaine
22 (33,85 %)
53 (32,12 %)
75 (32,61 %)
une psychologue
63 (96,92 %)
162 (98,18 %)
225 (97,83 %)
une serveuse
Les termes une pompière, une docteure, une docteur, une colonelle et
une professeure ont été rarement choisis (moins de 20 %). D’autres
formes n’ont été choisies qu’à une fréquence de 50 % ou moins (une
professeur, une policière, une écrivaine). En revanche, certains termes
ont été choisis par plus de 90 % des répondants (une serveuse, une
avocate, une cardiologue, une baby-sitter, une exportatrice, une traductrice, une psychologue). Une explication possible pour cette disparité
Rémi Adam van Compernolle
est que certains titres de professions ne s’emploient, traditionnellement et d’après les dictionnaires, qu’au masculin. Selon le Trésor de
la langue française, les mots serveur et traducteur sont les seuls dans
cette liste à s’employer et au masculin et au féminin pour désigner
une personne. Les mots avocat, cardiologue, exportateur et psychologue
ne sont pas donnés au féminin, alors que la forme une colonelle est
définie comme la femme du colonel. Les termes pompière et exportatrice ne s’emploient au féminin qu’en tant qu’adjectif.
Il convient aussi d’explorer le rapport entre le nombre de femmes dans un secteur professionnel donné et le taux de féminisation grammaticale dans la présente étude. En 2002, 10,8 millions
de femmes avaient un emploi, soit 45,3 % de la population active
(France 2004a). Quoique le taux de féminisation ne cesse d’accroître dans presque tous les secteurs professionnels, certains d’entre
eux demeurent encore relativement « masculins ». Tandis que les
femmes sont majoritaires dans les secteurs de la communication
et de la documentation, l’action sociale, culturelle et sportive et
les serveurs de cafés-restaurants, elles sont minoritaires dans les
secteurs concernant le droit, les cadres administratifs et financiers,
la médecine, la fonction publique, le commerce et la recherche.
Les professions soumises à l’appréciation des répondants dans la
présente étude peuvent donc se diviser en deux catégories : 1) professions dans des secteurs où les femmes sont majoritaires (i.e.,
serveur, hockeyeur, baby-sitter, traducteur et écrivain) ; 2) professions dans des secteurs où les hommes sont majoritaires (i.e.,
pompier, docteur, pilote, sénateur, colonel, président, professeur,
policier, avocat, cardiologue, exportateur, psychologue).
On compte 913 formes féminines officielles choisies sur 1 150
possibles, soit 78,52 %, dans les secteurs majoritairement féminins.
En revanche, les répondants n’en ont identifié que 1 733 sur 3 220
possibles, soit 53,82 %, dans les secteurs où les hommes sont majoritaires. Un test khi deux a confirmé que cette disparité était significative : χ2 (1, N = 4 370) = 216.023, p = .05. Ces résultats suggèrent
. Pour de plus amples renseignements, se référer à France (2004a).
. Le secteur de l’action sociale, culturelle et sportive est majoritairement féminin
(France 2004a), même si le hockey est un sport pratiqué plus par des hommes que
par des femmes.
« Une pompière ? C’est affreux ! »
que la présence féminine dans un secteur professionnel donné
déterminait, du moins en partie, si oui ou non les répondants
féminisaient le titre.
L’un des phénomènes les plus fascinants est celui du choix unique de la forme masculine pour une profession donnée (i.e., aucune forme féminisée n’a été choisie). Ceci peut suggérer que dans ce
cas, la forme masculine a été choisie en tant que forme féminine.
Le tableau 3 (T3) montre trois professions dont la forme masculine
a été préférée à une forme féminisée par une partie importante de
l’échantillon (plus de 30 %). Seuls les répondants n’ayant choisi
aucune forme féminine y ont été comptés.
Tableau 3 : Préférence pour la forme masculine
(aucune forme féminine choisie)
Profession
Hommes
Femmes
Total
un pompier
37 (56,92 %)
120 (72,72 %)
157 (68,26 %)
un pilote
22 (38,85 %)
55 (33,33 %)
77 (33,48 %)
un colonel
30 (46,15 %)
93 (56,36 %)
123 (53,48 %)
Clairement, la féminisation des métiers dans le domaine « secours
et militaire » – domaine qui a traditionnellement été majoritairement
masculin et le reste encore aujourd’hui – rencontre beaucoup de
résistance. Ceci nous porte à croire que l’ancienneté du métier – au
moins en ce qui concerne l’accès des femmes au métier – exerce une
forte influence sur le choix de féminiser ou non une désignation
professionnelle.
2.3 Formes préférées
Comme nous l’avons déjà vu, aucun répondant n’a pu reconnaître toutes les formes officielles féminines (T1) et, de plus, certains
termes n’ont été choisis que rarement, à savoir presque jamais
(T2). Les données suggèrent également qu’il existe une résistance à la féminisation de certains domaines, notamment ceux
traditionnellement dominés par des hommes. Il y a cependant
10
Rémi Adam van Compernolle
un autre facteur qu’il convient d’explorer : la présence d’autres
formulations possibles dans le questionnaire.
Les répondants avaient trois formes féminisées à choisir, dont
une était la forme officielle. Aussi se peut-il que les enquêtés aient
choisi une forme féminine, mais non la forme officielle. Quels
termes les répondants ont-ils donc choisis ? Quelles autres formulations ont pu être préférées ? Le tableau 4 (T4) montre les formes
féminines préférées des répondants.
Tableau 4 : Formes féminines préférées vs formes officielles
Profession
(au masculin)
Forme féminine
préférée
(Hommes)
Forme féminine
préférée
(Femmes)
Forme féminine
officielle
un pompier
une pompier
(40,00 %)
une pompier
(23,03 %)
une pompière
(4,35 %)
un docteur
une doctoresse
(81,54 %)
une doctoresse
(83,64 %)
une docteure
(0,43 %)
—
—
—
une docteur
(7,83 %)
un pilote
une pilote
(64,62 %)
une pilote
(66,06 %)
une pilote
(65,65 %)
un sénateur
une sénatrice
(80,00 %)
une sénatrice
(78,18 %)
une sénatrice
(78,70 %)
un hockeyeur
une hockeyeuse
(80,00 %)
une hockeyeuse
(61,82 %)
une hockeyeuse
(66,97 %)
un colonel
une colonel
(31,32 %)
une colonel
(27,88 %)
une colonelle
(16,52 %)
un président
une présidente
(78,46 %)
une présidente
(84,85 %)
une présidente
(83,04 %)
un professeur
une professeur
(53,85 %)
une professeur
(46,67 %)
une professeur
(48,70 %)
—
—
—
une professeure
(18,70 %)
un policier
une policière
(53,85 %)
une femme policier
(63,63 %)
une policière
(47,39 %)
un écrivain
une femme
écrivain (49,23 %)
une femme écrivain
(55,15 %)
une écrivaine
(32,61 %)
. Il y avait, bien sûr, deux formes officielles pour les termes docteur (une docteur, une
docteure) et professeur (une professeur, une professeure).
« Une pompière ? C’est affreux ! »
11
Même si dans beaucoup de cas la forme féminine préférée est
la forme officielle (cas de pilote, sénatrice, hockeyeuse, présidente, professeur), d’autres formes ont été souvent choisies. On remarquera
que le terme une docteresse – quoiqu’elle soit parfois ressentie
comme « désuète » – est plus accepté que une docteur et une docteure. De même, la forme une colonel est préférée à une colonelle,
une pompier à une pompière, une femme écrivain à une écrivaine et,
pour les femmes, une femme policier à une policière (encore que
52,31 % des hommes ont aussi choisi le terme une femme policier).
Le fait que nombre de répondants aient choisi d’autres formulations féminines nous oblige à examiner la fréquence absolue de
féminisation.
En comptant tous les termes féminisés choisis par les
répondants, on voit clairement que le taux de féminisation augmente dans tous les secteurs. En revanche, les données suggèrent
qu’il existe néanmoins une disparité entre les secteurs où les femmes sont majoritaires et ceux dominés par des hommes. En effet,
on compte 1 138 formes féminines choisies sur 1 150 possibles, soit
féminisation à 98,96 %, pour la catégorie « femmes majoritaires »,
contre 2 213 formes féminines choisies sur 2 760 possibles, soit
féminisation à 80,18 %, pour la catégorie « hommes majoritaires ».
Quoique l’on puisse constater une hausse de féminisation dans
les deux catégories, la féminisation grammaticale des professions
dans des secteurs où les hommes sont majoritaires reste relativement faible. Un test khi deux a trouvé que la différence était significative : χ2 (1, N = 3 910) = 233.547, p = .05. Il semblerait donc que
la féminisation soit beaucoup plus acceptée pour les professions à
majorité féminine que pour celles dominées par des hommes.
3. Morphologie
Ainsi que le remarquent Brick & Wilks (2002), la familiarité orthographique semble exercer une influence importante lorsqu’il s’agit
de féminiser un nom de métier. Dans cette section, les règles de
féminisation des noms de métiers établies par le gouvernement
français en 1999 seront résumées une à une, et mises en rapport
avec les réponses données par les répondants.
12
Rémi Adam van Compernolle
3.1 Le déterminant
Le gouvernement français a trouvé que, dans tous les cas, « la féminisation implique l’utilisation d’un déterminant féminin » (France 1999
: 22). Puisqu’il ne s’agit que du choix entre un et une dans l’étude
présentée ici, l’analyse qui suit comparera le choix d’une forme féminisée – quelle qu’elle soit – et le choix unique de la forme masculine.
Le T3 montre, rappelons-le, que de nombreux répondants n’ont
choisi que la forme masculine pour pompier, pilote et colonel. Ceci
peut suggérer qu’il existe une résistance profonde à la féminisation grammaticale de ces métiers, même lorsqu’il ne s’agit que du
changement du déterminant. Cependant, il a été démontré que
pour pilote et colonel cette résistance est moins forte – 43,03 % des
répondants ont choisi une forme féminisée pour colonel et 66,06 %
pour pilote. En fin de compte, 88,31 % des répondants ont choisi au
moins une forme féminine pour chacune des professions dans le
questionnaire – soit 2 477 formes féminines –, y compris pompier,
pilote et colonel. Si nous ne comptons pas pompier et colonel parmi
les professions, ce pourcentage augmente jusqu’à 95,47 %. Ainsi, il
ne semble pas que le changement du déterminant soit problématique pour la grande majorité des personnes interrogées.
3.2 Noms se terminant au masculin par une voyelle écrite
Pour les noms se terminant par la lettre e, « la forme féminine est
identique à la forme masculine » (France 1999 : 22). Cette section
analysera donc les professions suivantes : pilote, cardiologue, psychologue. Puisqu’il ne s’agit que du changement du déterminant
dans ces cas, il n’est pas étonnant que les répondants aient plutôt
aisément identifié la forme officielle de cardiologue et psychologue
(94,55 % et 93,44 % respectivement). La forme une pilote est, en
revanche, quelque peu problématique. Ceci s’explique probablement par le fait que les noms se terminant par -ogue ne puissent
prendre aucune autre terminaison, alors que l’on pourrait en envisager d’autres pour pilote (e.g., pilotesse, pilotrice, etc.).
3.3 Noms se terminant au masculin par une consonne
La forme féminine des noms de métiers se terminant par une
finale autre que -eur « se construit normalement par l’adjonction
« Une pompière ? C’est affreux ! »
13
d’ un -e à la finale » (France 1999 : 23). Comme pour les adjectifs,
il existe des « modifications graphophonétiques qui obéissent aux
lois morphologiques » (France 1999 : 23) de la langue française. On
peut en effet doubler la dernière consonne (-ienne, -elle, etc.), modifier la dernière consonne (-ive, -ique, etc.) et ajouter un accent sur
la dernière voyelle (-ière, -ète, etc.). Cette règle s’adresse aux noms
suivants : pompier, colonel, président, policier, avocat, écrivain, qui,
mis au féminin, deviennent pompière, colonelle, présidente, policière,
avocate, écrivaine. Le changement pompier, -ière est très peu accepté,
voire rejeté (3,03 % des répondants ont choisi la forme une pompière), mais en est-il de même pour policier, -ière ? Presque la moitié
des répondants a choisi la forme une policière (47,48 %) et 63,64 %
ont choisi une femme policier. En comparaison avec une pompière, il
semblerait que la forme une policière ait été plus acceptée, quoiqu’il
s’agisse du même changement graphophonétique (-ier à -ière). Il
est à noter que l’adjectif policier est souvent utilisé (e.g., un roman
policier, la violence policière). Un certain nombre de répondants
ont remarqué que policière était relativement facile à dire pour cette
raison, quoiqu’ils ne l’emploient pas pour désigner une femme qui
est agent de police. Par ailleurs, le fait qu’une autre forme féminine (une femme policier) ait été choisie par 63,63 % des répondants
(contre 23,03 % pour une pompier) suggère qu’il existe moins de
résistance à la féminisation de policier.
Il semble en être de même pour colonel, dont la forme féminine (une colonelle) n’a été choisie que par 15,15 % des répondants.
Cependant, la forme une colonel a été choisie par 27,88 % des
répondants. Puisqu’il ne s’agit que d’un léger changement graphique (i.e., la sonorité du mot ne change pas, à la différence des
noms comme pompier, -ière et policier, -ière) les deux termes pourraient être comptés ensemble, donnant un pourcentage de 43,03 %.
3.4 Noms se terminant au masculin par -eur, à l’exception de -teur
Lorsqu’il s’agit d’un nom qui correspond à un verbe « en rapport
sémantique direct » (France 1999 : 24), la forme féminine se termine
par -euse . Le changement serveur/serveuse ne sera pas analysé, vu
l’existence de la forme serveuse dans tous les dictionnaires français
et son emploi quotidien en France. La forme féminine de hockeyeur
14
Rémi Adam van Compernolle
(hockeyeuse), en revanche, semble problématique bien qu’elle ait été
choisie par 61,82 % des répondants. Selon les remarques faites par
de nombreux répondants, même le terme un hockeyeur semblait
problématique puisque le terme un joueur de hockey est, d’après
eux, employé plus souvent dans la langue courante. Qui plus est,
les répondants semblaient mal à l’aise avec le terme un hockeyeur,
du fait que le hockey ne soit pas un sport très pratiqué en France
(comme il l’est au Canada, par exemple).
Lorsqu’il s’agit d’un nom n’ayant pas de verbe qui lui correspond, ou si « le verbe n’est pas en rapport sémantique direct »
(France 1999 : 24), on a le choix entre l’emploi de la forme épicène
et l’adjonction d’un -e à la finale. Cette règle s’applique au terme
professeur, dont les deux formes féminines officielles – une professeur et une professeure – ont été choisies à 46,67 % et 17,58 % respectivement. Nous remarquerons que la forme épicène a été fort
préférée à la forme une professeure.
3.5 Noms se terminant au masculin par -teur
Pour ces noms, la forme féminine se termine normalement par -trice
sauf dans le cas des noms docteur, auteur et pasteur où la forme épicène est conservée et l’adjonction d’un -e à la finale est facultative.
Cette règle s’applique donc aux noms docteur, sénateur, exportateur,
traducteur, dont les formes féminines admises par le gouvernement français sont docteur, docteure, sénatrice, exportatrice, traductrice.
Comme nous l’avons vu dans la section 2.2, les termes exportatrice
et traductrice ont été choisis par 93,33 % et 100,00 % des répondants
respectivement. Nous pourrions attribuer cette très haute fréquence
au fait que le terme une traductrice existe depuis assez longtemps
dans le lexique du français. De plus, la similarité orthographique
des deux noms et leur proximité dans le questionnaire – traducteur
suivait immédiatement exportateur – auraient pu influencer le choix
du répondant. Cependant, le terme sénatrice n’a été choisi que par
78,18 % des répondants, un pourcentage plutôt bas par rapport aux
autres noms se terminant de la même façon. En outre, il est bien
curieux que les formes une docteur et une docteure aient été choisies
par seulement 0,61 % et 7,88 % des répondants respectivement, tandis que la forme une doctoresse a été nettement préférée (83,64 %).
15
« Une pompière ? C’est affreux ! »
3.6 Morphologie et présences des femmes
La terminaison de la forme féminine proposée par le gouvernement français exerce une certaine influence sur son acceptation.
Ainsi, les féminins se terminant par -euse et -trice, et ceux dont la
finale ne change pas de leur forme masculine (e.g., -ogue), semblent
plus ou moins acceptés. En revanche, certaines terminaisons rencontrent beaucoup de résistance (e.g., -ière, -eure, -eur). Cependant,
les facteurs morphologiques ne peuvent pas à eux seuls expliquer
les réponses des personnes interrogées. Comme on a déjà montré,
la féminisation semble plus acceptée pour les secteurs où les femmes sont majoritaires que pour ceux à majorité masculine. Aussi
convient-il d’examiner l’interaction entre morphologie et secteur.
Le tableau 5 (T5) donne le nombre de formes féminines officielles
choisies par secteur (i.e., « femmes majoritaires » ou « hommes
majoritaires »).
Tableau 5 : Terminaisons et secteurs
Secteurs à
majorité...
-euse
-ière
forme
épicène
-trice
[+ e]
Féminine
383 (83,26 %)
—
216 (93,91 %)
229 (99,57 %)
75 (32,61 %)
Masculine
—
119 (25,87 %)
716 (62,26 %)
398 (86,52 %)
539 (46,89 %)
Total
383 (86,26 %)
119 (25,87 %)
932 (67,54 %)
627 (90,87 %)
614 (44,49 %)
Les données fournies dans le T5 confirment d’une part que certaines terminaisons rencontrent beaucoup de résistance (i.e., -ière et
[+ e]). D’autre part, les résultats vérifient que la présence féminine
dans un secteur donné influence le choix d’une forme féminine.
Ainsi, la forme épicène a été choisie presque catégoriquement pour
les professions dans des secteurs où les femmes sont majoritaires,
mais seulement 62,26 % des répondants l’ont choisie pour les professions dans des secteurs à majorité masculine. Cette différence
est significative : χ2 (1, N = 1 380) = 87.583, p = .05. De même, la
terminaison -trice ne rencontre pas de résistance dans des secteurs
où les femmes sont majoritaires (féminisation à 99,57 %), mais elle
16
Rémi Adam van Compernolle
est moins acceptée pour les professions dans des secteurs majoritairement masculins (féminisation à 86,52 %). Cette différence est
aussi significative : χ2 (1, N = 690) = 31.442, p = .05. Il est clair que
plus il y a de femmes dans un secteur professionnel, plus la forme
féminine du titre sera acceptée.
4. Réactions des enquêtés
A première vue, les données semblent suggérer que plus la forme
féminine proposée s’éloigne de sa forme masculine, moins elle
sera choisie. Cependant, le terme une doctoresse – qui diffère considérablement de sa forme masculine – a été la forme féminine de
docteur préférée par les répondants. Les répondants ont également
préféré mettre femme devant les noms policier et écrivain, ce qui est
en général considéré péjoratif (voir Fleischman 1997 : 836-837). En
plus, le domaine d’activité semble déterminer en grande partie
l’acceptation de la féminisation. Les résultats suggèrent aussi que
l’utilisation d’un déterminant féminin n’a pas été problématique
pour la plupart des répondants. En revanche, le domaine « secours
et militaire » semble rencontrer une forte résistance à la féminisation des noms de métiers, y compris l’emploi d’un déterminant
féminin. Les extraits d’entretiens ci-dessous rendent compte de
certains facteurs et influences qui pèsent sur la féminisation des
noms de métiers. La première chose qui ressort des entretiens est
la question de la sonorité du mot.
Extrait 1 :
E : qu’est-ce que vous pensez de la féminisation des noms de
métiers en général
. 20 répondants ont offert plus d’éclaircissements sur leur perception de la féminisation des titres. Les entretiens ont duré environ 30 minutes en moyenne et ont été
enregistrés dans des cafés ou dans le bureau de l’enquêteur. On a demandé aux
répondants de parler tout simplement de ce qu’ils pensaient de la féminisation des
titres et des politiques linguistiques du gouvernement français ; ils étaient donc
libres à s’exprimer sur les points qu’ils estimaient importants. Dans les extraits
d’entretiens, l’enquêteur est désigné par E et on a donné à chaque répondant un
code alphanumérique. Les conversations ont été transcrites ici sans corriger les
fautes grammaticales, et on n’a pas utilisé sic. Les points de suspension désignent
une courte pause et [silence] une longue pause.
« Une pompière ? C’est affreux ! »
17
R1-F19 : c’est très bien euh j’en suis très fière
[passage omis]
R1-F19 : non euh je pense que c’est très bien en certain points
mais euh ça donne des noms pas très jolis à l’oreille
E : d’accord comme quoi par exemple
R1-F19 : comme une pompière
E : une pompière
R1-F19 : c’est affreux
E : c’est affreux
R1-F19 : c’est affreux non
E : et pourquoi
R1-F19 : [silence] euh ça sonne mal
Cette répondante n’explique pas pourquoi le terme une pompière lui paraît affreux, mais il semble s’agir tout simplement de sa
réaction à la sonorité du mot. Elle revient à cette forme plusieurs
fois au cours de la conversation en parlant de sa familiarité avec la
terminaison -ière. D’autres répondants ont offert plus d’éclaircissements, surtout en ce qui concerne la familiarité phonétique d’un
mot, comme en témoignent les extraits suivants.
Extrait 2 :
E : pour pompier c’est pompière une pompière
R2-H23 : ah bon
E : ouais donc vous ne l’avez pas choisi
R2-H23 : bah c’est la phonétique
E : la phonétique
R2-H23 : j’ai jamais entendu parler…j’ai jamais entendu dire une pompière je
savais pas que ça se disait
Dans l’extrait suivant, le répondant va plus loin en mentionnant
l’existence, selon lui, d’un mot dans la langue française.
Extrait 3 :
R5-H20 : en fait c’est ma langue maternelle donc euh j’ai jamais
entendu dire policière pour moi c’est un mot qui existe pas.
18
Rémi Adam van Compernolle
Ces deux derniers extraits soulignent bien l’influence de la familiarité phonétique d’un mot, bien que le changement -ier/ière existe
dans la langue française (e.g., fermier/fermière). C’est le fait de ne
jamais avoir entendu une forme qui la rend étrange. Les femmes
dans les extraits suivants s’expriment sur le fait que certaines professions soient plus « masculines » que d’autres, d’où la résistance
à la féminisation.
Extrait 4 :
R1-F19 : moi je dis j’vais aller chez le docteur
E : chez le docteur…même si c’est une
R1-F19 : même si c’est une femme
[passage omis]
E : pourquoi pas changer au moins le déterminant une docteur…
même si vous changez pas
R1-F19 : bah j’sais pas…ça m’était plus masculin à la base [en]fin
E : d’accord
R1-F19 : avant c’était que des hommes il me semble
Extrait 5 :
R4-F23: je crois que toutes les professions qui sont…masculines…
comme j’sais pas un ministre euh et un docteur c’est des professions qui à la base étaient exercées par les hommes et maintenant
y a des femmes qui les exercent c’est très bien mais c’est pas pour
ça qu’il faut réformer euh mon Dieu toute la langue française [passage omis] pourquoi tout révolutionner euh surtout dans…surtout
dans le domaine de linguistique quoi c’est pas…je reviens à mon
premier truc…c’est pas utile
Il est intéressant de noter non seulement que la répondante dans
l’extrait 5 a une certaine perception des professions dites masculines, mais aussi qu’elle ne voit même pas l’utilité de la féminisation
des noms de métiers. Selon d’autres commentaires faits par cette
femme, il semble que l’égalité entre hommes et femmes ne nécessite pas l’utilisation des noms féminisés, et que le nom de la profession devrait rester invariable que ce soit un homme ou une femme
qui l’exerce – à moins que ce soit un métier dont la forme féminine
« Une pompière ? C’est affreux ! »
19
est courante (e.g., une serveuse). Cette conception semble partagée
par bien des répondants.
Conclusion
On a montré que, d’une part, la population interrogée dans cette
étude ne connaît pas les politiques linguistiques de son gouvernement et n’est pas capable, pour la plupart, d’identifier les formes
féminines officielles. D’autre part, il existe des facteurs linguistiques, socioculturels et psychologiques qui influencent l’emploi
d’une forme féminine. Certains métiers dans des domaines d’activité qui sont majoritairement « masculins » (ou l’ont été traditionnellement), par exemple, résistent encore à la féminisation, de
fait que peu de femmes les exercent. Ce qu’exprime en ces termes
Houdebine-Gravaud (1998 : 34) : « Un argument est parfois avancé,
d’ordre référentiel. L’absence de femme, dans le métier ou la fonction, bloque la désignation : un métier qui n’existe pas n’aurait pas
à être nommé. Une théorie linguistique est alors à l’œuvre chez le
sujet qui perçoit la fonction symbolique de la langue, son «articulation des données de l’expérience» ; elle reste alors conçue comme
une nomenclature désignant les «objets du monde» et un monde
possible, autre, n’est pas envisagé. «A-t-on besoin de nommer ce
qui n’existe pas ?». Pourtant la langue et les sujets inventent les
mots de leurs rêves ». Cette conclusion présente un certain nombre
d’interrogations quant à l’emploi des noms de métiers en France.
Les Français n’emploient-ils le féminin que pour des domaines
où il y a un certain nombre de femmes ou une présence féminine
importante ? Comment, quand et pourquoi invente-on « les mots
de [ses] rêves » ? Des études plus approfondies sur la perception
de la langue française et « l’imaginaire linguistique » (HoudebineGravaud 1998) pourraient s’avérer utiles pour l’étude de la féminisation des noms de métiers.
Références Bibliographiques
Académie Française, La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou
titres : une controverse récente. <http://www.academie-francaise.fr/langue/index.html> (consulté le 15 novembre, 2005a).
20
Rémi Adam van Compernolle
— Féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres. <http://www.
academie-francaise.fr/actualites/feminisation.asp> (consulté le 15
novembre, 2005b).
Barrera-Vidal A. (1995), « La guerre des sexes n’aura pas lieu ! À propos d’un
récent décret sur la féminisation des noms de profession », Praxis des
Neusprachlichen Unterrichts, no 42 : 421-424.
Brick N. & Wilks C. (2002), « Les partis politiques et la féminisation des noms
de métier », Journal of French ���������
Language Studies,
��������� no 12 : 43-53.
Centre National de la Recherche Scientifique/Institut National de la
Langue Française (1999), Femme, j’écris ton nom… guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. Paris, La Documentation
Française.
C ommission G énérale de T erminologie et de N éologie . (1998), Rapport
sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Paris, La
Documentation Française (aussi disponible sur Internet : <http://www.
culture.gouv.fr/culture/dglf/cogeter/feminisation/sommaire.html>).
Communauté Française de Belgique. (1994), Mettre au féminin : guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Bruxelles, Direction
Générale de la Culture et de la Communication (Service de la Langue
Française).
Conrick M. (2000), « The feminization process in francophone countries :
principles and practice », International Journal of Francophone Studies, no
3 : 89-105.
Conseil Supérieur de la Langue Française. (1993, consulté le 24 décembre
2005), <http://www.cfwb.be/franca/publicat/pg016.htm>.
Dictionnaire féminin-masculin des professions, titres et fonctions (1991), Genève,
Métropolis.
Direction de l’Animation de la Recherche des Études et des Statistiques.
(2004a), L’accès des femmes aux métiers : la longue marche vers l’égalité professionnelle. Paris, La Documentation Française.
— (2004b), Les disparités de rémunération entre hommes et femmes : la situation
des quatre branches professionnelles. Paris, La Documentation Française.
Dister A. & Moreau M.-L. (2006), « ‘Dis-moi comment tu féminises, je te dirai
pour qui tu votes.’ Les dénominations des candidates dans les élections
« Une pompière ? C’est affreux ! »
21
européennes de 1989 et de 2004 en Belgique et en France », Langage &
Société, no 115 : 5-45.
Druon M. (1999, 7 août), « Le bon français…du gouvernement », Le Figaro.
Evans H. (1995), « Une femme professeur, une professeur(e) or une prof ? »,
Francophonie, no 12 : 42-46.
Fleischman S. (1997), « The battle of feminism and ‘Bon Usage’ : instituting
nonsexist usage in French », The ���������������
French Review, no 70 : 834-844.
Gervais-le Garff M. (2002), « Liberté, égalité, sororité : a new linguistic order
in France ? », Women and Language, no 25 : 1-7.
Houdebine-Gravaud A. (1992), « Sur la féminisation des noms de métiers en
français contemporain », Recherches féministes, no 5 : 153-159.
— (1998), « De la féminisation des noms de métiers », in Houdebine-Gravaud
A. (1998), La Féminisation des noms de métiers : en français et dans d’autres
langues, Paris, L’Harmattan : 19-39.
— (2003), « Trente ans de recherche sur la différence sexuelle, ou le langage
des femmes et la sexuation dans la langue, les discours, les images »,
Langage & Société, no 106 : 33-61.
Lamothe J. & Labrosse C. (1992), « Un fragment du féminisme québécois des
années quatre-vingt : la féminisation linguistique », Recherches féministes,
no 5 : 143-151.
Lanot G. & Robin J.-M. (1997), « Participation des femmes au marché du travail en présence de taxation directe et de coût de participation », Annales
d’Economie et de Statistique, no 48 : 1-14.
Lariviere L. (1999), « La Féminisation linguistique : prises de position officielles
dans les pays francophones industrialisés », Études Francophones, no 14 :
137-172.
— (2001), « Diversité des règles morphologiques de féminisation dans les
pays francophones industrialisés », Études Francophones, no 16 : 87-108.
Martel P. (2001), « Le français de référence et l’aménagement linguistique »,
Cahiers de l’Institut de Linguistique de Louvain, no 27 : 123-139.
Mercier A. (2002), « L’homme et la factrice : sur la logique du genre en français », Dialogue, no 41 : 481-516.
22
Rémi Adam van Compernolle
Michard C. (2003), « La notion de sexe en français : attribut naturel ou marque
de la classe de sexe appropriée ? », Langage & Société, 106, 63-80.
Muray P. (2000, 4 janvier), « L’homme du XXe siècle sera une femme », Le
Monde.
Niedzielski H. (1987), « Le neutre en français du treizième siècle au vingtième
siècle », Lingua Posnaniensis, no 30 : 29-37.
Parent M. (1993), « Féminisation et masculinisation des titres de professions
au Québec », La Linguistique, no 30 : 123-135.
Planelles Ivanez M. (1996), « L’influence de la planification linguistique
dans la féminisation des titres en France et au Québec : deux résultats
différents en ce qui a trait à l’usage », Revue Québécoise de Linguistique,
no 24 : 71-106.
Pogacnik V. (1999), « Les Ressources et les blocages de la féminisation des
noms en français », Linguistica, no 39 : 145-152.
Office Québécois de la Langue Française. (1991), Au féminin : guide de féminisation des titres de fonction et des textes. Québec, Publications du Québec.
Rey-Debove J. (1998, 14 janvier), « Madame ‘la’ ministre », Le Monde.
Service de la Langue Française, <http://www.cfwb.be/franca/pg002_mettreaufeminin.htm> (1994, consulté le 24 décembre, 2005).
Trésor de la Langue Française Informatisé. (30 décembre, 2005). <http://
atilf.atilf.fr/tlf.htm>.
Trudeau D. (1988), « Changement social et changement linguistique : la question du féminin », The French Review, no 62 : 77-87.
Vachon-l’Heureux P. (1992), « Quinze ans de féminisation au Québec : de 1976
à 1991 », Recherches Féministes, 5, 139-142.
« Une pompière ? C’est affreux ! »
23
Annexe Questionnaire : étude lexicale de la féminisation des noms de métiers et grades en France
Renseignements démographiques
Merci de répondre aux questions ci-dessous avant de remplir le questionnaire, s’il vous plaît.
Age : …..........
Sexe : H F Lieu de naissance : .......................................................................... (ville et pays)
Depuis quand habitez-vous en France ? . ..........................................................
(Si vous êtes né(e) en France, veuillez indiquer l’année de votre naissance.)
Nationalité : . ............................................................................................................
Profession :
étudiant(e) ; employé(e) ; autre ........................................... (veuillez préciser.)
Niveau d’éducation : ..............................................................................................
Questionnaire
Veuillez encercler la ou les forme(s) féminine(s) et masculine(s) officielle(s)
de chaque métier ou grade ci-dessous. Dans les cas où il y aurait plus
d’une forme officielle (c.-à-d. admise par le gouvernement français),
veuillez encercler toutes les formes officielles.
1. une serveur, une serveuse, une serveure, un serveur
2. une pompier, une pompieuse, une pompière, un pompier
3., une docteure, une docteur, une doctoresse, un docteur
4. une pilote, une piloteuse, une pilotrice, un pilote
5. une sénateur, une sénateure, une sénatrice, un sénateur
6. une femme hockeyeur, une hockeyeure, une hockeyeuse, un hockeyeur
7. une colonel, une colonelle, une colonelleuse, un colonel
8. une président, une femme président, une présidente, un président
9. une professeur, une professeuse, une professeure, un professeur
10. une policier, une femme policier, une policière, un policier
11. une avocat, une avocate, une avocatrice, un avocat
12. une cardiologue, une cardiologueuse, une cardiologuière, un cardiologue
13. une baby-sitter, une baby-sitteuse, une baby-sitteure, un baby-sitter
14. une exportateure, une exportatrice, une exportateuse, un exportateur
15. une traducteure, une traductrice, une traducteuse, un traducteur
16. une écrivaine, une écrivain, une femme écrivain, un écrivain
17. une psychologuesse, une psychologue, une psychologueuse, un psychologue
Merci de votre participation.