PDF - Ven Yam

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PDF - Ven Yam
Ven Yam
Philadelphia’s
Incubus
1. Nouvelle vie après la mort
Cette nouvelle a été écrite (en 48h) dans le cadre du
défi « une histoire en un week-end ».
Prologue
le contrat
C’est con de mourir comme ça. Non,
vraiment. Je sortais juste pour prendre l’air et
calmer mes nerfs. Je voulais simplement
oublier que la femme que j’aimais venait de
rompre avec moi. Et je suis mort. Je pleurais
quand c’est arrivé d’ailleurs. Ouais, je suis mort
comme un con qui pleure.
D’abord, je n’ai pas compris ce qui se
passait. J’ai entendu le bruit de freins qui
crissent sur le bitume. Je me suis dit que la
pluie y était pour quelque chose, mais je ne me
suis pas inquiété. J’étais trempé, dévasté, le
cœur brisé. Et puis j’étais sur le trottoir, en
toute logique, je ne risquais rien.
Sauf qu’au moment où Sienna m’envoyait
chier à coup de « tu es trop sérieux et ce n’est
pas la direction que je veux pour ma vie… », à
l’autre bout de la ville, un mec en était à son
septième verre et se disait qu’il était temps de
rentrer. Bien sûr, pas plus que moi, il ne se
doutait que nos vies allaient entrer en collision.
Littéralement.
C’est comme ça que je suis mort, et lui aussi.
Pas en me percutant, c’est le poteau qui l’a
achevé.
Et on s’est retrouvés là, deux esprits
complètement perdus à regarder nos corps sans
vies. Je l’aurais bien tué le chauffard, mais il
était déjà mort alors je me suis dit que ça ferait
doublon.
Seulement le truc, quand on meurt avec un
désespoir aussi frais que le mien, c’est que ça
attire les démons.
Elle est arrivée dans toute sa splendeur
démoniaque, des cheveux noirs d’encre qui
tombaient raides et épais jusqu’au bas de son
dos, des yeux rouges rubis, bordés de cils épais,
des lèvres pleines gainées de rouge et sublimées
par une moue aguicheuse. Un long corps aux
mouvements félins moulé dans une robe noire
qui lui allait à merveille, des jambes
interminables desquelles je ne pouvais pas
détacher les yeux. Elle dégageait une aura
purement sexuelle et je crois même que le
chauffard se serait mis à genoux si cette
démone le lui avait demandé.
Moi, je n’étais pas mieux, c’était plus fort
que moi, j’avais envie de toucher, de goûter sa
perfection. Elle était comme une flamme qui
hypnotise au point qu’on veuille y plonger, tout
en sachant que ça ne peut rien apporter de bon.
Elle s’est arrêtée devant nous et nous a fixés
un long moment avec un demi-sourire qui
laissait croire qu’elle connaissait parfaitement
l’effet qu’elle avait sur nous.
J’avais chaud, terriblement chaud. Au point
de penser que j’allais brûler si je ne pouvais pas
la toucher.
Elle a pris la parole et ça a été pire, parce que
peu importe ce que sa voix disait, ça donnait
l’impression d’insanités soufflées à l’oreille du
genre qui fait trembler de désir aux heures les
plus secrètes de la nuit.
Ce qu’elle nous a dit, c’était son nom :
Adriana. Et je m’imaginais déjà le gémir. Ce
n’est pas arrivé, bien sûr. Adriana n’était pas là
pour jouer, elle venait pour affaire. Pour passer
un contrat. Pour m’offrir tout ce que je n’avais
pas eu dans ma vie : la beauté, l’aisance, le
pouvoir. Soyons clair, je n’étais pas moche
quand j’étais humain, mais j’étais plutôt banal.
Là, elle me proposait la Beauté avec un
grand B, de celles dont les femmes rêvent la
nuit et qui les font se réveiller agitées, trempées
et encore rêveuses. Et au chauffard – Jesse,
comme j’allais l’apprendre plus tard – elle lui
offrait le même deal.
Evidemment, il y avait un prix à payer. Le
prix étant qu’on liait nos âmes à elle. En
échange de tout ça, on acceptait de devenir des
émissaires de la corruption. C’est comme ça que
je suis devenu un Incube et je me suis retrouvé
coincé avec Jesse, le mec qui m’avait tué
devenu Incube lui aussi. Collègues de boulot à
Philadelphie. Et notre premier job était d’aller
pomper un peu d’essence vitale à une personne
qu’on a aimée. Le seul moyen pour finaliser le
deal.
Adriana nous a séparés et quand on s’est
retrouvés, je n’ai pas reconnu Jesse. Il n’avait
plus rien du campagnard mal bouché qu’il avait
été. Il avait un physique de dieu grec et une voix
grave, profonde, un timbre de velours dans
lequel on avait envie de se rouler. J’ai secoué la
tête pour faire passer l’image.
- Bienvenue chez vous, nous dit Adriana en
désignant l’appartement du centre de
Philadelphie.
C’était gigantesque et lumineux. Des espaces
ouverts, des meubles métalliques et bois usé,
comme s’ils venaient d’un entrepôt, mais le tout
très design. J’ai aimé tout de suite, en
particulier les canapés en cuir. Le seul
problème était de m’installer avec celui qui
m’avait tué, mais comme l’a dit Adriana :
- Tu vas pas rester focalisé là-dessus mon
choux, on fait tous des erreurs dans la
vie.
Un chauffard qui m’a tué, devenu Incube et
une démone arrogante obsédée par les âmes
qui utilise des surnoms ridicules, voilà qui sont
les enfoirés devenus mes meilleurs amis. Et les
personnes les plus importantes de ma vie.
Du moins, ils le sont maintenant, mais lors
de ma première mission… tout n’était pas si
simple.
1 . L’Adaptation
Il est dix-huit heures quand je me lève. Je
suis un démon depuis deux jours et mon corps
semble être adapté au rythme noctambule. Je
descends les marches et repère Jesse, déjà assis
dans la cuisine de notre duplex, un verre de
liquide ambré à la main.
- Sérieusement ? Tu bois du whisky au
petit-dèj ?
Il hausse ses épaules, les muscles roulent
sous sa peau dorée. Ses cheveux bruns coincés
derrière ses oreilles et ses yeux d’une couleur
indéfinissable, quelque part entre le vert et le
noisette, me disent qu’il vient de se lever lui
aussi. Il est magnifique ce crétin et depuis
qu’on a hérité de nos nouveaux corps, il passe
son temps à moitié nu.
- Pour l’effet que ça me fait, répond-t-il, ça
pourrait aussi bien être du jus de pomme.
- Mais avec un goût plus dégueulasse.
- On s’y fait.
Je suis en train de faire bouillir de l’eau pour
le thé quand il prend la parole. Je l’entends
avaler bruyamment avant de parler.
- Adriana a déposé ça pour toi.
D’un geste du doigt, il désigne un sac à
vêtement noir qui contient certainement un
costume. Je hoche la tête en remerciement et
remarque qu’il a la bouche pleine.
- Qu’est-ce que tu manges ? demandé-je
avec une mine dégoutée.
- Du bœuf séché.
- Au petit-déjeuner, Jesse ?
- J’ai faim ! contre-t-il. Et pis, tu m’as vu ?
Je peux bouffer ce que je veux.
Il se lève et désigne ses tablettes de chocolat
impressionnantes pour faire bonne mesure. J’ai
la soudaine envie de soulever mon t-shirt pour
comparer avec les miennes. Je secoue la tête et
reviens à ma bouilloire qui siffle.
-
-
Comment s’est passé ta première nuit en
ville ? demandé-je quand je m’installe
face à lui avec ma tasse de thé fumante.
Génial ! T’aurais vu ça, je suis entré dans
le club et personne ne pouvait me lâcher
des yeux. Nora bavait littéralement
devant moi.
Nora, comme il me l’a expliqué est une stripteaseuse dont il était tombé amoureux. Elle
s’est foutue de lui à l’époque et lui a extorqué
de l’argent avant de le jeter comme un
malpropre.
Il y a ce truc chez Jesse qui rend tellement
simple d’abuser de lui. Il a une naïveté
presque stupide. Il n’a rien d’un gosse,
encore moins depuis qu’il a son nouveau
corps, mais il a la mentalité d’un gentil
garçon de la campagne, alors forcément, il
ne voit pas quand les gens se foutent de lui.
Pourtant quelque chose me dit qu’ils auront
moins tendance à le faire maintenant. C’est
assez triste comme constat, mais c’est vrai,
on a moins d’emmerdes quand on est beau.
-
Donc, tu as conclu le deal ?
Plutôt deux fois qu’une.
Il m’adresse un clin d’œil et je fais mine de
gerber dans ma tasse. Au moins, ça a le
mérite de le faire rire.
-
Nous superpouvoirs sont carrément plus
cool que ceux de Superman.
Je lève les yeux au ciel au terme
superpouvoir. Il se prend pour un Avenger
ou je ne sais quoi. Hier, il s’est amusé à
soulever le canapé tout seul pour mesurer
notre force et quand il a compris qu’il
pouvait le garder au-dessus de sa tête avec
une seule main, il a couru dans tout
l’appartement à ma recherche pour me
montrer l’exploit. Je n’arrive pas vraiment à
le détester, même s’il m’a tué. Il me fait
penser à un chiot géant sous stéroïdes.
Adorable au point qu’on ne peut pas lui en
vouloir même s’il pisse dans vos chaussures.
-
Et toi, qu’est-ce que tu as fait hier soir ?
Je suis resté là.
-
-
A te branler ? déduit-il immédiatement.
T’as plus besoin de faire ça, tu sais. Mais
je comprends, moi aussi quand j’ai vu la
queue que m’a donné Adriana, j’étais
genre ouah, elle a pas lésiné sur la
marchandise et…
Arrête de parler de ta queue ! grogné-je
en me frottant le visage d’une main dure.
Et j’avais juste besoin de m’habituer c’est
tout.
Oui, j’ai passé pas mal de temps ces derniers
jours à me regarder dans le miroir pour me
faire à ma nouvelle apparence. Je sais que je
dois sortir pour finaliser le deal. Je dois
retrouver Sienna. Mais le fait est que se
déplacer dans un corps qui mesure plus d’un
mètre quatre-vingt-dix, ce n’est pas la même
chose que dans un corps d’un mètre
soixante-quinze. J’ai passé plus de deux
heures à m’examiner sous toutes les
coutures. J’ai la peau mate maintenant,
comme si j’avais passé des heures à poil au
soleil, mes yeux ont changé et sont passés
d’un vert banal à un vert clair avec une
couronne dorée autour de la pupille. J’ai le
nez droit et la ligne de ma mâchoire est bien
dessinée. Mon reflet dans le miroir m’a fait
penser à une pub Colgate quand j’ai souri.
Mes cheveux sont brillants, bruns aux reflets
cuivrés.
Alors, je suis resté comme un con à regarder
la forme et à tâter les muscles. Et oui, peutêtre que je me suis effectivement branlé sous
une douche brûlante, mais je ne compte pas
en débattre avec Jesse. Le truc, c’est que je
suis excité, un courant sous ma peau. L’envie
de sexe qui ne me lâche pas, c’est comme
une faim incontrôlable. Peut-être est-ce le
cas. Je suis un Incube maintenant.
-
T’as remarqué notre manque de
pilosité ?
Ta gueule, Jesse !
Oh, ça va, grogne-t-il. T’es pas du matin,
ou t’es toujours un connard ? Attends,
c’est ton deuxième prénom ? Lane
Connard Jones ?
-
Non, en fait c’est mon premier prénom,
le Connard vient avant le reste.
Ah ben, je t’appellerai Connard à
l’avenir.
Fais-toi plaisir.
On finit le petit-déjeuner en silence. Je ne
ressens pas le besoin de parler, mais Jesse
soupire rapidement avant de relever ses yeux
multicolores vers moi.
-
T’as prévu quoi pour ce soir ?
Je vais finaliser le marché.
Avec la fille qui t’a largué ?
Oui. Elle ne sort pas souvent, mais elle a
une soirée d’affaire ce soir. La remise
d’un prix d’architecture à un de ses
collègues. Je pense que ce sera moins
louche de la trouver là-bas que de me
pointer sur le pas de sa porte.
Jesse hoche la tête, songeur.
-
C’est pour ça qu’Adriana a déposé ça ?
demande-t-il en désignant le costume.
Je hoche la tête. J’en ai parlé à la démone
quand elle m’a demandé pourquoi je ne me
bougeais pas les fesses hier soir.
-
Je peux venir avec toi ? demande Jesse.
Je le fixe avec suspicion, mais il m’accorde
un large sourire.
-
Allez, Connard. Le soutien fraternel
entre Incubes et tout ça ? Et puis il y a
possibilité de choper de la business girl…
Je soupire, mais quelque part, ça me rassure
de ne pas y aller seul.
-
Il faudra juste qu’on trouve le moyen
d’enter, concédé-je.
Oh, t’inquiète ! s’amuse Jesse. On entre
où on veut quand on veut…
Je lui accorde un regard interrogateur et ses
yeux se mettent à briller de malice.
-
Tu verras bien quand tu sortiras. L’effet
qu’on fait aux gens, c’est dingue.
Superpouvoir, je te dis.
Je lève les yeux au ciel. Dire que je suis
coincé avec lui…
Je débarrasse ma tasse et prends la direction
de ma chambre à l’étage. Je suis au milieu des
escaliers quand je pense à crier : « trouve-toi un
costume ! »
-
Ça marche, Connard !
Ouais, c’est ce qu’est devenue ma vie depuis
que je suis mort.
2. La soirée
Le costume que m’a choisi Adriana est un
Dior gris anthracite avec une cravate, une
ceinture et des chaussures noires. J’ai du mal à
croire que c’est moi en me regardant dans le
miroir. On dirait qu’il a été fait sur mesure. Il
me met en valeur d’une manière presque
indécente.
Je descends les escaliers pour aller rejoindre
Jesse, mais je m’arrête avant d’atteindre la
dernière marche. Mon colocataire est occupé à
fixer sa propre cravate – sans grand succès –
devant le miroir de l’entrée. Son costume est à
l’opposé du mien. Il est noir et ses accessoires
sont gris avec un liseré argenté. Il est
méconnaissable. Ses cheveux sont lissés et
placés derrières ses oreilles, mais quelques
mèches reviennent s’accrocher à son visage et
lui donnent un air un peu rebelle malgré le
costume.
Il semble sortir d’un magazine de mode. Je
doute un instant que ce soit lui. Mais quand il
me repère dans le miroir, il se retourne en
sifflant et m’accorde un sourire idiot.
-
Ouah, t’as la classe, Connard !
Oublions ce que j’ai dit. C’est bien lui, pas de
doute. Je le rejoins pour l’aider à se
dépatouiller de sa cravate, il n’en a clairement
pas l’habitude. Quand c’est fait on se tourne
tous les deux vers le miroir et j’avoue qu’il n’est
pas le seul à avoir l’air d’un mannequin. On fixe
notre reflet bien trop longtemps.
-
Comment tu as eu le
demandé-je finalement.
Je l’ai demandé gentiment.
costume ?
Il me sourit de toutes ses dents et je secoue
la tête.
***
La remise du prix d’architecture a lieu au
Ritz-Carlton. Un des plus beaux hôtels de Phily
au look de Parthénon. On entre dans le hall et
les têtes se tournent sur notre passage. Je
regarde le phénomène avec un mélange de
fascination et de malaise. Quand je jette un œil
à Jesse, je le vois qui sourit à tout le monde
avec un air prédateur. Je lui balance un coup de
coude dans les côtes.
-
Ah ! Quoi ?
Arrête !
Pourquoi ? Pas de ma faute s’ils bavent
tous sur nous.
Ce n’est même pas la peine de parler avec
lui.
-
Fais-nous entrer, grogné-je.
Ok, suis mon exemple.
On avance jusqu’à l’accueil, derrière lequel
une hôtesse hautaine, engoncée dans un tailleur
formel, est concentrée sur un pc. Jesse
s’accoude au comptoir et me lance un regard
pour que je l’imite. Je m’exécute et souris
comme il le fait.
-
Excusez-moi, ronronne-t-il.
L’hôtesse relève immédiatement la tête et
son regard passe de Jesse à moi, comme si elle
ne savait pas sur lequel de nous deux s’arrêter.
Ses pupilles sont dilatées et le rouge lui monte
furieusement aux joues.
Jesse me lance un regard et je l’entends
presque
mentalement
me
lancer :
« superpouvoir ! ».
Je comprends un peu mieux maintenant.
Mon sourire s’élargit alors que je donne un
nom au hasard pour que la fille vérifie sa liste.
Elle a l’air déçue et désolée quand elle relève les
yeux pour nous informer que nous ne sommes
pas prévus.
-
C’est sûrement une erreur, suggère Jesse
sans perdre son sourire.
Elle semble douter un moment, mais je
prends sa main au-dessus du comptoir.
-
Oui, assurément une erreur, soufflé-je en
tentant de paraitre charmant.
Son regard se fixe sur moi et se fait vague,
comme si elle ne se souvenait même pas de ce
dont on parlait. Elle a l’air de ne pas s’en
soucier, tant qu’elle peut me regarder. Je me
demande si elle respire encore. Je jette un
regard à Jesse, mais il hausse les épaules.
-
N’est-ce pas ? demandé-je pour la
relancer.
Bien sûr ! s’exclame-t-elle. Evidemment.
Bienvenue messieurs.
On lui sourit, mais ça semble être trop pour
elle, alors je pousse Jesse à avancer avant
qu’elle ne fasse un arrêt cardiaque.
-
Merci, beauté ! lui lance Jesse par-dessus
son épaule.
La fille lâche un hoquet et je ne peux pas
m’empêcher de rire un peu.
-
Arrête tes conneries, soufflé-je à Jesse.
Il me retourne un regard amusé qui dit
clairement : « je ne regrette rien. »
On s’arrête devant les grandes portes
blanches de la salle de réception et je prends
une profonde inspiration en réajustant ma
veste de costume. Jesse attend patiemment que
je me reprenne en main. Je hoche la tête et on
pousse les portes.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne
passe pas inaperçus. Je décide de ne prêter
attention à personne en attendant qu’on ait
trouvé un endroit d’où on pourra préparer un
plan d’action. Je marche tête haute vers un
endroit isolé. Du coin de l’œil, je vois Jesse
imiter ma posture.
-
Pas mal l’air mystérieux, souffle-t-il.
Mais je crois pas que ça détourne
l’attention. Tu le sens toi aussi ?
Le pire, c’est que je n’ai pas à lui demander
de quoi il parle. Parce que la réponse est oui, je
le ressens. Le désir. L’envie qu’on éveille dans
la foule et qui m’arrive par vagues, je me sens
électrisé. Plein d’une puissance que je ne
connais pas. C’est de ça qu’il me parlait.
Maintenant, je vois ce qu’il voulait dire.
-
Et merde, souffle Jesse.
Quoi ?
-
-
L’électricité. Je suis excité, si je ne baise
pas bientôt, je te jure que je te plaque au
mur et que je me fais les dents sur toi.
Calme-toi, Adriana nous a dit que ce
serait intense les premiers jours, essaie
de les bloquer.
Il hoche la tête et respire doucement. Ce que
la démone a dit exactement c’est : « ça va être
plutôt hardcore, mes petits lapins, vous risquez
de ne pas débander pendant quelques jours.
Amusez-vous bien, j’ai des choses à voir et des
gens à me faire. »
On s’arrête finalement dans un coin de la
salle, qui nous donne un bon angle
d’observation.
-
Ça va ? demandé-je à mon colocataire.
Ouais, répond-t-il même s’il parait
tendu. Trouve ton ex qu’on en finisse.
Je jette un œil à la salle et je la repère qui
valse. Elle porte une longue robe rose poudrée
et ses cheveux châtains tombent en vagues
étudiées. Elle parait aller parfaitement bien,
même si je suis mort il y a deux jours à peine.
Et toute l’électricité de la salle n’est rien en
comparaison de la rage que j’éprouve en
remarquant qu’en plus, son cavalier n’est autre
que son « collègue » Bruno avec qui je la
soupçonnais de me tromper.
-
C’est elle ? me demande Jesse en suivant
mon regard.
Ouais.
Pas terrible, mais bon. Allez, à l’attaque !
Sur ce, Jesse me pousse vers la piste de
danse et lève un pouce
en guise
d’encouragement quand je tourne la tête pour
le fusiller du regard.
3. La revanche
J’approche Sienna et Bruno en essayant de
me rappeler que je ne suis plus le mec que
j’étais. J’ai toutes les raisons d’avoir confiance
en moi maintenant. Je calme mes nerfs et ma
rage à l’aide de profondes inspirations.
Quand j’arrive au couple qui glisse sur la
piste, je tape nonchalamment sur l’épaule de
Bruno qui tourne un regard ennuyé vers moi.
- Je peux vous emprunter votre cavalière le
temps d’une danse ? lui demandé-je avec
un sourire.
Il semble prêt à refuser, mais il suffit que
Sienna pose le regard sur moi pour qu’elle
accepte sans lui laisser la possibilité de parler.
Il recule à contrecœur et Sienna prend place
dans mes bras.
-
Bonsoir, souffle-t-elle.
Je baisse les yeux vers son visage. Elle me
parait minuscule maintenant. Avant, on faisait
presque la même taille et certainement presque
le même poids. Maintenant, elle est enveloppée
par ma carrure.
-
Bonsoir, réponds-je dans le même ton
grondant que Jesse a utilisé sur la fille de
l’accueil.
Elle semble avoir le souffle coupé un instant.
Elle me fixe avec un regard brillant et j’essaie
de ne pas me sentir blessé. Elle ne m’a jamais
regardé comme ça avant.
-
Vous avez l’air de me connaitre.
Si elle savait à quel point…
-
Je connais Lane.
Oh, fait-elle mal à l’aise. On n’est plus
ensemble.
Elle ne sait pas que je suis mort. Ça se voit à
sa façon de parler de moi. Je m’apprête à le lui
dire, quitte à foutre en l’air l’opportunité de
conclure le marché, mais elle continue de
manière légère.
-
Il parlait mariage, et ça n’a jamais été
comme ça pour moi. Je n’étais pas
amoureuse,
je
voulais
juste
m’amuser.
Waouh. Deux ans et demi d’amusement,
hein. Je pensais compter après tout ce temps.
Je me suis planté. Qu’à cela ne tienne.
Je glisse une main au creux de ses reins pour
l’approcher davantage de moi avant de
murmurer à son oreille : « je sais m’amuser ».
Elle essaie de réprimer un frisson, sans succès.
La ligne de sa robe est si basse dans le dos, que
mon pouce caresse sa peau nue.
-
Ah oui ? demande-t-elle à voix basse.
Mhm.
Sa main se serre sur ma chemise et je penche
la tête pour laisser mon nez tracer la ligne de sa
gorge avant de répondre : « Tu veux jouer ? »
Si elle était dans son état normal, elle
m’aurait sûrement engueulé à voix basse pour
mon comportement inapproprié. Mais elle se
contente de hoqueter avant de lâcher un « oui »
tremblant.
Malgré moi, mon sourire se fait prédateur.
Je sens son désir, la température de son corps
qui grimpe en flèche. C’est comme si j’avais un
cadran d’indication qui me dit : « vas-y,
fonce ! »
Je la relâche, mais prends sa main dans la
mienne pour l’attirer à ma suite vers l’angle de
la salle où le couloir disparait pour mener aux
toilettes. En passant, je croise le regard de
Bruno à qui je lance un regard victorieux.
J’attire Sienna dans les toilettes qui sont
assez classes pour servir de salon à la plupart
des gens. Mais je ne suis pas là pour admirer les
dorures. Elle ferme la porte derrière nous d’une
main tremblante et se retourne pour me
regarder. Son envie est si forte qu’elle
m’étouffe. Je fais un pas en avant et la plaque
contre la porte fermée avant de plonger sur ses
lèvres. C’est alors que je comprends comment
on extrait l’essence vitale. Elle passe de ses
lèvres aux miennes et je plonge ma langue dans
sa bouche, prenant sans pitié. Elle gémit et se
tortille entre mes bras, ses mains se serrent
avec force sur mes épaules. Elle répond à mon
baiser avec tout ce qu’elle a. Elle m’embrasse
comme jamais avant ça. Une de mes mains
s’emmêle dans sa crinière et l’autre se referme
sur le satin de sa robe que je froisse en
remontant lentement le tissu le long de ses
jambes. Mais je ne peux pas lâcher ses lèvres.
J’ai faim, j’ai besoin de cette essence délicieuse.
C’est addictif. Seule la peur de la tuer me fait
reculer mes lèvres des siennes, mais je ne
m’éloigne pas. Ma bouche descend le long de sa
gorge, je repousse la bretelle de sa robe qui
tombe d’un côté. Ses propres lèvres sont
rouges, sont souffle haletant, elle rejette la tête
en arrière quand ma main entre en contact avec
la peau nue de sa cuisse.
Quelqu’un se met à frapper à la porte, mais
elle est trop perdue pour s’en rendre compte et
moi, je n’en ai rien à foutre. Je suis occupé à lui
faire perdre la tête. Elle voulait s’amuser, voilà
de quoi la satisfaire.
Je me débarrasse de sa culotte blanche et
elle atterrit sur les lavabos. J’ouvre la braguette
de mon costume et libère mon érection
douloureuse. Je prends une de ses mains
tremblantes pour la placer dessus. Elle me
branle d’un geste incertain, comme si elle ne se
souvenait même plus de son nom.
-
Embrasse-moi, supplie-t-elle. Embrassemoi encore.
C’est demandé si gentiment. Je m’empare de
ses lèvres et à nouveau, je sens le flux reprendre
et j’y bois comme un assoiffé. Sienna transpire
comme si elle était fiévreuse, elle tremble et
supplie. Sa robe retroussée sur ses hanches, ma
main qui la caresse sans indulgence. Elle se
cambre, halète, et crie carrément quand mes
doigts s’enfoncent en elle. Déjà trempée,
tellement prête à s’offrir à un monstre dans
mon genre alors qu’elle m’a rejeté quand j’étais
un homme bien, dont le seul crime était d’être
un peu trop amoureux à son goût.
J’ai juste envie d’en finir. Je la soulève
comme si elle ne pesait rien et la pénètre d’une
seule poussée. Sa voix se brise d’extase et
derrière la porte, les gens qui frappaient se
taisent. Aucun doute sur le fait qu’ils savent
exactement ce qui se passe ici. Ça m’excite
étrangement et je m’assure de faire porter la
voix de Sienna. Ses jambes enroulées autour de
mes hanches, je maintiens ses cuisses pour
qu’elle ne glisse pas et m’enfonce en elle avec
plus de vigueur.
-
Plus fort, supplie-t-elle et j’obéis.
La porte tremble sous mes assauts et Sienna
laisse échapper des gémissements et un flot
d’encouragement
décousu
qui
consiste
principalement à me demander de ne pas
arrêter. J’accélère encore la cadence, m’arrête,
ralentis, reprends à pleine puissance et je sens
qu’elle est perdue.
Soudain, elle se cambre, rigide une seconde,
avant que je sente ses tremblements. Je
l’embrasse à nouveau pour prendre son essence
et j’ai à peine le temps de me retirer que je jouis
à mon tour.
On reste un moment dans la même position
à simplement respirer lentement, mais soudain,
les coups reprennent à la porte et cette fois, elle
les entend.
-
-
-
Oh, merde ! panique-t-elle, elle prend
une serviette en papier et se nettoie
rapidement. Rhabille-toi vite. On va se
faire virer à coup de pied, voire arrêter
pour indécence.
Sur le lavabo, lancé-je quand elle se met
à regarder partout à la recherche de sa
culotte perdue.
Merci.
Quand elle se tourne vers moi, j’ai déjà
réajusté mon pantalon et mon costume est
impeccable, mes cheveux sont une cause
perdue à présent et je n’essaie même pas d’y
mettre de l’ordre.
-
Est-ce qu’on se reverra ? me demande
mon ex.
Sait-on jamais, réponds-je avec un
haussement d’épaule.
Ses lèvres se pincent un peu, mais elle
semble fondre sous ma main quand je lui
presse légèrement l’épaule.
Quand Sienna ouvre la porte, je ne suis qu’à
moitié surpris de voir Bruno accompagner la
sécurité. Je lui lance un demi-sourire. Il est
enragé.
-
Veuillez nous suivre, monsieur, me lance
un des hommes de la sécurité.
Où est Jesse quand j’ai besoin de lui ?
4. Nouvelle vie
(après la mort)
Bruno fixe Sienna, qui me fixe alors que je
fixe les agents de sécurité dont l’attention ne
me lâche pas. C’est une situation… intéressante.
Tendue certes, mais intéressante.
-
Je ne compte pas vous suivre, messieurs,
dis-je d’une voix assurée. Vous allez me
laisser sortir.
Si le premier semble enclin à me laisser filer,
comme hypnotisé par mon ordre, le second
n’est pas de cet avis. Il se rue sur moi, mais je le
contourne et lui envoie un coup de pied aux
fesses. Il rentre tête la première dans une des
cabines. Tout le monde se fige, surpris. Je ne
prends pas le temps de m’attarder et fonce dans
la salle de réception.
-
Jesse ! hurlé-je en regardant autour de
moi.
Plusieurs têtes se tournent vers moi et
m’observent avec la même fascination que
précédemment, même si j’ai plutôt l’air dingue
à ce moment. Mais mon colocataire n’est pas là.
Je continue ma course vers la sortie et pousse
les larges portes blanches. Une fois dans le hall
je scanne les environs à sa recherche avant de
crier une dernière fois : « Jesse ! »
Sa tête apparait derrière le comptoir de la
réception, complètement échevelé, sa cravate
défaite sur sa chemise ouverte, il a du rouge à
lèvres sur la gorge.
-
Quoi ? grogne-t-il.
On s’arrache d’ici ! J’ai la sécurité aux
fesses.
Merde ! marmonne-t-il, mais il se relève
déjà en fermant son pantalon.
Il s’appuie au comptoir et saute par-dessus.
Dès qu’il est passé, on détale vers la sortie.
-
A un de ces jours, chérie ! lance-t-il pardessus son épaule.
Si la réceptionniste répond, on ne l’entend
pas. On est déjà dans la rue à courir comme si
des chiens de l’enfer étaient à nos trousses.
Il se passe un bon moment avant qu’on
prenne un tournant, nous arrêtant dans une
ruelle, on s’adosse au mur et après quelques
respirations, on éclate de rire. L’adrénaline et
l’électricité courent dans mes veines et mon rire
ne s’arrête pas. Je me laisse finalement glisser
contre le mur et finis assis par terre, sans me
soucier de mon costume. Je ris beaucoup trop
pour m’inquiéter de quoi que ce soit. Jesse se
laisse tomber à côté de moi et on s’appuie l’un
sur l’autre, épaule contre épaule.
-
Je n’ai jamais autant ris de ma vie,
hoqueté-je.
Bonne chose que tu sois mort, alors !
Et je ne sais pas pourquoi ça accentue notre
fou-rire. Ce n’est pas si drôle que ça.
-
Merde, on est mort ! soufflé-je quand on
se calme. On n’aura plus la vie qu’on
avait. Les gens qu’on connaissait.
Il hoche la tête avant de passer un bras
autour de mes épaules. Sa main décoiffe un peu
plus mes cheveux dans un geste affectueux et il
me pousse et poser mon front contre sa tempe
avant d’ajouter : « maintenant, tu m’as moi,
Connard »
-
C’est sensé me réconforter ? demandé-je,
amusé.
Ouais. Je suis pas toujours le plus
intelligent, mais tu ne trouveras pas plus
loyal.
Je le regarde aussi bien que je le peux sans
bouger. Sa main me maintenant toujours,
j’aperçois un sourire sur son profile et je l’imite,
pris d’affection pour cet idiot.
-
Ouais, je t’ai toi.
Mhm.
Quand on se décide à repartir, il garde son
bras autour de mes épaules, je passe un des
miens autour de sa taille et je me dis que je n’ai
vraiment pas perdu au change.
-
Alors, la fille de la réception ?
Mortelle ! lance-t-il. Et avec ton ex ?
-
Le marché a été conclu, réponds-je avec
un regard qui veut tout dire.
Suis fier de toi, Connard. Maintenant, il
faut qu’on trouve un plan pour se choper
Adriana.
Dire que je vais passer l’éternité avec ce
crétin…

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