Les clauses abusives passées à la loupe

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Les clauses abusives passées à la loupe
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Les clauses abusives passées à la loupe
19/09/13
Dans bon nombre de cas, la balance penche fréquemment, lors de la conclusion de contrats standardisés, du
côté de la partie économiquement forte, celle-ci imposant des clauses en sa faveur à son cocontractant. Face
à ces "clauses abusives" comment la partie qui y est confrontée peut-elle réagir et obtenir gain de cause?
L'ouvrage Les clauses abusives et illicites dans les contrats usuels (1) paru à l'issue d'un colloque organisé par
le jeune barreau de Liège et présidé par Benoît Khol, apporte un éclairage multiple sur les régimes spécifiques
applicables aux clauses illicites et abusives dans les contrats de travail, de bail, de téléphonie mobile, de
fourniture d'énergie etc.
Les secteurs de la fourniture d'énergie et de la
téléphonie mobile foisonnent de promotions plus alléchantes les unes que les autres. Cette situation
concurrentielle est notamment due aux nouveaux colosses qui tentent de s'approprier une part du gâteau
en réduisant leurs prix. Mais au-delà de l'apparence séductrice des chiffres, de nombreux contentieux voient
le jour. Le consommateur reste-il maître à bord lorsqu'il est lié par un contrat lui imposant des clauses
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désavantageuses ou dont il n'avait pas pris connaissance? Quels sont ses droits et obligations lorsqu'il appose
sa signature en guise d'accord? Cécile Delforge, avocate au barreau de Liège et assistante à l'Université de
Liège en droit des obligations, traite, entre autres, de ces questions dans sa contribution intitulée Les clauses
abusives dans les contrats de téléphonie et de fourniture d'énergie conclus avec des consommateurs.
Le contrôle des clauses abusives : la liste noire et la norme générale
Une clause est abusive lorsqu'elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des
parties au détriment du consommateur. Face à des imprécisions ou à une clause équivoque, l'interprétation
devra se faire en faveur du consommateur. Une clause abusive est sanctionnée de nullité. Toutefois, le
contrat contenant la clause abusive et donc nulle ne sera pas nécessairement entièrement annulé. Il se verra
simplement amputé de la clause abusive, l'annulation du contrat dans son ensemble n'ayant lieu que si la
clause abusive constitue l'essence-même du contrat .
Au stade de la formation du contrat, l'entreprise a l'obligation de fournir au consommateur des informations
claires et précises sur le produit vendu, en ce compris les conditions générales de vente. Le consommateur
doit avoir pris connaissance ou avoir pu prendre raisonnablement connaissance des clauses contractuelles
au plus tard lors de la conclusion du contrat. A défaut, ces clauses ne le lieront pas. "Pour contourner cette
difficulté, les contrats de consommation contiennent souvent des clauses d'adhésion en vertu desquelles le
consommateur reconnaît avoir pris connaissance des conditions générales de l'entreprise ou en avoir reçu
un exemplaire et les accepter.", souligne Cécile Delforge. A cet égard, une clause d'un contrat de téléphonie
qui prévoirait que le consommateur a pris connaissance des conditions générales alors que pour pouvoir se
les procurer, il doit se rendre sur le site internet de l'opérateur ou appeler un numéro spécial contrevient à
l'obligation d'information qui pèse sur l'entreprise.
La liste noire
Afin de vérifier le caractère potentiellement abusif d'une clause, il faut en premier lieu se référer à la liste
noire établie par l'article 74 de la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur
(L.P.M.C). Cette liste reprend trente-trois clauses ou combinaisons de clauses réputées abusives en toutes
circonstances "aucun pouvoir d'appréciation n'étant laissé au juge", comme le souligne Cécile Delforge. Les
trente-trois cas listés sont relatifs, notamment, à la formation du contrat, à sa durée, à son inexécution, à la
modification unilatérale de celui-ci par l'entreprise, etc…
En termes de durée du contrat, une clause visant à "engager le consommateur pour une durée indéterminée,
sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation" est abusive. Des législations spécifiques régissent, en
outre, la durée des contrats de téléphonie et de fourniture d'énergie. Il est notamment imposé aux opérateurs
téléphoniques de ne pas conclure de contrats dont la durée initiale excède 24 mois. Les opérateurs sont
également contraints de proposer à leurs clients au moins un contrat dont la durée initiale ne dépasse pas
12 mois.
Une entreprise ne peut, par ailleurs, pas augmenter unilatéralement le prix convenu lors de la conclusion
du contrat -qu'il soit à durée déterminé ou indéterminée- sauf si le mode d'indexation du prix est licite et
explicitement indiqué dans les clauses contractuelles. Concernant la modification unilatérale du produit faisant
l'objet du contrat, la loi n'interdit pas à l'entreprise de se réserver le droit de modifier unialtéralement sa nature
pour autant que la modification ne touche pas aux caractéristiques essentielles du produit et considérées
comme telles par les parties.
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Enfin, les contrats contenant une clause pénale en faveur de l'entreprise doivent également présenter une
clause pénale au profit du consommateur. En d'autres termes, si le consommateur encourt une sanction prévue
par le contrat lorsque qu'il commet un manquement comme, par exemple, le non paiement de ses factures, le
contrat doit symétriquement contenir une clause sanctionnant l'entreprise si elle ne respecte pas ses propres
engagements, comme, notamment son obligation de fournir le produit vendu.
La norme générale
Si la clause envisagée ne répond à aucun des trente-trois cas visés par la liste noire, il convient de la
confronter à la norme générale qui résulte d'une combinaison entre la définition de la clause abusive contenue
à l'article 2, 28° de la L.P.M.C. et de l'article 73 de la même loi Le critère qui prévaut pour juger de la nature
abusive d'une clause est incontestablement celui du" déséquilibre manifeste" au détriment du consommateur.
Comme l'explique Cécile Delforge, le déséquilibre ne doit pas être établi en fonction de « l'objet du contrat
ou de l'équivalence des prestations convenues par les parties, […] comme par exemple une inadéquation
flagrante entre la valeur d'un produit et le prix payé par le consommateur." Selon elle, le déséquilibre concerne
"l'équivalence des situations contractuelles", soit le fait que les clauses soient rédigées équitablement sans
léser l'une ou l'autre des parties.
La norme générale de l'article 73 de la L.P.M.C invite aussi à tenir compte, lors de l'examen d'une clause, de
"la nature des produits qui font l'objet du contrat", de toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de
même qu'aux "autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend."
Un terme fantôme en droit du travail
Contrairement au droit des consommateurs où la signification "clause abusive" s'est solidifiée à travers la
définition fournie par la L.P.M.C, le droit du travail est beaucoup plus touffu mais aussi plus impératif. Toutes
les législations et les normes décrétées par la loi, les arrêtés royaux ou encore les conventions collectives
passées entre les syndicats des travailleurs et les employeurs doivent obligatoirement être respectés par le
contrat de travail. Les dispositions légales auxquelles l'employeur et le travailleur ne peuvent déroger leur
laissent donc peu de liberté. Cette rigidité législative explique que le droit du travail à l'inverse du droit de
consommation se trouve dépourvu du terme "clause abusive". A l'occasion du colloque Les clauses abusives
et illicites dans les contrats usuels organisé par le jeune barreau de Liège, Fabienne Kéfer, professeur en
droit du travail à l'ULg, est tout de même parvenue, en modelant son propos à partir de la définition propre
au droit des consommateurs, à trouver dans les contrats de travail conclus entre employeurs et travailleurs
des clauses qui créent un déséquilibre manifeste entre les deux parties. Même si dans l'imaginaire collectif,
le travailleur est souvent perçu comme exploité car il représente la partie économiquement la plus faible,
Fabienne Kéfer a pris le parti de dépouiller sa recherche de tels préjugés liés au monde du travail et de ne
pas exclure de son champ d'investigation des clauses qui s'avèreraient abusives au détriment de l'employeur.
"A l'origine, le droit du travail n'existait pas. Les relations entre employeurs et travailleurs étaient uniquement
régies par le code civil misant sur le principe de la liberté des personnes et n'édictant presque aucune obligation
de la part des parties", affirme Fabienne Kéfer. Cette période de libéralisme pur a rapidement débouché sur
une misérabilisation de la classe ouvrière. Les travailleurs ne pouvaient alors pas se regrouper pour faire
valoir leur point de vue et faire pression sur l'employeur afin d'obtenir ce qu'ils revendiquaient. C'est dans ce
climat hostile de la fin du 19e siècle que le droit du travail est né pour compenser l'infériorité économique du
travailleur et lui venir en aide dans ses rapports avec son employeur. Aujourd'hui, la situation a bien évolué
et au-delà de son rôle protecteur, le droit du travail recèle de nombreuses règles qui ne sont plus uniquement
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destinées à améliorer les conditions des travailleurs mais qui sont aussi prises pour des raisons de politique
économique comme l'allongement des journées de travail, le retard de l'âge de la retraite ou encore le blocage
de l'indexation des salaires.
Les clauses dites "abusives" en droit du travail relèvent des libertés prises par les parties au-delà des limites
fixées par la législation et qui débouchent sur des contrats lésionnaires. Le plus souvent, ces clauses
aggravent la situation du travailleur et plus rarement de l'employeur. Les clauses abusives en droit du travail
seront, de la même manière que les clauses abusives en droit de consommation sont frappées de nullité,
considérées comme nulles, mais le contrat de travail subsiste, remodelé en vue de rééquilibrer le rapport de
force entre les deux parties.
Panorama des clauses étudiées
La clause d'essai, prévue pour servir les intérêts des deux parties, figure parmi les clauses qui pourraient
être considérées comme abusives notamment dans le cas où l'employeur décide de fixer une durée d'essai
plus longue que celle prévue par la loi ou encore s'il décide de reconduire l'essai. La réitération de l'essai
peut notamment se manifester lors du rachat d'une l'entreprise lorsque le nouveau patron exige la soumission
de l'employeur à une autre période d'essai pour juger de ses capacités. Ce cas de figure n'est pourtant pas
autorisé par la loi. La sanction appliquée sera la réduction de la durée de l'essai afin de préserver le travailleur
contre cette situation précaire dans laquelle l'employeur a tenté de le maintenir.
Les clauses qui portent atteinte à la liberté du travail comme celles liées à la non concurrence ou à l'exclusivité
peuvent également créer un déséquilibre entre les parties. Un travailleur engagé à temps partiel ne peut pas se
voir interdire de travailler en même temps dans un secteur non concurrent, pour autant qu'il respecte l'obligation
de bonne foi et que cela n'ait pas des répercussions sur son activité professionnelle principale. L'exclusivité est
très fréquemment recherchée par un employeur soit parce qu'il ne souhaite pas que son employé soit fatigué
à cause de son second emploi et qu'il devienne moins performant à l'ouvrage. Soit parce que l'employeur est
conscient des talents particuliers de la personne qu'il a embauchée et qu'il redoute que ceux-ci soient mis au
service d'un concurrent. Il en va dans ce cas de la loyauté du travailleur qui ne peut pas aller travailler à la
concurrence, même si cette clause n'est pas explicitement écrite dans le contrat. Lorsque le salarié n'est plus
lié par un contrat, il peut alors travailler sans aucune restriction chez un concurrent. L'employeur n'est pas
autorisé à établir une clause de non-concurrence qui prévaudrait même lorsque le travailleur n'est plus sous
ses ordres sauf dans les cas limités où la loi l'autorise. Cela reviendrait à restreindre voire même à couper
son accès au marché du travail.
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Une situation particulière
La clause de stabilité d'emploi représente une des
rares clauses qui peut créer un désagrément, voire un déséquilibre à l'encontre de l'employeur et non plus du
travailleur. Un employeur qui s'engage à ne jamais licencier un de ses salariés viole le principe fondamental
du pouvoir de résilier seul un contrat. Cette situation particulière peut notamment se produire lorsque le patron
d'une entreprise promet à une employée avec qui il entretient une relation amoureuse de ne jamais la licencier.
Si leur idylle s'achevait, il serait pris à son propre piège et serait contraint à travers cette clause de la garder. De
même que s'il décédait, la famille héritière de l'entreprise ne pourrait pas licencier la personne alors que cette
dernière manque peut-être de compétences pour occuper le poste. Face à une telle situation conflictuelle, la
clause de stabilité d'emploi serait invalidée par la jurisprudence. Des engagements qui limitent ou réduisent
le droit de licenciement peuvent être pris par l'employeur mais un engagement qui supprime complètement
le droit de licencier est totalement exclu par le droit.
Ce tour d'horizon des clauses étudiées révèle que la part de liberté des parties est bel et bien très réduite ;
si une clause tente de s'écarter des règles strictes et rigides concernant les contrats de travail, elle peut
engendrer des rapports disproportionnés que la jurisprudence se doit souvent de sanctionner.
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(1) Les clauses abusives et illicites dans les contrats usuels, Anthémis, 2013
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