de la question de la spiritualité dans le génie français et
Transcription
de la question de la spiritualité dans le génie français et
L’Europe et Levinas : De la question de la spiritualité dans le génie français et germanique Par Michaël de Saint-Cheron Dans son texte quasi premier datant de 1933, publié à Kaunas dans la revue Vairas (n° 7-8, VIII, juillet-août 1933) redécouvert en 1994 par Andrius Valevicius, professeur à l’université de Sherbrooke (qui en assura la première traduction et parution en langue anglaise en 1998), le jeune philosophe d’origine lituanienne âgé de vingt-huit ans, est déjà marqué par ses maîtres et leur concept fondamentale : l’infini chez Descartes, le mystère de l’homme chez Pascal, la phénoménologie chez Husserl et la question de l’Être et de l’oubli de l’Être chez Heidegger, mais ces philosophes sont déjà inséparables des sources littéraires qui forgèrent aussi le génie propre de Levinas. Il décide donc dans cet article d’approfondir la question du spirituel dans les cultures française et germanique. Quelle gageure ! En France, c’est Bruno Charmet qui en assuma la première édition sous le titre La compréhension de la spiritualité dans les cultures française et allemande (Rivages Poche/Petite Bibliothèque, 2014) dans la traduction de Marie-Cécile Dassonneville, conservée ici, qui fut précédé par la présentation de Catherine Chalier dans la revue Sens (n°252, 2000). Cette nouvelle édition est introduite par un long texte de 40 pages signé Danielle Cohen-Levinas. L’analyse qu’elle propose, plus longue que le texte dont il s’agit, conjoint avec finesse et discernement Zweig et Thomas Mann, dont La montagne magique constitue le point fort de la réflexion destinale de Levinas, Freud et nos classiques Descartes et Rousseau jusqu’à Proust, pour en arriver en Allemagne à Husserl et Heidegger. La préface se clôt avec un texte magistral d’une page de Levinas intitulé Mitgenommen (in Honneur aux maîtres, Paris, Critérion, 1991), que Levinas m’avait lu lors de l’une de nos dernières rencontres de 1994, par lequel il terminait d’ailleurs nos dialogues (in Entretiens avec Emmanuel Levinas, 2010 Paris, Livre de Poche, LGF, « Biblio essais »). Danielle Cohen-Levinas lit cette analyse sur la spiritualité comme « l’esquisse d’une pensée qui entend dans la tragédie de l’Histoire, avec une acuité sans complaisance et sans empathie, des enjeux philosophiques majeurs » (p.9). Il n’est certes pas aisé de préfacer ce texte et la philosophe-musicologue a composé là une introduction importante dans la genèse même de l’œuvre de Levinas, qui sans chercher à rivaliser avec celui du regretté Jacques Rolland préfaçant De l’évasion en 1982, par un texte qui avait ému et suscité l’admiration du maître, ne peut manquer de le rappeler à nos mémoires. Regrettons que la présente édition n’ait pu placer en postface l’introduction de Catherine Chalier d’il y a quatorze ans. Les deux philosophes qui se situent dans une filiation forte à Levinas s’approchent avec leur sensibilité propre de La montagne magique, qui entraîne le jeune Levinas dans une réflexion déjà majeure sur la maladie, la mort, la spiritualité, qui fascinent tant Hans Castorp, le personnage central de Th. Mann, épris par Claudia Chauchat. Castorp est enivré par ces forces qu’incarne dans le roman Pepperkorn et Catherine Chalier ne manque pas de souligner combien Levinas s’opposait déjà dans ces pages à tout enivrement « en exigeant le réveil de l’esprit, loin des pièges de l’enthousiasme. » Elle voit dans le roman deux forces de résistance, « l’une représentée par un Juif converti au Christianisme, devenu jésuite, l’autre par un Franc-maçon, disciple de Descartes et des Lumières. » Cette référence est la marque, pour l’une et l’autre de nos philosophes, par laquelle Levinas s’oppose déjà début 1933 au national-socialisme montant, avec son cortège d’enivrement, d’enthousiasme forcené, jusqu’à la folie. Voici donc ce texte d’Emmanuel Levinas auquel Danielle Cohen-Levinas veut redonner une nouvelle actualité au cœur de nos débats sur l’Europe. En effet, ce petit texte d'apparence mineure nous vient d'un philosophe né en Lituanie, qui fut témoin de la Révolution bolchévique, s'établit en France et accomplit deux années de ses études philosophiques à Freiburg auprès de Husserl et Heidegger; Il nous apporte aujourd'hui une lumière inédite sur des questions qui sont au coeur des questions principielles qui se posent à nous en Europe, en Occident et sans doute dans le monde sur la raison d'être du spirituel, d'un spirituel qui n'est plus du tout largement "judéo-chrétien" mais ouvert sur d'autres réalités...