Cour d`appel Bruxelles Arrêt Ayant pour conseil Me
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Cour d`appel Bruxelles Arrêt Ayant pour conseil Me
Expédition Numéro du répertoire Délivrée à Délivrée à Délivrée à le le le € € € CIV CIV CIV 2015/ Date du prononcé 24 septembre 2015 Numéro du rôle 2013/SF/3,5 et 6 Non communicable au receveur Cour d’appel Bruxelles Arrêt Présenté le 18ème chambre affaires civiles Non enregistrable Ayant pour conseil Me Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 2 n° La Société anonyme AGEAS SA/NV, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, rue du Marquis, 1 inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0451.406.524, Ayant pour conseils Mes Françoise Lefèvre, Xavier Taton et Gaëlle Eloy, dont le cabinet est établi rue de Brederode 13 à 1000 Bruxelles ; Appelante dans la cause 2013/SF/6, M. Jean-Paul Votron, domicilié à 1150 Woluwé-Saint-Pierre, avenue Roger Vandendriessche 26 ; Ayant pour conseils Mes Marc Van Der Haegen, Maxime Berlinger et Jean-François van Drooghenbroeck, avocats à 1000 Bruxelles, Chaussée de La Hulpe 120 ; Appelant dans la cause 2013/SF/5 M. Gilbert Mittler, domicilié à 2650 Edegem, De Burletlaan 24 ;. Ayant pour conseils Mes Jurgen Egger, Steven De Wulf et Willem Henckens, avocats à 1831 Diegem, Berkenlaan 8a ; Appelant dans la cause2013/SF/3 Contre : L’AUTORITE DES SERVICES ET MARCHES FINANCIERS, FSMA, organisme autonome ayant la personnalité juridique organisé par la loi du 2 août 2002 « relative à la surveillance du secteur financier et aux services financier »s, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, rue du Congrès 12-14, Ayant pour conseils Me Marc Fyon et Dirk Libotte, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue de Loxum 25, Central Plaza ; Intimée dans les trois causes Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 3 n° TABLE DES MATIERES I. OBJET DES RECOURS II. LE CADRE FACTUEL II.1. Présentation des parties II.2. Contexte économique et acquisition d’ABN Amro II.3. Financement du prix d’achat d’ABN Amro II.4. Objectif de solvabilité et impact de l’acquisition et de l’intégration d’ABN Amro sur les fonds propres de Fortis II.5. Les objectifs de solvabilité et les mesures de capitalisation communiqués au marché avant la période litigieuse de mai et juin 2008 II.6. Les « EC Remedies » II.7. Les prévisions de solvabilité au sein de Fortis et les communications au marché II.8. La commission parlementaire et l’analyse des causes de la chute de Fortis par les experts II.9. Les poursuites menées par la CBFA II.10. Les poursuites de l’autorité de contrôle aux Pays-Bas III. LA DECISION ATTAQUEE IV. LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITE IV.1. L’exception d’irrecevabilité du recours formé par Ageas IV.2. Les exceptions d’irrecevabilité invoquées par les requérants IV.2..1. L’application des garanties prévues par l’article 6 de la CEDH IV.2.2. Le principe non bis in idem Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 4 IV.2.3. L’exception invoquée par Ageas fondée sur la violation du principe de légitime confiance et les approbations de la CBFA IV.2.4. L’exception tirée de la violation du droit d’être jugé de manière impartiale IV.2.5. L’exception tirée de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable IV.2.6. L’exception tirée de la violation du droit à l’égalité des armes IV.2.7. L’exception tirée de la violation de la présomption d’innocence IV.2.8. L’exception tirée de la violation du droit au silence V. AU FOND V.1. Observations préliminaires relatives à l’article 25, §1er, 4° de la loi du 2 août 2002 V.2. Examen des communications litigieuses V.2.1. Investor Day du 22 mai 2008 A. Communication de M. Votron B. Communication de M. Mittler V.2.2. Le Financieel Ontbijt du 5 juin 2008 à Utrecht V.2.3.. La conférence organisée par Goldman Sachs à Berlin le 12 juin 2008 V.3. Imputabilité A. Imputabilité à Ageas B. Imputabilité à M. Votron et erreur invincible C. Imputabilité à M. Mittler VI. LES SANCTIONS DECISION DE LA COUR n° Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 I. 5 n° L’OBJET DES RECOURS 1. La cour est saisie de trois recours en annulation formés par requêtes déposées au greffe de la cour le 16 juillet 2013, sur la base de l’article 121, §1,4°, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers ; 2. Les recours sont dirigés à l’encontre de la décision prise le 17 juin 2013 par la commission des sanctions de la FSMA (anciennement CBFA), ci-après « la Décision », qui inflige une amende administrative de 500.000 euros à Ageas et des amendes administratives de 400.000 euros à MM. Votron et Mittler, chacun, en ordonnant sa publication nominative. 3. Les parties ont déposé un dossier et conclu dans les délais fixés par la cour. Les trois causes ont été jointes par un arrêt de la cour du 30 octobre 2014.Elles ont été entendues en audiences publiques et la cause a été prise en délibéré à l’audience du 30 avril 2015. ______________________________________ II. LE CADRE FACTUEL II.1. Présentation des parties 4. Au moment des faits litigieux, Fortis SA/NV (société de droit belge) et Fortis NV (société de droit néerlandais) sont les deux sociétés-mères du groupe international Fortis de bancassurance. Elles sont actionnaires de sociétés opérationnelles et de sociétés de services, soit directement, soit indirectement par le biais de sous-holdings. L’action Fortis est le résultat d’un jumelage entre l’action Fortis SA/NV et l’action Fortis NV ; elle est cotée sur le Premier marché d’Euronext Brussels et sur le Segment officiel d’Euronext Amsterdam et peut se négocier indifféremment sur les deux marchés. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 6 n° 5. A partir de janvier 2008, le « Fortis Governance Statement » (Déclaration de Gouvernance) règle la structure et l’organisation du groupe Fortis, le fonctionnement du conseil d’administration et des comités dont il sera question dans la suite (pièce 5 d’Ageas). 6. Les conseils d’administration de Fortis SA/NV et de Fortis NV sont composés de manière identique. A l’époque des faits, M. Lippens est président ; M. Votron est administrateur-délégué, jusqu’à sa démission le 11 juillet 2008. Il assume la gestion journalière, répond de l’ExCo (voir ci-après) devant le conseil d’administration et assure la communication externe du groupe ; il formule des propositions au conseil d’administration; M. Verwilst est administrateur et en sa qualité de « deputy CEO », chargé d’assister l’administrateur-délégué dans la gestion journalière (il deviendra administrateur délégué après la démission de M. Votron). M. Mittler est « Chief Financial Officer » jusqu’au 31 décembre 2007, et devient « Chief Finance, Risk & General Counsel », le 1er janvier 2008. Il dirige les questions financières et les risques ainsi que le département juridique. Il n’est pas membre du conseil d’administration. 7. Les conseils d’administration de chaque société-mère sont entourés et aidés par des comités créés par le Fortis Governance Statement qui interviendront dans le déroulement des faits relatés ci-après : - l’Executive Committee, ExCo, composé de personnes chargées de fonctions exécutives au sein de Fortis, parmi lesquelles M. Votron, M. Verwilst, et M. Mittler. Il étudie, prépare les options et propositions stratégiques qui peuvent contribuer au développement de Fortis et propose au conseil d’administration des politiques, notamment dans le domaine de la gestion des risques. Il apporte son assistance à M. Votron dans l’accomplissement de ses tâches ; - le Risk & Capital Committee, le RCC, composé de quatre administrateurs, autres que MM. Votron et Verwilst. Il assiste le conseil d’administration pour la bonne compréhension des risques auxquels le groupe Fortis est exposé, surveille la gestion adéquate des risques liés aux activités de Fortis et contrôle l’adéquation du capital de Fortis par rapport aux risques. Il s’assure que le groupe a une compréhension adéquate des risques majeurs et qu’il dispose d’une politique saine de gestion des risques. MM. Votron et Mittler participent aux réunions qui seront relatées dans la suite de l’arrêt en qualité d’invités ; Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 7 n° - l’Executive Risk & Capital Committee, ERCC, qui comprend le « senior management » de Fortis. Il se réunit pour la première fois le 7 avril 2008, est présidé par M. Votron. Il assiste son président pour définir la gestion financière et les risques. Il prépare et examine les dossiers à soumettre au RCC et propose périodiquement à l’ExCo des modifications de politiques, des règles et des limites en matière de gestion des risques. MM. Mittler et Verwilst y participent également. 8. Après la période litigieuse et la vente des activités bancaires du groupe, Fortis SA/NV et Fortis NV ont changé leur nom en Ageas SA/NV et Ageas NV. Dans le courant de l’année 2012, les deux sociétés ont fusionné, la société belge absorbant l’autre. Ageas SA/NV mène ses activités exclusivement dans le secteur des assurances. Pour la facilité, et bien qu’Ageas soit la personne morale visée par la Décision, elle sera nommée Fortis dans la suite de l’exposé. 9. Au moment des faits, le contrôle opéré par la FSMA (alors CBFA) sur le groupe Fortis est double car en tant que groupe bancaire, il est soumis, en application de la loi du 22 mars 1993 « relative au statut et au contrôle des établissements de crédit », à un contrôle portant, notamment, sur le respect des ratios de solvabilité et de liquidités réglementaires et, en tant que société cotée en bourse, il est soumis à un contrôle sur le respect de ses obligations légales et réglementaires d'information visant à garantir la transparence, l’intégrité et le bon fonctionnement du marché. Le respect de ces obligations d’information est au centre du litige. II.2. Contexte économique et acquisition d’ABN Amro 10. Le 29 mai 2007, le groupe Fortis et deux autres banques européennes, la Royal Bank of Scotland et Banco Santander publient un aperçu de leur proposition d’offre d’achat sur l’ensemble des actions émises par ABN Amro, groupe financier néerlandais, via la holding RFS qu’elles ont constituée à cet effet. Le prospectus de l’OPA lancée par RFS Holding est publié le 23 juillet 2007. 11. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 8 n° Cette acquisition et les faits qui suivent s’inscrivent dans le contexte de la détérioration du crédit sur le marché américain des prêts immobiliers à risque, dits « subprimes », et des créances titrisées qui provoquera une crise de liquidités sur le marché des prêts interbancaires, d’abord aux Etats-Unis et ensuite en Europe. A partir de juillet 2007, des banques européennes éprouvent de fortes pertes et doivent être sauvées. Les principales banques centrales, dont la BCE, fournissent des aides en matière de liquidité aux établissements en difficulté. Certaines banques, comme Fortis, devront se recapitaliser. Au cours de l’année 2007, le cours de l'action Fortis baisse d’environ 45%. Il évolue encore de façon négative entre la mi-janvier et la fin février 2008. A la fin du mois de juin 2008, il chute brutalement. L’acquisition d’ABN Amro est décidée et mise en œuvre à un moment où les marchés financiers subissent de fortes tensions, en particulier à partir de la mi-mars 2008 lorsque la crise des subprimes connaît un rebondissement aux Etats-Unis, puis en Europe. II.3. Financement du prix d’achat d’ABN Amro 12. Le coût de la participation de Fortis dans la reprise d’ABN Amro par la holding RFS s’élève à approximativement 24 milliards d’euros, soit 33,8% du montant total de l’acquisition. 13. Dans un prospectus du 20 septembre 2007, publié en vue d’une augmentation de capital de Fortis par l’émission de nouvelles actions à concurrence de 13,2 milliards d’euros1, le groupe Fortis présente les mesures de financement qu’il compte mettre en œuvre pour faire face à cette acquisition et plus précisément à ses conséquences pour sa solvabilité. Outre l’augmentation de capital, il annonce avoir déjà recueilli 2 milliards en juillet 2007, par l’émission de « Conditional Capital Exchangeable Notes » et qu’il procèdera à la collecte de fonds supplémentaires par l’émission d’instruments financiers, tels les NITSH I et II, la vente d’actifs d’ABN Amro, d’autres cessions d’actifs non stratégiques pour le groupe et diverses mesures financières, telle que la vente de titres (pièce 2.1.1. du dossier FSMA). Aucune des mesures exprimées n’est dilutive du capital et aucune modification de la politique de dividende de Fortis – qui est très favorable aux actionnaires - n’est envisagée. 1 Tous les montants cités dans l’arrêt seront en euros. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 9 n° 14. L’évaluation des ressources requises pour l’acquisition d’ABN Amro dépend pour Fortis de l’impact de cette acquisition sur ses fonds propres et du ratio de solvabilité que Fortis s’est donné pour objectif d’atteindre à l’issue de l’intégration des activités d’ABN Amro et qui est supérieur au ratio réglementaire (voir ci-après, II.4.). L’acquisition d’ABN Amro implique le démantèlement d’ABN Amro et la reprise par chaque membre de la holding des activités qui lui sont attribuées. Le démembrement, qui requiert l’intervention d’autorités administratives, ne peut qu’être progressif et il est prévu qu’il s’étalera sur deux années, en 2008 et 2009. Bien plus, l’intégration des activités requiert d’abord la vente de certains actifs, dit les « EC Remedies » (voir ci-après, II.6.). L’intégration des activités d’ABN Amro ne doit donc être achevée en principe qu’à la fin de l’année 2009. II.4. Objectif de solvabilité et impact de l’acquisition et de l’intégration d’ABN Amro sur la solvabilité de Fortis 15. Comme il vient d’être dit, l’ampleur des fonds propres complémentaires à mobiliser est liée aux objectifs de solvabilité que Fortis s’est fixés. 16. Le groupe Fortis est soumis à des obligations réglementaires pour ses activités bancaires et d’assurance. Jusqu’au 31 décembre 2007, les activités bancaires sont régies par le cadre formulé en 1988 par le Comité de Bâle. Ce cadre, dit « Bâle I », fixe un ensemble de règles destinées à assurer la stabilité du système bancaire international avec une limite minimale de fonds propres que chaque banque doit détenir, à savoir un ratio de 4% entre ses fonds propres et l’ensemble des crédits accordés par les banques. A partir du 1er janvier 2008, le nouveau cadre juridique, Bâle II, est utilisé par la FSMA pour fixer l’exigence minimale de fonds propres des banques. Cependant, comme la cour le constatera plus loin (voir V.2.1), Bâle II demeure sans autre effet pour Fortis. En effet, en 2007, le groupe a défini des objectifs de solvabilité, plus rigoureux que les ratios réglementaires, et ces objectifs sont fixés par référence au cadre réglementaire Bâle I. Par ailleurs, les agences de notation n’accepteront pas que, pour déterminer ses objectifs de solvabilité, Fortis se réfère au cadre réglementaire plus avantageux de Bâle II. M. Mittler le reconnaît dans un mémorandum du 27 mai 2008 dont il sera question par la suite (pièce 1.201 de la FSMA ; voir V.2.1.). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 10 n° 17. Le synopsis du groupe Fortis pour l’année 2007 annonce que : « Fortis a adopté un modèle reposant sur des objectifs cibles pour la gestion et la communication de sa solvabilité. Ce nouveau modèle repose sur trois composants : - un capital cible (ou Core Equity ou capitaux propres) pour les activités bancaires fixé à un ratio Tier 1 de 7% par rapport aux engagements pondérés en fonction des risques, qui comprend 1% du capital hybride et qui implique un capital cible (ou Core Tier 1) de 6% ; - un capital cible pour les activités d’assurance fixé à 225% du minimum légal, qui comprend 50% du capital hybride, ce qui implique un capital cible de 175% par rapport au minimum réglementaire ; - un levier cible au niveau du groupe (secteur général) fixé à 15% du core equity bancaire majoré du core equity de l’assurance, ce qui implique que 15% des capitaux propres au sens strict des secteurs Banque et Assurance pourraient être financés par un endettement au niveau du groupe » (pièce 2.9 de la FSMA). Des communications du 13 mai et du 22 mai 2008 confirmeront que la cible à fin 2009 est un « Core Tier one » (ratio de fonds propres « sensu stricto ») de 6% (pièces 2.12 et 2.15 de la FSMA). 18. Avec l’acquisition des actions d’ABN Amro par la holding RFS, le groupe doit consolider sa participation de 24 milliards dans la holding, dans les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2007. Selon les règles de solvabilité en vigueur, 50% de la participation doivent être couverts par des fonds propres. Au 31 décembre 2007, ce pourcentage est largement respecté grâce à l’augmentation de capital, à l’émission de CCEN, à l’octroi d’une « Back Stop facility » pour 10 milliards et à la vente de certains actifs. La solvabilité du groupe présente alors un excédent que l’Auditeur de la FSMA fixe à 6,2 milliards (voir son rapport n° 22), Fortis citant toutefois d’autres chiffres dans ses communications, mais ces divergences importent peu pour les questions en litige. 19. L’intégration progressive des activités d’ABN Amro dans celles de Fortis va requérir un nouvel effort en fonds propres. En effet, si la couverture de la participation dans la holding pour 50% (voir ci-dessus) diminue au fur et à mesure de l’intégration, le « goodwill » attaché à l’activité reprise doit être couvert à 100 % ainsi que le risque lié à chaque activité reprise. Aux 12,1 milliards de fonds propres qui doivent initialement être couverts, s’ajouteront progressivement 10,6 milliards au cours des années 2008 et 2009, pour lesquels l’excédent de solvabilité ne suffira pas. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 11 n° La différence, de 4 à 5 milliards, est censée être compensée, à fin 2009, après l’intégration complète des activités d’ABN Amro, par des levées de capitaux non dilutives et des ventes d’actifs, comme prévu dans le plan de financement arrêté en 2007 (voir ci-dessus). Encore faudra-t-il que les montants estimés et espérés par ce plan soient effectivement recueillis dans le contexte de la crise financière. Or, comme on le verra, le management de Fortis devra admettre en interne plusieurs déceptions successives : des réalisations d’actifs et des appels de capitaux ne produisent pas le résultat escompté, ce qui l’obligera à décider, pendant la période litigieuse, d’abord de « mesures additionnelles » non dilutives, semblables à celles déjà annoncées au marché et ensuite de nouvelles mesures, cette fois dilutives. 20. Puisqu’un objectif de solvabilité « Core Tier one » de 6% est annoncé par Fortis pour fin 2009, que l’intégration des activités d’ABN Amro se fera progressivement et qu’elle requerra au fur et à mesure des fonds propres supplémentaires, Fortis doit nécessairement se livrer à des projections dans le temps, appelées estimations « look through ». Le « look trough » est, de l’avis de toutes les parties, un travail d’estimation fondé sur des hypothèses, les parties discutant toutefois de la plus ou moins grande vraisemblance de ces hypothèses. M. Mittler admettra dans son mémorandum du 27 mai 2008 que les régulateurs des agences de notation et le marché « sont très attentifs à notre position en capital look through. C’est essentiellement le risque d’une dégradation du cours qui met la pression sur Fortis ». La plupart des estimations faites en interne pendant la période litigieuse le seront à l’échéance de fin 2008 pour déterminer, à cette date, le capital et les besoins en capital à couvrir compte tenu (i) de l’impact des mesures du plan de financement en cours d’exécution (ii) des mesures qui rentrent dans le cadre de ce plan mais qui ne sont pas encore exécutées et dont on estime le résultat et (iii) de l’objectif de solvabilité. Dans certains cas, il sera question d’une estimation à fin 2009. A l’issue de l’estimation, la différence entre la solvabilité disponible estimée et l’objectif de solvabilité annoncé révèle, soit un « Buffer » ou matelas, soit un « Gap » ou déficit. Au fur et à mesure, ces prévisions seront de plus en plus pessimistes : la conjoncture est mauvaise, les marchés méfiants, les opérations de placements d’instruments financiers n’engendrent pas les bénéfices escomptés et de plus, Fortis devra négocier des cessions d’actifs (les EC Remedies) dans un délai très court, sous la houlette de la Commission européenne qui selon les dires de Fortis, refuserait certains acquéreurs potentiels. 21. Dans cette approche prospective, Fortis distinguera les évaluations en «base case » et celles en « stress case ». Le « base case » est le scénario que Fortis juge réaliste. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 12 n° Quant au « stress case », qui relève d’une situation moins favorable, il correspond, selon la FSMA, « à une donnée prise directement en compte par le management de Fortis et jugée par celui-ci comme non totalement irréaliste » (ccl. de la FSMA, p. 32 , n° 51), tandis que, selon Ageas, il s’agit d’un « exercice théorique postulant l’apparition simultanée des pires scénarios pour chaque catégorie d’actifs ou unité d’exploitation envisagée. Or, la survenance simultanée de ces hypothèses était impossible puisque des éléments négatifs sur certaines activités de la banque avaient un impact positif sur d’autres activités » (ccl. d’Ageas, p. 273) et que selon M. Mittler, ce serait « l’hypothèse (improbable) que tous les développements négatifs imaginables mais non concrets se produisent ensemble et en même temps dans la réalité» (ccl. de Mittler, p. 25). II.5. Les objectifs de solvabilité communiqués au marché avant la période litigieuse 22. Les questions que soulève la Décision et les recours ont trait à la qualité de la communication externe de Fortis et de ses représentants ou porte-paroles, au regard des constatations faites en interne et des décisions prises au sein du groupe qui n’auraient pas été communiquées, tandis que des informations fausses ou trompeuses auraient été diffusées. 23. Par un communiqué de presse du 7 mars 2008, Fortis annonce au public les mesures que le groupe compte prendre dans le cadre de son plan de financement initial (voir ci-dessus), pour augmenter ses fonds propres au fur et à mesure de l’intégration des activités d’ABN Amro afin d’atteindre l’objectif de solvabilité annoncé. Sous le titre « évolution de la solvabilité de Fortis après consolidation des activités d’ABN Amro », il est précisé que : « La majorité des événements qui ont eu un impact sur la solvabilité comptabilisée devraient intervenir entre la fin 2008 et 2009. Au cours de cette période, les quatre leviers suivants permettront d’assurer la continuité de nos objectifs de solvabilité : - bénéfice non distribué ; - croissance maîtrisée des besoins en capitaux ; - cession d’actifs non stratégiques et création de coentreprises ; - levées de capitaux non dilutives et opérations de libération de capitaux » (pièce 2.8 de la FSMA). 24. Lors des assemblées générales des holdings du groupe, réunies le 29 avril 2008, MM. Votron et Mittler réaffirmeront que « les nouveaux plans de financement pour ABN Amro Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 13 n° impliqueront uniquement des augmentations de capital non dilutives ; il ne sera donc pas question d’émission directe ou indirecte d’actions nouvelles. Fortis est particulièrement confiante dans sa capacité à maintenir sa position de solvabilité actuelle et future » (pièce 63bis d’Ageas). II.6. Les « EC REMEDIES » 25. La Commission Européenne subordonne l’acquisition par Fortis des activités d’ABN Amro à la cession préalable par ABN Amro, à un tiers acquéreur, de 10% de son activité bancaire. Elle exige qu’un accord de cession intervienne pour le 3 juillet 2008 au plus tard. A défaut, la cession sera confiée à un « trustee ». Les activités à céder sont dénommées « EC Remedies ». 26. Dans le prospectus déjà cité du 20 septembre 2007, Fortis évoque la nécessité de céder des actifs pour satisfaire à des conditions posées par les autorités de la concurrence. Fortis indique alors qu’il n’est pas possible de calculer l’impact financier de ces « remèdes » (pièce 2.1.1. de la FSMA). Le 3 octobre 2007, Fortis communique au public l’approbation par la Commission Européenne de l’acquisition d’ABN Amro sous cette condition préalable (pièce 32 de la FSMA). Selon ce communiqué, « les mesures imposées n’auront aucun impact significatif sur les plans d’intégration de Fortis et d’ABN Amro » (pièce 74 de la FSMA). Fortis espère retirer de cette opération un impact positif sur sa solvabilité de + 400 millions. 27. Le 6 mars 2008, le conseil d’administration de Fortis se réunit. M. Mittler fait le point sur la vente des « EC Remedies ». Le conseil d’administration décide de déléguer à l’ExCo (via deux de ses membres) le pouvoir de vendre ces actifs (pièce 2.65 de la FSMA). 28. Le 11 avril 2008, une offre est adressée à Fortis par la société NIBC Flowers. Cette offre n’est pas contraignante pour son émettrice. NIBC Flowers indique en effet qu’elle n’est pas à un stade suffisamment avancé dans son « due diligence » pour soumettre à Fortis une offre liante ou contraignante. Elle ajoute que, si Fortis souhaite entamer des discussions plus Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 14 n° avancées avec elle, un accord d’exclusivité doit être signé. Aucun accord n’interviendra (pièce 62 d’Ageas). 29. Le 22 avril 2008, la Deutsche Bank émet une offre liante pour elle. Ce sera la seule dont Fortis disposera pour la vente de ces actifs. 30. Des négociations commencent avec la Deutsche Bank dès le 5 mai 2008. A ce stade, elles ne sont pas exclusives. L’ExCo du 5 mai 2008 observe que Fortis est dans une position de négociation délicate mais que l’atmosphère des négociations demeure positive (pièce 2.76 de la FSMA). 31. Cependant dès le surlendemain, le 7 mai 2008, le responsable du département « fusions et acquisitions » de Fortis, J. Poswick, informe M. Mittler que les conditions proposées par la Deutsche Bank auront un impact négatif sur la solvabilité de Fortis d’environ - 800 millions. L’offre de Deutsche Bank affecte la solvabilité de Fortis de deux manières : la première, par la perte comptable due à la différence entre le prix d’achat proposé et la valeur de l’actif net cédé et la seconde, par la demande de la Deutsche Bank que Fortis supporte les pertes futures éventuelles du portefeuille existant de crédits cédé avec les EC Remedies, le « credit umbrella ». Cette exigence oblige Fortis à mobiliser des capitaux « de réserve » pour se conformer à ses objectifs en matière de ratio de solvabilité. 32. Plusieurs courriers électroniques sont échangés au sein de Fortis sur cet impact. On relèvera notamment ceux-ci, des et mai 2008: Courriel de M. Poswick à M. Mittler et M. Dierckx : « [Deutsche Bank] est revenue aujourd’hui avec un message clair (…): ‘ nous maintenons notre offre, c’est à prendre ou à laisser ! Ceci veut dire (…) qu’ils s’attendent à une banque entièrement capitalisée sans la charge des RWA (et que nous aurions une double charge en terme de capital) […] J’estime que nous n’avons guère d’autre choix que de poursuivre les négociations avec [Deutsche Bank] ». M. Mittler répond : « Je ne suis pas certain que votre raisonnement soit correct. Selon ma compréhension, nous Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 15 n° recapitalisons une banque afin de disposer du capital nécessaire – 800 millions – pour atteindre, avec 10 milliards de ‘RWC’ [capital pondéré en fonction des risques], un ratio de solvabilité correct (6%), et nous vendons cette banque avec une perte de 300 millions. Mais nous avons le RWC relief’2. Ai-je tort ? » 3. M. Machenil, supérieur hiérarchique de M. Poswick, lui demande de vérifier ses calculs et de réétudier la question de l’impact sur la solvabilité : « Afin d’éviter toute détérioration future de cette situation, je veux que vous soyez tous les deux certains de l’impact [sur la solvabilité] et, si c’est le cas, que vous déclariez clairement que (Deutsche Bank) n’est pas une option »4 ; Courriel de M. Verwilst à M. Poswick (cc. M. Dierckx et M. Mittler) : « La réaction de [Deutsche Bank] n’est pas une surprise pour moi. Je suggère certainement que nous essayions de conclure avec eux le plus rapidement possible » ; Réponse M. Mittler : «Je suis d’accord avec vous deux mais j’ai été quelque peu surpris de découvrir hier l’impact de solvabilité de l’offre de [Deutsche Bank] (aucun transfert des RWA si le feedback de Juan est correct !) Je ne me rappelle pas que ceci ait été inclus dans le débriefing que Filip et moi avons reçu il y a 10 jours. (…) » ; Courriel de M. Mittler à M. Poswick (avec en copie M. Machenil et M. Roosen) : « Nous avons un sérieux problème ici. Ceci n’a jamais fait partie de nos ‘stress tests’ de solvabilité et n’est pas ce qui nous a été expliqué lorsque nous avons revu les offres» ; Courriel de M. Mittler à M. Machenil : Je sais que vous avez d’autres problèmes mais ceci est un problème énorme. (…) Ces derniers jours, j’ai demandé de vérifier que nous soyons sûrs d’inclure l’impact d’un prix inférieur sur les EU Remedies dans le ‘stress test’ de solvabilité et j’ai finalement constaté un [impact de] – 0,3 milliard. Tout à coup, cela devient 1,1 milliard sans qu’aucune modalité de l’offre de DB n’ait changé. J’ai besoin (…) d’avoir une réunion demain avec les personnes qui comprennent ce dossier (en interne et/ou MLL) pour venir avec des solutions pour couvrir cet écart » ; Courriel de M. Mittler à M. Verwilst (transmis de l'e-mail précédent): 2 c’est-à-dire l’allégement des besoins en capital pondéré par les risques Traduction libre de : « I’m not sure your reasoning is correct. The way I understood it is that we capitalize a bank to have the necessary capital - 800 ml - to have with 10bn of RWC a correct (6%) solvency ratio and we sell that Bank at a loss of 300ml. But we have the RWC relief. Am I wrong ? 4 Traduction libre de : « To avoid further deterioration of this situation I want the two of you to be sure of the impact and if so articulate clearly that Denmark is not an option ». Pièce 32.21 du dossier FSMA. 3 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 16 n° «Comme tu l’as déclaré à juste titre, nous continuerons de négocier avec [Deutsche Bank] mais nous devrons faire face à un problème dont [je] n’étais pas au courant. Pour faire court, l’équipe et ses conseillers n’ont pas compris l’impact de l’offre sur la solvabilité lorsqu’ils l’ont expliqué à FD et GM la semaine dernière. Nous faisons face désormais à un écart de 800 EUR millions de plus que ce qui était attendu dans les ‘stress tests’ de solvabilité !». (voir l’Annexe II du dossier de la FSMA, « La vente des actifs… »). 33. Le 8 mai, M. Machenil indique au conseil d’administration que, si le bénéfice net de l’année est inférieur au bénéfice prévu et si le prix de vente des « EC Remedies » est inférieur au prix espéré5, un déficit de solvabilité nécessitera des mesures non dilutives complémentaires à celles déjà prévues 6(pièce 2.66 de la FSMA, page 4). 34. M. Mittler demande la préparation d’un mémorandum pour déterminer l’impact de l’offre de Deutsche Bank sur la solvabilité et il émet des commentaires sur l’offre de NIBC Flowers. Il envisage également de négocier l’offre de la Deutsche Bank tout en se réservant la possibilité de négocier avec la Royal Bank of Scotland7, avec laquelle diverses structures sont envisagées mais qui n’a émis aucune offre (et n’en formulera jamais). Enfin, il charge la banque d’affaires Merrill Lynch d’examiner les solutions pour externaliser la charge de la garantie (Credit Umbrella) (pièce n° 74 d’Ageas). M. Votron souligne la nécessité de négocier avec la RBS et Santander (pièce 41.1.25 de la FSMA) Au vu de l’impact négatif de l’offre de la Deutsche Bank, le management de Fortis poursuit donc initialement trois pistes : négocier les prétentions de la Deutsche Bank à la baisse, diminuer l’impact possible d’un accord avec la Deutsche Bank en réduisant ou externalisant le « credit umbrella » et rechercher, en parallèle, un autre partenaire pour céder les « EC Remedies » à meilleur compte. 35. Cependant, la Deutsche Bank se montre fermée à toute discussion. Comme le constatera M. Mittler dans un courriel du 8 mai à Messieurs Votron, Verwilst et autres, la Deutsche Bank sait « pertinemment », depuis le début du mois de mai 2008, qu’elle est – avec une autre société, que la Commission Européenne ne considère pas comme un acquéreur valable (NIBC Flowers) 5 Traduction libre de : « the price of the assets to be sold in the framework of the EC Remedies will be lower than expected » 6 Traduction libre de :“However, as full year net profit will be below and as the price for the assets to be sold in the framework of the EU Remedies will be lower than expected, a solvency déficit of approximately EUR 0,8bn may have to be closed by an additional issue of no dilutive assets” Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 17 n° – le seul candidat réel et elle a d’ailleurs rencontré la Commission Européenne dans le cadre de sa possible acquisition (Annexe 2 du dossier de la FSMA, « la vente des EC Remedies »). M. Votron insiste une nouvelle fois sur la nécessité de trouver d’autres candidats. 36. Une réunion se tient le 15 mai 2008 avec la Deutsche Bank qui demeure inflexible.M. Mittler en fait rapport à M. Verwilst et indique qu’il proposera à l’ERCC un plan pour compenser l’impact de solvabilité. 37. Le mémorandum commandé par M. Mittler au département « fusion et acquisition », intitulé « EC Remedies- Update », lui est soumis le 16 mai. Il confirme l’incidence négative de l’offre sur les fonds propres de - 800 millions en raison, d’une part, du prix offert (impact négatif de 300 millions) et, d’autre part, du « credit umbrella » (impact négatif de - 500 millions). Il suggère des mesures pour que l’impact soit réduit de - 800 millions à - 300 millions (pièce 2.99 de la FSMA). 38. Le 16 mai, M. Mittler établit à son tour un mémorandum qui reconnaît le caractère très défavorable de l’offre de la Deutsche Bank et ses conséquences sur la solvabilité si elle est acceptée et qui suggère des alternatives possibles. Il énumère les mesures techniques à examiner pour réduire l’impact du « credit umbrella » et envisage de négocier avec la Commission européenne une extension du délai et son approbation sur la candidature de NIBC/Flowers en tant qu’acheteur potentiel (pièce n° 77 d’Ageas). En effet, la veille, NIBC Flowers a rappelé son intérêt tout en demandant une position claire du conseil d’administration (pièce 43.5 du dossier FSMA). Au vu des pièces soumises à la cour, aucune démarche ne sera entreprise avec succès auprès de la Commission européenne et ni conseil d’administration, ni aucun comité de Fortis, ne manifestera d’intérêt pour l’offre de NIBC FLowers. 39. La banque d’affaires Merrill Lynch, qui conseille Fortis, se charge d’approcher la Royal Bank of Scotland et Santander, comme le souhaite M. Votron et selon elle : « En termes moins extrêmes, un ‘très bon’ accord pourrait encore être proposé à nos partenaires du consortium. MLL (Andrea Orcel) teste l’idée avec Royal Bank of Scotland et Santander, le choix le plus logique étant a priori Royal Bank of Scotland 8» (pièce n° 77 d’Ageas, p. 2). 8 Traduction libre : “At less extrems terms, a still very “good deal” could be proposed to our consortium partners, MLL (Andrea Orcel) is testing the idea with both Royal Bank of Scotland and Santander, the most logical fit being a priori with Royal Bank of Scotland”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 18 n° 40. Le 18 mai 2008 , M. Machenil confirme, notamment à Messieurs Mittler, Verwilst, et Votron, que l’offre de Deutsche Bank est « à prendre ou à laisser » et qu’il est néanmoins recommandé de l’accepter (Annexe 2.1. de la FSMA). 41. Le 19 mai 2008, qui est la date « pivot » retenue par la Décision, l’ERCC, auquel participent MM. Votron, Verwilst et Mittler, prend connaissance des «Capital & liquidity dashboards » et des recommandations émises par le service dirigé par M. Mittler. L’impact de l’offre de la Deutsche Bank sur la solvabilité de Fortis est alors évalué à - 300 millions en « base case » (pièce 12.7. de la FSMA). Selon le procès-verbal : "Gilbert Mittler a distribué une mise à jour des estimations de solvabilité pour le 4e trimestre de 2008 conforme aux dernières hypothèses du EC Remedies. Ceci conduit à un déficit estimé de core equity par rapport à notre objectif interne de -1,5 milliard EUR à -1,8 milliard EUR».9 42. L’ERCC considère que « le dossier des EC Remedies ne profitera pas d’un report potentiel de décision et par conséquent nous devons aller de l’avant avec la proposition de [Deutsche Bank]». Il charge le département finance d’aller de l’avant avec la proposition de la Deutsche Bank et de « close deal», c’est-à-dire conclure un accord (pièce 2.1.88 de la FSMA). 10 43. Le 20 mai 2008, l’ExCo, auquel participent MM. Votron, Verwilst et Mittler, indique que des négociations exclusives seront menées avec la Deutsche Bank au cours des deux semaines suivantes pour empêcher la Deutsche Bank de retirer son offre en faveur d’une autre transaction11. 9 Traduction libre de: “Gilbert Mittler handed out an updated solvency forecast fort Q4 2008 in line with the latest EC Remedy assumptions. This leads to an estimated core equity deficit versus our internal target of -1.5bn EUR to -1.8 bn EUR. It was agreed that EU Remedies will not profit from a potential delay in decision and therefore we should move forward with the Denmark proposal. (…)” (note de la cour : Denmark” est le code pour désigner Deutsche Bank) 10 Traduction libre de : “to do : Finance go forward with EU Remedies, move forward with Denmark proposal and close deal”. 11 Traduction libre de: « We will enter in exclusive negotiations with (Deutsche Bank) for the next 2 weeks in order to lock them into the bidding process and accelerate bidding to reduce the risk of them walking away to favour the Citibank potential deal in Germany”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 19 n° Il est néanmoins admis que « Les modalités de la transaction ne nous seront pas très favorables, mais seront néanmoins acceptables. En vertu des modalités actuelles, la transaction nous coûterait ~ 400 millions en solvabilité»12. M. Votron est inquiet de l’absence de tout autre acquéreur potentiel sérieux. Il est agacé par le manque de clarté en interne sur la solvabilité. Il demande de préparer un plan B pour susciter d’autres candidatures, mais ce, pour le cas où les négociations avec la Deutsche Bank échoueraient13 (pièce 2.77 de la FSMA). Le lendemain, 21 mai, M. Mittler reprend contact avec NIBC Flowers mais ces contacts n’aboutissent pas ; dans le même temps, il est décidé d’entamer des négociations exclusives avec la Deutsche Bank. 44. C’est ainsi que le 22 mai 2008, la Deutsche Bank reçoit l’accord de Fortis pour lui consentir une période d’exclusivité jusqu’au 9 juin 2008 (pièce 83 d’Ageas). 45. Le même jour, se tient à Bruxelles une réunion des investisseurs, « Investor Day » organisée par Fortis. MM. Votron et Mittler y font des présentations orales destinées aux investisseurs . M. Votron traite des « EC Remedies ». Cette communication est critiquée par la FSMA et sera reproduite et examinée sous le point V.2.1. 46. Le 28 mai, M. Mittler confirme en interne la teneur d’une réunion au sein de la holding RFS au cours de laquelle il a été convenu que, lorsque les termes et conditions de la Deutsche Bank seront connus, Fortis examinera avec la Royal Bank of Scotland si un meilleur accord peut intervenir (pièce 99 d’Ageas). 47. Le 9 juin 2008, la période d’exclusivité s’achève sans accord final avec la Deutsche Bank et le 11 juin 2008, M. Votron suggère à nouveau de rechercher d’autres candidats (pièce 113 d’Ageas). La Royal Bank of Scotland ou Santander sont les seuls autres candidats potentiels. 12 Traduction libre de : “The terms of the deal will not be very favourable to us, though still acceptable. Under the current terms, the deal would cost us “400 mios in Solvency”. 13 Traduction libre de: “The CEO raises his concern of having only one serious party in the negotiation and stresses the need to already prepare a Plan B to activate other candidates should the negociations with (Deutsche Bank) fall”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 20 n° 48. Le conseil d’administration des 18 et 19 juin 2008 est informé par M. Mittler que la période d’exclusivité est terminée, que les négociations se poursuivent (sans exclusivité) dans un contexte défavorable et que les conditions de la Deutsche Bank auront des répercussions négatives pour la solvabilité de Fortis. Le conseil d’administration approuve la conclusion de la transaction requise par la Commission Européenne, accepte que Fortis consente une garantie telle que celle demandée par la Deutsche Bank (le « credit umbrella ») et prend acte qu’un accord final n’est pas encore intervenu avec la Deutsche Bank (pièce 2.68 de la FSMA). 49. Le 24 juin 2008, M. Votron apprend que la Royal Bank of Scotland serait prête à acquérir les « EC Remedies » à des conditions meilleures pour Fortis. Selon lui, elle serait également prête à couvrir les conséquences financières de la rupture des négociations avec la Deutsche Bank. M. Votron indique à M. Mittler que, puisqu’il n’y a pas encore d’accord avec la Deutsche Bank et qu’une autre partie semble intéressée, il n’aperçoit pas pour quels motifs Fortis serait tenu de publier les détails de la vente (pièce 41.1.1. et 43.7 de la FSMA). Mme Quataert, juriste au sein de Fortis, à qui M. Verwilst demande s’il est encore possible de rompre les négociations, répond, après avoir pris contact avec les avocats de Fortis, que c’est encore possible mais qu’il est probable que la Deutsche Bank tentera d’obtenir des dommages et intérêts pour rupture des négociations (Annexe 2 au rapport de l’Auditeur). Le 26 juin 2008, M. Lippens confirme à MM. Votron, Mittler et Verwilst que M. Marnix, responsable d’ABN Amro en Belgique, lui a confirmé l’intérêt de la Royal Bank of Scotland (courrier des conseils de M. Mittler à l’Auditeur du 15 avril 2010, pièce 43 et pièce 43.7 de la FSMA). Toutefois, en fin de la journée, M. Votron apprend que la Royal Bank of Scotland ne soumettra pas d’offre (pièce 2.164 de la FSMA). 50. Le 26 juin 2008, Fortis publie un communiqué : « Fortis accélère la mise en œuvre de son plan de solvabilité » et annonce l’intention d’ABN Amro de signer prochainement une convention de vente portant sur certains de ses actifs aux Pays-Bas (les EC Remedies), pour un montant de + 300 millions environ. L’identité de acquéreur n’est pas mentionnée. Les modalités de Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 21 n° l’opération « pourraient prévoir qu’ABN Amro continue à couvrir le risque de crédit, initialement pour un montant d’environ EUR 10 milliards sur les engagements pondérés en fonction des risques liés aux actifs cédés. Les capitaux nécessaires à la couverture des risques de crédit seront libérés progressivement. L’impact futur escompté de cette opération sur les revenus et la solvabilité reste sujet à la structuration et l’aboutissement de l’opération, prévue pour le troisième trimestre » (pièce 2.17 de la FSMA). 51. Enfin, le 2 juillet 2008, un accord est signé avec la Deutsche Bank et annoncé par Fortis, après la clôture des marchés : « Fortis, ABN Amro et Deutsche Bank ont signé une convention par laquelle Deutsche Bank va acquérir une partie des activités de commercial banking d’ABN Amro aux Pays-Bas pour un montant d’EURO 709 millions en numéraire (…) » (pièce 83 de la FSMA). L’accord ne sera toutefois jamais suivi d’effet compte tenu du démantèlement du groupe Fortis au cours du dernier trimestre de l’année 2008. II.7. Les prévisions de solvabilité au sein de Fortis et les communications au marché 52. Dans un communiqué de presse du 7 mars 2008 publiant ses résultats annuels à fin 2007, M. Votron annonce, à propos de l’évolution de la solvabilité de Fortis après consolidation des activités d’ABN Amro, que : « La majorité des événements qui ont eu un impact sur sa solvabilité comptabilisée devraient intervenir entre la fin 2008 et 2009. Au cours de cette période, les quatre leviers suivants permettront d’assurer la continuité de nos objectifs de solvabilité : - Bénéfice non distribué - Croissance maîtrisée des besoins en capitaux - Cession d’actifs non stratégiques et création de coentreprises - Levées de capitaux non dilutives et opérations de libération de capitaux. (…) Depuis le début 2008, Fortis a annoncé les transactions suivantes dans le cadre du financement de l’acquisition de certaines activités d’ABN Amro. Ces transactions auront un effet positif sur le core equity de Fortis : - Fortis a placé avec succès EUR 0 ,5 milliard de « non innovative core equity » qui renforce à la fois le core equity du Groupe et de la Banque (transaction NITSCH) - Fortis et Vinci ont signé un protocole d’accord en vue de rapprocher leurs activités d’exploitation de parcs de stationnement …L’opération devrait avoir un impact positif sur le core equity de Fortis Insurance et de Fortis Groupe. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 22 n° - Fortis a conclu un accord en vue de la cession à Santader des activités de gestion d’actifs au Brésil. Cette opération aura un impact bénéfique sur le core equity de Fortis Banque et de Fortis Groupe estimé à EUR 0,2 milliard (..). A côté des transactions et des protocoles d’accord décrits plus haut, Fortis est engagé dans une nouvelle transaction qui, à sa clôture, renforcera encore sa solvabilité (...). L’impact positif total sur notre solvabilité de ces initiatives récentes et de la transaction en cours de négociation est estimé à environ EUR 3,2 milliards. Après consolidation intégrale de l’ensemble des activités d’ABN Amro acquises, le core equity devrait, selon les prévisions, être en ligne avec les objectifs de Fortis (…) » (pièce 2.8. de la FSMA, pages 14 et 15). 53. Le même jour, Fortis présente plus en détail les résultats 2007 aux investisseurs avec une estimation chiffrée de la solvabilité en « base case » à fin 2009 (pièce 2.8.1. de la FSMA): 54. Selon cette figure, l'objectif Core Tier 1 de 6% est confirmé. Fortis évalue un déficit en fonds propres à fin 2009 à -1,6 Mia mais ajoute que la mise œuvre des mesures non dilutives annoncées dans son communiqué du même jour (voir ci-dessus) – Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 23 n° et précédemment lors des communications sur le financement de l’acquisition d’ABN Amro permettront de le combler et même de créer un matelas de + 2,5 milliards à fin 2009. M. Mittler déclare à la presse : « Vous voyez, Mesdames et Messieurs, qu’avec ou sans cette base additionnelle, cette société sera en mesure de toujours garder une solvabilité bien-au-dessus des objectifs que nous avons divulgués il y a quelques années » (pièce 7.26 de la FSMA). Les analystes expriment leur confiance (voir les extraits reproduits dans le rapport de l’Auditeur, page 42). 55. Lors de l’ExCo des 10 et 11 avril 2008, MM. Machenil et Mittler exposent que 2 ou 3 milliards seront nécessaires pour compenser la détérioration future du marché et l’impact moins favorable des cessions sur les besoins en capital de Fortis (pièce 2.74 de la FSMA). Il est néanmoins proposé qu’au cours de l’Investor Day du 22 mai des propos « sur un ton confiant » soient tenus pour rassurer le marché à propos de l’intégration d’ABN Amro.14 56. Le 5 mai 2008, le ERCC se réunit. M. Votron invite l’ERCC à examiner les priorités du management « risk & capital » à court terme et notamment la mise à jour des questions relatives à la solvabilité. MM. Mittler et Machenil présentent un mémorandum intitulé « Liquidity, Solvency & Funding Report » qui prévoit un déficit de - 400 millions, à fin 2008, après réalisation des mesures de financement déjà décidées. La dégradation en « base case » résulte de la prise en compte d’un impact négatif sur le poste « other » et de l’offre défavorable de la Deutsche Bank pour les « EC Remedies » (voir les « Capital & liquidity dashboards », page 2, pièce 2.87 de la FSMA). M. Mittler propose une émission additionnelle de capital non dilutif. Une estimation en « stress case » à fin 2008 est également faite. Dans ce scénario, le déficit prévu atteint - 5,1 milliards, avant mise en œuvre des mesures décidées, et - 4,8 milliards après. Le « stress case » est déjà envisagé à cause des mauvaises conditions d’acquisition d’une participation de Delta Lloyd dans une joint-venture avec ABN Amro Assurances et d’un impact nettement moins positif que celui attendu pour des opérations de désinvestissement et d’émission d’instruments financiers initialement prévues. 14 Traduction libre de : “No major news is expected but confidence should flow from granularity of details and texture given by the presentations,, confident tone of the speakers and master command of the topics by top Executives on stage” Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 24 n° L’ERCC considère qu’en raison des prévisions obtenues dans le scenario du « stress test » un « contingency plan » - que la cour traduit comme « plan de secours » ou « plan de sauvetage » - doit être développé et présenté par le département finance à l’ ERCC pour juillet 200815 (pièce 2.87 de la FSMA). 57. Le 8 mai 2008, le RCC se réunit et MM. Mittler et Machenil y présentent une version modifiée de leur mémorandum du 5 mai et des « capital & liquidity dashboards ». A fin 2008, le déficit est estimé à - 800 millions, après implémentation des mesures prévues. Cette nouvelle dégradation est due à l’offre de la Deutsche Bank, à la valorisation d’un l’Equity portfolio et à d’autres facteurs (pièces 2.82. et 2.82.1 de la FSMA). 58. Au conseil d’administration du 9 mai 2008, un « CFO report » relatif au premier trimestre 2008 est discuté. Le conseil prend acte de diverses communications, et notamment de celle de M. Machenil selon laquelle la solvabilité actuelle demeure bonne. En ce qui concerne la solvabilité future, M. Machenil considère que les objectifs pourront être atteints par des mesures additionnelles non dilutives pour couvrir un déficit prévu de - 800 millions à la fin de l’année 2008 (pièces 2.66 et 2.66.1. de la FSMA). 59. Par un communiqué de presse du 13 mai 2008, Fortis annonce au public ses résultats du 1er trimestre 2008 avec un bénéfice net de 800 millions « grâce à la bonne résistance de ses performances opérationnelles ». M. Votron commente les résultats: « Au premier trimestre, nos ratios de solvabilité ont souffert de la chute des marchés des actions. Cependant, les bénéfices non distribués et le placement d’instruments non dilutifs ont compensé cette évolution. Notre core capital reste largement supérieur à notre cible. Cet excédent de core equity va diminuer lorsque les activités d’ABN Amro acquises seront transférées à Fortis au cours des années 2008 et 2009 et seront consolidées pour la première fois. Néanmoins, nous continuons à progresser comme prévu vers la réalisation de nos objectifs de solvabilité annoncés pour 2009, grâce au report de nos bénéfices futurs, à des cessions de certains actifs et à l’émission d’instruments non dilutifs comme indiqué précédemment ». (pages 2 et 3). 15 Traduction libre de: « Main conclusion from the stress test scenario was that a contingency plan shoud be developed and presented to the ERCC in the near future. To do’s : (…) Finance & Risck to develop a solvency contingency plan upon wich can be acted by July 2008”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 25 n° Sous le titre « solvabilité », Fortis rappelle les objectifs de solvabilité et notamment un capital cible pour les activités bancaires de 6% . « Etant donné le profil de risque modéré des activités d’ABN Amro acquises, le groupe Fortis maintiendra ses objectifs actuels en termes de capital après l’acquisition (exprimés conformément aux dispositions de Bâle I pour la banque) conformément aux attentes des agences de notation » (page 7). « Les activités de gestion d’actifs ont été transférées au début du second trimestre 2008. Les autres activités suivront entre le quatrième trimestre 2008 et le quatrième trimestre 2009. Au cours de cette période, l’excédent de core equity diminue mais Fortis gèrera son capital de manière à ce que le ratio de core equity et le levier soient proches des niveaux cibles après transfert intégral des activités » (page 8) ; « Après consolidation intégrale de l’ensemble des activités d’ABN Amro en 2009, le core equity devrait, selon les prévisions, être en ligne avec les objectifs de Fortis » (page 11) (pièce 2.12 de la FSMA). 60. Le même jour, Fortis présente aux analystes le slide suivant (pièce 2.12.1 de la FSMA) : Selon les extraits de la conférence téléphonique avec les analystes, le déficit des fonds propres est estimé à fin 2008 à - 3 milliards en « base case » avant implémentation des Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 26 n° mesures de financement prévues. Pourtant lors des ERCC et ExCo du 5 mai 2008, ce déficit, avant implémentation, est évalué à - 3,8 milliards (et à - 400 millions après implémentation) et lors du RCC du 8 mai, il est évalué en stress case à – 5,1 milliards et à - 800 millions après implémentation. L’information donnée aux analystes n’est donc pas conforme à ces évaluations. Fortis annonce maintenir son objectif initial de solvabilité à fin 2009 (pièce 67bis d’Ageas). La banque Degroof note que « Fortis se cantonne à ses plans précédents et a pour objectif un core Tier 1 « look through » de 6% à fin 2009 après l’entière consolidation de la dernière partie d’ABN » (pièce 7.16 de la FSMA). 61. Le 15 mai 2008, Fortis annonce publiquement le lancement d’un nouvel instrument de placement non dilutif, le NITSH II : « Après le succès du placement de NITSH I pour un montant de USD 750 millions – essentiellement en Asie – cette nouvelle transaction permettra à Fortis de renforcer encore ses coefficients de solvabilité, comme annoncé dans le communiqué de presse relatif aux résultats du premier trimestre publié le 13 mai 2008 » (pièce 66.2.1.de la FSMA). La veille, M. Mittler indique « nous espérons obtenir 1 milliard »16 (pièce 70 d’Ageas). 62. Pour l’ERCC du 19 mai 2008, plusieurs documents préparés par le département Finance circulent (capital & liquidity dashboards). L’un d’eux évalue le déficit prévu en « base case », à fin 2008, après réalisation des mesures de financement, à - 1,1 milliard (pièce 2.88.1. de la FSMA). Un autre l’évalue entre -1,5 milliard et -1,8 milliard (pièce 12.7 de la FSMA). C’est la seconde estimation qui prévaudra (voir point suivant). Sous le titre « actions et recommandations », M. Mittler estime que si Fortis peut bénéficier des règles de Bâle II, l’objectif de solvabilité sera atteint. Par contre, en Bâle I, « Si des conditions de stress interviennent, un plan d’action d’urgence va devoir être mis en place afin de ramener le core equity proche de l’objectif. Les conditions principales du stress test supposent une nouvelle baisse des fonds propres, une croissance plus importante du RWC17, un bénéfice plus faible que prévu des désinvestissements et une réduction des nouvelles émissions de capital en raison des circonstances du marché et d’autres diminutions»18. 16 Traduction de: « we hopen nog 1 miljard euro op te halen ». Risk Weighted Capital – En français : actifs pondérés par le risque 18 Traduction de: “If stress test conditions occur, contingency action plan will need to be put in place to bring core equity closer to target. Main stress-test conditions assumed a further decrease in equities, stronger RWC growth, a lower benefit from divestments, reduced new capital issues due to market circumstances and additional impairments’. 17 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 27 n° Or, M. Mittler admet que le « base case » scenario, en Bâle I, suppose l’exécution entièrement satisfaisante des désinvestissements prévus, des placements de capitaux et la maitrise des actifs pondérés du risque et qu’en outre: «Même après l’exécution réussie des cessions planifiées, des émissions de capital et une croissance contenue des besoins de capitaux, Fortis a besoin de mesures additionnelles pour combler le déficit restant de 1,8 milliard d’euros pour revenir sur la bonne voie» 19 (pièce 12.7 de la FSMA). Le « stress case » se précise donc, même pour M. Mittler. Les mesures complémentaires que son département propose, dans le « stress scenario » ou « contingency action plan », sont une augmentation de capital dilutive (rights issue), des désinvestissements (divestments) et une adaptation de la politique de dividende (dividend policy correction). 63. L’ERCC du 19 mai 2008 décide qu’il faut aller de l’avant avec l’offre de la Deutsche Bank (voir ci-dessus, point 42 ) et que le déficit prévisionnel de solvabilité doit être évalué entre - 1.5 milliard à - 1.8 milliard, en base case à fin 2008 . Selon lui : «Cela signifie également que le plan de solvabilité « contingency » devrait être davantage développé. Il a été convenu que trois aspects potentiels devraient être explorés : l’augmentation du capital (p.ex. l’émission de droits, l’augmentation de capital ‘noninnovative’…) les désinvestissements et l’adaptation de la politique de dividendes. (...) À faire : (…) Finance, préparer une chronologie pour le plan d’urgence et annoncer à quel moment nous devrons prendre quelle décision afin d’assurer la mise en œuvre adéquate et en temps opportun des mesures d’urgence en 2008/2009 » (pièce 2.88 de la FSMA)20. 64. 19 Traduction de: “even after successful execution of planned divestments, capital issues and contained RWC growth, Fortis needs additional measures to fill the 1;8bn remaining deficit in order to be back on target” 20 Traduction de: “ this also means the solvency contingency plan should be further developed. It was agreed that 3 potential axis should be further explored : capital raising (…), divestments and dividend policy correction. With regard to the raisin of non core equity, the question was raised with regard to our capital mix and the room for issuance of additional instruments.. It was confirmed that some room exists when applying the strict CBFA definition, however it is limited. To do : Finance to prepare a contingency plan timeline & triggers by when do we need to take which decision in order to ensure adequate & timely implementation of contingency measures in 2008/2009”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 28 n° A la réunion de l’ExCo du 20 mai 2008, le programme de l'Investor Day du 22 mai 2008 est approuvé et les interventions de MM. Votron et Mittler préparées. Il y est également question de la solvabilité du groupe mais le procès-verbal ne relate pas le contenu du débat. M. Mittler fait aussi le point sur l’opération NITSH II qui vient de commencer et dont les résultats (non définitifs) sont inférieurs aux attentes. Il considère déjà que des mesures complémentaires doivent être prises (pièce 2.77 de la FSMA). 65. Lors de l’Investor Day du 22 mai 2008 organisé par Fortis à l’attention des investisseurs, MM. Votron et Mittler font des présentations orales qui sont mises en cause par la FSMA. Elles sont reproduites plus loin, dans la discussion en droit, avec le « slide » qui accompagne la présentation de M. Mittler (voir ci-après, V.2.1.). 66. Le 23 mai 2008, un communiqué de presse de Fortis annonce le placement « avec succès » de l’instrument hybride NITSH II . Il a rapporté 625 millions et Fortis se dit « particulièrement satisfaite de ce résultat. Nous avons atteint l’objectif que nous nous étions fixé, de sorte que l’opération va nous permettre de consolider la solvabilité de Fortis » et « Après le succès du placement de NITSH I pour un montant d’USD 750 millions – essentiellement en Asie – cette nouvelle transaction témoigne de la capacité de Fortis à exploiter les opportunités qui se présentent sur le marché afin de renforcer encore ses coefficients de solvabilité, conformément à sa politique de solvabilité » (pièce 2.16 de la FSMA). Pourtant, le 15 mai, M. Mittler espérait un bénéfice d’un milliard (voir n° 61 ci-dessus). Le 6 juin 2008, le RCC et le conseil d’administration approuveront la reprise de l’émission du NITSH I, sous la dénomination « NITSH I Tap », et M. Mittler indiquera que ce nouveau lancement doit avoir lieu aussi vite que possible pour combler un manque à gagner sur l’opération NITSH II. On espère en retirer un bénéfice entre 250 à 500 millions USD (pièces 2.83 de la FSMA) ; cette ambition se réduira par la suite à 150 millions. L’opération n’aura toutefois jamais lieu, compte tenu des évènements qui se produiront dès la fin juin. 67. Le 27 mai 2008, MM. Mittler et Machenil établissent un projet de mémorandum relatif au « Solvency Contingency Plan », auquel est annexé un tableau détaillant leurs estimations. Ce projet expose que selon les prévisions de solvabilité en Bâle I, spécialement en « stress case », la capitalisation de Fortis sera insuffisante pour atteindre les objectifs à fin 2009, compte tenu du marché défavorable aux transactions prévues et de la dégradation du marché. Les précités Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 29 n° admettent que les régulateurs, les agences de notation et le marché suivent très attentivement les prévisions de capitalisation de Fortis et que le risque d’une dégradation de la notation fait pression sur Fortis. Il est clair, pour eux, que compte tenu de la solvabilité actuelle et des prévisions en « base case », sous Bâle I, un déficit persistera à fin 2008 (…). Ils proposent comme remèdes une augmentation de capital par capital autorisé, la réduction des besoins en capital et une modification de la politique de dividendes (pièce 2.101 de la FSMA ). 68. Le 3 juin 2008, à 8h29, M. Mittler adresse un courrier électronique à M. Votron, annonçant l'envoi « probablement aujourd’hui » d'un mémorandum relatif à l'évolution de la solvabilité Comme on le verra sous le point V.2.2., il y évoque de nouvelles mesures additionnelles. Par contre, il considère que la réduction des dividendes et une augmentation de capital dilutive (« rights issue ») ne sont pas à l’ordre du jour (pièce 2.120 de la FSMA). 69. Le 3 juin, des « Capital & Liquidity Dashboards » sont préparés pour la réunion de l’ERCC du 5 juin 2008, avec une version finalisée du mémorandum. Ces documents confirment que la solvabilité de Fortis requiert des mesures additionnelles à celles déjà prévues pour combler un déficit de - 3,1 milliards après implémentation des mesures déjà prévues et indiquent que si des conditions de stress interviennent, un plan d’action d’urgence devra être mis en place pour ramener le « core equity » « proche de l’objectif » (pièce 89.2 de la FSMA). 70. Le mémorandum porte les mentions « très confidentiel », « qui ne peut circuler » (pièce 2.89.1 de la FSMA). Il propose « pour combler l’écart immédiatement » et suggère comme mesures potentielles visant à créer un matelas, de : limiter les besoins de croissance du capital réglementaire à +5% au lieu de + 10% (réduction jusqu’à EUR 1,6 milliard) ; une réduction du dividende et/ou paiement en actions (EUR 2,6 milliards en 2008, et EUR2,8 milliards en 2009) ; l’émission de nouvelles actions par le biais de ‘book building’ accéléré de jusqu’à EUR 3,5 milliards »21(pièce 2.89.1 de la FSMA). En annexe 1 figure un tableau intitulé "latest solvency forecasts" dans lequel apparait un déficit, avant mesures prévues, mais non encore annoncées, de -4.5 milliards en « base 21 Proposed Immediate fill the gap actions: - risk mitigation and capital relief for up to EUR 3 billion Additional capital raising for up to EUR 0.5 billion - Potential Buffering Actions : -Limit growth capital requirements to +5% instead of +10% (relief for up to EUR 1.6 billion) Dividend cut and/or payment in shares (EUR 2.6 billion in 2008, EUR 2.8 billion in 2009) - Issue new shares through accelerated book building of up to EUR 3.5 billion" Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 30 n° case » à fin 2008 et de -8 milliards en « stress case ». Après mise en œuvre des mesures additionnelles, le déficit est estimé à -2,5 milliards en « base case » et de -8,7 milliards dans une situation de « stress case », à fin 2008. A fin 2009, ces déficits sont respectivement évalués dans ce tableau à -3,1 milliards et à -11,3 milliards. Selon la synthèse préparée pour le management, les mesures de capitalisation ne procurent pas les résultats escomptés, le deuxième trimestre 2008 enregistre une augmentation du déficit et des actions immédiates sont requises pour combler l’augmentation. On verra plus loin qu’une discussion oppose les parties sur le moment auquel M. Votron a eu connaissance de ces mémorandum et annexes (voir V.2.1.). 71. Le 3 juin 2008, la banque d’affaires Merrill Lynch (division Global Markets & Investment Banking Group) adresse à MM. Votron et Mittler un mémorandum confidentiel relatif à l’évolution de la solvabilité de Fortis. Il les informe de la perception de la solvabilité de Fortis par le marché, pendant et à l’issue de l’Investor Day, de ses préoccupations grandissantes et formule des recommandations précises (pièce 37.4 de la FSMA ; il en sera plus amplement question sous le point V.2.1.). 72. Dans la matinée du 5 juin 2008, M. Votron s’exprime, lors d’une conférence donnée dans le cadre du programme « Het Financieel Ontbijt » à Utrecht. Cette communication, qui est également critiquée par la FSMA, est reproduite et commentée dans la suite de l’arrêt (voir V.2.2.). 73. L’ERCC du 5 juin 2008, qui se réunit après la conférence, est invité à examiner prioritairement le problème de solvabilité, qui, selon le procès-verbal, figure « au top » des agendas du management et requiert toutes les mesures possibles pour s’assurer que le sujet est traité avec la confidentialité adéquate. Il décide que « des mesures additionnelles de solvabilité doivent être examinées et proposées au RCC et au Conseil les 18 et 19 juin : - accélérer les transactions visant à réduire les besoins de capital (...) - émettre de nouvelles actions (....) - postposer le dividende intérimaire (...) - instaurer une protection de solvabilité (...) - étudier un accroissement supplémentaire de l’émission de nouvelles actions. Toutes les mesures proposées doivent être présentées et examinées avec le président du Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 31 n° conseil d’administration et le président du RCC dans les prochains jours. (…) M. Votron a insisté sur le fait que toutes les nouvelles mesures susmentionnées sont d’une importance capitale pour notre Groupe. En tout état de cause, le succès de ces mesures dépendra aussi du choix du moment adéquat et de la communication dont elles feront l’objet. Dès lors, un plan complet de communication devrait être préparé dès que possible. A faire : (…) Le département finance et juridique prépare un plan d’action et de communication complet comprenant le calendrier des réunions avec les régulateurs, les agences de notations, le conseil d’administration, les investisseurs, … » (pièce 2.89.2 de la FSMA)22. 74. Le 6 juin 2008, M. Mittler adresse à MM. Votron et Verwilst un plan pour les réunions qu’ils doivent avoir avec le président du conseil d’administration, M. Lippens, et le président du comité d’audit, M. Bodson. M. Mittler admet qu’il faudra proposer une émission d’actions Fortis et la suppression d’un dividende intérimaire (pièce 51.5.1.23 de la FSMA). 75. Le 9 juin 2008, M. Mittler adresse un nouveau mémorandum, également « très confidentiel », intitulé « solvency plan » à MM. Votron et Verwilst en vue de la réunion du ERCC du lendemain. Il y écrit : « Depuis l’annonce – à l’occasion de la présentation des résultats de l’exercice 2007 – du Plan d’Augmentation de la Solvabilité, les conditions du marché ont affecté notre capacité à atteindre, sur la base des mesures planifiées, l’objectif requis en matière de solvabilité. 22 Traduction de : “The ERCC concluded that Fortis needs to deliver on the following two items: - Execution of the current capital buid-up plan (…) - Selection and implementation of additional (on top off) measures in the areas of capital relief and capital raising. (…) The ERCC decided on the following additional solvency actions to be further investigated and to be proposed to the RCC and Board on June 18th and 19th: - accelerate capital relief transactions (…) - Issue new shares in the context of the Delta Lloyd acquisition and EC Remedies closing for an amount up to EUR 1.0bn; - Install solvency protections - Investigate further ramping up of new shares issuance up to EUR 2.0bn. All of the above proposed measures need to be presented and tested with the Fortis Board president and RCC chairman in the coming days. (…) Mr. Votron insisted on the fact that all of the above measure are of utmost importance to our Group. However the success of taking these measures will also depend on the right timing and communication around them. Therefore a full communication plan should be prepared as soon as possible. To do: (..) Finance, Legal & IR to prepare a full action & communication plan including timings of meetings with regulators, rating agencies, boards, investors”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 32 n° Les tableaux ci-dessous résument la différence entre le plan initial (mars 2008) et la situation actuelle. (…) D’un plan prévoyant un matelas de + 2,5 milliards EUR pour absorber une croissance plus élevée ou des évènements imprévus, nous nous trouvons à présent dans une situation où le matelas est utilisé et où un supplément de capital de 3 milliards EUR est requis pour atteindre les mêmes objectifs de solvabilité. En fait la situation a empiré à concurrence de 5,6 milliards […].(mis en exergue par la cour). Tout ce qui précède est basé sur un scénario de base case qui pourrait cependant être affecté par divers éléments. Un « scénario de stress » pourrait être élaboré compte tenu de certains éléments (…) Dans ce cas (note de la cour : c’est-à-dire si ces événements se produisent), le déficit de solvabilité augmentera d’environ 4 milliards EUR. Des mesures additionnelles devront être prises et ne pourront être que de trois types : - Emission de nouvelles actions […] ; - Suppression du dividende […] ; et - Désinvestissements additionnels » (pièce 2.104 de la FSMA )23. 76. Le 10 juin 2008, un analyste de Merrill Lynch rend publique son étude par laquelle il dégrade à « neutre » la notation qu’il attribue à l’action Fortis : « Nous dégradons Fortis parce que nous croyons que l'environnement de marché concernant le capital a changé de quatre manières. Premièrement, nous pensons qu'au cours des dernières semaines il y a eu un mouvement vers une position plus dure du marché, des régulateurs et des agences de notation, motivés par des craintes spécifiques sur des dépréciations de crédits structurés et des soucis plus généraux concernant des niveaux de levier. Deuxièmement, nous sommes 23 Traduction de : “Since the announcement – at the time of the full year 2007 results – of the solvency raising plan, market circumstances have affected our ability to reach the required solvency target with the planned measures (…) From a plan providing for a buffer of EUR 2.5 billion to absorb higher growth or unexpected event, we are now in a situation where the buffer is used and an addition of EUR 3 billion is required to reach the same solvency targets. In fact, situation has worsen by EUR 5.6 billion, mainly due to CDO & equity market impacts, lowered expectations from divestments and the planned Delta Lloyd acquisition. One should also remember that the solvency situation in the shown tables takes into account a certain number of transactions already announced but not yet closed (Ping An and Interparking) and some solvency raising plans in progress (for capital raising EUR 2.5 billion & CSA claim EUR 3.0 billion). Those elements still include a degree of uncertainty All the above is based on a "base case" that could be hit by a number of elements. A ‘stress case’ could be build taking into account elements such as: additional impairments on the CDO origination portfolio of EUR -1.0 billion, drop of equity markets by -10% or EUR -0.8billion, 2008/2009 results below budget for EUR 1.5 billion, divestment proceed reduced by another EUR -0.5 billion... In this case, the solvency deficit will increase by around EUR 4 billion. Additional measures will then have to be taken and could only be of three natures: issues of new shares (EUR 2.0 billion available if EUR 1 billion is issued for Delta JV), dividend cut (up to EUR 2.6 billion) and additional divestments (up to EUR 2.0 billion" Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 33 n° préoccupés par les 3 milliards € de renforcement de capital que Fortis doit recevoir des autres membres du consortium et qui pourraient prendre la forme d'actions préférentielles. Troisièmement, étant donné que d'autres banques ont augmenté leur capital, Fortis se trouve à présent au niveau le plus haut de nos indicateurs de risques de levier. Et quatrièmement, l'environnement n'est plus aussi favorable à des ventes d’actifs ; ce qui rend la reconstruction du capital post ABN Amro plus difficile. » (pièce 2.31 de la FSMA et traduction de la FSMA). 77. A la suite de cette publication, Fortis se prépare à communiquer mais M. Bonte de la FSMA considère qu’une communication n’est pas nécessaire (pièce 112 d’Ageas). 78. Le 11 juin 2008, des projections de solvabilité à fin 2008, sont présentées à l’ERCC. M Votron expose que le déficit prévu en « base case » est de - 2,5 milliards après implémentation des mesures prévues auquel il faut ajouter 2 ,8 milliards en « stress case » (soit – 5,3 milliards) ; des actions doivent être prises en deux étapes, l’une en 2008 par une augmentation de capital et l’autre en 2009. M. Votron demande à MM. Mittler et Machenil de préparer une présentation « simple et claire » pour informer le président du conseil d’administration et le président du RCC (pièce 2.90 de la FSMA). 79. Le même jour, l’ExCo décide de recommander au prochain conseil d’administration de faire usage du capital autorisé et de soumettre au conseil d’administration des mesures additionnelles de cessions et/ou une modification de la politique de dividende (pièce 2.78 de la FSMA). 80. Le 12 juin 2008, lors d'une conférence organisée par Goldman Sachs à Berlin, à laquelle assistent des représentants d'institutions financières et des investisseurs, M. Verwilst fait un exposé sur la situation de Fortis qui est également critiqué par la Décision et qui sera donc reproduit et examiné dans la suite de l’arrêt (voir V.2.3. ci-après). 81. Les 18 et 19 juin, le mangement propose au conseil d’administration l’émission de nouvelles actions par l’utilisation de la moitié du capital autorisé, de ne pas payer de dividendes intérimaires en 2008 et d’émettre de nouveaux instruments de placement non dilutifs. M. Mittler considère que les mesures relatives à la solvabilité doivent être décidées et communiquées en même temps que l’accord sur les « EC Remedies », avant la fin juin (pièce 2.79 de la FSMA). Le conseil d’administration n’adopte pas de décision. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 34 n° 82. Dès le 17 juin 2008, l’information circule en interne que la CBFA aimerait connaître les actions envisagées (pièce 43.33 de la FSMA). Des indications lui sont données et, selon un email interne de Fortis du 23 juin 2008, la CBFA estime qu’une communication dans l’urgence aurait un effet de panique et qu’il n’est pas approprié d’alimenter les rumeurs sur le marché. La CBFA demande à être informée précisément sur les points qui seront soumis au prochain conseil d’administration 24 (pièce 41.1.18 de la FSMA). La CBFA invite Fortis à lui notifier officiellement l’existence d’une information privilégiée et en même temps sa décision de ne pas la publier immédiatement (pièce FSMA 41.1.19). Par un courrier du 24 juin 2008, Fortis porte officiellement à la connaissance de la CBFA l’« information (relative à un projet que nous appelons « Senior » depuis quelques jours) (qui) est devenue assez précise - bien que non définitive - lors du conseil d'administration du 18 juin 2008. La CBFA en a été informée peu après officieusement. Il ne fait aucun doute, selon nous, qu’une publication de cette information aurait porté – et porterait encore aujourd’hui atteinte aux intérêts légitimes de la société, notamment parce qu’elle rendrait techniquement impossible l’une des importantes opérations envisagées dans le cadre d’un plan global dont tous les éléments doivent être communiqués simultanément pour donner une image complète au marché. Nous pensions pouvoir émettre ce 26 juin, avant l’ouverture de la bourse, un communiqué de presse détaillé, dont le projet sera bien évidemment adressé à vos services au préalable. Par ailleurs, nous pensions que le report de publication de cette information privilégiée ne risque pas d’induire le marché en erreur. Enfin, nous vous confirmons que nous avons pris des mesures pour assurer la confidentialité de l’information privilégiée » (pièce 2.117 de la FSMA). 83. Le 25 juin 2008, le conseil d’administration se réunit à nouveau et décide cette fois de ne pas distribuer de dividende intérimaire pour 2008 et de proposer à l’assemblée générale de mars 2009 la distribution en actions du dividende de l’année 2008. Il approuve également la proposition du management d’augmenter le capital de Fortis SA/NV et Fortis N.V. par une émission de nouvelles actions pour 1,5 milliard, à effectuer dans les limites du capital autorisé fixées par les actionnaires le 29 avril 2008 (pièce 2.69 de la FSMA). 84. 24 « Just had the other branch of the line : Thierry L’hoest. With respect to the “emergency communication they believe that - it comes across as “panic” – does not give arguments to take rumours out of the market. They would like to see these points addressed. In particular they suggested to give clarity on what will be proposed to the board”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 35 n° Le 26 juin 2008, Fortis communique ce qui suit : « Fortis accélère la mise en œuvre de son plan de solvabilité" ; il reconnaît que "le contexte actuel est exceptionnel et nécessite dès lors des mesures exceptionnelles", annonce, « (i) une levée de capitaux d’environ 1,5 milliard d’euros dans le cadre du capital autorisé et avec exclusion du droit préférentiel des actionnaires et (ii) la suppression du dividende intérimaire ainsi que la décision de payer totalement en actions le dividende annuel relatif à l’exercice 2008 » et considère que les mesures du plan de solvabilité adapté "compte tenu de la consolidation intégrale des activités de ABN Amro] acquises, vont permettre à Fortis de maintenir core Tier 1 bien au-delà des 6% à la clôture de l'exercice 2009 (sous Bâle I)" (pièce 2.17 de la FSMA). 85. A la clôture des marchés le 26 juin 2008, l’action Fortis est cotée à 10,26 EUR et chute de 18,9 % par rapport au cours de clôture de la veille. 86. Le Président de la FSMA est interpellé par la presse : - A la question posée par « certains » actionnaires « mais que fait la police » et si la CBFA «gendarme du marché, n’aurait pas dû agir », le Président de la FSMA répond « la CBFA n’a rien à reprocher au bancassureur » (La Libre Belgique, 28 juin 2008, pièce 10 d’Ageas) ; - commentant le communiqué de presse de Fortis du 26 juin 2008, il ajoute que : « sur le plan de l’information et de la protection des investisseurs », « dans des délais ramenés au minimum, le bancassureur a publié des informations très détaillées et accessibles à tous, tout en organisation la constitution accélérée d’un livre d’ordres en toute transparence. Donc ça a roulé sur la forme. Sur le fond, ce n’est pas à moi de juger quels sont les outils mis en œuvre par Fortis. L’info était là, en heure et en temps et le marché a jugé », tout en ajoutant « Je constate qu’on nous a dit il y a cinq mois qu’il n’y aurait pas de dividende en papier, ni d’augmentation de capital et qu’aujourd’hui Fortis fait évoluer sa communication sur des éléments qu’il présente comme nouveaux (…) Soit dit en passant, il y a cinq ans vous n’auriez été informé de rien du tout » (Le Soir, 28 juin 2008, pièce 11 d’Ageas) ; -« La communication de Fortis concernant sa récente recapitalisation a été donnée à temps et à heure. Cette information a été communiquée à tous de la même manière. Pour la CBFA, il n’y a donc rien à redire » (L’ECHO, 28 juin 2008, pièce 12 d’Ageas). II.8. La commission parlementaire et l’analyse des causes de la chute de Fortis par les experts 87. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 36 n° Le 4 décembre 2008, la Chambre des représentants adopte en séance plénière une proposition visant à instituer une commission spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire. Sa mission principale est « d’analyser les mécanismes et les responsabilités ayant mené à la crise financière et bancaire ainsi que le contrôle du secteur, la gestion de la crise et les manquements de la législation, notamment sur le plan du contrôle »25. Quatre experts sont désignés. Ils adressent des questionnaires détaillés notamment à Fortis et à la CBFA. Le 16 mars 2009, les experts entendent MM. Jean-Paul Servais, président de la CBFA et Rudi Bonte, membre du comité de direction de la CBFA. Quelques jours auparavant, M. Maurice Lippens, ancien président de Fortis, MM. Jean-Paul Votron et Herman Verwilst, anciens CEO de Fortis sont entendus. Le rapport du collège d’experts est déposé le 27 avril 2009. 88. On y lit que : « 953. Dans l’identification des risques ayant causé les difficultés rencontrées par Fortis, on retiendra principalement le rachat d’ABN Amro au plus haut de son cours, les investissements faits dans des produits toxiques et le jeu des rumeurs sur le marché. L’avis du groupe est que chacun de ces événements a contribué à la situation de Fortis mais c’est leur conjonction dans un contexte de marché tout à fait exceptionnel qui a conduit à la situation critique de la fin septembre 2008. A ce propos, Fortis revient sur les points suivants: – L’acquisition d’ABN Amro a été initialement soutenue par toutes les parties prenantes et par le marché. L’intérêt stratégique en était largement reconnu et le prix était perçu comme élevé mais non excessif. – L’opération ABN Amro a mis sous pression la solvabilité et les besoins financiers de la banque. – Les projets de séparation et d’intégration très complexes concernant ABN Amro ont nécessité plus d’attention et de temps de management que prévu, notamment en raison des problèmes de concurrence sur le marché néerlandais et du processus complexe de séparation qui en a découlé. – L’exposition aux produits structurés, de € 40 milliards au troisième trimestre 2008 et dans une proportion raisonnable du portefeuille d’investissement (en comparaison à d’autres institutions européennes), a encore affaibli la situation du groupe(…) ». 89. 25 voir le rapport fait au nom de la commission spéciale, p. 35, www.lachambre.be, DOC 52 1643/002, 4-1100/1 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 37 n° La position de Fortis en matière de liquidité fut son talon d’Achille : « 953 -La stratégie de développement offensive de Fortis a entraîné un accroissement des actifs, mettant sous pression le besoin en liquidité. Par ailleurs, la liquidité n’était pas au centre des préoccupations des régulateurs, au contraire de la solvabilité. Finalement, la large base de dépôts couplée à la profusion des marchés financiers ont dévié l’attention de la banque du risque de liquidité. La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre a provoqué dans toutes les banques une forte accélération de l’analyse de crédit des contreparties, entraînant une crise mondiale de confiance et de liquidité, qui a durement touché Fortis, déjà affaibli. 954. La gestion de la liquidité au sein du groupe Fortis est l’élément qui a conduit la banque à avoir un recours urgent aux autorités publiques fin septembre 2008. La quasi-disparition du marché interbancaire à la suite de la faillite de Lehman Brothers ainsi que les retraits massifs dans l’activité de wholesale de la banque ont abouti à un défaut majeur de liquidités (voir chapitre 6). La question de savoir si la banque était bien préparée à ce risque se pose logiquement » 26. II.9. Les poursuites menées par la CBFA 90. Entre le 17 juillet 2008 et le 10 septembre 2008, la CBFA adresse à Fortis quatre demandes d’informations et de communications de documents dans des délais stricts. Pendant les travaux de la commission parlementaire, elle examine les documents que lui transmettent les requérants et leurs conseils. 91. Par décisions des 29 juillet et 18 août 2009, notifiées à l'Auditeur le 1er septembre 2009, le comité de direction de la FSMA charge le secrétaire général, en sa qualité d'Auditeur, de l'instruction à charge et à décharge, sur la base de son enquête préliminaire portant sur la communication externe de Fortis sur la mise en œuvre de son plan de solvabilité et ses prévisions en matière de solvabilité au cours d'une période allant de janvier 2008 jusqu'à la publication du communiqué de presse du 26 juin 2008. 92. Le même jour, la FSMA annonce dans un communiqué de presse que : « L'enquête préliminaire de la CBFA est à présent terminée. Au terme de cette enquête approfondie, le comité de direction a constaté qu'il existait suffisamment d'éléments pour 26 Chambre, session 2008-2009, doc 52_1514/001, www.chambre.be Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 38 n° transmettre le dossier à l'Auditeur de la CBFA. L'Auditeur entendra la société et les personnes concernées dans le cadre d'une instruction à charge et à décharge (…) ». 93. Le 31 août 2011, ayant terminé son instruction depuis le 30 novembre 2010, l’Auditeur transmet son dossier au comité de direction et le 2 avril 2012, le comité de direction décide d’engager une procédure pouvant mener à l’imposition d’une amende administrative à l'encontre des requérants. Le déroulement de cette procédure sera examiné sous le point IV.2.2.. II.10. Les poursuites de l’autorité de contrôle néerlandaise 94. Le 5 février 2010, l’autorité de régulation néerlandaise, la Stichting Autoriteit Financiële Markten (AFM), décide d'infliger une amende de 144.000 EUR, d'une part à Ageas SA/NV et, d'autre part, à Ageas N.V., pour violation de l'article 5:58, alinéa 1er, disposition liminaire et point d, de la loi néerlandaise sur le contrôle financier (Wet op het financieel toezicht) et de l'article 5:59, alinéa 1er, de cette même loi, tel qu'il était rédigé jusqu'au 1er janvier 2009. Elle décide également de publier sa décision, conformément aux articles 1:97 et 1:98 de la loi susmentionnée. 95. Le 4 mai 2011, le Tribunal de Rotterdam, section "Bestuursrecht", déclare non-fondés les recours formés contre cette décision. L’appel contre ce jugement auprès du College van Beroep voor het bedrijfsleven est rejeté par une décision du 4 mars 2014. ______________________________________ III. LA DECISION ATTAQUEE 96. Selon la Décision, dès le 19 mai 2008, Fortis aurait dû publier les informations privilégiées dont il avait connaissance à propos, d’une part, de « l'évolution négative des EC Remedies » et, d’autre part, « de la diminution significative de sa solvabilité look through ». Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 39 n° Ne l’ayant pas fait, Fortis aurait enfreint l’article 10, §1er, al.1, de la loi du 2 août 2002, ciaprès la Loi, qui impose aux émetteurs d’instruments financiers admis, à leur demande ou avec leur accord, à la négociation sur un marché réglementé belge, de rendre publique immédiatement toute information privilégiée qui les concerne directement, en ce compris tout changement significatif concernant des informations qui ont été rendues publiques, c’est-à-dire, selon l’article 2, 14° , « toute information qui n'a pas été rendue publique, qui a un caractère précis et qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou celui d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ». 97. La Décision reproche également à Fortis, ainsi qu’à MM. Votron, Mittler et Verwilst d’avoir diffusé, en violation de l’article 25, §1er, 4°, de la Loi du 2 août 2002, des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur les actions Fortis, alors qu’ils savaient ou auraient dû savoir que ces informations étaient fausses ou trompeuses. Il s’agit des communications données : - le 22 mai 2008, lors de l’Investor Day, par MM. Votron et Mittler ; - le 23 mai 2008, par le communiqué de presse sur le résultat du placement des NITSH II (ce grief est adressé uniquement à Fortis/Ageas); - le 5 juin 2008, par M. Votron lors du Financieel Ontbijt ; - le 12 juin 2008, par M. Verwilst lors de la conférence de Goldman Sachs. L’article 25, §1er, 4°, de la Loi interdit « à toute personne de diffuser des informations ou des rumeurs, par l’intermédiaire des médias, via l’internet ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers », en l’espèce l’action Fortis, « alors qu’elle savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses ». La cour examinera par la suite les éléments constitutifs de cette infraction. 98. La Décision invoque encore la violation par Fortis/Ageas de l’article 5 de l’arrêté royal du 14 novembre 2007 « relatif aux obligations des émetteurs d'instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé ». Cette disposition impose aux émetteurs de mettre "à la disposition du public toutes les informations nécessaires à la transparence, à l'intégrité et au bon fonctionnement des marchés. L’information donnée est fidèle, précise et sincère et permet aux détenteurs de titres et au public d’apprécier l’influence de l’information sur la situation, l’activité et les résultats de l’émetteur" . Il précise en son article 5, alinéa 2, que: "les Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 40 n° émetteurs assument en particulier la responsabilité des informations à élaborer et à publier conformément à la section IV [obligations en matière de communication d'informations au public], sous-sections Ire [obligations concernant les informations périodiques] et II [obligations concernant les informations complémentaires]" du chapitre Ier du titre II de l'arrêté royal du 14 novembre 2007. La Décision indique à ce propos qu’« il a été jugé que Fortis n'avait pas publié immédiatement des informations privilégiées relatives à l'évolution des EC Remedies et à l'évolution de sa solvabilité look through et de son plan de solvabilité et ce, sans que les conditions d'un report de publication aient été remplies. Il a également été jugé que Fortis avait, par l'intermédiaire de MM. Votron, Mittler et Verwilst, diffusé des informations erronées ou à tout le moins trompeuses sur l'évolution des EC Remedies et sur l'évolution de sa solvabilité look through et ce, à plusieurs reprises en mai et juin 2008. Ces infractions aux articles 10 et 25, § 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 2 août 2002 par Fortis SA/NV constituent dès lors autant d'infractions à l'article 5 de l'arrêté royal du 14 novembre 2007 dans son chef. Plus généralement, la commission des sanctions constate que la stratégie de communication de Fortis en mai et juin 2008 n'était pas du tout conforme à ce qu'on peut attendre d'un émetteur en termes d'information fidèle, précise et sincère. La stratégie de communication de Fortis se caractérisait en effet par la volonté de transmettre, de manière systématique, des informations rassurantes aux marchés alors que ces informations étaient contredites, de façon manifeste et de plus en plus importante, par celles-qui étaient disponibles en interne (et ce, malgré que le responsable du service juridique ait attiré à plusieurs reprises l'attention des dirigeants sur le fait que Fortis ne respectait pas ses obligations légales en matière d'information aux marchés) ». 99. Ces manquements étaient susceptibles d’être sanctionnés par une amende administrative qui, selon l’article 36, §2, de la Loi du 2 août 2002, ne pouvait être inférieure à 2.500 euros et supérieure, pour le même fait ou pour le même ensemble de faits, à 2.500.000 euros, ce maximum pouvant être porté au double de l’avantage patrimonial que l’infraction avait pu procurer au contrevenant. La Décision inflige une amende de 500.000 euros à Ageas et une amende de 400.000 euros à MM. Votron et Mittler, chacun. Par une décision distincte du même jour (procédure en néerlandais), une amende de 250.000 euros est infligée à M. Verwilst. 100. Devant la cour, la FSMA a renoncé à invoquer à l’encontre d’Ageas un manquement à l’article 10 de la Loi et à l’article 5 de l’arrêté royal du 14 novembre 2007 pour la non-diffusion d’informations privilégiées relatives à la vente des « EC Remedies ». Elle a également renoncé Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 41 n° à invoquer contre Ageas la violation de l’article 25 de la Loi, pour manipulation de cours et diffusion d’informations trompeuses à l’occasion de la communication de M. Votron lors du « Financieel Ontbijt » du 5 juin 2008. Elle admet, en effet, qu’Ageas a déjà été sanctionnée pour ces faits par l’autorité de régulation néerlandaise. Demeurent donc en litige à l’encontre d’Ageas, (i) le défaut éventuel de communication sur la dégradation de la solvabilité look through et (ii) les communications de MM. Votron et Mittler du 22 mai 2008, le communiqué de presse du 23 mai 2008 sur le placement des NITSH II, la déclaration de M. Votron du 5 juin 2008 et la déclaration de M. Verwilst le 12 juin 2008. 101. MM. Votron et Mittler doivent répondre de leurs communications respectives. Le recours de M. Verwilst fait l’objet d’une procédure distincte devant la cour. __________________________________________ IV. LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITE IV.1. L’exception d’irrecevabilité du recours formé par Ageas 102. La FSMA conteste la recevabilité du recours d’Ageas au motif que sa requête en annulation ne mentionne pas, contrairement à ce qu’exige l’article 120 § 3, 2° de la Loi, “l’organe qui (la) représente”. Selon cette disposition, la requête doit contenir à peine d’irrecevabilité : « si le requérant est une personne physique, ses nom, prénoms et domicile ; si le requérant est une personne morale, sa dénomination, sa forme, son siège social et l’organe qui le représente ». 103. Il n’est pas discuté que la requête ne porte pas la mention de l’organe qui représente Ageas et que cette mention a été apportée pour la première fois dans les conclusions prises par cette partie. La requête indiquait en revanche qu’Ageas est représentée par ses conseils. 104. A titre principal, Ageas fait valoir que la comparution des parties en justice est réglée par l’article 728, § 1er, du Code judiciaire qui prescrit que « les parties sont tenues de comparaitre Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 42 n° en personne ou par avocat » et qu’il découle de l’article 440 du même Code que l’existence d’un mandat dans le chef d’un avocat est présumée et que ce ne serait que dans l’hypothèse où une personne morale comparait personnellement et forme son recours sans l’assistance d’un avocat que l’indication prescrite par l’article 120, §3, 2° de la Loi se justifierait. A l’inverse, et ainsi que la cour l’avait déjà décidé dans une autre cause lorsque Ageas a introduit sa requête, la mention de l’organe qui représente la personne morale n’aurait pas de raison d’être lorsque la personne morale est représentée par un avocat. 105. L’article 728 du Code judiciaire – disposition relative à la comparution des parties et qui autorise un avocat à représenter en justice une personne morale – est étranger à la question des mentions dont la loi impose qu’elles figurent dans un acte de procédure, à peine d’irrecevabilité, c’est-à-dire aux conditions de recevabilité du recours. 106. C’est en vain qu’Ageas prétend que la seule obligation prescrite par l’article 120, § 3, 2°, de la Loi n’obligerait à identifier, dans la requête en annulation, l’organe de la société qui représente celle-ci en justice, que lorsque le requérant comparaît en personne. Le texte clair de l’article 120, §3, 2° s’exprime de manière générale, sans distinguer selon que le requérant comparait en personne ou non. Il ne peut dès lors être considéré que cette obligation prescrite par cette disposition n’a en l’espèce plus d’objet. Si loi ne prive pas une société sanctionnée par la FSMA du choix d’introduire et de diligenter un recours, soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’un avocat, elle lui impose expressément de mentionner dans la requête l’organe qui la représente pour former son recours. 107. Il est par ailleurs sans incidence que la FSMA ne puisse pas se prévaloir d’un préjudice dû à ce défaut de mention et que les objectifs de la loi aient été atteints ; le régime institué par la loi n’est pas celui des nullités. 108. Ageas invoque à titre subsidiaire l’intention du législateur, qui n’aurait pas été de prescrire cette mention à peine d’irrecevabilité. Cependant, il n’appartient pas au pouvoir judiciaire d’interpréter un texte clair. La référence aux travaux préparatoires n’est du reste pas pertinente. Il ne peut en effet être déduit de ce que ces travaux mettent en perspective l’article 120, § 3, 4°, de la Loi - qui impose que l’exposé des moyens du requérant soit mentionné à peine d’irrecevabilité dans la requête de recours, disposition qui n’est en l’occurrence pas concernée par le moyen - et l’article 1057, 7°, du Code judiciaire – qui prévoit que l’acte d’appel de droit commun contient, à peine de nullité, l’énonciation des griefs - que le choix de la sanction édictée par la loi constitue une erreur. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 43 n° 109. Ageas soutient encore que l’application de l’article 120, § 3, 2°, de la Loi serait discriminatoire en ce qu’elle traiterait différemment d’autres personnes morales qui veulent former un recours contre une décision prononcée par les juridictions de l’Ordre judiciaire ou par des autorités administratives et qui ne doivent pas mentionner l’organe qui les représente et elle demande de poser une question à la Cour constitutionnelle. Pour les motifs examinés dans la suite, il n’y a pas lieu de poser la question suggérée. 110. En effet, à titre plus subsidiaire, Ageas fait valoir à raison qu’il doit être constaté que l’article 120, §3, 2° de la Loi violerait l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la CEDH, s’il ne peut être admis que l’irrégularité de forme soit régularisée à un stade ultérieur de la procédure. S’agissant du respect de l’article 6 de la CEDH, la Cour européenne estime que « le droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » 27 . A de nombreuses reprises, la Cour européenne a sanctionné une application jugée trop rigoureuse des formalités à respecter pour introduire un recours en ce qu’elle violerait le droit d’accès à un tribunal. La Cour opère à cet égard un contrôle de proportionnalité entre ce droit d’accès et la limitation imposée par rapport aux exigences de sécurité juridique et de bonne administration de la justice car « le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir la substance de son litige tranchée par la juridiction compétente ». 111. 27 voir, parmi beaucoup d’autres CEDH, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil 1998, I. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 44 n° La cour considère qu’en l’espèce il serait disproportionné d’appliquer la sanction de l’irrecevabilité pour défaut de mention, dans la requête, de l’organe représentant Ageas, alors que l’identité de cet organe était connue de la FSMA, qu’elle est mentionnée dans les conclusions d’Ageas et que l’omission de cette mention dans la requête n’a pas compromis la sécurité juridique ou encore la bonne administration de la justice. En l’espèce, les principes supérieurs au droit interne rappelés ci-dessus requièrent que la sanction de l’irrecevabilité légalement prévue ne soit pas appliquée. IV. 2. Les exceptions d’irrecevabilité des poursuites invoquées par les requérants IV.2.1. L’application des garanties prévues par l’article 6 de la CEDH 112. Les requérants élèvent plusieurs griefs d’irrecevabilité des poursuites, dont certains sont tirés de la violation de l’article 6 de la CEDH, telle que les violations du principe d’impartialité, du délai raisonnable, de la présomption d’innocence, de l’égalité des armes et du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense. 113. La FSMA conteste l’application de l’article 6 de la CEDH aux sanctions litigieuses et considère que les principes généraux qui gouvernent l’action administrative sont seuls applicables « dans la mesure où ils se concilient avec la nature spécifique, et notamment avec la structure de l’administration active ». La commission des sanctions a décidé, sous le considérant 20 de la Décision, que « L’organe de la FSMA, qui peut imposer des sanctions administratives est expressément qualifié par la Cour d’appel de Bruxelles d’autorité administrative – et non de juridiction administrative (Bruxelles (18e ch), 1er févr. 2008, D.B.F., 2008, p. 167). L’article 6 CEDH n'est donc pas applicable en tant que tel à la présente procédure devant la commission des sanctions (Bruxelles, 13 décembre 2011, Site Web FSMA, p. 43). Cependant, cette procédure ne peut de toute façon pas mettre en péril le respect des garanties de l’article 6 CEDH par la juridiction de recours, à savoir la Cour d’appel de Bruxelles, de sorte que la commission des sanctions est, par effet de ricochet, elle-même tenue de respecter les garanties fondamentales du procès équitable ». 114. S’il est exact que la FSMA est une autorité administrative – et non une juridiction administrative - et qu’elle est tenue à ce titre de respecter les principes généraux qui gouvernent l’action administrative, elle doit également veiller, dans l’exercice de son pouvoir Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 45 n° de sanction, au respect des garanties prévues par l’article 6 de la CEDH afin d’éviter que les droits de la défense des intéressés ne soient irrémédiablement atteints et que le recours qui leur est ouvert devant la cour ne soit impuissant à réparer cette atteinte (voir n° 116). En effet, l’article 6 de la CEDH protège le justiciable lorsqu’il est visé par une accusation en matière pénale ou partie à une contestation sur ses droits et obligations de caractère civil et les sanctions administratives litigeuses doivent être considérées comme une accusation en matière pénale au sens de la CEDH. La Cour européenne enseigne que «pour que l’article 6 §1 s’applique au titre des mots « accusation en matière pénale », il suffit que l’infraction en cause soit, par nature, « pénale » au regard de la Convention, ou ait exposé l’intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la « matière pénale » » 28. Elle admet que sont des accusations en matière pénale soumises à l’article 6 de la CEDH, les poursuites administratives exercées par la Commission italienne nationale des sociétés et de la Bourse29, par le Conseil français des marchés financiers30, par la Commission des sanctions de l’Autorité française des marchés financiers 31, par la Commission bancaire française32 et encore par le Conseil français de la concurrence 33car les dispositions dont la violation est reprochée par ces autorités visent à préserver les intérêts généraux de la société, « normalement protégés par le droit pénal » et en raison du maximum qu’elle peut théoriquement atteindre, la sanction cherche, par son caractère dissuasif, à prévenir de tels agissements et à éviter la récidive et par son caractère punitif, à sanctionner une irrégularité (voir notamment les considérants 40 et suivants de l’arrêt Menarini Diagnostices /Italie, et 95 et suivants de l’arrêt Grande Stevens précités). 115. Or, en l’espèce, les dispositions dont la violation est reprochée aux requérants visent à garantir l’intégrité des marchés financiers et à maintenir la confiance du public dans la sécurité des transactions. La CBFA/FSMA intervient pour garantir la protection d’intérêts généraux qui, comme la Cour européenne en décide notamment dans l’arrêt Grande Stevens précité, sont normalement protégés par le droit pénal ; 28 Arrêt Grande Stevens/ Italie du 4 mars 2014, considérant 94 et les références citées; Menarini Diagnostices/Italie, du 27 septembre 2011 considérant 38. 29 Grande Stevens/ Italie, précité, 30 Affaire Didier c. France, 3 décembre 2002 31 Affaire Messier c. France, arrêt sur la recevabilité du 19 mai 2009 32 Affaire Dubus c. France, 11 septembre 2009 33 Affaire Lilly c. France, 3 décembre 2002 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 - 46 n° les amendes litigieuses ont été déterminées en fonction de la gravité de la conduite reprochée aux requérants et visent, d’une part, à prévenir en empêchant la récidive et, d’autre part, à punir en sanctionnant une irrégularité. Enfin, elles sont accompagnées d’une sanction de publication nominative de la décision, laquelle entraînera inévitablement, si elle est mise à exécution, une atteinte à l’honorabilité des requérants. Au surplus, l’Exposé des motifs de la loi du 2 août 2002 confirme que « le pouvoir de sanction de la CBFA (…) ne peut se justifier que s’il est soumis aux garanties fondamentales et à des règles de fonctionnement internes garantissant son impartialité, protégée notamment par la Convention européenne de sauvegarde… »34. 116. Cependant, selon la jurisprudence de la Cour européenne, la violation de l’une ou l’autre des exigences émises par l’article 6 de la CEDH n’emporte pas nécessairement la violation de cette disposition. Lors de l’affaire Grande Stevens, la Cour européenne a précisé que : « 138. Les constats qui précèdent, relatifs au manque d’impartialité objective de la CONSOB et à la non-conformité de la procédure devant elle avec les principes du procès équitable ne suffisent pourtant pas pour conclure à la violation de l’article 6 en l’espèce. À cet égard, la Cour observe que les sanctions dont les requérants se plaignent n’ont pas été infligées par un juge à l’issue d’une procédure judiciaire contradictoire, mais par une autorité administrative, la CONSOB. Si confier à de telles autorités la tâche de poursuivre et de réprimer les contraventions n’est pas incompatible avec la Convention, il faut souligner cependant que les requérants doivent pouvoir saisir de toute décision ainsi prise à leur encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6 (Kadubec c. Slovaquie, 2 septembre 1998, § 57, Recueil 1998-VI ; anády c. Slovaquie, no 53371/99, § 31, 16 novembre 2004 ; et Menarini Diagnostics S.r.l., précité, § 58). 139. Le respect de l’article 6 de la Convention n’exclut donc pas que dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative. Il suppose cependant que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas ellemême les conditions de l’article 6 subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction (Schmautzer, Umlauft, Gradinger, Pramstaller, Palaoro et Pfarrmeier c. Autriche, arrêts du 23 octobre 1995, respectivement §§ 34, 37, 42 et 39, 41 et 38, série A nos 328 A-C et 329 A C) ». 117. 34 Exposé des motifs, doc.parl. Chambre, 2001-2002, 50. 1842/01, p. 22. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 47 n° Selon la Cour européenne, un organe judiciaire est de pleine juridiction lorsqu’il a le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise; il doit avoir la compétence de se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige, d’annuler la décision de l’autorité administrative et d’apprécier la proportionnalité des sanctions infligées par rapport à la gravité du comportement reproché, par une décision contraignante 35. 118. La cour d’appel de Bruxelles répond à ces critères. Elle peut examiner tous les éléments versés aux débats, donner aux écrits produits de part et d’autre (procès-verbaux, mails, correspondance, communiqués de presse, etc…) sa propre interprétation, laquelle peut être différente de celles de l’Auditeur et de la Commission des sanctions, analyser le contexte factuel de la cause, répondre aux moyens des parties autrement que la commission des sanctions en substituant ses propres motifs à ceux de la commission des sanctions, annuler la Décision et y substituer la sienne et encore apprécier les sanctions au regard du principe de proportionnalité. Elle pourrait également ordonner la production de pièces ou l’audition de témoins36. La cour a déjà décidé en d’autres causes que « si l’article 121, § 1er, 4° de la loi du 2 août 2002 qui organise les recours contre toute décision infligeant une astreinte ou une amende administrative de la FSMA est muet sur l’étendue de la juridiction de la cour, il ressort de l’Exposé des motifs au projet de loi initial que le législateur a voulu instaurer un recours de pleine juridiction dans le sens le plus large afin d’adhérer à la jurisprudence de la Cour européenne . Ainsi que l’indique l’exposé des motifs précité la notion de pleine juridiction doit être comprise en ce sens que tous les aspects de fait et de droit du litige doivent être examinés et que le cas échéant, la cour peut substituer sa décision à celle de la FSMA. Dès lors, la cour estime, conformément à la volonté du législateur, que sa juridiction concerne le contrôle à effectuer sur tous les faits pertinents de la cause et des règles de droit qui doivent s’y appliquer, y compris l’application du principe de proportionnalité et que le cas échéant elle substituera sa décision à celle de la FSMA » 37. 119. 35 D.Renders, J. Jossart et G. Pijcke, op.cit., p. 234 et ss. avec les références citées ; CEDH, Menarini Diagnostics c. Italie déjà citée et les arrêts cités dans ces décisions. 36 Sur le pouvoir de pleine juridiction de la cour, voy. Not., Bruxelles, 29 novembre 2011 et 13 décembre 2011 produits par les parties. 37 Bruxelles, 1er février 2008, Droit bancaire et financier 2008, p. 167 ; 13 décembre 2011, considérant 45 et références citées et Bruxelles 29 novembre 2011, RG 2010/SF/2, produits par les parties. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 48 n° La Cour européenne précise que la notion de pleine juridiction veut que la juridiction de recours puisse, avant de juger à nouveau la cause en examinant les questions de fait et de droit (ou de la renvoyer devant le même organe ou un organe différent), examiner les griefs fondés sur une violation alléguée du droit à un procès équitable38. En effet, et cet aspect est essentiel pour la suite, il ressort des considérations qui précèdent que le respect de la CEDH s’apprécie « in globo » sur l’ensemble de la procédure, compte tenu du recours de pleine juridiction devant la cour susceptible de remédier aux déficiences de la procédure administrative au sein de la FSMA. La cour vérifiera donc si, comme l’allèguent les requérants, les garanties du procès équitable prévues par l’article 6 de la CEDH ont été méconnues par la FSMA et dans l’affirmative, si cette méconnaissance atteint leur droit au procès équitable de façon irrémédiable, nonobstant leur recours de pleine juridiction. Toutefois, préalablement, la cour examinera si Ageas peut invoquer la violation du principe « non bis in idem » et du principe de confiance légitime pour échapper aux poursuites. IV.2.2. L’exception d’irrecevabilité des poursuites invoquée par Ageas fondée sur le principe non bis in idem 120. Selon la Décision, « Fortis a commis de plusieurs manquements à l’article 10, § 1er, alinéa 1er, et à l'article 25,§ 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 2 août 2002 à l'occasion de sa communication externe relative à l'évolution du dossier des EC Remedies et au déroulement de la mise en œuvre de son plan de solvabilité et à ses prévisions en matière de solvabilité look through. Ces manquements aux articles 10, § 1er, al. 1, et 25, § 1er, alinéa 1er, 4°, de la loi du 2 août 2002 doivent également être considérés comme des manquements à l'article 5 de l'arrêté royal du 14 novembre 2007 ». En premier lieu, Fortis a commis, en mai 2008, un manquement à l'article 10 de la Loi en ne publiant pas immédiatement des informations privilégiées concernant (a) l'évolution négative des « EC Remedies » en terme d'incidence sur la solvabilité et (b) la diminution significative de sa solvabilité look through et la nécessité de mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial. En effet, selon la commission des sanctions : 38 CEDH, Kingsley c. Royaume Uni, 7 novembre 2000, § 58 ; voir aussi Bruxelles, 19 janvier 2006, R.P.S., 2006, p. et les références doctrinales citées sous le numéro 30 de cet arrêt). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 49 n° - « l'information relative à l'évolution négative des EC Remedies en termes d'incidence sur la solvabilité (1) n'était pas publique (2) revêtait un caractère précis dès le 19 mai 2008 (3) concernait directement Fortis et (4) était susceptible, si elle était rendue publique, d’influencer le cours des instruments financiers concernés de façon sensible. Elle revêtait donc un caractère privilégié dès le 19 mai 2008 et aurait dès lors dû faire l'objet d'une publication immédiate » (n° 163 de la Décision) ; - « l'information disponible en interne le 19 mai, selon laquelle la diminution significative des estimations de solvabilité look through de Fortis (dans le scénario base case) était de nature à requérir la mise en œuvre de mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial (1) n'était pas publique (2) revêtait un caractère précis (3)concernait directement Fortis et (4) était susceptible, si elle était rendue publique, d’influencer le cours des instruments financiers concernés de façon sensible. Elle revêtait donc un caractère privilégié dès le 19 mai 2008 et aurait dès lors dû faire l'objet d'une publication immédiate . Or, Fortis s’est abstenue délibérément de procéder à la publication immédiate de cette information. Elle n'a fait état de la révision à la baisse des estimations de solvabilité et de l'accélération de son plan de solvabilité que dans son communiqué de presse du 26 juin 2008 » (n° 175 de la Décision). En second lieu, la commission des sanctions décide que Fortis et ses porte-parole ont enfreint l’article 25, §1er, 4° de la Loi lors des communications suivantes : - le 22 mai 2008, « tant Fortis que ses porte-parole ont diffusé des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'action Fortis, alors qu'ils savaient ou auraient dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses » (n° 188 de la Décision) ; - par le communiqué du 23 mai, Fortis a diffusé des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'action Fortis, alors qu'elle savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses (n° 200 de la Décision) ; - le 5 juin, « tant Fortis que son porte-parole, M. Votron, ont diffusé des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'action Fortis, alors qu'ils savaient ou auraient dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses» (n° 214 de la Décision) ; - le 12 juin, Fortis a, par l'intermédiaire de son porte-parole, M. Verwilst, « diffusé des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'action Fortis alors qu'elle savait ou aurait dû savoir que ces informations étaient fausses ou trompeuses » (n° 231 de la Décision). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 50 n° Enfin, la commission des sanctions estime que Fortis a violé, à plusieurs reprises aux mois de mai et juin 2008, l’article 5 de l’arrêté royal du 14 novembre 2007, en ne communiquant pas loyalement sur l'évolution de sa solvabilité look through et sur le dossier des EC Remedies (n° 214 de la Décision). 121. Ageas demande que les poursuites de la FSMA à son encontre soient déclarées irrecevables en vertu du principe non bis in idem. Selon elle, elle a déjà été condamnée pour ces faits par l’autorité néerlandaise des marchés financiers. En effet, en juillet 2008, l’AFM a ouvert une enquête administrative sur d’éventuelles infractions commises par Fortis à la Wet Financieel Toezicht (ci-après : « Wft ») à l’occasion des communications faites entre janvier 2008 et fin juin 2008 à propos de sa solvabilité. L’AFM a établi un pré-rapport le 16 juillet 2009 et un rapport final le 4 novembre 2009. Par une décision du 5 février 2010, confirmée le 23 juillet 201039, l’AFM a condamné Ageas pour la violation de : - L’article 5 :58, al. 1er, d) de la « Wft » pour avoir divulgué, le 5 juin 2008 lors du Financieel Ontbijt, des informations fausses ou trompeuses - L’article 5 :59, al 1er de la « Wft » pour avoir manqué à son obligation de communiquer dès le 14 juin 2008 une information privilégiée Le recours introduit par Ageas a été déclaré non fondé par le Tribunal de Rotterdam (décision du 4 mai 2011) et par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (décision du 4 mars 2014). Lorsque la commission des sanctions a statué, la condamnation de Fortis n’était pas encore définitive. Ageas a été condamnée à payer une amende de 576.000 EUR. 122. Le principe général de droit non bis in idem est consacré par l’article 4 du Protocole n° 7 de la C.E.D.H., l’article 14, § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 4 du 7ème protocole additionnel à la C.E.D.H, l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union et enfin, les articles 54 à 58 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen. Lorsque des poursuites ont été engagées dans des Etats différents de l’Espace Schengen ou de l’Union européenne, l’article 54 de l’Accord de Schengen prévoit que : « une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être 39 Décision de l'AFM du 5 février 2010, pièce 19 d’Ageas. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 51 n° poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation » et à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Il n’est pas contesté que ce principe s’applique aux sanctions administratives à caractère pénal. 123. Les poursuites sont irrecevables lorsqu’il y a identité de la personne poursuivie et identité de faits matériels et une décision définitive de condamnation ou d’acquittement. Les parties ne s’accordent pas sur la condition relative à l’identité des faits, à laquelle elles donnent un contenu différent. 124. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union, l’identité de faits matériels doit être comprise comme « l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé »40. Les instances nationales compétentes doivent déterminer si « les faits matériels en question constituent un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l'espace ainsi que par leur objet»41 . L’identité ne doit pas être complète et il appartient à la juridiction nationale d’apprécier « si le degré d’identité et de connexité entre toutes les circonstances factuelles à comparer est tel qu’il est possible, au vu du critère pertinent susmentionné, de constater qu’il s’agit des « mêmes faits » au sens de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen »42. Il n’est notamment pas requis que les dates ou certains détails des infractions soient en tous points identiques, pour autant qu’un lien objectif unisse les faits matériels et non seulement une unité d’intention (lien subjectif) 43. Les lieux peuvent également différer, la Cour de justice s’étant à plusieurs reprises prononcée dans ce sens44. 125. 40 C.J.C.E., 9 mars 2006, Van Esbroeck, C-436-04, § 42; C.J.C.E., 28 septembre 2006, Van Straeten, C150-05, §53. Cet arrêt précise que “S'agissant des délits relatifs aux stupéfiants, il n'est pas exigé que les quantités de drogue en cause dans les deux États contractants concernés ou les personnes ayant prétendument participé aux faits dans les deux États soient identiques. » §49 41 C.J.C.E., 9 mars 2006, Van Esbroeck, C-436-04, § 38 42 C.J.C.E., Kraaijenbrink, 18 juillet 2007,§36 43 C.J.C.E., Kraaijenbrink, 18 juillet 2007, §29 44 Voir notamment C.J.C.E., Kraaijenbrink, 18 juillet 2007 précité : un recel d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants a lieu aux Pays-Bas et ce même argent fait l’objet d’un blanchiment en Belgique. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 52 n° La Cour européenne des droits de l’Homme adopte la même approche factuelle que la Cour de justice de l’Union en décidant que le principe non bis in idem « doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »45. Dans un arrêt du 4 mars 2014, la Cour européenne invite à examiner si les faits se réfèrent à « une seule et même conduite »46. Pour vérifier s’il s’agit de faits « identiques ou qui sont en substance les mêmes », la Cour européenne indique que constitue un utile point de départ l’ « exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé »47 ; l’examen doit porter « sur les faits décrits dans ces exposés, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 84) »48 (passage mis en exergue par la cour). Cependant, ainsi que le souligne à juste titre la FSMA, tous les faits matériels mentionnés dans l’exposé des faits ne font pas tous nécessairement l’objet des poursuites, ni dès lors d’une condamnation ou d’un acquittement. La Cour ajoute cependant que « peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l’article 4 du Protocole no 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83). »49 126. Par un arrêt du 19 décembre 201350, la Cour constitutionnelle se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne en rappelant que « le principe non bis in idem interdit « de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde "infraction" pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » Cour Eur. D.H. (grande chambre), 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, paragraphe 82), sans avoir égard à la qualification juridique des faits51. CEDH, 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine / Russie, § 82 CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c. Italie, §§ 224 et 227 47 CEDH, 30 avril 2015, Kapetanios et autres/Grèce, 3 requêtes, §63. 48 Idem, § 64 49 CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c. Italie, §220 50 Cour const., 30 déc.2013, www.courconstitutionnelle.be. ; voir également Cour constitutionnelle, arrêt du 3 avril 2014, n° 5626, considérant B. 15.1 51 F. Kefer, note sous Cour const., 30 déc.2013, op.cit. 45 46 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 53 n° 127. Enfin, selon la jurisprudence récente de la Cour de cassation : « par faits identiques ou substantiellement les mêmes, il est entendu un ensemble de circonstances de fait concrètes concernant un même suspect et qui sont indissociablement liées entre elles dans le temps et dans l’espace »52. 128. Il est vrai que, nonobstant les principes énoncés ci-dessus, l’article 73 de la Loi autorise de nouvelles poursuites pénales après des poursuites et une condamnation administratives en disposant que : « Les amendes administratives imposées par la commission des sanctions devenues définitives et les règlements transactionnels intervenus avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, s'imputent sur le montant de toute amende pénale qui serait prononcée pour ces faits à l'égard de la même personne ». Cependant, cette disposition est étrangère aux doubles poursuites et condamnations administratives pour lesquelles le principe « non bis in idem » doit donc recevoir une entière application. 129. La FSMA l’admet pour deux faits sur lesquels porte la procédure actuelle au motif qu’ils peuvent être considérés comme « identiques ou indissociablement liés » aux faits pour lesquels Fortis a été condamnée aux Pays-Bas. Il s’agit de : la non-publication immédiate d’une information privilégiée concernant les négociations exclusives avec un candidat acquéreur dans le cadre de la vente des « EC Remedies », fait dont la FSMA reconnait qu’il est indissociablement lié au fait pour lequel Fortis a déjà été condamnée au Pays-Bas (infraction à l’article 5 :58, al.1er, de la « Wft ») ; - la manipulation de cours et la diffusion d’informations fausses et trompeuses par Fortis concernant l’état de sa solvabilité look through et les mesures à prendre pour la restaurer lors du Financieel Ontbijt du 5 juin 2008, fait dont la FSMA admet qu’il Cass., 20 mai 2014, P.13.0026.N, www.juridat.be. Contra : son arrêt du 25 mai 2011 par lequel la Cour de cassation décide que « La règle consacrée par l’article 14.7 (du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) précité tend à éviter que deux sanctions de même nature puissent être infligées à une même personne pour s’être rendue coupable d’un même comportement. Le principe général du droit non bis in idem n’est pas violé lorsque les faits constitutifs des deux infractions ne sont pas, en substance, les mêmes. Il en est ainsi lorsque, comme en l’espèce, l’élément moral incriminé diffère d’un délit à l’autre » P.11.0199.F/1, www.jurdat.be. 52 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 54 n° est identique à celui pour lequel Fortis a été condamné aux Pays-Bas (infraction à l’article 5 :59, al.1er de la « Wft »). 130. Ageas estime qu’elle doit également bénéficier du principe non bis in idem pour les communications des 22 mai, 23 mai et 12 juin 2008, au motif qu’elles portent sur un message identique, sur les mêmes sujets et relèvent d’une seule et même conduite. La FSMA le conteste et considère que ces communications constituent différentes manifestations d’un même comportement adopté à un certain nombre d’occasions distinctes (ce qui, selon la jurisprudence Zolotoukhine, permettrait d’exclure l’application du principe non bis in idem). 131. Ageas se méprend lorsqu’elle soutient qu’il convient de se référer aux faits pour lesquels Fortis a déjà été poursuivi aux Pays-Bas et particulièrement à la portée de l’enquête réalisée par l’AFM53. L’application du principe non bis in idem suppose en effet que Fortis/Ageas ait déjà été condamné ou acquitté pour les mêmes faits. Il y a dès lors lieu de se référer à la Décision du 5 février 2010 (dans la mesure où elle n’a pas été réformée par les décisions ultérieures). A. Quant aux communications des 22 mai, 23 mai et 12 juin 2008 132. La Décision du 5 février 2010 retient une infraction à l’article 5 :58, al.1, d) de la Wft en raison de la diffusion d’informations trompeuses par Fortis, par la voix de M. Votron, lors du Financiele Ontbijt du 5 juin 2008. Cette condamnation se fonde sur les propos de M. Votron qui : a déclaré que la solvabilité de Fortis était « op plan » et forte alors qu’en interne, les facteurs ayant un impact négatif sur l’évolution de la solvabilité de Fortis – notamment les « EC Remedies » – étaient déjà connus avant l’intervention de M. Votron, à savoir début mai 2008, et qu’un « solvabiliteitsnoodplan » était même en préparation ; - 53 a répété ce qui avait déjà été communiqué auparavant par Fortis au sujet des mesures destinées à atteindre les objectifs de solvabilité fin 2009, à savoir notamment le développement d’instruments financiers non dilutifs et la vente d’actifs non stratégiques, alors qu’en interne, il est déjà discuté depuis le 27 mai 2008 de l’émission de nouvelles actions au 2ème quadrimestre 2008 et que la possibilité de Voir notamment ses dernières conclusions, p.94, n°174. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 55 n° ne payer aucun dividende était également examinée ; - a déclaré que les instruments de capital non dilutifs NITSH I et II, développés en février et mai 2008 pour renforcer la solvabilité de Fortis, se déroulaient bien alors qu’il résulte de pièces internes que le résultat obtenu pour les NITSH II (de 625 millions) décevait, puisque l’on en attendait 1 milliard54. L’AFM a jugé que la communication de M. Votron le 5 juin 2008 était en contradiction flagrante avec les informations qui circulaient en interne. 133. Il convient d’examiner si les faits poursuivis et réprimés par la commission des sanctions sont identiques ou indissociablement liés à la communication du 5 juin 2008. 134. Lors de sa communication durant l’Investor Day du 22 mai 2008, M. Votron a déclaré : « (…) en ce qui concerne la solvabilité, nos capitaux propres continuent d’être supérieurs aux objectifs et nous sommes sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs [en terme] de capital pour 2009. D’un point de vue prospectif, j’aimerais souligner le succès de nos divers nouveaux instruments de financement" (pièce 12.6 de la FSMA). M. Mittler a, pour sa part, exposé au sujet de la solvabilité « look through » que : - la solvabilité est « conforme aux prévisions» ; - Fortis conserve de « solides ratios de capital pro-forma look-through » ; - Fortis « reste sur la bonne voie pour atteindre [ses] objectifs de solvabilité lookthrough à fin 2009 (…) et va continuer de renforcer [son] mélange de capital et de solvabilité par la mise en œuvre du plan restant, à savoir générer et retenir des bénéfices importants, des ventes sélectives d’actifs ou la mise en place de jointventures, la levée d’instruments de capitaux non dilutifs, l’exécution de transactions réduisant les besoins en capital et une croissance contrôlée du capital réglementaire » en conclusion, la solvabilité de Fortis « reste forte grâce à l’exécution réussie de notre plan de gestion de capital initial » (idem). - Le communiqué de presse publié le 23 mai 2008 par Fortis annonce, au sujet du résultat des NITSH II (625 millions), que « Fortis est particulièrement satisfait de ce résultat. Nous avons 54 Cf tableau p.17 et 18 de la décision du 5 février 2010 qui compare les déclarations de M. Votron aux informations circulant en interne. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 56 n° atteint l’objectif que nous nous étions fixé, de sorte que l’opération va nous permettre de consolider la solvabilité de Fortis » et « Après le succès du placement de NITSH I pour un montant d’USD 750 millions – essentiellement en Asie – cette nouvelle transaction témoigne de la capacité de Fortis à exploiter les opportunités qui se présentent sur le marché afin de renforcer encore ses coefficients de solvabilité, conformément à sa politique de solvabilité ». Il est reproché à Fortis de s’être félicité du résultat du placement des NITSH II (de 625 millions d’euros). 135. Les communications du 22 mai 2008 ont un contenu identique à celle diffusée le 5 juin 2008. En effet, il est déclaré le 5 juin que la solvabilité est « op plan » et forte et le 22 mai que « la solvabilité reste forte », que Fortis est « sur la bonne voie » pour atteindre ses objectifs ou que la solvabilité est « conforme aux prévisions ». En ce qui concerne les mesures pour atteindre les objectifs de solvabilité fin 2009, la communication du 5 juin évoque le développement d’instruments financiers non dilutifs et la vente d’actifs non stratégiques, soit les mêmes mesures que celles présentées le 22 mai 2008 comme faisant partie du plan restant à mettre en œuvre. C’est encore le même message qui est diffusé les 22 mai et 5 juin pour l’exécution satisfaisante des NITSH II. 136. Par ailleurs, il y a identité de fait entre les communications du 22 mai et du 5 juin 2008 et celle du 23 mai. Cette identité des faits est confirmée par la lecture des faits décrits par l’AFM - dans le corps de la décision, mais aussi dans l’exposé des faits figurant à l’annexe 2 de la Décision et à laquelle celle-ci se reporte –, la Décision du 5 février 2010 se référant à plusieurs reprises au contenu des communications des 22 et 23 mai. 137. Si la Décision ne se prononce pas formellement sur les communications des 22 et 23 mai 2008, elle considère qu’il est essentiel d’avoir égard à ce que Fortis a déclaré auparavant pour apprécier l’existence d’un manquement : « Le fait que, pendant la période précédant la présentation de M. Votron, Fortis a quasiment répété la même chose concernant sa position de solvabilité et l’exécution du plan de solvabilité, a, selon l’AFM, aggravé le caractère trompeur des déclarations de M. Votron dans sa présentation du 5 juin 2008. Les propos de M. Votron constituaient une confirmation des déclarations plus anciennes de Fortis, ce qui implique que les investisseurs pouvaient en toute confiance croire que M. Votron donnait une juste présentation des choses»55. Elle indique encore : « En effet, l’AFM a fondé la violation 55 Voir p.18 de la décision du 5 février 2010, traduction d’Ageas p.97, n°182 de ses dernières conclusions. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 57 n° de l’article 5 :58, al. 1, Wft sur la conférence de M. Votron et non sur une quelconque autre déclaration de Fortis. Dans ses conclusions, l’AFM a établi que Fortis faisait systématiquement des déclarations desquelles ressortait un signal faux ou trompeur ou desquelles il était à craindre qu’un tel signal découle et que l’allocution de M. Votron le 5 juin 2008 en constituait l’apogée. […] Le point de départ de la constatation de la violation de l’article 5 :58, al. 1, d Wft est l’allocution de M. Votron le 5 juin 2008. Cependant, la conférence est indissociablement liée aux informations précédemment données par Fortis. […]. L’AFM doit, par conséquent, tenir compte dans son jugement de ces informations écrites concernant les déclarations de M. Votron. Il s’ensuit que, compte tenu du fait que Fortis a, pendant la période précédant la présentation de M. Votron, répété pratiquement la même chose concernant la position de solvabilité, ces précédentes informations ont sensiblement aggravé le caractère trompeur des déclarations de M. Votron lors de la présentation du 5 juin 2008 »56 (passages soulignés par la cour). 138. Le fait que les communications aient eu lieu à des moments et à des endroits différents n’est pas pertinent, l’identité de temps et de lieu n’étant pas requise. 139. Par ailleurs, si les communications ont été portées par des personnes différentes, les infractions sont en l’occurrence reprochées à une seule personne morale. 140. La FSMA objecte encore que le public devant lequel les trois communications ont été faites n’était pas le même. Cependant, celle du 22 mai a donné lieu à la rédaction de plusieurs rapports d’analystes – rendus publics (pièce 2.119.1 à 8 de la FSMA) – et la FSMA souligne elle-même que « le message transmis par Fortis et bien perçu par les analystes est une confirmation des objectifs de solvabilité au terme de l'intégration d'ABN Amro, en Bâle I, grâce aux mesures non dilutives du premier plan de solvabilité déjà annoncées » (p. 50, n° 70, de ses conclusions). Le message diffusé le 23 mai 2008 l’a été par voie d’un communiqué de presse et d’importantes sources de média ont repris en masse la communication du 5 juin 2008, selon les termes utilisés par l’AFM57. Toutes les communications étaient de nature à toucher un large public d’investisseurs. 141. 56 57 Traduction libre par Ageas de la Décision de l’AFM du 5 février 2010, p. 22. Décision du 5 février 2010, p.18/61. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 58 n° Les communications des 22 et 23 mai 2008 étant indissociablement liées à celle du 5 juin 2008, pour laquelle Ageas a été condamnée par l’autorité de régulation néerlandaise, en ce qu’elles constituent avec elle la même conduite, ne peuvent faire l’objet de nouvelles poursuites par la FSMA. 142. Par contre, cette conclusion ne vaut pas pour la communication du 12 juin 2008 chez Goldman Sachs (à Berlin). Ainsi que l’admet Ageas, la conférence du 12 juin 2008 n’est pas mentionnée la Décision de l’AFM (ni dans le rapport du 4 novembre 2009, même si cette référence n’aurait pas été pertinente) et le caractère, certes similaire, de la communication du 12 juin 2008 ne suffit pas pour considérer qu’il s’agit de la même conduite ou de faits indissociablement liés dans le temps et dans l’espace à ceux qui ont été condamnés par l’AFM. B. Absence de publication relative à l’évolution de la solvabilité look through 143. La Décision de l’autorité de contrôle hollandaise du 5 février 2010 retient à charge de Fortis une infraction à l’article 5 :59, al.1er ancien de la Wft pour avoir négligé de communiquer au public une information sensible dès le 14 juin 2008, date à laquelle Fortis ne pouvait plus invoquer la possibilité de reporter de cette communication et était tenue de diffuser sans délai un communiqué de presse par lequel le marché aurait été informé complètement et correctement. Cette information sensible résidait, selon cette Décision, dans la décision de Fortis d’entamer le 21 mai 2008 des négociations exclusives avec la Deutsche Bank pour la vente des « EC Remedies » et dans les répercussions négatives - connues de Fortis - des conditions imposées par la Deutsche Bank sur la solvabilité de Fortis. La Décision relève en particulier que pour un investisseur ordinaire, il était acquis que le processus d’intégration de ABN Amro dépendait de la réussite de la vente des « EC Remedies ». Par conséquent, dès l’instant où Fortis savait que cette vente nécessitait des mesures complémentaires pour garantir sa solvabilité et le développement de son solvabiliteitsnoodplan (plan de solvabilité de secours), l’information devait être communiquée au public. 144. La Décision de la FSMA retient également une infraction à charge de Fortis pour ne pas avoir communiqué cette information dès le 19 mai 2008. Cependant, pour cette infraction, la FSMA ne s’oppose pas à l’application du principe non bis in idem. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 59 n° 145. En revanche, la FSMA maintient que le manquement, dans le chef de Fortis, résultant de la non diffusion, le 19 mai 2008, de l’information - relative à l’évolution de la solvabilité « look through » et à la nécessité de prendre des mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial - n’a pas fait l’objet d’une condamnation aux Pays-Bas. 146. La cour relève que, selon les deux décisions des régulateurs, l’évolution négative du dossier « EC Remedies » a eu un impact défavorable sur les prévisions de solvabilité « look through » de Fortis. L’AFM relève que, dans la mesure où Fortis avait précédemment fait publiquement état de l’impact positif des «EC Remedies » (notamment le 13 mai 2008), le groupe devait rectifier cette information auprès du public (cf. p.42 de la décision de l’AFM). Elle souligne à plusieurs reprises que l’acceptation de l’offre de la Deutsche Bank – qui s’avérait de plus en plus inévitable - nécessitait le développement d’un « solvabiliteitsnoodplan ». 147. La CBFA a choisi de poursuivre deux manquements distincts à l’article 10 de la Loi, bien que la non-communication de l’information relative à la solvabilité « look through » était indissociablement liée à celle relative aux « EC Remedies ». La commission des sanctions indique en effet à cet égard que : « Dans le mémorandum adressé par le département M&A de Fortis à M.Mittler à propos du dossier des EC Remedies le 16 mai 2008, l'incidence négative, en termes de solvabilité, des conditions négociées avec Deutsche Bank était estimé à +/- 0,8 Mia EUR, ce qui correspondait à une dégradation d’1,2 Mia EUR par rapport aux estimations initiales » (...) (n° 167 de la Décison) ; - « Pendant la réunion de l’ERCC du 19 mai 2008, de nouvelles estimations de solvabilité look through à fin 2008 avaient été communiquées et commentées par M. Mittler. Elles tenaient compte de l'évolution négative des EC Remedies (voir les points 154 à 157 ci-dessus). Le résultat de ces estimations était que le déficit à l’issue de l’intégration de ABN AMRO fin 2009 serait de - 1,5 Mia EUR à - 1,8 Mia EUR après réalisation des mesures prévues initialement dans le plan de solvabilité (…) le document actualisé présenté au cours de la réunion de l'ERCC du 19 mai ne laissait subsister aucun doute quant à la nécessité de mesures complémentaires pour atteindre les objectifs de solvabilité, et ce, même dans l'hypothèse base case » (n° 168 de la Décison) ; Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 - 60 n° « (…) à compter du 19 mai 2008, le management de Fortis savait que non seulement il existait une réelle perspective, mais même qu’il était hautement probable que Fortis devrait mettre en œuvre des mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial, afin de couvrir le déficit de solvabilité (-1,5 à 1,8 Mia EUR) qui avait pu être calculé dans un scénario de base case et ce, en tenant notamment compte de l'incidence négative des EC Remedies (l'information sur les EC Remedies étant également hautement probable - voir point 160 ci-dessus) » (n° 176 de la Décision). 148. Est dépourvu d’intérêt au regard du principe non bis in idem le fait que la communication litigieuse aurait dû intervenir, selon l’AFM, à partir du 14 juin 2008 alors que la Décision entreprise en fixe le moment au 19 mai 2008. Cette différence de dates résulte du fait qu’en droit néerlandais, Fortis était autorisée à reporter l’information jusqu’au 14 juin 2008 (jour de la publication d’un article dans le journal De Telegraaf). Il suffit de constater que, selon les deux décisions, Fortis disposait d’une information sensible à partir du moment où il choisissait d’engager des négociations exclusives avec la Deutsche Bank. Elles se distinguent légèrement en ce que la CBFA retient le 19 mai 2008 – comme point de départ des négociations exclusives (qui avaient été précédées de négociations informelles) avec la Deutsche Bank – tandis que l’AFM retient le 21 mai 2008, mais cette différence ne modifie pas le constat de la cour selon lequel ces faits sont indissociablement liés. 149. Les poursuites sont donc également irrecevables pour la non-diffusion par Fortis, le 19 mai 2008, de l’information relative à l’évolution de sa solvabilité « look through » et à la nécessité de prendre des mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial. 150. La Décision doit être annulée en tant qu’elle rejette le principe non bis idem pour les poursuites diligentées contre d’Ageas (i) du chef de la violation de l’article 10 de la Loi pour défaut de communication d’une information relative à l’évolution de la solvabilité « look through » et à la nécessité de prendre des mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial devenue privilégiée le 19 mai 2008 et (ii) du chef de l’article 25, §1er, 4°, de la Loi, pour fausseté ou caractère trompeur des communications des 22 et 23 mai 2008. La cour prend acte de l’abandon volontaire des poursuites de la FSMA pour défaut de communication d’une information privilégiée relative aux « EC Remedies » devenue Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 61 n° privilégiée le 19 mai 2008 et pour communication d’informations fausses ou trompeuses le 5 juin 2008. Les poursuites ne demeurent donc recevables à l’encontre d’Ageas que pour la communication du 12 juin 2008, que la commission des sanctions a condamnée pour violation de l’article 25 susdit et de l’article 5 de l’arrêté royal précité du 14 novembre 2007. IV.2.3. L’exception d’irrecevabilité des poursuites invoquée par Ageas fondée sur la violation du principe de légitime confiance et les approbations de la CBFA sur les communications d’Ageas 151. Ageas soutient que les poursuites seraient irrecevables parce que la CBFA aurait, tantôt implicitement, tantôt explicitement, marqué son accord sur la politique de communication de Fortis. Ageas allègue que : - par le biais de son service de contrôle prudentiel, le département de la CBFA chargé du contrôle des émetteurs d’instruments financiers disposait de toutes les informations relatives à l’évolution de la solvabilité look through de Fortis et n’en a pas requis la publication (…) Dans la mesure où elle n’a pas requis cette publication, il s’en déduit que la CBFA n’estimait pas que Fortis aurait détenu des informations privilégiées et que la CBFA a ainsi confirmé la légalité de la politique de communication du groupe ; - la CBFA a approuvé sans réserve le communiqué de presse relatif à l’émission des NITSH II ; - la CBFA a indiqué à Fortis qu’il ne devait pas communiquer davantage sur sa solvabilité look through et sur son Plan de solvabilité, après avoir pris connaissance du rapport de Merrill Lynch du 10 juin 2008 dégradant sa recommandation concernant l’action Fortis ; - le 20 juin 2008, conformément à l’usage, Fortis a averti la CBFA des mesures précises discutées au cours du conseil d’administration du 18 juin 2008 et lui a annoncé son intention de différer la publication de ces informations au marché. La CBFA ne s’est pas opposée à ce que cette publication soit différée du 18 au 26 juin 2008 (pièce 66.1.4. de la FSMA) ; - le 26 juin 2008, la CBFA a confirmé la régularité de la communication de Fortis après les faits litigieux par la voix de son président mais aussi dans son rapport annuel 2008-2009. M. Servais a déclaré que l’information a été communiquée par Fortis « à temps et à heure ». Contrairement à ce que soutient la Décision Attaquée, cette position explicite validerait la communication de Fortis. 152. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 62 n° M. Votron invoque pour sa part l’erreur invincible afin que les violations qui seraient constatées par la cour ne lui soient pas imputées. Il soutient également que la CBFA était parfaitement informée de la situation et qu’elle a approuvé implicitement voire explicitement les communications d’Ageas, y compris celles de M. Votron. 153. Il est exact qu’au cours de l’enquête parlementaire, le président de la CBFA a déclaré que : «1171. Dès le départ de l’opération (d’acquisition d’ABN Amro), la CBFA a mis en place un suivi rapproché de la solvabilité du groupe et de ses principales entités opérationnelles sur la base d’un reporting mensuel demandé au groupe. Il est à noter que la DNB a systématiquement été associée à ces travaux. Les exigences de la CBFA ont par ailleurs visé l’approche la plus conservatrice/prudente en matière de calcul des exigences en fonds propres. Les projections de solvabilité présentées par Fortis ont fait l’objet d’une analyse critique par la CBFA et, compte tenu de l’impact des évolutions du marché, les services ont estimé qu’il subsistait un risque que les objectifs de solvabilité ne soient pas atteints après intégration des activités d’ABN Amro étalées jusque fin 2009. Tout au long de l’année 2008, la CBFA a demandé de revoir ces projections de solvabilité présentées et de lui soumettre les mesures permettant, le cas échéant, de renforcer la solvabilité dans l’optique des objectifs fixés ». On lit encore dans le rapport des experts nommés par la commission parlementaire que : « 1177. Etant donné l’impact au niveau du pôle bancaire du groupe Fortis (Belgique et PaysBas), la solvabilité, la liquidité, le processus de séparation d’ABN Amro et l’intégration dans Fortis des activités acquises ont constitué des points d’attention communs de DNB et de la CBFA » et : Comme pour toutes les banques systémiques belges, à partir de septembre 2007, la CBFA et la BNB ont reçu les rapports de liquidité et de solvabilité à la même fréquence que le senior management de Fortis (y compris Messieurs Jean-Paul Votron, Lars Machenil, Gilbert Mittler et Herman Verwilst) et celles-ci ont été discutées au cours de « conference calls » réguliers. Entre juin 2007 et juin 2008, suite aux demandes de la CBFA, des « reportings » de stress test structurels ont été transmis. Ces stress tests ont été élaborés sur la base de trois scénarios différents ». Enfin, le rapport annuel 2008-2009 de la CBFA confirme que, pendant la période de crise, la CBFA « s’est assurée que l’information diffusée par les établissements de crédit belges via leurs états financiers soit équivalente aux standards du marché européen » et que « grâce à son « suivi rapproché », elle était parfaitement informée de la solvabilité du groupe, des difficultés Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 63 n° qu’il rencontrait pour maintenir ses objectifs de solvabilité et des prévisions de solvabilité ». La CBFA souligne les avantages de son statut de contrôleur « intégré » qui lui permet « de tenir compte de manière continue et adéquate des exigences en matière d’information publique » et de veiller « à une interaction étroite entre l’exercice de sa mission de contrôle prudentiel et de sa mission de contrôle de l’information » (rapport de la CBFA, 2008-2009,p. 39, www.fsma.be, et pièce 15 Ageas). Sous le titre « Solvabilité », ce rapport annuel mentionne qu’ « un suivi rapproché de la solvabilité du groupe et de ses principales entités opérationnelles a été mis en place sur base d’un reporting mensuel demandé au groupe, en complément du reporting prudentiel trimestriel. (…) divers éléments ont eu des répercussions sur la solvabilité de Fortis, parmi lesquels les réductions de valeur successives sur le portefeuille de crédits structurés, les pertes attendues par suite de l’application des exigences de la commission européenne portant sur la cession de certaines activités aux Pays-Bas ainsi que la perte de valeur du portefeuille actions tant au niveau du pôle bancaire que de l’assurance. A ces éléments se sont ajoutées une baisse de la rentabilité des activités touchées par le crise mondiale et les difficultés rencontrées pour réaliser certaines opérations permettant d’améliorer la solvabilité (émissions d’instruments hybrides en capital, titrisations, ventes d’actifs). Les projections de solvabilité présentées par Fortis ont fait l’objet d’une analyse critique et, compte tenu de l’impact négatif des évolutions de marché, il est progressivement apparu qu’il se créait un risque croissant que les objectifs du groupe, en termes de solvabilité, ne soient pas atteints après intégration des activités d’ABN Amro. La CBFA a dès lors demandé58 au groupe de lui présenter des mesures permettant de renforcer sa solvabilité de manière à atteindre les objectifs fixés. Le 26 juin 2008, Fortis a annoncé une exécution plus rapide de son plan de solvabilité pour un montant global de Euros 8,3 MM (…) » (page 41 du rapport). 154. Il n’est pas douteux que la CBFA pouvait, voire devait, si elle estimait que Fortis ne se conformait pas à ses obligations, et notamment si elle jugeait une communication critiquable, demander à Fortis de la rectifier et qu’elle pouvait rendre public un avertissement59. 58 À une période qui n’est pas précisée. Voir à ce sujet l’Exposé des motifs de la loi du 2 août 2002 déjà cité, p. 95. On gardera toutefois à l’esprit que lors des travaux parlementaires de la loi du 2 août 2002, l’auteur du projet exprime aussi l’idée « que la responsabilité de l’autorité de contrôle ne peut pas se substituer à celle des entreprises sous statut de contrôle. Le contraire reviendrait à faire assumer par les autorités publiques une responsabilité pour les fautes commises par des entreprises privées. Il convient donc de distinguer clairement la faute commise par l’entreprise contrôlée de celle commise par l’autorité de contrôle dans l’exercice de sa mission (par exemple, le fait de ne pas prendre une des mesures prévues par la loi lorsqu’elle est informée d’une situation qui le justifierait) ». 59 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 64 n° 155. Cependant, nonobstant les déclarations reproduites ci-dessus, il est à présent acquis que la CBFA n’était pas correctement informée par Fortis et ses dirigeants, que ce soit sur l’évolution du dossier des EC Remedies ou plus généralement sur les prévisions de solvabilité de Fortis. Si les contacts de Fortis avec la CBFA ont pu lui faire croire qu’elle était correctement informée des prévisions de solvabilité et des opérations en cours, comme l’indiquent les déclarations du président de la CBFA à la commission parlementaire, la FSMA s’est procurée depuis lors, grâce à son instruction, de nouvelles pièces qui prouvent que Fortis ne l’informait pas complètement. 156. Ainsi, il lui fut révélé, pour le dossier « EC Remedies » sur lequel M. Votron a communiqué au marché le 22 mai 2008, que les informations transmises à la CBFA étaient incomplètes. Ageas et M. Votron invoquent l’audition du 11 octobre 2010 de M. Bonte, qui dirigeait le département de contrôle prudentiel des grands groupes de bancassurance au sein de la CBFA (pièce 118 du dossier de M. Votron). M. Bonte déclara à l’Auditeur que, lors d’une réunion du 19 mai 2008, la problématique des « EC Remedies » avait été abordée et que le compte rendu de cette réunion présenté au comité de direction de la CBFA le 3 juin suivant mentionnait : « Fortis a deux candidats sérieux. Deutsche Bank et NIBC Capital (cette dernière ne figure toutefois pas sur la liste communautaire, ce qui peut être résolu si un deuxième partenaire se joignait à elle). Royal Bank of Scotland pourrait également entrer en ligne de compte mais dans ce cas Fortis et Royal Bank of Scotland navigueraient dans les mêmes eaux aux Pays-Bas. Le prix des offres déçoit (moins-value potentielle de EUR 2 MM) et en plus Fortis doit accorder des garanties sur les actifs transférés. Fortis tient compte d’un impact sur la solvabilité de EUR 300 à 400MM » (traduction faite par M. Votron et non contestée au n° 292 de ses conclusions). Or, l’impact possible du « credit umbrella » était de 800 millions. Cette audition et le compte rendu de la réunion prouvent qu’une information complète n’a pas été donnée à la CBFA le 19 mai 2008. 157. Par ailleurs, M. Votron reconnaît que le tableau des projections de solvabilité à la fin du deuxième trimestre 2008, communiqué le 21 mai 2008 à la CBFA, ne mentionne pas le coût en capital supplémentaire résultant du « credit umbrella » (n° 293 de ses conclusions). Ageas et M. Votron tentent de s’en expliquer par la circonstance que «pendant tout ce temps on estimait au sein du groupe que la « credit umbrella » n’incombait pas à Fortis mais à ABN Amro » et que des solutions étaient encore recherchées pour éviter tout impact négatif de la garantie, ou encore que son impact ne pouvait être estimé de manière définitive. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 65 n° Cependant, dès le 7 mai 2008, M. Mittler s’alarmait de l’impact possible des conditions offertes par la Deutsche Bank sur les prévisions de solvabilité et, même s’il a recherché des solutions alternatives, il n’y croyait plus guère le 19 mai 2008 (voir ci-dessus, l’Exposé des faits, n°s 31 et suivants). Même si l’impact définitif du « credit umbrella » n’était pas certain ou pas définitivement admis par Fortis le 21 mai 2008, Fortis et ses dirigeants en devaient l’information à la CBFA au moment où ils lui révélaient l’impact négatif du prix offert par la Deutsche Bank. En effet, pas plus que l’impact de la « credit umbrella », celui du prix n’était définitivement acquis à cette date puisque des négociations étaient en cours avec la Deutsche Bank. Si, comme le prétend Ageas, l’impact chiffré du « credit umbrella » ne remettait pas en question « l’ordre de grandeur » de la dégradation de solvabilité de Fortis annoncée à la CBFA (cette dégradation étant déjà supérieure à un milliard d’euros), Ageas pourrait tenir le même raisonnement pour l’impact du prix de cession offert par la Deutsche Bank (- 400 millions) et considérer que FOrtis ne devait pas en faire état. Or, Fortis l’a révélé. Il est donc prouvé que l’information relative aux « EC Remedies » donnée le 21 mai 2008, veille de l’Investor Day, était partielle et laissait la CBFA dans l’ignorance de l’incidence exacte de l’offre de la Deutsche Bank sur la solvabilité de Fortis. 158. La FSMA observe encore à raison que Fortis ne lui a pas communiqué le rapport « confidentiel » de Merrill Lynch du 3 juin 2008 mais uniquement celui du 10 juin suivant et que le rapport du 10 juin est moins détaillé que le premier en ce qui concerne les dispositions à prendre et moins précis sur les difficultés de solvabilité. 159. Enfin, des pièces internes à Fortis attestent du caractère «confidentiel », voire très confidentiel, qui entourait les évaluations prévisionnelles, les projets de mémorandum et les mémorandums relatifs aux prévisions de solvabilité (elles sont évoquées dans l’exposé des faits auquel la cour renvoie). 160. Au vu de ces éléments, les requérants ne démontrent pas que la CBFA disposait des éléments d’information nécessaires et suffisants pour apprécier et approuver implicitement, par son inaction, les communications litigieuses en n’exigeant plus ample ou autre information du public. 161. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 66 n° Quant à l’existence d’une approbation explicite a priori, il n’apparait pas que la CBFA ait été saisie de projets de communication pour les approuver. Par ailleurs, aucune approbation explicite n’est intervenue a posteriori. L’approbation exprimée par le président de la FSMA le 28 juin 2008 porte uniquement sur le communiqué de presse de Fortis du 26 juin précédent, informant le marché des décisions du conseil d’administration actées le 25 juin et sur le moment auquel ces décisions sont portées à la connaissance du marché. Il ressort en effet des pièces citées par Ageas (sous les points 281 et suivants de ses conclusions) que les mesures actées dans le procès-verbal du conseil d’administration du 25 juin 2008 étaient « annoncées » à la CBFA, dès le 23 juin, et que la CBFA estima qu’elles ne devaient être annoncées au public qu’après leur adoption par le conseil d’administration. C’est pourquoi le président de la CBFA déclarait à la presse que Fortis avait communiqué « à temps et à heure » (voir Exposé des faits, n° 86). 162. Ageas n’est donc pas fondée à invoquer la violation du principe de légitime confiance et M. Votron ne peut prétendre que ses propos étaient approuvés par la CBFA. IV.2.4. L’exception tirée de la violation du droit d’être jugé de manière impartiale 163. Le droit d’être jugé de manière impartiale est à la fois une garantie prévue par l’article 6 de la CEDH et un principe général essentiel de l’action administrative appelée à prononcer des sanctions à caractère pénal. Si, depuis l’arrêt Le Compte c. Belgique, la Cour européenne répète qu’il peut être statué sur des accusations en matière pénale par des autorités qui ne satisfont pas aux exigences de l’article 6, à condition que leurs décisions soient susceptibles d’être déférées au contrôle ultérieur d’un organe de pleine juridiction, l’intervention préalable d’organes administratifs répondant à des impératifs de souplesse et d’efficacité, dont les travaux parlementaires de la Loi ont souligné le caractère « patent » dans le domaine des marchés financiers60, la cour a déjà jugé que même si cette instance prononce une décision unilatérale qui est celle d’une autorité administrative de régulation et non celle d’une instance juridictionnelle61, le principe d’impartialité doit être respecté. 164. Devant la commission des sanctions, M. Mittler a soutenu qu’étant un organe de la FSMA, la commission des sanctions ne pouvait pas être « structurellement » impartiale et 60 Voir CEDH, Le Compte c. Belgique, 23 juin 1981, § 33 et Exposé des motifs précité. Voir en ce sens, Bruxelles, 19 janvier 2006, Droit bancaire et financier, 2006, p. 211 ; Bruxelles, 1ER février 2008, Droit bancaire et financier, 2008, p. 167 et Bruxelles, 13 décembre 2011, produit par les parties. 61 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 67 n° indépendante. Ageas, MM. Votron et Mittler ont en outre objecté qu’aucun organe de la FSMA ne pouvait se prononcer sur les poursuites à leur encontre, sans statuer nécessairement sur la qualité des décisions qui avaient été prises par la CBFA en 2007 et 2008 en tant qu’autorité de surveillance du secteur financier belge. Ils rappelèrent à cet égard que la CBFA avait accès aux informations de Fortis relatives à l’évolution de ses prévision de solvabilité et au plan destiné à renforcer sa solvabilité aux échéances de fin 2008 et fin 2009 et ils firent valoir que la CBFA avait, à l'époque, approuvé sans réserve la communication de Fortis par la voix de son président. Dans ces circonstances, ils étaient d'avis qu'aucun organe de la FSMA, y compris la commission des sanctions, ne présentait les apparences de l’impartialité objective nécessaire pour statuer sur les poursuites dans ce dossier. La commission des sanctions répondit que « Le cumul des fonctions préventives et répressives est de l'essence de la FSMA. Bien que la commission des sanctions soit un organe de la FSMA, la loi du 2 août 2002 l’appelle à statuer en toute impartialité et la présume capable de le faire. Compte tenu de sa composition telle qu'elle est prévue à l’article 48bis de la loi du 2 août 2002 et de la procédure fixée dans son règlement d’ordre intérieur, la commission des sanctions offre toutes les garanties nécessaires à une procédure équitable. En outre, aucun membre du siège actuel n'est, ni n'a jamais été membre du comité de direction de la FSMA. Le fait que deux membres du siège fasse également partie du conseil de surveillance de la FSMA, un organe qui ne connaît pas des dossiers individuels, mais qui est uniquement chargé du contrôle de l’ensemble du fonctionnement de la FSMA, ne saurait affecter la présomption de leur impartialité et de leur indépendance en tant que membres de la commission des sanctions. D'ailleurs, l'article 48bis, § 3, de la loi du 2 août 2002 permet à des membres du conseil de surveillance d'être membre de la commission des sanctions. Enfin, la commission des sanctions n’est nullement entravée dans sa liberté de statuer sur la qualité des décisions prises par la FSMA ou des positions prises par son président. La commission des sanctions n’est donc aucunement juge et partie dans la présente affaire. Si le législateur a doté la FSMA de la compétence de sanctionner pour manquement à la loi du 2 août 2002 et à ses arrêtés d'exécution, un groupe bancaire côté comme FORTIS, de même que ses dirigeants, l'exercice de cette compétence par l'organe de la FSMA désigné à cet effet, ne saurait, en soi, le rendre partial» (considérant 34 de la Décision). 165. Il fut également soutenu par Ageas, MM. Votron et Mittler que l’Auditeur avait violé l’article 70, § 2, de la Loi au motif qu'il n'aurait pas instruit le dossier à charge et à décharge. En outre, l’Auditeur ne serait pas indépendant de la FSMA, parce qu’il en est un organe. La commission des sanctions indiqua que « Dans sa version en vigueur avant le 15 juillet 2011, l’article 70, § 2, de la loi du 2 août 2002 imposait expressément à l’Auditeur d’instruire à charge et à décharge les affaires dont il était saisi. En revanche, la version actuelle de l’article Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 68 n° 70 de la loi ne mentionne plus l’exigence d’une instruction à charge et à décharge. S'agissant des dossiers dont le comité de direction avait déjà, avant le 15 juillet 2011, confié l'instruction à l'Auditeur, l'article 70, § 2, alinéa 1er, tel qu'en vigueur avant le 15 juillet 2011 demeure applicable en ce qu'il prévoit que l'Auditeur instruit les affaires à charge et à décharge (article 1er, alinéa 2, 2°, de l'arrêté royal du 28 juin 2011 fixant la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions de la loi du 2 juillet 2010). Tel est le cas dans le présent dossier. Le seul fait que l’Auditeur est également, en vertu des articles 47 et 51 de la loi du 2 août 2002, secrétaire général de la FSMA et qu'il est, de ce fait, organe de l'institution, ne l’empêche pas d’instruire les affaires dont il est saisi, de façon impartiale (Bruxelles, 13 décembre 2011, website FSMA, n° 20 et 56-57). Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier d’instruction, ni du traitement de l’affaire devant la commission des sanctions que l’Auditeur aurait manqué à son devoir d’impartialité lors de l'instruction du dossier. Le moyen d'irrecevabilité des poursuites n’est dès lors pas fondé » (considérants 36 et suivants). 166. Devant la cour, Ageas, MM. Votron et Mittler réitèrent leur exception d’irrecevabilité des poursuites tirée de la violation du principe de l’impartialité. A titre principal, Ageas considère que la CBFA dans son ensemble ne présentait pas l’impartialité objective requise « dans les circonstances propres » à l’espèce. Elle soutient que la CBFA était parfaitement informée des faits de la cause et qu’elle a approuvé implicitement les communications de Fortis. Elle ajoute que, pour se défendre d’accusations dans le cadre d’une enquête pénale dont elle ferait l’objet, la FSMA avait et a un intérêt personnel à établir que Fortis avait sciemment caché au public, et à la CBFA, ses déficits de solvabilité jusqu’au 26 juin 2008. « En effet, si la FSMA reconnaissait tous les effets des décisions qu’elle a prises au moment des faits litigieux, elle s’exposerait au risque de faire l’objet des mêmes reproches de la part du public que ceux dont FORTIS doit se défendre depuis 2008 » (n° 305 des conclusions d’Ageas). Enfin, ayant approuvé la communication de FORTIS au cours de la période litigieuse, la CBFA ne pouvait statuer sur celle-ci sans se prononcer sur la qualité de ses propres interventions ; elle est objectivement dans la position de juge et partie. A titre subsidiaire, Ageas estime que l’impartialité objective n’a pas été respectée par l’Auditeur, le comité de direction et la commission des sanctions, envisagés séparément. La partialité objective respective de ces organes serait la conséquence de la structure de la CBFA qui était inadéquate « au vu des circonstances de l’espèce et de l’intérêt manifeste de la FSMA ». 167. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 69 n° M. Votron rejoint les thèses d’Ageas et, en outre, conteste l’impartialité et l’indépendance objective dans le chef de l’Auditeur. L’Auditeur devait instruire à charge et à décharge conformément à l’article 70, §2, de la loi du 2 août 2002 - avant sa modification par la loi du 2 juillet 2010. Il précise qu’il ne soutient pas que l’Auditeur ne pourrait pas instruire « à charge et à décharge » les dossiers qui lui sont confiés mais que, dans la présente affaire, où le rôle de la CBFA a été « central », l’Auditeur ne pouvait assurer une enquête impartiale « à charge et à décharge » et notamment, admettre l’existence d’une cause de justification tirée des déclarations faites à la presse par le président de la CBFA, car il eût de la sorte exposé le Président du comité de direction à la critique. M. Votron reproche à l’Auditeur d’avoir interprété, de manière « totalement gratuite et sans fondement » ses propos au Financieel Ontbijt du 5 juin 2008 et rejeté l’existence d’une cause de justification, pourtant légitime dans son chef, alors cependant que l’Auditeur déclarait le 26 avril 2012 devant la commission parlementaire « je n’ai aucune indication que des informations incomplètes ou inexactes aient été communiquées sciemment à la CBFA, mais je précise que nous n’avons pas examiné ce point particulier de manière spécifique ». 168. M. Mittler récuse l’impartialité objective de la CBFA/ FSMA dans sa totalité. Il invoque à son tour « le contexte » de la cause, les déclarations du président de la CBFA à la presse et le fait que la FSMA serait également visée par l’enquête pénale. Ces circonstances la privaient nécessairement de l’apparence d’impartialité requise. Il met également en cause le fonctionnement structurel de la FSMA. En outre, l’Auditeur aurait fait preuve de partialité subjective en n’examinant pas les actions de la FSMA, en prenant « la défense de la FSMA de manière douteuse » (ainsi que cela résulterait du rapport de l’Auditeur p. 82), en n’instruisant qu’à charge les personnes poursuivies, laissant à celles-ci la tâche de le contredire, et en présentant les faits de manière « tout à fait erronée ». De même, la commission des sanctions aurait fait preuve d’une partialité subjective en n’analysant pas le contexte factuel de l’affaire, se bornant à des thèses abstraites et théoriques, sans les développer et ne disant mot sur les antécédents procéduraux et le rôle de la FSMA et de son comité de direction. 169. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 70 n° Par son arrêt VERA FERNANDES – HUIDOBRO c/Espagne62, la Cour européenne a récemment rappelé les notions d’impartialité objective et subjective: Une analyse de la jurisprudence de la Cour permet de distinguer deux types de situations susceptibles de dénoter un défaut d'impartialité du juge. Le premier, d'ordre fonctionnel, regroupe les cas où la conduite personnelle du juge n'est absolument pas en cause mais où, par exemple, l'exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire (Piersack, arrêt précité) ou des liens hiérarchiques ou autres avec un autre acteur de la procédure (voir les affaires de cours martiales, par exemple Miller et autres c. Royaume-Uni, nos 45825/99, 45826/99 et 45827/99, 26 octobre 2004) suscitent des doutes objectivement justifiés quant à l'impartialité du tribunal, lequel ne répond donc pas aux normes de la Convention selon la démarche objective. Le second type de situations est d'ordre personnel et se rapporte à la conduite des juges dans une affaire donnée (…)». Une apparence de partialité suffit pour conclure à un défaut d’impartialité et d’indépendance s’il est démontré, par les intéressés, qu’ils pouvaient légitimement ou objectivement nourrir des doutes ou qu’ils avaient une ou des raison(s) légitime(s) de redouter un manque d’impartialité dans le chef de cette autorité ou de la personne chargée d’instruire ou encore dans celui de l’organe appelé à se prononcer sur l’existence des manquements, leur imputabilité et les sanctions (voir en ce sens, l’arrêt Vera Fernandes-Huidobro précité, « l’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées »63 ). Il s’agit donc de vérifier si certains faits vérifiables autorisent à suspecter la partialité du juge ou de l’autorité administrative. 170. Les règles d’impartialité objectives sont supposées être respectées dans l’organisation et le fonctionnement de l’autorité de contrôle lorsqu’une séparation des tâches est prévue par le législateur qui les confie à des organes différents en veillant à l’indépendance de celui qui instruit et à l’indépendance de celui qui sanctionne. Il ressort des articles 70 à 72 de la loi du 2 août 2002 applicables lors du déroulement de la procédure querellée, insérés par la loi du 27 avril 2007 et modifiés par la loi du 2 juillet 2010 – que le législateur a entendu créer au sein de l’administration de la FSMA une séparation nette entre l’instance qui peut initier l’enquête et la mener ensuite et celle qui intervient dans le processus décisionnel sur l’existence de l’infraction en ayant égard, dans les deux phases de la procédure, au respect des droits de la défense et au devoir d’impartialité et d’indépendance de l’instance de décision. 62 Arrêt du 6 janvier 2010, considérants 116 et suivants. Voir également, C.E.D.H., arrêt du 27 août 2002, en cause de Didier c/France et C.E.D.H. 23 avril 2015, en cause de Morice/France. 63 Voir également Cass., 28 février 2014, C. 13.0119, rejetant le pourvoi formé contre Bruxelles, 6 novembre 2012 (inédit), www.juridat.be. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 71 n° En soi, l’appartenance de deux membres de la commission des sanctions au conseil de surveillance - qui ne connait pas des dossiers individuels et est uniquement chargé du contrôle de l’ensemble du fonctionnement de la FSMA – et la circonstance que l’Auditeur, chargé d’instruire à charge et à décharge, est aussi le secrétaire général de la CBFA et assiste aux réunions du comité de direction sans voix délibérative, ne justifient pas une mise en cause de l’impartialité de la FSMA, de la commission des sanctions ou de l’Auditeur. 171. En revanche, dans les circonstances propres à l’espèce, la CBFA a dû justifier son suivi de Fortis pendant la crise financière et du bon accomplissement de ses missions, tant devant la commission parlementaire que devant les tiers, via la presse. Certains responsables ont été interrogés au cours d’une enquête pénale (dont les éléments ne sont toutefois pas soumis à la cour). A la question posée par la commission parlementaire : la CBFA a-t-elle réagi trop tard ?, « M. Servais estime que non. Il renvoie à son exposé concernant les actions tant récurrentes que spécifiques entreprises par la CBFA. Le rôle de la CBFA en matière de surveillance des marchés est de veiller à ce que les sociétés cotées remplissent leurs obligations en matière d’information privilégiée et d’analyser la corrélation existant entre l’information disponible et les cours afin de détecter des éventuelles anomalies. Par information d’initié, on entend une information qui a un caractère précis et qui, si elle était rendue publique, serait de nature à influencer sensiblement le cours de l’instrument financier concerné. La CBFA peut, s’il échet, demander à l’émetteur la publication d’une information ou demander la suspension de la négociation du titre(…) (audition de M. Servais du 28 octobre 2008, pièce 113 du dossier de M. Votron). 172. Par ailleurs, les déclarations de la CBFA devant la commission parlementaire, faisant état d’un suivi rapproché de Fortis, d’une information régulière et d’une bonne connaissance par la CBFA des évolutions de solvabilité du groupe, étaient invoquées par les requérants devant la commission des sanctions alors que, comme l’observe M. Mittler, la compétence de cette commission ne semblait pas pouvoir être étendue au contrôle des actes de la FSMA ellemême64 et alors que, ni la commission des sanctions, ni l’Auditeur n’étaient autorisés ou en mesure de rechercher l’influence que le comité de direction, son président et d’autres membres de la FSMA avaient pu exercer dans le déroulement des faits. 64 Par contre, il ne peut être suivi lorsqu’il présuppose que la commission des sanctions devait infliger des sanctions à défaut pour le législateur d’avoir prévu un recours en faveur du comité du direction dans l’hypothèse où la commission des sanctions n’aurait pas infligé de sanctions. Il s’agit d’une pure spéculation sur des intentions prêtées aux membres de la commission des sanctions qui était libre de ne pas prononcer de sanction. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 72 n° 173. Pour ces motifs, les requérants avaient des raisons objectives et légitimes de douter de l’impartialité de la CBFA/FSMA. 174. La cour a cependant rappelé que le défaut d’impartialité de l’autorité administrative n’entraîne pas la violation de l’article 6 de la CEDH si un contrôle de pleine juridiction permet d’y remédier. A l’inverse, la disposition en cause est violée si, nonobstant le recours de pleine juridiction, les droits de la défense sont définitivement obérés par le manque d’impartialité de l’autorité. 175. A l’effet de démontrer que l’instruction menée par l’Auditeur serait insuffisante et que, pour ce motif, les poursuites devraient être déclarées irrecevables, les requérants rappellent que, lors de son audition par la police judiciaire fédérale le 26 avril 2012, l’Auditeur de la FSMA a reconnu qu’il n’avait aucune indication « que des informations incomplètes ou inexactes aient été communiquées sciemment à la CBFA mais je précise que nous n’avons pas examiné ce point en particulier de manière spécifique ». Cependant, il ressort uniquement de cette déclaration que l’Auditeur n’a pas vérifié si des informations inexactes et incomplètes ont volontairement ou sciemment été communiquées ou scellées à la CBF . Elle n’établit pas que l’Auditeur n’a pas recherché si des informations inexactes et incomplètes ont été communiquées à la CBFA. Or, comme on le verra, il ne devait pas examiner si les requérants avaient agi « volontairement » ou « sciemment ». Cette déclaration ne permet donc pas de critiquer son instruction. La cour constate également qu’il était permis aux requérants de communiquer d’initiative à l’Auditeur toutes les communications écrites, dont ils devaient vraisemblablement disposer du moins Ageas – et qu’ils souhaitaient lui soumettre. 176. C’est encore à tort que MM. Votron et Mittler tentent de discréditer l’Auditeur – et son instruction dans son ensemble - en lui reprochant de n’avoir pas adhéré à leurs thèses ou d’avoir donné une autre interprétation ou lecture que les leurs aux pièces. Une instruction à charge et à décharge n’oblige pas celui qui la mène à adhérer aux thèses des parties poursuivies. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 73 n° Le défaut d’impartialité objective n’a donc pas irrémédiablement porté atteinte aux droits de la défense des requérants qui peuvent être jugés par une juridiction indépendante, dont ils ne mettent pas en doute l’impartialité, grâce à leur recours de pleine juridiction. 177. Il suit de ce qui précède que la Décision doit être annulée, en tant qu’elle considère, à tort, que le principe d’impartialité objective n’était pas violé devant la commission des sanctions de la FSMA. Les poursuites sont néanmoins recevables. IV.2.5. L’exception tirée de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable 178. Les requérants estiment que le délai raisonnable pour instruire le dossier a été dépassé. Ils demandent que ce dépassement du délai soit sanctionné par l’irrecevabilité des poursuites qui ont conduit à leur imposer une sanction administrative à caractère pénal et, à titre subsidiaire, que l’amende soit réduite. La commission des sanctions a décidé en substance que : « Compte tenu de la grande complexité de l’affaire, tant sur le plan des faits que sur le plan juridique, du nombre de parties impliquées, du volume considérable de pièces à traiter, ainsi que de la nécessité et des servitudes de la mise en état de l’affaire par la commission des sanctions, les délais de procédure, qui ont commencé à courir le 1er septembre 2009 pour Ageas et le 2 février 2010 pour MM. Votron et Mittler, ne peuvent être considérés, au jour du prononcé de la présente décision, comme déraisonnables, même en tenant compte des périodes d’inactivité invoquées » (considérant 32 de la Décision). Elle a également rappelé à raison qu’un dépassement du délai raisonnable « ne saurait être sanctionné d’irrecevabilité des poursuites tendant à imposer une sanction à caractère pénal que lorsqu’il a entrainé une déperdition des preuves ou rendu impossible l’exercice normal des droits de la défense65. Si tel n’est pas le cas, le juge doit pouvoir diminuer cette sanction de manière mesurable ou éventuellement en dispenser le contribuable »66. 179. Il n’est pas contesté que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable s’applique devant une autorité administrative, telle que la FSMA. La commission des sanctions l’a d’ailleurs explicitement admis dans la Décision. 65 66 Cass. (2e ch.) RG P.10.1319.F, 7 septembre 2011. Cass. (1ère ch.) RG F.07.0076.N, 12 novembre 2009, www.juridat.be Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 74 n° Les parties divergent toutefois sur l’application du principe dans la cause et particulièrement sur (i) le point de départ du calcul du délai raisonnable (voir A) , (ii) la manière d’apprécier ce délai (voir B) et (iii) la sanction qui assortit le dépassement de ce délai. A. Point de départ du délai 180. Selon Ageas et M. Votron, la Décision fixe erronément la date à laquelle le délai a commencé à courir au 1er septembre 2009 (pour la première) et le 2 février 2010 (pour le second – cette date a également été retenue pour M. Mittler, qui ne la conteste pas). a) Pour Ageas 181. Ageas reproche à la Décision de ne pas avoir situé le point de départ du délai au 17 juillet 2008, lorsque la CBFA lui a adressé un courrier rédigé dans les termes suivants : « En application de l’article 10 de la loi du 2 août 2002, la CBFA contrôle les obligations qui incombent aux émetteurs relativement à la communication d’informations au public, et en particulier, à la publication d’informations privilégiées. Dans le cadre des mesures récemment prises par Fortis pour renforcer sa solvabilité (voyez le communiqué de presse du 26 juin 2008 : augmentation du capital, suppression du dividende intérimaire, dividende en actions), la commission souhaite vérifier dans quelle mesure il a été satisfait aux obligations précitées . Ce contrôle est basé sur les constatations suivantes : la communication publique de Fortis concernant sa solvabilité entre janvier et début juin 2008 dans laquelle il est expressément fait état de ce que la solvabilité est sous contrôle et qu’aucune augmentation de capital supplémentaire ou modification de la politique de dividende ne serait nécessaire ; l’absence d’indication concernant le report de communication d’information privilégiée. Afin d’étayer le contrôle de la commission, nous vous demandons, en application de l’article 34 de la loi du 2 août 2002, de nous communiquer, au plus tard pour le vendredi 25 juillet 2008, les informations suivantes : un exposé détaillé des faits et des arguments (comprenant la chronologie et le cas échéant, les faits qui n’ont pas été rendus publics à ce jour) qui justifient l’exécution accélérée du plan de solvabilité ; tout document concernant la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 26 juin 2008 qui permet d’apprécier la procédure de prise de décision interne relativement à la position de solvabilité de Fortis (…)» (pièce 2.54 du dossier FSMA) . Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 75 n° Ageas estime que, dès ce moment, elle se trouvait « accusée » au sens autonome de la CEDH et sous la menace de poursuites pénales, ce qui se répercutait gravement sur sa situation personnelle, notamment en raison de l’obligation de se défendre. 182. La FSMA considère pour sa part que ce courrier n’exprimait aucune suspicion ou accusation et que le point de départ du délai raisonnable doit se situer au 1er septembre 2009 étant la date du communiqué de presse par lequel le comité de direction de la FSMA a annoncé qu’il avait transmis le dossier à l’Auditeur et que ce dernier allait mener une instruction à charge et à décharge. 183. Ainsi que le rappelle la Décision, « le délai dans lequel la cause doit être entendue ne prend cours que lorsque l’intéressé était mis en prévention pour avoir commis une infraction ou lorsque, en raison d’un quelconque acte d’information ou d’instruction préparatoire, il se trouve sous la menace d’une poursuite pénale et que cela se répercute gravement sur sa situation personnelle, notamment parce qu’il a été contraint de prendre certaines mesures pour se défendre contre les accusations portées contre lui au sens de la Convention » (p. 16, considérant 28). 184. Selon la jurisprudence de la Cour européenne, le délai prend cours le jour où la personne accusée « a pris conscience de ce que les autorités lui reprochent, fût-ce implicitement, d’avoir commis une infraction » ; l’accusation peut se définir « comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale », idée qui correspond aussi à la notion de « répercussions importantes sur la situation » du suspect 67. La présente cour a pour sa part déjà jugé que « le délai commence à courir dès le moment où la personne sur laquelle pèse un soupçon de comportement infractionnel, est informée de l’existence d’indices à sa charge ou à partir du moment où elle vit sous la menace d’une sanction administrative qui est susceptible d’avoir une répercussion sérieuse sur son état personnel »68. Elle a cependant estimé dans l’espèce qui lui était soumise que des demandes 67 Voir notamment C.E.D.H., 14 décembre 2004, Subiali c.France, § 46 et C.E.D.H., Eckle c.Allemagne du 15 juillet 1982, série A n°51, p.33 §73. 68 Bruxelles, 13 décembre 2011, disponible sur www.fsma.be. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 76 n° d’information neutres ne permettaient pas à la personne à qui elles étaient adressées de se sentir « accusée » au sens précité69. Il n’est certes pas requis qu’une instruction ait été initiée. L’accusation peut se situer à un moment antérieur, comme l’ouverture d’une enquête préliminaire ou un interrogatoire par la police. Cependant, comme le résume la doctrine, il « faut tout à la fois que les autorités judiciaires aient posé un acte de poursuite à l’égard d’un individu en le considérant comme un accusé au sens de la Convention et que ce dernier l’ait ressenti comme tel. Il faut donc, en quelque sorte, une adéquation entre l’état d’esprit des autorités judiciaires et celui de la personne mise en cause »70. 185. Le premier courrier adressé par la CBFA à Fortis le 17 juillet 2008 se réfère aux articles 10 et 34 de la Loi. Aux termes de l’article 10, § 1er ,« Les émetteurs d'instruments financiers admis, à leur demande ou avec leur accord, à la négociation sur un marché réglementé belge rendent publique immédiatement toute information privilégiée qui les concerne directement, en ce compris tout changement significatif concernant des informations qui ont déjà été rendues publiques. Cette information comprend des données financières si l'émetteur en dispose ». Le contrôle de l’application de la Loi et de cette disposition était confié à la CBFA qui disposait des pouvoirs conférés par l’article 34 de la Loi, tels que le droit de se faire communiquer toute information et tout document, celui de procéder à des inspections et expertises, celui de prendre connaissance et copie de tout document, fichier et enregistrement et d’avoir accès à tout système informatique. La CBFA pouvait enjoindre à toute personne morale ou physique de se conformer à l’article 34 susdit et, le cas échéant, lui imposer une astreinte en vertu de l’article 36 de la même loi, mais il n’a pas été fait mention de cette disposition dans le courrier. Ce courrier informe Fortis de la mise en œuvre du contrôle de l’obligation de rendre publique toute information privilégiée compte tenu de la communication pratiquée par cette société sur sa solvabilité durant une période identifiée et l’absence d’indication concernant le report de communication d’information privilégiée. Il sollicite – en visant l’article 34 de la Loi - la transmission d’informations dans un délai strict (« au plus tard le 25 juillet 2008 »). Fortis y répond le 25 juillet 2008 et adresse des informations complémentaires le 4 août 2008. 69 70 idem F.KUTY, Justice pénale et procès équitable, vol.2, Larcier, 2006, p.52, n°1363 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 77 n° Le 1er août 2008, de nouvelles questions émanent de la CBFA qui demande une réponse pour le 8 août 2008 au plus tard. Le 26 août 2008, la CBFA adresse une troisième demande d’information qui, après avoir rappelé le cadre de son contrôle (article 10), pose des questions portant sur les informations précédemment transmises et demande que de nouveaux documents lui soient communiqués pour le 4 septembre 2008 au plus tard. Un quatrième courrier est envoyé le 10 septembre 2008 par la CBFA, qui se réfère toujours aux articles 10 et 34 de la Loi, et sollicite la communication de nouveaux documents. Entre le 17 juillet 2008 et le 10 septembre 2008, la CBFA a donc adressé à Fortis quatre demandes d’informations et de communications de documents de plus en plus précises, dans des délais stricts. 186. Il ne peut toutefois en être déduit que Fortis a dès ce moment été « accusé », ces demandes étant formulées pour permettre à la CBFA d’exercer sa mission légale de contrôle. La circonstance que Fortis était notamment invité, aux termes du courrier du 17 juillet 2008, à communiquer ses « arguments » qui « justifiaient » l’exécution accélérée de son plan de solvabilité n’énerve en rien ce constat. Il est constant en effet que les réponses données par Fortis auraient pu satisfaire la CBFA dont le comité de direction n’aurait alors pas décidé de charger l’Auditeur d’entamer une instruction. Eu égard à ces éléments, il doit être considéré, comme le soutient la FSMA, que le point de départ du délai raisonnable pour Ageas se situe le 1er septembre 2009. b) Pour M. Votron 187. Selon M. Votron, le point de départ du délai est le 1er septembre 2009, et non le 2 février 2010, et il prend fin le 17 juin 2013, et non le 10 décembre 2012. 188. Le 1er septembre 2009, la CBFA publie un communiqué de presse rédigé dans les termes suivants : « L'enquête préliminaire de la CBFA est à présent terminée. Au terme de cette enquête approfondie, le comité de direction a constaté qu'il existait suffisamment d'éléments pour transmettre le dossier à l'Auditeur de la CBFA. L'Auditeur entendra la société et les personnes Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 78 n° concernées dans le cadre d'une instruction à charge et à décharge, conformément à l'article 70 de la loi du 2 août 2002 relative à la survenance du secteur financier et aux services financiers. A l'issue de son instruction et conformément à la procédure organisée par la loi, l'Auditeur transmettra ses conclusions à une commission spécialisée appelée « commission des Sanctions » et constituée au sein du Conseil de surveillance de la CBFA, laquelle statuera sur la prise d'une éventuelle sanction sous la forme d'une amende administrative. Le comité de direction a par ailleurs décidé d'informer les autorités judiciaires de ses constatations, afin que celles-ci puissent déterminer s'il existe des indices d'infraction à l'interdiction pénale de manipulation de marché (article 39, § 1er, de la loi du 2 août 2002 précitée) » (pièce n°115 de M. Votron). 189. M. Votron estime qu’en raison de sa qualité de « chief executive officer » et d’administrateur délégué, il avait dès ce moment toutes les raisons de se croire visé par l’instruction. La FSMA objecte à juste titre que le communiqué ne le désigne pas nommément71 et que les fonctions que M. Votron occupait au sein de Fortis n’impliquaient pas qu’il soit automatiquement concerné par l’instruction et suspecté. 190. M. Votron ne peut en outre déduire une quelconque « accusation » à son encontre de ce que le communiqué annonçait que les personnes concernées seraient entendues « à charge et à décharge », les termes exacts étant que les personnes concernées seraient entendues « dans le cadre d'une instruction à charge et à décharge ». 191. De même, la médiatisation de l’affaire ne saurait initier le délai raisonnable, en l’absence de communication de la part des autorités poursuivantes72. En l’absence de tout autre élément permettant à M. VOTTRON de soutenir qu’il s’est senti « accusé » ou suspecté avant le 10 février 2010, date à laquelle l’Auditeur l’a informé par courrier qu’une instruction relative à des indices sérieux d’éventuelles infractions aux articles 10, § 1er, et 25, § 1er, 4°, de la Loi et à l’article 5 de l’Arrêté royal du 14 novembre 2007 était diligentée à son encontre, il convient de retenir le 10 février 2010 comme point de départ du délai raisonnable. 71 72 Voir notamment CEDH Intiba c.Turquie, 24 mai 2005, §35 Voir CEDH Coëme et crts c. Belgique, 22 juin 2000, § 133, cité par F.Kuty, op.cit., p.52, n°1363 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 79 n° 192. Eu égard à ce qui précède, la procédure devant la commission des sanctions a duré 3 ans, 9 mois et 7 jours pour Fortis et 3 ans, 4 mois et 15 jours pour M. Votron et M. Mittler. B. Appréciation du délai 193. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, le caractère raisonnable de la durée de la procédure commande une évaluation concrète et globale eu égard (i) à la complexité de l’affaire, (ii) au comportement de l’accusé, (iii) à la diligence des autorités judiciaires, et (iv) à l’enjeu de la procédure pour les parties 73. 194. La commission des sanctions a décidé que « Le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie à l’aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et suivant les circonstances de l’espèce, lesquelles commandent une évaluation globale (C.E.D.H. n° 45891/99, 7 novembre 2000 (Piccolo c. Italie) et non pas uniquement en fonction du temps qui s’est écoulé entre certains actes d’instruction entre eux ou entre la clôture de l'information et la saisine du juge (Cass. (2e ch.) RG P.06.0604.N, 26 septembre 2006) » (considérant 29 de la Décision). Les requérants reprochent à la Décision d’avoir considéré que le dépassement du délai raisonnable doit faire l’objet d’une évaluation globale et ne s’apprécie pas uniquement en fonction du temps qui s’est écoulé entre certains actes d’instruction entre eux ou entre la clôture de l’information et la saisine du juge – c’est-à-dire en fonction de périodes qualifiées par les requérants de « périodes d’inactivité » ou de « latence ». Ils font en outre grief à la commission des sanctions d’avoir jugé que le délai n’était pas déraisonnable « compte tenu de la grande complexité de l’affaire, tant sur le plan des faits que sur le plan juridique, du nombre de parties impliquées, du volume considérable de pièces à traiter, ainsi que de la nécessité et des servitudes de la mise en état de l’affaire par la commission des sanctions », même en tenant compte des périodes d’inactivité ou de latence invoquées par les requérants. 195. 73 CEDH, König c. Allemagne, 28 juin 1978. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 80 n° Lorsqu’elle apprécie le respect du délai raisonnable, la Cour européenne procède à un examen distinct de chaque phase de la procédure (instruction, première instance, appel) et elle vérifie ensuite le caractère raisonnable de la durée globale de la procédure. Elle peut conclure au dépassement du délai raisonnable en raison du délai excessif d’une seule des phases de la procédure74, même si le reste de la procédure s’est déroulé dans des délais normaux. Outre une durée jugée anormale de certaines phases de la procédure, la constatation de périodes d’inactivité ou de latence imputables à l’autorité et non justifiées par elle peuvent également conduire la Cour à constater le dépassement du délai raisonnable75. Conformément à ces principes, la Commission européenne des Droits de l’Homme a estimé, dans un dossier qui avait connu une période d’inertie de deux ans, que le délai raisonnable était dépassé car « le fait qu’à partir d’un moment donné les autorités judiciaires aient conduit l’affaire de manière satisfaisante ne saurait pas effacer les retards injustifiés qui avaient affecté auparavant le déroulement de la procédure »76. La Cour de cassation a également censuré un arrêt de la cour d’appel de Gand au motif que « Les juges d’appel ne justifient pas en droit leur décision selon laquelle le délai raisonnable n’a pas été dépassé, nonobstant l’écoulement d’un laps de temps de 23 mois entre le prononcé du jugement faisant l’objet de l’appel et l’introduction de la cause en appel, pour lequel ils ne donnent aucune explication »77 (souligné par la cour). 74 Voir notamment CEDH, Corigliano c. Italie, 10 décembre 1982 – qui sanctionne au sein de la phase d’instruction les retards incompatibles avec l’article 6; CEDH, Rablat c. France, 24 septembre 2003, - qui sanctionne le manque de diligence dans la conduite de l’instruction ; CEDH, Z. c. France, 30 décembre 2003, § 55 – qui juge que la durée globale de la procédure est déraisonnable compte tenu de la durée des instructions (5 et 7 ans) et ce, même si la durée des phases postérieures n’était pas excessive ; CEDH, Stratégies et communications et Dumoulin c. Belgique, 15 octobre 2002, § 46 – qui conclut à la violation de l’article 6 en raison de la durée de l’instruction (6 ans et 2 mois) alors même que celle-ci n’est pas encore clôturée ; CEDH, Wauters et Schollaert c. Belgique, 13 août 2008, - La Cour estime que l’instruction qui a duré 10 ans et 11 mois, n’est pas encore clôturée et a connu plusieurs périodes d’inactivité, a dépassé le seuil du raisonnable . 75 CEDH, Ruotolo c. Italie, 27 février 1992 § 17 : « Envisagés séparément, plusieurs des intervalles observés peuvent sembler normaux ; cependant, leur accumulation et divers retards imputables aux juridictions compétentes – notamment quant au dépôt du jugement du 2 juillet 1982 (plus de sept mois et demi) et de l’arrêt du 24 octobre 1985 (plus de cinq mois) – amènent la Cour à estimer excessif un laps de temps global supérieur à douze ans » ; CEDH, Etcheveste c. France et Bidart c. France, 21 juin 2002, - la Cour juge déraisonnable la durée de la procédure de 11 ans, 10 mois et 12 jours compte tenu notamment de plusieurs périodes d’inactivité (notamment consacrées à l’examen des demandes d’un co-inculpé); CEDH, Boiseau c. France, 19 mai 2002; CEDH, Wauters et Schollaert c. Belgique, 13 août 2008, précité ; CEDH, Perhirin et 29 autres c. France, 4 septembre 2002; CEDH Giancarlo Lombardo c. Italie, 26 novembre 1992 qui sanctionne la durée excessive de la procédure en raison notamment de périodes d’inactivité (notamment d’un an pour le dépôt des conclusions du procureur général) ; CEDH, Malve c. France, 31 octobre 2001; CEDH, Maini c. France, 26 octobre 1999 ; CEDH, Portington c. Grèce, 23 septembre 1998, - où la procédure d’appel avait duré presque huit ans et ponctuée de nombreuses périodes d’inactivité. 76 Commission E.D.H, rapport Manuel Mendes Godinho e Filhos c. Portugal, 11 octobre 1990, § 120. 77 Cass. (2e ch.), 18 septembre 2012, R.W., 2013-14, liv. 17, p. 654 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 81 n° 196. Si elles doivent tout mettre en œuvre pour respecter les exigences découlant de l’article 6, §1er, de la CEDH, les autorités peuvent néanmoins justifier des périodes d’inactivité ou de latence. Cependant, ne constituent pas des justifications pertinentes « la surcharge de travail de la juridiction concernée» 78 ou la relative « complexité en fait d’un dossier » 79 et, de manière plus générale, une carence de leurs « pouvoirs judiciaire, législatif ou exécutif »80. 197. L’appréciation du caractère raisonnable de la durée globale de la procédure gît en fait. Il ressort de la jurisprudence précitée de la Cour européenne que le délai est généralement jugé déraisonnable au-delà de six ans, mais qu’une procédure ayant duré trois ans et sept mois sera jugée tolérable81 ; il en va de même d’une procédure entamée à une date non précisée en 1999 et s’étant achevée par un jugement rendu le 15 juillet 2002, alors même que la Cour constitutionnelle avait attendu un an et un mois avant décider sur le recours dont elle avait été saisie et qu’un retard de sept mois pouvait également être imputé au tribunal de renvoi82. Dans l’arrêt Andreucci c. Italie, la Cour européenne a considéré qu’une procédure ayant duré quatre ans et demi était tolérable au regard de la durée totale de la procédure, alors même qu’elle avait constaté une période d’inactivité de deux ans entre le dernier acte d’instruction et la fixation de l’audience de plaidoiries83. 198. Ageas épingle deux périodes d’inactivité durant l’instruction : la première, du 15 janvier 2009 au 27 mai 2009 et la seconde du 30 novembre 2010 au 2 avril 2012. M. Mittler et M. Votron formulent les mêmes critiques qu’Ageas au sujet de la seconde période. Cependant, il découle des développements sur le point de départ de la période concernée (voir ci-dessus) que la première période ne doit pas être prise en compte pour apprécier le respect du délai raisonnable à l’égard de Fortis, puisqu’elle se situe avant les poursuites. 199. Les requérants estiment que le comité de direction de la CBFA est demeuré inactif du 30 novembre 2010 – date des conclusions finales de l’Auditeur – au 2 avril 2012 – date de la 78 CEDH, Rablat c. France, 24 septembre 2003 ; voir aussi CEDH, Rodrigues Carolino c. Portugal, 11 janvier 2000. CEDH, Beljanski c. France, 7 mai 2002. 80 F. Kuty, Justice pénale et procès équitable, op.cit., p. 84, n°1415. 81 Voir notamment CEDH, Piccolo c. Italie, 7 novembre 2000, cité par la Décision de la CBFA. Dans le même sens : PGV c. Italie, 7 novembre 2000 – pour une instance ayant duré trois ans et neuf mois. 82 CEDH, Zouhar c. République tchèque, 11 janvier 2006. 83 CEDH, Andreuci c. Italie, 27 février 1992, § 17. 79 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 82 n° décision du comité de direction d’entamer la phase de jugement en saisissant la commission des sanctions. 200. La FSMA conteste l’inactivité totale durant cette période et avance des justifications pour la période d’inactivité partielle qu’elle reconnaît. Ainsi, elle invoque des circonstances particulières qui seraient imputables à la grave crise politique qu’a traversé la Belgique durant la période concernée et elle expose qu’avant le 11 avril 2011, l’Auditeur ne pouvait pas faire démarrer la procédure devant la commission des sanctions car cette dernière ne disposait plus de Président depuis le départ à la retraite de celui-ci, le 1er août 2010. 201. Ageas conteste à raison que le départ à la retraite du Président de la commission des sanctions puisse justifier la suspension de la procédure car il pouvait être pourvu à son remplacement par un autre membre de la commission. En effet, aux termes de l’article 48bis, §3, al. 4, de la Loi (ancien article 48, §2), « en cas de vacance d’un siège de membre de la commission des sanctions, pour quelque cause que ce soit, il est procédé à son remplacement pour la durée du mandat restant à courir ». Ageas fait également valoir à juste titre que le principe de bonne administration commandait d’anticiper le départ du Président84 et qu’en tout état de cause, l’article 48bis, § 3, al. 6, de la Loi prévoyait qu’« en cas d’empêchement de son président, [la commission des Sanctions] peut décider valablement lorsque trois de ses membres sont présents »85. Cet élément n’est pas contesté par la FSMA. Enfin, la FSMA ne peut pas invoquer les problèmes de négociations politiques et de mise en place du gouvernement dès lors qu’il résulte de ses propres explications que c’est la décision d’un de ses organes qui est à l’origine de la période de latence de 9 mois (entre le 30 novembre 2010 et le 31 août 2011). 202. La FSMA tente ensuite de justifier la décision de l’Auditeur de différer encore la saisine du comité de direction par l’entrée en vigueur, alors imminente, de la loi du 2 juillet 201086 modifiant celle du 2 août 2002, et notamment les règles de la procédure des sanctions et de la composition de la commission des sanctions. Elle estime que le principe de bonne administration commandait en particulier de ne pas saisir la commission des sanctions alors 84 C.E., De Saedeleer, n° 67.605, du 29 juillet 1997, A.P.M., 1997, p. 125. Ancien article 48, § 6, de la Loi. 86 Les dispositions en cause sont entrées en vigueur le 15 juillet 2011 85 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 83 n° que sa composition était sur le point de changer, afin d’éviter qu’elle ne doive reprendre son examen ab initio. Dès le 4 octobre 2011, la CBFA aurait repris un examen diligent du dossier. Cependant, cette situation n’empêchait pas que l’Auditeur transmette le dossier au comité de direction et que celui-ci entame son examen du dossier. C’est du reste ce qu’il fit, puisqu’il assura la transmission du dossier le dossier le 31 août 2011. 203. Pour la période qui a suivi jusqu’à la décision du comité de direction du 2 avril 2012 d’entamer la phase de jugement devant la commission des sanctions, la FSMA invoque son devoir de minutie. A cet égard, la cour considère que si la complexité du dossier ne permet pas à elle seule de justifier une période de 7 mois intégralement consacrée à l’examen de la cause87, il n’est nullement établi que la CBFA aurait fait preuve durant cette période d’une complète inactivité. 204. Il suit de ce qui précède que l’instruction du dossier a connu, entre le 30 novembre 2010 et le 2 avril 2012, des périodes de latence ou d’inactivité qui demeurent partiellement injustifiées. Cependant, ce constat n’implique pas nécessairement un dépassement du délai raisonnable de la procédure devant la commission des sanctions vue dans sa globalité. En effet, la procédure menée aux Pays-Bas a commencé en juillet 2008 pour s’achever en mars 2014, soit une durée comparable à la celle de la procédure devant la commission des sanctions. 205. Certes M. Mittler invoque en sus la longueur de la procédure devant la cour d’appel. La cour se permet d’observer que la cause a été introduire le 16 juillet 2013 et qu’elle a ensuite fait l’objet d’une longue mise en état par les parties, selon un calendrier convenu entre elles (tant en ce qui concerne le nombre de conclusions échangées que le délai pour les établir). La première audience de plaidoiries eut lieu quelques jours après le dépôt des dernières conclusions par la FSMA et la durée des plaidoiries a été fixée en tenant compte des demandes des parties. Considéré sur l’ensemble de la procédure, le délai n’est pas déraisonnable au sens de l’article 6 de la CEDH. 87 Le rapport de l’Auditeur comporte 173 pages. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 84 n° IV.2.6. L’exception tirée de la violation du principe de l’égalité des armes 206. M. Votron et M. Mittler allèguent que leur droit au respect de l’égalité des armes entre le comité de direction de la CBFA et eux-mêmes a été violé au cours de la procédure devant la commission des sanctions. Ils dénoncent le déséquilibre « flagrant » entre le délai de cinq mois qui fut laissé au comité de direction pour répondre à leurs mémoires déposés le 10 août 2012 et le délai de 20 jours qui leur fut imparti pour rencontrer cette réponse déposée le 9 janvier 2013 et comportant 341 pages. Ils précisent que ce déséquilibre ne fut nullement compensé par le fait qu’en novembre et décembre 2012, le comité de direction présentait sa réplique orale à leurs auditions. 207. La commission des sanctions a répondu que : « L’article 28, alinéa 1er, du règlement d’ordre intérieur de la commission des sanctions dispose que les parties et le comité de direction peuvent, dans les vingt jours suivant l’audition, déposer un mémoire complémentaire. Le second alinéa de l’article précité prévoit que si le comité de direction formule des observations écrites, celles-ci sont transmises aux parties concernées, qui disposent alors d’un délai de vingt jours, non renouvelable, pour y réagir. Ces droits de réponse concernent ce qui a été dit et discuté lors de l’audition. C'est la raison pour laquelle le règlement d’ordre intérieur confère aux parties et au comité de direction des droits analogues. Cependant, le mémoire complémentaire déposé par le comité de direction à la suite de l'audition ne contenait pas d'éléments de fait nouveaux ou de moyens non allégués lors de l’audition, de sorte que les parties n'ont pas pu être surprises par le délai de vingt jours qui leur était octroyé pour y répondre. Par ailleurs, la commission des sanctions a été particulièrement attentive au principe de l'égalité des armes lors de l'audition des parties, en l'étalant à la demande des parties sur quatre journées espacées dans le temps, afin qu'elles disposent de plus de temps pour préparer leurs répliques » (considérants 22 et 23 de la Décision). 208. « Le droit à l’égalité des armes (« equality of arms », « recht op wapengelijheid », « waffengleichheit », tel qu’il est conçu actuellement en tant que « juste équilibre entre les parties au procès », est un principe général du droit contenu dans la notion plus large du droit à un procès équitable ». Il est garanti par des nombreuses dispositions internationales. Tant devant le juge civil que devant le juge pénal « chacune des parties doit être mesure de contredire tous les arguments ou moyens soulevés par les autres parties, de contester, de Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 85 n° manière équivalente, les preuves apportées et de soumettre au juge tous les éléments qu’elle juge pertinents ou utiles dans le débat »88. 209. Il n’implique toutefois pas que « la bataille juridique » soit totalement égale ; il faut rechercher « l’occasion équivalente pur chacune des parties d’invoquer ses propres arguments et de contester ceux de la partie adverse, sans que cela doive par ailleurs impliquer que – par exemple – le temps de parole alloué à chaque partie soit le même ». La Cour constitutionnelle admet que la différence de délai pour interjeter appel, celui du ministère public étant plus long que celui de l’inculpé, repose sur un critère objectif : le premier accomplit, dans l’intérêt de la société, les missions de service public relatives à la recherche et à la poursuite des infractions, le second défend son intérêt personnel : « Le fait que le ministère public près le tribunal ou la cour qui doit connaître de l’appel dispose, pour interjeter appel, d’un délai plus long que le prévenu se justifie par l’effet dévolutif de l’appel : étant donné que la saisine du juge d’appel est limitée aux dispositions du jugement a quoi qui sont attaquées et que l’appel du seul prévenu ne peut en principe porter que sur ses propres intérêts et ne peut lui causer aucun préjudice, il se recommande que le ministère public – qui défend l’intérêt de la collectivité – puisse le cas échéant d’abord prendre connaissance de l’étendue de l’appel des parties (…)- pour pouvoir déterminer ensuite s’il y a lieu de soumettre à nouveau l’ensemble de l’action publique à l’appréciation du juge »89. Le parallélisme des délais de recours n’est donc pas absolu et d’une manière générale une différence peut être faite entre l’instance qui poursuit la défense de l’intérêt général et celle qui veille uniquement à la protection de ses intérêts personnels. 210. En l’espèce, ce sont les délais dans lesquels le comité de direction de la FSMA a établi son mémoire qui sont critiqués : alors qu’il fallut plus de sept mois au comité de direction (du 31 août 2011 au 2 avril 2012), pour examiner les conclusions de l’auditeur (environ 170 pages) et tracer son mémoire de 341 pages -, un délai strict de 20 jours fut imparti à MM. Votron et Mittler pour répondre à ce mémoire. Cette disproportion n’est pas justifiée par des faits concrets, ni par le rôle du comité de direction dans la mesure où il peut être comparé à celui du Ministère public. 88 Mercuriale de M. le procureur général de la Cour de Cassation, Patrick Duinslaeger près la Cour de cassation du 2 septembre 2015, www.juridat.be, p. 1 et ss. 89 Cour constitutionnelle, 14 juillet 1997, n° 979, sur le site www.coursonstitutionnelle.be. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 86 n° Elle n’a pas non plus été compensée par l’expression orale des moyens et observations du comité de direction lors des audiences de novembre et décembre 2012. Une argumentation orale ne se prête pas à un examen critique aussi approfondi et précis qu’un écrit et M. Mittler rappelle, sans être utilement contredit, que le comité de direction a refusé de transmettre les notes écrites sur lesquelles s’appuyaient ses observations orales (conclusions de M. Mittler, page 90). 211. Cependant, M. Votron ne se plaint pas d’un délai trop court qui l’aurait empêché de faire valoir sa défense « de manière appropriée et sans restriction » comme l’exige la Cour européenne. Il dénonce un délai trop long laissé au comité de direction. Il prétend ainsi que « si la FSMA avait répondu avec la même célérité que celle imposée à M. Votron – c’est-à-dire dans les 20 jours – aux observations de M. Votron déposées le 10 août 2012, la cause aurait encore pu être entendue dans un délai raisonnable nonobstant la passivité totale de la FSMA entre le 30 novembre 2010 et le 12 avril 2012 ». Le préjudice invoqué par M. Votron se confond donc avec celui qu’il invoque du chef de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Or, la cour a décidé que le délai de la procédure n’était pas manifestement déraisonnable. 212. Quant à M. Mittler, il invoque la disproportion des délais pour l’échange des mémoires mais il ne soutient pas et ne démontre pas in concreto qu’à cause de ce déséquilibre, ses droits de la défense seraient irrémédiablement atteints. IV.2.7. L’exception tirée de la violation de la présomption d’innocence 213. Ageas a excipé devant la commission des sanctions de la violation de ce principe mais elle ne l’invoque plus devant la cour. Les répliques de la FSMA dans ses conclusions (pages 263 à 266) sont sans objet. 214. Par contre, M. Votron maintient l’exception ; selon lui, il ne bénéficierait plus de la présomption d’innocence « en raison de la déclaration de culpabilité contenue dans les décisions (rendues aux Pays-Bas) qui sont maintenant expressément utilisées contre lui dans la présente procédure. En effet, les décisions de l’AFM des 5 février 2010 et 23 juillet 2010, le Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 87 n° jugement du tribunal de Rotterdam du 4 mai 2011 et plus récemment l’arrêt du Collège van Beroep du 4 mars 2014 contiennent des déclarations de culpabilité à l’égard de M. Votron qui violent manifestement la présomption d’innocence dont ce dernier doit bénéficier dans la présente procédure », puisque ces décisions concluent dans leur motivation « clairement » à la culpabilité de M. Votron en sa qualité de CEO du groupe, alors que M. Votron n’était pas partie à ces procédures et n’a pu faire valoir ses droits. Il y aurait dès lors lieu de conclure à l’irrecevabilité des poursuites « dans la mesure où l’atteinte portée à sa présomption d’innocence fausse nécessairement l’orientation générale du présent procès et empêche, dès lors, la tenue d’un procès équitable. Il est en effet clair que les déclarations précitées préjugent de l’appréciation des faits qui sera faite par votre cour, indépendamment de son impartialité intrinsèque ». 215. M. Votron paraît considérer que la cour serait nécessairement influencée par les constatations des instances hollandaises. Il ne fait toutefois valoir aucun élément objectif à l’appui de cette supposition qui demeure à l’état d’hypothèse infondée, la cour procédant à un nouvel examen de la cause sans a priori. 216. Par ailleurs, à supposer que la présomption d’innocence de M. Votron ait été méconnue aux Pays-Bas, par des instances qui se seraient prononcées sur sa culpabilité alors qu’il n’était pas partie à ces procédures et n’a pu se défendre – M Votron n’indique pas comment cette atteinte rendrait irrecevables les poursuites mues, en Belgique, par la FSMA à son encontre. IV.2.8. L’exception tirée de la violation du droit au silence et la demande d’écartement de pièces 217. Ageas a renoncé à cette demande et il en a été pris acte par la cour. _________________________________________ Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 V. 88 n° AU FOND V.1. Observations préliminaires relatives l’article 25, §1er 4° de la loi du 2002 août 218. L’article 25, §1er, 4°, de la Loi90 interdit toute personne de diffuser des informations ou des rumeurs, par l'intermédiaire des médias, via l'Internet ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers, alors qu'elle savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses (…) ». 219. L’article 25, §1er, 4°, s’adresse «toute personne», physique ou morale, et non pas seulement l’émetteur de l’instrument financier concerné 91 220. Trois conditions sont requises - la diffusion d’informations ou de rumeurs des informations ou des rumeurs qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’instrument financier alors que la personne qui diffuse ces informations sait ou doit savoir qu’elles sont fausses ou trompeuses. 221. La réalisation de la première condition 90 la diffusion », n’est en l’espèce pas discutée. Cette loi participe de la transposition en droit national de la directive 2003/06/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations du marché ainsi qu’à celle de la directive 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/06/CE en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché. 91 la Directive Abus de Marché vise les membres des organes d’administration, de gestion ou de surveillance de l’émetteur, les personnes qui détiennent une participation dans le capital de l’émetteur, celles qui ont accès l’information du fait de leur travail, profession, fonctions ou encore celles qui mènent une activité criminelle. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 89 n° 222. En ce qui concerne la deuxième condition les informations ou rumeurs doivent donner ou être susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’instrument financier. 1° Il faut une information ou une rumeur. Comme on le lira dans les extraits de la Décision cités dans la suite de l’arrêt, la Décision critique les communications litigieuses, non pas pour ce qu’elles expriment mais pour ce qu’elles ne disent pas. La FSMA se prévaut d’un avis du CESR. Selon elle, cet avis permettrait de considérer que l’absence de communication sur une information privilégiée ou autre, devrait être sanctionnée sur pied de l’article 25 susdit (n° 775 de ses conclusions). Cette analyse permettrait donc également d’incriminer, sur la base de cette disposition, le silence conservé sur des faits, tant par Ageas que par ses porte-parole, dès lors qu’en raison de ce silence, la communication donnée serait trompeuse. Cependant, le législateur belge distingué l’abus de marché résultant de la diffusion d’information fausse ou trompeuse de la non-diffusion d’une information privilégiée qui repose, pour sa part, uniquement sur l’émetteur de l’instrument financier en cause et est réprimée par l’article 10 de la Loi Dès lors, l’égard de MM. Votron et Mittler cette approche ne peut être suivie car, en ce qu’elle concernerait des informations privilégiées, elle reviendrait faire peser sur eux, contra legem une obligation qui incombait uniquement Fortis. Pour les informations qui n’auraient pas eu le caractère d’information privilégiée, il en va fortiori de même, leur non diffusion n’étant incriminée ni par l’article 10, ni par l’article 25 de la Loi. 2° Il faut que l’information soit susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses. Le vocable susceptible indique que l’infraction de manipulation de cours par la diffusion d’informations peut être réprimée alors même que l’information n’a pas atteint son but, qu’elle n’a pas induit en erreur ou trompé ses destinataires et qu’elle n’a donc pas eu d’effet concret sur le cours de l’action. 223. Quant la troisième condition elle requiert que la personne qui diffuse les informations sache ou doive savoir, compte tenu des circonstances propres l’espèce, qu’elles sont fausses ou trompeuses. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 90 n° Ni le texte de la disposition en cause, ni les travaux préparatoires très explicites ce sujet 92 ne permettent de se référer, fût-ce par analogie, l’article 499 du Code pénal et d’exiger des manœuvres frauduleuses (ruses, artifices ou mensonges). De telles manœuvres sont réprimées pénalement par l’article 39 de la Loi, qui vise ceux qui, par des moyens frauduleux quelconques ont (…) diffusé ou tenté de diffuser des informations ou des rumeurs, qui 1° donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier au sens de cette disposition légale; 2° influencent ou sont susceptibles d'influencer de manière artificielle ou anormale l'activité sur le marché, le cours d'un instrument financier, le volume des transactions sur un instrument financier ou le niveau d'un indice de marché au sens de cette disposition légale ». 224. L’article 25, §1er 4°, de la Loi n’exige pas non plus la preuve que la personne incriminée avait conscience de la fausseté ou du caractère trompeur de l’information. Il suffit qu’elle doive le savoir compte tenu des circonstances propres l’espèce et notamment de ses qualifications et connaissances personnelles. Enfin, la Loi ne permet pas la personne poursuivie d’échapper aux poursuites ou une condamnation en démontrant qu’elle poursuivait un but légitime ou qu’elle n’avait pas l’intention de tromper le marché. Cette hypothèse n’est prévue que pour le cas d’abus de marché visé par l’article 25, §1er 2°, parce que pour ce cas, seul le fait matériel doit être établi par l’autorité (alors que dans le cas présent une connaissance effective ou présumée est également requise), de sorte que la possibilité doit être réservée l’intéressé de démontrer qu’il était mû par des raisons légitimes93 En revanche, au regard de l’imputabilité et des sanctions, la personne poursuivie peut invoquer des causes de justification (voir ci-après, l’erreur invincible invoquée par M. Votron) ou solliciter la suspension ou le sursis. V.2. Examen des communications V.2.1. L’Investor Day du 22 mai 2008 A. Communication de M. Votron sur les EC Remedies 225. 92 Exposé des motifs précités, pp. 60 et 61 et p. 76 Voir l’Exposé des motifs précité, p.61 et B. Feron et M.-L. De Leener, « Les nouvelles règles en matière d’abus de marché, R.P.S, 2006, p.403. 93 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 91 n° Lors de cette manifestation organisée par Fortis l’attention des investisseurs, M. Votron s’exprime sur le processus de vente des EC Remedies et sur la solvabilité de Fortis. 226. Le 22 mai 2008, le slide intitulé Solid progress on the EC Remedies qu’il présente/commente mentionne que des discussions sont en cours avec des acquéreurs potentiels », que FORTIS est en mesure de conclure la vente pour le délai prévu et il déclare Ce que je puis vous dire ce jour, c’est que nous sommes sur la bonne voie et que nous allons effectuer ces remedies l’échéance fixée la mi-octobre 2008. Jusqu’à présent, les clients et le personnel ont été informés des offres contraignantes ont été reçues et des discussions avec des acquéreurs potentiels sont en cours. Donc je peux dire que cela progresse bien et comme vous le savez il s’agit d’une condition sine qua non pour la poursuite des étapes d’intégration. Donc je suis l’aise avec le processus en cours ». Aucune indication chiffrée de l’impact des conditions offertes par la Deutsche Bank sur la solvabilité de FORTIS n’est communiquée. 227. Selon la commission des sanctions, (…) la date du 22 mai 2008, M. Votron savait que la vente des EC Remedies se ferait des conditions très défavorables pour Fortis. Cette information avait acquis le caractère d'information privilégiée trois jours auparavant, soit le 19 mai 2008 lorsqu'elle fut communiquée aux membres de l'ERCC, dont M.Votron. Lors de la réunion de l'ExCo du 20 mai 2008, la décision d'engager des négociations exclusives avec Deutsche Bank sur la base des conditions posées par cette dernière fut d'ailleurs confirmée. Le processus de vente des EC Remedies ne se déroulait pas du tout conformément aux attentes de Fortis. Pourtant, les déclarations de M. Votron le 22 mai confirment que le processus de vente des EC Remedies suivait parfaitement son cours ». Elle ajoute Aucune indication ne fut donnée quant l'incidence négative que les conditions de la vente pourraient avoir sur la solvabilité de Fortis. En affirmant, lors de l'Investor Day, que des discussions étaient en cours avec plusieurs candidats acheteurs et en communiquant de manière non détaillée mais exclusivement positive sur le dossier des EC Remedies, sans donner aucune indication sur l'incidence que pourraient avoir les conditions négociées sur les estimations de solvabilité de Fortis, la commission des sanctions estime que M. Votron donné des indications fausses ou tout le moins trompeuses au marché (considérant 185). 228. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 92 n° M. Votron ne peut pas déclarer, sans trahir les faits, que des discussions sont en cours avec des acheteurs potentiels et que des offres contraignantes ont été reçues ». En effet, comme on l’a vu dans l’exposé des faits - la Deutsche Bank émis le 22 avril 2008 une offre liante - c’est l’unique offre liante que recevra Fortis; - c’est aussi l’unique offre que Fortis peut prendre en considération. Certes, le 11 avril 2008, NIBC Flowers émis une offre non liante mais Fortis n’y réservé aucune suite sérieuse. Par un courrier du 16 mai 2008, NIBC Flowers le constate en écrivant Pour ton information, nous avons fait savoir ML (Maurice Lippens) que nous souhaitons aller sérieusement de l’avant, si nous recevons un signal clair du conseil d’administration de Fortis que nous sommes pris au sérieux. Propose que Mittler appelle Ravi (pièce 43.5 de la FSMA)94 Aucun signal clair ne sera donné et aucune négociation sérieuse entamée, sans doute parce que, comme l’écrit, le 20 mai, un responsable de Fortis, NIBC Flowers ne sera probablement pas accepté par la Commission européenne - le mai 2008, M. Votron indique en interne qu’il faut négocier avec la Royal Bank of Scotland et Santander (pièce 22 bis de son dossier) mais le même jour, un avocat de Fortis lui signale que ce projet nécessiterait d’énormes efforts pour convaincre la Commission que c’est acceptable, avec un énorme risque que Fortis échoue (pièce 41.1.25 de la FSMA) 95 ; - le 19 mai 2008, l’ERCC, auquel M. Votron participe, décide de recommander au conseil d’administration de conclure un accord avec la Deutsche Bank et charge le département compétent d’aller de l’avant. M. Votron insiste sur la nécessité de susciter d’autres candidatures, mais ce, pour le cas où les négociations avec Deutsche Bank échoueraient et le 20 mai 2008, l’ExCo décide d’engager des négociations exclusives avec la Deutsche Bank - un délai strict est imposé par la Commission européenne et c’est donc en sachant que le temps presse que les négociations exclusives sont décidées. Le 22 mai 2008, un seul candidat est jugé sérieux par Fortis (et sans doute par la Commission européenne), une seule offre liante existe et Fortis décidé de mener des 94 traduction de la FSMA. L’avocat précise « que le transfert des activités à RBS ou Santander ne pourrait être considéré que comme une situation provisoire nécessitant que Fortis garantisse que RBS ou Santander puisse revendre ensuite ces activités à un tiers ». 95 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 93 n° négociations exclusives avec ce candidat. Même si l’exclusivité est consentie pour éviter qu’il ne lui échappe, avec le secret espoir d’en trouver d’autres, il n’existe alors aucune autre perspective concrète en ce sens. 229. Par contre, contrairement ce qu’indique la FSMA, M. Votron ne tient pas des propos inexacts lorsqu’il indique que FORTIS est en mesure de conclure la vente pour le délai prévu et Ce que je puis vous dire ce jour, c’est que nous sommes sur la bonne voie et que nous allons effectuer ces remedies l’échéance fixée la mi-octobre 2008 et cela progresse bien et comme vous le savez il s’agit d’une condition sine qua non pour la poursuite des étapes d’intégration ». Ces informations n’ont trait qu’au respect de l’échéance fixée par la Commission européenne et sont confirmées par la lettre d’exclusivité de Fortis la Deutsche Bank selon laquelle «Fortis et Deutsche Bank conviennent que la base de leur entrée en période d’exclusivité (telle que définie ci-dessous) est constituée par (i) l’offre contraignante telle que fournie par Deutsche Bank Fortis le 22 avril 2008 relative la Transaction Proposée et (ii) les documents de la transaction adaptés (i.e. la Convention de Cession d’Actions (le SPA »)) et le Contrat de Services de Transition (le TSA ») tels que fournis par Fortis Deutsche Bank le 20 mai 2008 ou peu après cette date.» Toujours selon ce courrier, Fortis et Deutsche Bank négocieront aussi rapidement que possible et de bonne foi la Convention de Cession d’Actions (en ce compris les termes du ‘credit umbrella’) et le Contrat de Services de Transition afin d’arriver un accord final pour le juin 2008 au plus tard (…) Sous l’angle du timing des négociations, l’information n’est pas contraire la vérité et manifestement, Fortis est très attentive respecter le délai imposé par la Commission européenne, même s’il l’affaiblit dans les négociations. 230. Par ailleurs, il ne peut être reproché M. Votron de n’avoir pas informé le marché de l’impact négatif significatif de la vente la Deutsche Bank sur la solvabilité de Fortis et ce alors que cet impact négatif et significatif est confirmé lors de l’ERCC du 19 mai 2008 (n° 938 des conclusions de la FSMA) ou d’avoir confirmé que le processus de vente des EC Remedies suivait parfaitement son cours. Aucune indication ne fut donnée quant l'incidence négative que les conditions de la vente pourraient avoir sur la solvabilité de Fortis au motif que ce silence participe d’une information fausse ou trompeuse car il porte sur une information privilégiée portant sur des questions essentielles pour le marché depuis la décision de l’ExCo du 20 mai 2008 (nos 950 et 953 des conclusions de la FSMA). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 94 n° Si, comme l’ont considéré la FSMA et l’autorité néerlandaise du marché, cet impact constitue une information privilégiée, l’obligation de la diffuser pèse alors uniquement sur Fortis par l’effet de l’article 10 de la Loi, ainsi que la cour l’a relevé dans les observations préliminaires qui précèdent. 231. La communication du 22 mai 2008 relative aux EC Remedies », n’est donc critiquable au regard de l’article 25, §1er,4°, de la Loi que dans la mesure retenue par la cour sous le n° 228 qui précède. Il est vainement soutenu que ces informations inexactes n’étaient pas susceptibles d’influer sur le cours de l’action Fortis et que le marché n’était intéressé que par le respect du timing. Si tel avait été le cas, M. Mittler n’aurait pas éprouvé de grandes inquiétudes face l’offre de la Deutsche Bank (voir ci-dessus, n° 32) et les raisons pour lesquelles M. Votron diffusé des informations manifestement contraires la vérité demeureraient obscures. En revanche, elles s’éclairent si l’on admet qu’il s’agissait de faire croire aux investisseurs que Fortis négocie dans les délais et conserve la maîtrise des négociations en disposant d’un choix entre des acquéreurs potentiels. B. Communications de M. Mittler sur les prévisions de solvabilité 232. La commission des sanctions reproche M. Mittler ses propos relatifs la solvabilité.96 Il déclare que la solvabilité est conforme aux prévisions FORTIS conserve de solides ratios de capital pro-forma look-through FORTIS reste sur la bonne voie pour atteindre [ses] objectifs de solvabilité look-through fin 2009 (…) et va continuer de renforcer [son] mélange de capital et de solvabilité par la mise en œuvre du plan restant, savoir générer et retenir des bénéfices importants, 96 M. Votron déclaré (…) en ce qui concerne la solvabilité, nos capitaux propres continuent d’être supérieurs aux objectifs et nous sommes sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs [en terme] de capital pour 2009. D’un point de vue prospectif, j’aimerais souligner le succès de nos divers nouveaux instruments de financement et encore la seule chose que je peux dire est que nous sommes très confiants dans la concrétisation de nos plans, (nous sommes) absolument sur la bonne voie pour concrétiser les plans que nous vous avons montrés précédemment. Je suis certain qu’à la fin de cette journée vous serez également confiants propos de cette réalisation (…) En ce qui concerne notre solvabilité, nos capitaux propres continuent être supérieurs notre objectif et nous sommes sur la voie pour atteindre nos objectifs en termes de capital pour 2009 »96 (pièce 12.6. de la FSMA). Cependant, la Décision entreprise ne les sanctionnées qu’à l’encontre d’Ageas et c’est également en ce sens que la FSMA conclu devant la cour. La cour n’examinera donc pas si cette déclaration est constitutive de violation de l’article 25, §2, 4°, de la loi du août 2002 dans le chef de M. Votron. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 95 n° des ventes sélectives d’actifs ou la mise en place de joint-ventures, la levée d’instruments de capitaux non dilutifs, l’exécution de transactions réduisant les besoins en capital et une croissance contrôlée du capital réglementaire»; en conclusion, la solvabilité de FORTIS reste forte grâce l’exécution réussie de notre plan de gestion de capital initial (pièce 130 d’Ageas). Commentant l’évolution du plan de solvabilité et les estimations de solvabilité de FORTIS, il ajoute Dernier point, mais non le moindre, Mesdames et Messieurs, quelques mots sur notre position [en terme] de solvabilité. Comme vous le savez, nous avons un surplus de solvabilité de 5.5 milliards la fin de mars 2008. Ce surplus va graduellement se réduire au fur et mesure que les activités d’ABN Amro seront transférées et entièrement consolidées dans les comptes de FORTIS. Ceci se déroulera pendant 2008 mais l’essentiel aura lieu dans la deuxième moitié de 2009. Actuellement, sur une base pro forma look through en prenant en considération les jointventures que nous avons annoncées entre Vinci et Interparking et entre FORTIS Investments et Ping An nous avons un ratio de fonds propres, nous aurions un ratio de fonds propres de 5,3% ce jour, pas très éloigné donc de notre objectif de 6% et ceci d’ailleurs ne prend pas en compte un nombre d’éléments comme, par exemple, le lancement d’un hybride non-innovant que nous avons commencé la semaine passée le NITSH II ou et ceci est encore plus important l’impact de Bâle II sur notre capital en fait une réduction de milliards sur notre capital réglementaire. C’est pour cette raison que nous restons sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs de solvabilité look-through fin 2009. Comme je l’ai dit de nombreuses fois des réunions, nous continuerons de renforcer notre mélange de capital et de solvabilité par la mise en œuvre du plan restant, savoir générer et retenir des bénéfices importants, des cessions sélectives d’actifs ou la mise en place de joint-ventures, l’émission d’instruments de capitaux non dilutifs, l’exécution de transactions de renforcement du capital et une croissance contrôlée du capital réglementaire. Alors Mesdames et Messieurs, j’aimerais vous laisser avec quatre messages Message n° l’acquisition des activités ABN Amro et par ailleurs également FORTIS dans son ensemble ont montré une très forte résistance dans des circonstances de marché difficiles. 2° Nous avons mis en place un cadre de reporting vous permettant d’évaluer la performance sous-jacente du nouveau FORTIS, en scindant toujours ABN et FORTIS et qui indique également la réalisation des synergies des coûts et des revenus. 3° Ayant finalisé le plan détaillé d’intégration, nous confirmons les coûts de l’intégration et des synergies pour 2010. Et finalement, notre position [en terme] de solvabilité reste forte grâce l’exécution réussie de notre plan initial de gestion de capital et soyez rassurés, ceci est une priorité l’ordre du Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 96 n° jour pas seulement pour la personne en charge des finances mais du comité exécutif de notre société dans sa totalité. (…) nous restons sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs de solvabilité look-through fin 2009. Comme je l’ai déjà dit lors de nombreuses réunions, nous continuerons renforcer notre mélange de capital et de solvabilité par la mise en œuvre du restant du plan, savoir générer et retenir des bénéfices importants, des ventes sélectives d’actifs ou la mise en place de joint-ventures, l’émission d’instruments de capitaux non dilutifs, l’exécution de transactions réduisant nos besoins en capital et une croissance contrôlée du capital réglementaire. (pièce 12.6 de la FSMA et traduction libre de la FSMA).97 Le slide qui accompagne la présentation de M. Mittler contient une nouveauté par rapport celui du 13 mai 2008 l’ajout d’une référence aux placements NITSH. 97 Traduction de : « Last but not least, ladies and gentlemen, a few words on our solvency position. As you know,; at the end of March 2008, we have à 5,5 billion solvency surplus. This surplus will gradually decrease as the acquired ANB AMRO activities will be transferred and fully consolidated in the accounts of FORTIS. This will happen during 2008 but the bulk will be in the second half of 2009. Now on a pro forma look-through basis, we have – also taking into account the joint-ventures that we announced between Vinci and Interparking and between FORTIS Investments and Ping An – we have a core equity ratio, we would have o core equity ratio today of 5.3 %, not so that far away from our target of 6% and this by the way doesn’t take into account a number of elements for example the launch of the non- innovative hybrid that we started last week – the Nitsh II – or – and that is even more important – the impact of Basel II on our capital in fact a reduction of 2 billion in our required capital. That’s the reason why we remain on track to meet our look through solvency targets end of 2009. And a I sais already in many meetings we will continue to further reinforce our solvency and capital mix also by implementing the remaining part of the plan, being strong earnings generation and retention, selective sales of sets or set-up of joint-ventures, raising of non-dilutive capital instruments, execution of capital relief transactions and a controlled growth of the capital requirements. So, Ladies and Gentleman, I would like to leave with you four messages :Message nr 1 : the acquired ABN Amro activities and by the way also FORTIS as a whole have shown a very strong resilience in difficult market circumstances. 2 We have put in place a reporting framework which will allow you to assess the underlying performance of the new FORTIS, still making a split between ANB and FORTIS and also showing the realisation of the cost and revenue synergies. 3. Having finalised the detailed integration plan, we confirm the 2010 synergies and also the integration costs. And finally, our solvency position remains strong thanks to the successful execution of our initial capital management plan and be reassured this is at the top of the agenda not only of the person in charge of finance but of the full executive committee for our company’”. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 2. 97 n° Présentation de M. Mittler du 22 mai 2008 3. 233. La Décision relève que, dans son exposé, accompagné de slides consacré la solvabilité look through M. Mittler affirme que Fortis est sur la bonne voie on track » nous restons sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs de solvabilité look—through fin 2009 et encore notre position de solvabilité demeure forte grâce l’exécution réussie de notre plan initial de gestion de capital »98 . Or, selon la commission des sanctions, la date du 22 mai 2008, MM. Votron et Mittler savaient que même après l’exécution réussie du plan de solvabilité initial, Fortis aurait besoin de mesures additionnelles pour combler le déficit restant estimé alors 1.8 Mia EUR et se remettre sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs. Cette information avait acquis le caractère d'information privilégiée trois jours auparavant, soit le 19 mai 2008 lorsqu'elle avait été communiquée aux membres de l'ERCC, dont MM. Votron et Mittler. Le 19 mai, trois pistes avaient d'ailleurs déjà été évoquées l'ERCC pour renforcer la 98 Traduction de: "(...) we remain on track to meet our look-through solvency targets end of 2009" et "our solvency position remains strong thanks to the successful execution of our initial capital management plan" Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 98 n° solvabilité: une augmentation du capital, des désinvestissements et une adaptation de la politique de dividendes (…) le 22 mai 2008, le gap "avant mesures prévues, mais non encore annoncées" n'était plus de -3 Mia EUR, mais bien -4,9 Mia EUR et ce, dans un base case scenario. La commission des sanctions constate donc bien un gap de -1,9 Mia (en base case) non communiqué au public le 22 mai. En indiquant au marché que Fortis est "on target", M. Mittler donc communiqué une information fausse ou tout le moins trompeusE» (considérant n° 186). 234. La cour constate également que - lors de la publication en mars 2008 des résultats annuels fin 2007, Fortis annonce un déficit prévisionnel fin 2009 de -1,6 milliard avant implémentation des mesures de capitalisation prévues et un matelas de +2,5 milliards après leur mise en œuvre en Bâle - lors de l’ExCo des 10 et 11 avril 2008, un matelas prévisionnel existe toujours fin 2009 mais il est réduit +1,3 milliard en Bâle en Bâle II, il est évalué 2,8 milliards mais voir ci-après propos de la référence ce cadre réglementaire) - le RCC du mai suivant prend acte d’un déficit, qui est évalué fin 2008 8oo millions en base case », Bâle I, après l’implémentation des mesures décidées et pour autant qu’elles produisent le bénéfice escompté (soit un déficit avant implémentation des mesures de capitalisation de 4,3 milliards). En outre, selon des documents qui circulent cette réunion (« liquidity, solvency funding report ») si les conditions du stress test se présentent, le plan de solvabilité accéléré devra être mis en œuvre pour rendre le niveau des fonds propres plus proches de l’objectifs. Les conditions principales du stress test supposent une nouvelle baisse des fonds propres, une croissance plus importante du RWC (risk weighted capital un bénéfice plus faible que prévus des désinvestissements et une réduction des nouvelles émissions de capital en raison des circonstances du marché Or, le mai précédent, le déficit en «stress case fin 2009 est évalué 4,8 milliards après implémentation des mesures de capitalisation, et 5,1 milliards avant cette implémentation (pièce 8.82 de la FSMA) - le 13 mai, lors de la présentation des résultats du premier trimestre 08, Fortis annonce un déficit en base case fin 2009 de milliards, avant mise en œuvre de mesures non dilutives, mais il déclare maintenir son objectif fin 2009 - une estimation de M. Mittler du 16 mai fixe le déficit fin 2008 -1,1 milliard en base case après implémentation des mesures; le déficit prévu en base case s’est donc creusé depuis le mai précédent; Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 99 n° - dans une présentation du 19 mai l’ERCC, M. Mittler chiffre le déficit en base case fin 2009 à 4,9 milliards avant implémentation et entre 1,5 milliard et 1,8 milliard après implémentation des mesures prévues. Il considère que Fortis pourrait être capable d’atteindre une solvabilité «proche de l’objectif moyennant, d’une part, l’exécution satisfaisante des désinvestissements prévus, des placements de capitaux et la maitrise des actifs pondérés du risque et d’autre part, des mesures complémentaires car Même après l’exécution réussie des cessions planifiées des émissions de capital et une croissance contenue des besoins de capitaux, Fortis besoin de mesures additionnelles pour combler le déficit restant de 1,8 milliard d’euros pour revenir sur la bonne voie ». Bien plus, il envisage la possibilité que des conditions de stress interviennent en indiquant qu’en ce cas un plan d’urgence va devoir être mis en place »99 le déficit étant évalué 6,6 milliards en stress case (Bâle I); - l’ERCC du 19 mai prend acte d’un déficit prévu en base case fin 2009 de -1,5 milliard 1,8 milliard, après implémentation satisfaisante des mesures et de 4,9 milliards avant implémentation. L’ERCC ne discute pas de nouvelles actions additionnelles non dilutives. Par ailleurs, un déficit de 6,6 milliards est prévu en stress case (voir les capital liquidity dashboard », pièce 12.7 de la FSMA voir également pièce 78 d’AGEAS). Visiblement alarmé, l’ERCC décide que le plan d’urgence envisagé par M. Mittler doit être développé sur trois axes une augmentation de capital, des désinvestissements et l’adaptation de la politique de dividendes. Il considère que la situation de stress doit être envisagée. 235. L’hypothèse d’un stress case », avec la mise en œuvre d’un plan destiné répondre une situation d’urgence, et tout le moins l’hypothèse d’une capitalisation insuffisante en dépit des mesures prévues, devient de plus en plus probable dès le 19 mai 2008 car (i) les estimations de solvabilité sont des plus alarmantes, (ii) selon M. Mittler, les prévisions initiales en base case ne pourraient être atteintes que si toutes les mesures prévues se réalisaient de manière satisfaisante et encore, moyennant des mesures additionnelles, (iii) cependant la réalisation satisfaisante est déjà largement compromise pour les EC Remedies et l’émission des NITSH (voir ci-dessus, n° 62). Ainsi, les perspectives de vente des EC Remedies de plus en plus concrètes -, s’avèrent très éloignées des prévisions initiales qui prévoient un impact positif sur la solvabilité de 400 millions, alors que (i) l’offre liante de la Deutsche Bank génère un impact négatif de 300 400 millions au lieu d’un impact positif de 400 millions, (ii) que le 22 mai 2008, un seul candidat est jugé sérieux par Fortis (et sans doute par la 99 Traduction proposée par la FSMA et non contestée. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 100 Commission européenne), qu’une seule offre liante existe et que Fortis mener des négociations exclusives avec ce candidat et enfin, (iii) que n° décidé de - dès le mai 2008, M. Mittler s’alarme des effets très négatifs de cette offre sur la solvabilité de Fortis - le 18 mai, un membre de Fortis confirme que l’offre de la Deutsche Bank est prendre ou laisser et recommande néanmoins de l’accepter - le 19 mai, l’ERCC constate la dégradation des estimations de solvabilité des conditions posées par la Deutsche Bank. cause Par ailleurs, le placement de l’instrument de placement NISTH II s’avère décevant. Tandis que le RCC du mai 2008 recommande ce nouvel instrument de placement au conseil d’administration dans le but précis de renforcer la solvabilité de Fortis et qu’il espère en retirer un milliard, dès le 20 mai 2008 M. Mittler informe les membres de l’ExCo que les résultats sont en-deçà des attentes (pièce 2.77 de la FSMA). la clôture de l’émission le 23 mai 2008, le résultat définitif de cet instrument sera de 625 millions. 236. Dans ces circonstances, M. Mittler qui connait ces faits ne peut affirmer, le 22 mai 2008, que La solvabilité de Fortis reste forte grâce l’exécution réussie de notre plan de gestion de capital initial avec un slide intitulé Fortis conserve de solides ratios de capital pro-forma look through ». 237. L’objection de M. Mittler, selon laquelle il ne serait alors question que de la solvabilité actuelle, n’est pas admissible. En effet, le slide de sa présentation fait état de solides ratios pro-forma look through ». Par ailleurs, l’évocation de l’exécution réussie du plan de gestion de capital se réfère aux prévisions fin 2008, voire fin 2009, puisque ce plan été arrêté pour répondre aux besoins de solvabilité jusque fin 2009 en raison de l’intégration d’ABN AMRO. M. Mittler parle ainsi de la bonne voie et de la concrétisation de nos plans ». Enfin, et surtout, les communications précédentes de Fortis se placent dans un cadre prévisionnel lorsqu’elles traitent de la solvabilité de Fortis tenter de limiter cette présentation une solvabilité présente ou court terme, est trompeur. Ainsi que le fit observer la commission des sanctions par des motifs que la cour s’approprie, puisque la communication sur la solvabilité était faite en look through, le fait que la solvabilité réelle de Fortis ne soulevait pas de difficultés en mai-juin 2008 ne saurait servir excuser Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 101 n° des communications trompeuses ou inexactes en matière de solvabilité look through. La commission des sanctions estime que Fortis et ses dirigeants ne sauraient tenter aujourd'hui de justifier certains termes rassurants utilisés l'époque pour qualifier sa solvabilité en affirmant que seule sa solvabilité actuelle ou réelle était visée (n° 146 de la Décision) 238. De même, le slide présenté aux investisseurs contient des informations fausses ou trompeuses en ce qu’il annonce le même déficit que celui communiqué le 13 mai 2008 soit un déficit avant mesures (prévues mais non encore annoncées) de milliards en base case fin 2009 alors qu’il est estimé 4,9 milliards Contrairement ce que soutient M. Mittler, il ne ressort pas des pièces du dossier que le déficit de 1,8 milliard en base case », après implémentation réussie des mesures, aurait été compris dans celui annoncé de milliards le premier est l’évaluation du 19 mai, après implémentation des mesures et le second est l’évaluation du 13 mai avant implémentation des mesures (voir ci-dessus et les capital liquidity dashboard du 19 mai 2008 discutés au sein de l’ERCC (pièce 12.7 de la FSMA)). 239. Il résulte encore de l’intervention de M. Mittler (comme d’ailleurs également de l’intitulé de la présentation de M. Votron Maintenir une bonne position de solvabilité conforme aux prévisions- bénéfice additionnel de la mise en œuvre de Bâle II ») que, pour déclarer que Fortis demeure sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs de solvabilité fin 2009, M. Mittler tente de tirer parti des effets positifs potentiels sur le ratios de solvabilité de Fortis que pourrait procurer l’application du cadre réglementaire Bâle II. M. Mittler déclare ainsi actuellement sur une base pro forma look through, en prenant en considération les joint-ventures déjà annoncées (…), nous aurions (à fin 2009) un ratio de fonds propres de 5,3%, pas très éloigné donc de notre objectif de 6% et ceci d’ailleurs ne prend pas en compte un nombre d’éléments comme par exemple le lancement d’un hybride non innovant que nous avons commencé la semaine passée le Nitsh II—ou et ceci est encore plus important l’impact de Bâle II sur notre capital en fait une réduction de milliards du capital réglementaire en ajoutant C’est pour cette raison que nous restons sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs de solvabilité look-through fin 2009 240. Or, M. Mittler sait ou doit nécessairement savoir que la référence au cadre réglementaire Bâle II ne peut justifier ses propos optimistes et rassurants. En effet, jusqu’alors, toutes les prévisions communiquées au marché le sont dans le cadre réglementaire Bâle I, tels que Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 102 n° - le slide de présentation aux analystes du mars 2008 pour commenter les prévisions fin 2009 sur la base des résultats annuels de 2007 - le communiqué de presse édité par Fortis le 13 mai 2008 pour commenter ces résultats, qui indique qu’étant donné le profil de risque modéré des activités d’ABN AMRO acquises, le groupe Fortis maintiendra ses objectifs actuels en termes de capital après l’acquisition d’ABN AMRO, exprimé conformément aux dispositions de Bâle pour la Banque », conformément aux attentes des agences de notation - la présentation desdits résultats trimestriels aux analystes; - le slide qui accompagne la présentation de M. Mittler du 22 mai 2008 241. M. Mittler ne peut raisonnablement croire que Fortis pourrait se prévaloir de l’avantage potentiel de Bâle II sur la solvabilité requise dans son chef, compte tenu de l’attitude sceptique des marchés et des agences de notation ce propos. En effet, le procès-verbal de la réunion de l’ERCC du 27 mai 2008 atteste qu’à cette date les agences de notation n’acceptent pas encore que les prévisions de solvabilité de Fortis soient établies en fonction du cadre réglementaire Bâle II et l’ERCC du 27 mai prend ainsi acte d’un déficit de milliards fin 2009 en base case », Bâle I. Si elles ne l’acceptent pas (encore) le 27 mai 2008, elles ne l’acceptent nécessairement pas le 22 mai précédent. C’est donc au prix d’une confusion et d’une discordance entre, d’une part, le slide (Bâle I) et les communications précédentes basées sur Bâle et, d’autre part, ses propos lors de l’Investor Day visant le Bâle II, et grâce un glissement injustifié entre les prévisions en Bâle et Bâle II que M. Mittler masque le déficit de solvabilité grandissant, conforte ses prévisions optimistes et tente de rassurer le marché. Les analystes ne furent cependant pas dupes sur ce point. Selon un mémorandum interne du 23 mai 2008 résumant leurs réactions après les communications du 22 mai 2008, ils voulurent retenir qu’un ratio de 6% de fonds propres en Bâle demeurait l’objectif de Fortis (pièce 2.119 de la FSMA). 242. Ces informations étant l’évidence susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’action Fortis sont contraires l’article 25, §1er 4° de la Loi pour les motifs retenus par la cour (qui examinera par la suite qui cette violation doit être imputée et si une cause de justification peut être invoquée). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 103 n° 243. Par contre, la Décision reproche tort, M. Mittler de n’avoir pas exprimé dans sa communication du 22 mai 2008 la décision adoptée au sein du ERCC du 19 mai 2008 de mettre en œuvre des mesures complémentaires celles qui étaient déjà prévues, ou de préparer un plan d’urgence. Ainsi qu’il l’a été dit, il n’est pas légalement justifié de reporter sur MM. Votron et Mittler l’obligation qui pesait sur Fortis de communiquer au marché des informations privilégiées. Si Fortis failli cette obligation, ce que la cour n’examinera plus, il ne pourrait être reproché MM. Votron et Mittler de n’en avoir pas pris l’initiative et de ne s’être pas substitués Fortis. V.2.2. Le Financieel Ontbijt du juin 2008 244. Au cours de la conférence "Het Financieel ontbijt" du juin 2008 organisée Utrecht, M. Votron déclare Nous avons travaillé dur la solvabilité et continuons travailler la solvabilité (…) Dans la période la plus récente écoulée vous avez vu que nous sommes venus sur le marché avec des instruments non dilutifs. Ce sont NITSH et NITSH II et cela fonctionne bien aussi Et nous avons notre programme, celui-ci est tout simplement sur la ligne que nous avions définie. Quelques mots sur les chiffres et la solvabilité. J’avais dit que notre premier trimestre était solide Notre solvabilité est conforme au plan Solvabilité, je reçois souvent la question de la solvabilité. Je puis seulement confirmer ce que nous avons toujours dit propos de l’acquisition d’ABN Amro. Nous avons aussi fourni un tableau sur la manière dont nous financerions celle-ci J’ai déjà parlé de l’émission des droits, et ensuite d’autres instruments non dilutifs nous avons fait NITSH et NITSH II, nous travaillons également d’autres plans Nous avons également fait des désinvestissements. Caifor était un exemple. Nous examinons également d’autres options. un certain moment dans nos plans de financement il avait des postes tels que la vente d’actifs. Nous nous en occupons également, conjointement d’ailleurs avec ABN Amro et la titrisation est aujourd’hui clairement un peu plus difficile, mais dès que ce marché rouvrira ce sera également un thème (…) La solvabilité est forte»100 (pièces 52.2.16 de la FSMA) 100 "« We hebben hard gewerkt aan de solvabiliteit en blijven werken aan de solvabiliteit. (…) In de laatste recente periode hebben jullie gezien dat wij met non-dilutive instruments op de markt zijn gekomen. Dat zijn NITSH I en NITSH II en dat loopt ook goed. En wij hebben … ons programma, dat is gewoon op onze gedefinieerde lijn »100; Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 104 n° 245. Les déclarations de M. Votron sont relayées par la presse spécialisée: «Nos chiffres étaient bons au premier trimestre, et [pour ce qui concerne] la solvabilité, nous sommes sur la bonne voie». (Reuters, juin 2008 pièce 2.29 de la FSMA) «Le dirigeant déclare que les affaires tournent bien. ‘Au Benelux, il peu de volatilité’ déclare Votron. L’administrateur déclare que la solvabilité de FORTIS, qui indique dans quelle mesure une entreprise peut faire face ses obligations, est ‘sur la bonne voie’. La solvabilité est forte (pièce 82 de la FSMA). 246. La commission des sanctions lit, dans l’affirmation que la solvabilité de Fortis est "op plan et "sterk", la confirmation que le plan initial de solvabilité de Fortis, annoncé dans le cadre de l'acquisition de ABN Amro et dans les communications du mars et du 13 mai 2008 suivait son cours et permettrait Fortis d'atteindre ses objectifs de solvabilité fin 2009. Elle décide qu’ Au vu des informations disponibles en interne quant la solvabilité et aux mesures complémentaires envisagées, (…) cette déclaration est fausse ou tout le moins trompeuse car il apparaissait clairement en interne, la date du juin, que la solvabilité de Fortis n'était ni "op plan", ni "sterk" et que des mesures complémentaires s'avéreraient au contraire nécessaires pour atteindre les objectifs de solvabilité look through (considérant 210). Certes, elle relève que M. Votron indiqua wij zijn met andere plannen bezig et "wij zijn ook aan andere opties aan het kijken", mais, selon elle, ces déclarations se référent, respectivement, aux émissions de capital non dilutives (de type NITSH II ou NITSH Tap) et aux opérations de cessions en cours, soit des opérations qui étaient déjà envisagées dans le plan de solvabilité initial ces quelques mots de M. Votron ne « Even enkele woorden over cijfers en solvabiliteit. Ik had gezegd dat ons eerste kwartaal sterk was … Ons solvabiliteit is op plan … Solvabiliteit, ik krijg vaak de vraag over solvabiliteit. Ik kan alleen bevestigen wat wij altijd gezegd hebben met de acquisitie van ABN Amro. Wij hebben daar ook een tabel over gegeven hoe dat wij het gingen financieren. Ik sprak eerst over de rights issue, dan andere non-dilutive instrumenten: wij hebben NITSH I en NITSH II gedaan, wij zijn met andere plannen bezig. Wij hebben ook divestitures gedaan. Caifor was een voorbeeld. Wij zijn ook aan andere opties aan het kijken. Op bepaald moment in onze financieringsplannen waren er zulke posten zoals het disposal van assets. Daar zijn wij ook bezig mee, samen trouwens met ABN Amro en securitization is vandaag wat moeilijker, dat is duidelijk, maar zodra dat weer open komt zal dat ook een thema zijn »; « Solvabiliteit is sterk ». Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 105 n° permettaient nullement au marché de comprendre que Fortis envisageait des mesures complémentaires, non prévues dans son plan de solvabilité initial, pour renforcer sa solvabilité look through (considérant 212). 247. La cour déjà rappelé que le 19 mai 2008, l’ERCC estime que des mesures additionnelles étaient nécessaires pour combler le déficit prévu fin 2008 et demande l’élaboration d’un Solvency Contingency plan pour rencontrer l’hypothèse d’un stress case ». Conformément cette demande, MM. Mittler et Machenil rédigent le 27 mai 2008 un projet de mémorandum intitulé Solvency Contigency plan (pièce 2.101 de la FSMA), projet qui est remanié et qui propose l’ERCC une série de mesures et la FSMA invoque ce document pour apprécier la communication en cause (voir ci-dessus, exposé des faits, n° 62). Il n’y cependant pas lieu de le prendre en considération pour apprécier l’état des connaissances de M. Votron lors de son intervention, la Décision ayant admis qu’il n’en avait alors pas encore connaissance (n° 205 de la Décision). 248. En revanche, M. Votron connaissance, avant son intervention, d’un mail de M. Mittler du juin 2008 (pièce 2.120 de la FSMA), lui annonçant l'envoi d’un mémorandum et confirmant l’existence d’un déficit dans les estimations de solvabilité et la nécessité de mettre en œuvre des mesures complémentaires pour remédier: Jean Paul, Tu vas très probablement recevoir aujourd’hui un memo résumant pour l’ERCC notre position en termes de solvabilité. Comme je serai au Danemark aujourd’hui et que je prends l’avion de retour demain, n’hésite pas demander Lars ou Geert de t’expliquer la situation si tu as des questions. Ce document expliquera pourquoi nous avons un gap et comment nous proposons de le combler fin 2009. Les éléments clés sont 1) On doit PRODUIRE ce sur quoi nous nous sommes déjà mis d’accord Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 106 n° Croissance limitée (si nous avons besoin d’une croissance RWA101 dans certaines régions particulières Asie et NL nous ferions mieux de couper dans d’autres régions US pour compenser) Titres non dilutifs. On doit placer milliards supplémentaires 2) Nouvelles mesures Réduction des besoins en capital par le biais de titrisation. Garantie Financière et Vente/couverture du portefeuille de Crédits Structurés. (Et autre portefeuille) Mesures semi-dilutives. J’aimerais émettre des perpetual remboursables en actions Fortis (non pas de manière obligatoire mais notre initiative) dans les prochains 24 mois OU en cash après ans. J’aimerais également émettre des Nouvelles Actions pour payer Delta JV même si nous devons placer les actions pour le compte de Delta. Ces deux instruments pourraient être dans l’intérêt de SWF (j’espère pouvoir parler LIA jeudi) 3) La réduction des dividendes et une augmentation de capital dilutive (« rights issue ») ne sont pas pour moi l’ordre du jour aujourd’hui. Pour ce qui concerne le RCC/Conseil, je propose de traiter ceci de manière relativement courte vendredi et de se limiter aux NITSH1 TAP avec un bref commentaire verbal sur la situation. Le 18 juin, nous avons une autre réunion du RCC où je propose de revoir en détail le plan dans son entièreté afin de faire rapport au Conseil. Meilleurs sentiments, Gilbert »102. 249. M. Votron également connaissance d’un mémorandum du juin 2008 de la banque d’affaires Merrill Lynch, conseil de Fortis. Sur la base d’informations manifestement détaillées dont elle dispose, cette banque d’affaires dresse l'état des prévisions de solvabilité de FORTIS et elle conclut Sur le plan strict du capital réglementaire, vous devriez être en mesure de garder votre niveau de capital ou même de l’améliorer par le biais d’un renforcement du capital (titrisation d’actifs AA ou autres structures), actions préférentielles ou opérations sur des participations minoritaires que nos équipes respectives ont évaluées ensemble. Cependant, ces opérations prennent du temps et n’amélioreront peut-être pas la perception de la 101 Traduction libre de la FSMA de : « Risk Weighted Assets » (...) This document will explain why we have a Gap and how we propose to close this by 2009. Key elements are: 1) We have to DELIVER what we agreed upon already. ? Limited growth (if we need RWA to growth in particular regions - Asia and NL - we better cut in other regions - US - to compensate) ? Non-dilutive paper. We need to place another 2 billion 2) New actions ? Relief through securitization. Financial Guarantee and Sale/cover of Structured Credit portfolio. (And other portfolio's) ? Semi dilutive actions. I would like to issue a 1 billion perpetual reimbursable with [A] shares (not mandatory but at our initiative) in The next 24 months OR in cash after 5 years. I would also like to issue New Shares to pay for (...) even if we need to "place" the shares for account of (...). Those two instruments could be of interest for (...) (I hope to talk to (...) on Thursday) 3) Dividend cut and Rights Issues are for me not on the agenda today. As regards RCC/Board, I propose to keep it relatively short on Friday and limit to the NITSH I TAP with a short verbal comment on the situation. On June 18 we have another meeting of the RCC where I propose to review in detail the full plan in order to report to the Board" Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 107 n° qualité du capital. Nous estimons que FORTIS devrait tout faire pour idéalement annoncer dans un futur très proche et, si possible, réaliser sa levée de capital additionnel durant le troisième trimestre ». Elle considère que : compte tenu de l’impact sur le capital des pertes non réalisées et en fonction de réductions de valeurs additionnelles, nous concluons que Fortis est actuellement en manque de €4-7 milliards pour être 6% L’augmentation de l’objectif 6,5% conformément aux pratiques de vos pairs exigerait un renforcement du capital de €1,5 milliard. Bien que nous ayons une perspective externe, il apparaît prudent, selon nous, d’augmenter la base du capital concurrence de €5-6 milliards »103. (pièce 37.4 de la SMA traduction proposée par la SMA en conclusions). 250. Ayant assisté la réunion du ERCC du 19 mai, pris connaissance du rapport de Merrill Lynch et du mail déjà très explicite de M. Mittler du juin 2008, M. Votron sait ou droit savoir qu’il ne peut pas déclarer que notre solvabilité est conforme au plan », et que la solvabilité est forte », et ce, que l’on se plaçât dans la situation de juin 2008 c’est- à-dire quelques jours de son intervention, ou terme. 251. Comme le releva la commission des sanctions Le caractère faux ou tout le moins trompeur des informations données au marché par M. Votron lors du Financieel Ontbijt est encore renforcé par le fait que ces informations confirmaient celles fournies antérieurement par Fortis (dont celles, déjà trompeuses, communiquées le 22 mai 2008), de sorte que le marché pouvait légitimement croire que les propos de M. Votron reflétaient correctement la réalité et, en outre, que cette réalité était stable. Pourtant, il n'en était rien alors qu'au 31 mars, Fortis était encore "on target" après mise en œuvre des mesures prévues, mais non encore annoncées, les estimations internes disponibles au juin indiquaient un gap de 2,5 Mia EUR en base case et de -8,7 Mia EUR en stress case » (considérant 213). Par ailleurs, comme elle le fit également observer Le fait que M. Mittler ait indiqué, dans son mail du juin l'attention de M. Votron, que la réduction du dividende et l'augmentation de capital dilutive n'étaient pas l'ordre du jour n'enlève rien au caractère erroné ou tout le moins trompeur des propos de M. Votron lors du Financieel Ontbijt (considérant 211). 252. 103 Traduction libre de la FSMA. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 108 n° La cour constate en outre que la déclaration selon laquelle les NITSH et II fonctionnent bien » ne correspond nullement l’analyse interne et aux résultats obtenus. 253. Par contre, la cour ne partage pas l’analyse de la commission des sanctions selon laquelle par les termes wij zijn met andere plannen bezig et "wij zijn ook aan andere opties aan het kijken", M. Votron se réfère, respectivement, aux émissions de capital non dilutives (de type NITSH II ou NITSH Tap) et aux opérations de cessions en cours, soit des opérations qui étaient déjà envisagées dans le plan de solvabilité initial, alors qu’il aurait dû mentionner les nouvelles mesures complémentaires décidées et le fait qu’elles sont susceptibles d’avoir des effets dilutifs. La cour déjà indiqué que, selon son analyse, l’obligation de diffuser des informations privilégiées ne pesait pas sur MM. Votron et Mittler. La violation de l’article 25, §1er 4°, de la Loi est établie dans la mesure et pour les motifs retenus par la cour. V.2.3. La conférence organisée par Goldman Sachs Berlin le 12 juin 2008 254. Le 12 juin 2008, lors d'une conférence organisée par Goldman Sachs Berlin, laquelle assistaient des représentants d'institutions financières et des investisseurs, M. Verwilst fait un exposé dans lequel il traite également de la solvabilité de Fortis. - 255. La Décision relève en particulier le passage suivant : Comme vous le savez, nous avons eu un excédent de solvabilité estimé 5.5 milliards la fin du premier trimestre de 2008. Cet excédent diminuera graduellement au fur et mesure que les activités acquises d’ABN Amro seront transférées FORTIS en 2008 et 2009. Sur une base look-through, nous avions un ratio pro forma Bank Core Equity de 5.3% (basé sur Bâle I), soit en deçà de notre objectif de 6%. Le gap est estimé environ milliards EUR, mais le plan mis en place en vue de reconstruire la solvabilité nous ramènera notre objectif d’ici fin 2009. Ce plan (visant la reconstruction de la solvabilité) se fonde sur différents leviers création et rétention de bénéfices ventes sélectives d’actifs ou mise en place de joint-ventures émission d’instruments de capital non dilutifs exécution de transactions réduisant les besoins en capital croissance contrôlée de nos exigences en matière de capital Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 109 n° Un exemple récent illustrant l’exécution continue est l’émission du NITSH 2, un instrument Tier non dilutif de 625 millions EUR. Nous continuerons tenir le marché au fait de nos progrès. L’environnement constitue manifestement toujours un défi et FORTIS continuera prendre toutes les mesures nécessaires pour se frayer avec succès un chemin dans le contexte de crise actuel. Dans 18 mois compter d’aujourd’hui, lorsqu’ABN Amro sera intégralement consolidée par FORTIS, le profil de risque de notre société sera plus bas qu’il ne l’est actuellement. ce moment-là, nous évaluerons si la diminution du profil de risque donnera lieu un objectif de fonds propres plus bas »104 104 Traduction de : "Solid Pro Forma look through capital ratio's "As you know, we had a 5.5 billion solvency surplus at the end of the first quarter 2008. This surplus will gradually decrease as the acquired [B] activities are transferred to [A] during the course of 2008 and 2009. On a look-through basis, we had a pro forma Bank Core Equity ratio of 5.3% (based on Basel 1), below our 6% target. The gap is around EUR 3 billion, but the plan in place to rebuild the solvency will get us back on target by the end of 2009. This plan (to rebuild the solvency) is based on different levers: earnings generation and retention selective sales of assets or set-up of JVs issuance of non-dilutive capital instruments execution of capital relief transactions controlled growth of our capital requirements A recent example of continued execution is the issuance of NITSH II, a EUR 625 million non dilutive core tier 1 instrument. We will continue to update the market on progress made. Obviously, the environment remains challenging and [A] will continue to take whatever steps necessary to navigate successfully through the current crisis. In 18 months from now, when [B] is fully consolidated by [A], the risk profile of our company will be lower than today. At that time we will assess if the reduced risk profile will result in a lower capital target" Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 110 n° (pièces 65.1.2 et 65.2.1.1) 256. Selon la commission des sanctions, est trompeuse l'affirmation selon laquelle le plan de solvabilité initial mis en place aurait suffi ramener Fortis son objectif fin 2009. Le 12 juin, il apparaissait en effet que le gap après exécution des mesures prévues, mais non encore annoncées, serait de -2,5 Mia EUR en base case (sachant qu'il serait de -8,7 Mia EUR en stress case), rendant inévitable l'adoption de mesures complémentaires par rapport au plan de solvabilité initial (considérant 227). Par ailleurs, les évaluations chiffrées présentées dans le slide 12 juin 2008 sont les mêmes que celles du 13 mai 2008 et du 22 mai 2008. Ainsi, le slide intitulé «Solid pro forma look-through capital ratios est réutilisé. Le caractère faux ou trompeur des informations données au marché lors de la conférence du 12 juin est ainsi renforcé par le fait que ces informations corroboraient les communications antérieures de Fortis (le 13 mai, puis le 22 mai et le juin). Ainsi, grâce une stratégie de communication répétitive de prévisions rassurantes, le marché devait-il acquérir la conviction que les informations fournies reflétaient correctement les estimations faites en interne et que la solvabilité look through de Fortis était stable depuis le communiqué du 13 mai (considérant 229). 257. Certes, la commission des sanctions relève que cette fois, Fortis relativise l’incidence attendue du poste "earnings generation and retention", en supprimant la qualification "strong", que les speaker notes » comportent des nuances et adaptations l'intitulé du slide est complété afin de préciser qu'il s'agit d'estimations "as per 31 March 08 et que Fortis mentionne désormais que, sur la base de la méthode d’évaluation look through son ratio core equity tel que calculé au 31 mars 2008 est en-deçà de son objectif de solvabilité (et non plus qu’il s’en approche). Cependant, selon la commission des sanctions, ces nuances ne témoignent nullement d'une volonté de mieux informer le marché, mais du fait qu'on était parfaitement conscient, au sein de Fortis, que la situation s'était détériorée, mais qu'on ne souhaitait nullement changer le sens global du message. Ces adaptations n'ont donc pas rendu moins trompeur le message transmis au marché. Il serait en effet illusoire de croire qu'alors que la situation s'était détériorée concurrence de plusieurs milliards, quelques adaptations apportées des speaker notes qui continuaient, par ailleurs, se référer la situation au 31 mars, eussent suffi rendre le message correct ou tout le moins non trompeur (considérant 230) et elle ajoute que la modification du slide utilisé par M. Verwilst afin de préciser qu'il s’agissait d’estimations au 31 mars 2008 devait forcément susciter l’impression que ces estimations n’avaient pas évolué depuis. Fortis maintenait par ailleurs Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 111 n° la qualification de "sound" et "solid" pour qualifier ses prévisions. Pourtant, la solvabilité look through de Fortis n'avait cessé de se dégrader. Alors qu'au 31 mars, Fortis était encore "on target" après mise en œuvre des mesures prévues, mais non encore annoncées, les estimations internes disponibles au 12 juin indiquaient un gap (après exécution des mesures prévues, mais non encore annoncées) de -2,5 Mia EUR en base case. En outre, au fil des semaines, la probabilité que la situation de stress case se réalise avait progressivement augmenté. Il était dès lors tout le moins trompeur de réutiliser ce slide, fut-ce après en avoir complété l'intitulé (considérant 226). 258. Peu avant l’intervention litigieuse, les prévisions de solvabilité se sont encore aggravées les responsables de Fortis reconnaissent la nécessité d’une augmentation de capital (capital autorisé) et envisagent de plus en plus précisément une modification de la politique de dividende et l’émission de nouvelles actions. Des réunions se succèdent très rapidement le juin 2008, l’ERCC105 décide qu’il faut prendre des actions de solvabilité supplémentaires pour parvenir une capitalisation adéquate fin 2009 et les présenter au conseil d’administration des 18 et 19 juin (pièce 2.89 de la FSMA) M. Mittler suggérait uneaugmentation de capital immédiate via le capital autorisé l’ERCC envisage en outre de reporter le dividende intérimaire et d’émettre de nouvelles actions et ces mesures sont recommandées par M. Mittler dans un courrier du juin MM. Votron et Verwilst (pièce 51.5.1.23. de la FSMA) les et juin, tant le RCC que le conseil d’administration approuvent le relancement (le NITSH TAP) du NITSH I, après avoir admis le manque gagner de l’opération NITSH II et l’urgence de cette relance; le juin, M. Mittler adresse aux membres de l’ERCC un document très confidentiel intitulé Solvency Plan le matelas de 2,5 milliards été utilisé et un montant complémentaire de milliards est requis pour atteindre les objectifs de solvabilité. Pour atteindre l’objectif de solvabilité en base case », trois types de mesures additionnelles sont décidées par l’ERCC (titrisation (1,5 milliards), sale lease and back d’immeubles (0,5 milliard) et émission de nouvelles actions Fortis (1 milliard) le 10 juin, la dégradation de la notation de Fortis par Merryll Lynch incite M. Votron décider de consacrer l’ExCo du lendemain la solvabilité (pièce 2.12.3. de la FSMA). Un peu plus tard, M. Votron demande M. Verwilst de rencontrer M. Lippens pour l’informer de la situation (pièce 2.127 de la FSMA) 105 Auquel assiste M. Verwilst Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 112 n° lors de l’ERCC du 11 juin, il est exposé que le déficit s’élève -2,5 milliards en base case fin 2008, après les mesures non dilutives prévues, ou 4,5 milliards avant lesdites mesures, et un montant additionnel de -2,8 milliards en stress case », (pièce 2.90 de la FSMA) et qu’il faut augmenter le capital dès 2008 L'ERCC décide que MM. Votron, Mittler et Verwilst doivent informer le président du conseil d'administration, tandis que M. Mittler informera celui du RCC (pièce 2.90 de la FSMA) la cour note qu’aucune information de la CBFA n’est prévue la solvabilité et la manière de combler le déficit sont discutées lors de l’ExCo du même jour et l’ExCo estime que l’usage du capital autorisé constitue la meilleure initiative mais aussi qu’il faut soumettre au conseil d’administration des mesures additionnelles de cessions et/ou de modification de la politique de dividende (pièce 2.78 de la FSMA) M. Mittler est chargé de préparer l’augmentation du capital. C’est donc dans un contexte particulièrement tendu que la présentation du 12 juin 2008 prit place. 259. La déclaration du 12 juin 2008 mentionnant un gap estimé milliards fin 2008 avant mise en œuvre des mesures dilutives annoncées, se réfère la présentation du 13 mai 2008 présentant les résultats du premier trimestre 2008 as per march 08 (voir ci-dessus point 60 et le graphique sous le n° 255), alors que le gap estimé le 11 juin, avant ces mesures, est de 4,5 milliards (voir le n° qui précède). Par ailleurs, contrairement ce que soutient AGEAS, la déclaration que Fortis prendra toutes les mesures nécessaires pour naviguer dans cet environnement difficile n’indique pas fût-ce pour une audience exclusivement composée de professionnels que Fortis reconnaît examiner des mesures nouvelles, dont la nécessité est pourtant clairement perçue en interne, et en particulier les mesures dilutives qui sont discutées, alors que Fortis vient seulement d’évoquer le plan et le résultat des mesures, non dilutives, annoncées depuis le début de l’opération d’intégration. Ensuite, cette communication est manifestement trop optimiste et trompeuse lorsqu’elle présente comme une certitude que le plan mis en place en vue de reconstruire la solvabilité nous ramènera à notre objectif d’ici fin 2009 », alors que les résultats des mesures déjà réalisées sont manifestement insatisfaisants et obligent Fortis réétudier constamment ses prévisions et envisager des mesures telles qu’une augmentation de capital dilutive que Fortis avait expressément et constamment exclus auparavant. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 113 n° Enfin, la citation, comme un exemple récent de l’exécution continue du plan et comme un progrès », de l’émission du NITSH II n’est pas non plus correcte compte tenu de son résultat jugé décevant par les responsables de Fortis eux-mêmes. 260. Même s’il est exact que contrairement aux précédentes, cette déclaration contient des propos plus réalistes lorsqu’elle annonce qu’après l’intégration d’ABN Amro, nous évaluerons si la diminution du profil de risque donnera lieu un objectif de fonds propres plus bas et reconnaît que l’environnement constitue manifestement toujours un défi », il se déduit des constatations qui précèdent la violation de l’article 25, §1er 4°, de la Loi par Fortis. 261. Il faut également constater la violation de l’article de l’arrêté royal du 14 novembre 2007 précité en ce qu’il impose aux émetteurs de mettre "à la disposition du public toutes les informations nécessaires la transparence, l'intégrité et au bon fonctionnement des marchés. L’information donnée est fidèle, précise et sincère et permet aux détenteurs de titres et au public d’apprécier l’influence de l’information sur la situation, l’activité et les résultats de l’émetteur". V.3. Imputabilité et erreur invincible 262. Chaque partie requérante estime devoir être tenue indemne de toute condamnation au motif qu’elle ne devrait pas répondre des infractions constatées. 263. Selon la Décision, L’article 25, 1er alinéa 1er 4°, de la loi précitée incrimine "toute personne" qui diffuse des informations ou des rumeurs. Comme indiqué sous le point 72 cidessus, tant les personnes morales que les personnes physiques peuvent donc être sanctionnées, dès lors que l’acte incriminé peut leur être imputé au regard des circonstances de l'espèce. Pour qu'une infraction l'article 25, 1er alinéa 1er 4°, de la loi du août 2002 puisse être imputée une personne morale, il faut, mais il suffit, que les informations litigieuses se matérialisent dans des documents officiels émanant de cette personne morale (tel un communiqué de presse) ou qu'elles aient été diffusées par des personnes physiques s'exprimant au nom et pour le compte de la personne morale. Tel est le cas en l'espèce s'agissant des informations diffusées les 22 mai (Investor Day), 23 mai (résultats de l'émission des NITSH II), juin (Financieel Ontbijt) et 12 juin 2008 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 114 n° (conférence Goldman Sachs Berlin), de sorte que toute éventuelle infraction l'article 25, 1er alinéa 1er 4°, de la loi du août 2002 commise par la diffusion de ces informations pourra être imputée Fortis. L'infraction peut cependant être également imputée aux personnes physiques qui ont diffusé les informations litigieuses s'il s'avère que les éléments constitutifs de l'infraction sont également réunis dans leur chef. Et encore que Le fait que ces personnes s'exprimaient en tant que porte-parole de Fortis ou encore que leur message ait été approuvé de manière collégiale ne les exonère en rien de leur responsabilité propre » (considérants 178 et 179) La commission des sanctions admet cependant qu’ au sein d'un groupe de la taille de Fortis, l'autonomie de décision des individus est, par essence, limitée. La plupart des décisions se prennent au sein d'organes, de comités ad hoc ou d'équipes. Ce mode d'organisation ne saurait cependant servir disculper les dirigeants les plus hauts placés dans la mesure où il peut être démontré qu'ils savaient ou devaient savoir que l'information qu'ils diffusaient était fausse ou trompeuse. Il est en effet de la responsabilité des hauts dirigeants de faire en sorte que la communication de leur entreprise soit correcte et non trompeuse (considérant 240). V.3.1. Imputabilité Ageas 264. Ageas et la FSMA s’accordent pour considérer qu’une violation de la disposition précitée ne peut être imputée Ageas, en sa qualité de successeur de Fortis, qu’à la condition de démontrer que Fortis savait ou devait savoir que l’information diffusée était fausse ou trompeuse, ce qu’Ageas désigne comme l’élément moral. Ageas ajoute, mais tort (voir supra), que cet élément moral supposerait également une intention frauduleuse. Ageas considère que la commission des sanctions se serait contentée de lui imputer automatiquement les infractions commises par MM. Votron, Mittler et Verwilst, au seul motif que dans l’exercice de leurs fonctions ces personnes dirigeantes ou préposées ont commis l’infraction alors qu’il eut fallu démontrer, conformément aux principes applicables en droit pénal et plus particulièrement la responsabilité pénale des personnes morales, que Fortis savait ou devait savoir qu’il diffusait des informations fausses ou trompeuses. Cette preuve exigerait la démonstration (i) que les informations fausses ou trompeuses ont été diffusées par des personnes qui savaient ou auraient dû savoir qu’elles étaient inexactes ou trompeuses (n° 850 de ses conclusions d’appel) ou (ii) que la majorité de l’organe collectif compétent pour l’engager, savoir la majorité des administrateurs composant son conseil d’administration, approuvé, incité ou laissé faire, volontairement ou par négligence, l’infraction commise (n° 890 de ses conclusions) ou (iii)) que l’infraction été commise par un organe de droit ou de fait de Fortis, compétent en la matière ou enfin (iv) que les organes de droit ou de fait ont Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 115 n° approuvé, incité ou laissé faire, volontairement ou par négligence les infractions commises (n° 893). Or, selon Ageas, MM. Votron, Mittler et Verwilst n’étaient, ni en droit ni en fait, des organes prenant des décisions seuls pour le compte de Fortis » la Décision ne constate pas qu’une majorité des membres du conseil d’administration avaient connaissance des informations litigieuses au moment des faits et enfin, la FSMA ne soutiendrait pas que le conseil d’administration de Fortis approuvé tacitement la communication d’informations trompeuses ou qu’il laissé se développer une culture tolérant ces comportements. 265. Le constat de la Décision selon lequel les informations litigieuses ont été diffusées par des personnes physiques s’exprimant au nom et pour le compte de la personne morale est insuffisant démontrer l’existence de cette connaissance. Il permet uniquement d’établir dans le chef de Fortis l’imputabilité matérielle, qui n’est d’ailleurs pas contestée par Ageas. 266. Quant la connaissance requise ou l’imputabilité morale, la Loi n’a pas défini les critères qui permettent de l’établir. Il n’y cependant pas lieu de s’inspirer des règles d’imputabilité de droit pénal, comme le soutient Ageas. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que le législateur peut souverainement choisir si certains manquements doivent donner lieu soit des poursuites pénales soit des poursuites administratives, voire décider que les mêmes faits peuvent être poursuivis par le Ministère public et par une autorité administrative; ce choix implique une différence de traitement, car une personne poursuivie par une autorité administrative ne peut prétendre l’application pure et simple des principes et règles procédures de droit pénal devant l’autorité administrative et ensuite devant la juridiction de recours car La nature pénale d’une amende administrative au sens de l’article de la Convention européenne des droits de l’homme pour effet que les garanties de cette disposition doivent être respectées, mais n’a pas pour conséquence que cette amende serait de nature pénale selon la législation belge et, dès lors, que l’article 71 du Code pénal lui serait ou devrait lui être applicable »106 ; 106 Arrêt du 30 mars 2001, considérant B.38 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 116 n° La répression administrative peut se satisfaire d’une transposition plus ou moins souple des garanties du droits pénal. Elle ne doit pas être soumise un régime totalement identique celui des sanctions pénales ».107 Le droit pénal et les principes généraux de droit pénal ne sont donc pas applicables en l’espèce, fût-ce par analogie, puisque le législateur fait choix d’une répression par la voie d’amendes administratives pour les faits litigieux et, qu’en pareil cas, les articles 10 et 11 de la Constitution ne commandent pas leur application. 267. Pour déterminer si l’infraction est imputable Ageas/Fortis, il n’y pas non plus lieu de se référer au droit des sociétés. En effet, la Loi, comme beaucoup d’autres, instaure un régime autonome de sanctions administratives, sans référence au droit des sociétés. Cette autonomie permet la FSMA et la cour, tout comme au juge du fond en matière pénale108 de ne pas se limiter aux décisions ou la connaissance des organes légaux ou statutaires, en l’espèce le conseil d’administration, et de tenir compte également pour vérifier l’existence de la connaissance dans le chef de Fortis de l’attitude des organes de fait ou de comités ad hoc ou des hauts responsables de Fortis. 268. Il en est fortiori ainsi en l’espèce compte tenu du Fortis governance statement déjà évoqué selon lequel: le conseil d’administration ne s’occupait pas de la communication de Fortis, contrairement ce que soutient Ageas, mais avait avant tout la responsabilité de la direction stratégique de Fortis et du contrôle de la conduite des affaires (pièce d’Ageas) la communication externe était confiée, par le Fortis governance statement », M. Votron qui personnifie et communique clairement les valeurs de Fortis et est le premier porte-parole de Fortis vis-à-vis du monde externe », le CEO étant autorisé prendre des initiatives pour autant qu’il informe posteriori le conseil d’administration des principales initiatives et décisions prises par le ExCo et par lui-même dans l’exercice de leurs fonctions et l’ExCo qui gère et organise les fonctions de support au sein de Fortis couvrant les domaines tels que la communication interne et externe et les relations avec les investisseurs », l’ExCo étant présidé par M. Votron, et composé de membres chargés de fonctions de direction au sein de Fortis », tels que MM. Machenil et Mittler et M. Verwilst, Deputy CEO également responsable des ressources humaines. 107 C. Bertsch, Le pouvoir de sanction des autorités de contrôle des marchés financiers et des assurances, XXXX, p.155 et suivantes et références citées p.174 108 Voir à ce propos, V. Franssen et Raf Verstraeten, « La volonté et la faute de la personne morale », J.T., 2010, p. 65 et suivantes. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 117 n° 269. Il faut constater que la communication de M. Verwilst, dont Ageas doit encore répondre, relevait de la responsabilité partagée de M. Votron et de l’ExCo, que les plus hautes instances dirigeantes de Fortis l’ont préparée et voulue telle, que Fortis mandaté les précités et notamment M. Verwilst, pour communiquer en son nom. Il convient également de relever que Fortis n’a, aucun moment, démenti les propos tenus en public par M. Verwilst. Ces constats suffisent établir l’élément moral de l’infraction dans le chef de Fortis. V.3.2. Imputabilité M. Votron et erreur invincible A. Imputabilité 270. Selon M. Votron, la question de l’imputabilité de l’infraction visée par l’article 25 ,§1er 4°, de la Loi dans le chef de la personne physique, qui agit pour le compte d’une personne morale, devrait être appréciée, par analogie, défaut de texte contraire, par référence l’article du Code pénal, introduit par la loi du mai 1999 sur la responsabilité des personnes morales car, d’une part, cette disposition traduirait les principes généraux de droit applicables en matière répressive et d’autre part, cette application par analogie serait commandée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Cette thèse n’est pas fondée (voir ci-dessus, n° 266). 271. Il résulte de l’ensemble des pièces examinées et citées par la cour sur lesquelles elle n’estime pas nécessaire de revenir– et des considérations de la cour relatives aux communications de M. Votron, que grâce ses fonctions d’administrateur délégué, sa présence dans tous les comités ad hoc concernés, ses communications directes et privilégiées avec M. Mittler, M. Votron savait ou devait nécessairement savoir qu’il diffusait des informations sur la solvabilité look through susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’action Fortis. 272. Il ne peut sérieusement prétendre qu’il n’était qu’un porte-parole interchangeable avec d’autres personnes, compte tenu de sa mission spécifique de porte-parole de Fortis et de ses très hautes responsabilités. 273. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 118 n° Par ailleurs, si la teneur de ses communications résulte d’un travail auquel plusieurs collaborateurs ont participé, M. Votron le dirigeait nécessairement au sein de l’ExCo. 274. M. Votron n’établit pas qu’il était soumis une force ou une contrainte ce point irrésistible qu’il n’eut d’autre possibilité ou d’autre choix que de communiquer comme il le fit, ni qu’il ne pouvait s’écarter des textes préparés collégialement sans violer gravement les devoirs liés son statut d’organe ou de sa charge », ni enfin qu’il était obligé d’agir dans le cadre qui lui était fixé et dont il ne pouvait s’écarter individuellement sous peine de violer nouveau son devoir de loyauté l’égard des organes collégiaux de la société et sans violer les limites de sa délégation de pouvoirs », en laissant sous-entendre que s’il l’avait pu, il aurait infléchi la politique de communication de Fortis. Il adhérait pleinement cette politique de communication, puisqu’il n’a jamais émis la moindre réserve, ni la moindre réticence, sur la teneur des informations avant de les diffuser. Il n’est notamment pas intervenu au sein de l’ExCo du 20 mai 2008 pour s’interroger sur la sincérité due au marché et le risque de le tromper. Ainsi que l’observe la FSMA, selon le procès-verbal de la réunion de l’Exco du 11 avril 2008, l’objectif est de rassurer sur les progrès de l’intégration et sur la flexibilité des business acquis. Aucune nouvelle importante n’est attendue mais la confiance doit découler de la ‘granularité des détails et de la texture donnée par les présentations’, du ton confiant des orateurs et de la parfaite maîtrise des sujets par les hauts managers sur la scène (voir n° 55 ci-dessus et note de bas de page n° 14) 275. Enfin, les limites de sa délégation de pouvoirs et les devoirs liés son statut d’organe ou encore les intérêts de Fortis ne primaient pas sur les obligations de sincérité et de transparence en cause. Quant l’éventuelle approbation implicite posteriori du conseil d’administration sur les communications litigieuses, ou encore la connaissance de la situation par le président de Fortis, les supposer établies, ce qu’Ageas conteste, elles n’exonèrent pas M. Votron de son obligation de répondre personnellement des infractions qu’il commises. L’information correcte donnée en interne, la supposer démontrée ce qui ne doit pas être examiné par la cour ne s’est pas accompagnée d’une information correcte du marché et le quitus éventuel du conseil d’administration ne supprime pas l’infraction. B. Erreur invincible Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 119 n° 276. L’article 71 du Code pénal dispose qu’il n'y a pas d'infraction lorsque l'accusé ou le prévenu était atteint, au moment des faits, d'un trouble mental qui a aboli ou gravement altéré sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. La Cour de cassation depuis longtemps admis et confirmé que l'erreur invincible est une cause de justification si tout homme raisonnable et prudent aurait pu la commettre en étant placé dans les mêmes circonstances que celles où le prévenu s'est trouvé ». L’erreur invincible exclut qu’une faute d’appréciation ait été commise par la personne qui verse puisqu’elle doit être le fait d’un homme raisonnable et prudent placé dans les mêmes circonstances. » 109 Elle peut porter sur une question de fait ou de droit. Le juge du fond apprécie souverainement si les faits et les circonstances dont il constate l'existence constituent une erreur invincible110 En matière pénale, l'erreur invincible s'applique toutes les infractions, même aux infractions non intentionnelles, aux contraventions et aux infractions de roulage, aux infractions fiscales, et aux autres infractions incriminées par les lois spéciales"111 Etant un principe général de droit, elle s’applique également en règle aux infractions administratives. 277. Cependant, outre que l’article 71 du Code pénal n’est pas applicable en l’espèce, M. Votron ne peut prétendre avoir versé dans une erreur invincible et avoir cru, de bonne foi, qu’il communiquait des informations exactes et non trompeuses ou qu’il pouvait se fier une approbation implicite éventuelle, voire même explicite, de la CBFA sur des propos manifestement contraires la vérité. La bonne foi de M. Votron n’est pas démontrée (voir ci-dessus propos de l’imputabilité) et, en outre, la cour déjà décidé qu’il n’est pas prouvé que la CBFA était correctement informée des prévisions de solvabilité de Fortis et des décisions adoptées en interne pour conjurer le déficit prévisionnel qui se creusait inexorablement. Elle également déjà décidé que les déclarations du 28 juin 2008 du président la CBFA la presse n’ont pas approuvé posteriori les communications de M. Votron et n’ont 109 Cass., 10 juillet 1946, Pas., 1946, I, p. 293 Cass., 16 janvier 2001, Pas., I., p.92 et A. VERHEYLESONNE, "Les causes de justification", in Droit pénal et procédure pénale", Malines, Kluwer, 2011, pp.102 et suivantes. 111 A. VERHEYLESONNE, "Les causes de justification", op.cit, pp.102-103. 110 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 120 n° trait qu’au communiqué de Fortis du 26 juin 2008 informant le marché des décisions du conseil d’administration de Fortis du 25 juin. V.3.2. Imputabilité M. Mittler 278. M. Mittler ne trouve aucun appui dans le texte de l’article 25, §er, 4°, de la Loi pour soutenir que le cumul de responsabilité entre une personne morale et une personne physique doit demeurer exceptionnel ». Il plaide également sans fondement pour une application de l’article du Code pénal (voir ci-dessus). 279. C’est par ailleurs en contrariété avec les faits qu’il prétend avoir agi comme un simple porte-parole de Fortis et laisse supposer qu’il aurait été obligé de communiquer les informations décidées en interne sans pouvoir les modifier. M. Mittler occupait de hautes fonctions dirigeantes, il participait avec M. Votron aux comités ad hoc de Fortis et en particulier l’ExCo qui approuva sa communication du 22 mai 2008. Il ressort par ailleurs de l’ExCo des 10 et 11 avril 2008 déjà cité que(…) Un support spécifique de chaque business sera procuré la demande/proposition de R. ter Weijden et G. Mittler (pièce 2.74 de la FSMA.. 280. Comme M. Votron, M. Mittler adhérait entièrement aux propos diffusés. La cour déjà relevé le soin qu’il mettait préserver la confidentialité des informations défavorables Fortis (voir l’Exposé des faits qui précède, en particulier sous les n° 70 et 75). Elle constate en outre qu’aucune pièce ne traduit une inquiétude de M. Mittler pour la sincérité des communications ou son désaccord sur l’idée exprimée au sein de l’ExCo des 10 et 11 avril 2008 qu’il fallait tenir des propos rassurants et communiquer le moins possible d’informations nouvelles (voir ci-dessus, n° 55). Tout comme M. Votron, c’est hors de toute contrainte et en assumant ses propos que M. Mittler accepta d’intervenir lors de l’Investor Day du 22 mai 2008 et d’y répandre les informations litigieuses, et comme M. Votron, la forme de son intervention laissait penser qu’il exprimait des convictions personnelles (voir ci-dessus V.2.1 pour la reproduction de ces interventions). Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 121 n° 281. Est également dénuée de pertinence l’allégation de M. Mittler selon laquelle il aurait été un porte-parole interchangeable ». Si M. Votron était chargé de la politique de communication de Fortis, M. Mittler était, avec M. Machenil, celui qui était le plus apte communiquer sur les aspects financiers du groupe et le plus écouté des investisseurs sur ces questions. Ses responsabilités au sein de Fortis, ses compétences et ses connaissances, faisaient de lui, avec M. Machenil, l’informateur autorisé de la situation financière de Fortis, tant au sein du groupe qu’en-dehors. Certes, il remplacé M. Machenil lors de l’Investor Day du 22 mai 2008, mais l’on ne voit pas qui d’autre que lui eût pu le faire. 282. M. Mittler invoque tout aussi vainement l’information qu’il aurait donnée temps et heure aux personnes compétentes au sein de Fortis concernant les évolutions les plus récentes dont il avait connaissance ». L’article 25 de la Loi s’intéresse aux informations communiquées au marché. 283. M. Mittler était un haut cadre de Fortis et également un mandataire chargé de représenter Fortis dans le cadre de la gestion journalière concurrence d’actes et d’engagements n’excédant pas 30.000.000 d’euros. Que ce soit en qualité de haut cadre ou de mandataire, il doit répondre personnellement de la violation de l’article 25, §1er 4°, de la Loi qu’il commise dans l’exercice de ses fonctions ou dans l’accomplissement de son mandat car il savait ou devait savoir qu’il diffusait des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’action Fortis. Aucune clause de confidentialité contractuellement consentie par lui faire obstacle ce qu’il se conforme ses obligations légales. VI. Fortis ne pouvait LES SANCTIONS 284. L'article 36, §2 de la Loi dispose que "sans préjudice des autres mesures prévues par la loi, lorsque, conformément aux articles 70 72, elle constate une infraction aux dispositions du présent chapitre ou de ses arrêtés d'exécution, la FSMA peut infliger au contrevenant une amende administrative qui ne peut être inférieure 2.500 euros ni supérieure, pour le même fait ou pour le même ensemble de faits, 2.500.000 euros. Lorsque l'infraction procuré un avantage patrimonial au contrevenant, ce maximum est porté au double du montant de cet avantage et, en cas de récidive, au triple de ce montant". Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 122 n° Conformément l'article 72, 3, de la Loi, le montant de l'amende doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements dans le respect du principe de proportionnalité. Ceci signifie qu'elle doit tenir compte, d'une part, de la gravité objective des faits et, d'autre part, de la responsabilité subjective de leur auteur. 285. La commission des sanctions considéré qu’en commettant les infractions susmentionnées, Fortis et MM. Votron et Mittler ont gravement porté atteinte au principe d'égalité entre les investisseurs, ce qui nui la transparence et au bon fonctionnement de marchés financiers déjà fragilisés. Lorsque des émetteurs aussi importants que Fortis commettent des infractions d'une telle gravité, c'est toute la confiance dans les marchés financiers qui est menacée. Il en va de même lorsque des dirigeants ayant une position aussi élevée et une notoriété aussi grande que MM. Votron ou Mittler commettent de telles infractions ». Quant la gravité subjective des faits, la commission des sanctions estimé que Fortis, en tant qu’institution financière historique en Belgique, devait être particulièrement soucieuse de l’intégrité et de la réputation des marchés et qu’en diffusant de manière répétée des informations trompeuses, elle indéniablement participé la dégradation de l’intégrité et de la réputation des marchés auprès du public ». Elle cependant admis qu'il convient de tenir compte du fait qu’Ageas 'SA/NV, successeur de Fortis, est une nouvelle société, avec de nouveaux dirigeants et que la punir très lourdement pénaliserait ses actionnaires qui ont été les premières victimes des manquements de la société en matière de communication » (considérants 239 et suivants) 286. l’égard de MM. Votron et Mittler, la commission des sanctions décidé que MM. Votron et Mittler ont participé activement, par leurs propos, une stratégie de communication mise en place au sein de Fortis qui était hautement répréhensible. MM. Votron et Mittler disposaient en outre de pouvoirs très importants au sein de Fortis, de même que d'une autorité formelle et d'une large influence tant interne qu'externe. M. Votron, en tant que CEO, était le principal porte-parole de Fortis. M. Mittler, en tant que Chief Finance, Risk et General Counsel de Fortis, était en charge du département "Reporting, Consolidation Accounting". M. Mittler reconnait lui-même que les équipes en charge de la préparation de la communication de Fortis lui faisaient rapport. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 123 n° MM. Votron et Mittler faisaient partie de l'ExCo, qui était responsable du management et de l'organisation des services de support tels que la communication interne et externe et les relations avec les investisseurs. MM. Vontron et Mittler étaient, de par leur participation au RCC, l'ExCo et l'ERCC, parfaitement informés de la situation au sein de Fortis et, plus particulièrement, de l'évolution des dossiers en arrière-plan des communications litigieuses (EC remedies, évolution de la solvabilité look through, plans de solvabilité, etc...). Par conséquent, la commission des sanctions estime que MM. Votron et Mittler ne peuvent présent minimiser leur rôle en se présentant comme de simples exécutants ou de simples porte-parole interchangeables, chargés de lire des slides ou des speaker notes préparées par d'autres, dont ils ne pouvaient modifier le moindre mot. La commission des sanctions estime au contraire que MM. Votron et Mittler faisaient partie des personnes les mieux informées de la situation au sein de Fortis et qu'ils étaient parfaitement en mesure d'influencer le contenu de la communication externe de Fortis. Ils ont donc une responsabilité aggravée. La commission des sanctions tient cependant compte de l'absence d'antécédents dans leur chef et du fait qu'ils n'ont tiré aucun profit direct personnel des infractions commises, celles-ci l'ayant été dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions (considérants 244 et suivants). 287. La proportionnalité d’une sanction administrative s’apprécie au regard du nombre et de la gravité des infractions, de leur caractère répétitif et en considération du fait que le contrevenant avait ou non conscience de violer ses obligations. 289. l’égard d’Ageas, la cour s’est abstenue de statuer sur la majorité des infractions retenues par la commission des sanctions en application du principe non bis idem Pour la communication du 12 juin 2008, la cour n’a pas entièrement adhéré la motivation de la commission des sanctions relative au caractère trompeur de cette communication. Compte tenu également de la qualité de successeur dans le chef d’Ageas, la cour fixe l’amende pour Ageas 250.000 euros. 290. Quant MM. Votron et Mittler, la cour rejoint les appréciations de la FSMA sur la gravité de leur comportement, au regard des fonctions qu’ils occupaient, de leurs responsabilités, des faits dont ils avaient nécessairement connaissance, de leur participation active l’élaboration des communications litigieuses et de leur intention manifeste de ne pas alarmer le marché en communiquant des informations dont ils ne Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 124 n° pouvaient ignorer l’inexactitude, sous réserve qu’il ne peut leur être fait grief, sur pied de l’article 25, 1er 4° de la Loi, de n’avoir pas intégré dans leurs communications des informations privilégiées qui n’avaient pas été diffusées par Fortis. L’amende infligée chacun d’eux est fixée 200.000 euros, puisqu’ils ont l’un et l’autre participé l’élaboration de toutes les communications litigieuses. 291. La commission des sanctions ordonné la publication nominative de la Décision sur le site web de la FSMA en considérant que la publication de la présente décision n'est nullement susceptible de perturber les marchés financiers. Elle devrait au contraire les rassurer quant l'efficacité des mécanismes de sanction mis en place par le législateur. La publication de la présente décision n'est, en outre, nullement susceptible de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause puisque le fait que la commission des sanctions été saisie du présent dossier été rendu public. De manière générale, l'affaire étant publique, il échet d'informer les marchés de l'issue qui lui est réservée par la commission des sanctions ». 292. La cour pour sa part jugé en d’autres causes que la publication nominative n’est pas justifiée lorsque le comportement du contrevenant constitue un accident de parcours et qu’il n’y pas lieu de craindre un risque réel de récidive112 et qu’à l’inverse, elle l’est, lorsque le contrevenant était un homme du métier qui ne pouvait ignorer que les opérations litigieuses pouvaient induire le marché en erreur sur l’offre, la demande et le cours des actions, qu’il commis plusieurs fois la même infraction et encore que le préjudice qu’il subirait de la publication nominative n’a rien de disproportionné par rapport la gravité de son comportement113 293. En l’espèce, compte tenu des qualifications des intéressés, de leur parfaite connaissance des faits, des intentions qui les animaient et de leur participation active l’élaboration des communications litigieuses, et pour les motifs retenus par la commission des sanctions rappelés sous le n° 291 qui précède que la cour s’approprie, la publication nominative est justifiée, même si un risque de récidive n’est pas avéré. 112 113 Bruxelles, 11 mars 2009, considérant 104 Bruxelles, 29 novembre 2011, RG 2012/SF/2considérants 67 et 68 Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 125 n° Cependant, s’agissant d’une sanction complémentaire et compte tenu de l’ancienneté des faits, elle n’est justifiée que pour une période de six mois prenant cours partir du prononcé du présent arrêt. 294. Les recours étant déclarés partiellement fondés, les dépens sont compensés. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 126 n° DECISION LA COUR, Statuant contradictoirement, Vu l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire, Dit les recours recevables, Annule la Décision entreprise et statuant par dispositions nouvelles dit les poursuites contre AGEAS irrecevables en tant qu’elles portent sur les communications des 22 et 23 mai 2008 et du juin 2008; les dit entièrement recevables contre MM. Votron et Mittler dit que Fortis/Ageas enfreint l’article 25, §1er 4°, de la loi du de l’arrêté royal du 14 novembre 2007 d'instruments financiers admis août 2002 et l’article relatif aux obligations des émetteurs la négociation sur un marché réglementé lors de sa communication du 12 juin 2008 et condamne Ageas de ce chef une amende de 250.000 euros dit que M. Votron enfreint l’article 25, §1er 4° de la Loi lors de ses communications des 22 mai et juin 2008 et le condamne de ce chef une amende de 200.000 euros dit que M. Mittler enfreint l’article 25, §1er 4°, de la Loi lors de sa communication du 22 mai 2008 et le condamne de ce chef une amende de 200.000 euros. Compense les dépens. Cour d’appel de Bruxelles 2013/SF/3 conn. 2013/SF/5 conn. 2013/SF/6 127 n° Cet arrêt a été rendu par la 18e chambre de la cour d’appel de Bruxelles, composée de M. Salmon, conseiller ff. président de la chambre, E. Bodson, conseiller et F. Custers, conseiller, qui ont assisté à toutes les audiences et ont délibéré à propos de l’affaire. Il a été prononcé à l’audience publique civile par M. Salmon, conseiller ff. président de la chambre, assistée de D. Van Impe, greffier, le 24 septembre 2015, Monsieur Eric Bodson, conseiller, se trouve dans l’impossibilité de signer l’arrêt. D. VAN IMPE F. CUSTERS E. BODSON M. SALMON