9. colloque du CREDA du 17 avril 1984

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9. colloque du CREDA du 17 avril 1984
FINANCEMENT, CAPITAL ET POUVOIR
DANS L’ENTREPRISE :
UNE NOUVELLE CHANCE POUR LA COMMANDITE ?
RÉUNION-DÉBAT DU 17 AVRIL 1984
sous la présidence de M. Patrick CHAMPETIER de RIBES
Vice-Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris
Président du comité technique du CREDA
Les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication
dans LA SEMAINE JURIDIQUE Edition Entreprise
(n° 48 du 29 novembre 1994)
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
sommaire
ALLOCUTION D’OUVERTURE
M. Patrick CHAMPETIER DE RIBES, Vice-Président de la Chambre de commerce et
d’industrie de Paris, Président du Comité technique du Centre de recherche sur le droit des
affaires ...........................................................................................................................................
4
EXPOSÉ INTRODUCTIF
M. Alain SAYAG, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à la Faculté de droit de
l’Université René-Descartes (Paris V) ............................................................................................
5
LES POTENTIALITÉS DE LA COMMANDITE
LA MESURE DES POTENTIALITÉS JURIDIQUES
M. Alain VIANDIER, Professeur à la Faculté de droit de l’Université René-Descartes
(Paris V) .........................................................................................................................................
8
LE POIDS DE LA FISCALITÉ
M. Jean-Pierre LE GALL, Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Paris-Sud
(Paris XI), Avocat à la Cour............................................................................................................
12
LES PRESCRIPTIONS POSSIBLES
M. Jean GILARDI, Ancien élève de l’ENA, Directeur à l’Européenne de Banque..........................
17
COMMANDITES ET INSTITUTIONS VOISINES
M. André DUPONT-JUBIEN, Magistrat, Chef du Service juridique de la Commission
des opérations de Bourse...............................................................................................................
20
LES LEÇONS DE LA PRATIQUE
L’EXPÉRIENCE ALLEMANDE : LE
COMMANDITE » (GmbH und Co KG)
SUCCÈS
DE
LA
« SARL
EN
M. Klaus HOPT, Professeur à l’Université de Tübingen, Juge au Tribunal régional supérieur
de Stuttgart.....................................................................................................................................
26
LA PRATIQUE EN FRANCE: BILAN ET PERSPECTIVES
Exposé liminaire
M. Yves FLORNOY, Membre de la CCIP, ancien Syndic de la Compagnie des agents
de change ......................................................................................................................................
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Table ronde de dirigeants de sociétés en commandite .............................................
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M. Sayag
M. Rollier, Cogérant de Michelin et Cie
M. Loué, Directeur financier des Établissements économiques du Casino
M. Flornoy, Membre de la CCIP, ancien Syndic de la Compagnie des agents de change
M. Laroyerme, Membre du conseil de surveillance des Établissements économiques du Casino
M. Beau, Gérant de la Société de Baecque, Beau, Hieaux et Cie
M. Demurger, Gérant de la Société Demurger et Cie
Débat
SYNTHÈSE
M. François TERRÉ, Professeur à l’Université de droit, d’économie et de sciences sociales
de Paris (Paris II)............................................................................................................................
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
ALLOCUTION D’OUVERTURE
M. Patrick CHAMPETIER DE RIBES,
Vice-Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Président du Comité
technique du Centre de recherche sur le droit des affaires
Mesdames, Messieurs,
C’est en ma qualité de Président du Comité technique du CREDA, que j’ai le plaisir et
l’honneur de vous souhaiter la bienvenue à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris et
de vous remercier d’être venus participer si nombreux à cette réunion-débat organisée par le
Centre de recherche sur le droit des affaires de notre Compagnie.
Mes remerciements doivent s’adresser en tout premier lieu aux éminents orateurs qui ont si
obligeamment accepté de distraire de leurs occupations le temps nécessaire à la préparation
de leurs exposés. Qu’on me permette de mentionner plus spécialement M. le Professeur Hopt
venu d’Allemagne pour nous présenter, dans notre langue, l’expérience d’Outre-Rhin de la
commandite.
Je dois également remercier très chaleureusement les responsables d'entreprise, des plus
notoires, invités à s’exprimer en fin d'après-midi dans le cadre d'une table ronde, d’avoir bien
voulu ainsi nous apporter le concours de leur compétence et le témoignage de leur expérience.
Je tiens maintenant à saluer les hautes personnalités – tant les parlementaires, les
magistrats, les représentants de l’Administration, les universitaires, que les responsables
d’organisations professionnelles, les praticiens, les banquiers et les dirigeants d'entreprise – qui
honorent notre maison de leur présence. Votre présence, qui témoigne de l’intérêt que vous
voulez bien porter aux activités de notre Compagnie et particulièrement, en cette occasion, aux
travaux du CREDA, n’est pas seulement un honneur. Permettez-moi d’y voir aussi un
encouragement. Encouragement pour la Chambre de commerce et d’industrie de Paris à
poursuivre la plus large concertation avec les divers milieux que vous représentez.
Encouragement pour le CREDA à continuer de contribuer à l’élaboration d’un cadre juridique
adapté aux nécessités du monde des affaires.
Cette mission, le Centre de recherche sur le droit des affaires l’exerce, comme certains
d’entre vous le savent sans doute déjà, en réalisant et en publiant des études qui, sur la base
d’un recensement précis et objectif des besoins de la pratique, s’efforcent d’alimenter la
réflexion sur la meilleure politique législative à promouvoir.
Qu’on me permette de rappeler brièvement les thèmes abordés par le CREDA dans le
cadre de ses travaux les plus récents :
– la recherche d’un statut juridique pour l’entreprise personnelle, sujet qui semble devoir
entrer prochainement dans l’actualité législative ( 1 ).
– L’application du droit de la faillite : le CREDA a consacré un ouvrage à un bilan factuel
approfondi sur le fonctionnement et le résultat des procédures collectives qui, de l'avis des
(1) L’entreprise personnelle, t. 1, Expériences européennes, Litec, 1978 ; t. II, Critique et prospective, Litec, 1981.
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milieux intéressés, constitue une précieuse source d'informations à l’heure où la matière fait
l’objet d’une profonde réforme ( 2 ).
– La société en commandite, thème de notre réunion d’aujourd'hui, que M. le Professeur
Sayag nous présentera dans quelques instants, et sur lequel je n’insisterai donc pas ( 3 ).
En revanche, je tiens à vous présenter, en quelque sorte « en avant première », puisque
l’étude n’est pas encore en librairie, la toute dernière publication du CREDA, dont le titre « Quel
droit des affaires pour demain ? » exprime, on ne peut plus clairement, la démarche ambitieuse
que ses auteurs ont entendu poursuivre ( 4 ). C’est dans l’esprit résolument prospectif qui a
présidé à la plupart de ses précédentes recherches que le CREDA a ici tenté de déceler dans
le présent, mais également dans le passé, les différents facteurs porteurs de l’avenir du droit
des affaires. Cet ouvrage s’appuie sur les enseignements d’une enquête menée auprès
d’experts éminents du monde des affaires. Il s’efforce en particulier d’esquisser les axes
d’évolution susceptibles d’affecter cette branche du droit au cours des vingt ou trente
prochaines années, en distinguant le possible du probable, et du souhaitable.
Mesdames, Messieurs, il me faut maintenant terminer là mon propos. Le programme de
notre réunion est, comme vous l’avez constaté, fort chargé. C’est pourquoi je cède sans plus
tarder la parole à M. le Professeur Sayag, Directeur scientifique du CREDA, qui doit vous
présenter le thème de cette réunion.
EXPOSÉ INTRODUCTIF
M. Alain SAYAG,
Directeur scientifique du CREDA, Professeur à la Faculté de droit de l’Université RenéDescartes (Paris V)
Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,
Les juristes d’affaires et les praticiens qui s'intéressent au droit des sociétés voient
actuellement leur attention mobilisée, pour ne pas dire épuisée, par les incessants
changements législatifs qui affectent la matière. Il peut donc paraître insolite de consacrer un
après-midi de travail à des formes sociales comme les sociétés en commandite, monuments
historiques plus guère visités, et tout à fait à l’abri de ces changements ! Le nombre et la qualité
des participants ici réunis montrent que la Chambre de commerce a eu raison de prendre le
risque de proposer à votre attention une réflexion commune sur un sujet depuis longtemps
négligé.
Il est vrai que, s’il n'est pas soumis aux aléas immédiats de la conjoncture législative et des
préoccupations de la pratique, on peut et on doit le mettre en rapport avec un souci très actuel
des pouvoirs publics, des entrepreneurs et des banquiers, celui du financement en fonds
propres des entreprises. On retrouve alors une problématique familière, que maintes études et
(2) L’application du droit de la faillite. – Éléments pour un bilan, Litec, 1982.
(3) La société en commandite entre son passé et son avenir, Litec, 1983.
(4) Quel droit des affaires pour demain ? Essai de prospective juridique, Litec, 1984.
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maintes lois n'ont pas épuisée. D’où la question que nous nous posons ici : la recherche de
commanditaires, au sens large et financier du terme, ne peut-elle passer aussi par la
constitution de véritables sociétés en commandite ?
Je viens de dire que les commandites étaient des formes abandonnées. Si l’on se rappelle
que la pratique française, pour des raisons traditionnelles bien connues, aime à l'excès les
formes sociales, au point que le stock des SARL s'élève approximativement à 180 000 et celui
des sociétés anonymes à 120 000, on peut presque dire que les deux formes de la commandite
sont comateuses. Leur nombre est si faible qu’il a été difficile à l’équipe du CREDA de les
compter avec certitude, car les sources statistiques divergent : disons 1 500 commandites
simples, 250 commandites par actions au maximum, rescapées de la loi de 1966, qui a bien
failli les faire disparaître.
Pourquoi le CREDA a-t-il jugé utile de consacrer un ouvrage aux commandites alors qu’on
peut déduire du silence de la doctrine que celle-ci attendrait leur extinction sans s'en
émouvoir ?
Une première raison générale, non spécifique donc aux commandites, mais qui vaut pour
elles comme pour les autres formes sociales délaissées par la pratique, tient au souci de
maintenir effectivement la liberté de choix d'une forme sociale. Les statistiques mentionnées le
démontrent : tout se passe comme s’il n’existait dans l’esprit des prescripteurs; et des praticiens
que deux structures sociales. S’observe ici l’effet cumulatif et pervers de la désuétude : plus
une forme est délaissée, plus elle est redoutée des prescripteurs, car ignorée d’eux. Or là gît le
paradoxe : les mêmes prescripteurs se plaignent – à très juste titre – de l’excès de
réglementation qui, notamment dans la société anonyme, a réduit à rien la liberté statutaire.
Dans ce domaine pourtant comme dans tous les autres, la liberté ne se défend qu'en en usant.
Bien sûr, il n’est pas question de poursuivre l’objectif, qui serait absurde, de rééquilibrer
substantiellement les statistiques en faveur des commandites ni de se livrer à un prosélytisme
naïf. Il faut et il suffit de maintenir, mieux, de développer l’effectivité du choix lorsque la
commandite correspond à un besoin spécifique. En matière de régimes matrimoniaux, on a
bien pour cette raison maintenu et rénové en 1965 des contrats de mariage dont la pratique
était dérisoire, comparée à celle du régime légal, même si par ailleurs on a eu sans doute tort
de supprimer le régime dotal. C’est pourquoi le CREDA continuera, sans doute, à explorer ce
domaine des formes statistiquement minoritaires, et après les sociétés à directoire et en
commandite, s’intéressera aux sociétés en nom collectif et en participation.
S’agissant donc de liberté statutaire, je me demande si la vocation permanente et
particulière des deux formes de la commandite n’est pas de ménager des oasis de liberté. La
remarquable étude historique que le Doyen Hilaire a menée à bien pour l’ouvrage du CREDA
se termine, somme toute, sur une note pessimiste. Les historiens, mieux que tous autres,
savent que l’histoire ne se répète pas : la fièvre des commandites appartient à un passé
lointain, et mort. Mais on peut réfléchir aux motifs des deux étapes de leur effondrement
statistique. En 1867, c’est l’instauration de la liberté de constituer des sociétés anonymes sans
autorisation du Gouvernement. En 1925, c’est cette fois la liberté de constituer des sociétés à
responsabilité limitée qui conservent un caractère personnel et fermé. Qu’en déduire, sinon que
chaque fois, le succès antérieur de la commandite ne s’expliquait que par la volonté de dégager
un espace de liberté à l’accord des volontés statutaires. N’en est-il pas aujourd’hui à ménager
et à reconquérir, face à l’étouffement réglementaire dont, directive après directive, loi après loi,
notre droit des sociétés fait l'objet ?
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C'est ici que surgit le deuxième ordre de motifs qui peuvent et doivent justifier un renouveau
d’attention en faveur des commandites. Il est lié à la spécificité irremplaçable de ces formes à
savoir la dualité d’associés, dualité que précisément la liberté statutaire permet d’équilibrer à la
convenance des partenaires.
Certes, l’enquête du CREDA a montré qu’il ne faut pas s’enfermer dans le stéréotype
classique, selon lequel les commanditaires ne pourraient être que des capitalistes ou
épargnants étrangers au monde des affaires, et les commandités, des entrepreneurs disposant
d’un projet d’exploitation, mais pas de fonds. Ce schéma n’est certes pas à exclure et il est des
indices de sa vitalité, surtout si à l’hypothèse première de création d’entreprise, on ajoute celle
de la reprise, notamment après décès d’un patron laissant des héritiers inaptes à s’occuper de
l’affaire, mais disposés à commanditer le technicien qui assurera la gérance. De toute façon, la
dualité des rôles peut se concevoir bien différemment, à tel point qu’on le relève ailleurs que
dans les commandites.
En témoigne, dans les formes usuelles, l’émergence juridique de la distinction entre
associés qualifiés de « contrôlaires » et ceux qualifiés d’« externes » (à la direction, s’entend),
avec toutes ses conséquences techniques. Et que dire de la création de ces titres variés dont
M. Dupont-Jubien nous parlera, et dont le caractère commun est que le pouvoir d’intervenir
dans la gestion sociale est refusé à leurs détenteurs : certificats pétroliers, actions à dividendes
prioritaires sans droit de vote, certificats d’investissement, titres participatifs. La forme de la
commandite survit péniblement, mais l'idée de la commandite se porte incontestablement très
bien. Dès lors n’est-il pas plus simple et plus rationnel de rechercher directement l’adéquation
du rôle et du statut : si l'on recherche des apporteurs de capitaux qui ne soient que
commanditaires, pourquoi ne pas le faire expressément en explorant les possibilités de la forme
spécifique ? Si l’on souhaite mettre les dirigeants à l’abri de volte-faces ou de changements de
majorité incontrôlables au sein de la masse des associés, qu’on réfléchisse à la sécurité et à la
stabilité qu'apporte le statut de commandité.
À ce propos, on touche bien évidemment à ce qui, selon l’idée reçue parmi les
prescripteurs éventuels, constitue l’obstacle psychologique essentiel : la responsabilité illimitée
accompagnée du statut de commerçant. Les exposés et débats qui suivront reviendront sur
cette question, et je me limiterai à des observations simples.
J’ai été frappé par le fait que, dans l’enquête du CREDA, des commandités n’y ont pas vu
l’inconvénient insurmontable qu’on y voit habituellement. Certains ont au contraire hautement
revendiqué le risque de la responsabilité comme un avantage psychologique dans les relations
d'affaires : le crédit personnel est une réalité.
La responsabilité illimitée peut donc bien être la source de prérogatives et avantages par
rapport à la situation d’un dirigeant de société anonyme ou de SARL. Il y a risque, mais il doit y
avoir contrepartie du risque en stabilité et, osons le proclamer, en profits accrus. De toute
façon, il ne faut négliger ni les possibilités fiscales qu’offre éventuellement le choix du régime
de l’impôt sur le revenu pour le commandité des commandites simples, malgré d’autres
inconvénients qu’exposera le Professeur Le Gall, ni la parade que constitue le recours à une
société-écran à responsabilité limitée pour remplir la fonction de commandité ; M. le Professeur
Hopt nous décrira le succès, en Allemagne, de la SARL en commandite, dont on pourrait
s'inspirer en France.
Finalement ce sera à vous de juger, Mesdames, Messieurs, si les techniques de la
commandite, simple ou par actions selon les cas, telles qu’elles existent en l’état présent du
droit positif, peuvent répondre à des besoins spécifiques. Je pense que l’exposé des montages
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très particuliers décrits par M. Gilardi d’une part, et la table ronde des dirigeants de
commandites qui ont bien voulu nous honorer de leur présence, introduite par l'intervention de
M. le syndic Flornoy d’autre part, nous apportera de précieuses informations sur le vécu trop
ignoré de ces formes.
Je veux cependant indiquer que, pour l’équipe du CREDA et le Professeur Viandier, qui l’a
animée, et à qui il reviendra d’exposer les potentialités juridiques de la commandite, le
renouveau éventuel de ces deux formes passe très probablement par des aménagements
législatifs. En matière fiscale, si le législateur veut favoriser le financement des PME, et
notamment des PME à risques, il dispose là d'un terrain d’intervention très favorable. S’agissant
du statut du commandité, sans bien entendu sacrifier la dualité de régime de responsabilité
entre commandité et commanditaire qui fonde ses prérogatives, on peut envisager des
atténuations à la responsabilité indéfinie sous forme de garantie mutuelle, assurance ou autre.
Enfin, si nous n’avons pas distingué a priori entre commandite simple et par actions, c’est qu’au
fond nous nous sommes souvent demandé si la véritable distinction à poser n’était pas plutôt
entre les commandites ayant accès au marché financier ou faisant appel public à l’épargne d’un
côté, et toutes les autres par ailleurs.
Mais pour que le législateur se penche sur ces questions, il faudrait déjà le convaincre que
cela en vaut la peine. Quand on observe combien d’inventions législatives bien plus aventurées
ont été tentées autrefois et naguère, dans l’espoir de faciliter le financement des entreprises, on
se dit qu’après tout les commandites, éprouvées par les ans, méritent bien au moins que l’on
rouvre leur dossier. C’est ce que je vous propose de faire cet après-midi avec les intervenants
prévus dans la première partie de notre réunion, qui sera consacrée aux potentialités de la
commandite, avant que nous n’examinions dans la seconde, les leçons de la pratique.
Première partie
Les potentialités de la commandite
LA MESURE DES POTENTIALITÉS JURIDIQUES
M. Alain VIANDIER,
Professeur à la Faculté de droit de l’Université René-Descartes (Paris V)
M. le Président, Mesdames, Messieurs, rêvons. Rêvons à une société qui permettrait au
couple de l’épargnant et de l’entrepreneur d’œuvrer dans l’harmonie, à une société restée à
l’écart de l’orgie législative et réglementaire contemporaine, à une société demeurée à l’abri
des morsures du droit pénal, à une société où règne encore la liberté contractuelle, liberté dont
on a perdu le goût dans d’autres types de groupements, à une société enfin dont le régime
juridique a été forgé par des siècles de pratique.
Rêvons, ou plutôt ne rêvons plus, car à bien des égards ce portrait est celui des
commandites. Elles existent, elles vivent, elles sont simplement un peu oubliées car le chemin
qui menait à la commandite s’est effacé et l'habitude s’est perdue de constituer, ou simplement
de prescrire des commandites. Pourquoi ?
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Le cynique évoquera pêle-mêle plusieurs raisons : la facture italienne de la société, ce qui
serait un handicap ; son âge, elle est à la veille de fêter son premier millénaire ; l’attitude de la
Faculté, qui répète inlassablement que la commandite est une forme désuète et que cette
italienne sinistrée devrait être rayée du cadastre des sociétés.
Mais le cynique a tort, ses raisons ne sont pas les bonnes car les causes de la défaveur
des sociétés en commandite sont bien plus concrètes. Elles ont pour nom le statut fiscal et
social de ses dirigeants, le caractère fermé, composite et parfois compliqué de son
fonctionnement.
Mais il semble que ces imperfections ne soient pas dirimantes. Si l’on accepte de dégager
la commandite des bandelettes dont l’entourent l’École et la Pratique, on s’aperçoit qu’elle
recèle de très nombreuses qualités et notamment au regard de la trilogie « financement, capital
et pouvoir », qualités qui sont telles qu’elles figurent peut-être une nouvelle chance, une
nouvelle occasion pour la commandite. La commandite ou les commandites ?
Jusqu’alors nous avons raisonné sur les commandites en général sans distinguer les
commandites simples des commandites par actions. Les unes sont ouvertes sur les capitaux
extérieurs, les autres sont repliées sur elles-mêmes. Les commandites par actions ont toujours
été de véritables sociétés alors que les commandites simples ont conservé les marques de la
qualification initiale qui est celle de prêt. Cette dissemblance a permis de trouver à chaque
forme des qualités propres qui s’ajoutent à leurs qualités communes. Nous irons des qualités
communes aux qualités propres.
I. – Les qualités communes
On ne peut en quelques minutes évoquer toutes ces qualités communes et M. Sayag en a
déjà évoqué un certain nombre ; on devra se contenter de lancer en quelque sorte des torches
dans l’abîme pour faire apparaître des reliefs oubliés en forme de qualités relatives aux
principes d'organisation d’un côté et de qualités relatives au statut des partenaires, de l’autre.
A) Les principes d'organisation gouvernent les commandites
Ce sont la liberté et la souplesse.
1° La liberté
En effet, les sociétés en commandite sont, quant à leur organisation, de véritables oasis de
liberté. Ce ne sont pas comme les sociétés anonymes ou les sociétés à responsabilité limitée
des sociétés garrottées, enfermées dans un carcan de règles et de procédures. On sait
combien le législateur régit dans le détail la nomination des organes de gestion des sociétés
anonymes : que ce soit à propos de la qualité d’actionnaire, du cumul avec d'autres positions,
celle de salarié ou celle de dirigeant, de l’âge de l’impétrant, partout la loi intervient, souvent de
manière impérative et réduisant notablement la liberté des associés.
Rien de tel dans les commandites et le dernier mot revient toujours aux seuls associés.
Aussi pourra-t-on rencontrer des gérants non associés, des gérants-personnes morales, des
gérants-salariés, des gérants en position de cumul ; parmi toutes ces singularités, c’est aux
associés, à eux seuls, de décider ce qui est bon pour la société. Et ce qui vaut pour les organes
de gestion vaut pour les organes de surveillance. Il appartient aux rédacteurs des statuts de
commandite de dessiner librement le profil des membres du conseil de surveillance et leur
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rémunération, d’arrêter son mode de fonctionnement, la fréquence des réunions, ses pouvoirs.
Dans ces différents plans, la supériorité des commandites est manifeste.
Alors que bureaux et services, commissions et conseils vont et viennent comme les
navettes d’un métier à tisser, édictant chacun pour leur compte leurs propres normes, alors que
les sociétés évoluent de plus en plus dans un milieu saturé de réglementations, les
commandites, comme d’ailleurs les sociétés en nom collectif, demeurent des îlots de liberté. De
liberté et de souplesse, les deux vont de pair.
2° La souplesse
La gestion des commandites est souple car elle est affranchie des rituels et des formalités
qui ont cours dans d’autres formes de sociétés et l’enquête à laquelle le CREDA a procédé a
bien mis en valeur cette vertu des commandites. Certains utilisateurs interrogés ont dit
apprécier la souplesse de gestion synonyme de gain de temps et de plus grande efficacité et
peut-être qu’on nous le confirmera tout à l’heure. Efficacité encore fortifiée par le statut des
partenaires.
B) Le statut des partenaires
Le statut des partenaires offre un bon exemple de qualités communes aux deux formes de
commandite, du côté des gérants et du côté des associés.
1° Les gérants
Du côté des gérants commandités, au premier rang on pourra placer la responsabilité
indéfinie, voire solidaire, du gérant commandité. C’est paradoxal, car la littérature savante voit
habituellement dans cette responsabilité un défaut majeur des sociétés en commandite, à tort
sans doute car en cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, le piège de
l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967, se refermera sur tous les dirigeants de sociétés, sans
distinction, et leur sort voisinera celui d'un gérant commandité.
Allant plus loin, on doit noter que cette responsabilité ultime est de nature à renforcer le
pouvoir du gérant commandité : il aura le dernier mot car c’est lui qui, le cas échéant, paiera
jusqu’à son dernier sou. D’où une liberté d'allure, d’où ces défenses d’immixtion à l’encontre
des commanditaires.
Dans ce type de société il n’y a aucune place pour la dilution des responsabilités. Le gérant
commandité n’est pas un fonctionnaire social ; ce n’est pas un organe anonyme. C’est
vraiment, malgré la personnalité morale, un véritable chef d’entreprise en raison de la
responsabilité qu’il encourt. Propos de théoricien ? Ce n’est pas sûr, car les utilisateurs de la
société en commandite paraissent sensibles à cette particularité, certains allant même jusqu’à y
voir le nerf de l’activité économique, d’autres y voyant un « stimulant ».
Le statut du gérant commandité se recommande encore en raison de la stabilité. La loi ne
fixe aucune échéance au mandat ; la révocation est quasiment impossible lorsque le gérant est
commandité et également gérant statutaire. Cette sécurité de l’emploi va rehausser l’image du
gérant à l’égard des tiers. Assuré de la stabilité, il négociera plus facilement et, dans les
sociétés de famille, la même stabilité le mettra à l’abri des éventuels déchirements entre des
associés dont l’affectio societatis est affaibli par les conflits familiaux. Ainsi la société sera
mieux gérée, ce qui ne peut que présenter des avantages pour les autres partenaires que sont
les associés.
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2° Les associés
Pour les associés, les sociétés en commandite possèdent d’autres qualités. Citons l’intimité
qui va permettre le criblage des candidats associés et qui autorisera à rejeter des héritiers,
éventuellement un conjoint. L’exigence de l’agrément qui est généralement présentée comme
une gêne peut offrir, dans d'autres circonstances bien particulières, un avantage.
Mais la qualité majeure des commandites au regard des sociétés en nom collectif tient à
leur caractère composite. Grâce à la division des commandités et des commanditaires, on
pourra trouver associés dans la même société en commandite des mineurs et des époux, des
commerçants et des non-commerçants, et allant plus loin, l’alliance des investisseurs et des
entrepreneurs est possible. Alliance même que recherche à longueur de session parlementaire
le législateur qui donne parfois l’mpression de s’essoufler en créant de nouveaux types de
sociétés et qui donne franchement l’impression depuis quelques années de tenir un magasin de
nouveautés législatives. Or cette fameuse alliance existe, elle est connue, balisée, depuis des
dizaines d'années dans les sociétés en commandite, c’est une de leurs qualités communes qui
parfait leurs qualités propres.
Il. – Les qualités propres
S’agissant des qualités propres, on peut les évoquer très vite, car elles sont bien connues.
D’abord, pour la société en commandite par actions, c'est l’irrévocabilité du gérant,
éventuellement la possibilité de diluer le capital sans pour autant diluer le pouvoir et la
responsabilité.
Pour la société en commandite simple, c’est l’absence d’exigence d’un capital minimum. À
bien des égards, en forçant un peu le trait, la société sans capital existe, on l’a rencontrée :
c’est la société en commandite simple. À l’heure où tout le monde s’accorde à juger périmé le
concept de capital, cette société dépassée, démodée, se trouve ainsi propulsée à l'avant-garde
du modernisme.
C’est l’absence par ailleurs de régime juridique, autre que celui prévu par les statuts, pour
les conventions passées entre la société et ses associés.
On le voit, une idée sourd de cette brève introduction, celle des sociétés en commandite,
sociétés purement contractuelles ; c’est que la liberté des associés domine. Certes, c’est le lot
de toutes les sociétés de personnes, mais la société en commandite présente une richesse
supplémentaire que n’ont pas les autres sociétés de personnes, c’est cette alliance possible de
l’investisseur et de l’entrepreneur, cette division du travail ; et en cela il est permis de se
demander si les sociétés en commandite ne constitueraient pas, à côté des autres outils
existants, un bon instrument d’orientation de l’épargne vers les entreprises.
Que faudrait-il pour qu’elle joue réellement son rôle ? Un aménagement du régime
juridique, car il existe un bon nombre d'impuretés. Un aménagement de leur régime fiscal car,
on le sait, en Allemagne comme en France, au moment de choisir les vêtements juridiques de
l’entreprise, le couturier, le tailleur, ce n’est pas le spécialiste du droit des sociétés, c’est le
fiscaliste.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
LE POIDS DE LA FISCALITÉ
M. Jean-Pierre LE GALL,
Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Paris-Sud (Paris XI), Avocat à la Cour
La fiscalité est bien cruelle, ou ingrate. Voici une forme de société, la société en
commandite, dont le régime fiscal apparaît, a première vue, d'une singulière simplicité, si du
moins l’on accepte de raisonner par réduction à des régimes connus.
Même la commandite simple, la forme la plus complexe malgré son qualificatif, se révèle
sous les traits familiers d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés pour une part, celle des
commanditaires, d’une société translucide pour une autre part, celle des commandités.
Rappelons que l’on désigne généralement par translucidité le fait pour une société de renvoyer
chez ses membres la dette d’impôt afférente aux résultats taxables qu’elle a dégagés à la
clôture de ses exercices successifs. Quant à la commandite par actions, le Code l'assimile
intégralement aux sociétés qui, comme la SA ou SARL, sont soumises personnellement à
l’impôt, appelé pour cela même « sur les sociétés ». Sur option, la société en commandite
simple pourrait du reste être soumise au même régime d’assujettissement intégral à l’impôt sur
les sociétés.
La réalité est plus complexe car des forces contraires habitent ces deux formes de sociétés
en commandite. Dans son principe, la commandite, société unique, ne naît jamais que de
l’addition de deux pièces rapportées et artificiellement conjointes : une société de personnes,
assimilable à une société en nom collectif, fiscalement translucide, une société avec
responsabilité limitée, assimilable selon les cas à une SARL ou une SA, fiscalement imposable.
Autant dire que la dualité de régime fiscal de la société en commandite simple, comme l’unité
de régime fiscal de la société en commandite par actions, sont soumises à des mouvements
puissants : centrifuges pour la commandite par actions, puisqu’ils visent à la soumettre à un
double régime fiscal, régime des sociétés de capitaux d’une part, des sociétés de personnes,
d’autre part ; centripètes pour les commandites simples puisqu’ils tendent à l’assujettir à un
régime fiscal unique, celui des sociétés de capitaux, l’impôt sur les sociétés autrement dit. Le
résultat, ou l’illustration, de ces tensions est double.
D’abord, elles rendent incertaines les solutions de diverses questions auxquelles ni les
tribunaux ni l’Administration n’ont apporté de réponse. Ainsi en est-il par exemple de la réserve
spéciale des plus-values à long terme. La loi impose aux sociétés soumises à l’impôt sur les
sociétés de la constituer au passif de leur bilan à hauteur du montant de la plus-value après
déduction de l’impôt réduit au taux de 15 %, soit à concurrence de 85 % de la plus-value brute.
Aucune exigence de cette nature ne pèse sur les sociétés translucides. Une société en
commandite simple doit-elle dès lors porter au débit du compte de réserve spéciale qu’elle
créera au passif de son bilan le solde net de la plus-value réalisée ou la quote-part de cette
plus-value revenant au commanditaire ? Il n’est pas exclu que l’unité de régime fiscal,
l’application donc du régime de l’impôt sur les sociétés, prévale sur la dualité de régime qui est
de règle.
Il y a plus. Les tensions, qu’on a évoquées, entraînent ensuite des altérations de régime
fiscal normalement applicables tant aux commandités qu’aux commanditaires, dans un sens
généralement défavorable à leurs intérêts patrimoniaux respectifs.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Force est donc, dans ces conditions, d’identifier dans un premier temps ces « glissements
de régime », afin d’échapper, si faire se peut, aux inconvénients fiscaux de la commandite, afin,
autrement dit, d’éviter tout mauvais usage de la commandite.
Est-ce à dire que la fiscalité ne trouve aucun bien dans la commandite ? Nous ne le
pensons pas. L’expérience montre que la commandite pourrait, dans certains cas, demeurer
une forme sociale séduisante, à condition de savoir en faire bon usage. Autant dire, pour
revenir à l’intitulé de cet exposé, que la fiscalité constitue un poids lourd. C’est ce
qu'apprennent du reste les livres. La fiscalité porte aussi en elle des contrepoids. C’est ce que
révèlent cette fois les dossiers.
I. – Du mauvais usage de la société en commandite
On conclura à un mauvais usage de la commandite si les associés commandités ou
commanditaires, ne bénéficient pas à plein des avantages fiscaux du statut qui leur est
naturellement applicable – c'est-à-dire, selon le cas, des avantages fiscaux des sociétés
translucides ou des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. Ce risque est loin d’être
illusoire, pour les uns comme pour les autres.
A) Les commanditaires
Ces associés sont toujours soumis au régime de l’impôt sur les sociétés, quelle que soit la
forme de la commandite. Or ce régime, s’il comporte certaines contraintes spécifiques,
présente aussi de réels avantages. Il est remarquable que les commanditaires en soient parfois
privés.
1° Dans les commandites simples, les commanditaires risquent de perdre, totalement ou
partiellement, certains avantages du régime de l’impôt sur les sociétés.
a) Les commanditaires perdent totalement le bénéfice du régime des sociétés mères et
filiales, régime propre aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. Ce régime permet en
substance d’éviter une double imposition successive des bénéfices réalisés par une filiale, puis
distribués sous forme de dividendes à sa société mère. Normalement taxés à l’impôt sur les
sociétés dans les résultats de la filiale, ces bénéfices sont exonérés (pour l’essentiel) d’impôt
sur les sociétés quand la société mère les reçoit sous forme de dividendes. L’exclusion de ce
régime des commandites simples trouve traditionnellement un appui solide, mais non décisif
peut-être, dans les termes mêmes de l’article 145 du Code général des impôts, qui ne vise que
les « sociétés françaises par actions ou à responsabilité limitée ». Si la société en commandite
simple crée des filiales soumises à l’impôt sur les sociétés ou est constituée comme filiale par
une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les dividendes reçus ou distribués par elle sont
soumis à une double imposition. Voilà qui condamne la commandite simple à une existence
solitaire, donc à mort dans la plupart des situations - sauf à opter pour l’impôt sur les sociétés.
b) Les commanditaires, dans les commandites simples encore, pourraient perdre, en
d’autres circonstances, sinon la totalité du moins une partie du bénéfice de régimes propres
aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. L'article 160 du Code général des impôts
soumet en effet les plus-values de cession de leurs parts à un impôt de 15 % dans le seul cas
où le cédant (et ses proches) ont détenu, pendant les cinq années précédant la cession, plus
de 25 % des droits aux bénéfices de la société. À défaut, la plus-value est exonérée. Ce
régime, applicable aux seuls commanditaires personnes physiques, est souvent plus favorable,
quoiqu’on ait écrit, que le régime applicable aux associés personnes physiques de sociétés de
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personnes, depuis 1979 en tout cas. Or dans le cas d’une commandite, la participation de 25 %
se calculera sur la seule part de bénéfices soumise à l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire la part
des commanditaires. Ce seuil qui déclenche l’imposition, sera donc plus facilement atteint que
si la société était soumise à l’impôt sur les sociétés à la fois sur la part des commanditaires et
celle des commandités.
2° Dans les commandites par actions, le commanditaire perd le bénéfice du régime
d’exonération des biens professionnels en matière d’impôt sur les grandes fortunes, même si,
membre du conseil de surveillance et directeur administratif, par exemple, il exerce des
fonctions d'administration au sein de la commandite sans pour autant, bien entendu, s’immiscer
dans la gestion aux yeux des tiers. À titre de comparaison, un administrateur de société
anonyme lié à la société par un contrat de travail bénéficierait de l’exonération d’impôt, toutes
autres conditions étant réunies par ailleurs (Instr. 19 mai 1982, nos 246 et 258 : JCP 1982, III,
52806).
Le commandité, il va sans dire, ne tire aucun avantage de l’inconvénient dont souffre le
commanditaire. À son tour, au contraire, il perd certains avantages fiscaux du statut fiscal qui lui
est naturellement applicable.
B) Les commandités
Il faut à nouveau distinguer selon le type de commandite.
1° Dans la commandite simple, le commandité est en principe soumis à un régime de
translucidité. Ce régime offre, entre autres, l’avantage de soumettre les apports d’immeubles et
de fonds de commerce au taux normal de 1 %, à la différence du régime de l’impôt sur les
sociétés qui rend alors exigible le droit d’apport majoré de 11,40 % (si l’apport est effectué par
une personne physique). Or l’Administration applique ce dernier régime à l’ensemble des
apports effectués lors de la constitution de la société ou en cours de vie sociale, qu’ils le soient
par des commanditaires ou des commandités. Par voie de conséquence, la théorie de la
mutation conditionnelle ne trouve pas à s’appliquer en cas de reprise d’apport. C’est un autre
inconvénient puisque la reprise peut alors s’exercer sous certaines conditions en franchise de
droits.
2° Dans les commandites par actions, le commandité est soumis au régime de l’impôt sur
les sociétés. Ce régime devrait lui assurer l’avantage, accordé aux dirigeants de sociétés
anonymes, de voir sa rémunération imposée comme celle d'un salarié, avec les abattements
correspondants. Or le commandité est traditionnellement assimilé à un gérant majoritaire de
SARL. Il en résulte une imposition aggravée, selon le régime de l'article 62 du Code général
des impôts, qui est lui-même très proche du régime d’imposition des gérants de sociétés
translucides.
Faut-il dès lors désespérer de la commandite ? Non, sans doute, car la pratique en suggère
un meilleur usage.
Il. – Du bon usage de la société en commandite
Un bon usage de la commandite suppose que les associés obtiennent des avantages
fiscaux que ne leur donnerait pas une société totalement soumise à l’impôt sur les sociétés.
Pratiquement cette situation se rencontre lorsque les principaux associés exigent de limiter leur
responsabilité, exigence qui a pour contrepartie l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
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L’adjonction d’un régime de translucidité, propre aux commandites simples peut alors produire
des effets heureux. Encore faut-il nuancer. Dans le premier exemple, un élément manque à la
perfection du système. Dans le second exemple, seules des circonstances exceptionnelles
permettraient de faire fonctionner le système.
A) La commandite simple comme instrument d'une fusion européenne
L’hypothèse de travail est simple : deux sociétés holdings, cotées en Bourse, veulent
fusionner. L’une est française, l’autre est allemande. Elles possèdent des participations
industrielles dans diverses filiales, françaises, belges, allemandes, hollandaises, américaines.
Le chiffre d’affaires consolidé est de 8 milliards de francs environ en 1981.
La question posée est autrement complexe : la fiscalité des divers États en cause
constitue-t-elle ou non un obstacle à l’opération ? Le problème juridique est très secondaire.
L’analyse montrera l’extrême vanité d’une étude sur une société européenne sans mesures
fiscales d’accompagnement.
En effet, la fiscalité fait sentir son poids à deux moments au moins : la constitution de
l’entité commune (imposition des plus-values d’apport et droits d’apport), la remontée des
dividendes à travers cette entité (utilisation des avoirs fiscaux et autres crédits d’impôt). Parmi
la dizaine de formules étudiées, l’une consistait en une commandite simple française avec
établissement stable en Allemagne (pour simplifier, on n’examinera que la partie française).
Pourquoi ?
1° Constitution de l'entité commune
Le régime de faveur des apports (suspension d’impôt sur les plus-values ; droit fixe
d’apport) est réservé aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. L’apport des
participations devait donc être effectué par les commanditaires (deux holdings françaises et
allemande). Les commandités (deux filiales ad hoc de chacun des commanditaires) font de
simples apports en industrie (gestion des participations apportées par les commanditaires).
Ainsi se trouve pratiquement éliminé du côté français le problème fiscal lié à la constitution de
l'entité.
2° Remontée des dividendes
a) Commandités
Chacun d’entre eux devait être rémunéré de son industrie par dation des dividendes
originaires de son État : le commandité français aurait reçu des dividendes distribués par les
filiales françaises dont les actions avaient été apportées à la commandite par les deux holdings.
Il faut savoir en effet que le régime fiscal de translucidité applicable aux sociétés en nom
collectif, donc aux commandités, se transforme en une véritable transparence fiscale en ce qui
concerne les dividendes : les commandités sont censés les percevoir directement, avec leur
nature propre et leurs attributs comme si la commandite (ou la société en nom collectif)
n’existait pas. Le commandité français est donc censé percevoir directement les dividendes
d'origine française. Il garde ainsi le bénéfice de l’avoir fiscal élément essentiel en l’espèce.
Cet aménagement suppose des mesures d’adaptation (ex. moduler les volumes de
distribution de dividendes en fonction des parts des commandités, attribuer par préciput les
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dividendes d’origine nationale à chaque commandité en rémunération de ses services, etc.).
On ne fera que les mentionner.
b) Commanditaires
La remontée des dividendes non attribués aux commandités n’aurait soulevé aucun
problème en ce qui les concerne si le régime des sociétés mères leur était applicable. Pouvaiton obtenir une solution en ce sens ? La démarche méritait d’être tentée, malgré une première
réponse négative de l’Administration en 1972 (Rep. quest. écrite Lucas : JO Déb. Ass. Nat.,
1er avril 1972, p. 76) : les commanditaires d’une commandite simple ne peuvent-ils être
assimilés aux associés d'une SARL, société à laquelle l’article 145 accorde le bénéfice du
régime des sociétés mères ?
c) Conclusion
La perte du régime des sociétés mères par les commanditaires, sauf revirement
administratif, constituait le dernier obstacle au montage envisagé. Curieusement, cet obstacle
s’est trouvé aggravé récemment par l’effet d’un arrêt du Conseil d’État du 19 octobre 1983 (req.
n° 33816 : Rec. Lebon, p 415 ; JCP 1983, I, 12012) qui dénie la qualité de société mère aux
sociétés, soumises à l’impôt sur les sociétés, membres d’un GIE (par extension d’une société
en nom collectif ou d’une commandite simple) selon le mécanisme de transparence ci-dessus
rappelé. Ceci signifie que les deux sociétés commanditées (filiales des commanditaires, comme
on l’a vu) recevraient bien des dividendes de filiales françaises assorties de l’avoir fiscal, mais
intégralement taxables faute de bénéficier du régime de faveur des sociétés mères. Cette
double imposition n’aurait pas été acceptable en l’espèce.
B) La commandite simple comme instrument de détaxation du salaire d'un dirigeant
L’hypothèse de travail est à nouveau simple. Un groupe désire s’attacher les services d’un
manager particulièrement réputé. Les prétentions financières de ce dernier sont importantes. Il
exige un salaire élevé net d’impôt et de charges sociales. Le salaire net doit donc être multiplié
par 2,5 environ (ex. : deux millions net = cinq millions de francs environ). Ajoutons, autre
postulat, que la politique menée par ce manager doit entraîner des bénéfices au bout de cinq
ans. La société accumulera des pertes jusque-là.
La question posée est à son tour complexe : peut-on diminuer cette charge ? Dans ce
contexte très particulier, on songe à utiliser le régime de la commandite simple.
L’intéressé, non résident lors de son embauche, crée une société de capitaux dans un État
à faible fiscalité. Celle-ci devient commanditée unique de la société opératrice du groupe,
transformée de SA en commandite simple. Elle ne fait qu’un apport en capital limité. Elle reçoit
comme gérant une rémunération égale au salaire net demandé par le manager (deux millions
de francs).
Les premières années, le résultat comptable annuel de la société commanditée est de deux
millions de francs. Le résultat fiscal (déterminé sur la base des activités exercées en France)
est de 0, par imputation sur le bénéfice comptable de la quote-part des pertes de la société en
commandite simple, supposées être égales ou supérieures à deux millions de francs.
Parallèlement, la société commanditée transfère les deux millions de francs à son siège
étranger par virement interne, et prête le même montant sans intérêts au manager.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Quand la société en commandite devient bénéficiaire, la société commanditée se retire, sa
part étant rachetée par les commanditaires pour sa valeur nominale et la commandite se
convertit en SA. De son côté, le manager resté ou redevenu résident étranger, dissout la
société commanditée à l’étranger et compense son boni de liquidation avec sa dette d'emprunt.
On admettra que le mécanisme est complexe. Il suppose un manager non-résident ou
susceptible de le redevenir (pour le prêt et la dissolution). Par ailleurs, il prive les
commanditaires de reports déficitaires utilisables sur les futurs bénéfices de la société, bien que
cet effet soit très peu sensible après actualisation. Il reste enfin à s'interroger sur le risque
d’abus de droit, étant observé cependant que le dispositif ne tombe pas sous le coup de
l’article 155-A du Code général des impôts.
Se poser cette question, c’est néanmoins reconnaître les conditions assez acrobatiques
des opérations envisagées. Autant dire qu’un bon usage de la commandite, comme de la
langue, reste rare et difficile. Il est révélateur à cet égard que la dernière réponse ministérielle
parue (Rép. quest. écrite n° 15036, Lombard : JO Déb. Sénat, 12 avril 1984, p. 573) envisage
une transformation de société en commandite simple en société civile immobilière...
LES PRESCRIPTIONS POSSIBLES
M. Jean GILARDI,
Ancien élève de l’ENA, Directeur à l’Européenne de Banque
Il s’agit de répondre à la question de savoir dans quel cas on peut conseiller de créer une
commandite. Sans apporter une réponse définitive à cette question, je voudrais simplement
évoquer quelques idées en la matière.
Vous me permettrez d’abord de souligner que si la commandite est passée de mode, elle
n’est pas totalement morte et, aujourd’hui encore, il arrive qu’on en crée pour résoudre des
problèmes très particuliers.
Mais, quant à l’avenir, peut-on espérer que la commandite cesse d’être une curiosité ?
Peut-on espérer qu’elle devienne une société à vocation propre et qu’elle connaisse un nouvel
essor ? On ne doit pas rêver, mais ce n’est pas impossible si l’on se place dans la perspective
du développement du capital-risque, développement auquel les pouvoirs publics semblent très
attachés actuellement.
I. – La commandite en tant que solution à des problèmes particuliers
Sur ce premier point, je ferai appel à mon expérience. Comme le Professeur Le Gall tout à
l’heure je vais essayer de développer devant vous quelques exemples de commandites,
réussies, ou tout au moins, qui n’ont pas avorté.
• Premier exemple : Deux groupes avaient une filiale commune bénéficiaire. La société
participante qui avait la direction de la filiale était déficitaire. À l’origine, la filiale avait été
constituée sous forme de société anonyme, ce qui interdisait de faire des compensations entre
ses bénéfices et les pertes de la société mère dirigeante. Cette filiale a été ensuite transformée
en société en commandite simple, la société mère dirigeante a pris la position de commandité
et l’autre société qui n'exerçait pas de responsabilité était le commanditaire. Ainsi, la société
mère dirigeante a pu compenser ses propres pertes avec les bénéfices de la filiale du fait de sa
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qualité de commandité. Bien entendu, la société filiale restait imposable à l’impôt sur les
sociétés pour la part revenant au commanditaire.
Comme le Professeur Le Gall le soulignait, ce genre de montage n’est pas sans danger. En
effet la société commanditaire ne pourra pas bénéficier du régime de faveur des sociétés mères
même si elle détient plus de 10 % du capital de la filiale puisque celle-ci relève de la catégorie
des sociétés de personnes, ce qui exclut l’application de ce régime. Mais dans le cas présent,
la filiale ne distribuait pas de dividende et par conséquent, l’application ou la non-application du
régime des sociétés mères était indifférente.
• Deuxième exemple : Une banque souhaitait développer des activités de placement
financier en recourant à des moyens commerciaux qu’elle ne pouvait utiliser elle-même en
raison de la réglementation bancaire. Il lui fallait donc créer une société filiale n'ayant pas le
statut bancaire. Une telle société risquait cependant d’enregistrer des pertes pendant
longtemps car l’équilibre de l’opération résidait dans les retombées, au niveau de la banque
elle-même, de ces activités de placement financier. Mais peu importait si la banque avait pu
contrôler sa filiale à 100 %. Or il se trouve que les banques ne peuvent prendre des
participations supérieures à 20 % dans une entreprise commerciale.
La solution de ce problème a consisté à créer la filiale sous forme de commandite simple, la
banque ayant pris la position de commandité. Ainsi, après épuisement du capital, la totalité des
pertes a été régulièrement prise en charge par la banque bien que sa participation au capital
n’ait pas dépassé la limite légale de 20 %.
• Troisième exemple : Il s’agissait de trouver une structure permettant de financer la mise
au point de brevets dont l’inventeur véritable n’avait pas de capitaux, mais auquel devait
légitimement revenir une part importante des bénéfices procurés par l'exploitation future.
L’utilisation du moule juridique de la SARL ou de la SA aurait été dangereuse car l’intéressé
aurait été alors amené à percevoir des « rémunérations » ; ce qui aurait conduit l’administration
fiscale à les traiter, pour une partie importante, comme des distributions de bénéfices avec la
double imposition en cascade que l’on connaît dans la mesure où, selon ses propres critères,
les dites rémunérations auraient pu paraître exagérées. Aussi, a-t-on retenu la forme de la
commandite par actions avec l’inventeur comme commandité. De la sorte, la part des bénéfices
qui lui est attribuée ne peut, en aucune façon, être critiquée par l’administration fiscale sur la
base de la théorie de l’acte de gestion anormale. Bien entendu, dans cette formule, la totalité
du bénéfice supporte l’impôt sur les sociétés, mais tant qu’il n’y a pas de distribution, il n’y a pas
d’impôt sur le revenu au niveau des associés. Si l’intention avait été de distribuer, on aurait
sans doute retenu la formule de la commandite simple dans laquelle les bénéfices du
commandité auraient immédiatement supporté non pas l’impôt sur les sociétés mais l’impôt sur
le revenu dans la catégorie des BIC.
• Quatrième exemple : Il est intéressant car il fait intervenir un groupe étranger. Celui-ci
voulait prendre une participation dans une filiale française et il souhaitait pouvoir incorporer
fiscalement le résultat de cette filiale française à l’intérieur de son propre résultat mondial, mais
sans pour autant aboutir à une consolidation du résultat de l’ensemble de ses filiales. La
solution a consisté à retenir la formule de la commandite par actions dans laquelle la holding
étrangère dudit groupe avait la position de commandité. En effet, si les sociétés de ce type sont
assimilées, en France, à des sociétés anonymes, par le Code général des impôts, il n’en est
pas nécessairement de même à l’étranger. Au cas particulier, la législation du pays du siège de
la holding permettait de considérer que la commandite par actions était partiellement une
partnership pour ce qui concernait la société mère commanditée. En conséquence, la part des
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bénéfices revenant à celle-ci pouvait être incluse dans son bénéfice mondial, l’impôt sur les
sociétés français correspondant étant, bien entendu, admis en déduction de l’impôt étranger
calculé sur ce bénéfice mondial. En constituant la société en question, le groupe étranger a pu
ainsi compenser les profits français avec des pertes provenant d’autres pays.
Voilà quelques exemples qui montrent que la commandite, simple ou par actions, a, encore
aujourd’hui, une certaine utilité. Mais au-delà de cet aspect « gadget » qu’en est-il de l’avenir et
plus précisément peut-on considérer que la commandite soit susceptible de se développer en
tant que véhicule du capital-risque ?
Il. – La commandite en tant que véhicule du « capital risque »
On a dit à plusieurs reprises déjà que la commandite est un moyen de regrouper, sans les
confondre, entrepreneurs commandités et investisseurs commanditaires. De ces deux points de
vue, la commandite peut être un véhicule pour le capital-risque.
On rappellera simplement que l’entrepreneur, dans cette formule, peut être pratiquement
irrévocable si les statuts le prévoient. Au plan fiscal, je crois qu’il est intéressant de souligner
que, pour l’entrepreneur commandité, la participation dans la société en commandite pourra
être considérée comme un outil de travail et donc exonérée de l’impôt sur les grandes fortunes
et cela quelle que soit son importance, alors que les dirigeants des sociétés anonymes ou à
responsabilité limitée ne peuvent prétendre au régime de l’outil de travail que si leur
participation est au moins égale à 25 %.
Certes, l’entrepreneur commandité supporte une responsabilité indéfinie et une imposition à
l’impôt sur le revenu qui, actuellement, dépasse à la marge les 71 % ; mais on peut éliminer ces
inconvénients en interposant une société anonyme ou une SARL qui serait commanditée à sa
place et dont il détiendrait pratiquement la totalité du capital. Une autre solution, à supposer
que l’intention soit de garder les bénéfices en réserve, serait de faire opter la société en
commandite pour l’impôt sur les sociétés.
Côté investisseurs, on observera qu’il est illusoire de penser que l’on pourrait encore
trouver aujourd’hui des commanditaires comme il en existait au siècle dernier, c’est-à-dire
disposant d’un magot et à la recherche de professionnels capables de le faire fructifier.
Aujourd’hui l’épargne est beaucoup plus dispersée et son emploi passe par les banquiers dont
le rôle est d’élaborer des produits financiers permettant de regrouper les facultés
d’investissement et de répartir les risques.
Parmi ces produits financiers, il en est un qui présente certaines affinités avec la
commandite : je veux parler de la formule toute neuve du fonds commun de placement à
risque. Ce fonds commun se définit par la composition de son portefeuille qui doit comprendre
40 % au moins de titres de sociétés non cotées. Son régime fiscal est très favorable puisque
sous certaines conditions, les produits réinvestis dans le fonds sont exonérés d’impôt sur le
revenu et que les plus-values de cession après cinq ans de détention échappent aussi à
l'impôt.
On pourrait fort bien imaginer que les sociétés dans lesquelles ces fonds prendront des
participations soient constituées sous forme de commandites simples ou transformées en
société ayant cette forme juridique. La souplesse de ces sociétés permettrait, en effet, aux
responsables des fonds communs de gérer leur portefeuille avec la sécurité du commanditaire
tout en laissant le commandité libre et responsable.
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Au terme de ce rapide tour d’horizon des prescriptions possibles, je dois souligner la
nécessité de faire disparaître certains obstacles qui gênent actuellement le développement des
commandites alors que, on l’a vu, elles peuvent rendre d'utiles services.
Il me semble tout d’abord que pour une forme sociale en perte de vitesse, l’existence de
deux types, simple et par actions, est excessive. Il vaudrait mieux qu'il n'y ait qu'un seul type de
commandite, mais mieux adapté aux nécessités du moment. À cet égard, il serait bon à mon
sens, à partir de la commandite simple, de définir une formule unique ayant la même souplesse
avec des aménagements qui devraient l’arracher de la catégorie des sociétés de personnes
pour en faire un type tout à fait spécifique.
Ainsi, il faudrait admettre la négociabilité des parts par les voies commerciales, de manière
à ne pas être obligé de constater les cessions par un acte et ne pas avoir à payer le droit
d'enregistrement de 4,80 % sur cet acte.
Il faudrait également admettre l’application aux distributions du régime fiscal des sociétés
mères lorsque la participation du commanditaire est détenue, à plus de 10 %, par une société
relevant de l'impôt sur les sociétés.
Enfin, il faudrait redéfinir les rapports entre commandité et commanditaire, notamment en
ce qui concerne le contrôle, car on ne peut laisser un sujet de cette importance totalement à la
merci des rédacteurs de statuts. Un embryon de réglementation sur ce point permettrait d’éviter
de douloureuses déconvenues.
Peut-on espérer que les pouvoirs publics acceptent de se pencher sur le dossier des
commandites et de s’engager dans la voie que je viens de tracer ? La question mériterait de
leur être posée.
COMMANDITES ET INSTITUTIONS VOISINES
M. André DUPONT-JUBIEN,
Magistrat, Chef du Service juridique de la Commission des opérations de Bourse
Après ce grand détour sur les contraintes juridiques et fiscales qui pèsent sur les sociétés
en commandite, il me revient le soin de rechercher si, comme le faisait observer le Professeur
Sayag, les sociétés anonymes classiques ne se voient pas offrir à l’heure actuelle plusieurs
possibilités voisines de la commandite.
L’idée de commandite, historiquement ancienne, consiste à faire partager le risque et les
profits de l’entreprise, de façon différenciée, entre des partenaires-gestionnaires qui y engagent
la totalité de leurs biens personnels, leur nom et leur réputation, et des bailleurs de fonds
anonymes, intéressés mais relativement impuissants à influer sur la gestion des affaires
sociales communes.
Bien évidemment, ce partage différencié des risques et des profits sociaux conduit à une
dualité d’associés jouissant de droits et d’obligations adaptés à la nature et à l’étendue des
apports, des engagements et des fonctions de chaque catégorie d’associés.
On a coutume de dire que cette dualité d’associés constitue la caractéristique essentielle
des sociétés en commandite. Il est vrai que dans le régime des sociétés de personnes seul le
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
statut de la commandite simple offre la possibilité, sous une forme organisée par la loi, d’ouvrir
aux associés des droits différents ( 5 ).
En revanche, cela n’est plus exact dans les sociétés de capitaux. Pour celles-ci, au cours
des dernières années, le législateur a ouvert des possibilités nouvelles d’émission de titres qui
confèrent à leurs titulaires des droits distincts de ceux qui appartiennent aux actions ordinaires
et organise, au sein de la société, le statut juridique des porteurs de chacun de ces titres. Dès
lors que ces facultés sont accessibles aux sociétés anonymes classiques, les sociétés en
commandite par actions perdent le privilège d’être la seule forme de société de capitaux
permettant un régime organisé de différenciation des droits d'associés. Est-ce, pour autant, que
l’idée de commandite a envahi le droit des sociétés ? Est-ce, pour autant, que l’institution de la
commandite par actions a perdu son originalité par rapport à sa rivale, la société anonyme ?
Telles sont les réflexions auxquelles m’ont engagé les organisateurs de ce débat.
Il ne serait pas raisonnable de considérer que le législateur de ces dernières années a eu
la volonté d’étendre l’idée de commandite aux sociétés dites classiques.
L’une des preuves en est que le mouvement de diversification des titres n’a pas atteint les
sociétés de personnes alors que rien, à mon sens, ne s’oppose, de lege ferenda, à ce que
certaines des idées qui ont motivé la création de nouvelles valeurs mobilières soient étendues
au droit des SARL, par exemple.
Force est de constater également que la plupart de ces nouveaux titres peuvent être
utilisés indifféremment par des sociétés anonymes et par des sociétés en commandite par
actions, puisque celles-ci empruntent, pour les titres détenus par les commanditaires, le régime
général des actions.
Enfin et surtout, il faut se souvenir que ce mouvement législatif correspondait aux études
conduites ces dix dernières années, sous la pression de la crise, sur les questions relatives à la
structure des entreprises et à l’orientation de l’épargne vers leur financement, sur les
motivations réelles ou supposées de l’actionnariat des grandes sociétés, sur les besoins de
financement, notamment de capitaux propres, des entreprises, sur la transmission des sociétés
de famille, et plus récemment enfin, sur le financement privé des sociétés nationalisées.
À chacune de ces occasions il est apparu que le régime classique action/obligation était
trop monolithique pour rendre compte exactement des besoins et des possibilités des
entreprises et leur permettre de s’adapter facilement aux opportunités offertes par le marché
financier. C’est donc avant tout à une évolution des règles sur les valeurs mobilières qu’ont
tendu les efforts du législateur, et ces efforts, justifiés par la nécessité de faire droit à des
aspirations légitimes, ont balayé les principes juridiques affirmés en 1966. Tel fut le cas
notamment de la reconnaissance en droit français de la possibilité de démembrer les droits
différents traditionnellement réunis dans une action. Tel fut le cas aussi de la possibilité pour les
sociétés du secteur public de se constituer des quasi-fonds propres au moyen de l’emprunt.
(5) L'article 1844-1 du Code civil, disposition applicable à toutes les sociétés sous réserve de leurs statuts
particuliers, permet aux statuts de prévoir une .répartition des risques et des profits qui ne soit pas proportionnelle aux
apports, à l’exclusion des clauses attribuant à un associé la totalité du profit, l’exonérant de la totalité des pertes,
l’excluant totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes. De même, le régime des parts d’industrie
peut introduire dans une société de personnes plusieurs catégories d’associés. Mais ce ne sont pas là des formes
« institutionnelles » de sociétés.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Ce faisant, on a peut-être sans le savoir réinventé l’idée de commandite mais je puis
témoigner, pour avoir vécu ce mouvement législatif, que c’était bien involontaire.
Cette évolution s’est-elle faite contre la commandite à qui elle aurait emprunté sans oser
l’avouer des idées qui n’appartenaient qu’à elle ? Est-elle complémentaire de la commandite ?
Pour ma part et malgré les apparences, je penche pour la deuxième solution.
I. – Les nouveaux titres conférant des droits différenciés
Les nouvelles valeurs mobilières créées ces dernières années peuvent être regroupées en
deux catégories : les titres hybrides par amputation des actions et les titres n'assurant qu’une
acquisition différée et aléatoire de la qualité d’actionnaire.
A) Les démembrements des actions
• Créées en 1978, les actions à dividende prioritaire sans droit de vote n’ont connu que peu
de succès en raison de certaines précautions que le législateur de l’époque, méfiant et prudent,
avait introduit dans les possibilités d’émission de tels titres : impossibilité d’émettre lorsqu’il
existait déjà des obligations convertibles, nécessité de procéder par augmentation de capital et
non par transformation d’actions existantes, rétablissement relativement rapide et surtout
durable du droit de vote, etc. La loi du 3 janvier 1983 (JCP 1983, 111, 53616, 53935) a gommé
ces imperfections et cette catégorie de titres a alors connu un essor non négligeable.
L’objectif de cette création nouvelle était de répondre à une idée assez répandue à
l’époque selon laquelle une bonne partie des actionnaires se désintéressait, sinon de la gestion
sociale génératrice de profits, du moins du contrôle de cette gestion, sur laquelle, avec un
actionnariat dispersé, ils n’avaient que peu ou pas d’influence. D’où l'idée d’« échanger » en
quelque sorte le droit de vote attaché à l’action contre une rémunération prioritaire, laquelle
demeure néanmoins attachée à la réalisation de bénéfices distribuables. L’action sans droit de
vote, donc sans pouvoir, constitue bien un apport de capitaux propres pour l’entreprise mais
demeure, tant que le dividende prioritaire peut être servi, parfaitement neutre au niveau de
l’actionnariat actif de la société. Les dirigeants n’ont donc pas à redouter que l’appel à des
capitaux nouveaux sous forme d’actions sans droit de vote vienne modifier l’équilibre des forces
sur lesquelles ils s’appuient.
De ce point de vue, c'est sans doute la forme de valeur mobilière la plus proche de l’action
d’un commanditaire dans les commandites par actions.
• Dans le même ordre d'idées, les certificats pétroliers institués en 1957 et les certificats
d'investissement créés sur le même modèle par la loi du 3 janvier 1983, permettent également
de dissocier le droit de vote attaché aux actions et les droits pécuniaires de ces dernières.
Toutefois, au contraire des actions sans droit de vote où la perte de ce droit est rémunérée
par un dividende prioritaire, la création de certificats d’investissement représentatifs des seuls
droits pécuniaires de l’action n’est pas financièrement compensée. En fait, il s’agit avant toute
chose de permettre à un actionnaire de mobiliser sa « créance de dividendes futurs » en
vendant les droits pécuniaires de l’action, sans perdre le pouvoir que lui confèrent les droits de
vote correspondants et qu’il conserve. Solution certainement avantageuse pour un actionnaire
important, voire majoritaire, qui dispose ainsi de la certitude de pouvoir se procurer des
liquidités, temporairement ou durablement, sans perdre le contrôle de la société. Vis-à-vis de la
société, l’acquéreur de tels certificats d’investissement se trouvera indéniablement dans la
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
position d’un apporteur de capitaux subissant les aléas d’une gestion sur laquelle il n’a aucune
prise et n'est pas susceptible d’en avoir jamais, situation qui s’apparente à l’évidence à celle
des commanditaires.
• Le troisième type « hybride » de valeurs mobilières ne peut être classé, à proprement
parler, dans la catégorie des démembrements d'actions : il s’agit des titres participatifs réservés
aux sociétés du secteur public et du secteur coopératif. À dire vrai, ces titres, par leur régime
d’émission et l’organisation de leurs porteurs, s’apparentent plus à des obligations qu’à des
actions. Il s’agit bien en effet de dettes de la société, plus que de dettes « dans » la société,
mais deux particularités les rattachent aux catégories déjà examinées : en premier lieu, leur
rémunération est, pour partie, fonction de l’activité de la société émettrice, activité sur laquelle
les porteurs n'ont qu’un droit de regard. En second lieu, les dettes ne sont remboursables qu’au
gré de l’émetteur et, en cas de liquidation, après tous les autres créanciers, y compris les
titulaires de prêts participatifs, c’est-à-dire en pratique, juste avant les actionnaires. « Capitaux
propres », sans doute pas, « capitaux permanents », peut-être, mais cette notion est
juridiquement sans conséquence.
Il n’en reste pas moins que vis-à-vis de la société, le porteur de titres participatifs est bien
un apporteur de capitaux de longue durée, qu’il ne peut, de sa seule volonté, récupérer auprès
de l’émetteur et dont la rémunération est associée aux risques de l’entreprise sans qu’il ait le
pouvoir de contrôler la gestion de cette dernière. De ce point de vue, sa situation est
comparable à celle d’un actionnaire commanditaire.
B) L’acquisition différée de la qualité d'actionnaire
L’autre catégorie de valeurs mobilières est beaucoup plus éloignée du régime des actions
des commanditaires, même si l’idée de commandite n’en est pas totalement exclue : il s’agit
des obligations donnant vocation à acquérir la qualité d’actionnaire, c’est-à-dire les obligations
convertibles et les obligations à bons de souscription d’actions. Dans les deux cas, il s’agit bien
pour les souscripteurs de telles obligations d’apporter des capitaux à la société, sans possibilité
de contrôler la gestion des affaires sociales mais avec vocation à acquérir par conversion ou
souscription, des droits d’actionnaires. Cependant à la différence des titres provenant du
démembrement des actions, les capitaux apportés sont remboursables selon un échéancier
préétabli et sont rémunérés par un intérêt calculé à l’avance, seul l’avantage de conversion ou
de souscription étant dépendant de la valeur de négociation des actions, donc de la qualité de
la gestion sociale.
Telles sont, brossées à très grands traits, les institutions récentes dont on constate avec
raison qu’elles ont des analogies avec l’idée d’origine de la commandite.
Toutefois le constat de ces analogies est-il suffisant pour conclure que l’institution de ces
nouvelles catégories de titres qui ouvrent aux sociétés classiques les potentialités de la
commandite, rend désormais inutile le maintien d’une forme sociale spécifique ?
Il. – La commandite forme inutile ?
À elle seule, l’existence de ces nouvelles formes de titres ne justifie pas cette suppression.
En effet, leur portée reste limitée. Ainsi les actions sans droit de vote ne peuvent
représenter que le quart du capital d’une société ; les titres participatifs sont réservés aux
sociétés du secteur publie et du secteur coopératif ; les certificats d’investissement, même s’ils
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
sont juridiquement utilisables dans toutes situations, n’ont été à ce jour utilisés que pour des
sociétés contrôlées par l’État. Il en résulte que malgré les innovations du législateur, la société
en commandite demeure la seule formule qui accomplisse réellement l’idée de commandite.
D’autre part, comme je l’ai déjà souligné, la commandite simple demeure pour les sociétés
de personnes la seule formule qui soit de nature à permettre cette dissociation entre plusieurs
catégories d'associés.
Si la société en commandite a quelques raisons de se plaindre de la concurrence des
sociétés classiques, ce n’est donc pas, à mon avis, en raison de ces seules innovations
apparentées à la commandite mais aussi et surtout en raison du mode de fonctionnement des
grandes sociétés anonymes de type classique, qui, dans la pratique, atténue sensiblement les
différences entre les deux régimes.
La dissociation du financement et du pouvoir dans les sociétés n’est pas, en effet,
l’apanage des sociétés en commandite.
Au niveau de l’actionnariat, l’effet cumulé des pratiques d'autocontrôle, critiquables dans
leurs excès, et du jeu légal des pouvoirs en blanc confère aux dirigeants sociaux, dans leurs
assemblées, une stabilité comparable à celle dont bénéficient les gérants d'une commandite.
Au niveau de la responsabilité des dirigeants sociaux, les règles encore en vigueur du droit
de la faillite font peser sur les dirigeants de droit et de fait des sociétés anonymes un régime
comportant le risque d’une responsabilité personnelle indéfinie, comparable à celle qui pèse sur
les gérants d'une commandite.
À supposer qu’une responsabilité indéfinie soit un frein au développement de la
commandite, la suppression du régime de présomption de responsabilité prévue par l'article 99
de la loi du 13 juillet 1967 jouera nécessairement en faveur des sociétés anonymes puisque,
malgré cette suppression, les commandités demeureront, par leur statut, soumis à une
responsabilité sans faute, indéfinie, et solidaire, au contraire des dirigeants d’une société
anonyme qui ne subiront les conséquences de leur gestion que si celle-ci est jugée fautive.
Autrement dit, des bailleurs de fonds, sans réels pouvoirs, bien qu'associés aux risques de
l’entreprise, il y en a aussi bien dans le cadre de sociétés classiques que dans celui d’une
commandite. Des dirigeants personnellement responsables, cela se rencontre également dans
les deux formes de sociétés.
Reste seulement à mon sens, sur le plan strictement juridique, et je n’évoquerai pas tous
les autres aspects relatifs au statut fiscal ou social des dirigeants, l’avantage de pouvoir se
prémunir contre un changement de contrôle brutal. Sans aucun doute, cette faculté est-elle plus
aisée dans les sociétés en commandite que dans les sociétés de type classique. Mais sur ce
point, et au risque de décevoir certains, je dirai que dans la perspective de la vitalité du marché
et de la vie des affaires, il n’est pas certain que ce soit un avantage au profit de la commandite.
Et l’on sait bien que, du point de vue de la Commission des opérations de Bourse en tout cas,
un certain nombre de dispositions qu’elle a prises sont justement destinées à lutter contre ces
causes de blocage qui nuisent au fonctionnement normal d’un marché actif dans une société de
concurrence.
Pourquoi conserver deux formes de sociétés en pratique si voisines ? J’emprunterai ma
conclusion à la fois à M. Sayag et à M. Viandier. M. Sayag a raison de dire qu’il faut maintenir
l’effectivité du choix et je crois que M. Viandier et d’autres orateurs avant moi société en
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
commandite est une société où les dirigeants pensent ont beaucoup parlé de liberté en
évoquant notamment la souplesse trouver, non un statut de fonctionnaires sociaux, mais celui
de et la liberté des sociétés en commandite. Ces considérations combinées mettent en lumière
la liberté essentielle : celle de choisir la forme de société qui convient le mieux aux aspirations
de chacun. Dans la mesure où, comme le disait M. Viandier tout à l’heure, la société en
commandite est une société où les dirigeants pensent trouver, non un statut de fonctionnaires
sociaux, mais de celui de véritables chefs d’entreprise, je ne vois pas de raison de mettre un
terme à cette forme de société qui permet à ceux qui désirent jouer pleinement ce rôle, de le
jouer dans le cadre qui leur convient et qu’ils peuvent aménager comme ils l’entendent.
Deuxième partie
Les leçons de la pratique
M. le Président Champetier de Ribes
Mesdames, Messieurs, après les remarquables exposés consacrés aux potentialités de la
commandite que nous avons écoutés avec beaucoup d’intérêt au cours de la première partie de
cette réunion, le programme prévoit que nous donnions maintenant la parole à la pratique :
pratique étrangère en premier lieu – en l'occurrence la pratique allemande –, française ensuite.
M. le Professeur Hopt, par ailleurs éminent praticien puisqu’il est juge au Tribunal régional
supérieur de Stuttgart, juridiction qui correspond à peu près à notre Cour d’appel, nous initiera
aux vertus d’une forme originale de commandite, assez répandue en Allemagne, que l’on
pourrait dénommer en français « SARL en commandite », et nous exposera les raisons de son
succès.
En ce qui concerne la pratique française, nous écouterons d’abord l’exposé liminaire de
mon collègue Yves Flornoy. Sa qualité de titulaire d’une charge d’agent de change en
commandite et, bien sûr, l’expérience conférée par les hautes fonctions de syndic de la
Compagnie des agents de change qu’il a exercées pendant huit ans, le qualifient
particulièrement pour intervenir au cours de cette réunion.
Après quoi, l’occasion nous sera donnée d’entendre s’exprimer ceux qu’il faut considérer
comme concernés au premier chef par le thème de notre réunion, les responsables de sociétés
en commandite. Ils nous ont fait l’amitié de venir nous faire part dans le cadre d’une table
ronde, qu’animera le Professeur Sayag, de leurs propres expériences et des réflexions que leur
inspire un essai de rénovation de la société en commandite : il s’agit de M. Alain Beau, gérant
de la Société de Baecque, Beau, Hieaux et Cie, Président du directoire de la Banque de
Baecque, Beau ; de M. Demurger, gérant de la Société Demurger et Cie, Président honoraire
de la Chambre de commerce et d’industrie de Roanne ; de M. Fernand Laroyenne, membre du
conseil de surveillance des Établissements économiques du Casino ; de M. Jacques Loué,
directeur financier des Établissements économiques du Casino et de M. François Rollier,
cogérant de la Société Michelin et Cie.
Après cette table ronde, nous élargirons l’échange puisque c’est vous tous, spécialistes qui
composez l’assistance, qui serez invités à prendre la parole au cours du débat qui suivra.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Enfin, pour extraire la substantifique moelle de cette réunion, nous aurons la chance
d’entendre M. Terré, Professeur à l’Université de droit, d’économie et de sciences sociales de
Paris.
Nous donnons maintenant la parole au Professeur Hopt.
L’EXPÉRIENCE ALLEMANDE : LE SUCCÈS DE LA « SARL EN
COMMANDITE » (GmbH und Co KG)
M. Klaus HOPT,
Professeur à l’Université de Tübingen, Juge au Tribunal régional supérieur de Stuttgart
Mesdames, Messieurs,
C’est un honneur et en même temps un plaisir pour moi de participer, en qualité d’expert du
droit allemand des sociétés, à votre réunion-débat sur ce sujet intéressant et important. Je
souhaite vous présenter les raisons du succès de la GmbH & Co KG allemande, c’est-à-dire de
la société à responsabilité limitée en commandite. Ce type de société est un cas remarquable
du droit allemand des sociétés et joue un rôle prééminent dans la pratique économique. La
plupart des entreprises en Allemagne fédérale – sauf les entreprises individuelles, bien sûr –
sont des sociétés à responsabilité limitée ou des sociétés en commandite simple. Les
statistiques révèlent que l’Allemagne fédérale compte approximativement 2 000 sociétés par
actions, parmi lesquelles 450 inscrites en Bourse. Les sociétés de personnes pures et simples
sont environ 200 000, tandis qu’à ce jour il y a environ 280 000 sociétés à responsabilité
limitée, une bonne part d’entre elles étant du type de la SARL en commandite.
Mais qu’est-ce qu’une SARL en commandite ? Quelle en est la nature juridique en droit
allemand ? La réponse est simple : une SARL en commandite est une société en commandite
dont le seul associé personnellement responsable est une SARL. Étant une société en
commandite, la SARL en commandite est juridiquement une société de personnes, et c’est
donc le droit des sociétés de personnes qui lui est applicable. Mais le fait particulier que son
seul associé personnellement responsable est une SARL, implique aussi des ressemblances
juridiques et économiques avec une société de capitaux. Par conséquent, la SARL en
commandite est une forme hermaphrodite que la législation et la jurisprudence allemandes ont
accueilli, avec quelque hésitation il est vrai, dans la famille des sociétés et qui a pris sa
revanche en croissant plus vite que les membres légitimes de la famille et en supplantant ceuxci dans la pratique et le commerce. Certaines SARL en commandite comptent parmi les
sociétés allemandes les plus connues, par exemple le plus grand producteur de machines à
laver : Miele GmbH & Co ; dans le secteur chimique AlkorWerke Karl Lissmann GmbH & Co KG
avec un capital social de plus de 100 millions DM ; dans le secteur bancaire AKF A11gemeine
Kauf-Finanz GmbH & Co KG, Kreditbank ; le producteur de cigarettes Badische
Tabakmanufakturen Roth-Händle GmbH & Co KG, et l’éditeur de l’hebdomadaire Der Spiegel,
la SpiegelVerlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG
Quels sont les avantages et les inconvénients de la SARL en commandite ?
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
I. – Les avantages de la GmbH und Co KG
A) Les avantages dérivés du droit des sociétés
• La SARL en commandite permet d’abord de limiter la responsabilité d’une affaire à
50 000 DM, tout en demeurant dans le cadre d’une société de personnes. Deux commerçants
peuvent ainsi constituer une SARL avec le capital minimum de 50 000 DM et la greffer sur une
société en commandite. Dans cette société, la SARL tient le rôle du commandité, associé
personnellement responsable, les commanditaires étant les deux commerçants, qui limitent
ainsi leur responsabilité au montant de leurs apports. Il est même admis en droit allemand que
les apports des commanditaires à la société en commandite peuvent être représentés par leurs
parts dans la SARL (commanditée), qu’ils ont constituée. Par conséquent, dans de nombreuses
SARL en commandite, le capital total est limité à 50 000 DM, soit 150 000 F environ.
• La SARL en commandite permet en outre d’organiser librement les relations internes
entre les associés et de trouver des solutions pratiques aux problèmes de nomination et de
révocation du gérant. Selon le droit allemand des sociétés de personnes, seuls les associés
personnellement responsables peuvent agir comme organes de la société, c’est-à-dire œuvrer,
avec les pleins pouvoirs, pour le compte de la société. Or, dans la SARL en commandite,
l’associé personnellement responsable est la SARL, dont le propre gérant est doté des pleins
pouvoirs. Ce gérant peut être choisi, comme dans toutes les sociétés de capitaux, parmi les
associés ou parmi les tiers. La SARL en commandite offre donc davantage de souplesse dans
le choix du gérant, un salarié non associé pouvant par exemple tenir cet emploi du fait de sa
qualité de gérant de la SARL. Cela vaut aussi pour le changement rapide de la gérance de la
société : tandis que l’exclusion d’un gérant associé est très délicate, il n’en va pas de même
lorsque le gérant est un tiers. Cet avantage apparaît aussi en cas de décès du gérant. La SARL
en commandite permet, en somme, de perpétuer l’entreprise de la même manière que s’il
s’agissait d'une société par actions.
• La SARL en commandite permet également d’échapper à certaines règles étatiques. En
sa qualité de société de personnes, elle n’est pas soumise aux mécanismes de contrôle prévus
pour les sociétés par actions, tels que l’organisation obligatoire d’un conseil de surveillance,
l’examen des comptes par un commissaire aux comptes indépendant, les règles strictes
concernant l’établissement du bilan et la publicité des comptes annuels, etc. En outre, en
Allemagne fédérale, toutes les grandes entreprises – les sociétés employant plus de
2 000 salariés – sont soumises depuis 1976 à la cogestion ou codécision. L’exception est la
société de personnes, car il est bien sûr exclu qu’un associé qui est personnellement
responsable, y compris sur ses propres biens, doive supporter les conséquences des décisions
prises par des tiers – les représentants des salariés –, qui ne sont pas eux-mêmes
personnellement responsables.
B) Les avantages au regard du droit fiscal
À l’origine, l’attrait d'une SARL en commandite ne résidait pas dans le droit des sociétés,
mais dans le droit fiscal. Le système fiscal en vigueur avant et surtout pendant la Première
Guerre mondiale prévoyait une double imposition des bénéfices des sociétés de capitaux :
taxation d’abord des bénéfices indiqués au bilan, puis des dividendes distribués aux
actionnaires. C’est pour pallier cet inconvénient que la SARL en commandite a été « inventée »
par la pratique et c’est pourquoi, au début du siècle, la lutte pour son existence a été si ardente,
la Cour de cassation allemande admettant finalement en 1922 ce type mixte de société. Dans
les années 70, le système de double imposition a été supprimé. Les impôts payés par la
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
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société sont désormais crédités aux actionnaires. D’ailleurs l’administration fiscale en
Allemagne fédérale – comme sans doute aussi en France – est insatiable. Elle fait de son
mieux pour que la SARL en commandite ne soit pas un paradis fiscal pour les associés. Aussi,
aujourd’hui, l’avantage fiscal de la SARL en commandite est-il sensiblement atténué.
Aux avantages pratiques et économiques de la SARL en commandite correspondent des
inconvénients pour les tiers, les associes et l’État.
Il. – Les inconvénients de la GmbH und Co KG
A) Les inconvénients les plus directs
1° L’atteinte aux intérêts des créanciers
On ne peut ignorer combien il est dangereux d’admettre que les associés-fondateurs
puissent limiter leur responsabilité au faible montant de 50 000 DM et, en outre, échapper aux
mécanismes de contrôle prévus pour les sociétés par actions. La statistique des faillites
témoigne de ce danger. En 1983, il y a eu 16 000 faillites en Allemagne, dont 11 800
concernaient des entreprises, parmi lesquelles 5 800 SARL et 850 SARL en commandite. La
SARL simple et la SARL en commandite peuplent donc les faillites, y compris les faillites
frauduleuses. Cette situation est illustrée par un jeu de mots allemand : GmbH ne serait plus le
sigle de Gesellschaft mit beschränkter Haftung, c’est-à-dire société à responsabilité limitée,
mais celui de Gesellschaft mit beschränkter Hochachtung, c’est-à-dire société à respectabilité
limitée...
2° L’atteinte aux intérêts des associés
Le deuxième danger touche à la protection des associés. La forme moderne de la SARL en
commandite, qui sera évoquée plus loin, peut réunir un grand nombre de commanditaires qui
se considèrent moins comme des associés que comme des investisseurs. Rien en effet ne les
différencie à cet égard des actionnaires d’une société de capitaux, pour lesquels un industriel
allemand avait eu jadis ce mot sarcastique : « Les actionnaires sont des imbéciles et des
insolents ; imbéciles pour donner leur argent à la société, et insolents pour demander à en être
récompensés ». Malheureusement, ce jugement traduit en Allemagne la réalité de nombreuses
sociétés immobilières et d’investissement au cours des quinze dernières années, qui ont été si
riches en faillites. Mais pour éviter tout malentendu, il faut bien souligner qu’il ne s’agit pas ici
de la société en commandite simple, qui est très respectée et pas davantage de la SARL en
commandite traditionnelle, qui est une entreprise familiale, mais de la SARL en commandite
transformée en réservoir de capitaux et à la recherche de ces capitaux dans le public.
3° La mise en échec de certaines réglementations étatiques
Le troisième danger est le détournement de certaines règles étatiques. C’est d’abord le cas
pour la cogestion : pour ceux qui considèrent la cogestion comme un progrès fondamental et
comme une étape sur la voie d’un ordre économique nouveau, la SARL en commandite est un
obstacle. C’est également le cas en matière de comptes annuels, où l’on observe une certaine
évolution. La 4e directive européenne, qui a vocation à harmoniser les comptes annuels des
sociétés dans les pays membres, s’applique seulement aux sociétés par actions et aux SARL.
La SARL en commandite, qui est juridiquement une société de personnes, y échappe. C’est la
raison pour laquelle, jusqu’à présent, les dispositions de la 4e directive n’ont pas encore été
intégrées dans la législation allemande. Avant sa chute, le gouvernement social-démocrate de
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M. Schmidt avait élaboré un projet de loi suivant lequel la SARL en commandite devait être
traitée comme une SARL. Ce texte provoqua une telle levée de boucliers que le gouvernement
actuel a cédé et proposé un nouveau projet de loi excluant la SARL en commandite du
domaine d’application de l’harmonisation. À mon avis, cette solution viole l’esprit de la
4e directive. Si la SARL en commandite reste finalement en marge, il sera intéressant
d’observer les démarches de la Commission européenne et surtout la réaction de la Cour
européenne de justice devant cette conception particulière de l’harmonisation européenne
adoptée par l’Allemagne fédérale.
Actuellement, tous ces problèmes sont d’autant plus aigus que la pratique a récemment
suscité trois nouvelles utilisations de la SARL en commandite qui sont encore plus proches de
la société de capitaux que la SARL en commandite traditionnelle. Il s’agit d'abord des SARL en
commandite dites capitalistes : les commanditaires y sont à la fois les vrais bailleurs de fonds et
les maîtres de la société, la SARL ayant seulement la fonction d’administration. En second lieu,
il existe des SARL en commandite dites structurées, dans lesquelles les intérêts et les droits
des commanditaires doivent être organisés et coordonnés. En cela, elles ressemblent aux
sociétés par actions. Le droit de vote s’y exerce en fonction du montant des apports, les
décisions y sont prises à la majorité simple, les cessions de parts y sont libres, le contrôle y est
exercé par un conseil de surveillance, etc. Le troisième type de SARL en commandite est
constitué par les sociétés de personnes dites ouvertes au public. Elles réunissent un grand
nombre de commanditaires ; certaines d’entre elles, surtout dans le secteur immobilier, en
comptent plus de 1 000. Au contraire de la SARL capitaliste, le pouvoir reste ici aux mains des
associés fondateurs. Les droits des commanditaires sont limités à l’exercice de certains
contrôles sommaires. La pratique contractuelle la plus récente va encore plus loin : elle exclut
les investisseurs de la SARL en commandite. Un mandataire devient seul membre de la SARL
en commandite avec tous les pouvoirs et obligations d’un associé, les investisseurs n’ayant
avec lui que des relations contractuelles.
Quelle est la réaction de la législation et de la jurisprudence en face de ce développement
de la pratique, sachant qu’une politique de laisser-faire n’est plus acceptable ?
A) La réaction du législateur et des tribunaux
Deux choix sont possibles. Le premier consiste à retenir la solution qui prévaut en Suisse,
où l’associé personnellement responsable ne peut être qu’une personne physique. On
aboutirait alors à l’interdiction totale de la SARL en commandite. Mais qu’adviendrait-il des
milliers de SARL en commandite existant en Allemagne ? La tendance actuelle s’oriente donc
vers une autre direction. Dans les domaines où la SARL en commandite fonctionne, en fait,
comme une SARL ou une société par actions, il faut la traiter comme une SARL ou une société
par actions. Le législateur a donc introduit une série de réglementations dérivées du droit des
SARL : par exemple la responsabilité limitée de la SARL en commandite doit être clairement
indiquée dans la raison sociale ; la forme de la société doit être inscrite sur toute sa
correspondance ; les règles sur la faillite sont les mêmes que pour une SARL ou une société
par actions. Sans attendre une intervention du législateur, la Cour de cassation allemande a
instauré en 1973 une responsabilité personnelle au titre de l’information financière diffusée par
la société. Les SARL en commandite dites ouvertes au public accèdent au marché de capitaux
pour obtenir de nouveaux investisseurs et, à cet effet, distribuent des notes d'information ou
des prospectus. Les informations données dans ces documents sont très souvent inexactes et
incomplètes – on précisera au passage que l’équivalent de la Commission des opérations de
Bourse n’existe pas en Allemagne. Selon la jurisprudence la plus récente, la responsabilité
attachée à ces formalités de publicité n’est plus seulement encourue par les associés-
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
fondateurs, mais se trouve répartie entre toutes les personnes en jeu : les « hommes de
l'arrière », les avocats consultants, les experts-comptables, les banquiers qui d’une façon ou
d’une autre ont donné leur nom ou ont joué un rôle significatif dans le projet. C’est ainsi qu'en
Allemagne fédérale le juge se charge en partie des fonctions qui en France sont exercées par
la C.O.B.
Dans la vie économique allemande on ne peut donc plus faire abstraction de la SARL en
commandite, qui, avec la SARL, est le type de société le plus attrayant. Si à l’origine la SARL
en commandite servait à tirer parti d’avantages fiscaux, aujourd’hui ce sont les avantages au
plan du droit des sociétés qui l’emportent. En revanche, les inconvénients non pas des sociétés
en commandite simple, mais de certaines SARL en commandite et surtout des SARL en
commandite ouvertes au public sont considérables, mais le législateur et la jurisprudence
allemandes y font face avec courage et succès.
Je vous remercie beaucoup.
M. le Président Champetier de Ribes.– La parole est maintenant à M. Flornoy.
LA PRATIQUE EN FRANCE: BILAN ET PERSPECTIVES
Exposé liminaire
M. Yves FLORNOY,
Membre de la CCIP, ancien Syndic de la Compagnie des agents de change
Il s’agit d’un exposé liminaire sur ce sujet qui en fait sera traité par le panel qui nous
entoure et j’ai quelques scrupules à ouvrir le feu. Je me sens un peu comme le petit artisan des
commandites simples à côté des « superstars » de la commandite par actions qui sont à ma
droite et j’ai conscience qu’entre les objectifs que nous poursuivons respectivement, il y a des
écarts importants.
Néanmoins, je parlerai de la commandite simple et j’en parlerai en commandité heureux, ce
qui ne veut pas dire que tous les gérants de commandites simples soient des gérants heureux
et les fonctions que j’ai exercées, et auxquelles vous faisiez allusion, mon cher Président, m’ont
appris que, en commandite simple, la sanction d'une mauvaise gestion était une sanction rude,
certainement plus rude que dans les sociétés de capitaux.
Mais peut-être est-ce à raison de cette sanction et, parce que, à l’opposé, la commandite
simple permet au bon gérant de « faire fortune » qu’elle m’est encore plus sympathique. À mes
yeux elle constitue le cadre incitatif idéal de l’activité économique, dans un système au sein
duquel le principe du capitalisme ne serait pas sans cesse remis en cause ! Je suis persuadé
que si les prescripteurs connaissaient un peu plus les avantages qu’on peut tirer de la
commandite simple, et la manière de s’en servir, il y aurait en France un peu moins de 120 000
sociétés anonymes, un peu moins de 180 000 SARL et un peu plus de 1 500 sociétés en
commandite, lesquelles se trouvent concentrées dans les professions qui imposent à leurs
gérants et à leurs exploitants des responsabilités sortant du droit commun.
L’idée de s’adjoindre des bailleurs de fonds lorsqu’on exerce des fonctions particulières ne
date pas d'aujourd'hui. En juillet 1862, le Trésor français qui avait déjà de gros besoins, dont il
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
faisait supporter une partie aux agents de change, autorisait ces derniers à s’adjoindre des
bailleurs de fonds et c’est cent ans plus tard seulement, le 29 juillet 1961, que ceux des agents
de change qui s’étaient adjoints des bailleurs de fonds se voyaient imposer dans les textes la
structure juridique de la société en commandite simple. À peine dix ans plus tard, le 11 juillet
1972, une nouvelle loi décidait que ceux des agents de change qui n’auraient pas convenance
à établir leurs relations juridiques avec leurs apporteurs de fonds en commandite simple,
pourront le faire dans le cadre de la société anonyme. Immédiatement la Compagnie des
agents de change a réagi en exigeant de ceux qui choisiraient la société anonyme, que le
président soit responsable « in infinitum » sur tous ses biens comme s’il était demeuré gérant
de commandite simple. On ne pouvait imaginer, au sein d’une même compagnie d’officiers
ministériels, que certains soient responsables sur tous leurs biens et que les autres ne le soient
pas, alors que tous sont solidairement responsables.
Je trouve donc que le statut de la commandite simple est bien adapté à des professions
comme les nôtres qui ont des missions particulières à remplir. Il me semble très bien adapté
également au cas de « venture-capital » évoqué tout à l’heure au travers des fonds communs à
risques.
En tant que conseiller d’investissements, à partir du moment où j’engage un de mes clients
à mettre des capitaux dans une jeune société, dirigée par un garçon jeune et plein de talent, il
me semble que le fait d’exiger de lui qu’il crée sa société sous forme de commandite, pour le
responsabiliser sur les biens qu'il acquerra après avoir fait fortune, constitue une précaution
convenable.
Vous voyez que cette approche de la commandite n’est pas tout à fait celle qui a été
exposée jusqu'à présent : le bailleur de fonds prend une garantie sur la fortune que va se
constituer celui qui vient chercher des moyens de financement. Cela me semble une sage
précaution.
Je vous disais que je traiterai le sujet en « commandité heureux » parce que, en
contrepartie de ma responsabilité, je me trouve investi des pouvoirs de gestion les plus
étendus, que je peux exercer sans partage. De leur côté, les associés commanditaires ne
peuvent, même en vertu d’une procuration, faire aucun acte de gestion externe susceptible de
laisser croire qu’ils sont également tenus sur leurs biens personnels.
Suis-je même tenu de donner quelque information que ce soit à ma commandite ? Par la
bienséance sans doute... Mais si je sers régulièrement des dividendes convenables à ma
commandite, si je lui assure une plus-value convenable, qu’est-ce qu’elle souhaitera de plus ?
On peut ainsi imaginer que, pendant toute la durée de la société en commandite simple, il
n’y ait pas une seule réunion qui soit organisée entre les commandités et les commanditaires.
Certes, l’assemblée annuelle des associés doit se réunir pour approuver les comptes sociaux et
contrôler la gestion, mais le recours à la consultation écrite, la collecte d’un pouvoir, ne sont
constitutifs dans la société en commandite simple ni d’un délit tel qu’il existe dans les sociétés
anonymes, ni d’un véritable carcan. Cette indépendance du gérant commandité reconnu par les
commanditaires, qui semblent plus rechercher la rentabilité que la participation à la vie sociale,
était d’autant plus manifeste qu’elle n’était contrebalancée, jusqu’à la loi du 1er mars 1984, ni
par l’existence de commissaires aux comptes, ni par la présence de représentants du comité
d’entreprise auprès de la gérance. Il sera donc intéressant d’observer dans l’avenir si cette loi
modifie l’esprit dans lequel la répartition de l’exercice des pouvoirs se faisait traditionnellement.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Ainsi investi de pouvoirs de gestion quasi absolus, le gérant commandité se trouve être
sanctionné positivement par sa rémunération qui est directivement: liée aux résultats de
gestion, négativement par sa responsabilité indéfinie sur ses biens personnels en fonction de
ces mêmes résultats.
L’assimilation entre gérant commandité et commerçant personne physique se manifeste
pleinement dans la nature juridique et le régime fiscal de la rémunération du gérant
commandité. En effet, son droit au prélèvement déterminé par les statuts s’analyse comme la
participation totale aux résultats d’exploitation de l’entreprise et non pas comme l’unique
rémunération de son travail de dirigeant. Il s’agit là de l’essence même du rôle dévolu au gérant
commandité, contrairement aux fonctions de président de conseil d’administration de société
anonyme pour lequel la rémunération comporte certes un élément variable lié aux résultats,
mais est constituée pour la majeure partie d’un élément fixe.
En contrepartie, le gérant commandité est indéfiniment responsable sur ses seuls biens
personnels des pertes de l’entreprise ; toutefois, un système d’assurance tendant à garantir les
pertes d’exploitation de la société, revient à préserver indirectement les biens personnels du
gérant, dès lors que les fonds propres de l’entreprise sont d’un montant au moins égal à la
franchise que comporte le contrat d’assurance. Bien entendu, un tel système d’assurance des
pertes d’exploitation a été mis en place par les agents de change.
Le commanditaire, de son côté, bénéficie en règle générale d’un dividende élevé dont la
substance est en quelque sorte garantie par la puissante incitation que constitue pour la
rémunération du gérant commandité la bonne qualité du résultat de l’entreprise. Mais le régime
fiscal du commandité peut l’inciter à freiner la constitution de réserves et, partant, à restreindre
dans une certaine mesure l’augmentation en valeur des parts sociales détenues par les
commanditaires. Il ne faut pas en effet oublier que le gérant commandité est imposable sur
toutes les sommes lui revenant, y compris celles qu’il n'a pas touchées, comme par exemple
celles qu’il aurait laissées à la disposition de la société sous forme de compte courant. Ici
encore les agents de change ont fait preuve d’imagination ; en qualité de gérants commandités
ils laissent à la disposition de l’entreprise des sommes en compte courant au prorata de leurs
droits dans le capital, à concurrence des sommes mises en réserve par le commanditaire, mais
une disposition statutaire les autorise à prélever sur leur compte courant une certaine fraction
de l’IRPP dont ils sont redevables.
En conclusion, la société en commandite simple traduit la confiance de bailleurs de fonds
envers le gérant commandité qui dispose alors des pouvoirs les plus étendus et d’une
rémunération éventuellement large. Les inconvénients du statut du commandité, qui résident
directement dans sa responsabilité personnelle indéfinie et indirectement dans un risque de
non-progression des fonds propres des sociétés, peuvent être limités par le recours à des
conventions d’assurances ou des clauses statutaires appropriées. Cette forme de société
semble toutefois devoir être réservée à des sociétés dont le nombre d’associés est restreint en
raison de l’absence de pouvoirs dont ils disposent et à des secteurs économiques à forte valeur
ajoutée, en raison de la non-corrélation obligatoire entre les efforts du dirigeant et les résultats
de l’entreprise.
Merci de votre attention.
M. le Président.– Monsieur Sayag, je vous laisse maintenant organiser la table ronde.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
TABLE RONDE de dirigeants de sociétés en commandite
M. Sayag.– J’avais indiqué au cours de mon exposé introductif que notre intention n’était
pas de nous livrer à un prosélytisme naïf. Je crois que la démonstration en a été faite puisque,
si la commandite a reçu quelques couronnes, elle a été aussi l’objet, de la part de certains
intervenants, de critiques tout à fait justifiées. Il faut trancher et je crois que seuls peuvent le
faire ceux qui vivent effectivement la commandite.
J’amorcerai le débat par cette simple question : est-ce que MM. les gérants commandités
ici présents s’estiment des commandités heureux ? Autrement dit, est-ce qu’ils ont pu dans leur
expérience personnelle apprécier les qualités que l’on a attribuées à la commandite ? Est-ce
qu’ils ont ressenti les défauts que l’on a analysés ?
M. Rollier, Cogérant de Michelin et Cie.– Dans la première partie de l’exposé, qui était
théorique, on a révélé de nombreux cas où la commandite pouvait être utile ; notamment dans
les cas de montages, de périodes transitoires, ou encore lorsqu’il fallait sauvegarder les biens
patrimoniaux. Dans la seconde partie, on a parlé de la pratique.
Ce qui n’a pas été souligné – et c’est la réponse à la question posée –, c’est que la société
en commandite ne correspond pas seulement à des cas particuliers et à un moyen pratique de
résoudre des difficultés ; elle peut aussi très bien satisfaire la gestion de grandes entreprises.
La société Michelin que je représente aujourd’hui en est un exemple puisque nous sommes en
commandite depuis plus de cent ans. Et si nous avons choisi également de constituer une
commandite en Suisse et en Allemagne, c’est bien parce que les avantages de la commandite
nous sont apparus à nos prédécesseurs et à nous-mêmes comme des avantages très réels.
Je crois qu’il faut voir non seulement la commandite du côté patrimonial, mais également
du côté de l’entreprise et je pense que pour l’entreprise elle-même, pour ceux qui y travaillent,
pour ses résultats, cette forme de société est excellente. D’une part, le fait que les gérants ne
soient pas révocables, sauf pour cause extrêmement grave, assure une continuité dans la
gestion, plus aisée pour des gens qui se sentent en place pour longtemps que pour ceux qui
sont révocables ad nutum. D’autre part, le personnel de l’entreprise sait aussi que, sauf
accident, sauf décès, il n’y aura pas de changement inopiné dans la direction. Cela facilite
l’entente réciproque entre le personnel et la direction.
Je crois aussi que, s’agissant de la prise de décision, le fait pour le patron, ou les patrons,
de savoir qu’ils paieront éventuellement les conséquences de leurs décisions puisqu’ils sont
indéfiniment responsables, est essentiel : si on supprime la responsabilité indéfinie des
commandités il n’y a plus de commandite ; c'est l’essence même de ce type de société. Le fait
de savoir qu’on est responsable indéfiniment sur tous ses biens amène à prendre ses décisions
avec un très grand soin en ayant bien pesé les objections que l’on pourrait faire contre elles.
Ainsi, sous cet angle, en dépit des difficultés de la vie quotidienne, je crois que les
commandités de Michelin sont heureux.
M. Sayag.– Merci, Monsieur. Je voudrais préciser que, dans l’esprit des auteurs de
l’ouvrage du CREDA, le renouveau éventuel de la commandite n’a jamais été envisagé comme
un moyen de monter des affaires tout à fait particulières ou marginales, comme peut-être les
exposés de M. Le Gall et de M. Gilardi pouvaient le faire penser ; l’ouvrage a cherché à
démontrer que la commandite peut servir aussi de support juridique à une entreprise stable qui
fonctionne dans des conditions tout à fait normales, avec cette particularité de l’engagement
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
complet de ses dirigeants. Et il n’y aura de véritable renouveau de la commandite que si elle
peut être utilisée ainsi. Je désirerais demander l’avis de M. Loué qui représente ici l’autre
grande commandite par actions dont la particularité est d’être cotée en Bourse.
M. Loué, Directeur financier des Établissements économiques du Casino.– N’ayant pas
qualité de gérant, il m’est difficile de répondre à votre question. Toutefois je citerai une phrase
d’un des gérants qui s’adressant à un tiers, lui disait : « Quand je dors mal, je sais qu’il y en a
cinq autres qui dorment mal ! »
M. Sayag.– Est-ce que relativement à l’autorité, à l’assurance que confère le sentiment de
la responsabilité, à la souplesse et à la relative indépendance à l’égard de la masse des
commanditaires, en cas d’éventuels changements de majorité ou autres, vous avez pu
apprécier de manière tangible les avantages que pouvait apporter la commandite ?
M. Rollier.– En ce qui nous concerne, aussi bien les commanditaires que les commandités,
nous apprécions beaucoup cette forme de société, qui n’est jamais discutée par quiconque. Je
crois que les rôles y sont bien répartis et cela a beaucoup d’importance.
J’ajouterai à ce que j’ai dit tout à l’heure, que vis-à-vis soit de l’extérieur, soit de l’intérieur,
cela donne beaucoup de crédit à la direction et même du « crédit » au sens bancaire. En
France ou à l’étranger, le fait de savoir qu’il y a une direction assurée dans une certaine ligne
facilite beaucoup les choses, c'est certain.
M. Sayag.– Il y a un point sur lequel je voudrais poser une question à M. Loué en tant que
directeur financier d’une société cotée ; je me réfère ici à l’exposé de M. Dupont-Jubien qui,
notamment à propos des actions sans droit de vote, a bien montré qu’il s'agit là de titres qui,
comparés à un titre usuel, procédaient d’une amputation. Mais cette amputation n’est pas
seulement juridique, elle a des répercussions financières ; je crois en effet savoir que ces titres
subissent une décote en Bourse par rapport à l’action ordinaire, ce qui prouve bien que la
privation du droit de vote, contrairement à ce que beaucoup avaient cru, représente une perte
de valeur économique.
Or, est-ce que les commanditaires de Casino ou de Michelin ressentent l’impression d'avoir
un titre amputé ? Savent-ils même qu’ils sont actionnaires commanditaires au lieu d’associés
de société anonyme ? N’y a-t-il pas là une supériorité de l’action de commandite dans la
mesure où effectivement il n’y a pas de diminution des droits par rapport à un actionnaire d'une
autre qualité ?
M. Loué.– On a dit tout à l’heure très justement que la loi du 3 janvier 1983 avait permis de
faire sauter des barrières s’opposant au développement des actions à dividende prioritaire sans
droit de vote. Casino a été le second sur le marché français à utiliser cette forme de titres ; il y a
maintenant sept à huit actions à dividende prioritaire qui sont cotées et, jusqu’à présent, l’action
Casino à dividende prioritaire ne faisait pas partie du marché mensuel. Il y avait donc déjà une
distorsion par rapport à l’action ordinaire. On a constaté depuis sa sortie une différence qui
oscille entre 7 et 16 % entre la cotation des actions ordinaires et la cotation des actions à
dividende prioritaire. À une exception près, des écarts du même ordre se retrouvent sur les
autres actions à dividende prioritaire. Je crois que l’une des raisons en est que le produit est
mal connu, un peu compliqué et que ses différents échantillons sont assez contraires les uns
par rapport aux autres. Est-ce que la Compagnie fera quelque chose pour animer ce genre de
marché ? Je l'ignore ; c'est souhaité par certains et pas par d'autres.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
M. Flornoy.– Je ne vais pas répondre à la question posée par M. Loué. Il est exact que,
dans le cas du Casino, l’action ordinaire à droit de vote était cotée au marché à règlement
mensuel, tandis que l’action à dividende prioritaire sans droit de vote était cotée au comptant
seulement : ceci pouvait être une des raisons de la décote et de l’insuffisance de l’animation du
marché de l’ADP – comme on dit rapidement. Ce n’est pas une certitude absolue ; nous faisons
l’expérience actuellement pour voir, en cotant les deux titres sur le même marché, si cet écart a
tendance à diminuer. Il n’a certainement pas, en tout cas, tendance à disparaître.
Dans la mesure où le supplément de dividende compense le droit de vote, il y a, d’une
société à l’autre, des différences qui justifient une appréciation ou une décote différente de
l’ADP. par rapport au titre principal. Je ne dis pas du tout que l’ADP Casino a été mal faite, mais
il est vrai qu’il y a d'autres ADP qui ont eu moins de décote par rapport au titre ordinaire que
celle de Casino.
M. Sayag.– Pour poursuivre sur le terrain des grandes commandites, je demanderai à
M. Laroyenne s’il observe dans les relations entre les actionnaires commanditaires et la
gérance, en sa qualité de membre du conseil de surveillance, des relations, psychologiques ou
autres, différentes de celles que l’on peut rencontrer entre l’actionnaire d’une société anonyme
et son conseil d'administration ? Y a-t-il des différences tangibles dans la manière dont les
actionnaires réagissent aux actes de gestion de la société ?
M. Laroyerme, Membre du conseil de surveillance des Établissements économiques du
Casino.– Il est difficile de répondre de manière très sûre à votre question. Mais
incontestablement, si je me reporte à l’expérience du Casino, les assemblées, qui sont
finalement l’occasion de la rencontre entre les gérants et leurs actionnaires, sont assez
vivantes. On a l’impression que des rapports existent : nous ne sommes pas dans l’anonymat.
Le fait d’une certaine personnalisation, si je puis dire, du pouvoir, la connaissance du visage
des gérants, comptent beaucoup finalement pour l’actionnaire. Bien sûr, il y a le dividende,
mais il y a aussi la gestion générale et l’actionnaire n’éprouve nullement le sentiment d’en être
coupé.
Dans une certaine mesure, le conseil de surveillance essaie de jouer son rôle
d’intermédiaire au cours de l'année, c’est-à-dire d’assurer ce lien personnel entre l'actionnaire
qu’il représente et les gérants, et ce rôle est difficile, peut-être parce qu’il n'est pas défini par la
loi. Celle-ci prévoit l’élaboration d’un rapport sur la gestion, le contrôle permanent de la gestion
et le contrôle des comptes ; mais – étant juriste moi-même, je ne dirai pas de mal du droit– la
réalité varie suivant chaque commandite.
Je pense que les usages se sont créés au fil des ans. Dans des sociétés comme Casino,
qui ont cent ans ou plus, le conseil de surveillance remplit sa mission bien sûr, mais il est
évident que des rapports particuliers se sont tissés entre lui et le gérant. Les gérants sont très
accueillants, nous pouvons poser des questions tout au long de l'année ; ils nous tiennent
informés de leurs projets et nous sommes à même, au moment des assemblées, de fournir des
rapports relativement précis.
M. Sayag.– Je pense que cette question des relations entre le commandité et le
commanditaire est fondamentale. Elle n’est d'ailleurs pas spécifique aux grandes commandites
par actions. Peut-être M. Beau peut-il en dire quelque chose ?
M. Beau, Gérant de la Société de Baecque, Beau, Hieaux et Cie.– La société que je
représente est une société en commandite par actions qui a pris la suite d’une société en nom
collectif qui avait cent ans. Au lendemain de la guerre, nous avons pensé que si nous voulions
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
suivre les besoins de nos clients, qui sont nos amis, il était nécessaire de faire appel à un
certain nombre d’actionnaires. La société en commandite par actions nous a semblé le meilleur
moyen de le faire.
J’ai été très intéressé d’entendre ce que l’on disait sur les relations entre actionnaires,
conseil de surveillance et gérant car je crois que c’est quelque chose de ce genre que nous
avons réalisé chez nous.
Lorsqu’il s’est agi d’élargir notre affaire, mon père et mes cousins sont allés trouver un
certain nombre de membres de leur famille, de relations, d’amis – ceux-ci se confondant très
souvent – ainsi que les membres du personnel, pour demander s’ils avaient convenance à nous
commanditer. Depuis, je crois que c’est, au fond, beaucoup plus une sorte de club qu’une
société qui s’est établi avec des différents partenaires qui sont encore une fois des
actionnaires, qu’ils soient membres du personnel ou pas. Notre société en commandite par
actions est au hors cote de la Bourse de Paris et nous traitons nos actionnaires tout à fait
comme des partenaires, c’est-à-dire que nos conseils de surveillance sont pleinement au
courant de tout ce que nous faisons au sein de la société et nos actionnaires pareillement.
Même si nous sommes hors cote, la COB est elle aussi parfaitement informée. Elle donne son
avis sur les documents que nous publions et sur les opérations financières qui ressortissent de
son autorité.
Ceci étant dit, je suis persuadé également que cette forme personnalisée a été
extrêmement importante pour nous et essentiellement pour notre maison de banque car,
finalement, la société en commandite par actions est devenue la holding d’un mini-groupe et
cette holding est actionnaire à 90 % de la Banque de Baecque Beau qui, elle, est en société
anonyme à directoire, ce qui est assez proche finalement – pas tout à fait en droit, mais dans la
pratique – de la commandite par actions.
Selon nous cette forme exprime au mieux l’esprit d’entreprise, favorise la souplesse et
l’adaptation rapide à l’événement et permet à l’entreprise ainsi qu'à tous ceux qui l’entourent
d’être beaucoup plus humains. Or il ne faut pas oublier qu’il faut essayer de traduire dans la
réalité juridique une réalité humaine.
Quand j’entendais tout à l’heure un des intervenants affirmer que cette notion de
responsabilité était capitale, je dois dire que je vibrais en même temps car je m’estime
pleinement responsable et je pense qu’actuellement il est triste de voir que l’on cherche par
tous les moyens des systèmes qui diminuent la responsabilité de l’entrepreneur. Or, la
commandite par actions est une formule qui ressuscite pleinement la responsabilité et qui
ressuscite également pleinement l'association : lorsqu’on est cogérant dans une société en
commandite par actions, c’est un véritable mariage spirituel, il faut tenir compte de l’avis du
voisin et essayer de trouver la meilleure solution et lorsqu’il s’agit d’un crédit bancaire, il y a
vraiment lieu de réfléchir ; il faut trouver la bonne solution pour l’entreprise, mais il faut
également trouver celle qui assure la pérennité de la société qui accorde les crédits.
M. Sayag.– Vous venez, Monsieur, d’employer le terme de « club ». Je dirai que j’y ai été
très sensible parce que, au fond, dans une traduction très audacieuse de l’anglais en latin, je
dirai qu’on peut appeler cela affectio societatis. C’est une notion qu’il me plaît de retrouver en
vérité dans vos sociétés parce que, très souvent, les juristes ont plutôt tendance à dire que,
dans les sociétés par actions, l'affectio societatis est une pure abstraction, une notion tout à fait
inexistante, et vous avez soutenu le contraire. Là encore c’est un point de la pratique qu’il était
important de souligner.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Ces relations très particulières qui se nouent entre un dirigeant responsable sur tous ses
biens et ses commanditaires, se présentent-elles sous le même angle dans les commandites
simples ? On pourrait peut-être poser la question à un autre intervenant.
M. Demurger, Gérant de la Société Demurger et Cie.– Je suis à cette tribune un des seuls
représentants d’une société en commandite simple et dans sa forme d’origine, c’est-à-dire
n’ayant pas opté pour l’imposition sur les sociétés.
Tout à l’heure on a exposé un certain nombre d’opinions, parfois divergentes, qui vous ont
amenés à penser qu’il y avait un véritable maquis dans les sociétés en commandite. En effet,
non seulement il y a la formule des commandites par actions qui s’assimilent à des sociétés de
capitaux, mais il y a aussi des sociétés en commandite simple qui s’apparentent plutôt à des
sociétés de personnes et enfin, des sociétés en commandite simple qui ont opté pour
l'imposition sur les sociétés, ce qui les rapproche en fin de compte des sociétés de capitaux.
Tout cela fait un mélange dans lequel on a tendance à se perdre un peu.
S’agissant de cet affectio societatis dont vous avez parlé tout à l’heure, c’est effectivement
un des fondements de la société, quel que soit son régime fiscal. Dans notre société, qui est
une rareté dans la forme en commandite simple puisqu’elle emploie cinq cents personnes et
qu’elle exerce une activité industrielle, la gérance est assurée par moi-même (deuxième
génération) et je vois poindre la troisième génération – les associés commanditaires
représentant une partie des descendants des associés d'origine. La société a été créée en
1923, c’est-à-dire trois ans avant le déclin de cette forme de société ; pourtant, l’apparition de la
SARL n’a pas du tout incité mon père à choisir cette formule.
Vous parliez de la liberté d’entreprendre. C’est effectivement, comme le soulignait
M. Flornoy, une recommandation à faire aux ingénieurs peu argentés, débutant dans l'industrie,
que de se mettre en société en commandite. Cela a été le cas de mon père qui, avec un
bagage technique important et désireux de créer une fabrication typiquement française, a
trouvé sur sa bonne mine, et sur sa compétence, des prêteurs qui étaient des personnes un
peu fortunées de la ville dans laquelle nous nous trouvions, ou bien des capitalistes qui
finalement croyaient à l’aventure industrielle de ce jeune débutant. L’affaire s’étant développée,
nous sommes arrivés peu à peu à la forme actuelle. L’acquisition de la majorité est bien sûr
venue récompenser l’effort du commandité gérant de début, mais sans que celle-ci soit pour
autant nécessaire : sachant que le pouvoir est affirmé dans les statuts et que, dans le cas où ce
pouvoir serait confié à des mains ou à une tête qui ne pourraient pas l’assumer, la société
péricliterait et disparaîtrait ; ce n’est pas avec une majorité qu’on peut sauvegarder l’existence
de la société.
Je crois que, dès l’instant où l’on accepte la responsabilité de ses actes, c’est une forme
très souple pour la gestion – hormis certains cas de modification de statuts qui nécessitent
l’unanimité. Quand vous disiez que les commanditaires n’avaient aucun pouvoir, il aurait fallu
nuancer car, dans ce cas là, ils en ont un, puisque leur accord explicite et unanime est
nécessaire pour pouvoir opter pour l’imposition à l’I.S., alors qu’eux-mêmes ne sont pas
concernés par cette opération. C’est également une forme souple, pour autant que le droit du
travail ne vienne pas perturber la loi commerciale en donnant au comité d’entreprise des droits
supérieurs à ceux des associés commanditaires. Nous risquons de voir la souplesse de nos
entreprises supprimée par un formalisme administratif qui conduirait nos décisions à être
écrites, prises selon certaines formes, contrôlées par des assemblées générales, etc.
Quoi qu’il en soit, la commandite permet le maintien d’une morale de responsabilité et de
récompense de l’effort ainsi que du mérite. Dès l’instant où la loi de 1966 sur les sociétés
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
commerciales a maintenu la société en commandite, on peut dire que ce n’est pas une forme
périmée. D’ailleurs, c’est la forme sous laquelle vivent la totalité de mes collègues allemands
employant de cent à cinq cents personnes. Or nous sommes dans la catégorie d’entreprises
correspondant à peu près à cette dimension. C’est malheureusement une forme ignorée ou
rejetée sur laquelle aucune publicité n’est faite, même pas par le Guide du créateur d’entreprise
édité par l’Assemblée permanente des chambres de commerce et d’industrie...
M. Gattaz, proposant la suppression de l’impôt de 50 % sur les bénéfices réinvestis dans
l’entreprise, oublie lui aussi qu’il existe un nombre important de sociétés de personnes classées
à l’impôt sur le revenu des personnes physiques et non pas à l’impôt sur les sociétés. L’IDI
même a une prévention contre le financement en tant que commanditaire dans cette forme de
société, bien qu’il se défende de vouloir participer à la gestion des entreprises dans lesquelles il
apporte des capitaux.
Voilà donc un certain nombre de réflexions sur cette première partie. Je me réserverai, si
vous en êtes d'accord, une autre intervention à propos des éventuels remèdes, car je crois que
le principal inconvénient de ce type de société vient de la fiscalité et de l’incertitude qui en
découle.
M. Sayag.– Avant de revenir sur cet aspect fiscal, je dirai combien j’ai été sensible aux
critiques que vous avez formulées. Vous avez, à très juste titre, mis le doigt sur une plaie qui
n’est pas propre aux commandites mais qui affecte toutes les formes minoritaires de sociétés :
le principal inconvénient des commandites, c’est tout simplement de n’être pas connues !
Peut-on maintenant insister sur le problème fiscal ? Je m’aperçois que seul M. Demurger
est concerné par cette question.
M. Demurger.– Si la commandite simple est une bonne forme pour commencer une
entreprise et s’en assurer la direction même avec une faible part de capital, en revanche, dès
que le montant du bénéfice dépasse une certaine valeur, c’est-à-dire 400 000 francs par
exemple pour deux parts, avec le barème de 1984, l’impôt calculé sur le revenu qui tient lieu de
bénéfice industriel et commercial dépasse 50 % et gêne la mise à disposition de l’entreprise de
l’argent nécessaire à sa croissance.
Selon l'article 8 du Code général des impôts, les dirigeants doivent cotiser à l’IRPP sur la
totalité du bénéfice auquel ils ont droit, ce bénéfice étant réputé distribué. De même, les
réserves qui auraient été constituées par un commanditaire, qui devient ensuite commandité,
sont immédiatement amputées de l’IRPP, ce qui constitue également une anomalie
extrêmement importante.
Mais surtout, si l’on prend en considération l’entreprise elle-même, sa santé et sa survie,
les sommes qui sont nécessaires à son expansion vont dépendre de la dualité de taxation des
bénéfices. Sur la part des commanditaires qui sont taxés à l’I.S., l’entreprise va pouvoir
disposer d’à peu près 50 % du bénéfice, moins la distribution qui sera faite. Sur la part des
commandités qui, eux, sont taxés à l’IRPP, l’entreprise ne pourra disposer au mieux
actuellement que de 30 % du bénéfice, le prélèvement pour la rémunération du gérant et les
sommes nécessaires aux besoins extérieurs de ses associés étant bien sûr déduits.
C’est donc une valeur variable suivant les années et exagérément différente des
possibilités de l’entreprise. C’est une transfusion faite à l’État, de manière instantanée et à des
doses un peu trop supérieures à celles d'un donneur de sang ! Appauvrir l’entreprise en
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
distribuant beaucoup serait même nécessaire pour que les commandités puissent payer l’impôt,
ce qui va là encore à l’encontre du souhait de maintien des capitaux dans l’entreprise.
La volonté qu’affiche le législateur, d’une part, de préserver la liberté d’entreprendre et,
d’autre part, de donner aux entreprises la possibilité de vivre convenablement devrait amener à
maintenir, entre les différentes formes juridiques choisies par des entreprises, une certaine
égalité fiscale ou du moins un parallélisme.
L’incertitude sur le prélèvement fiscal immédiat, du fait de sa fluctuation, crée une distorsion
au détriment des sociétés en commandite simple n’ayant pas opté pour l’I.S. Cette distorsion
est difficilement tolérable, et je dirai que le vote, de temps en temps, de cotisations
supplémentaires applicables au seul IRPP et prélevées sur les bénéfices industriels et
commerciaux des commandités, amplifie la distorsion puisque les entreprises soumises à l’IS
ne paient pas cette contribution supplémentaire.
Le Gouvernement veut favoriser l’apport d’argent dans les entreprises, c'est une sage
décision ; mais qu’il mette à égalité les différentes formes d’entreprises ! Or ce n’est pas le cas,
quand on sait qu’il ne permet la déductibilité des dividendes rémunérant les apports nouveaux
qu’aux seules actions de sociétés taxées à l’IS.
La recherche d’une certaine égalité est donc nécessaire. On pourrait pourtant amender
l’article 8 du Code général des impôts, en créant des variations d’imposition suivant l’affectation
du bénéfice du commandité (sorti de l'entreprise ou laissé en compte courant), ou en instituant
un taux fixe de prélèvement libératoire de l’IRPP déterminé en relation avec l’IS.
Si j’avais à faire des propositions, elles pourraient se résumer ainsi. Pour la perception de
l’IRPP, on considérerait la distribution du bénéfice du commandité. Si ce bénéfice était
réellement distribué, il paierait l’IRPP classique. S’il était laissé à la disposition de l’entreprise –
et l’on pourrait trouver des mécanismes de verrouillage –, un précompte au taux de l’IS. serait
perçu et le complément de l’IRPP ne serait demandé qu’en cas de mise à disposition effective,
c’est-à-dire en cas de non-réinvestissement dans l’entreprise.
Dans l’hypothèse d’une incorporation au capital du bénéfice ayant payé l’IRPP à un taux
supérieur à celui de l’IS. – ce qui est facilement identifiable puisque l’on connaît le montant des
distributions– , l’égalité entre associés serait rétablie en remboursant aux associés
commandités l’écart d'imposition IRPP moins IS.
Je doute que les pouvoirs publics aient cette générosité. Néanmoins la distorsion est
évidente. Comme les commandités n’ont pas de réserves, l’argent qu’ils remettent dans
l’entreprise est un argent qui a payé à plein l’IRPP. À l’inverse, lorsqu’une augmentation de
capital par prélèvement sur les réserves s’effectue au profit des commanditaires, l’argent ainsi
réinvesti n’a finalement payé que 50 % d’impôts BIC (taux de l’IS.).
S’il s’agit d’apport au capital en numéraire, les mêmes déductibilités de dividendes
devraient être applicables aux parts sociales des commanditaires et aux actions des sociétés
de capitaux. Or, en fait, une législation très récente indique que la déductibilité n’est possible
pour les dividendes provenant d’augmentations de capital par apports en numéraire que dans
les seules sociétés par actions, ce qui condamne les parts des sociétés en commandite, même
celles qui paient l’I.S. Si bien qu’il y a là encore une nouvelle inégalité.
M. Sayag.– M. Demurger nous a démontré qu’incontestablement la fiscalité de la
commandite simple était à revoir. Il faut sur ce point attirer l’attention des pouvoirs publics,
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
d’autant plus qu’ils cherchent les moyens d’attirer les capitaux dans les entreprises. La
commandite est peut-être un de ces moyens. Ceci me conduit à me tourner vers M. Flornoy et
MM. les gérants des commandites qui ont accès au marché financier : est-ce que vous pensez
qu’il y a là une solution possible pour drainer les capitaux ?
M. Flornoy.– M. Sayag, vous avez évoqué le problème du drainage de capitaux de
financement vers les sociétés en commandite au niveau « petit artisan » qui exploite en
commandite simple, il s’agit d’un problème de relations directes avec des bailleurs de fonds et
cela peut se passer très bien. Mais lorsque l’on fait appel à l’épargne publique, est-ce que cette
inamovibilité dans les instances de direction n’est pas une gêne en quelque sorte ? Vous en
avez, M. Rollier, certes fait ressortir tous les avantages pour une entreprise dotée d’un gérant
responsable qui réussit. Mais le principe sur le marché est le suivant : lorsqu’une gestion ne
donne pas satisfaction à la majorité des actionnaires, il faut pouvoir la remplacer. Or comment
voulez-vous faire cette synthèse entre la commandite par actions et l’éthique du marché qui
prêche plutôt pour une grande mobilité des structures de l'entreprise ?
M. Rollier.– C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre.
M. Beau.– Je ne sais pas si c’est difficile parce que, lorsqu’on est plusieurs dirigeants d’une
société, et tous responsables indéfiniment, on n’a pas très envie d’être entraîné par un des
responsables qui serait totalement inapte à diriger l’entreprise et l’on prend les dispositions
nécessaires pour lui permettre de trouver une situation ailleurs.
Il y a là tout de même dans la commandite quelque chose qui me semble tout à fait
important, et incitatif pour que la société soit dirigée par des hommes qui aient la capacité de la
diriger. Dans une S.A. qui compte dix mille actionnaires tout à fait anonymes, ceux-ci n’ont,
dans la pratique, aucun pouvoir dans les assemblées et aucune possibilité de renouveler la
direction si elle est incompétente.
M. Rollier.– Qui ne connaît des sociétés anonymes où une direction se maintient alors
qu’elle fait preuve d'incapacité ?
M. Sayag.– On a parlé des risques et M. Rollier ainsi que M. Beau nous ont montré que la
responsabilité illimitée est un garde-fou très efficace. C’est l’utilité de ce risque énorme compte
tenu des aléas de l’économie. Nous sommes dans une économie dangereuse ; même une
société prospère doit être bien gérée. Dans les conditions actuelles de la vie économique, il y a
belle lurette que les sociétés mal gérées ont été éliminées du marché. Donc la question ne se
pose plus maintenant comme elle se posait il y a une vingtaine d’années, au temps des
facilités.
En revanche, à propos de la responsabilité illimitée, il y a un autre élément un peu délicat,
mais qu’il faut aborder. Puisque les plus hautes instances de l'État entreprennent de réhabiliter
le
profit,
parlons
du
profit.
Ne
faut-il
pas
hésiter
à
prôner
– et je m’adresse à ceux d’entre vous qui sont prescripteurs, sous le regard des gérants
commandités– la commandite en disant aux commandités qui vont engager leur
responsabilité : « vous avez une carte à jouer qui est celle d’un profit supérieur », en comparant
les avantages dont ils bénéficient avec ceux qui auraient été les leurs en tant que dirigeants
dans une forme classique de société anonyme ? Peut-on dire qu’à réussite égale la situation de
gérant commandité est plus profitable pour les dirigeants ?
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
M. Beau.– Non, je ne crois pas que ce soit beaucoup plus profitable, si ce n’est, comme on
le disait tout à l’heure, et c’est important, sous l’angle du développement du crédit dont peut
bénéficier l’affaire du fait de sa forme de société en commandite.
M. Flornoy.– Celui qui court le risque illimité sur tout son patrimoine doit normalement
gagner plus d’argent que le dirigeant salarié d’une société anonyme.
M. Rollier.– Les gérants n’ont chez nous comme rémunération qu’un tantième sur les
bénéfices. Leur intérêt est donc de gérer de façon à ce qu’il y ait des bénéfices et cela d’une
façon continue. Par conséquent, il y a quand même une incitation à gérer en fonction de la
distribution.
M. Flornoy.– En ce qui me concerne, je suis tout aussi triste que M. Demurger quand je lis
l'article 8 du Code général des impôts ; malgré cet article 8 j’estime que je gagne plus d’argent
en encaissant ma part de bénéfice dans la société – et après avoir acquitté l’impôt dont je suis
redevable – que si j’étais salarié. Je n'ai pas honte de le dire.
M. Demurger.– Je ferai la même réflexion en ajoutant simplement que si l’on a un bénéfice
supérieur à celui d’un salarié, c’est un peu au détriment de l’entreprise, c’est-à-dire qu’il faut le
prélever sur l’entreprise pour qu’il soit effectif et que la plus grande partie (70 %) repart à l’État
sous forme d’impôts. Je ne dirai pas qu’on en est heureux – on est peut-être plus heureux que
d’autres chefs d’entreprises en face des difficultés actuelles –, mais la substance, les réserves
de l’entreprise sont, de ce fait-là, diminuées.
M. le Président.– Il faudrait peut-être maintenant donner la parole à la salle.
DÉBAT
M. Strauss-Kahn, Conseil juridique et fiscal.– Ma question intéresse particulièrement les
petites et moyennes entreprises. On cherche actuellement des solutions au problème posé par
la disparition brutale ou le retrait progressif d’un animateur ; or on ne trouve pas toujours parmi
les héritiers quelqu’un qui soit compétent et préparé. Est-ce que le système de la commandite,
dûment amendé sur le plan juridique, sur le plan fiscal et le plan social, ne serait pas justement
un choix à retenir pour faciliter la transmission des entreprises petites et moyennes ?
M. Beau.– Je connais bien les petites et moyennes entreprises puisque ma banque traite
plus particulièrement avec elles et vous avez tout à fait raison. Mais je crois également que,
tant que le régime des retraites pour les commandités sera aussi déplorable que ce qu’il est
actuellement, tant que la sécurité sociale sera uniquement une assurance volontaire, l’on
découragera d’une façon presque automatique tous les éventuels commandités. Pourtant, cela
rendrait grand service dans des transmissions d’entreprises où la famille pourrait être
commanditaire, et telle ou telle personne de valeur, commanditée. Je pense que vous avez
parfaitement raison, mais pour le moment c’est tout à fait dissuasif.
J'en profite pour dire que si nous sommes en quelque sorte des vestiges – et il est assez
curieux pour nous d’entendre un peu notre procès –, c’est probablement parce qu’en réalité des
commandites se réalisent de façon occulte. Il y a des quantités de sociétés, nous le voyons
dans les bilans d’entreprises, qui sont en fait des sociétés commanditées ; elles sont
commanditées très souvent par les fournisseurs et cela d’une manière occulte, ou
commanditées par des moyens de financement excessifs d’origine bancaire, ou encore par
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
l’État qui laisse s’accumuler des dettes privilégiées beaucoup trop importantes au passif des
entreprises. Il y a vraiment là un problème très grave qui subsistera tant que, sur le plan fiscal
et social, l’on rendra aussi difficile la vie du commandité.
Mais vous avez raison, en ce qui concerne la transmission et la pérennité de l’entreprise. Il
faut préciser que, s’il s’agit d’une société de famille, celle-ci n’a pas forcément l’héritier
compétent qui peut apporter son savoir-faire.
M. Rollier.– Peut-on dire que, dans cette commandite occulte, les commanditaires se
mêlent beaucoup plus de la gestion que dans les commandites classiques ?
Mme Monod, Conseil du groupe Sofinnova.– Votre réponse me frappe parce que vous
envisagez le commanditaire comme un membre de la famille, ou une personne physique. N’y
aurait-il pas un autre aspect qui pourrait être intéressant dans la formule de la commandite pour
les opérations très spécifiques de reprises d'entreprises : il s’agirait d’associer les financiers au
financement de l’opération, en les dissociant de la gestion. On créerait ainsi une commandite
dans laquelle les repreneurs, les cadres ou les membres de la famille qui n’ont pas les fonds
nécessaires seraient les commandités, les financiers étant les commanditaires.
M. le Président.– La solution serait certainement possible, mais tout est une question de
sécurité sociale et de retraite. De même que si nous avons plus d’une centaine de milliers de
sociétés anonymes, c’est bien simplement parce que les gérants majoritaires ne sont pas
assujettis aux mêmes règles que les présidents directeurs généraux. En effet, la solution de la
société en commandite pour une opération de reprise telle que vous venez de l’évoquer serait
très certainement une formule élégante qui permettrait au moins de laisser s’écouler un certain
temps et de sauver l’entreprise qui était en difficulté de commandement.
M. Duguet, Directeur financier de Worms et Cie.– Il n’y a pas que des gérants indéfiniment
responsables. Ce n’est pas parce que l’on est gérant que l’on est indéfiniment responsable,
c’est parce que l’on est commandité. Ainsi on peut, en cas de reprise, nommer un gérant
statutaire non associé, auquel cas c'est un salarié ; il est possible aussi de nommer en dehors
des statuts un gérant salarié.
Pour revenir au problème fiscal, ce que dit M. Demurger équivaut à la remise en cause
complète de tout le système fiscal des entreprises individuelles. Or, il ne faut pas trop rêver...
Ceci étant, M. Flornoy a dit la vérité : dans bien des cas le régime fiscal est très favorable.
Envisageons le cas d'un associé gérant commandité pour lequel les bénéfices sont en partie
des plus-values à long terme : on ne paie que 15 % et on peut distribuer. L’avantage fiscal n’est
pas négligeable, il faut bien comprendre que tout n’est pas négatif dans le système fiscal.
En ce qui concerne maintenant la responsabilité, je vous félicite, Messieurs les gérantscommandités, d’avoir dit clairement que vous croyez en l’entreprise et que vous êtes
responsables de votre entreprise, de vos capitaux et des gens qui travaillent avec vous.
M. Huppert.– Je suis ancien gérant d’une société en commandite par actions cotée en
Bourse. Bien que cette réunion soit tournée vers l’avenir, je voudrais vous parler du passé et de
l’expérience que j’ai vécue en tant que gérant d'une société de 1957 à 1962, auprès de mon
beau-père qui, lui-même, était gérant depuis 1880. Nous nous sommes heurtés à des difficultés
dont je me demande si elles sont aujourd'hui résolues.
La première, c’est que, malgré les relations les plus harmonieuses qui existaient entre la
gérance et le conseil de surveillance, une fraction importante des actionnaires a voulu un jour
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
obtenir la transformation de la société en commandite en société anonyme. Or, nous nous
sommes aperçus que la protection que nous pensions avoir à travers la formule de la
commandite par actions avait des limites. Malgré les conseils éclairés de la personne dont le
nom peut-être doit commencer à s’estomper, mais qui à l’époque jouissait d’une réputation
essentielle, le Professeur Amiaud, Président de la Commission de réforme du Code et de la loi
sur les sociétés, nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas poursuivre notre
gestion quand les actionnaires, pour une question de principe, nullement fondée sur une
critique quelconque de la gestion, s’opposaient aux comptes. Dès lors la société n’était plus
viable ; il aurait fallu nommer un administrateur judiciaire. Nous avons été obligés de céder,
donc d’accepter la transformation de la commandite en société anonyme.
En outre, à l’époque, un député – qui avait certainement à l’esprit le cas d’une société très
importante – avait déposé une proposition qui instituait une différence fondamentale entre les
associés de sociétés en commandite par actions fondateurs et ceux qui auraient été nommés,
cooptés ou désignés par la suite. D’après cette proposition, si un associé fondateur pouvait
bénéficier de l’inamovibilité, il n’en était pas de même pour ceux qui seraient nommés dans le
cours de l’existence de la société. Je ne sais pas ce qui, aujourd’hui, serait à l’ordre du jour
dans ce domaine, mais je pense que ceux qui se penchent sur l’avenir pourraient peut-être se
nourrir de cette idée.
Enfin, je ferai une dernière remarque : n'y a-t-il pas quelquefois, dans les textes, une
certaine confusion entre la notion d’associé et la notion de gérant ? Est-ce que la loi ne parle
pas une fois d’associé, une fois de gérant ? Je ne parle pas des gérants salariés. Mais dans la
notion de gérant associé, il semble, si mes souvenirs ne me trahissent pas trop, qu’il y a une
certaine équivoque, un certain manque de précision, dans la définition.
M. le Président.– Merci. Y a-t-il un autre intervenant ?
Un intervenant.– Une question me brûle les lèvres : M. Demurger, pourquoi n’avez-vous
pas opté pour l’impôt sur les sociétés ?
M. Demurger.– Effectivement c’était une solution, mais à mon avis une solution incomplète.
Dans ce cas-là, il faut adopter franchement la société anonyme. Ce n’est pas la peine de
rapporter des pièces différentes dans des solutions qui ne sont déjà pas simples. Il vaut mieux
changer de forme de société.
Je dirai aussi qu’en adhérant à un centre comptable agréé on a en principe la possibilité de
revenir sur des frais professionnels par exemple, mais c’est une possibilité très théorique.
Enfin je répondrai ainsi à M. Duguet : bien sûr, j’ai parlé tout à l’heure des sociétés dont le
taux d’IRPP pour les gérants commandités est supérieur à 50 % et ce taux est atteint très
facilement dans une petite entreprise industrielle. Il est certain que l’on peut ici établir un
parallélisme avec les entreprises individuelles qui atteignent rarement ce taux. J’ai participé à
une réunion de la commission juridique et fiscale de l’Assemblée permanente des chambres de
commerce et d’industrie où ce problème a été traité. C’est simplement en mettant les butoirs au
taux de l’I.R.P.P. pour ceux qui paient plus de 50 %, qu’on pourrait vraisemblablement trouver
une solution au problème du trop grand prélèvement de B.I.C. sur l’entreprise que je souhaite
voir résoudre.
M. Sayag.– Je voudrais formuler ici une remarque générale, qui sort du cadre de la
commandite : il faudrait en terminer avec le mythe – car je crois que c’est un mythe, et un
mythe qui a des conséquences fâcheuses – de l’avantage fiscal et social du statut de président
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
directeur général. En réalité, la question est d’une infinie complexité. On a entrepris dans cette
maison une étude très précise, qu’il a fallu mettre sur ordinateur, tranche par tranche de
revenus, des avantages comparés du statut de travailleur indépendant et de celui de PDG
« salarié », avec toutes les modulations que le droit fiscal et le droit social ont introduites.
Finalement la comparaison des situations est extrêmement mouvante, suivant les tranches, et
sans machine on ne peut avoir un état exact de la comparaison. Tout dépend donc des
situations.
M. Neyrand, Directeur du Centre d'études des CCI. Rhône-Loire-Alpes.– Ma question porte
sur un sujet n’ayant aucune relation avec la fiscalité. Il s’agit de la surface financière des
sociétés en commandite. A priori on peut penser que la responsabilité illimitée des
commandités est de nature à renforcer le crédit de ces sociétés et comme on sait par ailleurs
que, dans les petites entreprises tout au moins, les banques se fient souvent à la caution des
dirigeants, voire des membres de leur famille, on pourrait penser aussi que l’avantage de cette
responsabilité indéfinie est de limiter l’usage de ce procédé. Pourtant il y a un doute qui vient à
l’esprit. Lorsqu’une banque sollicite ce cautionnement de la part d'un dirigeant de société
anonyme, par exemple, elle bénéficie en principe d’une situation privilégiée puisqu’elle a une
garantie personnelle dont les autres créanciers, a priori, ne bénéficient pas, tandis que,
s’agissant d’un commandité d’une société en commandite, tous les créanciers pourront se
prévaloir de sa responsabilité illimitée. Par conséquent, avec ce dernier type de société, la
situation du bailleur de fonds, je veux dire du bailleur de crédit, n’est pas une situation tellement
préférentielle.
M. Rollier.– Je crois que ce qui fait la garantie de la responsabilité personnelle du
commandité, ce n’est pas ce qu’il peut apporter comme capitaux propres vis-à-vis de toutes les
dettes et l’ampleur du passif de la société, mais le fait qu’on lui retire tout ce qu’il a, en quelque
sorte qu’il perde sa chemise. Or il tient à sa chemise !
M. Loué.– Vis-à-vis des banques, ce qui compte le plus c’est la stabilité du pouvoir.
M. Beau.– C’est la stabilité du pouvoir, c’est aussi sa qualité. La caution, c’est aussi
l’assurance que le dirigeant ressent réellement qu’il est impliqué dans sa gestion. Cela est pour
nous le plus important. Bien sûr, si l’on peut récupérer de cette façon-là un contentieux, c’est
utile pour la banque. Mais ce qui est capital c’est que le dirigeant de l’entreprise, qu’il soit
commandité ou qu’il soit dirigeant d’une société anonyme, montre qu’il est directement impliqué
dans la gestion et dans la bonne fin des crédits qu’il sollicite de la part de la banque. Dans le
cas de la société en commandite, il est impliqué de fait, dans le cas de la S.A. il faut qu’il donne
sa caution.
M. Boulland, Gérant de la Société du Passage Jouffroy.– Je suis gérant unique et associé
commandité de cette société en commandite par actions fondée en 1844.
Je voudrais dire que la comparaison des différents statuts de dirigeant que l’on a évoquée
est absolument au désavantage de la commandite car on n’a pas soulevé le problème de la
protection sociale dont bénéficie le PDG, ni la question des responsabilités. J’ai interrogé toutes
les assurances pour savoir si je pouvais bénéficier d’une assurance pour la responsabilité de
mon affaire en tant que gérant commandité. Toutes ont refusé en ce qui concerne la protection
sociale et surtout la retraite.
J’ai entendu M. Flornoy dire qu’il avait trouvé une assurance qui couvre la responsabilité du
mandataire social, je serais curieux de savoir de quel type d'assurance il s’agit.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
M. Flornoy.– Pour ce qui concerne mes vieux jours, je me prends en charge ; c’est le
risque que j’ai accepté, on verra si je suis capable de le couvrir jusqu’au bout. L’assurance dont
j’ai parlé concerne les seuls risques d’exploitation.
M. Boulland.– Je désire demander à M. Sayag si pour l’étude dont il a fait état, il a été tenu
compte de la protection sociale et des caisses de retraite ?
M. Sayag.– Cette étude prenait en compte les coûts et non pas les avantages de la
protection. Au regard de la sécurité sociale dans le cas de la société unipersonnelle, il faut
prendre en compte non seulement les cotisations dites salariales mais les cotisations dites
patronales.
Cela dit, j’ai souvenir, lorsque des commissions se sont réunies il y a quelques années sur
les projets d’entreprise personnelle à responsabilité limitée, que la question de la couverture
mutuelle de la responsabilité illimitée de l’entreprise personnelle a été abordée. Cela s’est
conclu sur un échec total. À l’époque certains représentants des milieux patronaux des petites
et moyennes entreprises avaient rejeté le principe de l’assurance en soutenant que cela faisait
une charge permanente de plus. En réalité, peut-on assurer le risque et avoir les avantages du
risque ?
M. Flornoy.– Il y a également à prendre en compte le niveau de la garantie qu’il est
nécessaire que le dirigeant inamovible apporte à son entreprise, surtout si son apport de
capitaux est relativement faible. Dans une profession comme la nôtre, si aujourd’hui on n’offre
pas aux jeunes qui débutent la possibilité de s’assurer contre le risque d’insuffisance de
garantie personnelle en regard du risque d’exploitation, on n’en trouvera pas beaucoup... Mais il
ne faut pas être trop catégorique car nous touchons là au domaine de la couverture d’un risque
financier.
Je reviendrai une dernière fois sur l’exemple que peut offrir la Compagnie des agents de
change : s’agissant des structures juridiques de nos sociétés d’exploitation nous sommes
autorisés à opter, depuis 1971, entre la commandite simple et la société anonyme. Parti de
zéro, le nombre des sociétés anonymes représente aujourd'hui 45 % du nombre des charges.
Actuellement il semblerait toutefois que se dessine un mouvement inverse de retour à la
commandite simple. Cela illustre, à l’intérieur d’une même profession où les objectifs et les
problèmes sont les mêmes, la difficulté qu’il y a à opter pour l’une ou l’autre de ces formes.
M. Vickery, Professeur à l’INSEAD.– Je me suis consacré pendant une dizaine d’années
au financement des jeunes entreprises à croissance rapide et je voudrais poser quelques
questions à M. Hopt sur le thème de la responsabilité du gérant.
Au début des années 70, je souhaitais utiliser en France la commandite comme formule
d'investissement, non pour collecter des fonds, mais pour permettre, ainsi que l’a évoqué
M. Flornoy, au jeune gérant, brillant ingénieur, n’ayant pas de sous en poche et voulant
s’engager totalement, de présenter son projet devant des financiers disposés à apporter des
fonds, à condition de partager avec lui les bénéfices de l’affaire. Mais, on s’est heurté à
l’indifférence totale des banques et M. Hopt nous a expliqué à ce propos comment les choses
marchent mieux en Allemagne et en particulier sur les deux points suivants.
L’un touche à la protection effective de l’entrepreneur, qui recherche une formule lui
permettant, même s’il perd sa chemise, de revenir par la suite dans la vie active. En Allemagne,
si l’entrepreneur engage la totalité de ses biens dans la SARL en commandite, c’est souvent
pour permettre un dépôt de bilan individuel et pour renaître ensuite de ses cendres. Tandis
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
qu’en France, le gérant individuel qui dépose son bilan n’a plus de possibilité de renaissance.
Or il me paraît important de pouvoir donner une nouvelle chance à l’entrepreneur.
Le second point concerne le changement de gérant. J’ai le souvenir, s’agissant des
investissements faits en Allemagne, que les financiers y ont la possibilité de changer de gérant
si la performance de l’entreprise est nettement inférieure à ce qui était convenu. Cette
possibilité me semble tout à fait indispensable.
M. Hopt.– Sur le premier point vous avez raison, la renaissance des entrepreneurs est
possible et le problème qui se pose en Allemagne est en fait inverse : il s’agit de limiter cette
trop grande possibilité de renaissance en cas de faillite frauduleuse. Sur le second point, il est
vrai aussi que l’on peut évoquer le contrat du gérant : c'est de la démocratie.
M. Schmidt, Avocat, Professeur à l’Université de Strasbourg.– J’ai été très intéressé par
l’exposé de M. Hopt et me suis demandé pourquoi nous n’avons pas traité cet après-midi de la
possibilité de construire valablement et sérieusement une SARL en commandite en France.
Avoir une commandite, dont le commandité serait soit une SARL, soit une société anonyme,
permettrait d’abord de régler un certain nombre de problèmes fiscaux et sociaux concernant la
personne des dirigeants. Cela permettrait aussi de préparer la succession des dirigeants en
place, car la gérance de la commandite assurée par une société anonyme serait exercée par
une personne physique désignée par les organes de représentation de la société anonyme. A
priori, il me semble qu’il est possible de pratiquer en France cette formule qui n’est pas un
montage juridique abusif, et qui peut rendre de réels services.
M. Sayag.– Je répondrai simplement à M. Schmidt que si nous avons prié M. Hopt de nous
parler de la SARL en commandite et si nous avons retenu cet exemple, c’est parce qu’il nous a
paru exactement transposable en France. Cela dit, M. Flornoy formulera sans doute des
réserves.
M. Flornoy.– Non pas des réserves, mais, pour rester dans l’optique où je me suis placé,
celle des sociétés petites et moyennes dans lesquelles il est nécessaire que le gérant
commandité apporte sa foi, son ardeur, son argent pour la défense de son entreprise, de son
personnel et de ses commanditaires, la formule proposée aurait pour effet de faire de ce gérant
un salarié de la société commanditée. Vous transformez donc un chef d’entreprise, dont j’ai
essayé de vous dire qu’il était nécessaire qu’il soit engagé, en un salarié. Fiscalement vous
avez sans doute raison, mais la fiscalité n’est pas l'essentiel. Et si elle n’est pas bonne, elle est
peut-être amendable... Il suffit de savoir « utiliser » à bon escient la formule de la société en
commandite et on peut encore le faire. Car, si cette formule est toujours en vigueur, c’est parce
qu’elle n’est pas – du moins pas trop – démodée.
SYNTHÈSE
M. François TERRÉ,
Professeur à l’Université de droit, d’économie et de sciences sociales de Paris (Paris II)
À mesure que le débat se déroulait, j’ai eu le sentiment, en vous écoutant, que le temps
avait fait beaucoup à l’affaire. D’emblée, il a permis de discerner plusieurs sortes de
contradictions.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
La première contradiction que l’on voit se manifester, tient au fait qu’il y a ceux qui croient à
la société en commandite et ceux qui n’y croient pas. Qu’il y ait des avis divergents sur ce point
n’est pas en soi un signe de mauvaise santé de l’institution ; aussi bien n'est-ce pas le propre
de la société en commandite que de susciter de la part des uns et des autres, théoriciens et
praticiens, des opinions contraires.
Une deuxième source plus grande de perplexité m’est apparue dans la comparaison qui a
été dressée entre les mouvements du droit français et ceux du droit allemand. Nous avons
réfléchi à un certain nombre de procédés destinés à favoriser l’existence d’un type de société
ressemblant à ce modèle que nous présentait avec beaucoup de talent M. le Professeur Hopt.
Mais dans cette même intervention, M. le Professeur Hopt nous a montré qu’il y avait un
courant en Allemagne tendant à combattre certains des inconvénients de ladite société. Bref
nous serions toujours en retard d’une réforme sur le droit allemand.
De surcroît, derrière cela, surgit une contradiction supplémentaire : au fond il nous a été dit
que certaines manifestations de la commandite offrent pour les uns des avantages et pour les
autres des inconvénients. Ainsi, pour certains orateurs, la responsabilité illimitée ou d'autres
règles relatives à l’information des associés sont, selon les cas et les hypothèses,
avantageuses ou désavantageuses. Ces divergences me conduisent alors à penser que ce
n’est pas l’objet même de notre réunion et la richesse des propos tenus qui devrait appeler un
effort de synthèse, mais une recherche, – dans une sorte de « Silicon Valley » du droit des
affaires –, d’une institution pouvant répondre à ce besoin de ressusciter une société qui n’est
peut-être pas si morte qu’il y paraît si j’en juge par les travaux remarquables du CREDA.
Et le cheminement que je vous proposerai en guise de conclusion se présentera sous la
forme d’un plan de théologie. Ainsi j’essaierai de dégager, à partir des rapports et des débats
très riches auxquels nous venons d’assister, ce qui pourrait être présenté tout d’abord comme
une thèse, et puis ensuite je tenterai de développer une hypothèse. Il y a une thèse et il y a une
hypothèse, disent les théologiens ; comme le passé éclaire l’avenir, la thèse éclaire peut-être
cette hypothèse en guise d’interrogation finale : un renouveau pour la société en commandite ?
La thèse qui nous semble avoir été le point de départ de la réflexion est que la société en
commandite est un outil, un moule, qui ne convient pas, qui est périmé, désuet ou archaïque. Et
pourtant, d’ores et déjà, les travaux publiés nous avaient montré que cette image était
relativement inexacte. Il faut donc par rapport à elle, et si l’on veut essayer de concevoir des
remèdes nouveaux, et sans cesse renouvelés, constater d’abord l’existence d’un certain
nombre de besoins et imaginer les techniques qui, par le biais de la commandite, pourraient
satisfaire ces besoins. Mais surtout, si l’on veut essayer de dégager les voies de l’avenir, il
convient de rechercher s’il n'y a pas un hiatus entre ces besoins et ces techniques et si, pour
faire disparaître ce hiatus, le recours au législateur ou à la pratique, ou tout simplement à la
connaissance d’une institution, n’est pas en définitive le meilleur moyen de surmonter nos
difficultés.
S’agissant de l’existence d’un certain nombre de besoins, en écoutant tous les orateurs, on
s’aperçoit qu’ils ne se contredisaient qu’en apparence. Il y a, semble-t-il, des besoins de la vie
économique qui peuvent être satisfaits et qui sont forts différents. Il n’est pas utile de
rechercher nécessairement s’il faut que la responsabilité soit toujours illimitée ou parfois
compensée. Cela dépend des cas. Il y a des survivances qui peuvent être significatives. Le
monde est fait, dit le philosophe, de plus de morts que de vivants. La société en commandite
n’est pas morte. Elle peut bien composer au moins autant que d’autres le monde des vivants et
des entreprises en prospérité.
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Parfois le législateur est bien frivole et il est difficile de toujours prévoir ses réactions. Il a
supprimé dans le droit des régimes matrimoniaux le régime dotal qui correspondait peut-être à
un certain nombre d’exigences, et, cela, il l’a fait malgré le courroux d’une poignée de
parlementaires alsaciens. Je crois qu’au fond la commandite par actions a été sauvée au
dernier moment ; on a estimé que les forces puissantes qui avaient milité en faveur de son
maintien ont été plus fortes que celles qui auraient pu jouer en faveur du régime dotal.
Ces aspirations sont multiples, en fait diverses et difficiles à percevoir. Car la vérité, qui sert
de passerelle entre ces besoins et les satisfactions que peuvent nous apporter les structures
juridiques, n’existe pas nécessairement au centre. Il en va ainsi dans le droit des entreprises
comme ailleurs. Pour gouverner le centre, il faut chercher à concilier des techniques
empruntées aux extrêmes. Et la société en commandite, dont on a dit qu’elle était
hermaphrodite, nous montre que c’est aux extrêmes que la vérité, y compris la vérité du droit,
peut être perçue, comprise et utilisée.
Je constate que pour des grosses entreprises comme Michelin, pour de petites et
moyennes entreprises également, pour des entreprises familiales, pour des entreprises en
difficulté, pour des entreprises qui ont besoin d’une relance, ou encore pour des entreprises se
situant dans le cadre même des groupes internationaux ou nationaux de sociétés, la technique
juridique de la société en commandite peut répondre à des exigences sans cesse renouvelées.
Je le vois d’autant plus que dans la transmission des entreprises, les difficultés qu’elle peut
susciter de génération en génération, à travers la ligne, la lignée, le lignage, ne sont pas
insurmontables.
Le rapport de M. Gilardi nous a montré à quel point il y avait des cas particuliers dans
lesquels la société en commandite simple pouvait présenter des intérêts irremplaçables et la
société en commandite par actions tout autant ; elles ont été traitées assez souvent en sœurs
jumelles. C’est un signe intéressant. Et l’on voit que tout ce qui relève des fonds communs de
placement à haut risque vient tout d’un coup renouveler aussi la réflexion qui datait néanmoins
de tant de siècles passés.
Mais est-ce que la commandite simple ou par actions peut satisfaire ces besoins ? Il est
évident que lorsque nous en parlons, nous n’évoquons que des structures juridiques
aménagées par les lois. Le droit ne crée jamais la richesse, mais il a une puissance bien
grande pour l’empêcher : il a un pouvoir d’empêcher qui est sans commune mesure par rapport
à ces ressources économiques, mais aussi par rapport à ces ressources humaines dont
l’existence est apparue in fine au cours des débats. La puissance de l’imaginaire et la
puissance de l’imagination par le droit nous montrent bien que la société en commandite peut
servir d’outil bien commode d’abord pour créer des entreprises, mais aussi, par des biais
divers, à les financer. Et je pense que tout ce que nous a dit M. Dupont-Jubien sur les différents
types de sociétés et – puisque tel était l’objet de son propos – sur les différentes catégories
d’actionnaires ou d’actions, nous a, sur ce point, singulièrement éclairés.
Mais là, justement, il y a un débat sous-jacent à toutes nos discussions : faut-il distinguer
selon les types de sociétés, ou selon les différentes catégories d’associés ou d’actionnaires ?
Dans la discussion qui a été présentée à partir de l’existence d’autres moyens de satisfaire
l’idée de commandite, tels les actions à dividende prioritaire sans droit de vote, les certificats
d’investissement – qui sont les héritiers des certificats pétroliers –, les titres participatifs,
inventions du monde des juristes, je me demandais si effectivement, il était bon ou mauvais que
l’on ait un peu oublié dans tout cela la société en commandite ?
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
Ainsi que cela a été évoqué par M. le Professeur Sayag dans son exposé liminaire et tout
au cours de l'animation des débats, quel est ici l’intérêt de l’oubli dans le droit ? D’avoir oublié la
commandite simple ou par actions, cela a permis à l’imagination de produire une série de
catégories nouvelles de titres. Oubli involontaire, mais l’on se dit parfois qu’en oubliant un peu
trop on crée de l’inutile dans le droit. Quelle est la part de l’inutile dans le droit ?
C’est une question que l’on ne se pose que rarement. Il y a beaucoup d’inutile dans le droit.
Pourtant une vision utilisatrice des règles de droit a sans doute imprégné depuis des siècles le
développement de la pensée et la construction des règles.
Ma réflexion me porte aussi à m’interroger sur le hiatus entre les besoins que j’évoquais il y
a un instant et les outils que le droit nous offre. Ce hiatus est double. Il y a d’abord un premier
hiatus entre ce que les sociologues appellent les rôles et les statuts. On voit bien que le
commandité comme le commanditaire ne remplissent pas exactement dans le fonctionnement
de la société le rôle que le système juridique leur assigne. Les associés de maintes sociétés en
commandite – je le constatais en écoutant les personnalités qui sont assises devant cette
table –, vivent comme si le droit n’existait pas ou n’existait pas trop ; ils vivent donc comme des
gens heureux et c’est seulement la nuit que, semble-t-il, ils ont quelques rêves qu’ils partagent
en commun ! Mais la nuit leur permet de découvrir la déesse qui leur chante les chants de la
commandite en se croyant encore dans un opéra de Mozart !
Le rôle et les statuts ne sont pas les mêmes et la loi n’y peut rien. Elle ne peut pas changer
le comportement des hommes par rapport à des règles dont la souplesse a été relevée et
analysée avec talent par le Professeur Viandier.
Il existe également un autre décalage, qui se situe non plus entre les rôles et les statuts,
mais entre la loi et le droit, car le droit ne se confond pas avec la loi. On peut imaginer ici deux
axes de la réflexion selon que celle-ci porte ou non sur la loi fiscale.
À vrai dire, à mesure que les débats sur la loi fiscale se déroulaient, je ne voyais plus où il
fallait véritablement porter le fer : la loi fiscale a tout prévu, elle prévoit même la fraude. En effet,
il est toujours difficile de s’en tirer, sauf en fraudant. Mais n’est-ce pas la manière de satisfaire
les intentions du législateur ? Il a prévu que l’on frauderait, pourquoi alors ne pas frauder ? Ne
serait-ce pas sinon porter atteinte à ses intentions les plus profondes ? Bien évidemment, il
s’agit là d’un sophisme et je ne reprendrai pas ici en guise de synthèse le dialogue qui oppose
Socrate à Calliclès.
L’on peut tout de même penser, à la lumière de tout ce qui a été dit de fort profond et riche
par le Professeur Le Gall, que toutes les imperfections fiscales n'étaient peut-être pas tellement
dues à une inadéquation de la loi fiscale. M. le Professeur Le Gall m’a convaincu de la
convergence de deux phénomènes : là où le droit fiscal ne convient pas, c’est là où l'on assiste
d’une part à une réussite du mauvais usage du recours à la commandite, et d’autre part, à
l’échec du bon usage. Je crois que c’est parce qu’il y a une complexité particulière en la
matière. Ce qui m’apparaît quand même extérieur au problème, c’est le fait que ces
imperfections de la loi fiscale semblent, tout au moins sur certains points, appeler des réformes
législatives. Et, s’il en est une qui paraît devoir se dégager – mais n’étant pas fiscaliste je ne
m’aventure sur ce terrain qu’avec prudence –, c’est celle qui concerne le régime fiscal des
sociétés mères et des sociétés filiales.
Ceci étant, je crois que le droit fiscal est révélateur, comme toujours, d’un certain nombre
de vérités ou de réalités plus ou moins latentes. Il n’y a pas un alliage dans la société en
commandite, il y a autre chose. Il y a une société typique, disait M. Gilardi, et je crois que les
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
suggestions qu’il pouvait nous faire nous conduisent alors à nous interroger sur un changement
éventuel de la loi civile et pas seulement de la loi fiscale.
Absence de règles, présence de règles, là-aussi des contradictions. Certains ont vanté
justement l’absence d’une réglementation trop précise, sa souplesse qui fait de la commandite
une institution protéiforme ; mais d’autres ont fait valoir qu’il serait bon de réglementer
davantage la société en commandite. Il y a ceux qui croient à la règle et ceux qui n’y croient
pas. Ce n’est plus alors une thèse, c’est une hypothèse que je voudrais maintenant évoquer :
une nouvelle chance pour la commandite.
En droit on n’invente pas, on découvre ; et l’on découvre souvent de vieilles choses. Le
droit des obligations, pour l’essentiel, n’a pas inventé grand-chose depuis deux millénaires. Si
l’on pouvait avec la société en commandite trouver les moyens de satisfaire des besoins,
seraient-ils tout à fait nouveaux, afférents à des techniques nouvelles de pointe ? Peut-être...
Toujours est-il que sa nouvelle chance s’ordonne sur l’idée du financement, cette donnée sur
laquelle chacun a insisté à tour de rôle en fonction de sa perspective particulière ; plus
précisément, la nécessité de capitaux propres. Ceci nous amène alors à l'évocation de deux
questions : financement et capital d'une part, financement et pouvoir de l'autre.
Je voudrais essayer d’ordonner tout ce qui a été dit autour des mots qui formaient le titre
même de la réunion d’aujourd’hui. Et d’abord, en ce qui concerne le financement et le capital,
est-il ici nécessaire de changer les lois pour donner une nouvelle chance à la société en
commandite ?
S’il s’agit de la loi non fiscale – j’allais dire la loi civile, mais le terme serait incorrect, la loi
fiscale n'étant pas « incivile » –, la réflexion du réformateur serait en quelque sorte prudente,
ainsi n’a-t-on fait qu’évoquer la nécessité de permettre la cession en toutes circonstances des
parts de sociétés en commandite...
Mais du point de vue des règles relatives au financement, à la recherche de
commanditaires, à la distinction qui a été évoquée entre la société en commandite ayant accès
au marché financier et toutes les autres sociétés en commandite, on peut redistribuer les
formes sociales. On peut aussi imaginer que des règles propres, relatives aux reprises
d’entreprises soient aussi de nature à favoriser l’apparition de commandites. Le texte d’origine
gouvernemental sur le développement de l’initiative économique offre déjà matière à réflexion.
Pourquoi ne pas suivre dans cette voie les réflexions et le choix des incitations fiscales qui y ont
été retenues ?
Je crois que, malgré tout, l’essentiel des débats s'est situé ailleurs, dans le cadre de
l’analyse du financement et du pouvoir dans l’entreprise. C’est ici que je voudrais émettre
d’abord une remarque sur les structures de la commandite.
La société en commandite est aménagée en fonction d’une certaine structure et on aurait
pu s’interroger au cours des débats sur une règle qui, souvent critiquée, a fait couler de l’encre,
et qui pourtant a été aujourd’hui passée sous silence : c’est la défense d’immixtion des
commanditaires dans la gestion extérieure de la commandite... Personne n’en ayant parlé, estce donc parce que la règle a été abrogée sans qu’on s’en soit aperçu, ou que l’on vit avec elle
sans qu’elle gêne, soit qu’on la respecte, soit qu’on la viole allègrement. Laissons donc cette
règle comme si elle devait dormir dans le repos des institutions devenues inutiles.
C’est surtout à propos de la responsabilité illimitée qu’il y a eu un débat. On est tenté alors
d’avancer l’observation suivante : on a discuté de la responsabilité de temps à autre, et cela de
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
manière fort pertinente et profonde ; à d’autres moments, il a été question de la stabilité et des
pouvoirs des commandités et gérants commandités, C’est là que me semble devoir être
indiquée une grande différence entre la distinction classique des commandités et des
commanditaires et les distinctions qui résultent de toutes ces créations nées de l'imagination
des gouvernements et des bureaux, les administrations imaginant toute une série de
catégories-types qui peuvent répondre éventuellement à des besoins de la pratique. Cette
différence tient au fait que les responsabilités accrues des commandités ne se retrouvent pas
dans le cadre de ces distinctions nouvelles : ainsi l'idée de commandite exprimée par la
technique de la société en commandite n’est pas satisfaite par toutes les divisions, subdivisions
et enchevêtrements des différentes catégories d’actions ou d’actionnaires sans droit de vote.
Ce n’est pas la même chose d’avoir un droit de vote que d’être responsable de manière
indéfinie et illimitée. On n’insistera jamais assez sur le fait suivant : c’est la corrélation de la
responsabilité et du pouvoir qui inspire profondément les grands et véritables courants de
réforme des entreprises commerciales. En 1940 et 1943, à l’époque encore du présidentdirecteur général, si l’on a augmenté les pouvoirs de certains dirigeants sociaux, c’est parce
qu’on voulait augmenter leur responsabilité. Ceci nous montre bien, des décennies après, que
les deux problèmes sont liés. Ils font l’originalité essentielle de la société en commandite.
C’est pourquoi lorsque l’on parle d’une stabilité qui peut être aménagée en fonction d’un
certain nombre de considérations propres à des besoins et à des exigences des
commanditaires, il faut bien voir que là encore tout se tient. La stabilité du pouvoir, c’est
également le moyen de satisfaire cette nécessité de prévenir les jours du malheur.
Il y a du pour et du contre. On ne peut à la fois combattre plus ou moins la stabilité de ces
dirigeants sociaux tout en s’acharnant à vouloir maintenir une responsabilité illimitée à leur
charge et cela, parce que toute l’harmonie, tout l’équilibre du système en dépendent. On ne
peut pas faire les deux à la fois.
En fait ce n’est pas seulement sur les structures que l’on doit raisonner, c’est aussi dans un
autre axe de pensée.
On a dit excellemment – je trouve que la formule est parfaite – qu’il y a dans ces sociétés
en commandite une oasis de liberté. Mais fréquemment on s’est interrogé sur la nécessité
d’apporter – en matière civile tout particulièrement – un certain nombre de réformes. Je me
demande si l’une quelconque de celles qui ont été évoquées, plus ou moins ouvertement et
directement, serait véritablement significative.
La législation sociale qui, d’après des lois nouvelles, protège les travailleurs plus que les
commanditaires, est de nature, par l’effet pervers de certains textes, à appeler un certain
nombre de réflexions qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement d’ordre politique mais qui
tiennent en réalité au problème suivant : peut-on traiter de la même manière l’associé « à part
entière » et le commanditaire « immigré » ?
En fait, n’est-il pas curieux que, d’une part, dans tous les secteurs de la nation ou du pays,
l’on s’efforce de combattre la fragilité de l’emploi, d’assurer la stabilité, et que d’autre part,
justement là où, de par la convention elle-même, cette stabilité existe, on se dise qu’il convient
de déstabiliser le système ? On a toujours assez de stabilité pour supporter l’instabilité d’autrui
et il est apparu ici dans tout ce qui s’est dit sur la gérance, de quelque côté que le propos soit
venu, que l’on se retrouvait confronté au problème éternel qui concerne le gouvernement de la
société des hommes : pour les groupements particuliers comme pour la société globale, la
nation, l’État, faut-il choisir de bons gouvernants ou faut-il soumettre les gouvernants à de
bonnes règles de conduite ? Depuis l’Antiquité on s’interroge sur ce point. Et lorsqu’il s’agit de
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Financement, capital et pouvoir dans l’entreprise :
Une nouvelle chance pour la commandite ?
déterminer la gérance des sociétés, de savoir quel est l’ensemble des règles conventionnelles,
légales, législatives, réglementaires, bureaucratiques auxquelles doivent être soumis les
dirigeants de sociétés, c’est la même question : convient-il de choisir de bons gérants de
société de commandite ou de soumettre les gérants des commandites à de bonnes règles de
conduite ?
La sagesse humaine et la pauvre histoire des hommes nous apprennent que les deux sont
nécessaires et que chacun avait raison dans les propos qu’il tenait sur les réformes
éventuelles.
Peut-être y a-t-il certains rares aménagements législatifs qui, hors le droit fiscal,
justifieraient quelques réformes, projets ou propositions découlant des débats mêmes
d’aujourd'hui. Mais le problème étudié est surtout un problème de connaissance, comme
certains l’ont rappelé. Cela doit être mis à l’actif de notre réunion. L’oubli, dit-on parfois en
philosophie, c’est une condition de la renaissance, mais il y a des cas où l’oubli de l’oubli peut
être aussi une condition de la renaissance.
La société en commandite, on l’a bien vu, malgré son ancienneté - et c’est la modeste
conclusion que j'essaierai de vous présenter - n'est pas comme l’aristocratie : elle a connu l’âge
des supériorités, elle a passé l’âge des privilèges, mais je ne crois quand même pas qu’elle ait
suivi la ligne indiquée par Chateaubriand et qu’elle ait atteint l’âge des vanités.
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