La clé du succès du Vorarlberg

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La clé du succès du Vorarlberg
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© emmanuel polanco
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Le Bureau des questions du futur
La clé du succès
du Vorarlberg
Parmi les 365 000 habitants
du Vorarlberg, petit Land
autrichien bordant le lac
de Constance, nombreux
sont ceux qui pratiquent un
bénévolat social et culturel
et s’impliquent dans l’essor
économique de leur région
en favorisant les ressources
et produits locaux. Au sein
de l’administration locale, la
création en 1999 d’un « Bureau
des questions du futur » avec
des compétences transversales
touchant l’environnement,
le social, l’économie, les
transports et la construction
a marqué un vrai changement
en terme de gouvernance. Son
directeur, Manfred Hellrigl,
nous explique les mesures
concrètes, fondées sur le
capital social, qui favorisent un
changement des mentalités.
EcologiK : Quelles sont les compétences du
Bureau des questions du futur ?
Manfred Hellrigl : Nous sommes un service
chargé de la prospective, concentré sur trois
domaines de compétences : l’engagement
citoyen, le capital social et le développement
durable. Nous réfléchissons en permanence à de
nouvelles stratégies en nous inspirant de ce qui
existe ailleurs. Outre le développement d’outils
pour susciter bénévolat et participation, nous
initions des projets et en assurons la médiation.
Nous permettons ainsi à des non-professionnels
de valoriser leurs compétences et je suis
toujours stupéfait en découvrant la sagesse des
« gens normaux ». L’hétérogénéité des groupes
diversifie les regards posés sur les problèmes et
augmente la capacité à les résoudre. Nous avons
également une mission de suivi et d’évaluation
de programmes destinés à aider les communes
dans l’application des principes du développement
durable. Par ailleurs, nous coordonnons et mettons
en réseau les différentes initiatives régionales et
nous travaillons plus globalement à la prise de
conscience des citoyens à travers des campagnes
de communication et la publication de documents,
dont la lettre d’informations bimestrielle « Tout
autour » (Rundherum).
EK : Comment a-t-il été créé ?
MH : Les premiers jalons ont été posés en 1990.
Les problèmes de santé liés à l’ozone inquiétant
la population, nous avons mis en route une
campagne d’information puis initié en 1992
un plan média en faveur des déplacements à
vélo. En 1996, nos actions se sont élargies à
l’aménagement du territoire à travers
des mesures pour réduire les émissions
de CO2 puis d’autres pour préserver les
commerces et services de proximité, donc
les échanges sociaux. Malgré le succès
rencontré, les gens n’adhéraient pas autant
que nous le souhaitions à nos projets et
nous avons réformé notre stratégie : ne
plus apporter de recettes toutes prêtes,
mais permettre à des groupes locaux de
développer leurs propres solutions selon
le principe « Aide-toi, le Land t’aidera ».
Abandonner l’organisation hiérarchisée
de l’administration et lâcher prise sur une
partie du contrôle qu’elle exerce présentait
des risques que le gouverneur Herbert
Sausgruber a accepté de prendre.
EK : Quelles initiatives vous ont inspirés ?
MH : Nous avons d’abord été influencés par
les travaux de l’association SPES1, Société
d’études pour des projets en vue de la
rénovation des structures politiques et
sociales, créée en 1978 en Haute-Autriche,
dont l’objectif est le développement de
modèles prospectifs fondés sur des bases
scientifiques et des valeurs chrétiennes
selon une approche holistique. Nous
avons continué sur les mêmes principes :
décentralisation, autonomie des groupes
de travail, responsabilisation des individus.
En 2000, quand nous avons découvert
« Bowling Alone » de Robert Putnam (voir
article précédent), nous avions déjà plus
ou moins conscience de ce qu’il décrit,
mais ses travaux nous ont apporté le
recul permettant d’aborder la complexité.
Nous avons alors lancé plusieurs études
au niveau régional et communal afin de
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L’hétérogénéité des groupes diversifie les
regards posés sur les problèmes et augmente
la capacité à les résoudre. Manfred Hellrigl mesurer le capital social2. Les résultats ont confirmé les
hypothèses de Putnam. À notre étonnement, ils étaient
assez semblables dans les villes et les villages.
EK : Comment se compose l’équipe ?
MH : Depuis sa création, notre bureau comporte entre
six et huit personnes, avec une parité entre hommes
et femmes. Nous accordons une grande importance à
la pluridisciplinarité : j’ai fait des études en sciences
politiques tandis que mes collaborateurs sont biologistes,
sociologues, ethnologues, etc. Nous avons une vingtaine de
partenaires : l’Institut de l’énergie du Vorarlberg, le bureau
des affaires sociales, plusieurs établissements scolaires et
centres de formation continue, des associations de défense
de l’environnement, le réseau Junge Industrie Vorarlberg,
etc.
EK : À qui s’adresse le Bureau ?
MH : Nous avons des missions de conseil auprès des
entreprises, écoles et associations, mais notre travail est
essentiellement tourné vers les 96 communes du Land.
Dans le cadre du projet « Qualité de vie dans les villages
et commerces de proximité » (Dörfliche Lebensqualität
und Nahversorgung), nous proposons par exemple des
stratégies public/privé avec des mesures concrètes pour
faciliter le maintien des épiceries dans les zones rurales. À
Langenegg, la construction d’un commerce de proximité a
été accompagnée de la création d’une monnaie locale, les
Talents. Le projet « Vivre ensemble » (Zämma Leaba, en
dialecte local) agit en faveur de la mixité des générations
qui a commencé à Götzis en 2006 avant de s’étendre à six
autres communes. Nous sommes en général très bien
accueillis par les collectivités et nos autres partenaires.
Les plus grandes réticences sont venues de l’administration
régionale car notre position enlève du pouvoir à d’autres
services.
EK : Quels outils avez-vous développés pour favoriser le
capital social dans le Land ?
MH : Le bénévolat est un des piliers du capital social. Le
manuel des associations3 que nous avons publié donne sur
une centaine de pages des informations très précises sur la
législation, le financement, l’organisation de manifestations,
etc. Il a été repris dans plusieurs Länder d’Autriche. Nous
avons aussi créé en 2004 une bourse qui met en relation
volontaires et associations4. L’engagement des communes
en faveur du développement durable, les déplacements
doux et le maintien des commerces de proximité dans
les villages ruraux ont certainement été favorisés par
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nos actions. Malgré nos efforts, le nombre de bénévoles
a cependant baissé dans le Vorarlberg : en 1999, 57 % de
personnes de plus de 15 ans étaient engagées dans une
association contre 47 % en 2007, ce qui reste supérieur aux
chiffres de la plupart des autres pays d’Europe (environ 32 %
en Allemagne, 27 % en France). Pour freiner ce mouvement,
qui est culturel, nous avons renforcé nos actions auprès
des adolescents à travers le programme « Les jeunes
devant le rideau » (Jugend vor der Vorhang). Par ailleurs,
le programme « Des amis et plus » (Friends and More)
cherche à développer le capital social des jeunes au sein de
leur établissement scolaire.
EK : L’expérience de ce Bureau a-t-elle déjà été répétée
ailleurs ?
MH : Nous recevons de nombreuses délégations étrangères
et je suis régulièrement invité à faire des conférences dans
d’autres régions autrichiennes et en Europe, mais les essais
de transposition n’ont jamais abouti. Cela demanderait
des innovations dans les structures administratives
qui sont actuellement très cloisonnées alors que notre
travail prospectif englobe forcément plusieurs secteurs
d’activités. Certains de nos projets ont cependant été repris,
en particulier le programme « Lancer une passerelle »
(Brückenschlag) : chaque année, des responsables du
secteur social et du secteur économique échangent pendant
une semaine leur quotidien professionnel, ce qui remet
en question bien des idées reçues. Ce programme lancé
en 2002 est désormais pratiqué dans cinq autres Länder
d’Autriche. Dans une société qui favorise la ségrégation, il
est important de lancer des passerelles ! u
Quelles architectures
pour une ville durable ?
exposition 13 mai - 1er nov 09
Cité de l’arChiteCture & du patrimoine
palais de Chaillot - 1 plaCe du troCadéro
paris 16e (mo troCadéro) - WWW.CiteChaillot.Fr
Propos recueillis par dominique gauzin-müller
1. SPES : Studiengesellschaft für Projekte zur Erneuerung der Struktur,
www.spes.co.at
2. Erwin Berndt, Sozialkapital : Gesellschaft und Gemeinsinn in Vorarlberg,
Büro für Zukunftsfragen, 2003.
3. Vereinshandbuch für Vorarlberg (Manuel des associations du Vorarlberg),
Büro für Zukunftsfragen, 2e édition, 2008.
4. freiwilligenboerse.vol.at
i
Pour en savoir plus - Lebenswert leben (Une vie qui vaut la peine d’être vécue), Büro für
Zukunftsfragen, 1999.
- Ehrenamt, freiwilliges Engagement und Selbsthilfe in Vorarlberg
(Bénévolat, engagement volontaire et autonomisation dans le
Vorarlberg), Büro für Zukunftsfragen, 2001.
- Dominique Gauzin-Müller, L’Architecture écologique du Vorarlberg –
Un modèle économique, social et culturel, Éditions du Moniteur, 2009.
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