La clé du succès du Vorarlberg
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La clé du succès du Vorarlberg
société © emmanuel polanco 28 société 29 Le Bureau des questions du futur La clé du succès du Vorarlberg Parmi les 365 000 habitants du Vorarlberg, petit Land autrichien bordant le lac de Constance, nombreux sont ceux qui pratiquent un bénévolat social et culturel et s’impliquent dans l’essor économique de leur région en favorisant les ressources et produits locaux. Au sein de l’administration locale, la création en 1999 d’un « Bureau des questions du futur » avec des compétences transversales touchant l’environnement, le social, l’économie, les transports et la construction a marqué un vrai changement en terme de gouvernance. Son directeur, Manfred Hellrigl, nous explique les mesures concrètes, fondées sur le capital social, qui favorisent un changement des mentalités. EcologiK : Quelles sont les compétences du Bureau des questions du futur ? Manfred Hellrigl : Nous sommes un service chargé de la prospective, concentré sur trois domaines de compétences : l’engagement citoyen, le capital social et le développement durable. Nous réfléchissons en permanence à de nouvelles stratégies en nous inspirant de ce qui existe ailleurs. Outre le développement d’outils pour susciter bénévolat et participation, nous initions des projets et en assurons la médiation. Nous permettons ainsi à des non-professionnels de valoriser leurs compétences et je suis toujours stupéfait en découvrant la sagesse des « gens normaux ». L’hétérogénéité des groupes diversifie les regards posés sur les problèmes et augmente la capacité à les résoudre. Nous avons également une mission de suivi et d’évaluation de programmes destinés à aider les communes dans l’application des principes du développement durable. Par ailleurs, nous coordonnons et mettons en réseau les différentes initiatives régionales et nous travaillons plus globalement à la prise de conscience des citoyens à travers des campagnes de communication et la publication de documents, dont la lettre d’informations bimestrielle « Tout autour » (Rundherum). EK : Comment a-t-il été créé ? MH : Les premiers jalons ont été posés en 1990. Les problèmes de santé liés à l’ozone inquiétant la population, nous avons mis en route une campagne d’information puis initié en 1992 un plan média en faveur des déplacements à vélo. En 1996, nos actions se sont élargies à l’aménagement du territoire à travers des mesures pour réduire les émissions de CO2 puis d’autres pour préserver les commerces et services de proximité, donc les échanges sociaux. Malgré le succès rencontré, les gens n’adhéraient pas autant que nous le souhaitions à nos projets et nous avons réformé notre stratégie : ne plus apporter de recettes toutes prêtes, mais permettre à des groupes locaux de développer leurs propres solutions selon le principe « Aide-toi, le Land t’aidera ». Abandonner l’organisation hiérarchisée de l’administration et lâcher prise sur une partie du contrôle qu’elle exerce présentait des risques que le gouverneur Herbert Sausgruber a accepté de prendre. EK : Quelles initiatives vous ont inspirés ? MH : Nous avons d’abord été influencés par les travaux de l’association SPES1, Société d’études pour des projets en vue de la rénovation des structures politiques et sociales, créée en 1978 en Haute-Autriche, dont l’objectif est le développement de modèles prospectifs fondés sur des bases scientifiques et des valeurs chrétiennes selon une approche holistique. Nous avons continué sur les mêmes principes : décentralisation, autonomie des groupes de travail, responsabilisation des individus. En 2000, quand nous avons découvert « Bowling Alone » de Robert Putnam (voir article précédent), nous avions déjà plus ou moins conscience de ce qu’il décrit, mais ses travaux nous ont apporté le recul permettant d’aborder la complexité. Nous avons alors lancé plusieurs études au niveau régional et communal afin de ecologiK 09 30 société société L’hétérogénéité des groupes diversifie les regards posés sur les problèmes et augmente la capacité à les résoudre. Manfred Hellrigl mesurer le capital social2. Les résultats ont confirmé les hypothèses de Putnam. À notre étonnement, ils étaient assez semblables dans les villes et les villages. EK : Comment se compose l’équipe ? MH : Depuis sa création, notre bureau comporte entre six et huit personnes, avec une parité entre hommes et femmes. Nous accordons une grande importance à la pluridisciplinarité : j’ai fait des études en sciences politiques tandis que mes collaborateurs sont biologistes, sociologues, ethnologues, etc. Nous avons une vingtaine de partenaires : l’Institut de l’énergie du Vorarlberg, le bureau des affaires sociales, plusieurs établissements scolaires et centres de formation continue, des associations de défense de l’environnement, le réseau Junge Industrie Vorarlberg, etc. EK : À qui s’adresse le Bureau ? MH : Nous avons des missions de conseil auprès des entreprises, écoles et associations, mais notre travail est essentiellement tourné vers les 96 communes du Land. Dans le cadre du projet « Qualité de vie dans les villages et commerces de proximité » (Dörfliche Lebensqualität und Nahversorgung), nous proposons par exemple des stratégies public/privé avec des mesures concrètes pour faciliter le maintien des épiceries dans les zones rurales. À Langenegg, la construction d’un commerce de proximité a été accompagnée de la création d’une monnaie locale, les Talents. Le projet « Vivre ensemble » (Zämma Leaba, en dialecte local) agit en faveur de la mixité des générations qui a commencé à Götzis en 2006 avant de s’étendre à six autres communes. Nous sommes en général très bien accueillis par les collectivités et nos autres partenaires. Les plus grandes réticences sont venues de l’administration régionale car notre position enlève du pouvoir à d’autres services. EK : Quels outils avez-vous développés pour favoriser le capital social dans le Land ? MH : Le bénévolat est un des piliers du capital social. Le manuel des associations3 que nous avons publié donne sur une centaine de pages des informations très précises sur la législation, le financement, l’organisation de manifestations, etc. Il a été repris dans plusieurs Länder d’Autriche. Nous avons aussi créé en 2004 une bourse qui met en relation volontaires et associations4. L’engagement des communes en faveur du développement durable, les déplacements doux et le maintien des commerces de proximité dans les villages ruraux ont certainement été favorisés par ecologiK 09 nos actions. Malgré nos efforts, le nombre de bénévoles a cependant baissé dans le Vorarlberg : en 1999, 57 % de personnes de plus de 15 ans étaient engagées dans une association contre 47 % en 2007, ce qui reste supérieur aux chiffres de la plupart des autres pays d’Europe (environ 32 % en Allemagne, 27 % en France). Pour freiner ce mouvement, qui est culturel, nous avons renforcé nos actions auprès des adolescents à travers le programme « Les jeunes devant le rideau » (Jugend vor der Vorhang). Par ailleurs, le programme « Des amis et plus » (Friends and More) cherche à développer le capital social des jeunes au sein de leur établissement scolaire. EK : L’expérience de ce Bureau a-t-elle déjà été répétée ailleurs ? MH : Nous recevons de nombreuses délégations étrangères et je suis régulièrement invité à faire des conférences dans d’autres régions autrichiennes et en Europe, mais les essais de transposition n’ont jamais abouti. Cela demanderait des innovations dans les structures administratives qui sont actuellement très cloisonnées alors que notre travail prospectif englobe forcément plusieurs secteurs d’activités. Certains de nos projets ont cependant été repris, en particulier le programme « Lancer une passerelle » (Brückenschlag) : chaque année, des responsables du secteur social et du secteur économique échangent pendant une semaine leur quotidien professionnel, ce qui remet en question bien des idées reçues. Ce programme lancé en 2002 est désormais pratiqué dans cinq autres Länder d’Autriche. Dans une société qui favorise la ségrégation, il est important de lancer des passerelles ! u Quelles architectures pour une ville durable ? exposition 13 mai - 1er nov 09 Cité de l’arChiteCture & du patrimoine palais de Chaillot - 1 plaCe du troCadéro paris 16e (mo troCadéro) - WWW.CiteChaillot.Fr Propos recueillis par dominique gauzin-müller 1. SPES : Studiengesellschaft für Projekte zur Erneuerung der Struktur, www.spes.co.at 2. Erwin Berndt, Sozialkapital : Gesellschaft und Gemeinsinn in Vorarlberg, Büro für Zukunftsfragen, 2003. 3. Vereinshandbuch für Vorarlberg (Manuel des associations du Vorarlberg), Büro für Zukunftsfragen, 2e édition, 2008. 4. freiwilligenboerse.vol.at i Pour en savoir plus - Lebenswert leben (Une vie qui vaut la peine d’être vécue), Büro für Zukunftsfragen, 1999. - Ehrenamt, freiwilliges Engagement und Selbsthilfe in Vorarlberg (Bénévolat, engagement volontaire et autonomisation dans le Vorarlberg), Büro für Zukunftsfragen, 2001. - Dominique Gauzin-Müller, L’Architecture écologique du Vorarlberg – Un modèle économique, social et culturel, Éditions du Moniteur, 2009. ecologiK 09 31