3.4.3 Conflits d`intérêts personnels dans le domaine de la recherche

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3.4.3 Conflits d`intérêts personnels dans le domaine de la recherche
3.4.3 Conflits d'intérêts personnels dans le domaine de la recherche
médicale : que sont-ils? Comment les gérer?
Trudo Lemmens, LicJur, LLM, DCL
Objectifs pédagogiques
1. Acquérir une compréhension du concept de conflit d'intérêts dans le contexte de la recherche médicale.
2. Comprendre pourquoi il est nécessaire de gérer les conflits d'intérêts.
3. Prendre connaissance des types de solutions qui existent pour éviter les conflits d'intérêts.
Cas
Le Dr Reed est un chercheur universitaire qui compte plus de 400 publications à son actif. Il siège aux comités
consultatifs d'organismes professionnels ainsi que de sociétés pharmaceutiques. Il est aussi titulaire d'une chaire
en cardiologie à l'Université de Port Hope. La société pharmaceutique Selaserom lui a confié le mandat de mener
un essai aléatoire de phase 3 à double insu pour comparer son médicament Lovrux à un autre médicament
antihypertenseur à l'Hôpital général de l'Université de Port Hope. Le Dr Reed a été embauché à titre d'expertconseil durant la période de mise au point de Lovrux. Le contrat prévoit une somme forfaitaire de 9000 $ par
patient pour le Dr Reed et les membres de son équipe; ce montant couvre les frais administratifs et relatifs à la
recherche, les coûts des équipements ainsi que le salaire d'un coordonnateur de recherche à mi-temps. De plus, le
Dr Reed recevra des options sur des titres de Selaserom. Le contrat stipule que les échantillons sanguins et les
données cliniques seront analysés au laboratoire de recherche de l'Hôpital général, et que les données seront
acheminées à l'unité de recherche de Selaserom qui conservera les codes de répartition aléatoire. La société
organisera l'analyse finale et coordonnera, en collaboration avec le Dr Reed, toutes les communications au public
liées au projet.
Questions
1. Qu'est-ce qu'un conflit d'intérêts?
2. Comment pouvons-nous repérer les conflits d'intérêts dans le domaine de la recherche médicale?
a. Quelles sont les principales obligations professionnelles des chercheurs?
b. Quels types de conflits d'intérêts d'ordre financier retrouve-t-on dans le domaine de la recherche
médicale?
c. Quelles répercussions pourraient avoir ces intérêts financiers sur les obligations professionnelles liées
à la conduite de la recherche ainsi qu'à la protection de l'intégrité et du bien-être des sujets humains?
3. De quelles solutions dispose-t-on pour gérer les conflits d'intérêts?
4. Quels sont les conflits d'intérêts auxquels fait face le Dr Reed?
5. Comment faudrait-il gérer les conflits d'intérêts du Dr Reed?
Discussion
Q1. Qu'est-ce qu'un conflit d'intérêts?
Un conflit d'intérêts se définit le mieux comme étant une situation dans laquelle une obligation professionnelle
fondamentale est indûment influencée par d'autres intérêts. Il n'est pas nécessaire de disposer de preuves
concrètes de répercussions sur le comportement des gens pour déterminer qu'il existe un conflit d'intérêts. Les
règlements concernant les conflits d'intérêts se fondent sur le fait que, dans des situations semblables, des
obligations professionnelles sont souvent perturbées par des intérêts additionnels qui ne sont pas nécessairement
« inappropriés ». Avoir un conflit d'intérêts ne constitue pas une violation déontologique en soi, mais le défaut de
le traiter adéquatement l'est.
Il y a lieu de se poser les questions suivantes dans le contexte de la recherche : 1) Quelles obligations
professionnelles fondamentales pourraient être touchées par les conflits d'intérêts? Dans le cas de plus d'une
obligation professionnelle, quel ordre d'importance devraient leur attribuer les chercheurs? 2) Qu'est-ce qui
pourrait constituer des intérêts secondaires, et comment influenceraient-ils les obligations professionnelles? 3) De
quels outils réglementaires et professionnels dispose-t-on pour traiter les conflits d'intérêts?
Q2. Comment pouvons-nous repérer les conflits d'intérêts dans le domaine de la recherche médicale?
Q2a. Quelles sont les principales obligations professionnelles des chercheurs?
La protection des droits et du bien-être des sujets de recherche humains demeure l'obligation la plus importante.
La Déclaration d'Helsinki (principe no 6)1 et diverses autres lignes directrices en matière d'éthique reconnaissent
explicitement ce fait. Cette obligation ne s'oppose pas nécessairement à l'engagement du chercheur d'effectuer
son travail avec compétence. Il arrive très souvent que la santé de patients s'améliore en cours de participation à
un essai clinique. Pourtant, la recherche comporte aussi des risques. Elle expose les patients à des effets
secondaires inconnus et au risque de recevoir des traitements de qualité inférieure. Lorsque des intérêts des sujets
et ceux de la recherche sont conflictuels, l'obligation envers les sujets a préséance.
Q2b. Quels types de conflits d'intérêts d'ordre financier retrouve-t-on dans le domaine de la recherche
médicale?
Les paiements par sujet sont souvent utilisés en recherche clinique comme incitatifs financiers pour stimuler le
recrutement. Les chercheurs et le personnel de recherche sont souvent rémunérés pour le temps passé avec les
sujets humains à remplir les questionnaires et les formulaires, à recueillir les échantillons de sang et de tissus,
ainsi que pour couvrir d'autres coûts administratifs. Les paiements consentis aux seules fins du recrutement de
patients sont appelés « honoraires d'intermédiation ». Ces honoraires sont souvent intégrés dans des paiements
généraux. Il arrive aussi parfois que les chercheurs se voient offrir des bonis pour avoir recruté rapidement tous
les sujets d'une recherche ou pour recruter des sujets supplémentaires. Les chercheurs peuvent également
recevoir une somme forfaitaire pour un projet, ou un traitement annuel à titre de consultant auprès d'un
commanditaire du secteur pharmaceutique. Ils peuvent recevoir de l'équipement de recherche, des livres ou des
paiements pour leur participation à des congrès. De nombreux chercheurs sont membres d'un bureau de
conférenciers ou siègent à des comités consultatifs de commanditaires de l'industrie pharmaceutique qui
déboursent souvent des milliers de dollars pour ces services.
Des entreprises peuvent offrir aux chercheurs des actions ou des options sur titres, ce qui leur donne un intérêt
financier direct pour accélérer le processus de découverte de médicaments et obtenir des résultats d'études qui
feraient augmenter le prix des actions.
Q2c. Quelles répercussions pourraient avoir ces intérêts financiers sur les obligations professionnelles
liées à la conduite de la recherche ainsi qu'à la protection de l'intégrité et du bien-être des sujets
humains?
Premièrement, les intérêts financiers peuvent avoir une incidence négative sur la protection des droits et du bienêtre des sujets de recherche. Il est possible que des chercheurs soient tentés de contourner les critères d'inclusion
ou de retarder le retrait de sujets de l'étude, et ainsi compromettre la santé de ces sujets. Les chercheurs
pourraient également être tentés d'exercer des pressions sur leurs patients dans le but de leur faire signer un
formulaire de consentement. Les commanditaires paient à l'occasion des primes supplémentaires pour obtenir un
recrutement rapide ou pour faire recruter 10 patients de plus. Les paiements peuvent être en partie conditionnels
au maintien des patients dans un essai clinique; les sujets se verraient en quelque sorte contraints de continuer
dans l'étude, même s'ils ne se sentent pas bien et qu'ils souhaitent se retirer.
Deuxièmement, les intérêts commerciaux menacent l'intégrité du processus de recherche. Les intérêts d'ordre
financiers peuvent influer sur la conception et la conduite de l'étude, sur la cueillette et l'interprétation des
données de recherche, ainsi que sur la présentation des résultats finals. Des études empiriques ont établi un lien
statistiquement significatif entre la source de financement et les résultats de recherche. Il est plus probable que les
recherches parrainées par des sociétés pharmaceutiques arrivent à la conclusion que le nouveau traitement est
meilleur que l'ancien, comparativement aux recherches financées par des organismes hors du secteur commercial.
Il existe également des preuves d'excès de publication de résultats positifs ainsi que d'insuffisance de publication
d'études parrainées par l'industrie en cas de découverte d'effets indésirables.
En outre, les recherches sont de plus en plus souvent coordonnées par des organismes spécialisés dont les
services sont retenus par contrat et qui effectuent les recherches dans leurs propres centres ou les confient à une
multitude de cliniciens. En conséquence, les commanditaires exercent un plus grand contrôle sur la conception des
études, le recrutement des sujets, la cueillette et l'analyse des données, et la publication des résultats. Les
résultats de ces études sont souvent rédigés par des auteurs fantômes (c.-à-d., des auteurs dont les noms ne
figurent pas dans la publication finale) et sont offerts comme des articles faciles à publier à des universitaires
spécialistes dans le domaine en vue de les faire paraître dans les plus prestigieuses revues médicales. Les auteurs
universitaires prêtent leur nom pour assurer la crédibilité de ces articles. Des cas de pratiques de ce genre ont
récemment été documentés dans le contexte de la controverse entourant le retrait de Vioxx du marché.
En troisième et dernier lieu, les intérêts d'ordre financier peuvent aussi influer sur la priorité des domaines de
recherche. L'importance croissante des incitatifs commerciaux en recherche a une incidence sur le type de
recherches entreprises. Les sociétés pharmaceutiques commanditaires sont plus susceptibles d'offrir des paiements
pour des essais cliniques. D'autres études de recherche (p. ex., sur des maladies négligées) ne disposent pas des
budgets suffisants pour concurrencer les stratégies de recrutement des études parrainées par l'industrie.
Q3. De quelles solutions dispose-t-on pour gérer les conflits d'intérêts?
Généralités
Nombreux sont les organismes, établissements et agences qui prévoient des dispositions détaillées sur les conflits
d'intérêts dans leurs lignes directrices et leur réglementation en matière d'éthique. Il est même possible que
certains conflits d'intérêts contreviennent à des articles précis de la législation, comme ceux relatifs aux valeurs
mobilières. Les provinces canadiennes disposent de règlements détaillés sur l'exercice de la médecine par
l'intermédiaire des statuts des ordres des médecins et chirurgiens. Par exemple, les règlements adoptés en vertu
de la Loi sur les médecins de l'Ontario contiennent des règles explicites sur les conflits d'intérêts, se centrant sur
l'exercice de la médecine (règlement 114/94 de l'Ontario). Ce règlement interdit les ristournes ou la facturation de
frais pour l'aiguillage de patients. En 2006, le Collège des médecins et chirurgiens de l'Ontario a adopté une ligne
directrice stricte sur les conflits d'intérêts dans le contexte du recrutement de sujets pour des études de
recherche2. La Loi sur les médecins de l'Ontario confère au Collège le pouvoir de prendre des mesures
disciplinaires en cas d'infraction à ces règles.
Les mesures relatives aux conflits d'intérêts varient selon leur appartenance à l'une ou l'autre des catégories
suivantes : divulgation, examen par un comité d'éthique de la recherche (CER) ou par un comité spécialisé dans
les conflits d'intérêts, surveillance des conflits d'intérêts, et interdiction formelle. L'inscription des essais dans un
registre public et l'obligation de diffuser les résultats font également partie des solutions proposées.
Divulgation
La divulgation des conflits d'intérêts constitue l'exigence la plus élémentaire. Les chercheurs sont tenus de révéler
les intérêts d'ordre financier aux CER, aux sujets de l'étude, dans les articles publiés et dans toutes les
présentations de leurs résultats. Le respect des sujets humains requiert que ceux-ci soient informés de tous les
aspects qui pourraient avoir une incidence sur la recherche, dont d'éventuels intérêts financiers qui pourraient
influer sur le comportement des chercheurs. La divulgation est un élément nécessaire, bien que manifestement pas
toujours suffisant, des mécanismes de gestion des conflits d'intérêts. L'Énoncé de politique des trois Conseils :
Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC2)3 prescrit la divulgation de « l'existence de tout conflit
d'intérêts réel, potentiel ou apparent chez les chercheurs, leurs établissements d'attache ou les commanditaires du
projet de recherche » (EPTC2, p. 33) au cours du processus de consentement éclairé durant la période de
recrutement des sujets humains. D'autres lignes directrices, par exemple celles du Collège des médecins et
chirurgiens de l'Ontario, exigent aussi la divulgation des conflits d'intérêts.2
Les sujets participant à une recherche doivent être informés de la nature de l'étude, de la source de financement
(nom de l'organisme subventionnaire ou du commanditaire du secteur pharmaceutique), du fait que les médecins
touchent une rémunération pour participer à l'étude et — dans la mesure où cela est permis — du fait que les
chercheurs ont d'autres liens d'ordre financier avec les commanditaires de l'étude (p. ex., statut d'expert-conseil,
financement de la recherche).
La plupart des revues médicales prestigieuses ont instauré des politiques de divulgation en vertu desquelles les
auteurs sont tenus de révéler tout accord de nature financière qui les lie aux commanditaires. Les conflits
d'intérêts doivent également être déclarés dans les présentations des résultats de recherche à des congrès
scientifiques.
Au Canada, un groupe de recherche dirigé par Paula A. Rochon a publié, en 2010, une liste de vérification détaillée
destinée aux études de recherches cliniques qui contient des questions précises sur tous les possibles conflits
d'intérêts qui pourraient influer sur la conception et la conduite d'essais cliniques, ainsi que sur l'analyse des
données et la publication des résultats de ces études. Cette liste de vérification constitue un excellent outil pour
obtenir des renseignements normalisés au sujet des conflits d'intérêts, dont les établissements, les CER et les
comités sur les conflits d'intérêts pourraient se servir pour déterminer les solutions à appliquer.3
Plusieurs États américains ont adopté une législation qui prescrit aux sociétés pharmaceutiques et aux fabricants
d'équipements et de dispositifs médicaux de divulguer les paiements et les cadeaux aux médecins, y compris les
paiements pour la participation à des recherches cliniques. En 2009, une loi semblable appelée « Sunshine Act » a
été présentée au Congrès des États-Unis; cette loi visait à faire intégrer ce type de déclarations dans le système
national de divulgation.4 Le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces devraient envisager de
prendre des mesures similaires dans le but de promouvoir la transparence dans les relations qui lient l'industrie
aux médecins praticiens.
Procédures d'examen
La divulgation constitue la base d'autres procédures. Les établissements d'enseignement, les revues scientifiques
et les organismes subventionnaires soumettent les situations de conflits d'intérêts à un processus d'examen.
D'après les résultats de ce processus d'examen, les chercheurs reçoivent la recommandation de divulguer les
conflits ou d'effectuer les changements nécessaires, par exemple, au formulaire de consentement éclairé.
L'EPTC2 requiert en outre que les chercheurs déclarent les conflits d'intérêts dans le protocole présenté au CER
afin que celui-ci puisse « déterminer les mesures qu'il convient de prendre pour gérer le conflit d'intérêts » (EPTC2,
article 7.4)5. Les CER doivent obtenir les renseignements pertinents pour s'acquitter de cette tâche, y compris
l'accès au budget des protocoles de recherche et aux relations d'ordre financier entre les chercheurs et les
commanditaires. Plus particulièrement dans le cas des essais cliniques, il est essentiel que les CER, ou un
organisme spécialisé mandaté à cet effet par un CER, procède à l'analyse du budget. Il est par conséquent
fondamental que les CER eux-mêmes soient libres de tout conflit d'intérêts.
Divers établissements d'enseignement, dont un grand nombre aux États-Unis, ont créé des comités chargés des
conflits d'intérêts. Il s'agit d'une excellente initiative qui devrait être envisagée par tous les établissements
d'enseignement recevant un financement de l'industrie. Un comité chargé des conflits d'intérêts peut aider un CER
à analyser les budgets et examiner les conflits d'intérêts dans un établissement. Il peut aussi être en mesure de
formuler des recommandations au CER et de l'informer de l'existence de relations particulières d'ordre financier
que le CER n'aurait pu déceler autrement.
Il est évidemment aussi nécessaire de procéder à un examen des contrats de recherche afin d'éviter aux
chercheurs de conclure des ententes qui limiteraient la liberté d'action que leur confère l'établissement
universitaire auquel ils sont rattachés ou créeraient des obligations contractuelles qui pourraient compromettre la
protection des sujets humains.
Surveillance indépendante du processus de recherche
Les comités chargés des conflits d'intérêts ou les CER pourraient exiger que le processus d'obtention du
consentement éclairé soit réalisé par une personne n'ayant pas de liens avec le chercheur, qu'un chercheur
indépendant vienne se joindre à l'équipe du projet de recherche, et que soit constitué un comité indépendant
chargé du contrôle des données pour veiller à la sécurité des essais cliniques et exercer une surveillance de
l'analyse des données et de la diffusion des résultats. Le CER pourrait également mettre en place des procédures
particulières de surveillance du processus d'obtention du consentement éclairé et d'autres méthodes de recherche.
Ces procédures devraient alors être proportionnelles à l'ampleur du risque d'influence des conflits d'intérêts sur la
recherche ou la protection des sujets humains.
Interdictions
Il est possible que des conflits d'intérêts d'ordre financier soient jugés si considérables qu'une interdiction soit de
rigueur. L'Association of American Medical Colleges recommande que les établissements intègrent dans leurs
politiques sur les conflits d'intérêts une présomption réfutable voulant qu'il soit interdit aux chercheurs ayant des
intérêts financiers de taille de participer à la recherche et que les établissements qui ont de nombreux conflits
d'intérêts ne doivent pas permettre la conduite de recherches dans leurs installations6. Les organismes nationaux
ou régionaux de réglementation, les organismes subventionnaires et les regroupements professionnels devraient
adopter cette même présomption et offrir des conseils sur le type de conflits d'intérêts visés par cette
présomption. L'énoncé d'un tel principe signifie que les exceptions à cette règle devront être justifiées et être
fondées sur des motifs solides et acceptables pour le public.
Certains conflits d'intérêts peuvent faire l'objet d'interdictions ciblées. Par exemple, de nombreux établissements
d'enseignement et regroupements de professionnels ont émis des lignes directrices interdisant le recours aux
honoraires d'intermédiation, même si ceux-ci génèrent une rémunération raisonnable qui se compare au
traitement accordé dans la pratique courante. Les établissements d'enseignement, dont le mandat public est clair,
devraient professer une attitude plus rigoureuse quant aux intérêts financiers potentiels de leurs chercheurs. Par
exemple, il n'est aucunement justifié que des chercheurs qui touchent un traitement à temps plein de leur
établissement reçoivent des montants additionnels pour le recrutement de participants à des projets de recherche.
En outre, certains modes de paiement sont interdits par des lois ou des règlements. Les autorités nationales
devraient envisager d'interdire certains paiements en espèces aux chercheurs, comme les honoraires
d'intermédiation ou les paiements qui constituent des incitatifs substantiels visant à maintenir la participation des
patients dans des essais cliniques. Dans certaines provinces, la réglementation relative aux professions de la santé
fournit déjà les moyens d'interdire certains de ces types de paiements.
Inscription des essais cliniques et diffusion des résultats
Il convient ici de souligner deux initiatives en matière de réglementation : l'obligation d'inscrire tous les projets de
recherche clinique dans un registre public et l'exigence de diffuser tous les résultats de recherche. Ces mesures
visent à promouvoir la transparence. Bien que ces initiatives aient pour but premier de promouvoir l'intégrité de la
recherche, elles ont aussi une incidence manifeste sur la protection des sujets humains. Il est nécessaire de
disposer des informations pertinentes pour évaluer les risques et les avantages potentiels de recherches, et pour
éviter le chevauchement de travaux. Lorsque des commanditaires et des chercheurs du secteur pharmaceutique
ont recours à la participation de sujets humains dans leurs travaux et qu'ils omettent de publier les résultats en
raison d'intérêts financiers, il est probable qu'ils se servent aussi de sujets humains dans des campagnes
promotionnelles trompeuses. Le recours à des sujets humains sans égard pour la valeur publique de la recherche
constitue un affront à leur dignité intrinsèque.
La version de 2008 de la Déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale (se reporter aux principes 17 et
30) a rendu obligatoires l'inscription des essais cliniques et la diffusion des résultats1. Au Canada, l'EPTC2 stipule
maintenant de manière explicite les exigences relatives à l'inscription des essais cliniques et à la diffusion des
résultats de tous les projets de recherche7. L'International Committee of Medical Journal Editors a aussi résolu de
ne publier que les résultats d'études inscrites dans un registre préalablement au recrutement de sujets humains8.
Par conséquent, les CER devraient exiger, au moment de l'examen des protocoles de recherche, que les essais
cliniques soient inscrits avant le début du recrutement des sujets humains, et demander aux chercheurs d'établir
une stratégie précise de publication des résultats. Les comités devraient également exiger de recevoir un rapport
final des résultats de recherche de toutes les études qu'ils approuvent. Les CER ont donc un rôle important à jouer
dans ce contexte, particulièrement du fait qu'une réglementation rigoureuse relative à l'inscription des essais et à
la publication des résultats de recherche n'a pas encore été mise en place au Canada.
Q4. Quels sont les conflits d'intérêts auxquels fait face le Dr Reed?
Le Dr Reed se trouve manifestement en situation de conflit d'intérêts découlant de ses accords financiers avec
Selaserom. Il a participé à la mise au point du médicament en qualité d'expert-conseil; le comité chargé des
conflits d'intérêts ou le CER devra recevoir des renseignements supplémentaires concernant les honoraires que ce
médecin a perçus pour son travail de consultation. Le Dr Reed siège également à des comités de plusieurs sociétés
pharmaceutiques. Les comités d'examen pertinents devront obtenir des renseignements supplémentaires de
l'intérieur de l'établissement concernant sa participation à ces comités : est-ce qu'il siège également à un comité
de Selaserom? Le Dr Reed recevra également des options d'achat d'actions de cette société, une forme de
rémunération ayant un lien direct avec son travail de recherche. Il est donc clair que le Dr Reed possède des
intérêts financiers directement liés aux résultats de l'étude : si les résultats de l'étude sont favorables, il pourra
exercer ses options et réaliser un important gain financier.
Q5. Comment faudrait-il gérer les conflits d'intérêts du Dr Reed?
Le CER devrait interdire au Dr Reed de participer à la recherche portant sur le Lovrux en raison des intérêts
financiers directs considérables que lui offre la société Selaserom. Le comité devra aussi évaluer si d'autres
chercheurs de l'établissement sont en mesure de se distancier suffisamment du Dr Reed pour garantir l'intégrité de
cet essai clinique et la protection des sujets humains qui participeront à l'étude. Il devra en outre examiner les
fonctions qu'occupe le Dr Reed au sein du département de l'université ou du service de l'établissement hospitalier.
Est-il en position d'autorité? Est-il le supérieur hiérarchique des autres chercheurs qui pourraient entreprendre
cette étude? Si c'est le cas, le CER devrait statuer que la recherche ne peut être réalisée dans cet hôpital ou qu'elle
devrait être confiée à des chercheurs externes.
Le contrat de recherche du Dr Reed présente également des problèmes de conflits d'intérêts particuliers. Les
dispositions voulant que la société Selaserom conserve les codes de répartition aléatoire, qu'elle organise l'analyse
finale et qu'elle participe directement à la « coordination » de la diffusion des résultats soulèvent de sérieuses
questions concernant le contrôle du commanditaire sur l'analyse et la diffusion des résultats de la recherche. Ces
dispositions suggèrent que les chercheurs ne sont pas en mesure d'exercer un contrôle total sur la recherche, que
l'accès à toutes les données ne leur est pas garanti et que des auteurs fantômes pourraient être appelés à
participer à la rédaction du rapport final des résultats. L'établissement aurait dû procéder à un examen du contrat
et faire retirer ces clauses dès le départ. Le CER ne devrait pas accepter que la recherche soit effectuée dans ces
conditions qui compromettent sérieusement l'indépendance de la recherche et la liberté des chercheurs
universitaires.
Il appert aussi qu'un conflit d'intérêts a été imbriqué dans le contrat de recherche relativement à la structure de
rémunération. Un comité chargé des conflits d'intérêts ou le CER doit s'informer des motifs qui justifieraient le
paiement d'un montant pour chaque patient recruté. Quelles sont les procédures prévues? Quelle est la répartition
de tous les différents coûts qu'entraîne la tenue de l'essai clinique? Un montant de 9000 $ par patient est élevé et
crée un incitatif considérable pour le recrutement de participants à l'essai. Il semble qu'une partie de cette somme
constitue des honoraires d'intermédiation, soit une récompense financière pour le simple fait d'avoir recruté des
patients. Le recours à des paiements d'honoraires d'intermédiation est considéré comme inacceptable en règle
générale, et de nombreuses lignes directrices en matière de conflits d'intérêts l'interdisent. Les paiements à des
médecins pour l'aiguillage de patients vers des essais cliniques peuvent également constituer une violation de la
réglementation professionnelle en vigueur. L'EPTC met en garde contre le risque qu'entraînent les paiements par
sujet et signale que les paiements devraient être comparables aux honoraires que les professionnels recevraient
habituellement pour des activités semblables (se reporter aux explications de l'EPTC à l'article 11.11)5. Le
recouvrement des coûts, particulièrement dans un hôpital financé par des fonds publics, est de toute évidence
approprié et même exigé.
Comme dans le cas de tout autre type d'essai clinique, le CER doit également veiller à ce que la source de
financement de la recherche et tous les autres conflits d'intérêts potentiels restants soient divulgués de manière
appropriée dans les procédures d'obtention du consentement éclairé. Le CER doit aussi exiger de façon explicite
que l'essai clinique soit inscrit dans un registre public avant le début du processus de recrutement des sujets
humains. Enfin, il doit s'assurer qu'une stratégie adéquate de diffusion a été mise en place pour les résultats finals
de l'étude et devrait exiger qu'un rapport final de publication de l'étude soit déposé à son bureau à l'intérieur d'un
délai précis suivant de l'achèvement du projet.
Conclusion
Il est de plus en plus reconnu, en partie grâce aux conclusions de diverses études empiriques, que les conflits
d'intérêts d'ordre financier peuvent influer sur la conception et la conduite de recherches cliniques, ainsi que sur
l'analyse et la diffusion des résultats. Il est aussi de plus en plus admis que la divulgation ne constitue pas une
mesure suffisante pour gérer les répercussions potentielles des conflits d'intérêts sur la protection des sujets
humains et de l'intégrité de la recherche. La gestion des conflits d'intérêts de cette nature est complexe, et de
nombreux établissements et organismes de réglementation ont adopté des mesures à cet égard. Les chercheurs,
les établissements, les organismes gouvernementaux et les CER devraient travailler de concert pour réduire les
retombées négatives potentielles des conflits d'intérêts.
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