Influence La Manipulation

Influence (1) – La Manipulation
n°85 – dec 2010
Le mot du président
Difficile de terminer l’année « en beauté » quand on
traite de manipulation, comportement négatif par
excellence, qui dénie « le commandement de respect »
cher au philosophe Levinas. Essayons, sans volontarisme
excessif.
En me ressouvenant de mes études, il me semble que les
manipulations (Sciences nat’ et chimie) étaient des
moments passionnants, inscrits dans la réalité. Enfin !
Nous utilisions nos mains (et notre esprit aussi, bien
sûr), nous construisions, nous réécrivions (à petite
échelle, d’accord, mais quand-même) le monde !
Le saviez-vous ?
L’influence évoque étymologiquement le flux, le
fleuve, qui induit un écoulement, c'est-à-dire un
effet doux, continu, incessant, … et inquiétant.
« Puissance indéterminée exerçant une action
mystérieuse sur les êtres et les choses »,
l’influence peut être le résidu d’une mentalité
magique que l’on attribue volontiers aux
« techniques » managériales et marketing qui se
présentent non sans arrogance avec des pouvoirs
infaillibles. Ce qui n’est pas sans rappeler
l’influence mystérieuse des astres utilisée par de
nombreux charlatans pour s’enrichir sur la
crédulité publique !
Qui l’a dit ?
La folie, c'est se comporter de la même manière
et s'attendre à un résultat différent.
Albert Einstein
Si vous exercez une influence, feignez au moins
de l'ignorer.
Henry de Montherlant
Le paradoxe de la condition humaine, c'est qu'on
ne peut devenir soi-même que sous l'influence
des autres.
Boris Cyrulnik
Alors, entre nous, y a-t’il une bonne manipulation
(comme on dit un bon stress, un bon cholestérol) ? Sûr
que les kinésithérapeutes disent « oui ! ». Probable que
les parents pensent « éducation ». D’expérience, les
managers rêvent « leadership ».
En résumé, le mot « manipulation », connoté scandale,
plonge dans un négatif qui nous est insupportable,
immoral, odieux, formidable (étymologiquement : qui
fait peur, de formido = épouvantail).
Heureusement, nous sommes aussi capables de « bonne
préoccupation d’autrui » (to care, en anglais), sans
kidnappings à la clé. Ex. : Bonne année !
Eric Barrier
Peut-on manipuler le comportement d’autrui ?
La manipulation d’autrui nous passionne, tant nous sommes
susceptibles sur la question de notre autonomie.
Le professeur Robert Cialdini, professeur de psychologie sociale à
l’université d’Arizona montre dans son livre « Influence et
manipulation » comment les Chinois ont réussi à faire coopérer des
prisonniers américains lors de la guerre de Corée, non par la torture,
mais par une « politique de douceur » selon leur propre terminologie.
D’abord, les Chinois priaient fréquemment les prisonniers « de faire
des déclarations légèrement anti américaines (…) mais si légèrement
que cela ne semblait pas tirer à conséquence ». Par exemple on leur
demandait s’ils étaient d’accord pour dire que « tout n’est pas parfait
aux Etats-Unis », ce que personne ne peut contester ! Puis
insensiblement, implacablement, on leur demandait de s’expliquer
sur ce qui n’était pas parfait. « Quand ils s’étaient expliqué, on leur
demandait d’écrire la liste des problèmes et de la signer ».
Ainsi, le nom du prisonnier et sa liste signée étaient utilisées dans des
émissions de propagande et le prisonnier se trouvait collaborateur de
fait : il avait effectivement signé un texte écrit sans contrainte.
« Rares sont ceux qui purent éviter totalement la collaboration » écrit
le Dr Schein.
Faut-il pour autant croire que les techniques de manipulation sont
toutes puissantes ? Certainement pas. Si personne n’est à l’abri d’une
manipulation, aucune manipulation n’est totalement efficace et il
existe toujours des personnes pour la dénoncer et résister à son
emprise illégitime. Pour cela, il faut de la vigilance et du courage, et,
selon la remarque de plusieurs experts, l’expérience de l’opposition.
J. W. Frothingham
Le mot du directeur des études
La manipulation est un terme fortement discuté lors de nos
séminaires. L’usage chimique du mot (on manipule des
flacons) ou encore génétique, technique (la
radiotélégraphie) et même spectaculaire (l’illusionniste
exécute des manipulations inaperçues) mettent l’accent
sur la méthode, l’attention requise, le résultat espéré, et
aussi sur le fait que l’on agit sur des objets, des choses, des
instruments. On voit par là apparaître l’aspect
éminemment éthique : peut-on véritablement manipuler
quelqu’un si c’est « pour son bien » ? A cette question,
les psychologues de l’école de Palo Alto répondent
clairement oui : c’est même une condition pour un patient
de le manipuler, c'est-à-dire de le faire agir sans qu’il en
ait conscience, pour qu’il puisse finalement guérir de son
mal. Ce cas limite ne peut pas être appliqué au domaine
du management où les personnes doivent toujours être
sollicitées dans leur liberté et leur coopération, sans quoi
elles sont profondément déresponsabilisées. Une ligne de
conduite à toujours rappeler !
Pierre d’Elbée