Qui sont les grands-parents aujourd`hui, quelle est leur place ?

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Qui sont les grands-parents aujourd`hui, quelle est leur place ?
Mardi 30 Mai 2006
Qui sont les grands-parents
aujourd’hui, quelle est leur place ?
La majorité des personnes retraitées qui sont grands-parents disposent aujourd’hui d’un
niveau de vie acceptable dont ils peuvent faire bénéficier leurs petits-enfants.
C’est une révolution dont on ne souligne pas assez l’ampleur car dans toutes les sociétés du
monde, les personnes âgées ont été à la charge de leurs descendants.
Les enfants aussi, ont changé et au lieu d’être une ressource qui appartient aux adultes, ils
sont maintenant l’objet d’intenses investissements. Ainsi l’affectif et l’économique
apparaissent liés à travers les politiques sociales.
Les lignées d’autrefois étaient des lignées patrimoniales et patriarcales, organisées
autour du père et de la transmission du bien ; les individus étaient au service de la lignée ;
aujourd’hui, elles sont affectives et sont au service des individus. En outre, ce sont des lignées
bien davantage organisées autour des femmes. On sait que ce sont elles qui prennent en
charge la solidarité avec leurs parents âgés comme avec leurs enfants, jeunes parents, et dans
ce cas, elles le font, le plus souvent, pour soutenir leurs filles qui occupent un emploi. Il ne
faut cependant pas minimiser l’importance des grands-pères dont la présence soutient l’action
grand-maternelle.
L’entrée en grandparenté implique un réajustement dans l’ordre des générations, et les
études psychologiques ont bien montré que les femmes devaient notamment savoir faire leur
deuil de leur féminité, de leur fécondité qu’elles transmettent alors symboliquement à leur
fille; une fois l’ajustement réalisé, c’est la bonne distance qu’il faut savoir trouver. Comme le
disait Françoise Dolto : «les parents demandent aux grands-parents d’être toujours là quand
on a besoin d’eux mais aussi de ne pas être là quand on n’en a pas besoin.»
Une première enquête conduite en France avec Claudine Attias-Donfut (1) nous a
convaincues de l’émergence d’une nouvelle figure de la famille, et dans la société, celle des
grands-parents.
La sociologie de la famille les a superbement ignorés, car elle se focalisait sur le couple
et ses ruptures. Or une nouvelle image et une nouvelle présence des grands-parents est
évidente. L’image de la vieillesse a changé, et nous avons désormais plusieurs âges de la
vieillesse, comme plusieurs âges de la jeunesse. L’allongement extraordinaire de la durée de
vie met aujourd’hui en présence trois et plus souvent quatre générations. Par ailleurs l’Etat
providence a particulièrement bénéficié aux nouveaux grands-parents d’aujourd’hui ; à la
veille de prendre leur retraite ou juste au moment de la prendre, ils bénéficient de pensions
tout à fait confortables. Pour la première fois dans l’histoire de la société, les vieux ne sont
plus à la charge des jeunes.
Nos nouveaux grands-parents sont les anciens soixante-huitards, produits du babyboom. D’ailleurs aux Etats-Unis, ils se nomment parfois les « grandboomers ». Ils ont
expérimentés nombre de bouleversements, dont les femmes ont été les premières
bénéficiaires : acquisition d’un niveau d’études équivalent à celui des garçons, progrès
médicaux concernant le corps féminin, qu’il s’agisse de la grossesse, de l’accouchement, des
soins aux jeunes enfants, accès à l’avortement libre et à la contraception. L’égalité entre
hommes et femmes -tout au moins théorique- a été conquise sur le plan juridique qui a
substitué à « l’autorité paternelle » la « responsabilité partagée des père et mère. Cette
génération qui a connu les grands élans de la liberté sexuelle et de la démocratie familiale a
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élevé ses enfants dans un contexte économique favorable
et dans un climat de relations libérales, délivré de
l’autorité imposée par leurs propres parents. Les relations
affectives se sont développées, d’autant plus vives que les
ménages sont maintenant autonomes, que la noncohabitation entre générations a fait disparaître les
conflits et les tensions qui lui étaient associés. On respecte « l’intimité à distance » de chacun.
Un nouveau modèle relationnel
Les voici grands-parents et tout étonnés de l’être sans se sentir vieux. Dans l’ensemble et
d’après l’enquête que nous avons conduite, on observe qu’un nouveau modèle de relations se
dégage. Autrefois, soit les relations entre grands-parents et petits-enfants étaient relativement
distantes, ou bien ceux-ci élevaient complètement ceux-là, se substituant aux parents, à leur
demande d’ailleurs, puisque les parents travaillaient tous deux et que les modes de garde
collectifs étaient inexistants.
Nos jeunes grands-parents s’investissent massivement dans la garde de leurs petitsenfants, même s’il existe des structures de garde collective en France (encore que bien
insuffisantes), en les gardant soit le week-end, soit les vacances. Ces liens sont tissée d’une
forte relation affective, que permet le climat d’éducation libéral qui a rapproché les nouveaux
grands-parents et leurs enfants devenus jeunes parents. En gardant leurs petits-enfants, les
grands-parents apportent ainsi une aide détournée à leurs enfants, et notamment aux jeunes
femmes qui s’installent dans un métier, en gardant les petits-enfants, en complément des
crèches et des jardins d’enfants. Tout ceci est rendu possible parce que la troisième génération
bénéficie d’une assise économique assurée par le système des retraites actuelles (dont on sait
qu’il est menacé, compte tenu des futurs déséquilibres démographiques).
Les grands-parents du divorce
Les nouveaux grands-parents sont aussi des innovateurs sur le plan familial. Ils sont la
première génération à avoir divorcé ; l’enquête montre que, dans toutes les configurations, à
chaque fois qu’il y a eu rupture, l’interaction avec les petits-enfants est moins forte que s’il
n’y en a pas eu. Lorsque les parents divorcent et se remarient à un âge avancé, ils préfèrent se
consacrer aux activités de leur couple qu’aux soins de leurs descendants. De toutes les façons,
ils s’occuperont toujours davantage des petits enfants biologiques des deux, puis des petitsenfants de la grand-mère avant ceux du grand-père. Lorsque c’est le couple jeune qui se
sépare, peu de temps après la naissance de l’enfant, la lignée maternelle prend généralement
plus d’importance, dans la mesure où la garde des jeunes enfants est confiée dans la grande
majorité des cas à la mère. La jeune femme trouve le plus souvent un soutien auprès de ses
propres parents, chez qui même, elle peut retourner résider avant de reprendre des études,
trouver un nouvel emploi, un nouveau logement : l’aide des parents à leur fille est alors
considérable et s’exerce à travers la garde des petits-enfants. Par la suite, l’intensité des liens
dépend de la nature de la rupture conjugale. Si les parents divorcés ont su établir une relation
non conflictuelle, les grands-parents paternels peuvent être présents; lorsque la rupture est
conflictuelle, lorsque le père biologique est peu présent, ses propres parents se trouvent exclus
des rapports avec leurs petits-enfants. On sait par ailleurs que si un lien affectif n’a pu être
établi au cours des premières années de la petite enfance, ce lien ne pourra s’inventer plus
tard, surtout si les conflits restent vifs. Dans les familles recomposées après divorce, les
enfants se trouvent pourvus de nouveaux couples de grands-parents, mais la relation peut
rester très formelle si ces enfants ont atteint l’âge de la pré-adolescence.
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Dans toutes ces situations, le divorce, qu’il s’agisse
de celui de la génération des aînés ou des jeunes, fait
courir le risque d’une désaffiliation, privant les enfants de
racines identitaires pourtant indispensables pour fonder
leur avenir.
Nombreux sont d’ailleurs aujourd’hui les grandsparents à avoir recours aux tribunaux pour régler les conflits, lorsqu’ils ne peuvent exercer les
droits de visite que la loi leur accorde en principe. Mais les juges ne veulent guère intervenir
s’ils pensent que la rencontre avec les grands-parents, dans une situation conflictuelle,
déstabiliserait une situation familiale qu’ils jugent convenable pour l’équilibre du jeune
enfant.
Grands-parents recours
Si les grands-parents constituent une source d’entraide considérable pour les jeunes
parents, les vieux grands-parents sont aussi un recours dans certains cas de déviance sociale.
Aux Etats-Unis aujourd’hui (2), plus de 5 millions d’enfants sont élevés par des grandsparents alors que leurs parents sont morts, drogués, victimes du SIDA ou en prison.
L’importance grand-parentale est certainement une caractéristique de la société de la fin du
XXe siècle. Ce modèle ne peut persister que pour autant que les solidarités publiques restent
importantes et que la génération aînée bénéficie d’une situation confortable. Par ailleurs, les
changements démographiques marqués par le poids accru du vieillissement de la population
européenne et le retard à l’âge de la maternité, très caractéristique de ces dix dernières années
donnent à penser que le personnage du « jeune » grand-parent aura peut-être été une invention
éphémère.
Martine Segalen, Université de Paris X-Nanterre
(1) Enquête conduite par Claudine Attias-Donfut, CNAV portant sur les échanges de toute nature auprès
d’un échantillon représentatif de familles françaises à trois générations (1958 « pivots » de 48 à 52 ans,
1217 « vieux », leurs parents, et 1493 « jeunes », leurs enfants adultes dont près de la moitié sont
parents de jeunes enfants) ; puis par des enquêtes qualitatives, conduites sous la direction de Claudine
Attias-Donfut, Nicole Lapierre et Martine Segalen, auprès d’un sous échantillon d’une trentaine de
lignées, soit environ 100 entretiens approfondis effectués à Paris et région parisienne, Aquitaine,
Bretagne, Lorraine, Lyonnais, Poitou, Sud-ouest toulousain, cf de ces mêmes auteurs, Le nouvel esprit
de famille, Paris, Odile Jacob, 2002
(2) Raveis Victoria, Denise Burnette, 2001, « Aux Etats-Unis, des grands-parents tuteurs », in AttiasDonfut Claudine et Martine Segalen (sous la direction de) Le siècle des grands-parents, Autrement,
p.209-224
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