Marchés financiers africains

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Marchés financiers africains
PARIS
r
DÉCEMBRE 2012
actualités,
commentaires et
études de cas
portant sur des
questions d’intérêt
pour nos clients
focus
Marchés financiers africains
(Paru dans la Tribune «Marchés financiers» Jeune Afrique le 20 décembre 2012)
PAR PASCALE GALLIEN & JEAN-JACQUES ESSOMBÈ MOUSSIO, AVOCATS ASSOCIÉS, HEENAN BLAIKIE aarpi – PARIS
Pour pouvoir jouer leur rôle, les marchés financiers africains doivent être en mesure de gagner en efficience et de constituer
une véritable alternative au financement bancaire classique pour les émetteurs qui souhaitent y avoir recours.
Or, en dehors du marché boursier de l’Afrique du Sud (Johannesburg Stock Exchange), les marchés africains peinent à prendre leur
envol malgré les progrès constatés.
Une régulation et des réformes appropriées peuvent contribuer au développement de ces marchés en agissant sur un certain
nombre de causes qui empêchent à ce jour leur éclosion. Ces causes sont multiples, mais celles reprises brièvement ci-dessous
peuvent être considérées comme parmi les plus significatives. Elles doivent être appréhendées de manière globale.
1. L A TA I L L E D E S AC T E U R S
Pour qu’il fonctionne, un marché boursier a besoin d’acteurs
de taille, qu’il s’agisse d’émetteurs ou d’investisseurs.
En effet, la taille des intervenants est un élément d’arbitrage
entre le crédit bancaire classique et le marché boursier. Les
émetteurs de petite ou moyenne taille n’ont pas réellement
besoin de faire appel au marché. Ils peuvent se contenter de
s’adresser à leurs banquiers et les banques africaines regorgent
aujourd’hui de liquidités. Il faut, en outre, que le nombre de
sociétés cotées soit important. Or, on observe que très peu
de sociétés font admettre leurs titres à la négociation sur les
marchés boursiers africains et certaines, prises individuelle­
ment, représentent parfois jusqu’au tiers de la capitalisation
boursière du marché concerné. Pour remédier à cette
difficulté, il est souhaitable de développer un segment pour
les petites et moyennes entreprises comme l’a récemment
décidé la Bourse Régionale de Valeurs Mobilières (BRVM) de
l’Union Monétaire et Économique Ouest-Africaine (l’UMEOA).
Côté investisseurs, il faut une présence active d’institutionnels,
tels les banques et les entreprises d’assurance qui sont
soumises à des règles strictes en matière de placement. En
pratique, on constate que les titres admis à la négociation sur
la plupart des bourses africaines sont détenus par des
investisseurs institutionnels nationaux ou régionaux (banques,
compagnies d’assurance…), mais leur nombre reste limité.
Soutenus par un environnement économique favorable (voir
plus loin 4. La perception du risque « Afrique »), ces marchés
attirent également de plus en plus d’investisseurs étrangers.
Néanmoins, ces investisseurs se sont essentiellement tournés
vers des titres d’État. En outre, certains investisseurs institu­
tionnels étrangers, notamment européens, ne peuvent pas
investir massivement sur ces marchés compte tenu du fait que
pour être éligibles à leurs actifs réglementés (cas des entre­
prises d’assurance), les valeurs mobilières doivent être admises
à la négociation sur un marché reconnu d’un État membre de
l’OCDE (ce qui n’est pas le cas des États africains).
Les gouvernements africains devraient donc prendre des
mesures visant à développer la base d’investisseurs (qu’il
s’agisse de petits porteurs ou d’investisseurs institutionnels)
afin de les inciter à être plus actifs sur leurs marchés boursiers.
Ceci implique que soit encouragée la création de fonds
d’investissement (ouverts au public ou réservés à des institu­
tionnels), caisses de retraite et autres fonds de pension, qui
sont de grands détenteurs de portefeuilles d’actifs financiers.
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2 . L A TA I L L E D E S M A R C H É S
La question de la taille d’un marché est liée à la précédente
lorsqu’on apprécie sa liquidité.
L’Afrique compte plus d’une vingtaine de marchés boursiers
éparpillés sur le continent et dont la taille est faible.
Posséder une bourse, même de taille insignifiante, peut être
considéré par certains pays comme un moyen d’affirmer
leur souveraineté nationale, mais cela ne contribue pas au
développement économique.
Pour donner plus d’ampleur à ces marchés, la solution serait
de les intégrer. En effet, l’intégration permettrait notamment
d’accroître leurs liquidités et de diminuer le coût des
opérations qui s’y traitent.
Si on s’en tient à la Zone franc, il existe trois marchés
différents : la bourse régionale de l’UMEOA (la BRVM), celle
de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique
Centrale (CEMAC), c’est-à-dire la Bourse de Valeurs Mobilières
de l’Afrique Centrale (BVMAC) et celle du Cameroun (Douala
Stock Exchange ou « DSE »).
En termes d’intégration, l’UMEOA a de l’avance sur la CEMAC
en ceci qu’elle ne forme qu’un seul marché pour huit pays
réunis sous la bannière de la BRVM, soumis à un régulateur
unique, le Conseil Régional de l’Épargne Publique et des
Marchés Financiers (CREPMF).
La situation est plus complexe dans la zone CEMAC. Alors
qu’elle devrait fonctionner sur le même modèle qu’en zone
UMEOA, elle voit sa situation compliquée par la concurrence
que se livrent les Places de Libreville et de Douala. Le
Cameroun s’est doté d’une bourse, le DSE, tandis que Libreville
accueille le siège de la BVMAC, commune aux cinq autres
pays de la sous-région. Dans la même logique, ces bourses
disposent de deux régulateurs distincts : la Commission de
Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale
(COSUMAF) et la Commission des Marchés Financiers (CMF)
pour le DSE.
L’existence de ces deux marchés dans la même zone
économique et monétaire entraîne l’application de règles
différentes, voire contradictoires, ce qui nuit à l’harmonisation
recherchée. Les Chefs d’État des pays de la CEMAC ont donc
pris la mesure du problème et décidé en juillet 2012 lors de la
conférence de Brazzaville d’unifier ces deux bourses dans les
meilleurs délais.
Heenan Blaikie - Décembre 2012
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L’idéal serait même, à terme, d’intégrer l’ensemble des marchés
africains de la Zone franc voire au-delà pour bénéficier des
avantages de l’intégration rappelés ci-dessus.
Toutefois, un marché financier africain intégré suppose au
préalable une meilleure harmonisation des dispositions légis­
latives et réglementaires applicables dans les différents pays
concernés, ainsi que des systèmes et moyens techniques
communs.
Ainsi, à titre d’exemple, en matière de droit des sociétés, 17 pays
d’Afrique ont adopté l’Acte uniforme OHADA (Organisation
pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) relatif au
droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique (AUSCGIE), qui met en place un cadre juridique
commun à ces pays. Cet acte prévoit notamment le régime
juridique de l’appel public à l’épargne. Or, la définition qu’il
donne à cette notion n’est pas actuellement fidèlement reprise
dans les règles édictées au niveau des marchés boursiers de
l’UMEOA, de la CEMAC et du Cameroun.
3. D E S I N S T R U M E N T S F I N A N C I E R S
I N A DA P T É S
D’autres éléments expliquent l’atonie des marchés financiers
africains et, en particulier, ceux de la Zone franc.
Ainsi, le cadre général des valeurs mobilières, tel qu’il est
actuellement prévu dans l’AUSCGIE, est très restreint et se
limite essentiellement aux actions et obligations.
En ce qui concerne le marché obligataire, il est encore très
embryonnaire. S’il est vrai que l’on a pu constater récemment
le succès des émissions obligataires de certains pays africains,
ces titres d’État sont émis pour des échéances très courtes et
sont essentiellement traités sur le marché primaire, compte
tenu de la faiblesse du marché secondaire.
Autre frein : il n’existe pratiquement pas de marchés de
produits dérivés sur les marchés africains, autrement dit, pas
de véritable marché de couverture pour les émetteurs et
les investisseurs, même si ceux-ci peuvent faire appel à des
intermédiaires financiers pour structurer pour leur compte
des opérations de gré à gré sur devises ou sur taux d’intérêt.
Des initiatives récentes pourraient sans doute contribuer à
une plus grande animation du marché. Ainsi, l’AUSCGIE en
cours de révision crée de nouvelles valeurs mobilières, les
valeurs mobilières composées qui, non seulement instaurent
une passerelle entre les actions et les obligations, mais
permettent également l’émission de titres de capital et de
dette plus complexes, donnant plus de choix aux acteurs du
marché pour leurs financements et leurs placements.
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Heenan Blaikie - Décembre 2012
Par ailleurs, des organisations internationales de développe­
ment (la Banque Africaine de Développement, la Société
Financière Internationale (SFI)...) ont pris des initiatives visant
à développer un marché actif d’obligations libellées en
monnaie locale afin, notamment, de réduire la dépendance
des pays africains à l’endettement en devises étrangères.
En conclusion, pour des marchés financiers africains efficients,
les principales mesures devraient consister à:
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4 . L A P E R C E P T I O N D U R I S Q U E « A F R I Q U E »
L’Afrique est traditionnellement perçue comme marquée,
sur les plans social et politique, par la corruption, des guerres
civiles, coups d’État à répétition et autres maux, qui nuisent à
la sérénité des affaires.
On met également en avant le risque de défaillance des
émetteurs, tant privés que publics, l’insuffisance des règles
relatives à la protection de la propriété, à la transparence
(notamment en matière comptable et en termes de publi­
cation d’informations) et à la gouvernance.
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agir sur l’offre et la demande d’instruments financiers, en
favorisant le développement d’émetteurs et d’investisseurs
de grandes taille permettant une meilleure liquidité du
marché ;
favoriser l’intégration et une meilleure organisation des
marchés, ce qui implique, sinon un alignement, du moins
une harmonisation des législations applicables dans les
différents pays concernés et la mise en place de systèmes
et moyens techniques communs. La BRVM constitue sur
ce plan un exemple à suivre en termes de régionalisation
des marchés ;
diversifier les instruments financiers afin de permettre
un meilleur arbitrage de la part des émetteurs et des
investisseurs. L’AUSCGIE en cours de révision apportera
sans doute une première réponse à ce besoin de diver­
sification. Toutefois, cet effort resterait vain si les législations des pays membres de l’OHADA n’accompagnaient
pas ce mouvement par des mesures incitatives, notamment fiscales ;
plus généralement, améliorer la perception de l’Afrique en
termes de risque. Cela prendra du temps, mais ce mouvement est plutôt dans la bonne voie et doit être soutenu.
AUTEURS
Cette perception négative n’est pas totalement injustifiée.
Cependant, de nombreux observateurs s’accordent égale­
ment à considérer qu’il existe aujourd’hui un écart profond
entre la perception du risque « Afrique » et la réalité.
En effet, on constate une diminution sensible des coups
d’État à répétition et des guerres civiles, ainsi qu’une meilleure
gouvernance au niveau étatique.
L’Afrique connaît en outre une très forte croissance et est,
sur ce plan et malgré la crise financière actuelle, la deuxième
région dans le monde après l’Asie.
Afin de renforcer l’attrait de l’Afrique et en particulier de
ses marchés financiers, les efforts entrepris en termes de
gouver­nance, de réglementation et de transparence doivent
néanmoins se poursuivre afin d’améliorer le climat des affaires
en Afrique. Sur ce plan, le Rapport « Doing Business » publié
chaque année par la Banque Mondiale et la SFI pourra servir
de baromètre pour apprécier, pays par pays, le chemin
parcouru.
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Toutefois, le recours à ces nouveaux instruments financiers
devra être soutenu au niveau national par les autorités compé­
tentes, en adoptant par exemple des mesures incitatives sur
le plan fiscal. Il faudrait également encourager la création
d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières afin
de permettre aux investisseurs, en ce compris les petits porteurs,
de se regrouper pour la réalisation de leurs placements.
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Pascale Gallien
Associée
[email protected]
Paris 01 40 69 26 53
Jean-Jacques Essombè Moussio
Associé
[email protected]
Paris 01 40 69 26 76
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