Dossier - Pinsent Masons
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Dossier Contrats d’affaires : impacts de la réforme du droit des obligations L a réforme du droit des obligations dont on a tant parlé depuis de longues années a surgi presque de manière inattendue par voie d’ordonnance le 10 février 2016 pour entrer en vigueur le 1er octobre 2016 (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016). Beaucoup a déjà été écrit sur cette réforme. Du ton expositif au ton polémique, parfois grincheux face à une réforme fruit de compromis qui ne pouvait satisfaire tout le monde, nous n’avons pas souhaité à travers ce cahier spécial ajouter un commentaire systématique de l’ensemble de la réforme, mais adopter un ton pratique. En qualité de praticiens, nous nourrissons notre réflexion de la doctrine, mais avons pour mission première de nous adresser aux utilisateurs du droit, et plus particulièrement au cas présent du droit des contrats, de la manière la plus pratique et concrète possible. Notre objectif a donc été de faire connaître cette réforme à travers ses aspects qui nous paraissent avoir l’impact le plus immédiat sur la conduite de la vie des affaires. Par ailleurs, le droit des contrats, matière transversale par excellence de la vie des affaires, trouve des applications concrètes différentes selon les environnements économiques que l’on considère. C’est pourquoi nous avons souhaité donner ici un aperçu des implications concrètes de certains aspects de la réforme du droit des contrats selon les secteurs d’activité suivants : les opérations de fusions-acquisitions, la propriété industrielle, les nouvelles technologies, la construction et les grands projets d’infrastructure et du domaine de l’énergie. Pour chacun de ces secteurs, les thématiques de la réforme structurantes de chacun des articles qui suivent s’organisent au tour de : – la phase précontractuelle des négociations ; – la formation du contrat et des rapports de force entre les parties contractantes ; et – l’exécution des conventions et de la prise en compte des circonstances nouvelles. Selon les cas, nous avons traité de quelques aspects spécifiques de la réforme qui nous paraissaient, outre les thèmes déjà mentionnés, présenter un caractère de particulier intérêt pour les secteurs concernés. Guidé par ces jalons, le lecteur pourra à son choix se tourner vers le ou les secteurs dans lesquels il intervient pour trouver dans ces lignes quelques réflexions et suggestions pratiques utiles pour appréhender le potentiel de renouvellement des schémas habituels de travail que cette réforme offre à certains égards. L’équipe de rédaction Pinsent Masons 38 Revue Lamy Droit des Affaires SOMMAIRE Réforme du droit des contrats et opérations M&A (1re partie) : du NDA à la binding offer P.39 Réforme du droit des contrats et opérations M&A (2e partie) : du signing au closing ... P.44 Quelle incidence l’ordonnance du 10 février 2016 va-t-elle avoir sur les contrats portant sur des droits de propriété industrielle ? .......... P.49 Les contrats technologiques à l’épreuve du nouveau code civil ................. P.54 Les contrats de construction : ce qu’il faut retenir après la réforme du droit des obligations .............. P.60 Réforme du droit des contrats et contrat de consortium : un rendezvous manqué ? ........P.65 Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier RLDA 6001 Réforme du droit des contrats et opérations M&A (1re partie) : du NDA à la binding offer Par Pierre Fany Lalanne FRANÇOIS La réforme du droit des contrats introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 codifie de nombreuses positions jurisprudentielles développées à l’occasion de litiges relatifs à la conduite de la phase précontractuelle. Audelà cette codification à droit jurisprudentiel constant, la réforme apporte aussi quelques nouveautés qui ne sont pas dénuées de portée pratique dans la conduite des opérations de fusions-acquisitions. participé sous l’égide de la Commission européenne à poser les premières pierres en 2001 d’un projet de code civil européen. I. – Le devoir de confidentialité : l’article 1112-2 du code civil L’accord de confidentialité est l’un des premiers instruments contractuels négocié et signé entre les parties dans le cadre d’une opération de fusions-acquisitions. En substance, ce contrat engage l’une des deux parties à tenir confidentielles certaines informations que l’autre partie pourra être amenée à lui communiquer dans le cadre notamment de la réalisation d’audits juridiques sur la cible de l’opération. Cet engagement peut être pris tant vis-à-vis de la cible que des vendeurs. Cet accord peut être unilatéral ou réciproque, c’est-à-dire que dans ce cas, chacune des parties prend l’engagement de ne pas diffuser certaines informations échangées dans le cadre de la négociation des termes de la transaction. La jurisprudence de la Cour de cassation avait déjà pu reconnaître un principe de confidentialité à la charge des négociateurs d’un contrat même en l’absence d’accord exprès, sur le fondement notamment du devoir de loyauté(1). Désormais, ce principe a donc une valeur légale et figurait déjà au nombre de ce que l’on désigne comme les « Principes du droit européen du contrat » élaborés par le groupe de travail dit « Commission Landö » (et son article 2.302) ayant (1) Cass. com., 11 juill. 2000, Contrats, conc., consom. 2000, comm. 174 ; Cass. com., 12 mars 1996, n° 94-42.105. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Rédactrice en chef Associé Pinsent Masons pierre.francois@ pinsentmasons.com L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (l’Ordonnance) consacre ce principe et introduit une obligation légale de confidentialité dans le cadre de toutes négociations de contrats dans un nouvel article 1112-2. Et Julien ESPEILLAC Avocat à la Cour Article 1112-2. « Celui qui utilise sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun. » Bien que ce principe devenu légal s’appliquera même si les personnes qui négocient n’ont pas signé de clause ou d’accord de confidentialité, il faut souligner que l’utilité et l’usage d’accord de confidentialité n’en demeure pas moins toujours important et intéressant. Il faut plutôt voir dans ce nouvel article 11122 du code civil la consécration de l’existence d’un dommage pouvant résulter du non-respect de l’obligation de confidentialité. L’obligation contractée dans le cadre d’un accord de confidentialité étant juridiquement qualifiée d’obligation de ne pas faire, la simple démonstration de l’existence de la divulgation d’une information confidentielle pourra suffire à engager la responsabilité contractuelle de son auteur. Ainsi, encadrer les négociations sous l’empire d’un accord de confidentialité permettra toujours de répondre et d’adresser des points ne pouvant être traités de manière générique dans un texte de loi, ce dernier se Revue Lamy Droit des Affaires 39 devant d’être général dans son application. L’accord passé définira l’information considérée comme confidentielle, la durée de l’obligation et aménagera le régime de l’obligation de confidentialité. La mise en œuvre de l’accord devrait être facilitée par la création de cette obligation générale dans le code civil. Demeure toutefois une incertitude quant à la portée effective qui sera donnée au principe de protection des informations confidentielles échangées dans le cadre des pourparlers devenu d’ordre public. En effet, une juridiction pourra toujours considérer que la définition de l’information confidentielle dans un accord de confidentialité a pour finalité de limiter la portée et la protection d’ordre public et donc est contraire à celui-ci. Les premières décisions rendues sur cette question seront, à ce titre, très importantes pour comprendre l’orientation que souhaitera donner la Cour de cassation au regard de cette question, même si l’on peut souhaiter ou anticiper que l’introduction de ce principe n’a pas pour objectif de limiter des pratiques existantes déjà efficaces. II. – Bonne foi - Information précontractuelle : l’article 1104 et l’article 1112- 1 du code civil Alors que l’article 1134 ancien du code civil, alinéa 3, insiste sur la bonne foi dans l’exécution des conventions, l’Ordonnance élargit considérablement le champ d’application de ce principe. L’article 1104 : la bonne foi en général Article 1104. « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. » L’article 1112 : la bonne foi dans les négociations et les due diligence Article 1112. « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. » Dans le cadre d’une opération d’acquisition, cette disposition ne semble pas revêtir une importance particulière dans la mesure où (i) l’exigence de bonne foi dans la conduite des pourparlers et des négociations précontractuelles a déjà été reconnue par la jurisprudence et (ii) la négociation des termes d’un contrat d’acquisition, d’un traité de fusion ou d’un pacte d’associés ne présente pas de particularité au regard de l’exigence de bonne foi. On pourra toutefois s’interroger sur la validité d’une pratique, parfois utilisée dans le cadre de constitution de data room, consistant à disséminer de l’information dans des sections parfois inattendues tant l’intitulé des sections concernées figurant en index de data room est étranger à la nature de l’information délivrée. Une telle pratique serait-elle constitutive d’un acte de mauvaise foi ? Appliqué à des informations d’importances ayant une incidence suffisamment significative sur la valorisation des titres, on pourrait le penser. De la même manière, les réponses par trop allusives ou renvoyant à des éléments parcellaires figurant en data room fournis dans le cadre des Q&A pourraient aussi passer pour de la mauvaise foi. Ainsi, l’article 1104 nouveau du code civil disposet-il qu’outre l’exécution des conventions, les futurs co-contractants doivent agir de bonne foi dès la négociation et la formation du contrat. Que dire encore des systèmes de data room ne permettant pas de conserver l’historique de fourniture de l’information ou de tracer les informations nouvellement fournies ? Certes, la jurisprudence avait déjà étendu le principe de bonne foi dans la conduite des négociations, notamment pour fonder la sanction de la rupture abusive de pourparlers. À considérer l’exigence de bonne foi de manière trop large, on risque toutefois de contraindre le vendeur à dévoiler trop, trop vite et dans une forme et selon des moyens présentant trop de confort pour l’acquéreur. Si une conception large de la bonne foi peut se comprendre pour une relation précontractuelle se développant dans le cadre d’une relation d’exclusivité accordée par le vendeur, il nous semble qu’elle devrait s’entendre d’une manière plus restrictive dans le cadre d’un processus concurrentiel. En effet, dans ce cadre, il est légitime d’attendre des candidats à l’acquisition qu’ils fassent preuve de sagacité, voire se contentent d’une information parcellaire et parfois difficile à recouper, dans l’attente d’un approfondissement En outre, le dol peut dès aujourd’hui permettre l’annulation d’un contrat, dès lors que la preuve aura pu être rapportée qu’une des deux parties a délibérément induit l’autre en erreur en dissimulant certaines informations ou, a fortiori, en diffusant des informations incorrectes. L’apport de la réforme n’est donc pas à chercher dans la réécriture de l’article 1134, alinéa 3, ancien du code civil mais plutôt dans l’obligation d’information renforcée qui en découle. 40 Ainsi, les articles 1112 et 1112-1 nouveaux du code civil, consacrent-ils, dans une sous-section intitulée « les négociations » un cadre légal à la conduite de pourparlers. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier et de la validation de leurs hypothèses de travail avec un concours accru du vendeur, une fois l’exclusivité accordée. reurs déterminés au regard de leur qualité ou au cas par cas ? La loi donne quelques réponses. Un point à noter encore eu égard à l’indemnisation de la faute dans la conduite de pourparlers : la perte de chance de retirer les bénéfices attendus du contrat finalement non conclu n’est pas indemnisable. Si ce point paraît justifié aux stades de négociations interrompues, même de manière fautive, on verra que le même principe a été retenu en cas d’inexécution d’une offre ferme. Ce qui paraît plus contestable. Tout d’abord, l’article 1112-1 nouveau du code civil précise que le devoir d’information ne porte pas sur « l’estimation de la valeur de la prestation ». L’article 1112-1 : l’obligation de divulgation Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitiment, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure, ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » Les termes du nouvel article 1112-1 du code civil méritent une particulière attention quant à leurs implications pratiques dans la conduite de la phase précontractuelle des opérations de fusions-acquisitions. Explicitant le principe général de bonne foi exposé aux articles 1104 et 1112 nouveaux du code civil, l’article 1112-1 du même code impose aux vendeurs une obligation d’information qui peut être lourde de conséquences, notamment dans le cadre de l’organisation des due diligence. Ainsi l’article 1112-1, alinéa 1, nouveau du code civil dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». En conséquence, le vendeur, partie nécessairement mieux informée que l’acquéreur sur la cible, doit porter spontanément à la connaissance de ce dernier toute information qu’il connaîtrait comme déterminante du consentement éclairé de l’acquéreur. De quelles informations parle-t-on ? Comment s’apprécie le caractère déterminant d’une information pour un acquéreur : selon une norme générale applicable aux acqué- Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Il s’agit de prime d’abord d’une exception de taille. Toutefois, dans le cadre des opérations d’acquisitions ou de fusions, deux observations devraient tempérer cette impression. Premièrement, le texte vise la valeur d’une « prestation ». Ce terme semble donc exclure l’application de cette exception à la vente ou à l’échange de titres. Deuxièmement, même à supposer ce texte applicable, comment l’absence de divulgation d’éléments juridiques, financiers, fiscaux ou commerciaux suffisamment significatifs pour avoir un effet sur la valorisation des titres ne constituerait-elle pas un manquement à la bonne foi dans la conduite des pourparlers susceptibles soit d’une mise en jeu de la responsabilité du vendeur, soit d’impliquer l’annulation du contrat pour dol ? En pratique, il est donc à craindre que cette exception se révèle d’une portée assez limitée dès lors que, rappelons-le, le terme utilisé de « prestation » n’en exclurait pas totalement l’application aux opérations de vente ou d’échanges de titres. Ensuite, l’article 1112-1 nouveau du code civil précise que les informations d’importance déterminante ont « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Ainsi la capacité du vendeur ou de l’acquéreur, l’existence valable des titres ou le droit à disposer de ces derniers par le vendeur constituent-elles à l’évidence des informations déterminantes. Le texte ne disposant pas que seules les informations directement et nécessairement liées ou contenu du contrat ou à la qualité des parties sont d’importance déterminante, la liste des informations d’importance déterminante dépasse en nombre très largement celles qui sont indispensables à la détermination de l’objet du contrat ou à l’identification des parties et de leur qualité. Ainsi quelle sera l’étendue de l’information d’importance déterminante dans le cadre d’un apport partiel d’actifs ou d’une vente de fonds de commerce ? Toute d’information juridique, financière, fiscale ou commerciale sera dans ce cas une information liée de manière directe et nécessaire au contenu du contrat qui porte directement sur les éléments du bilan de la cible. Dans le cas d’un share deal, il pourra à l’inverse être soutenu que les informations juridiques, financières, fiscales ou commerciales relatives à la cible ne sont qu’indirectement liées au contenu du contrat qui ne porte que sur la cession du capital et non des actifs de la cible. Les interrogations que l’on peut nourrir sur le caractère nécessaire de l’information au regard du contenu du contrat Revue Lamy Droit des Affaires 41 laissent tout de même ouverte la porte à une argumentation contraire. Ainsi les informations portant sur l’activité et l’organisation de cible peuvent-elles être considérées comme d’importance déterminante et soumises à divulgation volontaire par le vendeur en ce qu’elles sont nécessaires à la définition de l’objet du contrat (l’acquisition des titres) ou du moins à son intérêt économique (la valorisation des titres et le niveau de garantie) pour les parties. Afin de tempérer le risque d’appréhension de la notion d’importance déterminante de manière trop large, l’article 1112-1 nouveau du code civil impose que la partie qui se prévaut de ce texte, l’acquéreur dans notre cas, rapporte la preuve que l’information lui était due au regard de ce texte. Cela revient à adopter une conception in concreto de l’information d’importance déterminante. Ainsi, bien que l’information non divulguée soit directement et nécessairement liée au contenu du contrat de cession de titres, l’acquéreur devra encore, pour se prévaloir des dispositions de l’article 1112-1 nouveau du code civil, rapporter la preuve (i) qu’il ignorait légitimement cette information et (ii) que l’importance de cette information était telle qu’elle déterminait son consentement à l’acquisition des titres. Autant de preuve difficile à rapporter à moins que l’acquéreur ne prenne la précaution de pré-constituer cette preuve en contractualisant la liste des informations qu’il souhaitera voir traiter par le vendeur comme des informations d’importance déterminante. Il pourra donc être envisagé, à côté des conventions relatives à la définition de fair disclosure, de dresser la liste de ces informations d’importance déterminante. Si l’acquéreur devrait avoir tendance à allonger la liste, au-delà même de ce qui est directement et nécessairement lié au contenu du contrat ou à la qualité des parties, le vendeur, à l’inverse devrait tendre à limiter cette liste. L’article 1112-1 nouveau pose toutefois une limite en précisant que les parties ne peuvent contractuellement ni limiter, ni exclure le devoir de divulgation des informations d’importance déterminante. Quelques règles de prudence de la part du vendeur devront donc être observées afin de ne pas priver cette pratique de toute portée. Tout d’abord, la liste contractualisée, pour être valable, ne pourra pas éliminer des informations directement liées au contenu du contrat ou à la qualité des parties qui doivent en toute hypothèse être considérées comme d’importance déterminante. En outre, il conviendra de ne pas trop réduire la liste de telle sorte qu’elle ne puisse pas être considérée comme relevant contractuellement le vendeur de son devoir de divulgation de l’information d’importance significative. 42 Le point d’équilibre sera autant plus difficile à trouver que l’appréciation du caractère d’importance significative de l’information semble devoir se faire au cas par cas. Néanmoins, cette discussion recoupera celle de la négociation des déclarations et garanties et de la définition de fair disclosure à laquelle les opérateurs du marché sont habitués mais à laquelle ils devront à l’avenir apporter une attention accrue. III. – L’offre d’acquisition : les articles 1114 à 1116 du code civil L’article 1114 : les éléments de l’offre Article 1114. « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation. » Le régime juridique de l’offre de contrat est fixé par l’Ordonnance aux articles 1114 à 1116 nouveaux du code civil. Ils précisent en substance que pour être valable, l’offre doit satisfaire un certain nombre de conditions : stipuler expressément la volonté de contracter et exposer les termes essentiels de cette volonté. À défaut de stipuler ces éléments, et plus particulièrement lorsque les éléments essentiels des termes de l’offre sont trop généraux et mal définis, on ne saurait parler d’offre. On serait alors dans ce cas en présence d’une offre indicative ou une demande d’entrer en négociation. L’offre de contrat, d’acquisition au cas présent, entendue au sens du code civil s’identifie donc à ce qui est usuellement désigné dans les opérations de fusions-acquisitions comme une offre ferme ou binding offer, quand bien même cette offre ferme serait conditionnelle, dès que les conditions de l’offre sont précises et limitativement énoncées. L’article 1116, alinéa 1 : durée de l’offre Article 1116, al. 1. « Elle ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable. » L’article 1116, alinéa 1, nouveau du code civil précise que l’offre doit subsister pendant une durée raisonnable sans que pendant cette période l’offrant ne puisse la rétracter. À cet égard, on peut noter que l’article 1115 nouveau du code civil mentionne que l’offre peut être rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. Ce texte consacre la théorie dite de la réception qui veut qu’un acte juridique, une correspondance ne prenne de valeur juridique qu’à compter de sa réception par le destinataire de l’acte ou de la correspondance. Quand les offres sont transmises à des intermédiaires agissant comme conseil Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier des vendeurs, ces offres peuvent-elles être valablement retirées tant qu’elles n’ont pas été transmises aux vendeurs ? La question peut paraître théorique, mais si une difficulté se présentait à ce titre, il conviendrait de vérifier si l’intermédiaire agit comme mandataire des vendeurs pour la réception des offres, ce qui est généralement le cas. L’article 1116, alinéa 1, nouveau du code civil ne précise pas à partir de quelle durée, un délai devient raisonnable. Par conséquent, l’idée parfois soutenue selon laquelle, mieux vaudrait ne pas stipuler de durée à l’offre de manière à pouvoir la retirer valablement à tout moment, paraît hasardeuse. Il convient de préciser la durée de l’offre et vraisemblablement de fixer cette durée au regard des capacités et moyens d’analyse dont disposent le destinataire pour en analyser les termes. L’article 1116, alinéa 2 et alinéa 3 : retrait de l’offre et indemnisation Article 1116, al. 2. et al. 3. « La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat. Elle engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat. » À l’instar des dispositions de l’article 1112 nouveau du code civil relatif à la responsabilité d’une partie fautive dans la conduite des négociations, l’indemnisation du préjudice résultant de l’inexécution d’une offre ne peut pas couvrir la perte de chance de retirer les bénéfices du contrat finalement non conclu. Ce point nous paraît critiquable, compte tenu du fait qu’au stade de la réception d’une offre ferme, la partie lésée aura pu légitimement faire une anticipation des bénéfices attendus du contrat, voire poser quelques jalons dans l’organisation de la cible dans la perspective de la conclusion du contrat. L’indemnisation sera donc limitée, en droit commun, principalement aux coûts engagés pour la conduite des né- Nº 118 SEPTEMBRE 2016 gociations et l’éventuelle discussion des termes de l’offre. Rien n’interdit évidemment aux parties en négociation de prévoir une indemnisation contractuelle allant au-delà de la couverture offerte par le droit commun. Dans ce cas, il ne s’agira donc plus d’une responsabilité extracontractuelle comme le précise l’article 1116, alinéa 3, nouveau du code civil, mais d’une responsabilité contractuelle issue du cadre contractuel régissant la phase précontractuelle des négociations. Par ailleurs, certains ont pu critiquer la différence de traitement entre la promesse unilatérale, dont le défaut d’exécution peut se résoudre en exécution forcée (articles 1221 et 1222 nouveaux du code civil), et le retrait d’une offre qui ne peut se résoudre qu’en dommages et intérêts. Mais ces deux circonstances sont différentes dans leur nature : la promesse est un contrat, l’offre n’en est pas un, du moins tant qu’elle n’a pas été valablement acceptée. L’article 1118 nouveau du code civil régit l’acceptation de l’offre en précisant que si l’acceptation n’est pas conforme aux termes de l’offre, cette acceptation est dépourvue d’effet, sauf à constituer une contre-offre. Par ailleurs, l’article 1121 nouveau du code civil dispose que le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’auteur de l’offre. Si le retrait de l’offre visé à l’article 1116, alinéa 3, nouveau du code civil intervient postérieurement à l’acceptation, la responsabilité de l’auteur de l’offre est celle d’un cocontractant, et sa responsabilité ne devrait donc plus être extracontractuelle mais contractuelle. Cela devrait ainsi permettre de couvrir l’indemnisation de la perte d’une chance ainsi que le prévoit l’article 1231-2 nouveau du code civil qui fait référence à la privation du gain du créancier (à l’instar de l’article 1149 ancien du code civil), voire l’exécution forcée du contrat ainsi formé. Bien que l’article 1116, alinéa 3, ne le vise pas expressément, le retrait visé par ce texte semble donc bien concerner le retrait de l’offre avant son acceptation valable. Revue Lamy Droit des Affaires 43 RLDA 6002 Réforme du droit des contrats et opérations M&A (2e partie) : du signing au closing La réforme du droit des contrats introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, sans révolutionner la négociation et l’exécution des opérations de fusions-acquisitions, a le mérite de leur donner un socle juridique plus sécurisé, par la consécration de certaines pratiques, mais aussi par quelques nouveautés. Comme souvent, cette réforme s’accompagne de son lot d’interrogations. I. – Au signing : des contrats de cession conclus dans la violence ? dommages et intérêts. Deux conditions cumulatives devront cependant être réunies : Aux termes des nouveaux articles 1130(1) et 1131(2) du code civil, le dol, l’erreur ou la violence constituent des vices du consentement entraînant la nullité relative du contrat. • d’autre part l’abus, par l’autre cocontractant, de cet état de dépendance. Il convient donc de caractériser un avantage manifestement excessif obtenu par l’auteur de la violence. Au rang des nouveautés de la réforme du droit des contrats, le nouvel article 1143 du code civil innove en assimilant à la violence l’abus par une partie de l’état de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie. La Cour de cassation avait déjà admis la violence économique comme vice du consentement(3). Or ce nouveau texte, tout en donnant une assise légale à cette jurisprudence, élargit son champ d’application à toutes les situations de dépendance. Pour autant, cet élargissement ne devrait pas avoir un impact significatif sur les opérations d’acquisition. La violence économique devrait rester le cas le plus courant, la contrainte physique ou psychologique paraissant des cas d’école. Counsel Pinsent Masons philippe.malikian@ pinsentmasons.com • d’une part, la caractérisation de l’état de dépendance d’un cocontractant ; et Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » Par l’introduction de ces dispositions, la violence n’est plus seulement un vice du consentement, elle devient un manquement civil pouvant entraîner l’allocation de (1) C. civ., art. 1130 nouveau : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». (2) C. civ., art. 1131 nouveau : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». 44 Par Philippe MALIKIAN Et Catherine MANDON Avocat à la Cour Il convient cependant de ne pas confondre inégalité de moyens et dépendance. En effet, il est tentant de chercher la caractérisation d’une situation de violence économique dans toute opération d’acquisition (3) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. IV, n° 169 : depuis cet arrêt, la Cour de cassation admet le principe de la violence économique en tant que vice du consentement. Selon la jurisprudence, la réunion de deux conditions est nécessaire, afin que la violence économique puisse être caractérisée : la partie qui s’estime victime doit rapporter l’existence d’une situation de contrainte économique et celle d’un abus de cette situation par le contractant dominant pour en retirer un avantage excessif. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier impliquant un cédant personne physique ou une PME face à un acquéreur coté ou une multinationale. Or, l’état de dépendance s’inscrit dans un contexte et suppose l’existence d’un lien (contractuel ou non) entre les deux parties. Par exemple, en dehors de tout lien contractuel, ces mêmes parties (cédant faible et acquéreur fort) pourraient se trouver dans cet état de dépendance du faible vis-à-vis du fort, si le cédant se trouve dans un contexte l’obligeant à céder ses titres rapidement (pour régler un impôt ou faire face à des dépenses inattendues pour une personne physique, ou éviter une situation d’insolvabilité pour une PME). Lorsqu’il existe des relations commerciales préexistantes entre deux opérateurs (par exemple, un distributeur se faisant racheter par son principal fournisseur), l’état de dépendance pourrait être facilement caractérisé sur la base de simples données économiques. L’état de dépendance est une condition nécessaire à la qualification de la violence, mais n’est pas une condition suffisante. Heureusement, le texte prévoit qu’il faudra en plus démontrer l’abus de cet état de dépendance, c’està-dire un comportement actif de l’auteur présumé de la violence. L’article 1143 nouveau du code civil détermine les critères de l’abus. En effet, la partie dépendante devra démontrer (i) qu’elle n’a contracté que parce que son cocontractant a usé d’une contrainte en abusant de l’état de dépendance et (ii) que celui-ci en a tiré un avantage manifestement excessif. Le contrôle de la proportionnalité se fera par les juges. Dans les opérations d’acquisition, les parties s’engagent dans des négociations afin de déterminer un juste équilibre entre le prix de cession des actions et la répartition des risques révélés soit par le cédant, soit à l’issue des opérations de due diligence menées par l’acquéreur. Ainsi, ces risques sont traités classiquement dans le prix lui-même, par le biais d’une garantie spécifique ou par le biais d’une garantie d’actif et de passif. La mesure de la proportionnalité dans ces opérations ne sera pas une charge facile pour le juge qui devra se montrer prudent dans l’appréciation de l’abus de l’état de dépendance. On pourrait imaginer que les parties à un contrat de cession pourraient faire une déclaration par laquelle elles confirment ne faire l’objet d’aucune dépendance économique l’une envers l’autre et que le contrat reflète leur entier accord qu’elles estiment équilibré. Cependant, il est fort probable qu’un juge diligent ne se contente pas de cette déclaration pour écarter la violence. Pour autant, une telle déclaration aurait le mérite de rendre la démonstration de la contrainte plus difficile. C’est donc une définition imprécise de la violence que nous apporte cette réforme, faisant porter un risque supplémentaire sur les opérations d’acquisition et qui sera peut-être précisée par les juges. Au vu de la jurisprudence et de sa double condition, la violence consacrée ne devrait cependant pas révolutionner la pratique de ces opérations. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 II. – Entre le signing et le closing : des MAC clauses plus ou moins efficaces ? Article 1195. « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » Cet article se trouve dans le chapitre IV « les effets du contrat », section 1 « les effets du contrat entre les parties », sous-section 1 « force obligatoire » du code civil modifié. Un principe constant dans la vie des affaires, depuis le célèbre arrêt de la Cour de cassation en date du 6 mars 1876 « Canal de Craponne »(4), était que les parties ne pouvaient invoquer l’imprévision pour échapper à leurs obligations contractuelles. Désormais, c’est le contraire qui est consacré dans le code civil. La première conséquence, à défaut de convention contraire, est de soumettre toutes les opérations d’acquisition conclues sous réserve de la réalisation de certaines conditions suspensives à une « MAC clause »» (material adverse change clause) ou clause d’imprévision. Ces MAC clauses, développées par la pratique, visent à permettre à l’acquéreur de se prémunir contre tout événement imprévisible qui interviendrait entre le signing et le closing et qui entraînerait un tel effet sur le prix qu’il deviendrait particulièrement difficile pour l’acquéreur d’exécuter le contrat. Si un tel événement imprévisible intervient, l’acquéreur peut se libérer du contrat de cession dans les conditions prévues au contrat. Le nouvel article 1195 du code civil généralise la possibilité pour le juge de réviser le contrat, que les parties aient prévu ou non une clause de révision, en cas de survenance d’un événement imprévisible. Un nouveau champ de liberté est donc offert à la plume des praticiens qui voudront être particulièrement vigilants dans la rédaction des clauses d’imprévision, afin de dépendre le moins possible de l’appréciation du juge. Quelles tendances verrons-nous émerger ? (4) Cass. civ., 6 mars 1876, D. 1876, I, 193, note Giboulot. Revue Lamy Droit des Affaires 45 Côté cédant. Face à l’imprécision du texte (l’article 1195 nouveau du code civil vise « un changement de circonstances imprévisible » qui rend « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie » et cette partie n’« avait pas accepté d’en assumer le risque » sans les définir clairement), les conseils voudront être particulièrement détaillés dans la rédaction de la MAC clause. Nous avons pu voir les dérives du recours à un tiers sur le terrain de la détermination du prix dans le cadre de la jurisprudence sur l’article 1843-4 ancien du code civil(5). Il est, par conséquent, conseillé que les parties excluent expressément le recours au juge visé à l’article 1195 nouveau du code civil, ce qui semble possible au regard du caractère supplétif de ce texte. Tout d’abord, ils pourront chercher à prévoir précisément les biens sur lesquels l’événement imprévisible peut jouer (par exemple, dans le cadre de la cession du capital d’une société dont le bien indispensable à l’exercice de son activité est une unité de production : la destruction de l’outil spécifique de production) ou encore la liste des contrats considérés comme importants pour le potentiel acquéreur (par exemple, les contrats avec les dix principaux clients et fournisseurs). En somme, mieux vaut une bonne résolution prévue contractuellement qu’une renégociation menée par le juge et dont l’issue peut échapper aux parties. Par ailleurs, ils devront chercher à quantifier l’effet que la survenance de l’événement imprévisible devra avoir sur le prix global des actions (par exemple, une influence de plus de dix pour cent sur le prix) toujours afin d’objectiver au maximum l’exécution excessivement onéreuse. En outre, les cédants pourront chercher à faire expressément accepter les risques par l’acquéreur, comme le permet l’article 1195 nouveau du code civil, afin de réduire au maximum les possibilités de révision du contrat de cession en cas d’imprévision. Côté acquéreur. Les conseils tenteront de conserver la rédaction la plus large possible de la notion d’événement imprévisible et ne pas définir de montant. Que ce soit du côté du cédant ou du côté de l’acquéreur, les conséquences de l’événement imprévisible devront être expressément limitées à la résolution pure et simple du contrat et ainsi écarter les mécanismes de sortie juridique du blocage prévus à l’article 1195 nouveau du code civil qui permettraient au juge de réviser le contrat sans pour autant y mettre fin. Sans cette précaution rédactionnelle, les parties pourraient se retrouver face à un transfert de propriété des actions à un prix qu’elles n’auraient pas librement négocié entre elles. En effet, à défaut de stipulation contractuelle précise définissant les risques acceptés par chacune des parties entre le signing et le closing, les parties devront tenter de renégocier le contrat (plus vraisemblablement le prix) et, en cas d’échec des négociations, une partie sera en droit de saisir un tribunal afin qu’il décide d’adapter le contrat à la nouvelle situation résultant de la survenance de l’événement. Ce recours potentiel au juge nous paraît risqué. Quels éléments seront concernés ? Vraisemblablement le prix, mais sur la base de quels critères ? De surcroît, s’il est demandé au juge de résoudre le contrat, la question pourra se poser de l’indemnisation éventuelle de la partie ayant réalisé des investissements importants dans l’opération envisagée. 46 À titre subsidiaire, l’impact de ce nouvel article 1195 du code civil sur les garanties de passif et d’actif nous semble limité. L’imprévision étant un événement surgissant entre le signing et le closing, l’acceptation des risques ne nous semble pas pouvoir ressortir des déclarations du cédant au signing, qui portent sur le passé, ni aux déclarations du cédant réitérées au closing, car cette réitération suppose que le closing ait eu lieu, sans application d’une MAC clause donc. Tout au plus, les garanties de passif pourraient avoir un rôle à jouer sur la mise en œuvre de cas d’imprévision lorsqu’elles contiennent des garanties spécifiques sur des risques déterminés et que ces risques sont acceptés par l’une ou l’autre des parties. III. – Entre le signing et le closing : de nouveaux remèdes à l’inexécution du contrat ? La réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016(6) a choisi une approche globale et ordonnée de l’inexécution des contrats en regroupant les différents remèdes à celle-ci. Cette nouvelle approche est cependant essentiellement une codification de la jurisprudence existante en la matière. Ainsi, face à l’inexécution d’un contrat, le créancier d’obligations dans un contrat de cession ne pourra plus simplement demander en théorie le paiement de dommages et intérêts, mais aura en principe le choix entre l’exécution en nature, la réduction de prix ou la résiliation unilatérale. (5) Not., Cass. com., 4 déc. 2007, n° 06-13.912, Bull. civ. IV, n° 258 ; infirmé par Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, Bull. civ. IV, n° 48, dit « Crocus Technology ». (6) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier important, tandis que l’intérêt pour l’acquéreur d’acquérir ne sera pas toujours aisé à démontrer. L’exécution en nature Article 1221. « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. » Par cet article, le code civil nouveau consacre l’exécution en nature des contrats synallagmatiques plutôt que de résoudre l’inexécution en l’allocation de dommages et intérêts. Le principe de la force obligatoire des contrats est ainsi réaffirmé et le refus d’accorder au débiteur de l’obligation le choix entre l’exécution du contrat ou une rétractation possible par le paiement des dommages intérêts est consacré. Quel impact cette nouveauté a-t-elle sur les opérations de fusions-acquisitions ? Dans les contrats de cession d’actions à exécution instantanée, la pratique veut que le cédant ait au moins reçu un ordre de virement irrévocable du prix de cession avant de remettre l’ordre de mouvement permettant d’inscrire la vente sur les registres de la société cible. Les risques d’inexécution de la cession sont ainsi limités. Dans les contrats de cession sous conditions suspensives, il est possible que le cédant refuse de remettre l’ordre de mouvement ou que l’acquéreur refuse de payer le prix des actions alors que les conditions suspensives sont levées, ou du moins sont levées selon l’avis d’une des parties mais par l’autre. Dans ce cas, les parties étaient déjà fondées à solliciter du juge la cession forcée des actions(7). Seuls deux cas échappent désormais à cette exécution en nature des contrats : (i) en cas d’impossibilité d’exécuter ou (ii) lorsque le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier sont manifestement disproportionnés. La première exception paraît naturelle, voire inévitable, et la seconde laisse au juge l’appréciation du caractère disproportionné. L’utilisation de cette seconde exception sera-t-elle généralisée dans les contrats de cession d’actions par la partie défaillante ? Elle nécessitera une analyse au cas par cas, mais il est possible que : • lorsque la partie défaillante est l’acquéreur, le coût représenté par le prix d’acquisition sera souvent important, tandis que l’intérêt pour le cédant de céder ne sera pas toujours aisé à démontrer (par exemple, lors d’opérations de LBO secondaires, sauf à ce que l’intérêt financier du fonds cédant soit admis) ; • lorsque la partie défaillante est le cédant, le coût représenté par la privation de sa participation pourra être (7) Cass. com., 10 juin 1976, n° 74-14.595, Bull. civ. IV n° 190 ; CA Paris, 3e ch., sect. A., 1er déc. 1992, n° 91-00.9033. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 L’intérêt de la portée générale du nouvel article 1221 du code civil se retrouve plutôt du côté des pactes d’actionnaires dont il permet de verrouiller l’exécution. Dans le cadre des pactes stipulant des promesses unilatérales de cession de titres et des clauses de sortie conjointe ou de sortie forcée, la sanction de principe pour l’inexécution de ces clauses devient le transfert des titres en faveur du cessionnaire. Ainsi, le refus d’exécution ne se traduirait plus nécessairement par l’octroi de dommages et intérêts payés par le débiteur de l’engagement de céder ou d’acquérir. La réduction du prix Article 1223. « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. » Cette disposition offre au créancier dans tout contrat (et non plus seulement dans certains contrats spécifiquement(8)) la possibilité d’accepter une exécution partielle du contrat en sollicitant une réduction du prix de façon unilatérale, sans passer par le juge. Auparavant, si le débiteur d’une obligation exécutait cette obligation partiellement, le créancier pouvait demander des dommages et intérêts par voie judiciaire, qui s’analysaient alors en une réduction du prix. Désormais, la partie ayant subi une exécution imparfaite du contrat peut décider de manière unilatérale d’en réduire le prix, proportionnellement à l’inexécution. On peut déjà imaginer les contentieux relatifs à la réduction de prix « à due proportion » dans les contrats qui n’attribuent pas un prix, directement ou par une formule, aux obligations stipulées. En effet, sauf le cas clair d’une inexécution consistant dans le défaut de livraison d’une quantité spécifique de produits pour un prix déterminé, il est possible d’imaginer que la réduction du prix pour inexécution dans un contrat de cession (par exemple, pour violation d’un engagement de non-concurrence stipulé dans un contrat de cession ou d’un engagement visant à renégocier un contrat (de bail, commercial, etc.) à l’issue de la réalisation de la cession) entraînera inévitablement un recours au juge. Cet article qui généralise un principe à l’ensemble des contrats semble plus adapté aux contrats à exécution successive qu’aux contrats de cession d’actions. Cette (8) Par exemple, en matière de vente, l’action estimatoire sanctionnant un vice caché (C. civ., art. 1644, nouveau) ou en droit de la consommation, la garantie légale de conformité (C. consom., art. L. 217-4 à L. 217-14 nouveaux). Revue Lamy Droit des Affaires 47 nouvelle disposition ne devrait donc pas avoir d’impact significatif sur les cessions d’actions. La résolution Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. » L’article 1224 nouveau du code civil consacre la résolution unilatérale du créancier, à ses risques et périls, par voie de notification, en cas de manquement suffisamment grave de son cocontractant ou d’une décision de justice. Cette solution représente une alternative intéressante à l’exécution forcée lorsqu’il n’est pas souhaitable de maintenir le lien contractuel. Ce mécanisme n’est cependant pas nouveau, puisqu’il existait déjà d’autres domaines comme par exemple dans le droit spécial de la vente aux articles 1610, 1654 et 1657(9) nouveaux du code civil et était admis par la jurisprudence depuis le bien connu arrêt « Tocqueville » rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1998(10). La nouveauté vient, d’une part, de ce que la clause résolutoire n’est plus une exception mais le principe alors qu’actuellement la résolution d’un contrat implique l’intervention d’un juge et, d’autre part, de ce que le législateur introduit la possibilité d’une résolution unilatérale. Dans les contrats de cession d’actions, les rédacteurs d’actes devront être particulièrement vigilants à la rédaction de la clause de résolution et préciser de manière détaillée les engagements qui entraîneront la résolution de la vente. Ces clauses sont d’ores et déjà pratiquées dans les contrats de cession, par exemple pour sanctionner la non-réalisation d’un engagement pris postérieurement à la réalisation de la cession. Il faut néanmoins être particulièrement attentif à la stipulation de telles clauses dans ce type de contrat, car le retour des titres au cédant peut avoir des conséquences importantes sur l’activité et l’emploi de la société cible. Comme avec l’article 1223 nouveau du code civil, par cet article 1224 nouveau, le législateur, en voulant éviter le recours systématique au juge n’a probablement fait que le repousser. Ces articles nouveaux viennent fragiliser la position de l’acquéreur dans les contrats d’acquisition. Il ne reste qu’à espérer que les tribunaux fassent une application raisonnable de ces textes ne remettant pas en cause l’équilibre économique des opérations. (9) C. civ., art. 1610 : « Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l’acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur ». C. civ., art. 1654 : « Si l’acheteur ne paye pas le prix, le vendeur peut demander la résolution de la vente ». C. civ., art. 1657 : « En matière de vente de denrées et effets mobiliers, la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation, au profit du vendeur, après l’expiration du terme convenu pour le retirement ». (10) Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21.485, Bull. civ. IV, n° 300. 48 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier RLDA 6003 Quelle incidence l’ordonnance du 10 février 2016 va-t-elle avoir sur les contrats portant sur des droits de propriété industrielle ? La valorisation des droits de propriété industrielle implique la contractualisation des rapports entre le titulaire du droit et les tiers. Le régime de la vente régi par le code civil s’applique notamment aux contrats de cession et le régime du louage d’ouvrages aux contrats de licence. S’il est vrai que la majorité des principes consacrés dans l’ordonnance du 10 février 2016 existaient déjà en jurisprudence, leur codification est de nature à influencer la pratique des juristes sur certains aspects relatifs aux contrats portant sur des droits de propriété industrielle. La réforme(1) codifie certaines bonnes pratiques au stade des négociations en consacrant la bonne foi et le devoir d’information précontractuel, en protégeant l’échange d’informations confidentielles, et, lors de la formation du contrat, en consacrant le principe de violence économique. S’agissant des contrats à exécution successive tels que les contrats de licence ou contrats de collaboration ou de recherche, il est important de relever les apports de la réforme quant à la clause résolutoire, la révision pour imprévision et la cession de contrats. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Associé Pinsent Masons emmanuel.gouge@ pinsentmasons.com Et Virginia DE FREITAS Avocat à la Cour Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. I. – Consécration de la bonne foi et du devoir d’information précontractuelle lors des négociations Les parties ne peuvent limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » Article 1112. « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ». (1) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Par Emmanuel GOUGÉ Le nouvel article 1112 du code civil portant sur la liberté de contracter et la rupture fautive des pourparlers, constitue une transposition de la jurisprudence développée au visa des articles 1134 et 1382 anciens du code civil. Ce texte prévoit, en effet, que les négociations, qui doivent se dérouler de bonne foi, sont libres, ce qui implique qu’une partie puisse librement entrer en pourparlers, les poursuivre mais également y mettre un terme. Revue Lamy Droit des Affaires 49 La liberté de ne pas contracter et de mettre fin aux pourparlers ne sera fautive qu’en cas d’abus dans l’exercice de cette liberté. Le texte précise que toute rupture fautive des pourparlers ne donnera pas lieu à une indemnisation de nature à compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. Tel était déjà la position adoptée par la Cour de cassation qui refuse d’indemniser la simple perte de chance de conclure le contrat(2). En conséquence, seul un préjudice direct et certain est donc susceptible d’être indemnisé. Ainsi, la pratique ne devrait pas être modifiée par cette codification de l’encadrement jurisprudentiel déjà existant autour de la liberté de conclure ou non un contrat, si ce n’est qu’une vigilance toute particulière devra être observée concernant les conditions de la rupture des pourparlers, en évitant tout comportement contraire aux exigences de bonne foi. Dans la lignée de l’obligation de bonne foi, l’article 1112-1 du code civil issu de la réforme prévoit l’obligation pour toute partie, lors des négociations, de communiquer à l’autre partie toute information déterminante pour le consentement de cette dernière, sans pouvoir limiter ou exclure cette obligation. La question se pose alors de déterminer quelles informations doivent être communiquées. Le texte prévoit qu’une information est déterminante lorsqu’elle a un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, tout en excluant expressément les informations portant sur la valeur de la prestation. Cette précision est la bienvenue, car elle évitera ainsi une éventuelle remise en cause de la jurisprudence Baldus désormais établie(3). Se pose toutefois toujours la question du type d’informations qui devraient être communiquées. Sans doute pourrait être considérée comme dolosive ou comme négligence constitutive de faute l’omission d’informations telles que l’appartenance du licencié ou cessionnaire à un groupe concurrent du titulaire du titre, la faiblesse du titre en raison de droits de tiers antérieurs, l’existence d’une contestation sur le titre(4), etc. En pratique, les parties devront faire preuve d’une bonne foi renforcée et, dès lors que l’information apparaît déterminante pour le consentement de l’autre partie, devancer les attentes du cocontractant. La charge de la preuve est également précisée dans le nouveau texte : « Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre (2) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. civ. IV, n° 186, JCP G 2004, I, n° 163, n° 18, obs. G. Viney. (3) Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11.381, Bull. civ. I, no 131, Contrats, conc., consom. 2000, comm. 140, note L. Leveneur ; Cass. 3e civ., 17 janv. 2007, n° 06-10.442, Bull. civ. III, n° 5, D. 2007, p. 1051, note D. Mazeaud, JCP N 2007, n° 1168, note Ch. Jamin. (4) TGI Paris, 22 mai 2015, n° 13/06265. 50 partie de prouver qu’elle l’a fournie ». Afin de se munir de preuves concernant les informations communiquées ou considérées comme déterminantes, il est à craindre que les parties multiplient les listes d’informations précontractuelles divulguées et celles considérées comme déterminantes, qui seront par la suite annexées au contrat, alourdissant ce faisant les négociations. Tout manquement à ce devoir d’information entraînera l’engagement de la responsabilité de la partie fautive, et sa condamnation à des dommages et intérêts ainsi que, possiblement, la nullité du contrat dans les conditions prévues aux articles relatifs à la nullité des contrats pour vice de consentement(5). II. – L’utilisation ou la divulgation d’informations confidentielles Article 1112-2. « Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun » En matière de propriété industrielle, le respect de la confidentialité des informations confidentielles échangées lors des négociations est particulièrement important afin d’éviter tout risque d’usurpation de sa technologie, en ce compris son brevet ou son savoir-faire, puisqu’il est fréquent de conclure des contrats de licence, de collaboration ou de recherche avec des concurrents d’un même domaine d’activité. L’ordonnance érige un principe de confidentialité. Ce principe n’est néanmoins pas nouveau en pratique puisque la jurisprudence considère depuis longtemps déjà que la reprise du savoir-faire divulgué lors des pourparlers caractérise une captation fautive et est constitutive de concurrence déloyale(6). De plus, les pourparlers donnent fréquemment lieu à des accords de confidentialité aux termes desquels la partie réceptrice s’engage à ne pas utiliser ou divulguer les informations confidentielles divulguées par l’autre partie pour les besoins de la négociation. Cependant, si cet article entraîne les mêmes conséquences qu’un accord de confidentialité, à savoir la non-utilisation des informations confidentielles par la partie réceptrice – même sans divulgation à des tiers – et la non-divulgation à des tiers d’une information identifiée comme confidentielle, la nature de la responsabilité diffère désormais. Lors d’un accord de confidentialité, si une partie ne respecte pas les termes de ce dernier, son cocontractant pourra engager sa responsabilité contractuelle. En revanche, le (5) C. civ., art 1130 et s. nouveau (6) Cass. com., 3 oct. 1978, n° 77-10.915, Bull. civ. IV, n° 208, D. 1980, jur., p. 55, note J. Schmidt-Szalewski. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier manquement à cette obligation fixée à l’article 1112-2 du code civil issu de la réforme conduira à une responsabilité extracontractuelle. Ainsi, en pratique, un devoir de confidentialité sur les informations considérées comme sensibles et communiquées durant la négociation pèse désormais sur la partie réceptrice de cette information, quand bien même aucun accord de confidentialité n’aurait été signé. De plus, des informations n’ayant pas été désignées comme étant particulièrement sensibles par une des parties, pourraient-elles être considérées comme telles par le juge ? L’application jurisprudentielle de cette nouvelle disposition donnera des réponses concrètes quant à ce qui peut, ou non, être considéré comme étant couvert par la confidentialité. Ce nouveau texte cherche à responsabiliser de plus en plus les parties qui entrent en négociations. La difficulté de l’application de ces outils reste toutefois la même : prouver le caractère confidentiel de cette information au moment de sa divulgation. Il est en effet souvent difficile de caractériser la faute(7). Il est donc conseillé de continuer à établir des accords de confidentialité permettant d’identifier clairement la nature confidentielle de l’information lors de sa divulgation, même si, bien entendu, la partie réceptrice pourra contester cette nature en démontrant par exemple son appartenance au domaine public. La consécration de ce principe s’inscrit d’ailleurs dans la démarche de protection des technologies internes à l’entreprise souhaitée par l’Union européenne à travers l’adoption de la Directive sur la protection des secrets d’affaires(8). Un licencié peut subir une violence économique en cas de contrat de licence portant sur un brevet nécessaire à l’exploitation d’une technologie relevant de l’activité du licencié, dans le cadre duquel le donneur de licence impose ses termes financiers. L’article 1143 du code civil issu de la réforme permettra de protéger le licencié dans une telle situation en lui ouvrant droit à un recours en nullité du contrat conclu sous contrainte. Toutefois, le bénéfice de cette disposition pourrait s’avérer limité, dès lors que la partie faible devra démontrer un abus de sa dépendance économique et le bénéfice d’un avantage manifestement excessif au profit du titulaire du droit. Un parallèle peut être fait entre cette tendance à protéger les parties en état de dépendance économique et l’obligation pour les titulaires de brevets essentiels à la mise en œuvre de normes de conclure des licences dans des conditions FRAND (fair, reasonable and non discriminatory). En effet, lorsque le titulaire d’un brevet essentiel a donné son accord pour la conclusion de telles licences, il doit négocier avec le potentiel licencié, partie faible au contrat, sans abuser de l’état de dépendance économique de ce dernier, mais au contraire en concédant une licence dans des conditions objectives et raisonnables pour tous les potentiels licenciés. IV. – La clause résolutoire III. – La violence économique Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » Si la jurisprudence a pu reconnaître la contrainte économique comme étant rattachée à la violence dans certains cas(9), aucune disposition du code civil ne faisait explicitement référence à « l’abus d’état de dépendance ». Avec la réforme, indépendamment de l’article L. 420-2 du code de commerce, la formation du contrat devra se faire dans le respect des positions économiques de chaque partie. Cette disposition pose alors la question de son ar- (7) TGI Paris, 30 mai 2014, n° 12/07606. (8) Dir. PE et Cons. UE 2016/943, 15 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. (9) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. I, n° 169, D. 2000, jur., p. 879, note J.-P. Chazal. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 ticulation avec les contrats d’adhésion qui, par essence même, prévoient qu’une partie imposera unilatéralement les termes d’un contrat à une autre partie, généralement en position d’infériorité. Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. » Article 1225. « La clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. » La résolution du contrat est organisée autour des trois modes déjà existants que sont la clause résolutoire, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire. Elle est présentée désormais comme un remède à une inexécution contractuelle. La clause résolutoire est automatique dès lors que les conditions contractuelles sont réunies et elle n’est pas soumise à une condition de gravité comme le sont la résolution judiciaire et la résolution unilatérale. En pratique, cela permet à une partie de se défaire de ses engagements facilement. Revue Lamy Droit des Affaires 51 La nouveauté de l’article 1225 du code civil issu de la réforme tient au fait que les parties devront désigner en amont les engagements dont la violation pourra donner lieu à résolution. Cet article sera probablement lu ensemble avec les articles 1112-1 sur la non-communication d’informations déterminantes(10) et 1112-2 sur l’atteinte à des informations confidentielles communiquées lors des négociations pour donner lieu à une résolution automatique. La résolution a fait l’objet d’une nouvelle définition au sein de l’article 1229 du code civil. Alors qu’auparavant elle désignait la disparition rétroactive du contrat, ses effets varient désormais. En effet, la résolution pourra maintenant prendre effet selon les cas, soit à la date prévue par les parties au contrat, soit à la date de réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, ou encore à la date fixée par le juge ou enfin à la date de l’assignation en justice. Les effets de la rétroactivité de la résolution, en particulier les restitutions, ont elles aussi été modifiées par l’article 1229. Il est en effet prévu que « lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie, dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation ». Un tel raisonnement est connu en propriété industrielle et avait été consacré par la Cour de cassation qui, de manière prétorienne, a jugé qu’en cas de nullité ou de résolution d’un contrat de licence d’un droit de propriété industrielle, par exemple pour cause de nullité dudit droit, les redevances perçues ne sont pas restituables malgré le caractère rétroactif de la nullité ou de la résolution(11). Cette solution s’explique par le fait que la jouissance paisible du titre ne disparaît pas rétroactivement et doit ainsi être compensée par le maintien des redevances antérieures. V. – La révision pour imprévision Article 1195. « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » (10) Bien que la sanction soit l’annulation du contrat en application de l’article 1112-1 du code civil issu de la réforme. (11) Cass. com., 28 janv. 2003, n° 00-12.149, Bull. civ. IV, n° 11. 52 Le nouvel article 1195 du code civil constitue une des mesures phares de la réforme en ce qu’il vient consacrer le droit, pour les parties, de renégocier le contrat, voire de le résoudre en cas de bouleversement des conditions financières. De telles clauses sont utilisées de manière régulière en Common law sous le nom de clause de hardship. La question de la révision du contrat pourra se poser dans les contrats de licence qui sont des contrats à exécution successive pour lesquels le montant de la redevance peut être forfaitaire ou faire référence à un chiffre d’affaires. Or, la marge sur la fabrication et commercialisation d’un produit mettant en œuvre un brevet sous licence peut fortement diminuer en raison d’une augmentation conséquente du prix des matières premières rendant onéreux le coût de la licence. En pratique, il est déjà fréquent d’anticiper de tels bouleversements en rédigeant des clauses d’imprévision. Cet article ne fait donc que consacrer une pratique déjà établie et donne aux parties une possibilité légale de sortir d’un contrat devenu difficilement exécutable. L’apport nouveau de cet article réside, en revanche, dans la possibilité qui est désormais offerte au juge de réviser ou bien de mettre fin à un contrat, dès lors qu’il lui semble qu’un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Auparavant, la jurisprudence se risquait tout au plus à admettre la caducité d’un contrat pour de telles raisons uniquement en se fondant sur le terrain de la disparition de la cause(12). La Cour de cassation était toutefois généralement réticente à constater la caducité d’un contrat au seul motif que la disparition de la cause résiderait dans une modification importante des circonstances économiques du contrat(13). Les parties peuvent donc désormais saisir le juge pour que celui-ci adapte le contrat à leur place. Une telle saisine du juge doit provenir d’une volonté commune des parties. À défaut d’accord « dans un délai raisonnable », une des parties peut saisir le juge, afin que celui-ci révise le contrat ou bien le résolve. Le législateur a ainsi tenu à donner à l’imprévision un rôle préventif. En effet, les parties souhaitant éviter une révision du contrat ou un anéantissement de celui-ci par le juge seront incitées à négocier entre elles. Dans tous les cas, de par sa rédaction, l’article 1195 du code civil est d’application supplétive. Ainsi, les parties pourront, au moment de la rédaction du contrat, prévoir de se soustraire à l’application de l’article 1195 précité et d’assumer le risque de ces changements imprévisibles. (12) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, D. 2010, p. 2481, note D. Mazeaud. (13) Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29.453, JCP G 2014, 1116, note J. Ghestin. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier VI. – La cession de contrat Article 1216. « Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé. Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte. La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. » Article 1216-1. « Si le cédé y a expressément consenti, la cession de contrat libère le cédant pour l’avenir. À défaut, et sauf clause contraire, le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat. » Les rédacteurs ont précisé, au sujet de la cession de contrat, qu’elle « n’est pas une simple adjonction d’une cession de dette et d’une cession de créance mais a pour objet de permettre le remplacement d’une des parties au contrat par un tiers »(14). La cession de contrat n’était jusqu’alors pas codifiée dans le code civil en tant que principe général mais faisait l’objet de quelques dispositions spécifiques pour certains contrats spéciaux. Elle sera située dans le livre III, titre III intitulé « des sources des obligations » dans un sous-titre I, chapitre IV « les effets du contrat ». Elle a volontairement été séparée de la cession de dettes et de la cession de créances qui sont considérées comme des modifications du rapport d’obligations. Si l’emplacement et la logique choisis pour les intitulés restent discutables, les dispositions sur la cession du contrat sont assez claires. Désormais, que le contrat soit ou non intuitu personae, il ne peut être cédé qu’avec l’accord du débiteur cédé. Par ailleurs, cet accord s’opère en deux temps puisqu’il suppose un accord sur le principe même de la cession dans le cadre du contrat entre le cédant et le cédé ou au jour de la cession envisagée, et un accord sur les effets libératoires de celle-ci. Aussi, l’un pourrait fonctionner sans l’autre. Actuellement, le caractère intuitu personae des contrats portant sur des droits de propriété industrielle rend leur cession peu fréquente et suppose systématiquement d’obtenir l’accord du débiteur cédé. La nouvelle codification n’aura dès lors pas de conséquence pratique importante en matière de propriété industrielle. Néanmoins, elle supposera de porter une attention particulière à la rédaction des clauses de cession afin de préciser si les effets seront libératoires pour le cédant. (14) Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 53 RLDA 6004 Les contrats technologiques à l’épreuve du nouveau code civil Formidable levier de croissance, les nouvelles technologies catalysent bien souvent la modification des normes juridiques. L’économie numérique et les innovations constantes conduisent nécessairement les législateurs à considérer la potentielle obsolescence des règles en vigueur, leur décalage avec la pratique. À de nombreuses reprises, la jurisprudence a pu prendre un pas d’avance et adapter le droit commun à la pratique commerciale ou même aux technologies. Ainsi, plusieurs nouvelles dispositions de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sont inspirées d’arrêts de la Cour de cassation rendus dans le contexte des contrats technologiques. Parmi l’ensemble des thèmes portés par cette réforme, les cinq suivants ont été choisis pour l’importance qu’ils présentent pour le domaine technologique. I. – L’information précontractuelle : l’article 1112-1 du code civil Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. (... ) Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » Corollaire de l’obligation de négocier de bonne foi, autre principe consacré par l’ordonnance à l’article 1112 du code civil, l’obligation d’information avait déjà été retenue par la jurisprudence, rendant la partie techniquement compétente débitrice d’une obligation d’information précontractuelle(1) pouvant être sanctionnée sur le terrain des vices du consentement et de la réticence dolosive(2). (1) Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-16.344, Bull. civ. I, n° 287, JCP G 1993, IV, p. 323. (2) Cass. 3e civ., 15 janv. 1971, n° 69-12.180, Bull. civ. III, n° 38, RTD civ. 1971, p. 839, obs. Y. Loussouarn. 54 Cependant, dans le cadre des contrats technologiques, la jurisprudence reconnaît bien volontiers une mue de cette obligation d’information en devoir de conseil et de mise en garde du client, obligation à dimension variable dont l’étendue est proportionnelle à la complexité du projet. En vertu de cette obligation de conseil, le prestataire technique doit plus qu’informer mais bien guider le client, afin de l’aider à déterminer la solution la plus appropriée à ses besoins, allant parfois même jusqu’à s’interroger sur l’opportunité du contrat(3). Cette obligation se retrouvait particulièrement renforcée dans le cas de contrats clefs en main, de contrats d’intégration ou de réalisation de logiciels spécifiques. Elle était toutefois limitée aux situations d’ignorance légitime du client, qui se traduisaient souvent par l’absence chez ce client de personnes disposant de connaissances techniques suffisantes, générales dans le domaine ou spécifiques au projet(4). Par Annabelle Fany Lalanne RICHARD Rédactrice en chef Associée Pinsent Masons annabelle.richard@ pinsentmasons.com Et Florent LALLEMANT Avocat à la Cour Cristallisant cette position prétorienne, l’ordonnance consacre le principe selon lequel celui des co-contractants qui « connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » se doit de fournir cette information. L’obligation d’information est cepen- (3) Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12.508. (4) Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-11.530 ; Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-13.002, Expertises 2013, p. 310-312, note J. Heslaut (AIF c/ IBM). Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier dant conditionnée soit à l’ignorance légitime par l’autre partie de cette information, soit au fait que cette dernière fasse confiance au co-contractant. Il convient de se demander si la référence à la confiance ne vient pas vider de sa substance la condition de l’ignorance légitime. En effet, le principe même des relations contractuelles réside dans la confiance accordée au cocontractant, matérialisée par la signature du contrat. Ainsi, cette condition alternative risque d’ouvrir la possibilité pour les parties de pouvoir systématiquement se prévaloir de l’article 1112-1 en faisant échec à la condition d’ignorance légitime. Dès lors qu’un contrat repose toujours sur une telle confiance, le client, qui par ses connaissances ou sa compétence ne peut ignorer légitimement l’information, pourrait néanmoins soulever un manquement à cette obligation, sous couvert de la confiance qu’il avait placée dans le prestataire. Dans les relations « B2B » dans le domaine des technologies, cet ajout crée en conséquence un risque de renforcement de l’obligation de conseil du prestataire technique, qui devrait donc systématiquement faire abstraction des connaissances du client professionnel et le traiter comme un client profane. Dans un premier temps, dans l’attente de l’appréciation de la notion de confiance par les tribunaux, il conviendra donc pour les prestataires techniques d’appliquer la plus grande prudence lors de la phase de négociation et de faire une présentation la plus exhaustive possible de l’adéquation de l’offre technologique aux besoins exprimés par le client, aux besoins raisonnablement anticipés, de l’adéquation à l’éventuel cadre réglementaire spécifique, etc. Une autre des nouveautés de cet article tient au caractère d’ordre public qui lui est conféré, matérialisé par l’impossibilité catégorique d’écarter ou de limiter ce devoir contractuellement. La conséquence directe sera l’impossibilité pour les prestataires de se reposer sur des clauses dans lesquelles le client atteste avoir été parfaitement informé et conseillé par le prestataire sur la solution la plus appropriée à ses besoins et avoir pu effectuer son choix en parfaite connaissance de cause. Ces clauses à l’efficacité d’ores et déjà incertaine mais néanmoins largement répandues dans les relations « B2B » devraient dorénavant se voir priver d’effet : quoique stipule le contrat, si l’information n’a pas été fournie, le client pourra toujours invoquer une violation de cet article. Toujours conformément à la jurisprudence, le nouvel article 1112-1 du code civil dispose que le non-respect de cette obligation d’information est sanctionné, outre par la responsabilité du débiteur de l’obligation, par la nullité du contrat au titre du dol (nouvel article 1137 du code civil) si la dissimulation de l’information est intentionnelle, pour tromper. Cette codification du devoir d’information du prestataire ne révolutionnera donc pas fondamentalement les négo- Nº 118 SEPTEMBRE 2016 ciations et les contrats liés aux technologies. Le respect du nouvel l’article 1112-1 du code civil ne nécessitera pas d’aménagements aux contrats, mais imposera, en revanche, aux parties une gestion très poussée de l’information du co-contractant pendant la phase précontractuelle. Le débiteur de l’obligation d’information devra par ailleurs s’assurer qu’une trace des informations communiquées est conservée à des fins probatoires. II. – Violence économique : l’article 1143 du code civil Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » Bien que non mentionnée dans le code civil, la jurisprudence avait déjà reconnu l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique comme constituant une violence viciant le consentement de la victime(5). L’ordonnance pousse ce principe encore plus loin, en ne limitant pas cette nouvelle forme de violence à l’abus de dépendance économique, mais en visant plus généralement l’abus de toute situation de dépendance. Et quel terreau plus fertile que le milieu des nouvelles technologies pour l’application de l’abus de dépendance ? L’informatique et les technologies s’étant immiscées au plus profond de la vie personnelle et professionnelle, les juges français seront donc rapidement amenés à aborder la question de la dépendance technologique en tant que vice du consentement. Bien que les contours de cette notion soient encore à définir, notamment la caractérisation de l’abus et la quantification de l’avantage manifestement excessif (formulation qui n’est pas sans rappeler l’article L. 442-6, I, 1° et 2° du code de commerce sur les avantages disproportionnés et le déséquilibre significatif), il est possible d’anticiper des situations dans lesquelles un co-contractant serait amené à réclamer la nullité pour violence par abus de dépendance technologique. À l’évidence, on pense en premier lieu aux cas où une société dispose d’un outil technologique (logiciel, application, etc.) qui est installé depuis longtemps dans ses systèmes et tellement intégré à son activité que toute transition vers un nouvel outil serait particulièrement coûteuse, chronophage et/ou hasardeuse. (5) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. I, n° 169, D. 2000, jur., p. 879, note J.-P. Chazal, Dr. & patr. 2000, n° 86, p. 100, obs. P. Chauvel ; Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12.932, Bull. civ. I, n° 108, RTD civ. 2002, p. 502, obs. J. Mestre et B. Fages. Revue Lamy Droit des Affaires 55 L’abus de dépendance technologique pourrait aussi trouver à s’appliquer dans le cas d’une technologie qu’un acteur détient en monopole ou quasi-monopole en raison de sa position dominante sur le marché. On peut citer, par exemple, la situation de dépendance dans laquelle sont actuellement les agences de voyage en ligne par rapport aux Global Distribution Systems (GDS), sociétés fournissant un système de réservation en temps réel faisant le lien entre les agences de voyage et les fournisseurs de prestations de tourisme. Le marché des GDS se réduisant à trois acteurs principaux, ces derniers se trouvent en position d’abuser de la dépendance technologique des agences de voyages en ligne et des autres acteurs du secteur. Toutefois, l’opportunité d’une procédure judiciaire sur le fondement de la violence resterait à prouver, puisque la nullité partielle ou totale du contrat qui en résulterait ne serait pas nécessairement la solution recherchée par une victime d’abus de dépendance technologique. Notamment, dans le cadre des contrats d’adhésion, la protection concurrente du déséquilibre significatif réputant non écrites les clauses causant le déséquilibre pourrait se montrer plus attractive (nouvel article 1171 du code civil). À défaut, l’existence de ce risque de nullité pourrait être utilisée comme levier par la partie technologiquement dépendante dans le cadre de la négociation d’accords commerciaux ou de leur renouvellement. III. – Imprévision : l’article 1195 du code civil Article 1195. « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » Autre évolution majeure de la réforme, l’ordonnance prévoit la révision des contrats dans le cadre de la théorie de l’imprévision. Cette théorie développée au cours du XXe siècle par le Conseil d’État permet au juge d’interpréter le contrat en équité lorsque l’économie de celui-ci se trouve bouleversée(6) par un élément extérieur aux parties(7). (6) CE, 4 mai 1988, n° 61130, SA Laurent Bouillet Entreprise c/ CHRU de Clermont-Ferrand, RDP 1988, p. 1432. (7) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Rec. CE 1916, p. 125 56 Les juridictions civiles ont à l’inverse refusé l’application de ce principe, considéré comme une violation de la force obligatoire des contrats selon l’article 1134 du code civil(8), reconnaissant seulement une obligation de renégocier de bonne foi lors de la survenance de telles circonstances imprévues impactant l’économie du contrat(9). Le nouvel article 1195 du code civil confirme l’obligation de renégociation, et y ajoute la possibilité à défaut d’accord de solliciter la révision ou résolution judiciaire du contrat. À ce titre, la théorie de l’imprévision retenue s’apparente à une clause de hardship inhérente au contrat, restreinte cependant à un champ plus limité que celui des clauses de hardship traditionnelles telles que définies par les principes UNIDROIT. En effet, l’article 6.2.2 des principes UNIDROIT vise à la fois comme conséquence de l’imprévision l’augmentation du coût d’exécution de l’obligation ou la diminution de la valeur de la prestation, là où le nouvel article 1195 sanctionne seulement l’exécution d’une obligation devenue excessivement onéreuse. Il conviendra donc d’adopter la plus grande prudence dans l’attente d’interprétations jurisprudentielles des circonstances qui seront qualifiées « d’imprévisibles » et du caractère « excessivement onéreux » de l’exécution de l’obligation. Ce manque de visibilité sur l’application du mécanisme légal relatif à l’imprévision obligera les parties à l’encadrer avec soin dans le contrat, afin de se prémunir autant que possible contre l’imprévu. Nul doute que le nouvel article 1195 du code civil aura un impact considérable sur les contrats technologiques, par exemple dans le cadre de services technologiques fournis à des entreprises de secteurs réglementés, comme les banques, pour permettre la mise en conformité réglementaire du client. En ce cas, une réforme en profondeur du cadre réglementaire pourrait constituer une circonstance imprévisible et pourrait nécessiter un investissement considérable du prestataire pour permettre la conformité avec la nouvelle réglementation, rendant l’exécution particulièrement onéreuse. L’imprévision pourrait aussi trouver à s’appliquer dans les contrats de maintenance et de TMA (Tierce maintenance applicative), spécialement lorsque la maintenance s’effectue sur un site à l’étranger, lorsque des raisons imprévisibles causent une augmentation drastique du coût de la maintenance. Par ailleurs, dans le cas de contrats au forfait, le dépassement du forfait pourrait être considéré comme prévisible puisqu’il s’agit d’un aléa nécessairement considéré par les parties. Pour autant, le dépassement du forfait pourrait avoir des causes imprévisibles, auquel cas l’imprévision serait alors applicable. (8) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne. (9) Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547, Bull. civ. IV, n° 338, RTD civ. 1993, p. 124, obs. J. Mestre. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier Autant de raisons pour lesquelles les parties devraient encadrer contractuellement l’imprévision. Tout d’abord, les parties devraient définir les situations permettant de mettre en œuvre le mécanisme de l’imprévision : est-ce que sa mise en œuvre n’est possible que dans les situations où l’exécution est devenue excessivement onéreuse, ou dans d’autres situations comme la perte de valeur de la prestation ? Les parties pourraient aussi définir un niveau, seuil, à partir duquel l’exécution est considérée comme trop onéreuse. Enfin, il peut être envisagé de pré-qualifier des circonstances que les parties considèrent comme prévisibles. IV. – Recours en cas d’inexécution : l’exécution forcée – articles 1221 et 1222 du code civil Article 1221. « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. » Article 1222. « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. La rare doctrine sur le sujet évoque seulement la possibilité d’un remplacement de la prestation, mais pas celle d’une exécution forcée(10). En l’absence de toute jurisprudence sur le sujet, il conviendrait d’opter pour la prudence et de considérer que l’exécution forcée est susceptible de s’appliquer. Par ailleurs, les prestations techniques ne font habituellement pas l’objet d’une impossibilité d’exécution en nature. Ainsi, l’exécution forcée a déjà pu être ordonnée pour des services de maintenance(11). L’exécution forcée est donc susceptible de s’appliquer à la plupart des services technologiques. Mais la réelle nouveauté de l’ordonnance au sujet de l’exécution forcée tient surtout à l’article 1222 du code civil : l’exécution de la prestation par le créancier aux dépens du débiteur n’est plus soumise à une autorisation judiciaire comme auparavant, sous l’ancien article 1144(12). Elle est maintenant susceptible d’être réalisée sur simple mise en demeure, si la prestation est réalisée dans un délai et à un coût raisonnables. Dans ce cas, le créancier avance les frais mais peut solliciter le remboursement par le débiteur. En ce qui concerne l’exécution forcée en nature, la jurisprudence antérieure tranchait avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil en vertu duquel l’inexécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire se résout par des dommages et intérêts. La réforme intègre au code civil cette évolution jurisprudentielle : l’exécution forcée en nature est une voie d’exécution explicitement disponible à tout créancier d’obligations inexécutées, sur simple mise en demeure restée infructueuse. L’ouverture d’une telle voie de justice privée sans contrôle judiciaire préalable s’annonce particulièrement problématique dans le domaine technologique. On peut prendre pour exemple l’obligation de maintenance d’un service de cloud ou SaaS, dont bénéficient plusieurs clients différents via un unique portail en ligne. Dans ce cadre, l’exécution forcée aux dépens du débiteur de l’obligation soulèverait plusieurs difficultés. Tout d’abord, cela pourrait conduire le client à vouloir faire intervenir un tiers, potentiellement concurrent du prestataire, dans les locaux du prestataire et sur la propriété intellectuelle du prestataire (le logiciel ou le site web). Ensuite, la réalisation d’une telle opération par un client sur une solution cloud ou SaaS risquerait d’impacter la fourniture du service par le prestataire à ses autres clients qui utilisent la même plateforme cloud ou SaaS. Le gouvernement a aussi fait le choix d’inclure la solution jurisprudentielle tenant à l’exclusion de l’exécution forcée lorsque celle-ci est impossible, et ajoute par ailleurs une autre exclusion dans les cas où il existerait une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Quant à savoir si les parties peuvent renoncer par anticipation à l’exécution forcée, la jurisprudence reconnaissait que l’ancien article 1184 du code civil, offrant la possibilité de poursuivre l’exécution forcée ou la résolution judiciaire, n’était pas d’ordre public et que les parties pouvaient renoncer à la résolution judiciaire ou à l’exécution forcée(13). Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. » Habituellement, l’impossibilité d’exécution en nature bénéficie d’un champ d’application très limité, et trouve à s’appliquer principalement à des obligations qui sont marquées par un fort intuitu personae, tels les contrats portant sur des commandes d’œuvres de l’esprit. Si l’exclusion de l’exécution forcée a déjà été appliquée à des contrats de commande de peinture, la jurisprudence et la doctrine sont peu loquaces sur le sujet de la commande de logiciel spécifique ou de site internet, pourtant Nº 118 SEPTEMBRE 2016 (10) A. Lebois, Les obligations de faire à caractère personnel, JCP G 2008, n° 47, doctr. 210 ; J. Viet, La fourniture de logiciels spécifiques relèvet-elle de l’obligation de faire?, Gaz. Pal. 1987, doctr. p. 7. (11) CA Nancy, 30 nov. 2004, JCP G 2005, IV, n° 1951 ; CA Dijon, 4 févr. 1999, JCP G 1999, II, n° 10100. (12) Cass. 3e civ., 11 janv. 2006, n° 04-20.142, Bull. civ. III, no 9, JCP N 2006, n° 24, 1219, note V. Zalewski. (13) Cass. 1re civ., 11 janv. 1967, DH 1932, p. 114, Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-26.203, Bull. civ. III, n° 178, JCP N 2012, n° 10, 1120, p. 36, Revue Lamy Droit des Affaires 57 Cette renonciation était considérée valable tant que la clause de renonciation était rédigée de manière claire, précise et non ambiguë(14). Étant donné que la réforme ne prévoit pas non plus que les articles 1217, 1221 et 1222 du code civil sont d’ordre public, il est possible d’envisager que les parties puissent renoncer par anticipation à l’exécution forcée. Ainsi, les parties devraient envisager dans les contrats la possibilité de l’exécution forcée en nature, qu’elle soit faite par le débiteur de l’obligation ou un tiers aux dépens du débiteur. Si le créancier de l’obligation n’y renonce pas, les parties devraient aussi déterminer pour quelles obligations l’exécution forcée est susceptible d’être sollicitée. V. – Interdépendance de contrats : l’article 1186 du code civil Article 1186. « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. » Autre transposition de la jurisprudence dans le code civil, le nouvel article 1186 s’attaque à la caducité dans les groupes de contrats. Ayant éliminé la cause du code civil, ancien fondement de cette caducité, la réforme consacre ainsi aux groupes de contrats une disposition à part entière. À ce titre, l’ordonnance adopte une appréciation objective de l’interdépendance des contrats, faisant écho aux arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation sur le sujet(15) : sont interdépendants les contrats conclus dans le but de réaliser une même opération. Dans le domaine des technologies, la question de l’interdépendance des contrats se pose fréquemment et les juges se sont bien souvent prononcés en sa faveur. Tel a été le cas d’un contrat de vente et installation de matériel informatique et d’un contrat de logiciel(16), d’un contrat d’intégration et d’un contrat de licence(17), ou encore d’un contrat de licence avec un contrat de maintenance, un contrat de formation et un contrat d’intégration(18). Ce nouvel article 1186 vise large, et sanctionne de caducité dans les groupes de contrats non seulement le contrat dont l’exécution est rendue impossible par la disparition d’un autre contrat, mais aussi ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. En conséquence, l’interdépendance n’est pas seulement possible dans les groupes de contrats entre les mêmes parties, mais bien aussi dans les groupes de contrats qui ne sont pas tous conclus entre les mêmes co-contractants, conformément à la solution jurisprudentielle(19). De plus, en dépit de l’existence d’une interdépendance entre plusieurs contrats, la caducité n’est pas toujours opposable même si la disparition de l’un rend impossible l’exécution de l’autre. Celle-ci ne peut être soulevée par une partie que si le contractant à qui on l’oppose avait connaissance de l’opération globale lors de la conclusion du contrat. Cette exception trouvera particulièrement à s’appliquer dans les groupes de contractants hétérogènes, situation récurrente dans le domaine technologique, notamment dans le cadre de prestations d’intégration de logiciel. L’application de la caducité aux groupes hétérogènes de contractants soulève aussi la question du sort des contrats de sous-traitance. Dans de nombreux cas, le sous-traitant a connaissance de l’opération globale à laquelle il participe et pourrait se voir opposer la caducité du fait de la disparition du contrat principal entre le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage. Cependant, si la disparition du contrat principal est causée par une défaillance du maître d’ouvrage, le sous-traitant subirait alors les conséquences de la mauvaise exécution par le maître d’ouvrage. À ce titre, s’il est incertain qu’une clause de divisibilité soit effective, les contrats de sous-traitance pourraient toujours prévoir une clause pénale pour indemniser le sous-traitant lorsque la caducité du contrat de sous-traitance est due à l’inexécution par le maître d’ouvrage du contrat principal. obs. S. Piedelièvre ; Cass. com., 7 mars 1984, n° 82-13.041, Bull. civ. IV, n° 93, JCP G 1985, II, n° 20407, note crit. Ph. Delebecque. (14) Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-26.203, Bull. civ. III, n° 178, RTD civ. 2012, p. 114, obs. B. Fages (pour une clause de renonciation à la résolution judiciaire). (17) Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-11.688. (15) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, Bull. civ. ch. mixte, n° 1, RLDI 2013/94, obs. L. Costes. (19) Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029, Bull. civ. IV, n° 115, D. 1996, jur., p. 141, note S. Piquet ; Cass. com., 26 mars 2013, n° 1211.688 ; Cass. com., 5 nov. 2013, n° 12-13.349, CCE 2013, n° 12, comm. n° 125, obs. G. Loiseau. (16) Cass. com., 8 janv. 1991, n° 89-15.439, Bull. civ. IV, n° 20, RJDA 1991, n° 373. 58 (18) Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17407, JCP G 2007, Actualités, p. 95, obs. M. Roussille. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier Pour faire échec à l’interdépendance, les parties avaient parfois recours à des clauses de divisibilité. Néanmoins, la consécration d’une appréciation objective de la situation d’interdépendance par le juge mènerait logiquement à l’impossibilité pour les parties d’exclure contractuellement l’interdépendance des contrats. La position de la jurisprudence antérieure allait aussi en ce sens, la chambre mixte concluant en 2013 que sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec l’interdépendance des contrats(20). Toutefois, bien que l’ordonnance prévoie explicitement que certaines dispositions sont d’ordre public (notamment le nouvel article 1112-1 du code civil), elle ne se positionne pas sur le sort de l’article 1186. On peut donc s’interroger sur la validité de telles clauses de divisibilité sous l’empire de la loi nouvelle. En conclusion, si l’indivisibilité d’un groupe de contrats est problématique pour une partie, celle-ci peut toujours tenter de l’exclure par une clause de divisibilité. Cependant, il est fort possible que la Cour de cassation reste sur sa position antérieure et que ces clauses soient réputées non écrites. Nonobstant la validité des clauses de divisibilité, les parties peuvent toujours encadrer contractuellement les conditions de la mise en œuvre de la caducité tels que les délais, les justifications à fournir, et éventuellement une clause pénale si la caducité est due au comportement d’une des parties. (20) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, Bull. civ. ch. mixte, n° 1. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 59 RLDA 6005 Les contrats de construction : ce qu’il faut retenir après la réforme du droit des obligations Le secteur de la construction, marqué par sa multiplicité d’intervenants et sa portée extraterritoriale, est largement fondé sur le droit des obligations. Ainsi la réforme du droit des contrats sera-t-elle susceptible d’influencer ce domaine, au sein duquel les contrats de forme standard (tels que les contrats FIDIC) laissent une place importante à la négociation entre les parties. L’industrie de la construction est un secteur d’activité important en France. Les caractéristiques particulières de cette industrie la distinguent des autres, notamment par le fait qu’elle nécessite la contribution de nombreux intervenants tels que architectes, ingénieurs, fournisseurs de matériaux, travailleurs et entrepreneurs, qui, ensemble, font équipe face à un maître d’ouvrage pour construire les infrastructures de la vie quotidienne. La complexité inhérente aux relations dans ce secteur est accrue par son internationalisation. Les contrats sont donc le noyau de l’infrastructure et de la construction en ce qu’ils forgent et aménagent les relations entre les différents acteurs d’un projet. En ce sens, l’industrie de la construction est susceptible d’être affectée par la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, opérée avec l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 en ce qui concerne tous les projets de construction en France, ou les contrats de construction que les parties ont choisi de soumettre au droit français. Ces développements se sont accompagnés d’initiatives d’institutions privées qui se sont employées à établir des contrats standards de construction, tels que les contrats rédigés par la Fédération Internationale des Ingénieurs-Conseils (FIDIC). Les contrats FIDIC sont des modèles de contrat qui font référence dans le domaine de la construction des grands projets internationaux. Ils définissent les droits et obligations qui lient le maître de l’ouvrage et l’entreprise de construction. Ces modèles de contrats sont très complets mais sont néanmoins sou- 60 vent aménagés par les parties et peuvent donc aussi simplement servir de base à un contrat ad hoc. Le fait que le contrat qui organise un projet soit un contrat FIDIC ne retire en rien l’importance de stipuler un droit qui gouverne la relation contractuelle. Dès lors, un contrat FIDIC peut très bien être soumis au droit français. En France, on ne parle pas de modèle de contrat standard mais de normes, avec les normes d’application volontaire AFNOR pour les marchés privés. Lorsqu’un contrat fait volontairement référence aux normes AFNOR, il les inclut en bloc et les accepte telles qu’elles sont édictées par l’institution. Par Peter Fany Lalanne ROSHER Rédactrice en chef Associé Pinsent Masons peter.rosher@ pinsentmasons.com Et Erwan ROBERT Avocat à la Cour Parmi les mesures qui auront le plus de répercussions dans le secteur du droit de la construction figurent la codification de le force majeure, l’imprévision, l’insertion de la violence économique et la généralisation de la réfaction du prix. I. – Le devoir d’information : l’article 1112-1 du code civil Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » L’obligation d’information découle de l’obligation de bonne foi. Elle a été développée par la jurisprudence et traduit l’exigence de confiance et de loyauté durant la phase précontractuelle. Elle se distingue donc de l’obligation de conseil qui s’impose tout au long de l’exécution du contrat. Elle participe en particulier au développement d’une notion de « professionnel » et de la mise à la charge du professionnel d’un devoir d’information à l’égard du profane. L’obligation d’information devient désormais un des principes directeurs du droit des contrats. Toutefois, la jurisprudence obligeait déjà, à travers la reconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information(1), les constructeurs, en tant que professionnels, à mettre en garde le maître de l’ouvrage des difficultés ou risques susceptibles d’être rencontrés dans l’exécution des travaux prévus au contrat. Cette obligation ne se limite pas au seul champ d’intervention des constructeurs. Du côté du maître de l’ouvrage, ce dernier était obligé de mettre à la disposition du constructeur professionnel toutes les informations essentielles qu’il avait en sa possession(2). La consécration de ce principe dans le nouveau code civil participe à la divulgation d’informations essentielles et donc au renforcement de la protection du consentement dans la conclusion des contrats. D’autant plus que ce devoir général d’information est d’ordre public. Toutefois, en pratique, l’impact de cette disposition reste très limité. D’une part, car il s’agit de l’organisation légale de créations de la pratique et de la jurisprudence, sans modification notable. Elle semble en effet se calquer sur la jurisprudence qui déterminait l’existence d’un devoir d’information selon l’accessibilité de l’information pour les parties. D’autre part, parce qu’elle est similaire au devoir d’information des vices du consentement, tel que le dol à l’actuel article 1116 du code civil. D’ailleurs, la définition et la portée de ce « nouveau » devoir d’information correspondent à celles du dol. En effet, le dol a déjà été retenu dans le cas du silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait amené à ne pas contracter(3) (cas de réticence dolosive). Par ailleurs, la sanction prévue renvoie directement aux sanctions applicables en matière de vice du consente- (1) Cass. com., 16 juill. 1982, n° 79-16.617, Bull. civ. IV, n° 276. (2) Cass. 3e civ., 16 juill. 1987, n° 86-11.273. (3) Cass. 3e civ., 6 juill. 2005, n° 01-03.590, Bull. civ. III, n° 152. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 ment. Cette disposition n’ajoute rien non plus aux textes spéciaux qui font peser une obligation d’information sur les professionnels et n’a pas non plus de portée didactique, puisqu’aucune référence à ces textes, même au niveau des sanctions applicables, n’est faite. Il est à noter ici aussi la généralisation de la bonne foi. Le principe de bonne foi est actuellement inscrit à l’article 1134 du code civil qui prévoit que les contrats doivent être exécutés de bonne foi. Néanmoins, la jurisprudence a étendu l’application de ce principe, au-delà de l’exécution même, à la phase précontractuelle. La jurisprudence s’est surtout fondée sur le principe de bonne foi au stade des négociations précontractuelles pour sanctionner une rupture abusive des négociations(4). La réforme consacre donc dans cet article une solution retenue depuis longtemps par la jurisprudence. Ainsi, la bonne foi s’est propagée à la période des pourparlers avec son cortège d’obligations. À ce stade, elle se manifeste de deux façons : le devoir de loyauté et le devoir de confidentialité. Son importance est réitérée par le nouvel article 1104 qui en fait une exigence d’ordre public. En revanche, son impact est limité puisque, on l’a vu, ceci est une consécration pure et simple de la jurisprudence en la matière. II. – La violence économique : l’article 1143 du code civil Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » La jurisprudence avait déjà admis qu’il pouvait y avoir violence viciant le consentement si le cocontractant exploitait de manière abusive une situation de dépendance économique menaçant directement les intérêts de la victime. La dépendance économique peut se définir comme étant l’impossibilité pour une partie contractante de disposer d’une solution alternative, techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre partie(5). La jurisprudence semble avoir caractérisé l’abus par un avantage excessif recueilli par le cocontractant qui a profité de l’état de dépendance de l’autre. Alors que la substance est la même que celle de la jurisprudence existante, on peut admettre que l’expression « état de dépendance » est suffisante. L’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) avait d’ailleurs émis des réserves (4) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243 et n° 00-10.949, JCP G 2004, I, n° 163, n° 18, obs. G. Viney (arrêt Manoukian). (5) Cass. com., 12 févr. 2013, n° 12-13.603, Bull. civ. IV, n° 23, RJDA 2013, n° 365. Revue Lamy Droit des Affaires 61 quant à l’utilisation de l’expression « état de nécessité », à forte connotation pénale(6). C’est ce qu’a retenu l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Par ailleurs, le projet ne prévoyait pas de référence à la notion « d’avantage excessif », ce que fait la rédaction finale de l’article. On pourrait croire que cela durcit l’application de l’article. Or, même si référence n’y était pas faite explicitement, il est fort probable que la jurisprudence, qui a elle-même introduit le vice de consentement de violence économique, aurait inclus la notion dans l’interprétation de l’abus exigé par l’article. L’intérêt pour les contrats de construction : la jurisprudence française a admis que la violence économique ne vaut pas que pour l’individu mais peut aussi avantager un opérateur commercial(7). Étant un contrat d’entreprise, il y a d’un côté un maître de l’ouvrage, ressource financière, de l’autre, un constructeur détenant les connaissances techniques nécessaires à la réalisation des travaux dans les conditions requises. Tous deux peuvent être soumis, ou soumettre leur cocontractant, à de la violence économique. III. – La théorie de l’imprévision : l’article 1195 du code civil Article 1195. « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » L’imprévision est la théorie selon laquelle la survenance d’un évènement imprévisible lors de la conclusion du contrat, qui entraîne des difficultés pour une partie dans l’exécution de ses obligations, ouvre le droit, premièrement à la renégociation des termes du contrat, et ensuite à sa résiliation en cas d’échec de la renégociation. Longtemps rejetée par les juridictions judiciaires(8) mais consacrée par les juridictions administratives(9), l’introduction (6) Note de l’AFJE après examen du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations publié le 17 février 2015 (article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures), p. 6. de la théorie de l’imprévision dans le code civil est sans doute la plus intéressante au regard des contrats de construction. L’AFJE avait émis beaucoup de réserves quant à l’introduction de cet article et avait notamment demandé que ce dernier ne soit pas considéré d’ordre public, les parties pouvant donc y déroger par des clauses contractuelles spécifiquement prévues pour les changements de circonstances importants(10). Comme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un caractère supplétif et les parties pourront convenir des circonstances qui bouleversent l’économie du contrat par le biais d’une clause de hardship. L’apport de cet article est donc que la théorie de l’imprévision pourra trouver à s’appliquer même lorsque les parties négligentes auront omis d’inclure dans leur contrat une clause de hardship. Toutefois, l’impact de ce nouvel article sur les contrats de construction doit être atténué. La théorie de l’imprévision est loin d’être inconnue de l’industrie française de la construction, ses contrats, ou des juridictions judiciaires. Dans un premier temps, des décisions de juridictions civiles avaient fait un pas vers la reconnaissance de l’imprévision, par le biais de la bonne foi notamment, mais aussi par le fait que les parties pouvaient déjà prévoir une clause sur l’imprévision dans leur contrat. Mais les principes de la Chambre Commerciale Internationale, les principes UNIDROIT et les Principes Européens des Contrats prévoyaient déjà qu’une partie qui fait état de circonstances imprévisibles rendant l’exécution du contrat plus lourde pour elle, peut faire la demande d’une renégociation des termes du contrat, et, lorsque les négociations échouent, demander la résolution du contrat ou sa modification dans des termes équitables(11). Ces principes, en particulier les principes UNIDROIT, ont été très bien reçus dans le secteur de la construction par la manière dont ils distribuent le risque de la transaction entre les parties aux opérations commerciales, et ont gagné en importance, surtout dans des contrats à long terme. De plus, son impact est d’autant plus réduit que l’article 1195 n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent donc introduire une clause qui exclut le jeu de la théorie de l’imprévision, ou encore qui aménage l’imprévision. Toutefois, il est vrai que les parties n’ont peut-être pas le réflexe d’organiser l’imprévision dans leur contrat, auquel cas l’article 1195, de caractère général, s’appliquera de manière supplétive au contrat. Dans ce cadre, la disposition semble être introduite surtout afin d’inciter les parties à la renégociation et, par-là, au maintien de leurs relations commerciales qui, dans le secteur de la construction, s’étendent dans la durée. Dans ces contrats de construction, la résiliation n’est souvent pas opportune pour l’une ou l’autre partie dans la perspective de l’achèvement du projet, au regard de la perte de temps et d’argent et de la réputation des entrepreneurs dans le secteur. En revanche, l’article n’ex- (7) Voir par exemple, Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 14-10.920. 62 (8) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne. (10) Note AFJE, op. cit., p. 3. (9) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Rec. CE 1916, p. 125. (11) Clause de force majeure ICC 2003 ; Article 6.2.3 des Principes UNIDROIT ; Article 6 :111 des Principes Européens des Contrats. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier plique pas ce qui constitue une circonstance imprévisible, si ce n’est que la disposition circonscrit le changement de circonstances au seul coût de la prestation, ce qui exclut le cas où la contre prestation qu’un cocontractant reçoit perd de la valeur en cours d’exécution. En tout état de cause, les juridictions judiciaires devront donc surtout se tourner vers la définition qu’en ont donnée les juridictions administratives. Si tel est le cas, il semblerait qu’une circonstance imprévisible sera surtout retenue lorsqu’il s’agit d’une augmentation imprévisible et drastique du prix des matières premières(12). Toutefois, il n’est pas certain que la fluctuation des prix des marchés soit retenue comme une circonstance imprévisible. C’est notamment la position des tribunaux arbitraux constitués sous l’égide de la CCI et qui estiment que les parties se sont accordées pour porter à leur charge les risques inhérents de leur marché respectif(13). Les modèles de contrats FIDIC ne prévoient pas de clause d’imprévision à proprement parler. En revanche, la clause 13.8 des « Conditions générales des contrats FIDIC » précise la possibilité d’inclure dans un contrat qui se base sur le modèle FIDIC une clause d’ajustement des coûts lorsque ces derniers s’avèrent être trop bas ou trop élevés, du fait de la main d’œuvre, des marchandises et autres facteurs de production relatifs aux travaux, par l’addition ou la déduction constatées par une formule prescrite dans la clause. La clause permet donc de revoir le prix de la prestation mais n’impose pas, contrairement au texte de la réforme, une obligation de renégociation du contrat et la possibilité d’une résiliation en cas d’échec de celle-ci. Qui plus est, les circonstances qui donnent droit à un ajustement des coûts ne sont pas soumises à une condition d’imprévisibilité puisque ces dernières sont expressément prévues au contrat et semblent être plus larges que ce que permet actuellement la jurisprudence française des juridictions administratives(14). En outre, la clause s’applique à la hausse ainsi qu’à la baisse des prix ; elle est donc stipulée à la faveur des deux parties et non pas au seul bénéfice de l’entrepreneur. C’est en cela qu’elle se rapproche également de la nouvelle disposition de l’article 1223 du code civil concernant la généralisation de la réfaction du prix, exposée ci-dessous. Nous verrons toutefois que la mise en œuvre de ces dispositions est très différente, l’ajustement des coûts des contrats FIDIC étant opéré à travers une modification contractuelle. (12) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie Générale d’éclairage de Bordeaux, précité ; Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547 ; Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369. (13) ICC awards n° 8486 and n° 1996. (14) La révision de contrats administratifs bouleversés par des circonstances imprévues a été admise en raison de la nécessité d’assurer la continuité du service public (CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, précité), et en cas de modification définitive de la situation (CE, 9 déc. 1932, n° 89655, Compagnie de Tramways de Cherbourg). Nº 118 SEPTEMBRE 2016 IV. – La réfaction du prix : l’article 1223 du code civil Article 1223. « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. » La réfaction du prix est un terme qui désigne une diminution, proportionnelle et unilatérale, du prix par le créancier de l’obligation principale, par rapport à ce qui a été convenu au contrat en cas d’exécution imparfaite par le débiteur de l’obligation. Actuellement absente du droit commun des obligations, la réfaction du prix est un mécanisme connu du droit français des contrats spéciaux. En introduisant cet article, le législateur propose de généraliser une sanction connue du droit civil : la réduction du prix par le biais de l’action estimatoire, inspirée des projets d’harmonisation européens. En effet, si actuellement le code civil ne prévoit pas de façon générale la possibilité pour le créancier d’accepter une exécution non conforme par le débiteur en contrepartie d’une réduction proportionnelle du prix, cette possibilité existe en droit positif à titre spécial. L’action estimatoire est prévue à l’article 1644 du code civil en matière de garantie des vices cachés et aux articles 1617 et 1619 en matière immobilière. Le nouvel article 1223 introduit un principe souvent rejeté par la jurisprudence, réticente à une intervention trop importante du juge dans les relations contractuelles. Cette disposition permettra au créancier d’une obligation émanant d’un quelconque contrat et imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction, et, à la différence des textes spéciaux, sans devoir saisir le juge en diminution du prix. Cette disposition se distingue donc aussi de l’article 1231 du code civil qui exige l’intervention du juge en cas d’exécution partielle du contrat. Le créancier devra préalablement avoir mis en demeure le débiteur d’exécuter parfaitement son obligation, il devra ensuite notifier à son débiteur, dans les meilleurs délais, sa décision de réduire le prix, s’il n’a pas encore payé. S’il a déjà payé le prix, il demandera le remboursement au débiteur à hauteur de la réduction de prix opposée. Cette réduction doit être proportionnelle à la gravité de l’inexécution. Il s’agit donc d’une sanction à mi-chemin entre l’exception d’inexécution et la résolution du contrat. Puisque ce principe deviendra d’application générale, il n’y a théoriquement aucune raison que les acteurs du secteur de la construction ne puissent pas s’en prévaloir ou qu’ils ne s’en prévalent pas. Dans ce cadre, il devra s’articuler avec les dispositions légales et contractuelles qui ont pour objet de déterminer la réception des travaux. Revue Lamy Droit des Affaires 63 V. – La force majeure : l’article 1218 du code civil Article 1218. « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. » La force majeure est la circonstance exceptionnelle, étrangère à la personne de celui qui l’éprouve et irrésistible pour elle, qui a pour résultat de l’empêcher d’exécuter les prestations qu’il doit à son cocontractant. La survenance d’un évènement de force majeure est une cause d’exonération de responsabilité qui est devenue un principe général du droit français applicable au domaine de la responsabilité contractuelle et délictuelle. Bien connue du droit français des contrats, elle n’avait pour autant jamais été introduite en toutes lettres dans le code civil. La réforme introduit donc la force majeure tout en excluant la condition d’extériorité, pour la remplacer avec un évènement qui « échappe au contrôle » du débiteur. La force majeure étant une cause étrangère, elle doit être extérieure, suivant le cas, soit à l’agent, soit à la chose dont il est le gardien, soit aux personnes par l’intermédiaire desquelles il exécute son obligation ou exerce la garde. Parce qu’il n’existe pas en jurisprudence d’appréciation homogène de l’extériorité de l’évènement, on estime aujourd’hui fréquemment que ce critère n’est plus véritablement une condition de la force majeure. L’article 1218 met donc fin à une incertitude jurisprudentielle. 64 majeure un évènement interne à l’agent mais extérieur à sa volonté, elle permet également de comprendre pourquoi la jurisprudence refuse parfois de considérer comme une force majeure un évènement qui n’est pas extérieur à l’activité du débiteur : lorsqu’il est directement lié à cette activité, l’évènement n’est pas étranger au débiteur(16). L’évènement devra donc échapper à la sphère de contrôle du débiteur, être imprévisible au moment de la conclusion du contrat et irrésistible au moment de sa survenance. Il en découle plus de certitude quant à ce qui pourra constituer un évènement de force majeure puisque l’extériorité n’est plus mentionnée comme condition mais explicitée par la nouvelle disposition. Il sera plus facile pour un entrepreneur de rapporter la preuve de l’existence d’un évènement de force majeure, même lorsqu’elle émane des travaux en cours de construction, puisque c’est l’interprétation plus souple des juges qui a été retenue. L’article opère également une distinction selon que l’empêchement d’exécuter a un caractère temporaire ou définitif. Lorsqu’il est temporaire la force majeure permet de suspendre temporairement les obligations du débiteur, alors que l’empêchement définitif commande la résolution du contrat. Il conviendra à l’avenir de se tourner vers l’exigence selon laquelle l’évènement doit échapper au contrôle du débiteur. Il semblerait que c’est la définition moderne qui a prévalu dans la rédaction du nouvel article. En effet, c’est celle qui considère, par exemple, que la maladie constitue une cause étrangère, quand bien même elle ne serait pas extérieure au débiteur(15). La jurisprudence relative à la maladie du débiteur confirme ainsi l’idée suivant laquelle l’extériorité n’est plus aujourd’hui un critère pertinent en matière contractuelle et qu’il importe plutôt de vérifier que l’évènement invoqué n’est pas imputable au débiteur. Si l’exigence d’imputabilité de l’évènement explique que l’on puisse qualifier de force En droit international, la possibilité d’invoquer la force majeure comme cause d’exonération est définie par la loi du contrat. Dans le secteur des grands projets d’infrastructure, les modèles de contrats FIDIC prévoient dans une clause 19.1 des « Conditions de contrat FIDIC » que la force majeure « désigne un évènement ou une circonstance exceptionnelle (a) qui échappe au contrôle d’une des parties (b) que cette partie n’a pas pu raisonnablement prévoir avant de conclure le Contrat (c) qui, étant survenue, n’aurait raisonnablement pas pu être évitée ou surmontée par cette partie (d) qui n’est pas substantiellement imputable à l’autre partie ». La suite de la clause prévoit une liste non exhaustive d’évènements pouvant constituer une force majeure. Il convient donc dans les contrats de construction de prévoir de manière plus précise les évènements déclencheurs, afin qu’aucun domaine particulier au contrat en cause n’y échappe. C’est une solution à mi-chemin entre le droit civil et le droit de Common law. Si la force majeure n’a pas besoin d’être reprise dans une clause pour être applicables aux relations contractuelles en droit civil, ceci n’est pas le cas en Common law. Toutefois, la définition large qu’en font les contrats FIDIC la rapproche du droit civil. (15) Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 04-18.902, Bull. civ. ass. plén., n° 5 et n° 6, Bull. inf. C. cass. n° 643, rapp. B. Petit et avis R. de Gouttes, D. 2006, p. 1933, obs. Ph. Brun. (16) Cass. com., 30 mai 2012, n° 10-17.803. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier RLDA 6006 Réforme du droit des contrats et contrat de consortium : un rendez-vous manqué ? L’ordonnance du 10 février 2016, qui réforme le droit des contrats et des obligations, ne fait aucune mention expresse au contrat de consortium. Pour autant, ce dernier n’est pas « oublié ». Quelles sont les dispositions de la réforme qui pourraient le plus impacter les contrats de consortium ? Bref état des lieux. Le contrat de consortium, aussi connu comme accord consortial ou contrat de groupement momentané d’entreprises (GME), est l’une des catégories fourre-tout les plus commodes de la vie des affaires. Particulièrement employé dans les secteurs des infrastructures et de l’énergie, il permet à ses membres de se grouper en vue de remporter et exécuter des contrats que ceux-ci ne peuvent pas ou ne souhaitent pas réaliser seuls. Les raisons du recours au consortium sont diverses : capacité technique ou surface financière insuffisante, absence de représentation locale, exigences spécifiques de l’appel d’offres ou souhait de limiter son exposition sur un projet, une contrepartie ou un pays. Les prestations couvertes également : contrat d’entreprise pour la réalisation de travaux, prestations de services, fournitures ou – le plus souvent – un mélange des trois. La contrepartie peut être publique ou privée. Les appellations données au contrat rappellent qu’il peut viser différents stades du projet : avant la remise d’une offre seulement (pre-bid agreement) ou également après, pour définir les règles du jeu entre ses membres de manière simple (teaming agreement) ou plus détaillée (consortium agreement). Dans ses versions les plus sophistiquées, le consortium se rapproche de la société en prévoyant une mise en commun des moyens, et un partage des risques et profits entre ses membres, mais sans jamais impliquer la constitution d’une personne morale indépendante (unincorporated joint venture ou société en participation). Nº 118 SEPTEMBRE 2016 En cela, par-delà la diversité des appellations, des contextes dans lesquels on le trouve et de ses clauses, le contrat de consortium demeure une création purement contractuelle. Non-immatriculé et le plus souvent occulte (vis-à-vis des tiers, voire du client), sans personnalité morale et sans forme sociale, il repose exclusivement sur le droit des obligations. Seul un projet de loi, déposé devant le Parlement en 1976 et rapidement abandonné, a eu pour ambition de donner au groupement momentané d’entreprises un réel statut juridique(1). Par Stéphane GASNE Associé Pinsent Masons stephane.gasne@ pinsentmasons.com Et Cyrielle BARBIER Avocat à la Cour La singularité d’un tel contrat a été rappelée à plusieurs occasions par la doctrine, et certains auteurs sont favorables à la création d’une catégorie de contrats spéciaux(2). Moins ambitieuse, la nouvelle réforme du droit des contrats(3) ne fait aucune mention expresse au contrat de consortium, mais ses dispositions phares et certaines dispositions relatives à la solidarité passive pourraient impacter certains des principaux sujets qui y sont généralement traités. (1) Projet de la loi AN, n° 2432, 2e session ordinaire, 1975-1976, relative au groupement momentané d’entreprises. (2) C.-H. Chenut, Le contrat de consortium, LGDJ, 2003, p. 18. (3) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Revue Lamy Droit des Affaires 65 Sur ce point, la France se rapproche de certains systèmes européens qui ont déjà étendu l’exigence de bonne foi à la phase précontractuelle(4). En outre, l’article 1112 du code civil vient consacrer un principe jurisprudentiel, qui est celui de la seule indemnisation des pertes subies, en cas de faute lors des pourparlers(5). Les frais engagés par les partenaires, par exemple pour la remise d’une offre, pourraient être couverts ; pas le bénéfice attendu de l’exécution du contrat. Schéma classique d’un consortium I. – Principe de bonne foi et devoir d’information Article 1104. « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. » Article 1112. « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. » Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » Le contrat de consortium est soumis au droit commun des obligations, et donc aux obligations de bonne foi et ses corollaires qui s’imposent dans les rapports individuels entre les membres. Les articles 1104 et 1112 du code civil précisent que cette obligation de bonne foi s’impose aux parties dès les négociations précontractuelles. Dans le cadre d’un consortium, cela signifie que les futurs membres ont l’obligation de fournir les informations nécessaires pour que chacun d’entre eux puisse bâtir sa partie de l’offre globale, de collaborer activement à la constitution de cette offre et de ne pas se retirer abruptement et sans raison valable. 66 Enfin, la réforme vient également consolider un devoir de collaboration et d’information. Le devoir d’information s’impose en particulier au mandataire, qui communique directement avec le client pour le compte des autres membres du consortium et doit leur rendre compte, mais il s’étend également aux autres membres dans la poursuite de l’exécution des prestations au jour le jour. Le degré d’implication de chacun dans un projet complexe doit faire l’objet d’un suivi quotidien et d’une communication régulière entre les membres, en toute transparence. II. – Violence économique Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » L’ajout de la violence par abus de dépendance aux traditionnels vices du consentement (erreur, dol et violence) ne produira pas nécessairement, à notre sens, de changement notable sur les obligations qui s’imposaient déjà aux membres d’un consortium. La rédaction de l’article 1143 est large et imprécise. La définition de la violence désigne en effet un état de dépendance général, susceptible de viser une dépendance économique, technologique ou encore financière. Aucune précision n’est non plus donnée quant à la personne envers qui cette dépendance s’établit. Son application dans les relations entre membres du consortium est en tout état de cause moins probable que dans les relations entre consortium et client. (4) C. civ. italien, art. 1337 ; C. civ. portugais, art 227. (5) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. civ. IV, n° 186, JCP G 2004, I, n° 163, spéc. n° 18, obs. G. Viney, RTD civ. 2004, p. 80, obs. J. Mestre et B. Fages ; V. Le Lamy Droit du contrat, n° 117-48. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier III. – Théorie de l’imprévision Article 1195. « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » La survenue d’évènements imprévisibles au cours de l’exécution du contrat est un risque contre lequel les membres d’un consortium n’étaient pas nécessairement prémunis dans la mesure où, depuis de nombreuses années, la Cour de cassation a systématiquement refusé de reconnaître l’imprévision lorsque l’économie d’un contrat était bouleversée(6). Tel n’est plus le cas. La réforme reconnaît désormais expressément la théorie de l’imprévision, à l’article 1195 du code civil. Une telle reconnaissance est la bienvenue. En effet, la vie d’un contrat de consortium est sujette à la survenue de tels évènements, particulièrement difficiles à gérer en raison du caractère multilatéral du contrat et des intérêts parfois divergents des membres du consortium. Dans la mesure où les contrats de groupement s’adossent à des contrats de travaux, services et fournitures souvent complexes, l’application de la théorie de l’imprévision aux rapports entre les membres du consortium par ricochet est tout à fait envisageable. Dans l’hypothèse où, par exemple, les nouvelles circonstances rendent l’exécution excessivement onéreuse pour le consortium, il semblerait naturel qu’en découle un droit pour le mandataire solidaire de demander à ses partenaires la renégociation du contrat de consortium, en particulier afin que des garanties révisées pour tenir compte des nouvelles circonstances lui soient fournies par eux. Il convient de noter que les partenaires auront la possibilité de déroger au deuxième alinéa de l’article 1195 précité prévoyant la résolution du contrat, qui n’est pas d’ordre public. Ces derniers pourront donc rédiger des clauses aménageant les conséquences d’un refus ou échec de la renégociation sans recourir à l’intervention du juge (par exemple en introduisant une clause de règlement amiable, ou le recours à un expert ou à un arbitre). Dès l’entrée en vigueur de la réforme, les membres d’un consortium auront tout intérêt à rédiger des clauses de (6) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 hardship très précises dans leur contrat. En effet, la mise en œuvre et les effets de la théorie de l’imprévision en droit civil sont encore méconnus, à la différence de ce qui existe déjà en droit administratif. La jurisprudence devra ainsi préciser ce que couvre l’expression « changement de circonstances imprévisible », mais également si l’acceptation des risques peut être tacite. IV. – Clause résolutoire Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. » Article 1225. « La clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. » La clause résolutoire, toujours implicite dans les contrats synallagmatiques(7), est désormais expressément visée comme mode de résolution du contrat, aux côtés de la résolution unilatérale pour faute grave et de la résolution judiciaire. Pour sa mise en œuvre, les parties devront prévoir les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. Le nouvel article 1225 du code civil aura vraisemblablement un impact limité dans la mesure où, en pratique, les membres d’un contrat de consortium prévoient déjà souvent les circonstances qui permettent d’y mettre fin. Les modalités d’application des nouvelles dispositions devront en outre être précisées par le juge. La résolution peut résulter d’une simple notification lorsque l’inexécution est « suffisamment grave », nous dit le code civil, mais la notion doit encore être définie en jurisprudence. V. – La responsabilité, conjointe ou solidaire, des membres du consortium Art. 1309. « L’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux. La division a lieu également entre leurs successeurs, l’obligation fût-elle solidaire. Si elle n’est pas réglée autrement par la loi ou par le contrat, la division a lieu par parts égales. Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune ; chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune. (7) C. civ., art. 1184. Revue Lamy Droit des Affaires 67 Il n’en va autrement, dans les rapports entre les créanciers et les débiteurs, que si l’obligation est solidaire ou si la prestation due est indivisible. » Article 1310. « La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. » Article 1317. « Entre eux, les codébiteurs solidaires ne contribuent à la dette que chacun pour sa part. Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d’un recours contre les autres à proportion de leur propre part. Si l’un d’eux est insolvable, sa part se répartit, par contribution, entre les codébiteurs solvables, y compris celui qui a fait le paiement et celui qui a bénéficié d’une remise de solidarité. » Article 1318. « Si la dette procède d’une affaire qui ne concerne que l’un des codébiteurs solidaires, celui-ci est seul tenu de la dette à l’égard des autres. S’il l’a payée, il ne dispose d’aucun recours contre ses codébiteurs. Si ceux-ci l’ont payée, ils disposent d’un recours contre lui. » Article 1319. « Les codébiteurs solidaires répondent solidairement de l’inexécution de l’obligation. La charge en incombe à titre définitif à ceux auxquels l’inexécution est imputable. » Les dispositions actuellement applicables en matière de solidarité n’ont pas été modifiées depuis la promulgation du code civil : les articles 1200 à 1216 datent de 1804. La réforme reprend pour l’essentiel le contenu de ces articles, mais supprime certaines dispositions peu en phase avec la pratique actuelle (articles se référant implicitement au gage, à l’impact des règles de succession et à des modalités spécifiques de calcul des intérêts, notamment) et ajoute des confirmations et précisions bienvenues sur la solidarité passive : répartition par parts égales, recours subrogatoire contre les autres débiteurs pour ce qui excède la part propre, débiteurs insolvables exclus de la division et responsabilité in fine portée par le codébiteur fautif. Ces nouvelles dispositions auront vocation à s’appliquer à la relation entre les membres du consortium et leur client, et aux relations entre les membres. De nature supplétive, elles prendront leur pleine portée lorsque les parties n’auront pas souhaité, ou ne seront pas parvenues à un accord. Les conséquences potentielles de l’insolvabilité d’un membre rappellent la nécessité de ne recourir à la formule du groupement contractuel que dans des situations où les risques sont maîtrisés et les capacités financières des autres membres connues. Responsabilité des membres du consortium vis-à-vis du client La responsabilité solidaire des membres d’un même consortium ne se présume pas. Elle doit être expressément prévue par eux(8) ou résulter de textes spécifiques(9). (8) C. civ., art. 1202, al. 1. (9) C. civ., art. 1202, al. 2. 68 Sur ce point, la réforme n’apportera pas de changement majeur : l’article 1310 du code civil reprend, presque mot pour mot, les dispositions antérieures. Cependant, dans de nombreuses opérations, ces règles vont se heurter à une présomption de solidarité d’origine jurisprudentielle : la Cour de cassation a prévu une présomption simple de responsabilité lorsque les obligations en cause sont de nature commerciale(10). Par conséquent, à défaut de l’écarter contractuellement, les membres d’un consortium réalisant une opération commerciale seraient tous solidaires vis-à-vis du maître d’ouvrage(11). Pour éviter des incertitudes, les parties doivent donc prévoir contractuellement quelles règles de responsabilité s’appliquent à l’égard du client : • groupement conjoint, où les membres ne sont responsables à l’égard du client que de leur lot ; • groupement conjoint avec mandataire solidaire, qui permet au client de se retourner contre le mandataire en cas de défaillance d’un autre membre du consortium. Le mandataire solidaire prend l’engagement de suppléer la défaillance des autres membres en cours de réalisation du marché, soit en exécutant lui-même les travaux, soit en les sous-traitants à une autre entreprise. Il sera également responsable des dommages subis par le client en lien avec l’exécution du contrat (indemnisation des recours de tiers) ; • groupement solidaire, où le client a la possibilité de se retourner contre l’un ou plusieurs des membres. Lorsque le groupement est solidaire, au-delà du mandataire, chacun des membres est solidairement responsable envers le client pour la totalité du contrat. La solidarité a plusieurs vertus pour le client : elle accroît la solvabilité, évite d’avoir à identifier l’origine du manquement et garantit ainsi une réparation efficace des fautes contractuelles. Répartition de la responsabilité entre les membres du consortium Les hypothèses de groupements purement conjoints sont rares. Bien qu’elle ne se présume pas, la solidarité vis-àvis du client est le plus souvent retenue, soit que le client exige la solidarité du mandataire, soit que la jurisprudence en matière commerciale s’applique. La question se pose alors du dénouement des responsabilités entre les membres : chacun doit-il être responsable à part égale, en fonction d’une autre clef de répartition, seulement pour (10) Cass. com., 16 janv. 1990, n° 88-16.265, Bull. Joly Sociétés 1990, p. 272, note Streiff, Dr. sociétés 1990, n° 97, note Germain, JCP G 1991, II, n° 21748, note Hannoun. (11) Cass. com., 5 juin 2012, n° 09-14.501, Cass. com., 5 juin 2012, n° 09-14.501, Bull. civ. IV, n° 115, DMF 2012, n° 739, note Ph. Delebecque, D. 2012, p. 1607, obs. X. Delpech, D. 2012, p. 2580, note A. Hontebeyrie. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Dossier ce qui concerne son lot ou seulement pour les fautes qu’il a commises ? La définition des règles applicables est le terrain privilégié du contrat de consortium, mais les accords sur ces points manquent parfois de clarté, peuvent être contradictoires, ou simplement occultés par les membres, alors que ceux-ci concentraient leurs efforts sur la préparation d’une offre technique et financière. Dans ces hypothèses, assez fréquentes, les règles du code civil auront vocation à s’appliquer. Le nouvel article 1309 du code civil, qui précise que « si elle n’est pas réglée autrement par la loi ou par le contrat, la division a lieu par parts égales », devrait trouver application dans les hypothèses où le détail des lots n’est pas prévu par le contrat. Dans ces situations, le mandataire du groupement ayant indemnisé le client pour le tout bénéficierait d’une action récursoire contre chaque membre du groupement à part égale. Pour éviter l’application d’une telle règle, les membres du groupement devront se référer à une clef de répartition des risques et responsabilités résultant de l’exécution du contrat. Le nouveau code civil apportera cependant une limite à cette répartition à parts égales (ou négociées), en visant l’hypothèse d’une faute contractuelle. D’après le nouvel article 1319, « les codébiteurs solidaires répondent solidairement de l’inexécution de l’obligation. La charge en incombe à titre définitif à ceux auxquels l’inexécution est imputable ». En admettant que le mandataire solidaire (ou un autre membre non fautif d’un groupement solidaire) ait indemnisé le client, l’action récursoire se dirigera contre le membre ayant commis un manquement contractuel. Le jeu combiné du nouvel article 1309 et du nouvel article 1319 reprendra en cela une répartition classique des risques entre les membres du consortium. Il est, en effet, fréquent que la répartition de principe, selon une clef prédéterminée en fonction des moyens mis en œuvre et des revenus escomptés par chacun, soit écartée lorsque le dommage pour lequel le client est indemnisé (ou le manquement contractuel réparé) résulte de la faute contractuelle d’un membre du groupement. La pratique retient cependant souvent des fautes qualifiées (faute lourde ou grave, ou manquement manifeste aux règles applicables), et non des fautes simples. Un mécanisme contractuel nécessitant une gestion du risque d’insolvabilité D’après le nouvel article 1317 du code civil, si l’un des codébiteurs est insolvable, sa part se répartit entre les codébiteurs solvables par parts égales(12). Les risques liés à la défaillance de l’un des membres du consortium sont nombreux et donc susceptibles d’avoir un impact considérable sur les finances des codébiteurs. Afin de se prémunir de la réalisation d’un tel risque, les futurs membres d’un consortium sont fortement incités à vérifier que leurs partenaires ont les capacités techniques (expérience dans le domaine et effectifs suffisants) et financières (absence de procédure collective ou litige en cours et principaux indicateurs financiers satisfaisants) pour exécuter les travaux requis. En outre, les futurs membres d’un consortium devront obtenir de leurs partenaires la production de garanties (garantie maison-mère, et parfois garantie bancaire à première demande) qui puissent couvrir le risque de défaillance de l’un d’eux. En définitive, l’impact global de la nouvelle réforme sur le contrat de consortium est limité, ce qui permet d’en préserver l’originalité. Soumis seulement au droit général des contrats, ce dernier possède certaines spécificités qui le distinguent nettement des contrats nommés existants. On pourrait se demander si la réforme est à la hauteur de son importance pratique dans la vie des affaires, mais nous sommes plutôt favorables à ce que cet instrument reste employé en dehors d’un cadre législatif dédié, en tant qu’outil contractuel souple et non soumis aux aléas des réformes législatives. Praticiens, réjouissez-vous ! L’absence de cadre strict précisant le régime du contrat de consortium est un gage de sa pérennité, et de liberté pour vos futurs projets. (12) C. civ., art. 1317, al. 3 nouveau. Nº 118 SEPTEMBRE 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 69