Numéro 12217 du rôle - Juridictions administratives

Transcription

Numéro 12217 du rôle - Juridictions administratives
Tribunal administratif
N° 14522 du rôle
du Grand-Duché de Luxembourg
Inscrit le 31 janvier 2002
Audience publique du 17 juillet 2002
Recours formé par
Monsieur ..., …
contre
deux décisions du ministre de la Justice
en matière de statut de réfugié politique
JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 14522 du rôle, déposée le 31 janvier 2002 au
greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour,
inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à
Bujumbura (Burundie), de nationalité burundaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la
réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 9 août 2001, notifiée en
date du 30 août 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié
politique ainsi que d’une décision implicite de refus du ministre de la Justice, tirée du silence
de plus de 3 mois suite à un recours gracieux introduit le 5 octobre 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 30 avril 2002;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH
en ses plaidoiries.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------En date du 22 septembre 2000, Monsieur ... introduisit auprès du service compétent du
ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens
de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par
une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31
janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces
dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police
des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi
pour venir au Luxembourg.
Il fut en outre entendu en date des 7 novembre 2000 et 16 juillet 2001 par un agent du
ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur ..., par lettre du 9 août 2001, notifiée en
date du 30 août 2001 au demandeur ainsi qu’en date du 5 septembre 2001 au mandataire du
demandeur, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous
exposez que vous avez grandi en Tanzanie, mais que vous seriez retourné au Burundi en juin
2000 pour aller vivre chez votre oncle. Vos parents seraient morts et vous n’auriez pas voulu
rester seul en Tanzanie. Vous ajoutez que vous n’auriez pas eu de problèmes en Tanzanie. Or,
au Burundi, vous auriez été arrêté pendant la nuit par des militaires qui vous auraient
soupçonné de collaborer avec des rebelles parce que vous n’auriez parlé que le swahili et
l’anglais, mais pas la langue du pays, à savoir le kirundi. A noter que vos frères et votre sœur
ne parlent pas non plus le kirundi, mais qu’ils n’ont pas de problèmes à cause de ce fait. Vous
auriez été emprisonné pendant deux mois. Vous expliquez que vous auriez été torturé et que
vous auriez été sur le point d’être tué. Vous auriez pu fuir avec l’aide de gardiens auxquels
votre oncle aurait donné de l’argent. Vous auriez à présent peur d’être tué parce que vous
êtes Hutu. Par contre, votre oncle qui est aussi Hutu n’avait pas de problèmes au Burundi.
Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas
uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout
par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa
situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au
sens de la Convention de Genève.
A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit
crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre
récit rendent peu crédibles vos motifs de fuite.
Ainsi, il est difficile de croire que vous ne connaissez pas les couleurs du drapeau
tanzanien, alors que vous avez vécu pendant la majeure partie de votre vie en Tanzanie. En
effet, contrairement à vos explications, les couleurs du drapeau sont le vert, le jaune, le noir
et le bleu.
Même à supposer votre emprisonnement établi, alors que vous ne communiquez pas le
moindre élément de preuve, il ne peut être exclu que vous ayez été incarcéré à cause d’une
infraction de droit commun, indépendante de tout motif de persécution au sens de la
Convention de Genève.
Par ailleurs, le simple fait d’être Hutu est insuffisant pour bénéficier de la
reconnaissance du statut de réfugié. Il ne faut pas oublier que vous avez expliqué vous-même
que votre oncle, lui aussi Hutu, n’a pas de problèmes au Burundi du fait de son appartenance
2
ethnique. De même, vous avez souligné que vos frères et votre sœur ne parlent pas le kirundi,
mais qu’ils n’ont pas non plus de problèmes de ce fait.
Enfin, il ne faut pas oublier que vous auriez pu retourner vivre en Tanzanie. Vous y
avez vécu sans problèmes pendant presque toute votre vie et vous n’aviez quitté ce pays que
quelques mois avant de venir au Luxembourg.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible
de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en
raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance
à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non
fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure
relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte
que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux, introduit par le mandataire de Monsieur ... en date du 5 octobre
2001, étant resté sans réponse de la part du ministre, Monsieur ..., par requête déposée en date
du 31 janvier 2002, a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée
du ministre de la Justice du 9 août 2001 ainsi que de la décision implicite de refus du ministre
de la Justice, tirée du silence de plus de 3 mois suite au recours gracieux introduit le 5 octobre
2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure
relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant
un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est
compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été
introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que les
décisions du ministre de la Justice comporteraient un défaut de motivation, dans la mesure où
ces décisions auraient fait l’objet d’une instruction insuffisante. Il soutient à ce titre que le
ministre n’aurait pas pris en considération son appartenance à la minorité ethnique des Hutus,
alors que ceci constituerait la cause principale de sa persécution dans son pays d’origine. Il
fait encore valoir qu’à l’appui de son recours gracieux, il aurait sollicité une mesure
d’instruction supplémentaire dont l’objet aurait été de « clarifier l’objet de cet aspect du
dossier » ainsi qu’un examen approfondi « des couleurs du drapeau du Tanzanie », mais que
le ministre de la Justice, en confirmant purement et simplement par son silence sa décision
initiale, aurait tout simplement omis de prendre en considération ces éléments. Il estime qu’il
découlerait de ces considérations que la décision serait insuffisamment motivée et que le
tribunal serait dans l’impossibilité d’évaluer le bien fondé de sa demande.
Or, il y a lieu de retenir que le ministre était informé sur l’appartenance du demandeur
à l’ethnie des Hutus ainsi que sur les couleurs du drapeau de la Tanzanie et il s’est également
prononcé à cet égard dans sa décision litigieuse du 9 août 2001, de sorte qu’aucun élément
nouveau n’a été soumis par le demandeur au ministre dans le cadre de son recours gracieux et
qui aurait nécessité une instruction supplémentaire de sa demande d’asile. Par ailleurs, même
en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas
une cause d’annulation de la décision ministérielle prise à la suite du recours gracieux,
pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité
3
administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des
recours ne commencent pas à courir.
Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.
Quant au bien fondé de sa demande d’asile, le demandeur reproche au ministre de la
Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa
situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de
persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.
Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire de Bujumbura situé au
Burundi et qu’il appartiendrait à la minorité des Hutus, que le départ de son pays d’origine
serait motivé par le fait que l’ensemble de sa famille aurait fait l’objet de discriminations par
les autorités étatiques « dans différents domaines et ce uniquement en raison de son
appartenance à la minorité ethnique de Huttu ». Il expose qu’il aurait été victime, ensemble
avec les membres de sa famille, de persécutions journalières consistant en des brimades
publiques et de menaces de ses voisins qui auraient reçu des armes, de sorte que sa famille
aurait quitté le pays pour se réfugier aux Etats-Unis. Il soutient qu’il aurait été arrêté par les
autorités de son pays et mis en prison pendant deux mois pour avoir été soupçonné d’avoir
collaboré avec des rebelles en opposition avec le régime de son pays et que pendant son
séjour en prison, il aurait été « sauvagement torturé ». Il soutient qu’il aurait pu fuir de la
prison grâce à son oncle qui aurait donné de l’argent à un gardien. Il relève finalement que ce
serait à tort que le ministre aurait partiellement motivé son refus de lui accorder le statut de
réfugié par le fait qu’il ignorait les couleurs du drapeau tanzanien, alors qu’il avait indiqué
trois des quatre couleurs du prédit drapeau et qu’il avait par ailleurs ajouté qu’il y aurait peut
être encore d’autres couleurs dans le drapeau.
Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection
prévue par la Convention de Genève.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine
appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme
« réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social
ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a
pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la
suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la
situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des
demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique
a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il
convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en
réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant
compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699,
Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait
par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la
4
valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au
demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour
obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas.
adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ... lors de ses auditions en
date des 7 novembre 2000 et 16 juillet 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux
comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours
des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à
conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des
raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de
persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section
A, 2. de la Convention de Genève.
Le demandeur relève en premier lieu qu’il aurait fait, ensemble avec sa famille, l’objet
de persécutions quotidiennes en raison de son appartenance à l’ethnie des Hutus. Il ressort
néanmoins de son récit qu’il serait venu au Burundi fin juin 2000, qu’il aurait été emprisonné
pendant environ deux mois et qu’il a demandé l’asile au Luxembourg le 22 septembre 2000. Il
semble donc constant qu’il se trouvait depuis moins d’un mois dans son pays d’origine
lorsqu’il a fait l’objet de sa prétendue arrestation, de sorte qu’il est difficile de s’imaginer que
pendant ce laps de temps, le demandeur ait fait l’objet de persécutions telles qu’énoncées dans
sa requête introductive d’instance. Par ailleurs, il a déclaré à plusieurs reprises lors de ses
auditions respectives, que sa famille, à savoir son oncle et ses frères et sœur, n’auraient pas eu
de problèmes au Burundi, de sorte que l’affirmation selon laquelle il aurait été persécuté en
raison de son origine Hutu est incrédible. Nonobstant l’indication de dates précises lors de sa
première audition quant à la longueur de son séjour au Burundi, le demandeur a déclaré lors
de sa deuxième audition qu’il aurait déjà travaillé pendant plusieurs mois au Burundi avant
d’être incarcéré, ce qui renforce encore l’incrédibilité de son récit.
Même abstraction faite des contradictions et incohérences dans le récit du demandeur,
telles que relevées notamment dans la décision du ministre de la Justice, il échet de retenir que
le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à
son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part du gouvernement
actuellement en place dans son pays d’origine, mais il reste en défaut de démontrer
concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en
place se livrent encore actuellement à des actes de violence à l’encontre d’opposants
politiques appartenant à l’ethnie des Hutus, étant entendu qu’il n’est pas établi que le seul fait
concret dont le demandeur fait état, à savoir son emprisonnement, à le supposer établi, ait été
motivé par des considérations politiques ou par son appartenance à l’ethnie des Hutus, de
sorte qu’il n’est pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié. – Il y a lieu
d’ajouter dans ce contexte que les informations fournies par le demandeur en vue d’étayer ses
craintes de persécutions sont vagues et incohérentes et qu’elles ne sont pas confortées par le
moindre élément de preuve tangible.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que
le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte
que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
Malgré l’absence du délégué du gouvernement à l’audience fixée pour les plaidoiries,
le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions
5
administratives étant essentiellement écrite et partant contradictoire à l’égard d’une partie dès
le dépôt d’un mémoire par celle-ci.
PAR CES MOTIFS
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement,
reçoit le recours en réformation en la forme,
au fond, le déclare non justifié et en déboute,
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président,
M. Campill, premier juge,
Mme Lamesch, juge,
et lu à l’audience publique du 17 juillet 2002, par le vice-président, en présence de M.
Schmit, greffier en chef.
Schmit
Schockweiler
6