Tribunal administratif

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Tribunal administratif
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
N° 20029 du rôle
Inscrit le 1er juillet 2005
Audience publique du 21 novembre 2005
Recours introduit par
Monsieur ..., …
contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration
en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20029 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif en date du 1er juillet 2005 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au
tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à Zamfara
(Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation,
sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du
15 juin 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de
réfugié ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 3 octobre 2005 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle litigieuse ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Patrice
MBONYUMUTWA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du
gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Le 14 avril 2004, Monsieur ... introduisit auprès du service compétent du ministère de
la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de
Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai
1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967,
approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant
ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur ... fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son
identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut encore entendu en date du 7 décembre 2004 par un agent du ministère des
Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 15
juin 2005, lui notifiée le lendemain par pli recommandé, que sa demande avait été rejetée
comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 14 avril 2004 que vous
auriez quitté le Nigeria à bord d’un bateau en mars 2004. La traversée aurait duré un mois et
vous ignorez où vous auriez accosté. Par la suite, vous seriez monté clandestinement à bord
d’un camion pour finalement arriver au Luxembourg le 13 avril 2004. Votre demande d’asile
date du lendemain. Vous n’auriez rien payé pour votre voyage et vous ne présentez aucune
pièce d’identité.
Il résulte de vos déclarations qu’en février 2003, votre mère vous aurait emmené voir
un missionnaire chrétien, dans le but de vous guérir. Vous vous seriez rétabli de votre
maladie et à votre retour à Zamfara, vous auriez décidé de vous convertir à la religion
chrétienne. Vous auriez commencé à fréquenter l’église, malgré la désapprobation de votre
père, musulman. En août 2003, ce dernier vous aurait alors fait quitter le foyer familial et
vous vous seriez installé avec les membres de l’église. Après une vingtaine de jours, vous
seriez parti à Cotonou pour échapper à l’autorité de votre père. Vous y auriez vécu dans une
église pendant trois mois. En novembre 2003, on vous aurait reporté que votre mère aurait
été tuée par des Hausas car elle aurait refusé de révéler votre lieu de résidence. En janvier
2004, six membres du « Nasfat » (organisation musulmane) vous auraient rendu visite à
Cotonou dans le but de vous convaincre de rentrer à Zamfara. Vous auriez refusé et ils
auraient commencé à vous battre. Pensant que vous seriez mort, ils vous auraient abandonné
dans un coin. Les membres de votre église vous auraient alors retrouvé puis soigné. En
février 2004, vous auriez alors décidé de quitter définitivement le continent africain et vous
auriez embarqué à bord d’un bateau à destination de l’Europe. Vous dites craindre que votre
père vous tue à cause de votre conversion au catholicisme.
Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état
d’autres problèmes.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la
situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du
demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle
laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
A défaut de pièces un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit
crédible et cohérent. Il y a tout d’abord lieu de relever que vous avez délibérément menti
quant à votre âge puisque un rapport médical daté du 10 septembre 2004 atteste le fait que
vous êtes « certainement plus âgé » que l’âge que vous indiquez. A ce sujet, l’article 6 2b) du
règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3
avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme
manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue
un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le
demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa
demande, après avoir demandé l’asile ». Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut
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être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les
mêmes motifs.
Il s’ensuit que ce mensonge sur votre âge entache sérieusement la véracité et la
crédibilité de vos autres déclarations. Des contradictions et invraisemblances entre votre
récit lors de l’audition et celui auprès du Service de Police Judiciaire laissent également
planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé. En effet, vous avez indiqué lors du
dépôt de votre demande d’asile que vous auriez quitté le Nigeria par bateau en mars 2004. En
audition, vous dites que vous auriez quitté le Nigeria pour Cotonou en août-septembre 2003
et que vous auriez pris un bateau de Cotonou en février 2004. De même, vous avez indiqué
sur la « fiche de données personnelles » que vous seriez d’ethnie yoruba, que votre langue
maternelle serait le yoruba et que vous auriez quitté votre pays pour ne pas être tué par des
« sharia people » qui auraient brûlé votre maison et tué votre famille. Or, en audition vous
dites être hausa, que votre langue maternelle sera le hausa et que vous auriez quitté votre
pays car votre père, musulman, n’aurait pas accepté votre changement de religion.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que votre demande ne correspond à aucun
critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de
persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, de
votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos
opinions politiques. En effet, des problèmes familiaux avec votre père ou avec des membres
du « Nasfat » ne rentrent pas dans le cadre de la Convention de Genève de 1951, d’autant
plus que ces derniers ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la
prédite Convention. Le fait que votre mère aurait été tuée par votre communauté, information
qu’on vous aurait reportée, doit être considéré comme infraction de droit commun et non
comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute, qu’il n’est
pas établi que les autorités compétentes du Nigeria auxquelles vous n’avez pas demandé de
protection, seraient dans l’incapacité ou auraient refusé de vous fournir une protection
quelconque.
Enfin, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous
installer dans une autre région ou Etat du Nigeria, plus particulièrement au Sud
majoritairement peuplé de chrétiens, pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de
vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre
appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans
votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la
Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non
fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure
relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte
que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par requête déposée le 1er juillet 2005, Monsieur ... a fait introduire un recours tendant
à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de
l’Immigration du 15 juin 2005.
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Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1)
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection
temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non
fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle
critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les
formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de la ville de Zamfara au Nigeria,
reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa
demande d’asile, au motif que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant
donné que suite à sa conversion au catholicisme en 2003, son père l’aurait chassé du domicile
familial, de sorte qu’il aurait dû se réfugier chez des membres d’une église chrétienne à
Cotonou, que sa mère, refusant de dévoiler son lieu de refuge, aurait été tuée par des
musulmans, que par après il aurait dû faire face à de nouvelles menaces et qu’il aurait même
été battu violemment en janvier 2004 par 6 membres de l’organisation musulmane « Nasfet »,
suite à son refus de retourner vivre auprès de son père à Zamfara, et craignant d’être tué à
cause de sa conversion de religion, il se serait résigné à quitter son pays d’origine.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la
situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme
« réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social
ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a
pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la
suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la
situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du
demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été
telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les
moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en
cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à
suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte
actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit
l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, les craintes exprimées par le demandeur à l’égard de son père trouvent leur
origine dans un différend d’ordre familial, lequel est étranger aux motifs de persécution visés
par la Convention de Genève.
S’y ajoute que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent
de membres de sa famille, respectivement de personnes étrangères aux autorités publiques qui
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ne sauraient être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention
de Genève, de manière qu’ils s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais
d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du
statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de
son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève
ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la notion
de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des
habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être
admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en
cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le
demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.
113, nos 73-s).
Or, le demandeur n’a soumis aucun indice concret quant à une tentative de sa part pour
obtenir la protection des autorités compétentes de son pays d’origine et à l’incapacité actuelle
de ces dernières de lui fournir une protection adéquate.
Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une
possibilité de fuite lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une
autre partie de son pays d’origine paraissant, au regard du champ d’action essentiellement
restreint des prétendus agresseurs, tout à fait possible, étant entendu que la Convention de
Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction
territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur
d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de
profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la
reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.
2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une
crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la
reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à
rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
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Ainsi jugé par:
M. Campill, vice-président,
M. Spielmann, juge,
Mme Gillardin, juge,
et lu à l’audience publique du 21 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille
s. Campill
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