Chapitre XXIX Les instruments de la politique économique
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Chapitre XXIX Les instruments de la politique économique
ChapitreXXIX Lesinstrumentsdelapolitiqueéconomique 1. L’ENVIRONNEMENT IDEOLOGIQUE DE LA POLITIQUE ECONOMIQUE Quand on parle en termes d’objectifs et d’instruments classiques de politique économique, on passe sous silence tout le poids du discours idéologique : c’est, la plupart du temps, l’expression d’une sorte de pensée unique qui s’impose comme une vérité d’évidence. Ce discours n’est pas facile à discerner. S’agit-il du discours des associations patronales ? Des thèses avancées par l’OCDE, la Commission européenne, le FMI ? Des recommandations de la Banque centrale ou de tel ou tel groupe d’économistes ? Du discours gouvernemental ? Des thèmes dominants dans la grande presse ? La réponse à ces questions n’est ni simple, ni aisée. Prenons un exemple. La désindexation – instrument puissant de politique économique – fut instaurée en Belgique en mars 1982 pour une période de dix-huit mois. Une préparation psychologique inouïe, s’étalant sur une dizaine d’années, fut nécessaire. Ici l’incidence sociale de la mesure saute aux yeux : désindexer touche les revenus indexés et, par conséquent, les salariés. Pour les pousser à accepter sans trop de grogne une telle politique, il fallait faire fléchir les organisations syndicales. Pour éviter des oppositions frontales des partis socialistes, il fallut une immense préparation des esprits. Certains instruments de politique économique – et plus globalement : certaines politiques économiques – ne peuvent être mis en place que si des conditions objectives sont réunies. Pour la désindexation citons notamment : un déficit dramatique de la BOC qui, à lui seul, a alimenté tout le «discours» sur la compétitivité, le deuxième choc pétrolier de 1980-1981, des poussées inflationnistes (inflation à deux chiffres), de fortes hausses salariales dans la décennie précédente (1970-1980), une faible rentabilité des entreprises, un déficit aigu des finances publiques. L’existence de ces conditions objectives ne suffit pas pour mener une politique d’austérité salariale. Il faut encore que les gens l’acceptent, fût-ce du bout des lèvres. Pour les convaincre, pour les persuader, pour affaiblir leur résistance, il faut que les «leitmotiv» du discours idéologique soient exposés dans des enceintes parlementaires, dans les réunions internationales. Du haut des chaires universitaires comme dans les mass media. Il faut surtout que ces thématiques soient martelées pendant une longue période. D’idées dominantes au service de certains objectifs, elles deviennent des idées courantes. De tout ce processus, on ne parlera pas. De ce fait, on gomme un aspect déterminant de la politique économique. On pourrait presque affirmer qu’on ne parle pas de l’instrument de politique économique le plus important, à savoir le discours idéologique. En effet, lui seul permet que, dans une situation réelle donnée, tel ou tel objectif soit mis en avant, tel ou tel instrument soit privilégié. 2. INSTRUMENTS DE POLITIQUE MONETAIRE ET DE CREDIT 2.1. Action directe sur les taux d’intérêt Taux d’intérêt à court terme : taux de réescompte, taux d’intérêt des bons de trésorerie, taux d’intérêt de la facilité de dépôt (BCE). Taux d’intérêt à long terme : fonds d’Etat, obligations... Remarquons que toute action sur les taux a un effet intérieur – rendre le crédit plus ou moins cher – et un effet extérieur – attirer les capitaux étrangers ou les laisser fuir. L’instrument taux d’intérêt a donc des effets multiples. 2.2. Action sur la liquidité des banques Coefficients de liquidité : en les augmentant, on diminue le volume des crédits octroyés par les banques. Exemple : les réserves obligatoires du SEBC. Volume des crédits : l’encadrement du crédit stipule, par exemple, que l’accroissement du volume du crédit ne peut pas dépasser un certain seuil. 2.3. Open-market Dans le cadre de l’eurosystème, les BCN peuvent soit prendre des actifs en pension pendant quelques semaines soit acheter ou vendre des actifs à court terme. En outre, la BCE peut émettre des certificats de dette de la BCE (voir chapitre sur l’euro). Toutes ces mesures agissent sur ML, sur les cours et les taux d’intérêt. 2.4. Efficience de la politique monétaire En inflation, on se trouve en haut et à gauche de la courbe. Une petite variation de ML a un effet important sur i et donc sur I. La politique monétaire est efficace. En dépression, on se trouve à droite et en bas. La politique monétaire est peu efficace. Graphe 114 Taux d’intérêt et ML 3. INSTRUMENTS LIES AUX DEPENSES ET AUX RECETTES DE L’ETAT 3.1. Multiplicateurs de T et de G1 Supposons que : C = a + c (Y - T). Alors: Y = a + cY - cT + GO + IO + (XO - MO). ି Le multiplicateur de T est : ଵି Le multiplicateur de G est : ଵ ଵି En termes absolus, le multiplicateur de G est supérieur à celui de T. 3.2. Contrainte La contrainte extérieure impose une norme budgétaire. Indépendamment de normes extérieures, il est de bonne gestion de ne pas «laisser filer les déficits» : ils engendrent un endettement public où des dépenses courantes sont financées par l’emprunt. 3.3. Instruments liés aux dépenses de l’Etat 3.3.1. Investissements publics Par le biais des investissements publics, les grandes infrastructures économiques et sociales ont été réalisées. Dans les domaines classiques – routes, autoroutes, canaux, ponts, ports, aéroports, hôpitaux, écoles –, on est arrivé à saturation, tout au moins en Europe occidentale : il y a encore des investissements de remplacement et d’entretien à faire, mais peu de nouveaux investissements. En ce début du XXIe siècle où le chômage sévit en Europe occidentale, il y a place pour les nouveaux types d’investissements publics : télécommunications, aérospatiale, rénovation urbaine, et pour l’extension d’investissements d’infrastructure classiques tels que les transports en commun, les logements sociaux, etc. 3.3.2. Consommation publique La consommation publique comprend 80% de salaires. Pour faire pression sur la consommation publique, on peut faire diminuer la masse salariale en «prépensionnant» les agents sans les remplacer, en désindexant... Les achats courants de biens et services par l’Etat font aussi partie de la consommation publique. Depuis le nombre d’années qu’on mène des politiques d’austérité, ils sont vraisemblablement devenus incompressibles. 3.3.3. Les transferts de l’Etat aux autres agents économiques La plupart des subsides aux entreprises deviennent incompatibles avec la politique de concurrence de l’Union européenne. Les transferts aux ménages (allocations de chômage, allocations familiales...) sont en règle générale écornés par les restrictions des dépenses de l’Etat. 3.4. Instruments liés aux recettes de l’Etat 3.4.1. Impôts directs sur les personnes physiques (IPP) Ils sont progressifs et ils constituent, comme les allocations de chômage, un stabilisateur incorporé. Ils ont un effet positif sur la distribution des revenus. Leur impact est affaibli par la fraude et l’évasion fiscales. 3.4.2. Impôts sur les bénéfices des entreprises Ils sont proportionnels aux bénéfices. Moins importants que l’IPP, ils sont beaucoup plus sensibles à la conjoncture économique. 3.4.3. Impôts indirects En Belgique, il s’agit principalement de la TVA, des droits d’accises et des droits de douane. Les accises concernent l’énergie, les cigarettes et l’alcool. Ces produits n’étant pas repris dans «l’indice santé», l’Etat peut augmenter les accises sans toucher à l’indexation. Les impôts indirects ont beaucoup moins d’impact psychologique que les impôts directs. 3.4.4. Efficience de la politique budgétaire Il est facile d’augmenter Ig, G, etc. Il est plus difficile de diminuer les dépenses de l’Etat ou d’augmenter ses recettes. Par conséquent, la politique budgétaire est plus efficiente en récession. 4. DEVALUATION ET REEVALUATION La dévaluation comme la réévaluation sont des modifications de parité monétaire décidées par le gouvernement d’un pays. Dans un système de parités fixes – Bretton-Woods ou MCE II –, toute dévaluation ou réévaluation impose la consultation des partenaires. Ce sont des mesures exceptionnelles dont l’impact interne et externe est puissant. Ainsi, par exemple, des droits de douane ou des quotas concernent un ou un groupe de produits tandis que la dévaluation ou la réévaluation ont trait aux prix de toutes les marchandises importées ou exportées. La dépréciation ou l’appréciation d’une monnaie par rapport aux autres monnaies ont le même effet économique qu’une dévaluation ou une réévaluation. Elles ne sont pas la conséquence délibérée d’une décision gouvernementale. Elles trouvent leur origine dans les mécanismes du marché. Dans le cadre de l’eurosystème, la BCE peut, si elle le désire, soutenir ou non l’€ par rapport au $ américain. 5. INSTRUMENTS DE TYPE CONTROLES DIRECTS Ils peuvent concerner les prix, les salaires, les loyers, les importations, les exportations... Plus l’Union européenne s’approfondit, moins les Etats peuvent recourir aux instruments directs. Nous ne les signalons que pour mémoire. 6. INSTRUMENTS DE POLITIQUE ECONOMIQUE ET DELAIS Les délais sont multiples : il faut du temps pour connaître un phénomène en fonction des statistiques disponibles ; le décideur doit bénéficier d’un temps de réflexion ; la prise de décision n’est pas suivie d’une exécution immédiate ; un délai s’écoule entre l’exécution et la sortie des effets concrets sur la vie économique. 6.1. Délai entre l’évolution du réel et son diagnostic : t1 Les développements de l’outil statistique, l’accès accru aux informations disponibles devraient permettre de réduire le délai entre l’évolution du réel et l’établissement d’un diagnostic. Ce n’est pas toujours le cas. Prenons des exemples précis : – les taux d’intérêt, les fluctuations du change, les variations des cours des actions, des produits agricoles, des matières premières ou des produits énergétiques, cotés en bourse sont connus dans la seconde, en temps réel ; – les accroissements des prix de détail, la situation des balances commerciales, les taux de chômage sont connus mensuellement ; – les principaux agrégats de comptabilité nationale sont connus approximativement et au mieux tous les trois mois ; en général, ils font l’objet de publication au printemps de l’année qui suit. 6.2. Délai entre le diagnostic et la prise de décision : t2 Des décisions peuvent avoir des effets secondaires. Elles peuvent entrer en conflit avec des décisions antérieures. La prise de décision n’est donc jamais simple. 6.3. Délai entre la prise de décision et ses effets réels : t3 Quand une Banque centrale puise dans ses réserves pour soutenir sa monnaie, l’effet est immédiat. Les conséquences d’une dévaluation sur les exportations se font sentir quelque six mois après la décision. Selon le type de décision et d’instruments mis en oeuvre, le délai t3 est court ou long. 7. REMARQUES TERMINALES SUR LES INSTRUMENTS DE POLITIQUE ECONOMIQUE 7.1. Efficience des instruments Certains instruments jouent sur des masses monétaires considérables (dévaluation, désindexation), d’autres ont des effets limités (diminution de la TVA dans le bâtiment, diminution des impôts directs des sociétés,...). 7.2. Impact psychologique Des instruments peuvent étre perçus comme une agression contre certaines couches sociales (augmentation des impôts directs, diminution des allocations familiales, politique des revenus...) ; d’autres, qui peuvent avoir les mémes effets, ne sont pas ressentis de la même façon (augmentation des impôts indirects, politique restrictive du crédit, etc.). 7.3. Elasticité Si des instruments ont pour effet d’augmenter ou de diminuer des prix, il est important de connaître l’élasticité prix/quantité. Ainsi, quand le gouvernement augmente d’un euro les accises sur les produits pétroliers, il doit connaître l’incidence de cette augmentation des prix sur la demande. A court terme, cette demande est inélastique et, par conséquent, les quantités demandées ne varieront pas. A long terme, le consommateur peut s’adapter et décider d’utiliser les transports en commun. Le producteur peut également s’adapter en construisant des voitures qui consomment moins d’essence. 8. OBJECTIFS ET INSTRUMENTS Les situations différentes que traverse l’économie d’un pays mettent à l’avant-plan un ou plusieurs objectifs. En hyperinflation, on va d’abord s’attaquer aux prix ; en récession classique, on va d’abord s’attaquer à la croissance, etc. 8.1. Que faire en inflation ? Prenons un exemple concret : les pays de l’OCDE ont connu une période d’inflation importante – inflation à deux chiffres – de 1973 à 1980-1981. L’OCDE traversait alors une période de stagnation, d’où le mot stagflation. Un peu partout, à partir de la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, la lutte contre l’inflation l’a emporté sur toute autre considération. L’inflation a d’ailleurs été vaincue. La politique de désinflation a triomphé de 1980 à 1987 : à partir de 1987, l’inflation était jugulée (tableau 133). Tableau 133 Désinflation de 1980 à 1987 Selon les pays, la politique de déflation a privilégié les instruments de politique monétaire ou de politique budgétaire. Partout les gouvernements ont mené une politique restrictive du crédit et prôné le contrôle de la masse monétaire, l’augmentation des taux d’intérêt. Cette vision monétariste a triomphé dans les pays anglo-saxons, surtout aux Etats-Unis et en Angleterre. Une «fiscal policy» a conforté la politique monétariste. La désinflation a été acquise grâce à une politique déflatoire, c’est-à-dire une politique qui comprime les principaux agrégats de la demande finale : – contraction de C par une modération salariale ; – pression sur toutes les dépenses publiques et en particulier sur Ig et sur G ; – allégements fiscaux dans certains pays. 8.2. Que faire en récession ? Dans une récession – sans inflation –, une politique monétaire s’avère relativement peu efficace et les pouvoirs publics lui préfèrent une politique budgétaire. 8.3. Que faire quand le déficit de la BOC est important ? A la limite, le gouvernement dévalue. A condition que le déficit soit important. Il peut également mener une politique déflatoire qui va diminuer Y et par conséquent les importations. Le même raisonnement vaut pour la zone €. 8.4. Que faire quand le surplus de la BOC est important ? A la limite, le gouvernement peut réévaluer sa monnaie. Il s’ensuit une diminution des exportations et une relance des importations. Le même raisonnement vaut pour la zone €. 8.5. Tableau récapitulatif Tableau 134 Instruments et conjoncture économique