Le développement de la flexibilité cognitive chez l`enfant préscolaire
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Le développement de la flexibilité cognitive chez l`enfant préscolaire
Le développement de la flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire : enjeux théoriques Nicolas Chevalier* et Agnès Blaye Université de Provence Centre de Recherche en Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Émotion RÉSUMÉ L’enfant préscolaire a longtemps été considéré comme incapable de coordonner plusieurs représentations d’un même objet. Les travaux récents révèlent au contraire des progrès importants de flexibilité cognitive entre 3 et 5 ans. Après avoir brièvement rappelé quelques-unes des données empiriques, cet article s’attache à confronter les positions théoriques concurrentes concernant l’interprétation des processus à l’œuvre dans la manifestation de conduites flexibles. Ces propositions mettent respectivement l’accent sur le rôle de la complexité cognitive, la nature graduée des représentations, l’inhibition, la redescription des objets et l’amorçage négatif. À l’issue de ce premier bilan, nous proposons de nouvelles pistes de recherche fondées notamment sur le constat de deux limitations importantes des approches présentées à savoir (a) une centration trop exclusive sur la persévération comme la seule manifestation du défaut de flexibilité et (b) la considération des seuls aspects exécutifs en jeu au détriment des aspects conceptuels. The development of cognitive flexibility in preschoolers: Theoretical issues ABSTRACT Preschoolers have long been thought to be unable to coordinate multiple representations for a single object. This paper presents recent empirical data that, in contrast, highlight a major increase in cognitive flexibility in children between 3 and 5. It then provides a critical review of the competing theoretical proposals regarding the processes involved in flexible behaviours. These theoretical proposals respectively emphasize the role of cognitive complexity, the graded nature of representations, inhibition, object redescription, and negative priming, in accounting for the development of cognitive flexibility. This review leads to new suggestions for future research that should overcome two main limitations of the current approaches: (a) the almost exclusive focalization on perseveration as the only display of a *Adresse : 29, Avenue Robert Schuman – 13621 Aix en Provence Cedex 1. E-mail : [email protected] ; [email protected] Remerciements : nous adressons nos remerciements à Françoise Bonthoux et Aline Chevalier pour leurs précieux commentaires sur une version précédente de ce texte. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 570 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye deficit in flexibility, and (b) the consideration of the executive aspects only, ignoring the role of conceptual understanding. Finally, the question of the transition mechanisms underlying the developmental changes observed in flexibility is raised in conclusion. INTRODUCTION Si l’on admet que le caractère flexible du fonctionnement cognitif constitue probablement une des spécificités de la cognition humaine (e.g., KarmiloffSmith, 1992), il reste encore assez largement à s’accorder sur une définition de la flexibilité cognitive et surtout à mieux en comprendre les processus sous-jacents. L’étude du développement de la flexibilité cognitive chez le jeune enfant est relativement récente, sans doute longtemps freinée par une vision piagétienne d’un enfant préopératoire dont la pensée égocentrique rend difficile la prise en considération de différents points de vue sur une même réalité. Après avoir rapidement rappelé quelques-unes des perspectives de recherche ayant contribué à donner une place centrale à la flexibilité dans le fonctionnement cognitif, nous présenterons brièvement les principales épreuves permettant de l’étudier pendant la période préscolaire. Nous nous centrerons ensuite sur une analyse des interprétations théoriques récentes concernant les processus sous-jacents à cette flexibilité. Enfin, des propositions de nouvelles voies de recherche à développer seront avancées. Depuis une quinzaine d’années, l’étude du contrôle exécutif, concept peu précis qui regroupe l’ensemble des processus cognitifs sous-jacents au comportement flexible orienté vers l’atteinte de buts (Hughes, 2002 ; Zelazo & Müller, 2002), a connu un regain d’intérêt notable. Si on trouve à l’origine de cet engouement l’investigation neuropsychologique des patients présentant des lésions du cortex préfrontal (par exemple, Stuss, Levine, Alexander, Hong, Palumbo, Hamer, Murphy, & Izukawa, 2000 ; Barceló & Knight, 2002 ; Lehto, Juujärvi, Kooistra, & Pukkinen, 2003 ; Goldstein, Obrzut, John, Ledakis, & Armstrong, 2004), cet intérêt a largement dépassé le cadre des lésions cérébrales puisque les études ont également concerné le fonctionnement exécutif des adultes sains et des enfants à développement typique comme troublé. En psychologie cognitive, le modèle de Baddeley et Hitch (1974) définissant un administrateur exécutif central comme composante principale de la mémoire de travail, puis la proposition de Norman et Shallice (1986) invoquant un Système Attentionnel de Supervision visant en particulier à gérer les conflits entre activation de différents schémas d’action dans une même situation, ont L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 571 également souligné l’importance des aspects de contrôle et de régulation. Il reste que ces travaux ont plutôt contribué à conserver à ce contrôle un statut peu différencié sans véritablement nous éclairer sur les processus sous-jacents. L’approche unitaire du contrôle exécutif (Baddeley & Hitch, 1974 ; Norman & Shallice, 1986, Duncan, Johnson, Swales, & Freer, 1997) est aujourd’hui souvent abandonnée au profit d’une différenciation des fonctions en jeu (Baddeley, 1996 ; Lehto et al., 2003) au vu, notamment, des corrélations relativement faibles obtenues entre les diverses épreuves dites exécutives. On distingue classiquement trois fonctions exécutives principales : l’inhibition, la mise à jour des informations stockées en mémoire de travail et la flexibilité cognitive1 (Rabbitt, 1997 ; Hughes, 1998 ; Miyake, Friedman, Emerson, Witzki, Howerter, & Wager, 2000). Dans ce contexte, la flexibilité est souvent étudiée, chez l’adulte, à travers le paradigme de task-switching dans lequel les participants doivent basculer entre deux types de traitement incompatibles sur des stimuli d’une même classe (par exemple, face à l’affichage de nombres, ils doivent selon les cas ajouter ou soustraire une valeur donnée2 ; pour une synthèse, e.g. Monsell, 2003). Outre un regain d’intérêt récent, l’étude de la flexibilité cognitive est relativement ancienne (pour un bref historique des différentes approches, voir Deák, 2003). Dans la perspective Gestaltiste tout d’abord, la flexibilité a été associée au phénomène de « fixité fonctionnelle » (Duncker, 1945 ; pour une étude récente chez l’enfant, voir German & Defeyter, 2000) selon lequel il est plus difficile d’envisager les fonctions alternatives d’un objet lorsque sa fonction principale est rendue saillante. Une tradition d’étude centrée sur la créativité a également accordé une place importante à la flexibilité considérée alors comme une composante du processus créatif (Guilford, 1950, 1967 ; Carlier, 1973, plus récemment, Lubart, Mouchiroud, Tordjman, & Zenasni, 2003). Guilford (1967, voir Carlier, 1973, pour un résumé) distingue neuf facteurs sous-tendant la performance créative parmi lesquels sont différenciés, un facteur de flexibilité spontanée, défini comme l’aptitude à produire un grand nombre d’idées dans une situation donnée, généralement peu structurée, et un facteur de flexibilité adaptative, plus proche de ce qui nous intéresse ici, à savoir la capacité à changer d’attitude (set) lorsque la situation l’exige (voir aussi Eslinger & Grattan, 1993, pour une dichotomie similaire entre flexibilité spontanée et réactive). Il reste que, notre perspective est toute autre puisqu’elle vise non plus à considérer la flexibilité comme une 1 On parle également de flexibilité mentale, de flexibilité attentionnelle ou de « (mental) set shifting ». Une synthèse des travaux sur les performances dans le paradigme de task-switching n’entre pas dans le cadre de ce texte, dans la mesure où ces travaux concernent quasi-exclusivement l’adulte. 2 L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 572 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye propriété de l’individu mais comme une propriété de son fonctionnement cognitif en contexte, dont il s’agit d’étudier les composants. La flexibilité cognitive telle que nous l’étudions ici, est tout particulièrement en jeu lors de la résolution de problèmes présentant un certain degré d’indétermination, lié à l’existence de plusieurs représentations possibles et rendant nécessaire un choix entre plusieurs réponses alternatives (Deák, 2003). Plus précisément, la flexibilité est à l’œuvre lorsqu’il s’agit de sélectionner de manière adaptative une nouvelle réponse en fonction d’une variation dans la situation. Elle exige alors 1/ un encodage des diverses propriétés des objets afin d’avoir accès aux multiples représentations et 2/ un encodage des changements dans la situation (le plus souvent, un changement de consignes) permettant la sélection de la bonne réponse. Nous nous intéressons donc à une forme bien spécifique de variabilité intra-individuelle des réponses. Il s’agit d’une variabilité contrôlée, intentionnelle et non simplement induite par la diversité des items à traiter (Blaye, 2001 ; Blaye & Bonthoux, 2001 ; Deák, 2003). En psychologie du développement, la tradition piagétienne a plutôt retenu l’image d’un enfant préopératoire dont la pensée égocentrique, prisonnière d’une seule centration indifférenciée, ne lui permet pas de se représenter des points de vue multiples sur une même réalité. Les travaux sur le développement du langage ont pendant longtemps conforté une telle vision avec, par exemple, la proposition de l’existence d’un biais d’exclusivité mutuelle lors de l’acquisition de nouveaux noms. Ce biais consiste à penser qu’un même objet ne pourrait pas être désigné par deux termes différents. L’incroyable rapidité d’acquisition du lexique pourrait ainsi être due au fait que les jeunes enfants se comportent comme si tout nom nouveau désignait nécessairement un objet pour lequel ils ne disposent encore d’aucune étiquette lexicale (Markman, 1989). Les recherches plus récentes en revanche, indiquent de réelles capacités de polynomie dès 3 ans (Deák & Maratsos, 1998 ; Deák, Yen, & Pettit, 2001). Deák et ses collaborateurs observent que les jeunes enfants sont capables très tôt de dire qu’un objet non familier tel qu’un crayon en forme de dinosaure est à la fois un crayon et un dinosaure. Plus généralement, si les travaux de Flavell (e.g., Flavell, Flavell, & Green, 1983) ont confirmé la difficulté des enfants de 3 ans à envisager plusieurs représentations d’un même objet, ils révèlent également que des progrès importants s’opèrent pendant la période préscolaire. Ainsi, dès 4 ans, la majorité des enfants est capable de reconnaître un objet comme étant réellement une éponge et en même temps comme ressemblant à un caillou. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 573 Ces recherches développementales récentes suggèrent ainsi d’une part, qu’il est possible de révéler des formes de flexibilité dans certains domaines au moins, dès l’âge préscolaire et, d’autre part, mettent l’accent sur l’importance de la flexibilité cognitive pour des acquisitions aussi fondamentales que le langage ou certains aspects des théories de l’esprit. Dans ce dernier domaine, de nombreuses études, pour la plupart corrélationnelles, ont établi des liens, chez les enfants de 3 à 5 ans entre les performances aux épreuves de fausse croyance et diverses épreuves exécutives, notamment des épreuves de flexibilité (e.g., Carlson & Moses, 2001 ; Carlson, Moses, & Breton, 2002 ; Hala, Hug, & Henderson, 2003 ; Müller, Zelazo, & Imrisek, 2005). Reconnaître la fausse croyance d’autrui sur la localisation d’un objet alors que l’on a soi-même la connaissance de sa localisation réelle implique précisément la reconnaissance de deux représentations possibles d’une même réalité et la sélection de celle correspondant à la question posée. Au-delà du constat des liens corrélationnels, on peut envisager le statut causal de la flexibilité cognitive dans la représentation du point de vue d’autrui. Lorsque la situation expérimentale permet d’attribuer un statut plus symétrique aux deux représentations en jeu (état de la réalité et croyance du personnage) en facilitant ainsi la bascule entre les deux, on observe de meilleures performances (Chevalier & Blaye, 2006). Le caractère critique de la flexibilité dans le développement cognitif motive, s’il en était besoin, l’étude des processus qui la sous-tendent. Cette étude s’est très largement développée en ce qui concerne le jeune enfant au cours de la dernière décennie. Les épreuves de flexibilité utilisées correspondent souvent à des versions modifiées de tâches proposées aux adultes. Parmi les plus fréquemment employées, nous retiendrons une épreuve de tri de cartes proposée par Frye, Zelazo et Palfai (1995) autour de laquelle se sont cristallisés les débats sur l’enfant préscolaire, et qui fera par conséquent l’objet d’une description plus détaillée. MESURES DE LA FLEXIBILITÉ COGNITIVE CHEZ LE JEUNE ENFANT Le test de tri de cartes du Wisconsin (Wisconsin Card Sorting Test – WCST ; Grant & Gerg, 1948) constitue l’une des épreuves les plus utilisées pour l’évaluation de la flexibilité cognitive en neuropsychologie L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 574 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye adulte. Cette épreuve requiert de trier des cartes sur lesquelles figurent des objets multidimensionnels (différentes formes géométriques de couleurs différentes) en fonction de règles basées sur l’une de leurs dimensions (par exemple, la couleur, la forme, la taille ou le nombre d’éléments). La dimension pertinente doit être déterminée à partir des feedbacks de l’expérimentateur, et après un certain nombre de tris corrects, elle est modifiée (la plupart du temps) sans en avertir le participant. Celui-ci doit faire preuve de flexibilité en adaptant ses réponses aux feedbacks de l’expérimentateur. Cette épreuve a fortement contribué à la différenciation des profils exécutifs des patients présentant des lésions cérébrales notamment au niveau du cortex préfrontal (e.g., Goldstein et al., 2004 ; Stuss et al., 2000). Bien que l’étude de Miyake et al. (2000) suggère que le WCST est principalement une mesure de flexibilité, il s’agit d’une épreuve complexe dans laquelle les erreurs ne traduisent pas nécessairement un défaut de flexibilité mais peuvent refléter l’effet d’autres facteurs tels que, par exemple, la difficulté à inférer la dimension de tri pertinente (Barceló & Knight, 2002 ; Cepeda, Kramer, & Gonzalez de Sather, 2001 ; Crone, Ridderinkhof, Worm, Somsen, & van der Molen, 2004). Par ailleurs, en raison du nombre important de dimensions à considérer, la complexité de cette épreuve paraît inadaptée aux enfants préscolaires. Pour répondre aux exigences de cette tranche d’âge, Frye et al. (1995) ont créé une nouvelle épreuve de tri de cartes à partir du WCST : le DCCS (Dimensional Change Card Sorting task). Cette épreuve limite à deux le nombre de dimensions (la forme et la couleur) et n’implique qu’un seul changement de règles. De plus, le DCCS constitue une mesure plus « pure » de flexibilité puisqu’il ne requiert pas de la part du participant d’inférer la dimension pertinente, celle-ci étant explicitement donnée dans les consignes. Le DCCS (Figure 1) se présente sous la forme de cartes tests représentant chacune un objet bidimensionnel (par exemple, un lapin rouge ou un bateau bleu) et devant être triées dans deux boîtes sur lesquelles une carte cible est fixée (un lapin bleu ou un bateau rouge). Chaque carte test correspond à l’une des cartes cibles sur une dimension et à l’autre carte cible sur l’autre dimension. Dans la première phase de l’épreuve, les enfants doivent trier les cartes tests selon une première dimension (par exemple, la couleur). On leur annonce les règles pertinentes de manière explicite : « Dans le jeu de la couleur, les bleus vont ici [lapin bleu] et les rouges vont là [bateau rouge]. » Les enfants bénéficient de deux essais de démonstration triés conjointement avec l’expérimentateur puis doivent trier seuls un nombre déterminé de cartes tests (les deux mêmes cartes tests reviennent plusieurs fois). Ils ne reçoivent pas de feedback mais les règles sont L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 575 Figure 1. Illustration schématique de l’épreuve du DCCS (Frye, Zelazo, & Palfai, 1995). Notes : Les flèches noires indiquent les tris corrects dans le « jeu de la couleur » tandis que les flèches grises représentent les tris corrects dans le « jeu de la forme ». Le gris indique la couleur bleu. Le blanc indique la couleur rouge. Figure 1. Schematic illustration of the DCCS task (Frye, Zelazo, & Palfai, 1995). Notes: Correct sorting for the “color game” is indicated by the black arrows while correct sorting for the “shape game” is indicated by the gray arrows. Gray indicates blue. White indicates red. répétées avant chaque essai1. Dans la seconde phase de l’épreuve, les enfants doivent désormais trier les cartes selon l’autre dimension. Le changement de règles leur est annoncé de la façon suivante : « Maintenant, on ne joue plus au jeu de la couleur mais à un nouveau jeu, celui de la forme. Dans le jeu de la forme, les lapins vont ici [lapin bleu] et les bateaux vont là [bateau rouge]. » Comme pour la phase précédente, les enfants ne reçoivent aucun feedback et les règles leur sont répétées avant chaque essai. Il n’y a cependant pas d’essai de démonstration dans cette phase. 1 Nous décrivons ici la tâche dans sa forme la plus fréquente. Un certain nombre de variations existent néanmoins d’une étude à l’autre. Par exemple, le nombre d’essais dans chaque phase de l’épreuve peut varier de 4 à 10. De même, les enfants reçoivent parfois un feedback dans la première phase de l’épreuve. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 576 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye Notons qu’à l’inverse de la version standard du WCST, le changement de règles est explicite dans le DCCS et les nouvelles règles sont indiquées aux participants, supprimant ainsi la nécessité d’inférer la règle à mettre en œuvre. Pour réussir l’épreuve, les enfants doivent être capables de changer leur façon de trier les cartes tests en fonction du changement de consigne intervenant dans la deuxième phase de l’épreuve. Or, la plupart des enfants de 3 ans échouent la seconde phase de cette tâche en persévérant sur les réponses données dans la phase précédente. À 4-5 ans en revanche, la grande majorité des enfants parvient à changer de réponses entre les deux phases de l’épreuve, faisant ainsi preuve de flexibilité cognitive (e.g., Frye et al., 1995 ; Zelazo, Müller, Frye, & Marcovitch, 2003). Bien que les débats théoriques sur les processus sous-jacents à la flexibilité se soient cristallisés à propos du DCCS, un certain nombre d’autres tâches peuvent être mentionnées. Diverses épreuves ont été intégrées dans des batteries d’évaluation des fonctions exécutives chez l’enfant (par exemple, Batterie CANTAB : Luciana & Nelson, 1998 ; Batterie NEPSY : Korkman, Kirk, & Kemp, 1998 ; Batterie TEA-Ch. : Manly, Anderson, NimmoSmith, Turner, Watson, & Robertson, 2001). Des épreuves directement inspirées du courant neuropsychologique ont également été proposées (pour une revue de ces épreuves, voir Stahl & Pry, 2005). Par exemple, Smidts, Jacobs, et Anderson (2004) ont élaboré l’Object Classification Test for Children (OCTC) dans laquelle les enfants doivent réaliser jusqu’à trois tris successifs de six objets qui varient sur trois dimensions (couleur, forme et taille). Espy (1997) a mis au point la tâche Shape School dans laquelle les enfants ont pour instruction de nommer aussi rapidement que possible des séries d’items bidimensionnels selon l’une des deux dimensions (couleur et forme) en tenant compte d’un indice placé sur chaque item. Dans la Flexible Item Selection Task (FIST ; Jacques & Zelazo, 2001), on présente une triade d’items pouvant varier sur trois dimensions (forme, couleur et taille). Dans chaque triade, une dimension est maintenue constante, l’un des trois items (pivot) peut être apparié avec l’un des deux autres sur une dimension et avec le dernier sur une autre dimension. Les enfants doivent réaliser successivement les deux appariements différents, les obligeant ainsi à envisager l’item pivot de deux points de vue et à en déduire deux réponses différentes. Il est frappant de constater que ces différentes épreuves révèlent des patrons développementaux très similaires marqués par un développement très important de la flexibilité des conduites entre 3 et 5 ans (voir Tableau 1). Nous allons maintenant considérer les hypothèses actuellement en débat pour rendre compte des processus à l’œuvre dans la résolution des épreuves de flexibilité. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 FIST OCTC Smidts, Jacobs et Anderson (2004) Shape School Espy (1997) Jacques et Zelazo (2001) DCCS Frye, Zelazo et Palfai (1995) Article Épreuve de référence Tris successifs d’objets sur 3 dimensions (forme, couleur, taille) Tris de cartes bidimensionnelles selon une 1re dimension (phase 1) puis selon une 2nde dimension (phase 2) Dénommer des objets en alternance selon leur forme et leur couleur en fonction d’un indice externe Apparier 2 parmi 3 objets selon une 1re dimension puis selon une dimension alternative Descriptif Oui Oui Non Non Inférence des règles 5 ans Persévération sur le 1er appariement réalisé Persévération sur la dimension du 1er tri Difficulté à abstraire une dimension pour un 1er tri Difficulté à basculer entre les 2 types de dénomination Bascule correcte vers une autre dimension pour le 2nd tri Bascule correcte entre deux appariements successifs Bascule correcte entre la dénomination par la forme et la couleur Bascule correcte vers le nouveau critère de tri en phase 2 4 ans Difficulté à réaliser un 1er appariement Persévération en phase 2 sur le critère de tri pertinent en phase 1 3 ans Table I. Developmental patterns for preschool-age children in a sample of cognitive flexibility measures. Tableau I. Patrons développementaux observés à l’âge préscolaire pour un échantillon des épreuves de flexibilité cognitive. Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 577 L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 578 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye LES DIFFÉRENTES POSITIONS THÉORIQUES Longtemps sous-estimées, les formes précoces de flexibilité révélées par l’utilisation des tâches présentées plus haut restent à expliquer. Si l’épreuve du DCCS ne résume à l’évidence pas toutes les manifestations de flexibilité, il s’agit d’une épreuve paradigmatique pour envisager les différents processus impliqués et de multiples propositions théoriques tentent aujourd’hui de rendre compte de l’évolution des performances à cette épreuve. Quels sont les mécanismes qui sous-tendent la flexibilité ? À quel niveau interviennent-ils ? Loin d’avoir trouvé une réponse consensuelle, ces questions font aujourd’hui l’objet de vives controverses et chaque approche théorique propose une vision différente des processus en jeu. L’objectif de cette section est de présenter les principales propositions théoriques qui tentent de rendre compte du développement de la flexibilité à l’âge préscolaire. Nous envisagerons différents types d’approches mettant tour à tour l’accent sur la complexité cognitive, la force des représentations en jeu dans une situation, l’inhibition, la compréhension qu’un même objet peut donner lieu à de multiples représentations, et enfin l’activation de représentations précédemment ignorées. Flexibilité et complexité cognitive La théorie de la Complexité et du Contrôle Cognitifs (CCC ; Frye et al., 1995 ; Zelazo, Frye, & Rapus, 1996) a été proposée par les concepteurs du DCCS pour expliquer l’évolution des performances à cette épreuve. Elle constitue à ce titre une position pivot dans la littérature à laquelle les approches alternatives se confrontent. Elle rend compte de l’augmentation de la flexibilité par le développement des capacités de raisonnement causal à partir de règles conditionnelles de type si-alors. Selon cette théorie, à 2 ans, les enfants sont capables d’utiliser une seule règle simple du type « si Antécédent 1, alors Conséquence 1 » (par exemple, « si c’est un lapin rouge, on le met avec le bateau rouge »). À partir de 3 ans, ils parviennent à utiliser une paire de règles simples (« si Antécédent 1, alors Conséquence 1 et si Antécédent 2, alors Conséquence 2 » ; par exemple, « si c’est un lapin rouge, on le met avec le bateau rouge, et si c’est un bateau bleu, on le met avec le lapin bleu »). À cet âge, l’enfant peut utiliser isolément plusieurs paires de règles tant que celles-ci n’entrent pas en conflit. Dès lors que ces paires de règles sont conflictuelles, i.e., qu’elles aboutissent à des conséquences différentes (une paire de règles conflictuelles vis-à-vis de la première paire serait : « si Antécédent 1, alors L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 579 Conséquence 2 et si Antécédent 2, alors Conséquence 1 » ; par exemple, « si c’est un lapin rouge, on le met avec le lapin bleu, et si c’est un bateau bleu, on le met avec le bateau rouge »), elles doivent être organisées au sein d’une même structure hiérarchique (Figure 2A) grâce à l’établissement d’une règle enchâssante (higher-order rule). Cette règle enchâssante permet à l’enfant de déterminer dans quelles situations chacune des paires de règles s’applique (jeu de la couleur ou de la forme), et ainsi de les sélectionner de façon flexible en fonction des changements de la tâche. Mais l’établissement de cette règle enchâssante augmente la complexité de la structure hiérarchique de règles puisque l’enfant doit désormais utiliser des règles du type si-si-alors (par exemple : « si Condition 1, et si Antécédent 1, alors Conséquence 1 » ; ce qui donne ici : « si on joue au jeu de la couleur, et si c’est un lapin rouge, alors on le met avec le bateau rouge »). Or, ce n’est qu’à 4 ans que les enfants deviennent capables d’établir une règle enchâssante et, par conséquent, d’utiliser des règles d’une telle complexité. Figure 2. Structures hiérarchiques de règles générale (A) et appliquée au DCCS (B). Adapté de Frye, Zelazo et Palfai (1995). Figure 2. General (A) and DCCS-applied (B) hierarchical rule structures. Adapted from Frye, Zelazo, and Palfai (1995). La flexibilité dont font preuve les enfants serait ainsi fonction de la complexité du système de règles qu’ils sont capables de manipuler. Les enfants de 3 ans se montreraient inflexibles dans le DCCS car cette épreuve, pour être réussie, requiert l’établissement d’une règle enchâssante permettant de sélectionner les règles associées à chaque condition (« le jeu de la couleur » ou « le jeu de la forme ») (Figure 2B). En l’absence de L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 580 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye cette règle enchâssante, les enfants de 3 ans ne parviendraient pas à sélectionner la paire de règles adaptée à chaque condition (phase de la tâche) et utiliseraient par défaut, dans la seconde phase, la paire de règles qu’ils ont utilisée dans la phase précédente car ces règles sont les plus fortement associées à la tâche. Par contraste, les enfants de 4 ans établiraient parfaitement la règle enchâssante qui les guide dans la sélection de la paire de règles pertinentes dans la seconde phase de l’épreuve. Selon la théorie de la CCC, le processus responsable de la transition qui s’opère entre 3 et 4 ans est l’augmentation du degré de réflexion sur les paires de règles simples (Zelazo & Frye, 1998). En effet, pour pouvoir coordonner des paires de règles conflictuelles, il faut être conscient du fait que l’on connaît deux paires de règles simples s’appliquant aux mêmes cartes test. Cette conscience des connaissances que l’on a progresserait par palier. Comme le suggère la théorie des niveaux de conscience (levels of consciousness – LOC ; Zelazo, 2004), à chaque palier correspondrait la formulation de structures de connaissances plus complexes notamment grâce à un traitement plus profond de l’information, et cette progression serait étroitement liée à la maturation du cortex préfrontal (Zelazo et al., 2003). Le processus de réflexion sur les règles, rouage central de la théorie de la CCC qui le positionne comme le moteur du développement cognitif, reste aujourd’hui encore trop imprécis pour permettre une appréciation satisfaisante des causes de la transition qui s’opère entre 3 et 4 ans. C’est cependant par une autre de ses caractéristiques fondamentales que la théorie de la CCC a été remise en question. Une prédiction essentielle de cette théorie concerne le fait que les enfants de 3 ans devraient rencontrer des difficultés dans toutes les situations caractérisées par la nécessité d’établir une règle enchâssante. C’est d’ailleurs cette même prédiction qui explique selon la théorie de la CCC la difficulté des enfants de cet âge à l’épreuve de la fausse croyance (Wimmer & Perner, 1983) dans laquelle il serait nécessaire d’établir une règle enchâssante entre le point de vue du personnage et son propre point de vue, ou encore à l’épreuve apparence/ réalité (Flavell et al., 1983) dans laquelle il faut passer de façon flexible de ce à quoi l’objet ressemble à ce qu’il est vraiment (Frye et al., 1995). Pourtant, on observe dans des versions modifiées du DCCS (Perner & Lang, 2002 ; Bialystok & Martin, 2004) que dès 3 ans les enfants parviennent parfaitement à changer de critère de tri lorsque le changement de règles est unidimensionnel (i.e., les règles dans les deux phases portent sur la même dimension) alors que, selon les critères de la théorie de la CCC, la structure hiérarchique reste identique à celle du DCCS standard. De bonnes performances dès 3 ans en dépit d’une structure identique à celle L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 581 du DCCS standard sont observées dans une version de « bascule inversée » (reversal shift) où les cartes tests doivent être associées avec la carte cible de même couleur dans la première phase puis avec la carte cible de couleur différente dans la seconde partie de l’épreuve. Pour rendre compte de ces nouveaux résultats, Zelazo et al. (2003) ont proposé une forme révisée de leur théorie (théorie de la CCC-r) dans laquelle ils postulent que pour requérir une règle enchâssante, a) les règles doivent entrer en conflit et b) la bascule doit obligatoirement être extra-dimensionnelle. Si la bascule est unidimensionnelle (comme dans la version « inversée »), alors les règles, pourtant conflictuelles, seraient situées sous une même branche de la structure hiérarchique et partant, ne nécessiteraient plus l’établissement d’une règle enchâssante. Si cette précision permet d’expliquer les meilleures performances dans les versions unidimensionnelles, elle ne manque pas d’amener son lot d’incohérences. En effet, sans règle enchâssante, on est obligé de décrire l’épreuve unidimensionnelle par une structure avec une seule branche (une seule condition) sous laquelle un même stimulus figure plusieurs fois. Dès lors comment l’enfant de 3 ans parvient-il/elle à savoir quelle règle il faut suivre pour ce stimulus puisque ce sont les conditions (branches), justement absentes, qui permettent cette sélection ? La théorie de la CCC-r n’apporte malheureusement pas de réponse à cette question. D’autres versions du DCCS, dans lesquelles les cartes cibles sont remplacées par des marionnettes1 (Perner & Lang, 2002), s’avèrent également de moindre difficulté que la version standard alors même qu’elles conservent la même structure hiérarchique de règles (voir aussi Brooks, Hanauer, Padowska, & Rosman, 2003). Ces résultats invitent à repenser la définition de la complexité cognitive autrement que par la structure de règles qui caractérise une tâche. La théorie de la Complexité Relationnelle (Halford, Wilson, & Phillips, 1998 ; Andrews & Halford, 2002 ; Halford & Andrews, 2004) propose justement une autre façon d’envisager la complexité cognitive. Elle la définit en fonction de la complexité des relations que l’enfant peut traiter. Plus le nombre de variables impliquées dans une relation est élevé, plus cette relation est complexe. Les relations binaires (à deux variables) pourraient être traitées dès 2 ans (par exemple : plus grand (éléphant ; souris)) alors que les relations ternaires (à trois variables ; par exemple : addition (2 ; 3 ; 5)) le seraient vers 5 ans. Le DCCS est précisément caractérisé par une relation ternaire entre la carte test, la carte cible et la condition. La dimension conflictuelle avec la 1 Dans la version « marionnettes » (puppet), les enfants doivent par exemple donner les bateaux à Donald et les lapins à Mickey dans la première phase, puis les bleus à Mickey et les rouges à Donald dans la phase suivante. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 582 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye dimension pertinente étant toujours présente dans cette épreuve, la relation entre les cartes tests et cibles doit être traitée en même temps que l’indice concernant la condition (dimension pertinente) afin d’être en mesure de déterminer où placer chaque carte test (par exemple, la carte test « lapin rouge » va avec la cible « lapin bleu » dans le jeu de la forme), ce qui empêche tout recours à des stratégies de réduction de la complexité. Les enfants de 3 ans, incapables de traiter les relations ternaires selon cette théorie, échouent donc à l’épreuve. Les versions « marionnettes » et « bascule inversée » du DCCS (Perner & Lang, 2002) seraient plus faciles que la version standard car elles éliminent la dimension non pertinente pour le tri à effectuer (puisque les cartes cibles sont remplacées par des marionnettes dans la première, et que les valeurs de la dimension non pertinente pour le tri sont maintenues constantes dans la seconde), ce qui permettrait à l’enfant de décomposer la relation à traiter (Andrews, Halford, Bunch, Bowden, & Jones, 2003). Les théories de la CCC et de la Complexité Relationnelle diffèrent principalement par leur définition de la complexité cognitive comme dépendante ou non de la nécessité d’avoir recours à une structure hiérarchique. Si elles expliquent les liens entre le DCCS et les tâches de théories de l’esprit par le fait que ces épreuves se caractérisent toutes par un niveau similaire de complexité cognitive (telle que définie par chaque théorie), Andrews et al. (2003) ont montré que les performances aux épreuves de théories de l’esprit sont pareillement prédites par des tâches faisant appel à des relations ternaires sans structure hiérarchique que par le DCCS. Ce résultat plaide ainsi en faveur d’une conception de la complexité cognitive en termes de complexité des relations plutôt que de structures hiérarchiques. Néanmoins, au-delà de cette différence, les théories de la CCC et de la Complexité Relationnelle présentent de nombreuses similarités. Elles rendent toutes deux compte du manque de flexibilité des enfants de 3 ans dans le DCCS par l’incapacité à traiter l’indice concernant la condition de jeu (dimension pertinente) simultanément à la règle/relation à appliquer. Par ailleurs, ces deux théories attribuent un rôle secondaire à l’inhibition. En effet, la théorie de la CCC soutient que « le processus de réflexion et la formulation d’une règle enchâssante expliquent la redirection de l’attention et l’inhibition des réponses inappropriées » (Happaney & Zelazo, 2003, p. 468, en italique dans le texte original). Quant à la théorie de la Complexité Relationnelle, elle postule que le coût cognitif imposé par les processus exécutifs dépend de la complexité des relations à traiter (Andrews & Halford, 2002). Notons enfin que la théorie de la CCC ne situe pas la source d’inflexibilité des enfants de 3 ans dans un défaut de représentation des règles perti- L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 583 nentes lors de la seconde phase du DCCS mais dans un défaut de coordination de cette représentation avec la représentation des règles pertinentes dans la première phase, et partant dans la sélection erronée des règles à utiliser dans la seconde. De même, selon la théorie de la Complexité Relationnelle, la difficulté des enfants de 3 ans ne consiste pas à se représenter la nouvelle relation entre cartes tests et cartes cibles mais à se la représenter en lien avec l’indice de condition. Pour tester cette hypothèse, Zelazo et al. (1996) posent aux participants des questions portant sur leur connaissance des règles de la seconde phase (par exemple : « dans le jeu de la forme, où vont les lapins ? ») et rapportent que la plupart des enfants de 3 ans répondent correctement à ces questions. Ces participants démontrent ainsi une pleine connaissance de ces règles, alors même qu’ils sont incapables de les appliquer lorsqu’il s’agit de trier les cartes. Cette dissociation connaissances et actions plaident ainsi en faveur non pas d’un manque de connaissance mais d’un défaut de sélection des règles. Or, une telle dissociation est justement remise en question par le modèle des représentations graduées. Flexibilité et représentations graduées Selon le modèle des représentations graduées (Munakata, 2001), les représentations ne répondent pas à un phénomène de tout ou rien (i.e., elles ne sont pas soit totalement présentes, soit complètement absentes), mais sont de nature graduée. La force d’une représentation varie en fonction des indices environnementaux en sa faveur, de l’état développemental de la personne qui la génère ainsi que de son intégrité neurologique. Au niveau conceptuel, la force d’une représentation est fonction du degré de clarté avec lequel elle signale les informations appropriées, tandis qu’au niveau neural, elle est fonction du nombre et de la force des connexions neuronales qui lui sont sous-jacentes. De plus, selon le modèle des représentations graduées, deux tâches peuvent faire appel à la même représentation, mais l’une peut être réussie car elle ne requiert qu’une représentation relativement faible alors que l’autre nécessitant une représentation de force élevée est échouée. La force requise pour la réussite d’une tâche dépend de la force des représentations concurrentes intervenant dans cette même tâche. Plus cet écart de force est réduit ou favorise la représentation pertinente, plus il est facile de sélectionner cette dernière. Par ailleurs, Munakata distingue les représentations actives et latentes (Morton & Munakata, 2002, a). Les représentations latentes sont liées à l’activité des zones corticales postérieures et sont inaccessibles aux autres L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 584 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye zones bien qu’elles influencent leurs activités. Elles se développent fortement lorsqu’un stimulus est traité, et influent sur le traitement des stimuli lors des présentations ultérieures : un biais latent se forme. Dans le DCCS, les enfants développeraient un biais latent en faveur des règles qu’ils utilisent dans la première phase de l’épreuve. Les représentations actives sont quant à elles liées à l’activité du cortex préfrontal et sont accessibles aux autres zones cérébrales. Les représentations actives sont formées lorsqu’on souhaite maintenir activement la représentation d’un stimulus. C’est notamment le cas dans la seconde phase du DCCS où une représentation active des nouvelles règles à utiliser doit être maintenue. Or, la force de ce type de représentations dépend du nombre de connexions récurrentes dans le cortex préfrontal qui augmente lentement tout au long du développement, notamment entre 3 et 4 ans, d’où une augmentation globale de la force des représentations actives avec l’âge. Si aucune représentation latente n’intervient dans une épreuve, il n’y aura pas de conflit de représentations, et même une faible représentation active assurera la réussite. En revanche, lorsque les représentations actives et latentes entrent en concurrence dans une même tâche comme le DCCS, l’issue du conflit dépend de l’écart des forces. Plus un enfant est âgé, plus l’écart de force devient favorable à la représentation active, ce qui se traduit par une amélioration des performances (Morton & Munakata, 2002, a ; Munakata & McClelland, 2003). Ainsi, la flexibilité cognitive serait dépendante de l’écart de force entre la représentation pertinente dans une tâche et les représentations concurrentes. Les dissociations observées à 3 ans entre les questions connaissances et les actions ne seraient qu’apparentes. En effet, elles résulteraient de la difficulté inégale des deux types de mesures. Lorsqu’on demande aux enfants de trier les cartes, les deux dimensions sont présentes et créent un conflit. Une forte représentation active des nouvelles règles est donc nécessaire pour réussir. Par contraste, dans les questions sur la connaissance des règles (par exemple, « dans le jeu de la forme, où vont les lapins ? »), seule la dimension pertinente est mentionnée. Il n’y a donc pas de conflit, et une faible représentation des nouvelles règles suffit. D’ailleurs, lorsqu’on introduit du conflit dans les questions connaissances en mentionnant également la dimension non pertinente (« dans le jeu de la forme, où vont les lapins rouges ? »), la dissociation disparaît ; les 3 ans obtenant des performances comparables aux questions de connaissances et lors de la seconde phase de l’épreuve (Munakata & Yerys, 2001, voir aussi Morton & Munakata, 2002, b). La remise en question des dissociations entre les actions et les connaissances affaiblit ainsi l’hypothèse que soutient la théorie de la CCC selon laquelle la difficulté des enfants se situe L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 585 uniquement dans la sélection des règles (leurs connaissances des deux paires de règles étant supposées équivalentes). Malgré des conceptions assurément différentes quant aux causes de l’inflexibilité dont font preuve les jeunes enfants, plusieurs points rapprochent le modèle des représentations graduées et la théorie de la CCC. Tout d’abord, ces deux modèles s’accordent sur le fait que les enfants de 3 ans échouent car ils persévèrent sur les règles utilisées dans la première phase (nous verrons dans la section suivante que d’autres identifient la persévération au niveau des stimuli eux-mêmes). En outre, la théorie de la CCC et les représentations graduées postulent toutes deux que les 3 ans ont effectivement construit une représentation des règles pertinentes dans la seconde phase de l’épreuve mais, pour une raison ou pour une autre, ils n’y ont pas accès. Enfin, comme la théorie de la CCC, le modèle des représentations graduées n’accorde pas à l’inhibition un rôle central puisque, selon ce modèle, l’inhibition de la représentation non pertinente est la conséquence du rapport de force entre représentations en jeu. Par contraste, d’autres approches accordent un rôle central à l’inhibition pour rendre compte du développement de la flexibilité cognitive. Flexibilité et inhibition Parmi les différentes formes d’inhibition qui ont été proposées, on retient notamment la distinction entre une inhibition motrice qui consiste en un blocage de séquences d’actions et une inhibition conceptuelle qui opère au niveau des représentations mentales (e.g., Kipp Harnishfeger, 1995 ; Niggs, 2000). Aussi, les auteurs ont visé à mettre en lumière la contribution respective de ces deux formes d’inhibition à la flexibilité cognitive. Inhibition motrice Dans la première phase du DCCS, il est possible que les enfants associent chacune des deux cartes tests avec la cible correspondante. La persévération dans la phase suivante pourrait alors refléter une difficulté à inhiber le schème d’action associant chaque carte test à une carte cible particulière. Néanmoins, toute une série de résultats plaident en défaveur de l’hypothèse d’un défaut d’inhibition des schèmes d’action comme source principale d’inflexibilité. Tout d’abord, Zelazo et al. (1996, Expérience 2) montrent que les enfants de 3 ans persévèrent dans la seconde phase de l’épreuve même lorsque la première phase n’est composée que d’un seul essai supposé insuffisant pour induire un biais moteur. De même, lorsqu’on contrecarre l’association motrice stimulus-réponse établie dans L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 586 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye la première phase grâce à l’introduction de nouvelles boîtes de réponse dans la seconde phase, ce qui oblige à modifier la séquence motrice, on n’observe aucune influence sur les performances des enfants de 3 ans (Towse, Redbond, Houston-Price, & Cook, 2000 ; Rennie, Bull, & Diamond, 2004). Enfin, l’étude la plus probante pour éliminer définitivement cette hypothèse est sans nul doute celle de Jacques, Zelazo, Kirkham et Semcesen (1999). Ces auteurs ont demandé aux participants non pas de trier les cartes eux-mêmes mais de juger verbalement les tris réalisés par une poupée, supprimant ainsi les demandes d’inhibition motrice. Or, les résultats montrent que cette version est tout aussi difficile que la version standard ; les participants de 3 ans jugeant corrects les tris conformes aux règles anciennement pertinentes et incorrects le tris conformes aux règles nouvellement pertinentes. Les résultats s’accumulant, il semble ainsi qu’on puisse rejeter la thèse d’un défaut d’inhibition des schèmes d’action comme source majeure de l’inflexibilité dont font preuve les jeunes enfants. Il reste toutefois possible que la persévération résulte d’un défaut d’inhibition au niveau des représentations. Inhibition conceptuelle Selon la théorie de l’inertie attentionnelle (Kirkham, Cruess, & Diamond, 2003), les jeunes enfants rencontreraient des difficultés à changer leur représentation des stimuli, ce qui expliquerait notamment leur échec au DCCS. Lors de la première phase, ils construiraient une représentation des stimuli selon le point de vue de la dimension pertinente. Par exemple, si la couleur est pertinente, ils penseraient les cartes « lapins rouges » comme des « rouges ». Il rencontreraient ensuite des difficultés à inhiber cette représentation pour construire une représentation basée sur la dimension alternative (« c’est un lapin »). Ce ne sont donc pas ici les règles à suivre qui posent problème (les auteurs insistent d’ailleurs sur le fait que les enfants, lors du changement de règles, sont tout à fait conscients de ces nouvelles règles), mais la difficulté des enfants à basculer leur attention entre les attributs des objets bidimensionnels qui figurent sur les cartes lorsque ces attributs amènent à des réponses contradictoires. Incapables de changer leur façon de penser les objets (et partant, leur réponse pour cet objet), les enfants persévèrent dans la seconde phase de l’épreuve sur les réponses fournies dans la première phase. Par opposition, ils réussissent les questions de connaissances car, celles-ci ne mentionnant que l’attribut pertinent, leur attention ne peut pas être « capturée » par l’autre attribut. La flexibilité serait donc tributaire des capacités d’inhibition. La notion d’inertie attentionnelle est à rapprocher de celle d’inertie de task-set proposée par Allport (e.g., Waszak, Hommel, & Allport, 2003) L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 587 chez l’adulte à propos du paradigme de task-switching que nous avons évoqué en introduction. Selon cet auteur, lorsque l’individu traite un stimulus, il construit une représentation associant ce stimulus (e.g., le lapin rouge) à l’attribut pertinent (la couleur rouge), au traitement effectué (traitement de la couleur du stimulus) et à la réponse donnée (le lapin rouge a été associé au bateau rouge). Lorsque le stimulus doit être à nouveau traité mais dans le cadre d’une nouvelle tâche, cette représentation est récupérée (grâce à la présence même du stimulus qui sert d’indice de rappel) et interfère avec la nouvelle tâche à effectuer. Cette interférence expliquerait le coût de bascule observé chez l’adulte. Ainsi, pour la théorie de l’inertie attentionnelle comme pour celle de l’inertie de task-set, les erreurs seraient liées à l’interférence créée par la représentation initiale des stimuli qu’ont les participants. Néanmoins, la théorie de l’inertie attentionnelle diffère de la théorie de l’inertie de task-set en ce sens qu’elle soutient qu’un contrôle inhibiteur efficient permet de contrecarrer activement cette inertie alors que pour la théorie de l’inertie de task-set, l’interférence liée à la représentation non pertinente (associant le stimulus à la façon dont il a été précédemment traité et la réponse à laquelle il a donné lieu) s’atténue progressivement sans intervention active de la part de l’individu. Pour mettre à l’épreuve la théorie de l’inertie attentionnelle, Zelazo et al. (2003) ont créé une version du DCCS dans laquelle les objets figurant sur les cartes diffèrent complètement entre les deux phases (par exemple, les lapins et les bateaux rouges et bleus sont remplacés par des chiens et des fleurs jaunes et verts) mais varient selon les mêmes dimensions (couleurs et formes). Selon ces auteurs, si l’attention des participants est fixée sur une dimension donnée, alors on devrait observer de la persévération (puisque les dimensions restent les mêmes). Or, cette version s’étant révélée plus facile que la version standard, Zelazo et al. concluent que l’inertie attentionnelle n’est pas la principale source de difficulté des enfants. Cependant, contrairement à l’interprétation qu’en font Zelazo et al. (2003), la théorie de l’inertie attentionnelle ne stipule pas que les enfants de 3 ans restent focalisés sur une dimension en tant que telle, mais sur la valeur particulière d’un objet sur cette dimension ; ce qui explique que l’inertie n’ait pas d’effet si ces valeurs disparaissent dans la seconde phase. Un certain nombre des résultats obtenus sur ces variantes plaident en faveur de la pertinence de l’analyse de la théorie de l’inertie attentionnelle. Tout d’abord, la majorité des enfants qui échouent la seconde phase du DCCS continuent à dénommer les cartes tests selon la dimension anciennement pertinente (Towse et al., 2000, Expérience 4), montrant ainsi L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 588 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye qu’ils continuent à penser les objets selon leur valeur sur cette dimension. Ensuite, les enfants parviennent à changer de critère de tri lorsque l’on retire des cartes cibles et/ou des cartes tests la dimension anciennement pertinente (notamment en remplaçant les cibles par des poupées) (Towse et al., 2000, Expérience 1, Perner & Lang, 2002), ce qui a pour effet d’empêcher que l’attention des enfants ne soit captée par l’attribut caractérisant l’objet sur cette dimension. De même, les performances augmentent lorsqu’on attire leur attention sur l’attribut nouvellement pertinent en leur demandant de dénommer eux-mêmes les cartes tests selon cet attribut avant de les trier (Kirkham et al., 2003), ou encore lorsqu’ils bénéficient d’une démonstration des nouvelles règles (Towse et al., Expérience 3). Inversement, les performances diminuent si on cristallise davantage l’attention sur l’attribut anciennement pertinent en laissant visibles dans les boîtes de jeu les cartes précédemment triées (Kirkham et al., 2003). Enfin, on observe un coût (en termes de temps de réponse) lié à la bascule entre les deux phases de l’épreuve même chez les participants adultes (Diamond & Kirkham, 2005). Ce coût est davantage susceptible de refléter l’inhibition d’une première représentation des stimuli que la difficulté à établir une règle enchâssante puisque, selon la théorie de la CCC, les adultes sont supposés capables d’un tel niveau de complexité, ce qui plaide en faveur de l’inertie attentionnelle comme source majeure d’inflexibilité. L’inhibition conceptuelle, telle qu’envisagée par Bialystok (1999 ; Bialystok, Craik, Klein, & Viswavathan, 2004 ; Bialystok & Martin, 2004 ; Bialystok & Senman, 2004), met également l’accent sur la difficulté des jeunes enfants à vaincre l’inertie attentionnelle sur une première représentation. Bialystok insiste par ailleurs sur la modulation du coût de l’inhibition en fonction de la complexité des stimuli. En effet, le processus d’inhibition conceptuelle permettrait de bloquer l’ancienne représentation des stimuli afin de les réinterpréter en fonction de l’attribut nouvellement pertinent. Or, la construction d’une nouvelle représentation serait plus ou moins coûteuse selon la complexité de l’attribut. Se représenter un objet selon un attribut sémantique implique que l’objet soit d’abord identifié et interprété, ce qui nécessiterait de plus fortes capacités d’analyse que pour un attribut perceptif directement accessible. Conformément à cette hypothèse, Bialystok et Martin (2004) montrent qu’une version du DCCS dans laquelle les stimuli doivent être interprétés en fonction de propriétés sémantiques (selon qu’ils vont dehors/dedans et qu’il servent à se vêtir/jouer) est nettement plus difficile que la version standard dans laquelle les objets doivent être identifiés à partir de pro- L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 589 priétés perceptives. L’efficience de l’inhibition serait donc en partie dépendante de la complexité des objets à traiter. Ainsi, deux différences majeures permettent de distinguer les théories de l’inertie attentionnelle/inhibition conceptuelle de la théorie de la CCC. La première différence entre ces approches concerne le niveau auquel cellesci situent la source d’inflexibilité : au niveau de la représentation des règles pour la théorie de la CCC, à celui de la représentation des objets stimuli pour l’inertie attentionnelle/inhibition conceptuelle. Par ailleurs selon les théories de l’inertie attentionnelle/inhibition conceptuelle, les enfants n’ont pas la possibilité de construire une représentation alternative à celle qui était pertinente dans la première phase du DCCS alors que la théorie de la CCC stipule que les difficultés des enfants sont des difficultés de sélection (et non de construction) de la nouvelle représentation. Si les théories de l’inertie attentionnelle et de l’inhibition conceptuelle présentent la re-représentation (ou redescription) des stimuli comme une source de difficulté en soi car elle implique de l’inhibition, d’autres auteurs insistent sur la difficulté à comprendre que cette redescription est nécessaire. Incompréhension de la nécessité de redécrire les objets L’hypothèse de la redescription (Kloo, 2003 ; Kloo & Perner, 2003, 2005) postule que l’inflexibilité dont font preuve les jeunes enfants dans les tâches exécutives et celles de théories de l’esprit résulte de leur incompréhension que les objets peuvent être décrits de multiples façons. Plus spécifiquement, dans le DCCS, les enfants se représenteraient (décriraient) une première fois les stimuli lors de la première phase, mais ne comprendraient pas qu’à la phase suivante ces mêmes stimuli doivent être redécrits en fonction de l’autre dimension. Par ailleurs, dans la première phase, les enfants n’utiliseraient pas les règles de tri qu’on leur énonce (si la couleur est pertinente, « on met les cartes tests rouges avec la cible rouge et les cartes tests bleues avec la cible bleue ») mais inféreraient à partir de ces règles une règle générale du type « mettre chaque carte test avec la carte cible qui a la même chose dessus ». Les nouvelles règles annoncées dans la seconde phase (« on met les lapins avec la cible lapin et les bateaux avec la cible bateau ») ne leur apparaîtraient alors que comme de nouveaux exemples de cette règle générale qu’ils utilisent déjà. Ne recevant pas explicitement l’information selon laquelle ils doivent cesser de traiter le bateau bleu comme « un bleu » et le lapin rouge comme « un L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 590 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye rouge » pour les considérer désormais comme « un bateau » et « un lapin », les enfants ne prendraient pas conscience de la nécessité de changer de réponses et répéteraient celles précédemment données. Les meilleures performances des enfants dans les versions modifiées du DCCS sont ainsi réinterprétées par le fait qu’elles clarifient la nécessité de redécrire les cartes (Towse et al., 2000 ; Kirkham et al., 2003 ; Zelazo et al., 2003). C’est notamment le cas lorsqu’on introduit au début de la seconde phase de l’épreuve des essais de démonstration (Towse et al., 2000) qui, selon cette hypothèse, permettent aux enfants de comprendre que les stimuli doivent désormais être décrits à partir de la dimension alternative. En outre, l’hypothèse de la redescription permet d’expliquer pourquoi on observe une augmentation des performances lorsqu’on remplace les cartes cibles par des marionnettes (Perner & Lang, 2002). En effet, ce n’est qu’en présence de cartes cibles que les enfants peuvent utiliser une règle du type « mettre chaque carte test avec la carte cible qui a la même chose dessus ». Or c’est justement l’utilisation d’une telle règle qui empêche la compréhension de la nécessité de redécrire les cartes lors de la seconde phase. Par conséquent, remplacer les cartes cibles par des marionnettes permet de mieux repérer la nécessité de cette redescription, d’où les meilleures performances dans cette version. Par ailleurs, l’utilisation d’une règle générale permet de déduire les réponses correctes aux questions de connaissances dans la mesure où ces questions ne mentionnent qu’une seule dimension à la fois (par exemple : « dans le jeu de la forme, où vont les lapins ? »), ce qui explique les bonnes performances à ces questions dès 3 ans. Enfin, selon l’hypothèse de la redescription, comme pour celle de l’inertie attentionnelle, les enfants rencontreraient des difficultés à changer de représentations seulement lorsque ce changement concerne un même objet multidimensionnel. Kloo et Perner (2005 ; voir aussi Diamond, Carlson, & Beck, 2005) observent d’ailleurs que ces difficultés disparaissent lorsqu’on dissocie spatialement les dimensions sur les cartes tests et/ou les cibles de manière à ce que les descriptions successives portent sur des objets distincts (par exemple, le lapin bleu est remplacé par un lapin non coloré avec une tache bleue à ses côtés). Notons que l’hypothèse selon laquelle les enfants infèreraient une règle générale se heurte directement à l’un des principes fondamentaux de la théorie de la CCC selon lequel les enfants persévèrent sur la paire de règles simples associées à la dimension anciennement pertinente. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, Kloo (2003) demande aux enfants de trier trois cartes tests (pomme jaune, banane bleue et poire verte) selon l’une des dimensions mais ne fournit les règles simples que pour deux de ces trois cartes. Elle observe que la grande majorité des enfants n’éprouve L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 591 aucun problème à inférer la règle pour la troisième carte test. Il semble ainsi que les enfants n’utilisent pas une règle simple pour chaque stimulus mais dégagent effectivement une règle générale à partir des consignes qui leur sont fournies. Si l’hypothèse de la redescription partage avec les théories de l’inertie attentionnelle et de l’inhibition conceptuelle le postulat selon lequel l’inflexibilité est liée à des difficultés de changement de points de vue sur les objets, elle se différencie de ces positions théoriques par deux aspects. D’une part, elle n’explique pas l’inflexibilité par un déficit exécutif d’inhibition mais par une limitation conceptuelle liée à l’incompréhension de la nécessité de redécrire les objets. D’autre part, elle soutient que les enfants ont une profonde incompréhension de la situation (du changement de règles) alors que selon la théorie de l’inertie attentionnelle, les enfants comprennent qu’ils doivent changer de règles mais à la vue des cartes tests, l’ancienne représentation est rappelée, ce qui entraîne l’échec (Diamond et al., 2005). Sur ce dernier point, l’hypothèse de la redescription converge avec l’analyse que fait Deák de la flexibilité (e.g., Deák, 2003 ; Deák & Narasimham, 2003). Selon ce dernier, le manque de flexibilité serait lié au fait que les jeunes enfants rencontrent des difficultés à interpréter la signification des indices contenus dans les consignes concernant les changements intervenant dans une situation. Deák (2003) explique les erreurs des enfants de 3 ans dans le DCCS notamment par la faible variabilité des stimuli qui incite rapidement les enfants à ne plus traiter les consignes croyant qu’ils connaissent déjà toutes les réponses. Par conséquent, ils ne dégageraient pas toutes les implications du changement de consignes dans la seconde phase et utiliseraient un principe pragmatique, par ailleurs efficace dans bon nombre de situations sociales, du type « donner la réponse la plus familière jusqu’à ce qu’on soit corrigé » qui les inciterait à ne pas changer de réponses. D’ailleurs, les enfants de 3 ans réussissent parfaitement le DCCS lorsqu’on introduit dans la seconde phase un feedback qui signifie sans ambiguïté aux enfants que leurs anciennes réponses ne sont plus valides et qu’ils doivent donc en changer (Bohlmann & Fenson, 2005). Il reste toutefois à déterminer si des consignes plus explicites aident l’enfant à mieux comprendre les enjeux de la situation (Deák, 2003 ; Kloo & Perner, 2005) ou si elles facilitent la mise en œuvre des processus que cette situation requiert (Kirkham et al., 2003 ; Bialystok & Martin, 2004). Toutes les approches précédemment exposées rendent compte du manque de flexibilité des jeunes enfants par des difficultés à inhiber ou à changer une représentation anciennement pertinente. Or, des résultats L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 592 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye récents suggèrent que les enfants pourraient tout autant rencontrer des difficultés à activer une représentation qui a été précédemment ignorée. Défaut d’activation d’une représentation ignorée Pour réussir la première phase du DCCS, les enfants doivent s’engager dans une première représentation des règles et/ou des objets basée sur la dimension pertinente. Pour ce faire, ils doivent ignorer la représentation basée sur les valeurs de la dimension concurrente. Il se pourrait que les erreurs de persévération qui interviennent dans la seconde phase soient le reflet de la difficulté à activer cette représentation jusque là ignorée. Une telle hypothèse pourrait notamment rendre compte de la plus grande facilité des versions « inversée » (les cartes cibles et tests ne varient que sur une dimension) et « marionnettes » (les cartes cibles sont remplacées par des marionnettes) du DCCS. Dans ces versions, aucune dimension n’est à ignorer dans la première phase puisque la dimension non pertinente n’incite pas à répondre de façon contradictoire (celle-ci étant absente des cartes cibles et/ou des cartes tests). La représentation pertinente dans la seconde phase n’ayant pas été précédemment ignorée, elle est plus facilement activée, ce qui explique les meilleures performances observées. Pour mettre directement à l’épreuve cette hypothèse, Zelazo et al. (2003, Étude 4) ont créé une nouvelle variante du DCCS (version Amorçage Négatif ; Figure 3) dans laquelle les valeurs de la dimension pertinente dans la première phase sont changées lors de la phase suivante de manière à ce que les erreurs ne puissent plus traduire la persévération sur les réponses données lors de la première phase. Quant aux valeurs de la dimension non pertinente dans la première phase, elles deviennent pertinentes dans la phase suivante. Ainsi, les erreurs dans cette version ne peuvent refléter qu’une difficulté à activer une représentation basée sur les valeurs de la dimension ignorée dans la première phase. Selon la théorie de la CCC, les enfants devraient réussir cette version car ils ne peuvent plus sélectionner par défaut les règles précédemment pertinentes puisque les valeurs sur lesquelles ces règles portent sont absentes dans la seconde phase. Si en revanche le défaut d’activation de la représentation basée sur la dimension ignorée est à l’origine de l’inflexibilité, alors les enfants devraient échouer cette version comme ils le font dans la version standard. On observe que cette version de l’épreuve est tout aussi difficile que la version standard, plaidant ainsi en faveur d’un défaut d’activation d’une représentation ignorée (voir aussi Müller, Dick, Gela, Overton, & Zelazo, 2006). Des résultats similaires ont été observés chez l’adulte sur l’épreuve du WCST dont le DCCS est inspiré (Maes, Damen, & Eling, 2004). L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 593 Figure 3. Cartes cibles (lignes du dessus) et cartes tests (en colonne) dans les versions standard, Amorçage Négatif et Changement Partiel du DCCS. Adapté de Zelazo, Müller, Frye et Marcovitch (2003). Notes : Dans ces exemples, la couleur est pertinente dans la première phase et la forme est pertinente dans la seconde phase. Le gris indique la couleur bleue ; le blanc indique la couleur rouge ; les rayures verticales indiquent la couleur verte ; et les rayures horizontales indiquent la couleur jaune. Figure 3. Target cards (top rows) and test cards (columns) in the Negative Priming and Partial Change versions of the DCCS. Adapted from Zelazo, Müller, Frye, and Marcovitch (2003). Notes: In these examples, color is the relevant dimension in the preswitch phase and shape is relevant in the postswitch phase. Gray indicates blue; white indicates red; vertical stripes indicate green; and horizontal stripes indicate yellow. Alors que le déficit de flexibilité des jeunes enfants était principalement attribué à de la persévération sur des réponses prépondérantes et, par conséquent, par son corollaire au niveau des processus cognitifs, i.e., l’inhibition d’une représentation initiale, ces résultats suggèrent que l’inflexibilité pourrait davantage refléter un défaut d’activation d’une représentation précédemment ignorée. Si cette dernière apparaît comme une source majeure de difficulté, peut-elle à elle seule rendre compte des performances dans le DCCS ? Une étude récente menée dans notre laboratoire (Chevalier, 2005) visait notamment à répondre à cette question. L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 594 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye Pour cela, nous avons adapté des travaux chez l’adulte (Dreisbach & Goschke, 2004) une nouvelle épreuve de tri de cartes (Figure 4). Dans cette nouvelle épreuve, chaque carte test était composée d’une paire d’objets bidimensionnels de couleurs différentes (par exemple, un chat bleu et une fleur jaune) et devait être associée à l’une des deux cartes cibles sur lesquelles figurait un seul objet non coloré (une fleur ou un chat). Les tris devaient être effectués sur la base d’une première couleur (par exemple, bleue) dans la première phase de l’épreuve et de la couleur alternative (ici, jaune) dans la seconde phase. Ainsi, si la couleur bleue est pertinente, l’enfant doit associer la carte stimulus à la cible de même forme que l’objet bleu. L’épreuve a été déclinée en trois versions : la version standard dans laquelle les deux mêmes couleurs figurent dans les deux phases de l’épreuve ; la version « persévération » dans laquelle la couleur pertinente en phase 1 devient distractrice en phase 2 alors qu’une couleur nouvelle est pertinente (les erreurs ne peuvent ici refléter que de la persévération sur la couleur anciennement pertinente) ; et enfin une version « défaut d’activation » dans laquelle la couleur distractrice en phase 1 devient pertinente en phase 2 tandis qu’une nouvelle couleur est non pertinente dans cette dernière phase (les erreurs ne peuvent refléter qu’une difficulté à activer la couleur précédemment ignorée). Nos résultats montrent que, si la version « défaut d’activation » est aussi difficile à 3 ans que la version standard, la version « persévération » est d’une difficulté bien moindre. Notre étude suggère ainsi que l’inhibition d’une représentation initiale ne joue qu’un rôle mineur dans le déficit de flexibilité à 3 ans, celui-ci reflétant principalement une difficulté à activer une représentation précédemment ignorée. Cette conclusion est cependant nuancée par les performances observées par Zelazo et al. (2003) sur une version modifiée du DCCS (Changement Partiel). Dans cette version équivalente à la version « persévération » de notre nouvelle tâche, les valeurs de la dimension pertinente dans la première phase restent inchangées dans la phase suivante alors que les valeurs de la dimension non pertinente dans la première phase sont modifiées dans la seconde (durant laquelle cette dimension devient pertinente). Ainsi, comme pour la version « persévération » de notre étude, les erreurs ne peuvent pas refléter un défaut d’activation de la représentation basée sur la valeur de la dimension ignorée mais seulement une difficulté à inhiber la représentation initiale. Zelazo et al. observent que cette version est pourtant tout aussi difficile à 3 ans que les versions standard et « Amorçage Négatif » (équivalente à notre version « défaut d’activation »), et concluent par conséquent que les difficultés à activer une représentation ignorée et à L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 595 Figure 4. Illustration des versions standard, Persévération et Défaut d’activation de l’épreuve de Chevalier (2005) adaptée de Dreisbach et Goschke (2004). Notes : Le gris indique la couleur bleue ; les rayures horizontales indiquent la couleur jaune ; et les rayures verticales indiquent la couleur rouge. Les cercles indiquent ici les couleurs pertinentes dans ces exemples mais n’apparaissaient pas sur les cartes tests réelles. Seul un échantillon des cartes test apparaît sur la figure. Figure 4. Illustration of the standard, Perseveration, and Activation-deficit versions of the task used in Chevalier (2005) and adapted from Dreisbach and Goschke (2004). Notes: Gray indicates blue; horizontal stripes indicate yellow; and vertical stripes indicate red. Circles indicate the relevant color in these examples but did not appear on the real test cards. The figure only shows a sample of the test cards. inhiber une représentation initiale sont conjointement responsables de l’inflexibilité des enfants de 3 ans. Si notre étude et celle de Zelazo et al. diffèrent quant au rôle accordé à l’inhibition d’une représentation initiale, elles s’accordent à conférer à L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 596 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye l’activation d’une représentation précédemment ignorée un rôle majeur dans la flexibilité cognitive. Jusqu’à présent, seuls Zelazo et al. (2003) ont tenté de prendre en compte le défaut d’activation de la représentation basée sur la dimension ignorée dans leur révision de la théorie de la CCC (CCC-r). La théorie de la CCC-r explique la difficulté à activer les règles basées sur la dimension ignorée, tout comme la difficulté à inhiber les règles anciennement pertinentes, par l’absence de règle enchâssante. Cette explication reste peu convaincante dans la mesure où elle n’explique pas comment l’enfant parvient à ignorer la paire de règles concurrentes dans la première phase de l’épreuve s’il ne prend pas conscience que les stimuli peuvent donner lieu à deux règles différentes (rappelons que, selon la théorie de la CCC, lorsque l’enfant en prend conscience, il devient capable d’établir la règle enchâssante qui est justement supposée manquer aux enfants en échec dans le DCCS). Par ailleurs, pour mieux comprendre le rôle du défaut d’activation d’une représentation précédemment ignorée, il s’agira notamment de préciser si celui-ci relève d’un phénomène d’amorçage négatif et partant, d’inhibition. Le phénomène d’amorçage négatif a souvent été interprété chez l’enfant comme la marque d’un contrôle inhibiteur efficient (e.g., Perret, Paour, & Blaye, 2003). S’il s’avérait que le défaut d’activation de la représentation ignorée dans le DCCS reflétait effectivement de l’amorçage négatif, on se trouverait alors face à un paradoxe : le manque de flexibilité des enfants de 3 ans serait lié à une inhibition trop efficiente alors que dans bien d’autres situations ils font preuve d’un déficit d’inhibition (e.g., Gerstadt, Hong, & Diamond, 1994). La distinction entre inhibitions automatique et contrôlée, introduite par Perner, Stummer et Lang (1999), semble ici pertinente. Si l’amorçage négatif chez l’adulte est souvent interprété comme impliquant de l’inhibition (Tipper, 2001), il reste probable que cette inhibition n’ait pas le même statut que l’inhibition contrôlée par l’individu. En effet, Maes et al. (2004) interprètent le défaut d’activation observé dans le WCST comme reflétant un phénomène automatique qu’ils nomment non pertinence apprise (learned irrelevance). Ainsi, le défaut d’activation de la représentation précédemment ignorée dans le DCCS pourrait être engendré par de l’inhibition automatique indépendante du contrôle inhibiteur. Une telle hypothèse semble d’autant plus plausible qu’on observe de l’amorçage négatif chez des enfants de 9 mois (Amso & Johnson, 2005) chez qui le contrôle inhibiteur est loin d’être efficient. Faire preuve de flexibilité pourrait ainsi signifier non seulement être capable de mettre en place volontairement un contrôle inhibiteur sur ses représentations, mais également être capable de L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 597 contrecarrer les effets d’une inhibition automatique lorsque ceux-ci ne sont pas adaptés à la situation. VERS DE NOUVELLES PISTES DE RECHERCHE À l’issue de cette revue de la littérature, il ressort que de nombreuses études ont mis en lumière des formes précoces de flexibilité dès l’âge de 4 ans et de nombreuses conditions dans lesquelles les enfants de 3 ans parviennent à changer de points de vue sur une même réalité. Les auteurs ont recours à différentes hypothèses (synthétisées dans le Tableau II) sur les processus sous-jacents pour rendre compte de ces formes précoces de flexibilité cognitive à l’âge préscolaire. Certaines d’entre elles peuvent d’ores et déjà être abandonnées. C’est en particulier le cas de l’inhibition motrice de réponses prépondérantes. De même, il paraît difficile de rendre compte de la flexibilité cognitive à partir d’une variable unique telle que la complexité cognitive liée à la structure hiérarchique des règles caractérisant les tâches à effectuer. En effet, bien que celle-ci soit susceptible de jouer un rôle dans la flexibilité des conduites, les variations de performances à travers des épreuves à structures hiérarchiques identiques suggèrent que de multiples facteurs doivent être considérés pour expliquer la flexibilité cognitive et son développement (certains de ces facteurs apparaissent dans le Tableau II). Contrairement à une idée trop répandue, le défaut de flexibilité cognitive ne se résume pas à un phénomène de persévération puisque la capacité à activer une représentation précédemment ignorée semble tenir un rôle tout aussi important que la capacité à inhiber une représentation initiale. On peut dès lors envisager des manifestations du manque de flexibilité cognitive alternatives à la persévération. Ceci invite notamment à s’intéresser à une seconde facette de la flexibilité. Si les travaux récents ont privilégié l’étude de l’adaptation au changement, et donc la bascule entre différentes réponses, il reste que l’adaptation peut exiger le maintien d’un type de représentation et de traitement alors même que des représentations distractrices peuvent être activées par la situation (Sternberg & Powell, 1983 ; Blaye, 2001). Or, jusqu’à présent, cette capacité de maintien d’une représentation n’a pas été étudiée chez le jeune enfant bien que des études chez l’enfant plus âgé et chez l’adulte suggèrent qu’elle constitue une source de difficulté importante dans des épreuves de flexibilité et notamment le WCST (Stuss et al., L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Kloo et Perner (2003) Zelazo, Müller, Frye et Marcovitch (2003), Chevalier (2005) Redescription des objets Défaut d’activation de la représentation ignorée Amorçage négatif Non Oui Compréhension de la nécessité de redécrire les objets sélection construction construction sélection Oui Oui sélection sélection Oui Oui Inhibition conceptuelle Capacité à traiter les relations ternaires Écart de force entre les représentations Halford, Wilson et Phillips (1998) Munakata (2001) Capacité à établir une règle enchâssante Frye, Zelazo et Palfai (1995) Kirkham, Cruess et Diamond (2003), Bialystok (1999) Références principales Complexité et Contrôle Cognitifs (CCC) Complexité relationnelle Représentations graduées Inertie attentionnelle & Inhibition conceptuelle Position théorique Défaut Erreurs liées de construction à de la Principal facteur persévération sur ou de sélection sous-jacent la représentation de la nouvelle à la flexibilité représentation initiale À déterminer Objets Objets Règles Règles Règles Oui Non Oui Oui Oui Oui Bascule sur les Compréhension objets des enjeux ou les de la situation règles Table II. Synthesis of the main theoretical proposals accounting for the development of cognitive flexibility in preschoolers. Tableau II. Synthèse des principales propositions théoriques rendant compte du développement de la flexibilité cognitive chez les enfants préscolaires. 598 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 599 2000 ; Barceló & Knight, 2002 ; Crone et al., 2004). L’absence de travaux sur cette question chez le jeune enfant tient probablement au fait que les épreuves utilisées pour cette tranche d’âge sont construites de telle manière qu’elles ne laissent à l’enfant que deux options de réponse : soit l’enfant choisit la réponse correcte qui est jugée comme une marque de flexibilité, soit il répète la réponse précédemment donnée, ce qui est considéré comme de la persévération. Par contraste, l’épreuve du WCST laisse une plus grande palette de réponses possibles aux participants permettant ainsi de distinguer les erreurs qui reflètent de la persévération (lorsque le participant répète la réponse précédemment donnée) des erreurs qui traduisent davantage un défaut de maintien d’une même représentation (lorsque le participant choisit une réponse incorrecte différente de la réponse antérieure). De plus, alors que les travaux évoqués chez l’enfant préscolaire s’appuient sur des tâches de flexibilité déductive (i.e., la règle de tri à mettre en œuvre est explicitement fournie et généralement répétée à chaque essai), l’épreuve du WCST en revanche implique l’induction des différentes règles d’appariement par les participants en fonction des feedbacks reçus. Nous avons justement proposé une tâche de flexibilité inductive sur des critères perceptifs à des enfants de 5 à 8 ans (Blaye & Paour, 2004). Les résultats ont permis de révéler, que le maintien d’un critère d’appariement perceptif d’images (apparier des images de « même couleur » sur la base d’un feedback sur l’exactitude des réponses) en présence d’un autre critère possible (possibilité de sélectionner une autre paire d’images de « même forme »), s’avère significativement plus difficile chez les enfants de 5 ans que chez leurs pairs plus âgés. Il est à souligner que les capacités de maintien d’une même représentation face à l’interférence d’informations non pertinentes constituent une caractéristique essentielle de la mémoire de travail (MDT) dans certaines modélisations (e.g., Engle, Kane, & Tuholski, 1999 ; Kane & Engle, 2003 ; Mecklinger, Weber, Gunter, & Engle, 2003 ; Oberauer, Lange, & Engle, 2004). L’étude de ces capacités serait ainsi susceptible de renseigner sur le rôle que joue la MDT dans le développement de la flexibilité. Bien que les aspects mnésiques interviennent dans le modèle de la flexibilité de Munakata (2001), les liens entre flexibilité cognitive et MDT n’ont jusqu’ici pas véritablement été étudiés chez le jeune enfant. Jusqu’à très récemment, seule une série d’expériences menée par Zelazo et al. (2003) a porté sur les aspects de stockage en MDT indépendamment des aspects de traitement. Ces expériences ont montré que les ressources mnésiques des enfants de 3 ans étaient suffisantes pour permettre le maintien en mémoire de deux paires de règles, éliminant ainsi l’hypothèse selon laquelle les enfants de L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 600 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye cet âge échoueraient le DCCS car, leurs capacités de stockage en MDT étant saturées par la première paire de règles, ils seraient incapables de maintenir active la seconde paire. Or, selon Engle et al. (1999), « “la capacité de mémoire de travail” ne concerne pas réellement le stockage ou la mémoire en soi, mais la capacité d’attention contrôlée, soutenue face à de l’interférence ou de la distraction » (p. 104, en italique dans le texte original). En effet, un fort empan mnésique lié à des capacités élevées de résistance à l’interférence assurerait à l’individu le blocage de l’accès en MDT des informations distractrices et l’attribution de plus de ressources mnésiques aux informations pertinentes qui seraient ainsi plus facilement maintenues actives. C’est pourquoi il serait intéressant de mettre en lien chez les enfants préscolaires les épreuves de flexibilité cognitive et celles de MDT au sens où l’entendent Engle et ses collaborateurs (e.g., l’épreuve d’empan de chiffres inversé). Une étude très récente (Espy & Bull, 2005) apporte des premiers résultats sur le rôle des aspects mnésiques en montrant que les enfants de 3 à 6 ans à fort empan de mémoire à court terme font preuve de réponses plus flexibles que les enfants à empan faible dans l’épreuve du Shape School dans laquelle il s’agit de basculer entre la dénomination de formes et de couleurs en fonction d’un indice externe. En outre, chez l’adulte les liens entre flexibilité et MDT commencent à se préciser. Par exemple, Baddeley, Chincotta et Adlam (2001) distinguent deux éléments impliqués dans la flexibilité : le programme de bascule qui permettrait à l’individu de savoir à quels moments il doit basculer entre différentes tâches et qui serait dépendant de la boucle phonologique, et le processus de bascule qui dépendrait de l’administrateur central (pour une proposition similaire, voir Kane & Engle, 2003). Bien que le processus de bascule reste imprécis, cette première proposition apparaît comme une piste intéressante pour préciser les liens entre flexibilité et MDT. Par ailleurs, les travaux actuels ont tendance à se focaliser uniquement sur la période préscolaire. Or, si la période préscolaire est marquée par d’importants progrès dans la flexibilité des conduites, la centration sur cette tranche d’âge masque les progrès qui ont lieu plus tôt (e.g., GerardiCaulton, 2000) et surtout plus tard (e.g., Cepeda et al., 2001), et empêche de dégager une vision globale du développement de la flexibilité. En utilisant une épreuve de flexibilité sur un empan d’âge plus large, Smidts et al. (2004) ont montré que la flexibilité continue à se développer au-delà de 4-5 ans. En effet, si leurs résultats confirment que les enfants parviennent à changer de critère de tri une première fois à partir de 4-5 ans, ils montrent que la capacité à en changer plusieurs fois successivement continue à se développer jusqu’à 7 ans (voir aussi Hongwanishkul, Happaney, Lee, & Zelazo, 2005). En outre, il apparaît que les sources de difficulté peuvent L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 601 être de nature différente selon le niveau de développement : les performances des enfants égalent celles des adultes vers 11 ans en ce qui concerne les erreurs liées à la difficulté d’inhiber une représentation initiale alors qu’il faut attendre 13-15 ans pour les erreurs dues au défaut de maintien d’une même représentation (Crone et al., 2004). Ainsi, des travaux prenant en compte un empan d’âge plus large devraient permettre une analyse différenciée du décours développemental des différents processus sous-jacents à la flexibilité. Enfin, comme le montre notre revue de la littérature, l’étude de la flexibilité cognitive chez l’enfant est marquée par une centration quasi-exclusive sur les aspects exécutifs au détriments des aspects conceptuels. Dans la plupart des études, on a demandé aux enfants de basculer entre des représentations basées sur des critères perceptifs, généralement de forme et de couleur. Or les capacités à changer de représentations sont susceptibles d’être modulées par la nature des représentations à activer. Selon Bialystok (1999), la capacité à inhiber une représentation initiale étant en partie dépendante de la complexité des stimuli, il serait plus facile de changer de représentations lorsque celles-ci concernent des attributs perceptifs que des attributs sémantiques. Des premiers résultats suggèrent que la flexibilité cognitive est effectivement modulée par les aspects conceptuels (Bialystok & Martin, 2004 ; Deák, Ray, & Pick, 2004). Maintenant et Blaye (2005) ont comparé les performances d’enfants dans des tâches isomorphes de flexibilité catégorielle portant sur des associations entre images soit de nature perceptive (même forme, même couleur) soit fondées sur des relations sémantiques présentant un niveau d’abstraction croissant (tous des animaux vs. tout ce qu’on trouve dans le cirque ; tous les objets de la même sorte vs. tous les objets qu’on rencontre ensemble). On observe un décalage moyen entre la flexibilité concernant des relations perceptives et celle relative aux deux niveaux de liens sémantiques de un et quatre ans respectivement. Une évaluation spécifique de la conceptualisation des relations en jeu sur des groupes indépendants d’enfants de même âge révèle une synchronie entre développement de la conceptualisation et manifestation de flexibilité (Maintenant & Blaye, en préparation). La mise en évidence du rôle des compétences conceptuelles ne doit bien évidemment pas conduire à minimiser celui des aspects exécutifs. C’est bien l’analyse des effets d’interaction entre ces deux composants qui constitue aujourd’hui la voie la plus prometteuse dans l’étude de la flexibilité cognitive. Dans une tâche d’appariements d’images, exigeant des enfants d’envisager à propos de chaque image cible, les différentes images susceptibles de lui être associées, Blaye, Jacques, Bonthoux et Cannard (2003) ont obtenu des premiers résultats suggérant que les L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 602 Nicolas Chevalier • Agnès Blaye aspects exécutifs et conceptuels (connaissances des associations catégorielles) interviendraient avec des poids différents selon l’âge des enfants pendant la période préscolaire. Une meilleure prise en compte des interactions entre les aspects exécutifs et conceptuels devrait non seulement participer à la clarification des processus sous-jacents à la flexibilité mais devrait également permettre de souligner les liens entre les progrès qui ont lieu durant la période préscolaire et ceux qui interviennent plus tard au cours de l’enfance. CONCLUSION Comme nous l’avons vu, les résultats de nombreuses études récentes, menées pour la plupart d’entre elles ces dix voire cinq dernières années, ont éclairé un phénomène longtemps sous-estimé, à savoir un développement précoce de la flexibilité cognitive, en lien avec la plupart des acquisitions cognitives jalonnant cette tranche d’âge. Si l’on est aujourd’hui loin d’un consensus théorique quant aux processus sousjacents à la flexibilité cognitive, les études concourent à donner une image de celle-ci qui contraste avec une vision unitaire du contrôle exécutif ou encore avec une vison de la flexibilité comme un seul processus en soi permettant le changement représentationnel. Au contraire, il se dessine progressivement le portrait d’une propriété émergente de la cognition qui met en jeu de multiples processus (cf. Tableau II) dont il s’agira désormais de connaître le rôle exact. Les travaux ont jusqu’à présent visé à identifier chacun de ces processus, mais ils n’ont pas réellement abordé les mécanismes à l’origine des transitions observées dans le développement de la flexibilité cognitive. Par exemple, la théorie de la CCC (Zelazo et al., 1995) reste évasive quant au processus de réflexion sur les règles qui est supposé permettre aux enfants de raisonner à partir de règles de plus en plus complexes. De même, on ne sait pas précisément à partir de la théorie de l’inertie attentionnelle (Kirkham et al., 2003) comment les enfants parviennent finalement à inhiber leur représentation initiale des stimuli, ni à partir de l’hypothèse de la redescription (Kloo & Perner, 2003) ce qui permet aux enfants de comprendre que les objets peuvent donner lieu à de multiples descriptions. Au delà de la maturation du cortex préfrontal, il reste largement à clarifier comment la flexibilité cognitive se développe au cours de l’enfance. Nous pensons que ces L’année psychologique, 2006, 106, 569-608 Flexibilité cognitive chez l’enfant préscolaire 603 progrès développementaux ne sont pas dus à un gain linéaire de l’efficience des processus exécutifs sous-jacents, mais résultent plutôt d’un jeu d’interaction entre progrès conceptuels et exécutifs, les progrès conceptuels modifiant les exigences exécutives dans la résolution d’un problème donné, par le contrôle descendant qu’ils permettent d’exercer sur le fonctionnement. BIBLIOGRAPHIE Amso, D., & Johnson, S.P. (2005). Selection and inhibition in infancy: Evidence from the spatial negative priming paradigm. Cognition, 95, B27-B36. Andrews, G., & Halford, G.S. (2002). A cognitive complexity metric applied to cognitive development. Cognitive Psychology, 45, 153-219. Andrews, G., Halford, G.S., Bunch, K.M., Bowden, D., & Jones, T. (2003). Theory of mind and relational complexity. Child Development, 74, 1476-1499. Baddeley, A.D. (1996). Exploring the central executive. 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