Les clés du succès des fromages italiens AOP sur le marché
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Les clés du succès des fromages italiens AOP sur le marché
Les clés du succès des fromages italiens AOP sur le marché international Leo Bertozzi, AICIG (Associazione Italiana Consorzi Indicazioni Geografiche) 1. Le marché du lait en Italie Avec ses 11.748.438 tonnes de lait (vache 95%, bufflonne 3%, brebis/chèvre 2%) fournies en 2015, l’Italie est un grand pays producteur de lait (1). Cette production est cependant : - concentrée dans quatre régions du nord de l'Italie ; insuffisante pour satisfaire la demande ; orientée à la production fromagère, surtout AOP. La production de lait de vache est présente surtout en Lombardie (44%); la moitié de cette production est dédiée à la filière des fromages AOP : en premier lieu le Grana Padano (38%), suivi du Parmigiano Reggiano (5%, dans la partie de la province de Mantoue au sud du Po), du Gorgonzola (3%), et ainsi de suite avec des fromages tels que Taleggio, Provolone Valpadana, Quartirolo lombardo, Valtellina Casera, Bitto, Formai de Mut, Salva Cremasco, etc... L’Emilie Romagne fournit 16% du lait de vache italien dont presque la totalité est destinée à la production de Parmigiano Reggiano (provinces de Parme, Reggio Emilia, Modène, ouest de Bologne) et une petite quantité au Grana Padano (Plaisance). La Vénétie produit 10% du lait et les fromages AOP en utilisent 53%, destiné à Grana Padano (33%), Asiago (15%), Piave (2%), Provolone Valpadana (2%), Monte Veronese (1%) et d'autres encore. Le Piémont produit 9% du lait de vache italien, dont une partie importante est destiné à la production de Gorgonzola, Grana Padano, Toma Piemontese, Bra et autres fromages AOP. Le taux d’approvisionnement pour couvrir la demande nationale de lait est de 71.81%. Les importations totales en équivalents lait sont de 8.926.388 tonnes. Il faut également noter les importations de fromages à pâte dure non AOP (code douanier 04069069: fromages avec matières grasses ≤ 40%, et humidité ≤ 47%), qui totalisent 26.663 tonnes. Les exportations totales de produits laitiers, surtout fromages, en 2015 ont été de 358.535 tonnes, faisant enregistrer une augmentation de 8,9% par rapport à l’année précédente. Cette progression confirme une tendance consolidée. Le prix du lait de vache en Italie est supérieur à celui des pays UE: en février 2016 le prix payé en Lombardie était de 34,92 €/100 kg, contre les 28,73 €/100 kg en France et 27,45 €/100 kg en Allemagne. Si l’on considère le lait « spot », en mars le prix était de 25,50 €/100 kg en Lombardie et de 19,08 €/100 kg aux Pays Bas. Par conséquent la valorisation du lait est liée au marché des fromages AOP. En effet ils représentent 53% de la production fromagère totale, utilisent 43% du lait total disponible (production nationale et importation) et 51% du lait de vache italien. 2. Les fromages AOP L’Italie est le premier pays UE pour les Indications Géographiques, qu'il s'agisse du nombre (283 réparties en 165 AOP, 116 IGP et 2 STG), du volume (1,47 million de tonnes) ou de la valeur (6,4 milliards d’Euro). (2,3) Les appellations protégées dans le secteur des fromages sont 51 (49 en 2014) : 49 AOP, 1 IGP (Canestrato di Moliterno) et 1 STG (Mozzarella). La production totale est de 500.000 tonnes certifiées. Elles ne représentent que 18% du nombre total des Indications Géographiques agroalimentaires italiennes mais correspond à 57% de leur valeur, qui est de 3.7 milliards d’Euro à la production et de 7 milliards d’Euro à la consommation. Suivent les produits de viande avec une valeur de 1,8 milliards d’Euro (Prosciutto di Parma 700 millions €). Les dix premières AOP laitières constituent 96% de la production totale des fromages certifiés, dont 64% est représentée par Grana Padano et Parmigiano Reggiano. L’exportation des fromages AOP, dont 68% vers les pays UE, concerne 31.9% de la production totale, pour une valeur de 1.5 milliards d’Euro, avec une croissance moyenne de 9% par an. Les exportations de Grana Padano, Parmigiano Reggiano, Gorgonzola représentent 74% du total. Une particularité des fromages AOP italiens sont les productions au lait de brebis (Pecorino Romano, Toscano, Sardo, Siciliano, Crotonese, di Filiano, Fiore Sardo, Canestrato Pugliese, Piacentinu Ennese, etc.) avec le Pecorino Romano largement en tête avec une production de 30.165 tonnes (83% du total). La production fromagère au lait de bufflonne est représentée par la Mozzarella di Bufala Campana laquelle, avec une production de 41.295 tonnes, est le quatrième fromage AOP en volume, derrière Grana Padano (184.964 tonnes), Parmigiano Reggiano (132.684 tonnes) et Gorgonzola (53.322 tonnes). (4) L’exportation est donc un débouché essentiel pour les fromages AOP italiens. Son succès peut être attribué à différents facteurs. Cependant deux variables ont été déterminantes : - la progressive ouverture des marchés ; la protection des appellations. Dans l’Union Européenne ces deux changements ont débuté en 1992: le 14 juillet avec le Règlement (CEE) n° 2081/92, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, et le 15 octobre avec le marché unique. Au niveau international, l’ouverture des marchés a eu comme effet l’abolition ou la réduction des barrières non tarifaires (quota) ainsi que les aides à l’exportation et l’adoption d’accords de libre échange. A l’intérieur de la UE, l’implémentation des règlements sur les AOP et les IGP a permis d’avoir un cadre favorable à la protection de ces produits et donc à leur mise en marché. En particulier le dernier Règlement (UE) n° 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, avec la norme ex officio, assure désormais dans les 28 pays membres une protection efficace aux produits de qualité certifiée. (5) Cependant beaucoup reste à faire dans les pays tiers pour assurer une reconnaissance et une protection aux IG sur le marché. Le tiraillement est évident par exemple entre le système de marque de certification aux USA et celui de la protection des Indications Géographiques au sein de la UE. Le Consortium for Common Food Names (6) affirme que des appellations telles que Asiago, Fontina, Gorgonzola, Parmesan (mais aussi Gruyère) sont génériques. Ceci représente une difficulté pour la présence des AOP sur le marché car les imitations sont très répandues, avec l’utilisation d’éléments visuels fortement symboliques tels que drapeaux, images, paroles qui évoquent l’Italie et donc une fausse origine italienne. 3. La protection de l’Appellation Depuis l’entrée en vigueur en 1951 de la Convention internationale de Stresa Stresa sur « l'emploi des appellations d'origine et dénominations de fromages », les Consorzi di tutela italiens ont obtenu l’autorisation d'effectuer la vigilance sur la commercialisation de leurs produits en utilisant du personnel qui a le statut d’agent de sécurité publique. La législation actuelle (Loi 526/99 et décrets successifs) définit le Consortium comme un organisme volontaire constitué par les représentants de la filière du produit AOP ou IGP, émanant des trois catégories - de la production de la matière première, - de la transformation, - de l'affinage/conditionnement.. L’autorité nationale compétente (Ministère de l’Agriculture) reconnaît au Consortium le droit d'exercer les fonctions prévues par la législation si ses associés gèrent au moins 2/3 de la quantité du produit certifiée par l’organisme de contrôle. Actuellement on compte 124 Consortia reconnus pour exercer les actions de protection légale de l’Indication Géographique qu’ils détiennent. (7) Outre les actions de promotion, valorisation et de gestion du cahier des charges, dans le contexte de la défense des intérêts communs, les Consortia ont la responsabilité d'activités telles que l’enregistrement de la marque, la surveillance sur le marché, les actions légales et les éventuels recours en justice contre toute imitation, usurpation ou contrefaçon. Dans les pays tiers qui n’ont pas de régime semblable à celui l’Union Européenne pour la protection des IG, ces activités demandent des ressources budgétaires et humaines importantes. Par conséquent les principaux Consortia sont engagés en actions de protection sur les marchés internationaux pour contribuer à créer et maintenir les conditions nécessaires à la commercialisation de leur produits. Par exemple dans le contexte des négociations en cours entre UE et USA pour le traité transatlantique de libre échange (TTIP), les Consortia suivent attentivement la place réservée aux Indications Géographiques, assurant une présence auprès des ministères italiens (Agriculture et Développement économique) et de la Commission Européenne, participant aux stakeholders meetings à l’occasion des rencontres de négociation, organisant enfin des confrontations directes avec le Consortium for Common Food Names (USA). Un rôle important est joué par l’AICIG, Associazione Italiana Consorzi Indicazioni Geografiche, (8) qui représente la quasi-totalité des Consorzi di tutela de produits agroalimentaires reconnus, et aussi par ORIGIN, le réseau international des produits d’origine basé à Genève.(9) 3.1 Le cas du Parmesan Le Consortium du Parmigiano Reggiano (10) a été fondé en 1934. Il s'agit du plus ancien organisme italien de défense et gestion d'une appellation d'origine. Les autres Consortia tels que Grana Padano, Pecorino Romano, Gorgonzola ont été fondés à partir de 1954, suite à l'entrée en vigueur de la loi italienne en application de la Convention de Stresa. L'utilisation du terme Parmesan, traduction de l'appellation Parmigiano, pour des fromages généralement râpés ou en poudre s'est progressivement répandue, au fur et à mesure que la notoriété de la cuisine italienne augmentait, en Europe comme en Amérique du Nord et dans d'autres pays encore. L'adoption en 1992 du règlement européen (CEE) 2081 relatif à la protection des IG, protégeait l'appellation enregistrée contre "toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation» ou d’une expression similaire" (art.13). Ceci représentait la base légale pour réserver l'usage du terme Parmesan uniquement au Parmigiano Reggiano et donc faire cesser l'emploi de ce terme pour des fromages d'imitation. Depuis toujours la filière du Parmigiano Reggiano s'est montrée résolue à défendre et protéger son appellation. Par conséquent, suite à l'entrée en vigueur du Règlement européen avec la première liste des AOP et IGP, le Consortium a développé des actions pour vérifier la présence de fromage étiqueté comme Parmesan mais qui n'était pas du Parmigiano Reggiano. Ceci a abouti en 2002 à un arrêt de la Cour Européenne de Justice qui donnait raison au Consortium dans une cause contre une entreprise italienne qui utilisait le terme Parmesan dans l'étiquetage d'un fromage râpé et en poudre exporté en France. Pour faire connaître cet arrêt, le Consortium a réalisé une campagne d'information dans la presse en France, en Allemagne et au Royaume Uni. Cependant des producteurs de fromages allemands continuaient à utiliser le terme Parmesan pour leurs produits et les autorités allemandes soutenaient que le terme Parmesan était générique. Dans ses actions de surveillance du marché le Consortium a répertorié en Allemagne des points de vente dans lesquels des fromages de production locale étaient vendus comme Parmesan ; l'évidence de cette situation a été fourni à la Commission Européenne. En 2003 la Commission entamait une procédure d'infraction contre le gouvernement fédéral, portant ainsi pour la deuxième fois le cas du Parmesan devant la Cour Européenne de Justice. En 2008 celle-ci arrêtait que le terme Parmesan était réservé au Parmigiano Reggiano. L'Allemagne n'a pas été condamnée car le règlement européen sur la protection des AOP et des IGP ne prévoyait pas l'obligation des états membres d'intervenir sur le marché pour protéger ces produits. Finalement en 2012 le nouveau règlement UE 1151 - Paquet qualité - en introduisant l'obligation ex officio des états membres, a défini de manière claire les éléments d'une protection efficace et concrète des Indications Géographiques, mettant ainsi fin à l'utilisation abusive du terme Parmesan. Suite à cet arrêt plusieurs tribunaux allemands ont donné raison à la position du Consortium en défense du terme Parmesan. Les actions de surveillance du marché ont continué avec des interventions directes auprès de sujets qui évoquaient le Parmigiano Reggiano, parfois suivies d'actions légales. Ces opérations représentent encore un secteur important de l'activité du Consorzio, dans la UE comme dans les pays tiers, particulièrement aux USA. Dans ce pays le Consortium a enregistré dès 1992 le terme « Parmigiano Reggiano » comme marque de certification, procédant à des actions en justice contre des opérateurs qui étiquetaient comme « Parmigiano » des fromages râpés produits localement, sous le prétexte que ce nom est la traduction d’un mot générique (Parmesan). Cette difficulté est présente encore aujourd'hui et en général on peut considérer que la défense et la valorisation des fromages avec indication géographique outre atlantique s’est même devenue plus aigüe suite à la croissance des exportations et aux négociations en cours pour le TTIP. Les actions de plus en plus déterminées des membres du Consortium for Common Food Names, s’opposant à la protection de noms géographiques européens aux USA comme dans les pays tiers, sont significatives du long chemin qui reste à parcourir. Pourtant les objectifs sont communs: développer la filière, valoriser les productions, mieux informer les consommateurs. Au lieu d’affirmer la généricité d’appellations telles que Parmesan, Gruyère ou même Havarti, ne serait-il pas plus payant d’identifier des noms de fromages locaux à protéger et à promouvoir pour augmenter la compétitivité sur les marchés? Nous serions disponibles à partager notre expérience et nos compétences pour travailler dans cette direction. En conclusion, par-delà la promotion de produits, il est fondamental de mener des actions constantes et systématiques de surveillance de l’appellation sur les marchés, et les actions légales conséquentes. Cette orientation suppose des ressources et un réseau de consultants et de collaborateurs nombreux et fiables. Ceci ne serait pas possible sans l'existence d'un organisme de producteurs déterminés et unis et le soutien des autorités publiques, condition préalable pour permettre aux opérateurs d’agir sur le marché. Telle est la clé du succès d’un produit du terroir, d’intérêt collectif, afin de lui assurer une position compétitive dans le contexte de la globalisation du marché. Références: 1) www.clal.it 2) http://ec.europa.eu/agriculture/quality/door/list.html 3) http://www.ismea.it/flex/cm/pages/ServeBLOB.php/L/IT/IDPagina/9766 4) http://www.clal.it/index.php?section=formaggi_dop 5) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:343:0001:0029:fr:PDF 6) http://www.commonfoodnames.com/ 7) http://www.dop-igp.eu/ 8) http://www.aicig.it/ 9) http://www.origin-gi.com/ 10) http://www.parmigianoreggiano.it/