Mise en page 1 - Le Musée d`Art Moderne et d`Art Contemporain

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Mise en page 1 - Le Musée d`Art Moderne et d`Art Contemporain
L’ATELIER
L’ a t e l i e r e s t u n m o t i f l a r g e m e n t
développé par les artistes tant il permet
une mise en scène de la pratique et du
contexte de travail. Intime et personnel,
il est un lieu de confrontation avec soi et
avec les antécédents de l’histoire de
l’art. Mais il peut aussi être un espace de
rencontre, d’échange et de partage, ouvert
sur le monde. Sa représentation a été
mise à profit par Matisse qui privilégie
les thématiques « du peintre et du
mod è l e » ou « du tableau da ns l e
tableau ». Les artistes vont réinterpréter
cette approche, soit en actualisant une
œuvre emblématique du maître à
l’image de L’Atelier rouge, soit en
partant de documents photographiques
de l’atelier même de Matisse, mêlant le
réel au monde de la peinture.
Larry RIVERS
New York, 1925 - Southhampton, 2002
Précurseur du Pop Art, Larry Rivers introduit à la même époque
que Robert Rauschenberg ou que Jasper Johns des objets réels
dans sa peinture dans un style à mi-chemin entre l’expressionnisme
et le réalisme. Ses œuvres se caractérisent par l’emploi de toiles
peintes marouflées sur carton plume, repoussant les frontières
entre peinture et bas-relief. Larry Rivers se différencie
cependant des artistes Pop par la diversité plastique de son
œuvre et par un discours intimement personnel et subjectif.
Grand admirateur de la peinture française et de Gustave
Courbet notamment, il n’aura de cesse de réinterpréter les
œuvres emblématiques de l’histoire de l’art. Grand maître
de la reprise, de la citation et du détournement, ce n’est que
tardivement, dans les années 1990, que Larry Rivers rendra
hommage à Matisse. On rencontre alors de nombreuses scènes
qui combinent les tableaux du maître à de splendides scènes
d’atelier. Cependant, les œuvres en référence directe à Matisse
se distinguent par exemple de la parodie de l’Olympia de Manet
ou du Syndic de la guilde des drapiers de Rembrandt que
l’artiste recontextualise dans un but critique, social et politique.
Dans Matisse in Nice (At Work), Larry Rivers représente le
tableau La Jeune fille à la gandoura verte de 1921 avec au
premier plan un portrait du maître devant son chevalet réalisé
d’après une photographie de Marguerite Matisse la même
année à Nice. Rivers met ainsi en perspective l’œuvre et son
contexte de création.
Christophe CUZIN
Saint-Siméon-de-Bressieux, 1956
Christophe Cuzin s’intéresse aux rapports entre la peinture et
l’architecture. À partir de 1986, l’atelier de l’artiste devient le
plus souvent l’espace investi qu’il réinterprète à la manière d’un
peintre en bâtiment selon une méthode de travail rigoureuse
produisant des œuvres toujours différentes. La peinture de
Cuzin se détache de son caractère purement frontal et autonome
pour s’emparer des plafonds, des sols et des es pa c es
résiduels. Le volume, la lumière et les qualités architecturales
sont intégrés à la proposition plastique, apportant un nouveau
regard sur l’espace d’exposition et l’idéologie du White Cube.
À partir des reproductions disponibles dans sa bibliothèque,
Christophe Cuzin reprend, sur ordinateur et avec sa propre
palette de couleurs, les œuvres qui l’ont influencé durant ses
études, créant une histoire de l’art personnelle. Ce portfolio
intitulé Mes référents est composé de 70 sérigraphies
‘’presque’’ monochromes où l’image de référence est dessinée
au trait. Ainsi, elles en appellent à notre mémoire visuelle et
nécessitent un effort d’identification. La question de la
reproductibilité des œuvres d’art y est centrale. Dans cet
inventaire ludique, il n’est pas étonnant de retrouver L'Atelier
rouge tant la pratique in situ de Christophe Cuzin renoue avec
la tradition décorative de la peinture associée à une démarche
conceptuelle et analytique. Le tableau qui intériorise toute la
peinture du maître, trouve un écho dans la dissolution de la
frontière entre la peinture et l’architecture menée par Cuzin,
comme si toutes ses œuvres étaient de grands ateliers où la
couleur délivrée peut être perçue comme un hymne à Henri
Matisse.
Claude RUTAULT
Trois-Moutiers, 1941
Engagé dans une interrogation sur les mécanismes et les
conditions d’apparition de la peinture, Claude Rutault propose
une variation de L’Atelier rouge peint par Matisse en 1911.
L’artiste dresse le relevé des toiles présentes dans le tableau
(dimensions, emplacement, nature) et les réinjecte dans
l’espace d’exposition. L’installation amplifie le caractère spatial
et temporel de la peinture dans le sens où elle est une
actualisation conçue en fonction du lieu, qui peut évoluer selon
le système de « Définition/Méthode » qu’il a mis en place dans
les années 1970. L’œuvre conçue en 1986 trouve une nouvelle
formulation dans l’exposition. La dimension ornementale de la
peinture de Matisse s’affirme ici pleinement tout en conservant
un rapport avec la planéité du médium. Ci-dessous une note de
l’artiste rédigée pour l’occasion:
« dé-finition/méthode « bonsoir monsieur matisse » 1986-2013
dans l’image agrandie de « l’atelier rouge », version noir et
blanc.
l’œuvre se compose de deux murs. c’est une peinture d’angle,
reprenant en cela le tableau de matisse. les deux murs sont
peints, leur emprise au sol est matérialisée par un plancher en
bois peint de la même couleur que les murs. nous sommes
dans l’atelier. sur chaque mur sont fixés des papiers, toujours
en accord avec l’œuvre de référence. ces papiers suivent la
règle énoncée par la dé-finition/méthode papiers : lorsque le
support est blanc le papier est de n’importe quelle couleur sauf
blanc et blanc si le support ne l’est pas. l’œuvre évolue au fur
et à mesure des actualisations, s’éloignant progressivement de
son point de départ jusqu’à sans doute, un jour, l’oublier.
cette première actualisation est réalisée en noir et blanc parce
que ce tableau est pour moi une image lointaine, presqu’une
carte postale ancienne. d’autre part je ne suis pas certain que
matisse ait peint une seule fois un tableau en noir et blanc. la
dé-finition/méthode, par son existence même et par ce qu’elle
met en œuvre, matérialise l’écart de deux conceptions de la
peinture, réalise une extension, fait un pari. pour cette œuvre,
tous les formats et toutes les couleurs sont possibles, jaune,
vert, bleu, blanc…
et, pourquoi pas rouge ? »
cr. avril 2013.
Valerio ADAMI
Bologne, 1935
Valerio Adami est un peintre italien affilié dans les années 1960
à la Nouvelle Figuration. Dans un style figuratif acéré, les
formes traitées en aplats de couleur vive, cernées d’un épais
trait noir, s’imbriquent les unes aux autres annihilant toute
perspective et évoquant l’art du vitrail. Les sujets s’inspirent de
la société de consommation et s’agrègent à partir d’images
préexistantes participant d’un fonds culturel partagé. Ses
peintures parlent de littérature, de voyage, d’histoire, de
musique et de poésie mêlant une iconographie classique et
contemporaine. Le tableau représentant Matisse à l’atelier
devant son modèle s’inscrit dans cette filiation. Il a été réalisé
à partir d’une photographie de Brassaï prise en 1939 dans
l’atelier du peintre, rue des Plantes à Paris. Adami assimile la
scène avec son vocabulaire plastique en prenant bien soin de
conserver les éléments spatiaux : la porte et la chaise au
premier plan à droite, le tapis, le châssis et la fenêtre au fond.
La tonalité rouge-rosé qui caractérise sa peinture domine.
Matisse, assis, se perd dans son carnet à dessin. La pose du
modèle nu évoque la sculpture antique tout en revêtant un
caractère non classique par son aspect déstructuré. À l’instar
d’une bande dessinée, l’œuvre parodie l’amour du peintre pour
les modèles par une métaphore à caractère sexuel et humoristique.
LA FENÊTRE
La fenêtre joue un rôle primordial dans
l’iconographie occidentale. D’abord
indissociable des recherches sur la
perspective menées à la Renaissance,
cette ouverture sur le monde brouille les
frontières entre intérieur et extérieur,
jusqu’à devenir un sujet de premier plan
aussi bien figuratif qu’abstrait. Matisse
se l’approprie de manière personnelle et
variée : veduta sur le paysage azuréen
ou les abords de la Seine, lieu de fusion
entre l’intérieur et l’extérieur, écran à
contre-jour. L’apport des réflexions
matissiennes sur la thématique de la
fenêtre est prolifique. À cette liste
succincte qui ne s’attache qu’aux citations
directes, il faut mentionner le travail
d’artistes comme Mark Rothko, Barnett
Newman ou encore Pierre Buraglio.
Gilles MAHÉ
Guingamp, 1943 - Saint-Briac-sur-Mer, 1999
Gilles Mahé est un artiste tourné vers la question de la reproductibilité technique des images. Face à une société axée sur
de nouvelles technologies de plus en pl us v i rtuel l es et
innovantes, l’artiste répond avec des visuels existants et de
simples photocopies, plongeant le spectateur dans une zone
d’incertitudes qui le pousse à s’interroger sur ce qu’il voit. Avec
désinvolture, il transforme, réinterprète l’image imprimée pour
la faire sienne, lui donner une seconde vie et en faire un vecteur
d’échange peut-être aussi parce qu’il est issu du domaine de la
publicité, de l’édition et de la communication. Dans cette
logique, il reprend plusieurs reproductions photocopiées de
Matisse à la gouache. L’œuvre du peintre moderne facilement
identifiable devient dès lors un prétexte pour interroger les
concepts d’originalité, d’autonomie, de signature et de copie.
Intérieur au violon de 1917-1918 et Intérieur rouge, nature
morte sur table bleue de 1947 sont ainsi réinvestis par Gilles
Mahé qui fait ressortir le motif de la fenêtre. Ces « coloriages
» fluides et ludiques ramènent la planéité de l’image imprimée
à celle de nos écrans d’ordinateur comme autant d’ouvertures
sur le monde.
Voir aussi LE PORTRAIT
Sophie MATISSE
Boston, 1965
Arrière-petite-fille d’Henri Matisse, petite-fille par alliance de
Marcel Duchamp et épouse d’Alain Jacquet, Sophie Matisse a
toujours baigné dans le milieu artistique. Son travail est lié à un
héritage familial qui couvre les courants artistiques les plus
importants du XXe siècle. C’est sans doute pourquoi elle
s’approprie de manière ludique et décomplexée les classiques
de l’histoire de l’art en prenant soin d’effacer les personnages
des tableaux. L’artiste nous invite à revenir sur les motivations
premières de la peinture occidentale : identifier, commémorer
et glorifier. Par la disparition des acteurs des tableaux, cette
intention première disparaît et il nous faut solliciter notre
mémoire visuelle pour reconstituer et reconnaître l’image.
Quand elle s’attache aux peintures de son arrière-grand-père,
comme dans La Conversation (dans laquelle Matisse et sa
femme sont représentés) et La Leçon de piano (où apparaît son
grand-père Pierre Matisse), cet effacement est d’autant plus
touchant. Les figures familières disparaissent comme happées
par la fenêtre de l’arrière-plan. Par leur absence, Sophie Matisse
renvoie conversation et musique au silence de la peinture.
Claude VIALLAT
Nîmes, 1936
Initiateur de Supports-Surfaces, Claude Viallat regarde, dès le
début de sa carrière, l’œuvre de Matisse. Une fois son système
mis en place (la répétition d’une forme apposée à intervalles
réguliers jusqu’à recouvrir la totalité de la toile libre), l’ombre de
Matisse demeure latente : dans la profusion des couleurs, des
entrelacs et des tissus, dans leur intérêt commun pour les
cultures primitives et folkloriques, dans la déclinaison d’un
thème jusqu’à son épuisement, ainsi que dans la forme même
qu’il répète puisqu’elle pourrait provenir des arabesques du Fauteuil rocaille. Ces proximités s’affirment explicitement par le
motif de la fenêtre comme dans Fenêtre à Tahiti (hommage à Matisse) de 1976 ou Porte-fenêtre à Collioure réalisée en 1991 et présentée dans l’exposition. Celle-ci n’offre
pas de vue sur l’extérieur ; le contre-jour crée une vue bouchée,
une surface à peindre utilisée pour elle-même. L’oeuvre peinte
à Collioure à l'automne 1914 par Matisse est d’une extrême
sobriété. Proche de l’abstraction, elle recèle certains détails la
raccrochant au monde réel : un volet, un mur, etc. La composition
et les référents directs de la fenêtre se retrouvent dans la toile
libre de Claude Viallat qui s’inscrit dans l’espace et propose elle
aussi non pas une ouverture sur le monde mais une réflexion
sur la surface de la peinture et ses rapports entre le fond et la
forme. Ici, elle s’empare de l’espace. Parallèlement, un petit
dessin reprend La Leçon de piano dont la scène prend place
devant une fenêtre. Cette annotation figurative, surprenante
dans la pratique de Viallat, permet d’appréhender à quel point
l’artiste a regardé l’œuvre de Matisse.
Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS
Vincent BIOULÈS
Montpellier, 1938
Très tôt associ é à Supports/Surfaces, Vincent Bioulès
développe une œuvre figurative qui renvoie sans conteste à
Henri Matisse. La présence de la fenêtre, comme métaphore
du tableau, sujet omniprésent dans l’histoire de l’art, évoque
l’œuvre du maître. Elle fonctionne comme autant d’allersretours entre figuration et abstraction, intérieur et extérieur,
cadrage et champs chromatiques. Dans Jazz de 1984, le
dispositif du tableau dans le tableau est souligné par
la signature de l’artiste sur le rebord de la fenêtre, devenant le
cadre d’une œuvre. Sur le mur de droite, est représenté un
papier découpé de Matisse publié dans l’album Jazz en 1947
(The Circus). La citation est explicite et les mises en abyme ne
cessent de renvoyer à l’œuvre du moderne. Dans cet intérieur,
la confusion spatiale, l’aplatissement des surfaces ainsi que ce
mélange d’étrangeté et de joie de vivre qui se dégage de
certains tableaux de Matisse, apparaissent comme autant de
leçons de peinture. Avec son propre vocabulaire plastique,
« Bioulès assume ainsi le double héritage de l’œuvre de
Matisse : le français et l’américain ; celui qui fait cohabiter un
sujet figuratif dans un espace abstrait. »*
* Nathalie Bertrand, « Les intérieurs ‘’matissiens’’ » in Vincent Bioulès, Parcours, 1965-1995 :
Le paysage à Marseille dans les années 1990 - Toulon : Musée de Toulon / Athanor, 1995, p.
90.
Voir aussi LES INTÉRIEURS
LES POISSONS ROUGES
Henri Matisse a décliné la thématique du
bocal à poisson jusqu’à en faire un sujet
auquel on l’identifie. Cet intérêt trouve
son origine dans l’observation des
estampes japonaises. Le peintre de la
modernité fait de ce motif ordinaire un
portrait à part entière, un objet de
contemplation esthétique qui reconfigure
totalement l’espace. L’univers liquide et
fluctuant du bocal envahit les compositions
de Matisse. Les objets semblent flotter
et s’imbriquer les uns dans les autres
jusqu’à devenir un tout inextricable,
illustrant la porosité entre les choses et
le monde. La transparence du verre permet
de traiter les rapports entre intérieur et
extérieur à la manière d’une lentille
optique. La proximité d’une fenêtre
ouverte amplifie cette vision synthétique
de la peinture. Le bocal est un monde
dans un monde. Parfois, les poissons
deviennent de simples tâches de peinture
rouge illustrant ses expérimentations sur
la couleur. Sa variation et les questions
qu’ils engendrent sont largement réinvesties
par les artistes de manière très variée.
Jean-Michel BASQUIAT
New York, 1960 – New York, 1988
D’origine portoricaine et haïtienne, Jean-Michel Basquiat est un
artiste autodidacte. Ses premiers graffitis, signés SAMO (Same
Old Shit) et accompagnés d’une couronne copyrightée,
envahissent le quartier d’East Village à New York dès le milieu
des années 1970. Artiste underground, représentant notable
du Melting Pot américain, Basquiat devient très tôt une figure
incontournable de la scène artistique de l’époque. Grâce à
Bruno Bischofberger, il collabore avec Francesco Clemente et
Andy Warhol. Dans un style expressif, il crée sa propre
mythologie et celle de toute une génération d’artistes. Sa
peinture mêle éléments biographiques, arts de rue, médias,
vaudou et culture afro. L’écriture y occupe une place centrale.
Les références à l’histoire de l’art y sont très présentes, et
parfois teintées de provocation. En 1983, Basquiat reprend La
Joconde pour dénoncer la valeur spéculative de l’art, la défigure
et la réduit au rang de billet de banque. C’est cette même
année qu’il réalise ce petit dessin en hommage à Matisse. Sur
la feuille de papier, il place au crayon de couleur quelques
figures phares du répertoire matissien : un bocal à poisson qu’il
double comme une variation chère au peintre moderne, la
cathédrale Notre-Dame-de-Paris peinte par le maître depuis son
atelier, quai Saint-Michel, ainsi qu’une tête de femme sculptée
aux traits archaïques. D es s ous , i l i ns c ri t pa r troi s fois
« MATISSE » comme une invocation des plus vibrantes.
Le dessin, marqué par quelques taches de couleur, est épuré,
il véhicule une grande pureté du geste et de la composition
propre au peintre qu’est Basquiat dans une posture proche des
papiers découpés. L’univers aquatique des poissons rouges de
Matisse envahit l’ensemble du dessin.
John BALDESSARI
National City, 1931
John Baldessari a construit une œuvre pluridisciplinaire axée
sur la mise en association d’images et de mots. Son goût pour
le langage et la littérature traverse l’ensemble de sa démarche
résolument postmoderne et conceptuelle. La photographie,
outil de reproduction par excellence, demeure son matériau de
référence, même si le tableau comme support et la peinture
comme medium sont omniprésents. Baldessari joue sur
la nature ambiguë des images. Il reporte sur toile
d es impressions photographiques (souvent tirées de l’univers
télévisuel) qu’il confronte à une inscription peinte à la main,
créant des associations de sens inédites. Dans ce sillon, il
réalise récemment de nombreuses œuvres en regard de celles
d’Henri Matisse. L’une présente le bocal à poisson combiné aux
Campbell’s Soup de Warhol tant par l e u r t r a i t e m e n t
chromatique que par l’amalgame réalisé grâce à la légende
associant Warhol à l’image représentée. Le bocal à poisson qui
semble bien éloigné des Campbell’s Soup® les rejoint
avec intensité. La valeur identitaire des œuvres et leur pouvoir
d’absorption et de mutation sont au cœur du travail de
Baldessari.
Voir aussi LA DANSE et LE NU
Ingo MAURER
Île de Reichenau, 1932
Ingo Maurer est un designer spécialisé dans la création
d’ensembles lumineux. Confectionnant aussi bien des lampes
que l’éclairage de bâtiments ou d’espaces publics, il se
passionne pour la lumière et les formes qui la catalysent ou la
diffusent. Il appréhende l’ampoule comme « le lien parfait entre
la technique et la poésie ». C’est une œuvre surprenante et tout
à fait singulière dans la genèse de son travail qui est livrée dans
ce véritable tableau vivant fait d’eau, de lumière et de poissons
rouges. Au fond du bassin est disposé un miroir quand d’autres,
de formes arrondies, flottent sur la surface de l’eau comme
autant de nénuphars réfléchissant la lumière. L’éclairage
projette sur le mur les ondulations et les mouvements des
poissons et de l’eau tout comme le reflet des miroirs. Le
dispositif évoque le théâtre d’ombres chinoises. L’écran fait
basculer l’installation dans le domaine de l’art vidéo. Lors d’une
exposition précédente, l’artiste fut d’ailleurs interpellé par un
spectateur lui avouant : « C’est la meilleure vidéo que j’ai
jamais vue ». Cette anecdote met en avant l’ambiguïté de cette
pièce. La lumière répand le rouge orangé des poissons, mettant
en avant leurs propriétés presque translucides tandis que
la projection annule toute couleur pour ne rendre que des
nuances de gris. On retrouve ici la thématique de la lentille
optique et d’une vision synthétique telle que l’a développée
Henri Matisse. Le bocal à poisson est bien une mise en abyme,
un monde dans un monde.
Roy LICHTENSTEIN
New York, 1923 - New York, 1997
Comme tout représentant du Pop Art, Lichtenstein est fasciné
par l’efficacité visuelle des images publicitaires. Pour autant,
Matisse occupe une place privilégiée. Les thématiques
développées (intérieurs et natures mortes), l’absence d’objets
de prédilection ou de hiérarchie dans le choix des sujets traités,
la magnificence des couleurs pures, la stylisation des formes
et l’aplatissement des surfaces renvoient sans conteste à
l’œuvre du maître. À partir de 1972, l’artiste américain décline
le motif des poissons rouges dans la série des « Still Life with
Goldfish ». Les croquis sélectionnés pour l’exposition insistent
tout particulièrement sur cette reprise. À l’image des variations
chères au peintre moderne, il modifie les cadrages et objets
alentours : rideau, fenêtre, citron, balle de golf et huîtres,
reprenant un autre motif matissien. Fasciné par les natures
mortes et les scènes d’intérieur, Lichtenstein reprendra
également de nombreuses œuvres matissiennes sur ces
thématiques. La fenêtre est également souvent présente en
arrière-plan. Dans Drawing for view from the window, par
exemple, l’artiste américain cite explicitement la Fenêtre à
Tahiti conservée au musée Matisse de Nice. Signes d’une
manifestation sans retenue de l’oeuvre de Matisse dans
la pratique de Lichtenstein, les croquis préparatoires présentés
dans l’exposition donneront tous lieu à des peintures à l’huile
imitant la repro duc ti on m é c a ni q ue de l a tra m e de la
photogravure et de la bande dessinée, technique lisse et
neutre qui a fait sa marque de fabrique. Au-delà des clins d’œil
citationnels, Matisse demeure toujours présent dans les
œuvres de l’Américain tant par le sujet que par leur traitement.
Thierry LAGALLA
Cannes, 1966
Depuis les années 1980, Thierry Lagalla émulsionne culture
folklorique et artistique dans un style burlesque et engagé.
Accordant une grande importance à la figure humaine, aux
couleurs vives et pures, à l ’ex a c erba ti on j oy eus e des
sentiments, mais aussi aux coutumes locales, Lagalla se
revendique comme un artiste méridional. Dans cette
propagande, il use de la langue niçoise (le nissart) et la mêle à
l’anglais (mondialisation oblige). Il n’hésite pas non plus à se
mettre en scène aussi bien dans ses peintures et ses vidéos
que dans ses shows où les faits divers et la banalité du
quotidien côtoient l’art et l’histoire, dans une volonté de
désacralisation savante qui lui permet aussi d’être critique.
Mêlant la figuration à l’esprit Fluxus, Thierry Lagalla fait un pied
de nez aux conventions tant artistiques que sociales. Avec ses
Tantiflas & Lume (Potatoes & Light) et ses charafis (objets usés,
désuets), Lagalla ne serait-il pas le Candide de Voltaire ? Car les
œuvres réalisées pour l’exposition nous convient à déguster
une création faite de farce et d’érudition. Thierry Lagalla a
répondu avec enthousiasme et conviction à l’invitation du
MAMAC ; lui qui avait été marqué par l’exposition « Matisse-Picasso » présentée aux galeries nationales du Grand Palais à
Paris en 2003 et avait entre autres réalisé un dessin sur les
poissons rouges de Matisse confronté à La Pisseuse de Pablo
Picasso. De ce dessin, il crée une affiche qu’il présente dans
l’exposition et met en vente à la boutique du musée. De
l’irrévérence ironique à la chanson d’amour, cette reprise ironise
et recontextualise la danse des poissons rouges et la rivalité qui
planait entre les deux ténors. Le caractère reproductible de
l’affiche questionne le statut et la perception des chefs
d’œuvre. L’affiche, multiple devenu l’original, us e de l a
« poster-ité » matissienne. Elle contrefait le pouvoir des
images et leur volonté illusionniste. Aujourd’hui, ne voit-on plus
Matisse qu’au travers des reproductions de ses œuvres ?
Quelle valeur accorde-t-on à leur duplication (rappelons-nous
que l’urinoir de Duchamp est une édition d’une édition) ?
Voir aussi LES INTÉRIEURS et LES NATURES MORTES
LE NU
On connaît l’amour de Matisse pour le
modèle vivant. Ce plaisir à peindre
s’exprime pleinement dans la représentation
du nu qu’il associe presque toujours à la
joie de vivre. Du sujet académique aux
odalisques, Matisse réalise un hymne
moderne à la nudité. Ce genre, développé
depuis l’Antiquité comme la traduction
d’un idéal esthétique avant de rencontrer le
réalisme de L’Origine du monde en
1866, va au tournant du XXe siècle
devenir le lieu d’une déconstruction
plastique dont Matisse est l’un des
représentants. Le nu lui permet
d’approfondir ses recherches sur
l’épuration des formes et des couleurs
allant jusqu’à l’abstraction des papiers
découpés dans la série des Nus bleus ou
la déstructuration synthétique des Nus
de Dos. Les artistes contemporains
rendent hommage à la liberté et à la
sérénité qui se dégagent des silhouettes
matissiennes, tout comme à leur caractère
novateur, mais ils n’hésitent pas à les
détourner par des jeux de surfaces, des
oblitérations ou des importations des
figures dans des univers qui leur sont
étrangers.
Alain JACQUET
Neuilly-sur-Seine, 1939 - New York, 2008
L’œuvre d’Alain Jacquet s’inscrit dans une dynamique inhérente
au Pop Art, mais sur un socle d’expression qui demeure
européen. Face à la multiplication exponentielle des images
mais aussi à l’appauvrissement de leur contenu, Alain Jacquet
réutilise, détourne, trame et reporte un fonds iconographique
hétéroclite et paradoxal. Les évocations de l’histoire de l’art
avec une prédilection pour la Renaissance italienne (Vinci,
Botticelli) et les Modernes (Manet, Picasso, Matisse, Mondrian)
se combinent à un substrat lié à la publicité et à l’imagerie
américaine (bannière étoilée, fusées de la Nasa, personnages
de Walt Disney®). Le traitement de l’image est emprunté à la
culture de masse et aux modes de reproduction mécaniques
ou industriels. La trame, le pixel ou les logos publicitaires
réagissent avec l’image de référence dans un rapport entre le
fond, la forme et la couleur. La série des « Camouflages » tisse
ainsi un réseau d’images savantes et populaires qui sont tout à
la fois voilées et révélées par un motif largement arbitraire
détourné d’un code militaire. Camouflage H. Matisse Luxe,
Calme et Volupté est issu de cette série. L’œuvre du maître est
traitée par des aplats de couleur faisant ressortir des motifs
abstraits sans nier l’image d’origine.
ERRÓ (Gudmundur GUDMUNDSSON, dit)
Olafsvik, 1932
Représentant de la Figuration narrative, Erró est un artiste
migrateur qui depuis 1958 a choisi Paris comme port d’attache.
Sa peinture, extrêmement référencée, démultiplie les images
de la culture populaire et des mass media dans des compositions
savamment serrées et construites. Cette densité et les sujets
qui y sont associés mettent à jour les paradoxes qui sous-tendent
notre société. Toujours avec humour, l’œuvre d’Erró comporte
une dimension politique et sociale virulente. Les rapports entre
l’homme et la machine, la surconsommation exponentielle
construisent une esthétique du chaos qui fait dire à Jean-Clarence
Lambert que cette peinture est « une sorte d’anti-légende du
siècle ». Derrière ce caractère séditieux, Erró demeure un
artiste postmoderne qui se rattache à l’histoire de l’art. Les
références à Matisse y sont nombreuses et généreuses. En
1969, dans Matisse Motor, il reprend le Luxe I peint en 1907
par Matisse et y ajoute un moteur de part et d’autre des figures
du maître alors qu’à l’arrière-plan un avion de chasse prend son
envol. Le silence et la pureté de la peinture de Matisse se
voient parasités par les moyens d’évasion modernes.
John BALDESSARI
National City, 1931
Dans une démarche pluridisciplinaire axée sur la mise en
relation d’images et de mots, John Baldessari met en exergue
la nature intrinsèquement équivoque des images. Dans ce
sillon, l’artiste reporte sur toiles plusieurs impressions
photographiques d’œuvres de Matisse qu’il confronte à
des inscriptions peintes à la main, créant des associations de
sens inédites. L’une d’entre elles ne conserve de La musique
de 1910 que deux paires de jambes sur un aplat de couleur vert.
Nous devons faire appel tant à notre mémoire qu’à notre
imagination pour retrouver l’œuvre référent. Le texte placé sous
l’image renvoie quant à lui au film de science-fiction d’Alex
Proyas, Dark City de 1998, basé sur l’identité et la mémoire.
Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LA DANSE
Laurence AËGERTER
Marseille, 1972
Abordant aussi bien la vidéo, la performance, l’édition que la
photographie, Laurence Aëgerter s’approprie des systèmes qui
classifient et régissent notre société : encyclopédies, annuaires,
journaux, etc. Modifiant leur fonction ou leur structure, l’artiste
les dévie de leurs objectifs et propose une nouvelle manière de
les appréhender. Dans cette optique, Aëgerter a entrepris une
série de portraits photographiques de spectateurs vus de dos
contemplant les chefs d’œuvre de l’histoire de l’art. Des
collections du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, elle
retient plusieurs Matisse et rejoue les solutions plastiques
adoptées par le maître de la modernité : aplats de couleur pure,
modulation des surfaces, suppression de la perspective... Dans
la GE 9154-100906-175148 (Matisse, jeu de boules), la
spectatrice à la manière d’un caméléon se fond littéralement
dans le décor. Les attitudes et coiffures soignées se répondent.
La jeune femme semble réellement converser avec l’œuvre
peinte. Tous les regards se portent sur le jeu, masqué par la
silhouette de la jeune femme de manière à faire fusionner
l’espace de la peinture et le temps de la création avec celui de
sa réception dans un musée. Une nouvelle image apparaît.
L’œuvre en figure une nouvelle. La mise en abyme est
complète ; le voyeur est lui-même observé. Laurence Aëgerter
met en scène notre perception des oeuvres dans les musées
et en propose une expérience nouvelle.
Gilles MIQUELIS
Nice, 1976
Gilles Miquelis produit une œuvre picturale jouant de l’incongruité
de scènes quotidiennes. Tant par ses sujets que par sa touche
large et gestuelle, sa peinture évoque la culture américaine. Des
grands formats aux petits dessins, toujours sur calque ou sur
toile, Gilles Miquelis dépeint sans concession ses contemporains. Les
sujets, pourtant tirés de l’inconscient collectif, déclinent une
réalité très crue, insistant sur ce qu’il appelle « les accidents de
la normalité ». Dans cet univers tragi-comique, Miquelis
s’amuse des associations inconvenantes pour analyser
nos rapports à la nudité et à la sexualité, parfois en nous
mettant mal à l’aise, parfois en nous faisant rire. Sur l’invitation
du MAMAC, le peintre a choisi de reprendre un nu très peu
connu de Matisse, à la lisière de l’Impressionnisme et du
Fauvisme, où une jeune femme est allongée devant un nid. Le
caractère surprenant de cette scène convient parfaitement à
Gilles Miquelis. Le peintre adapte le format, travaille d’après
modèle et conserve sa touche douce, sereine et lumineuse
pour s’approprier ce motif étrange.
Sven ’t JOLLE
Anvers, 1966
Sven't Jolle use du dessin et de la sculpture pour confronter
l’histoire de l’art aux faits politiques, économiques et sociaux
actuels. Reliant l’art à la vie avec humour, l’artiste belge n’hésite
pas à dénoncer les travers de notre société tout comme ceux
de l’art. Matisse apparaît dans une série de dessins (Claire et
nette) exprimant tant la disparité des classes sociales
que différentes manières de concevoir une sculpture. Plusieurs
représentations de bronze de Matisse sont associées à des
personnages précaires et ordinaires (SDF, femmes de ménage).
Ce choc des cultures questionne les contradictions de notre
société et met à jour ses faux-semblants. Bien que se
référant aux sculptures de Matisse, les dessins sont conçus
comme un travail en soi et non pas comme la représentation
d'une sculpture potentielle. Ils posent la question suivante :
comment créer et se positionner en tant qu’artiste dans la
conjoncture actuelle ?
Vincent CORPET
Paris, 1958
Depuis le début des années 1980, Vincent Corpet crée des
tableaux invitant à poser un regard neuf sur la peinture, un
regard n’impliquant pas un sens de lecture préétabli. Les
analogies qu’il crée n’obéissent à aucune logique symbolique :
ce sont des formes qui se succèdent, se superposent,
s’emboîtent, naissant les unes des autres et dont les
compositions peuvent être des fragments de corps, des
animaux, des végétaux ou bien même des objets du quotidien,
des architectures, voire des paysages. Ces souvenirs de formes
engrangés par l’œil, par la mémoire instinctive et pulsionnelle,
s’inscrivent au hasard et se combinent à l’infini. Avec la série
« Fuck Maîtres » (2009-2013), Vincent Corpet revient sur des
tableaux célèbres et leur valeur iconique : Le Titien, Delacroix,
Manet, Courbet, Picasso, Lichtenstein, Warhol, Basquiat, etc.
Reprenant les œuvres à taille réelle, il enduit sa toile de peinture
noire pour faire ressortir le modèle en grisaille par extraction de
peinture ; il gratte, puis oblitère certaines parties du tableau par
un voile d’une couleur vive et le passe au lettrage. De nouvelles
formes, qui semblent jaillir de l’original, surgissent et mettent
en scène la prégnance visuelle et identitaire des chefs d’œuvre
de l’histoire de l’art ainsi que notre capacité à voir et à fabriquer
des images. Sur l’invitation du musée, Vincent Corpet a réalisé
pour l’exposition deux nouvelles peintures sur Matisse
reprenant Les demoiselles à la rivière (1916, The Art Institute
Chicago, Chicago) et Nu rose, intérieur rouge (1947,
Musée Matisse, Cateau-Cambrésis).
Jirí Kolár
Protivín, 1914 - Prague, 2002
Artiste majeur de la scène artistique tchèque contemporaine,
Jirí Kolár fut poète et dramaturge dans les années 1930 avant
d’être reconnu pour ses collages novateurs. Menuisier de
formation, il exerce toutes sortes de métier avant de se
rapprocher des futuristes et des surréalistes qui influencent
considérablement ses premiers travaux. Sa pratique se caractérise
par l’association et l’assemblage d’images, de mots imprimés
et d’objets. La représentation de tableaux historiques dont de
nombreux Matisse y est omniprésente. Ecce Pictura de 1970
est un bel exemple de cette pratique : sur la reproduction d’un
tableau classique peint par Claude Lorrain (La répudiation
d’Agar, 1668), le collagiste dispose La Musique peinte par
Matisse en 1910 comme s’il avait placé une toile de cinéma pour
les personnages du tableau, oblitérant totalement le paysage.
Quinze ans plus tard, il reprendra le Nu rose de 1935 à deux
reprises, jouant sur les aplats de couleur, le motif du carrelage
et les rapports fond/forme.
Tom WESSELMANN
Cincinnati, 1931 - New York, 2004
Tom Wesselmann est incontestablement l’un des piliers du Pop
Art américain, même s’il a toujours refusé cette étiquette trop
réductrice à son sens. Lui, qui souhaitait réconcilier l’art et la
vie, magnifie à outrance l’American way of life. Son sujet de
prédilection : le nu féminin dans des scènes de la vie
quotidienne. Collages d’images imprimées et objets réels
(rideau de douche, porte, radio) s’adjoignent à une peinture
figurative stylisée et traitée en aplats, prenant ses sources dans
la publicité. Les assemblages de Wesselmann tendent à relier
la planéité de la peinture au monde réel. L’art y côtoie les icônes
de la société de consommation. Dans des intérieurs derniers
cris, les femmes-objets sont mises en scène dans des poses
très suggestives. Renonçant à leur donner un visage,
Wesselmann exacerbe leur pouvoir érotique. Dans cette
apologie du plaisir moderne, Matisse occupe une place
centrale. Reléguée au rang de poster, La Blouse roumaine,
L’Autoportrait, La Danse ou encore La Robe bleue et quelques
natures mortes, habillent les Great American Nudes de l’artiste
américain de la fin des années 1960 jusqu’aux années 2000.
Dans Sunset Nude with Man Ray, La Danse tel un écran
publicitaire, est associée à une photographie de Man Ray,
acteur important du Dadaïsme et du Surréalisme (Observatory
Time : The Lovers, 1936). Les assemblages où Matisse devient
une affiche décorative collée en arrière-plan foisonnent dressant
une allégorie de la peinture teintée de rivalité. Les peintures et
l’important fonds de dessins préparatoires présentés dans
l’exposition témoignent de la pérennité de cette approche. Ces
croquis préparatoires ont d’ailleurs tous donné naissance à de
splendides peintures. Wesselmann cite finalement peu les nus
matissiens, préférant mettre à profit la thématique du tableau
dans le tableau. Sunset Nude with Matisse Self Portrait met en
scène un autoportrait de Matisse en voyeur alors que
l’acier découpé de Monica Nude and the Purple Robe souligne
la beauté de la ligne et du vide et rappelle les papiers découpés.
Cette femme alanguie sort tout droit de Robe violette et
anémones peint par Matisse en 1937. À demi-dévêtue, elle
s’est tranquillement allongée devant la nature morte du tableau.
Toute l’œuvre de Tom Wesselman est imprégnée de l’héritage
de Matisse : couleurs pures, aplatissement des surfaces,
simplicité des formes, scènes d’intérieur, natures mortes et
nus, douceur et silence…
LE PORTRAIT
Ce classique du genre va lui aussi
devenir dans les mains du peintre fauve
un leitmotiv de la modernité. Matisse va
opérer un retour aux sources, redonnant
au portrait sa dimension spirituelle tout
en questionnant les valeurs intrinsèques
de la peinture. Dépassant le portrait
d’histoire, il aborde la figure humaine
comme un masque doté d’une âme.
Évacuant la mimesis au profit de
l’expression, combinant couleurs
aléatoires, stylisation des formes et
invocation, c’est avec des tableaux
comme Portrait de Madame Matisse à
la raie verte qu’il est élevé au rang de
chef de file du fauvisme en 1905.
Rappelant les icônes byzantines, La
Grande robe bleue et mimosas ou La
Blouse roumaine marquent encore un
pas dans cette volonté de simplification
apaisée. Travaillant par paires et séries,
il démultiplie les visages de ses modèles
pour mieux s’e n l i b é r e r e t s e l e s
approprier. Ces peintures, sculptures et
dessins riches d’enseignement sont
réinterprétés par les générations
success i v e s ,
prolongeant
un
q u e s t i o n nement sur le statut des
images.
Sherrie LEVINE
Hazelton, 1947
Sherrie Levine est une artiste conceptuelle américaine qui, dès
les années 1970, débute un travail de reproduction mécanique
d’œuvres célèbres. Ce fut l’une des premières à entreprendre
une critique de la représentation, par ce biais, aux côtés
d’artistes comme Sturtevant. À partir des années 1980, Levine
investit la pratique du dessin et de l’aquarelle pour s’approprier
les grands classiques modernes avant de travailler, dix ans plus
tard, en trois dimensions. L’aquarelle et le dessin lui permettent
de revenir sur des pratiques considérées comme mineures et
féminines et de dénoncer le caractère paternaliste de l’histoire
de l’art. Face à l’innovation constante de notre société, Levine
répond avec des images existantes plongeant le spectateur
dans une zone d’incertitudes qui doit le pousser à s’interroger
sur ce qu’il voit. Reprises et appropriations perturbent le
principe de l’histoire de l’art tel qu’il s’est développé depuis
Vasari. Avec sensualité, Sherrie Levine reprend, trait pour trait,
dans une taille légèrement réduite, plusieurs portraits de
Matisse à l’aquarelle. Le maître devient un outil idéal de
dénonciation du mythe moderne et de la suprématie de l’artiste
démiurge. La copie, modèle d’apprentissage classique, élude
le caractère original, unique et créatif de l’œuvre d’art. L’artiste
américaine amorce un c o u r t - c i r c u i t d a n s u n e s o c i é té
paradoxalement hantée d’une p a r t p a r l ’ a p p r o p r i a t i o n
citationnelle et d’autre part par les notions de droits d’auteur et
de piratage.
Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS
Andy WARHOL
Forest City, 1928 - New York, 1987
Influencé par la publicité dont il reprend les sujets mais aussi les
modes de production et les techniques de marketing,
Andy Warhol magnifie les icônes de la culture populaire :
bouteille de Coca-Cola®, portrait de Marilyn, boîte de soupe
Campell’s® ou billet de banque. Il met en scène le pouvoir de
l’image, sa reproductibilité, sa sérialité mais aussi son caractère
morbide. Andy Warhol s’érige au rang de star dont la célébrité
dépasse largement le domaine artistique stricto sensus et
adopte une démarche pluridisciplinaire battant en brèche les
frontières entre l’art et la vie. En 1963, il monte la Factory, vivier
de la culture underground, y réalise ses films et produit le
groupe de rock Velvet Underground. Matisse semble bien
éloigné de ces préoccupations Pop. Warhol ne reprend qu’une
seule fois une figure d’Henri Matisse dans une série des
années 1980 consacrée à la citation d’œuvres d’art célèbres.
La Joconde de Léonard de Vinci et La Naissance de Vénus de
Botticelli y côtoient La Robe bleue de Matisse. Celle-ci n’est
pas magnifiée comme La Marilyn, mais cette occurrence
témoigne d’une réelle forme de reconnaissance. La stylisation
des formes, l’aplat des couleur pure et l’absence de hiérarchie
dans les sujets traités rappellent l’œuvre du maître moderne.
Le musée Andy Warhol à Pittsburg, riche de plus de trois milles
œuvres, prête pour l’exposition le dessin préparatoire à la
réalisation de cette œuvre.
Erik DIETMAN
Jönköping, 1937 - Paris, 2002
Proche des acteurs du mouvement Fluxus et du Nouveau
Réalisme mais refusant toute adhésion à ces groupes,
Erik Dietman aime jouer avec le langage et l’humour. Après
avoir peint les yeux bandés, il casse et reconstitue des objets
qu’il recouvre de sparadraps. Peu à peu, les matériaux sont
travaillés pour leur qualité respective (bois, verre, marbre,
bronze) ; les objets se font plus poétiques. Loin des
conventions, Dietman développe une esthétique hybride
du bibelot et de la quincaillerie à la fois sensuelle et macabre.
Son œuvre s'inscrit dans un métissage entre poésie verbale et
réalité des choses. Dessins, objets, assemblages et sculptures
donnent une existence matérielle à la parole, au verbe et au
mot. Dietman se joue avec boulimie des associations de sens,
d’images et de matières et aime à critiquer les avant-gardes.
Dans La Jeannette Long-Dietman, des pierres posées au
sol figurent le portrait de Jeannette réalisé par Matisse dans les
années 1910. Sur les cinq sculptures que Matisse réalise de
Jeanne Vaderin entre 1910 et 1916, les trois dernières font
l’objet de telles déformations qu’elles semblent composées de
plusieurs blocs de pierre (l’amorce de la poitrine, le menton, le
nez, le chignon). Proche du cubisme analytique, les sculptures
de Matisse essuient une critique virulente. D’où, l’acte de
récupération d’Erik Dietman, qui fait de Jeannette une
installation à la Richard Long, arpenteur anglais affilié au Land
Art, reconnu notamment pour ses spirales en pierre et les
traces qu’il réalise dans le paysage naturel. Dietman dispose
les pierres sur un socle très proche du sol et invite le spectateur
à se déplacer pour reconstituer la tête de femme. L’intérêt de
cette occurrence réside donc dans cette double citation.
Richard Long et Henri Matisse n’ont, à priori, rien en commun
et c’est de cela dont s’amuse Dietman. Il surenchérit par le titre
où il adjoint son nom créant une sorte de fausse filiation.
Gilles MAHÉ
Guingamp, 1943 - Saint-Briac-sur-Mer, 1999
Dans une réflexion sur la copie et l’original, Gilles Mahé reprend
plusieurs reproductions photocopiées de Matisse à la gouache.
Aux côtés d’Intérieur au violon de 1917-1918 et d’Intérieur
rouge, nature morte sur table bleue de 1947, il s’accapare,
toujours avec un geste hésitant et enfantin, le fameux Portrait
de madame Matisse à la raie verte qui a fait de Matisse un des
précurseurs du fauvisme. Ici encore, Gilles Mahé transforme,
réinterprète l’image imprimée avec désinvolture pour la faire
sienne mais aussi pour lui donner une seconde vie et en faire
un vecteur d’échange.
Voir aussi LA FENÊTRE
Douglas HUEBLER
Ann Arbor, 1924 - Truro, 1997
Douglas Huebler fait partie de cette première génération
d’artistes conceptuels dont l’œuvre prolifique, et en apparence
rigoureuse, demeure difficilement définissable tant elle regorge
de décalages. Dans la série « Crocodile Tears », dérivée d'un
scénario sur l'histoire fictive de l'artiste Jason James, des
portraits de Matisse prennent vie pour celui qui sait les identifier
et sont reliés à des questions sur le positionnement de l’art et
des nouveaux médias aujourd’hui. Le débat entre la technique
et le génie s’illustre dans Variable Piece #70 : 1971 (In Process)
Global, Crocodile Tears : The Great Corrector (Conceptual
Comic Strip) de 1984. Sous forme de story-board, Douglas
Huebler esquisse l’histoire d’un artiste devenu directeur d’une
école de Beaux-Arts qui n’a de cesse de rectifier les « erreurs »
des grands maîtres, lui qui sait si bien dessiner. Un portrait de
femme de Matisse est ainsi confronté à sa « correction ».
Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS
LA DANSE
La Danse est sans doute l’image la plus
emblématique de l’œuvre de Matisse.
Les déclinaisons de cette ronde
retra cent l’évolution de son art, des
prémices du fauvisme à l’épanouissement
des papiers découpés. Monumentales,
elles abordent la notion de l’éternel
recommencement qui reflète chez le
maître la relativité du temps, de l’art et
du monde. Les couleurs pures, la douceur
des formes simplifiées ainsi que la
nudité des corps renvoient aux cultures
exotiques et ancestrales. La Danse met
à l’honneur la dimension décorative,
expressive et musicale de la peinture.
Ces travaux, pour la majorité de
commande et dont la dernière version
inachevée fut réalisée à Nice, rue Désiré
Niel à deux pas du MAMAC, donnent
naissance à un large éventail de reprises,
allant du ballet contemporain à la
performance, en passant par la peinture,
le dessin et la photographie. Ensemble,
ces réitérations ouvrent un champ
d’interprétation et suggèrent une
« Danse avec Matisse ».
John BALDESSARI
National City, 1931
Dans une démarche pluridisciplinaire axée sur la mise en
relation d’images et de mots, John Baldessari met en exergue
la nature intrinsèquement équivoque des images. Dans ce
sillon, l’artiste reporte sur toiles plusieurs impressions
photographiques d’œuvres de Matisse qu’il confronte à
des inscriptions peintes à la main, créant des associations de
sens inédites. Parallèlement aux détournements des Poissons
rouges et de La Musique, une oeuvre joint un pas de La Danse
au chien futuriste de Giacomo Balla, posant l’équation sous
forme de devinette : « … and Matisse ». Le mouvement
cinétique rejoint le pas de danse dans une approche cinématographique. La valeur identitaire des œuvres et leur pouvoir
d’absorption et de mutation sont au cœur du travail de
Baldessari.
Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LE NU
Martin KIPPENBERGER
Dortmund, 1953 - Vienne, 1997
L’artiste allemand Martin Kippenberger a tout au long de sa
carrière créé des affiches pour promouvoir une grande variété
d'événements. Au total, les quelques 200 affiches créées
forment un corpus d’œuvres à part entière illustrant la tonalité
et l’engagement de son travail : « Les affiches de Martin
Kippenberger représentent et résument le mieux l'éventail de
ses capacités : l'humour, la critique sociale, la combinaison
intelligente des images provocantes et d'allusions. Elles sont
critiques et engagées, expriment parfaitement ses idées et sa
personnalité. »* Les supports de communication présentés ont
été réalisés par l'artiste, en 1996 à l'occasion d'une exposition
à l'Atelier Soardi, à Nice, lieu où Matisse créa La Danse de
Barnes de 1930 à 1933. L’affiche fait allusion à ce tableau mais
remplace les danseurs par le super-héros Spiderman. Tissant
sa toile, il forme une ronde autour d’une célèbre photographie
de Matisse dessinant dans le lieu même où il est invité à
exposer. Kippenberger détourne Matisse en reprenant les
stéréotypes de l’homme-araignée appartenant à l’univers des
bandes dessinées. Le titre de l’exposition L’atelier Matisse
sous-loué à Spiderman est d’ailleurs révélateur de cette
désacralisation provocante et parodique. Le carton d’invitation
reprend cette confrontation entre une photographie de Matisse
à l’atelier et une image du super-héros rapiéçant son costume.
Le MAMAC a la chance de voir entrer ces deux documents
dans ses collections grâce à un don.
*Jutta Koether, Tate Etc, n° 6 - Londres : La Tate, printemps 2006, p.36.
Niki de SAINT PHALLE
Neuilly-sur-Seine, 1930 - San Diego, 2002
Si Niki de Saint Phalle est avant tout connue par ses Nanas
voluptueuses etcolorées, c’est avec la série des « tableaux-tirs »,
qu’elle produit à partir de 1961 qu’elle rejoint les rangs du
Nouveau Réalisme. Elle qui est la seule femme du groupe joue
un rôle de médiatrice entre les avant-gardes françaises et
américaines. Les assemblages d’objets et de matériaux
hétéroclites : grillage, plâtre, tissu, papier, laine, jouets et figures
religieuses, sont autant d’él ém ents év oc a teurs de sa
personnalité et de son histoire car l’artiste a subi une éducation
très stricte et catholique qu’elle n’aura de cesse de vouloir
exorciser. L’image de la femme et plus particulièrement de la
mère nourricière devient omniprésente. En 2001, l’artiste fait
une importante donation à Nice, ville où elle a séjourné à
plusieurs reprises, ce qui permettra au MAMAC de possèder la
plus grande collection consacrée à l’artiste en France et la
seconde en Europe. Dans ce fonds, trois œuvres en référence
à Henri Matisse ont été sélectionnées. Si les emprunts
artistiques sont extrêmement rares et tardifs chez Niki de Saint
Phalle, ils relèvent davantage de l’hommage que de la critique.
Le fonds du musée atteste d’ailleurs de l’influence de Matisse
sur son travail : par la stylisation des formes et l’emploi de
couleurs pures, par les ressources des papiers découpés. Les
œuvres présentées autour de La Danse relèvent d’une
appropriation complète. Tantôt la ronde est éclatée, tantôt elle
réunit quelques Nanas. L’artiste reprend le motif de la danse et
l’adapte à son vocabulaire plastique.
Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS
Haizea BARCENILLA GARCIA
Lezo, 1981
Après des études d’histoire de l’art, Haizea Barcenilla Garcia
partage son temps entre le commissariat d’exposition et la
critique d’art, ce qui lui permet d’expérimenter diverses
pratiques non seulement en termes d’exposition mais aussi en
tant que lieu de débat. Ainsi, elle réalise une proposition autour
de La Danse de 1909 de Matisse conservée au MoMA de New
York. Cette installation a été produite par le Musée de la Danse
à Rennes avant d’être présentée au musée d'Art Moderne de
la Ville de Paris (MAMVP) dans le cadre de la manifestation
« This&There ». Constituée de photocopies de textes et
d’images sur la célèbre Danse punaisées sur un panneau
d’affichage de mêmes dimensions que l’œuvre référent, la
proposition de la curatrice met en scène le rôle du musée dans
les modalités de perception et de réception d’une oeuvre. En
présentant une œuvre absente, cette installation met en jeu
notre rapport à l’art et à ses modalités de réception. Haizea
Barcenilla Ga rcia pose l a q u e s t i o n s u i v a n t e : Q u e
r e garde-t-on quand on voit un chef d’œuvre : L’image mentale
que l’on en a ou son discours et toute l’idéologie qui en découle ?
Patrice CARRÉ
Angers, 1957
Patrice Carré a regardé les gouaches découpées de Matisse
avant de commencer à les reproduire, surtout celles « bien
connues et diffusées largement sous forme de posters, dans
les librairies de nombreux musées ». C’est donc, de prime
abord, à un travail de copiste que se livre Patrice Carré, mais
avec des ciseaux crantés d’ordinaire utilisés en couture.
D’ailleurs, il utilise toujours un patron. Le découpage en zigzag
crée de légers décalages qui soulèvent de nombreuses
questions sur l’original et sa reproduction ainsi que sur le pixel.
La maquette pour Deux Danseurs devient dans les mains de
Patrice Carré Deux Danseurs à crans. Certaines parties sont
fixées avec des punaises alors que l’œuvre est placée sous
verre, mimant des conditions de conservation optimales. Bien
plus que de citation ou de parodie, chez Patrice Carré, il s’agit
avant tout d’un questionnement sur la reproductibilité des
images iconiques avec des moyens ordinaires ou désuets ; et
de plaisir aussi, le plaisir de la reprise et de la manufacture.
Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS
Pedro PAUWELS
Quaregnon, 1965
C’est à partir de la théorie des formes analysée par Kandinsky
dans Point et ligne sur plan que Pedro Pauwels a voulu travailler
pour Entre-mains. Envisageant l’écriture chorégraphique
comme une construction graphique, il aborde le cadre de scène
et le plateau comme une feuille blanche où il va intervenir à la
manière d’un peintre, créant des espaces, des lignes, des
courbes, des points de force et des vides. Aboutissement d’un
travail débuté en décembre 2007 avec La Ligne, cette nouvelle
création s’inscrit dans la continuité de ce travail sur le ressenti
du mouvement. Il s’agissait, selon ses propres mots, de
poursuivre ses recherches « sur le travail lié à la contrainte
physique, corporelle, ayant et subissant elle-même ses propres
contraintes, une contrainte vivante, mouvante, instable, demandant
sans cesse des réajustements, de la vigilance, de l’adaptabilité »
et de réfléchir sur les rapports instaurés par la dynamique de
groupe. Les réflexions du chorégraphe se portent sur l’union et
les rapports de l’ensemble au particulier. Pedro Pauwels
s’efforce de créer une cohésion de groupe sans faire disparaître
les singularités. Il travaille l’image d’un « engrenage vivant »
dans lequel chaque individu a son rôle dans le fonctionnement
du tout. La ronde, danse archétypale en chaîne ouverte ou fermée,
sert de point de départ. Les points de rencontre où les mains se
lient évoquent sans conteste La Danse de Matisse et ses
multiples variations. Le chorégraphe revendique cette source
comme un élément moteur de sa création.
Wang QINGSONG
Helongjiang, 1966
L’artiste chinois Wang Qingsong use de la photographie pour
son efficacité visuelle et compose comme un metteur en
scène. Il monte de véritables tableaux vivants dans lesquels il
est souvent présent. A borda nt des thèm es c om m e la
migration, la mondialisation, le consumérisme et la sexualité, il
illustre les contradictions de la Chine contemporaine. La perte
des valeurs traditionnelles, l’intrusion de la culture occidentale
et la répression y sont traitées avec ironie. Dans Fotofest
(littéralement « Festival de la photographie »), Wang Qingsong
utilise une faille du découpage administratif de la République
populaire de Chine pour réaliser un événement répréhensible.
Sur un No man’s land échappant aux forces de l’ordre (du fait
d’une délimitation floue entre les provinces), l’artiste mobilise
des personnes pour un « shooting » public de nus. La
photographie s em bl e m ettre en s c ène une foul e de
journalistes autour de cinq femmes nues interprétant une
chorégraphie inspirée de La Danse de Matisse. Mais la foule a
été réunie via les réseaux sociaux et les appareils photos et les
caméras ne sont que des artefacts en carton. Au milieu de ce
terrain vague, où les figurants constituent une arène avec en
son centre un tapis de lutte, se dresse un réel combat contre
les tabous et les autorités. L’oeuvre évoque d’ailleurs les
manifestation de la place Tian’anmen de 1989. La photographie,
constat de l’événement, propose une actualisation de l’œuvre
du peintre moderne occidental ainsi qu’une image possible de
sa réception.
Arthur AESCHBACHER
Genève, 1923
Arthur Aeschbacher réalise des collages en utilisant non
comme les Nouveaux réalistes des affiches maraudées dans la
rue mais des supports récupérés le plus souvent dans des
imprimeries. Loin des préoccupations sociologiques des
affichistes, il récupère ces matériaux pour leur caractère
proprement pictural. Les différents papiers, par leur texture, leur
couleur et leur épaisseur, créent des compositions abstraites
aux effets de matière très riches. Parfois, des éléments
figuratifs ou typographiques resurgissent. L’éclatement de la
typographie devient prioritaire. Les lettres imprimées sont
traitées par la superposition de trames et de grilles peintes,
accordant de plus en plus d’importance à la construction
rigoureuse de l a surface. Ici, Arthur Aeschbacher a
délibérément choisi de reprendre tel quel ce poster de la
célèbre Danse de Matisse qu’il juxtapose à un assemblage très
épuré de lettres et de chiffres fragmentés noirs ou rouges.
Enfin, un maillage de trames géométriques bleues confère une
unité à l’assemblage hétéroclite et répond au rythme de la
mélodie matissienne. Découpes et collages renvoient
également sans conteste à l’œuvre du grand maître, et
notamment au vitrail Les abeilles. L’oblitération, loin d’être ici un
acte de vandalisme, est de l’ordre de l’hommage. À la question
Peut-on oblitérer Matisse ?, Arthur Aeschbacher nous confie
que cette démarche est impossible.
Francesco VEZZOLI
Brescia, 1971
Influencé par la culture Pop, l’artiste italien Francesco Vezzoli
pratique l’art de la citation, du collage, du montage et de la
broderie, mêlant l’art au monde du spectacle et des célébrités.
Entretenant une fascination pour les icônes populaires et les
paillettes, Vezzoli imprime au laser des images d’actrices, de
mannequins et de chanteurs sur lesquelles il intervient en
cousant des larmes au fil d’argent, geste à la fois nostalgique et
glamour. Des peintures abstraites sont également reproduites
en broderie. Ce travail minutieux et lent, associé à l’attente du
retour de l’être aimé, reste encore considéré comme mineur et
féminin, et c’est bien ce qui intéresse Vezzoli. L’œuvre
présentée pour l’exposition fait partie d’une série rendant
hommage à Olga Khokhlova, célèbre danseuse et première
épouse de Pablo Picasso, l’ensemble prend alors la forme d’un
dispositif scénique, sorte d’ex-voto l’élevant au rang de divinité.
Dans cette impression rehaussée de peinture, l’artiste associe
le portrait de celle qui abandonna les ballets russes pour Picasso
à La Danse de Matisse, qui devient une auréole brodée,
emblème de ses arts, puisque la danseuse pratiquait aussi la
broderie. L’association Matisse-Picasso refait ici surface avec
humour et désinvolture.
LES PAPIERS DÉCOUPÉS
Les papiers découpés inscrivent
définitivement l’œuvre d’Henri Matisse
dans l’aventure contemporaine. D’un
simple outil de composition lui permettant
de jouer sur le positionnement de ses
figures sur la surface, il atteint son
apogée dans la série des Nus Bleus et
s’empare de l’espace dans La Perruche
et la Sirène, oeuvre de près de huit
mètres de long. Peignant à la gouache
de grands aplats de couleur sur des
feuilles de papier qu’il découpe ensuite,
l’artiste se constitue un répertoire de
formes à disposer dans l’espace. En
taillant directement dans la couleur, il
réussit à dépasser la dichotomie entre le
fond et la forme, le trait et la matière.
L’organisation des papiers découpés
permettra aux artistes contemporains
d’investir l’espace dans une pratique de
l’in situ. Initiateur de la couleur délivrée
de la forme, Henri Matisse a un impact
considérable sur le travail des artistes
abstraits américains et européens, mais
aussi sur l’usage du « copier/coller », de
la citation et de l’appropriation propre
aux nouvelles générations.
Douglas HUEBLER
Ann Arbor, 1924 - Truro, 1997
Dès la fin des années 1960, les œuvres de Huebler sont
composées de cartes, de photographies, de textes et de
dessins qui soulignent la présence d’un détail inattendu dans
une volonté encyclopédique. Ces arborescences nous
rappellent la beauté du processus et de la prospection. Il s’agit
là de documentation qui n’informe pas. Précurseur de l’utilisation
de la photographie dans l’art conceptuel, Huebler rend compte
de leur modalité de réalisation qu’il classifie selon trois catégories :
le temps (« Duration Piece »), le site (« Location Piece ») ou les
deux à la fois (« Variable Piece »). Ce ne sont non pas les
choses, mais le rapport entre les choses et la perception qu’on
en a, qui l’intéresse. Loin d’éliminer l’acte créatif au profit d’une
documentation et d’une approche comparatiste dépourvue
d’affect, Huebler dégage de cette tonalité scientifique,
beaucoup de poésie, d’humour et d’humanité. À partir du
milieu des années 1980, Huebler combine représentations
d’œuvres modernes, textes, photographies et dessins. Matisse
fait plusieurs apparitions dans cet univers aseptisé et
anti-romantique à souhait. Et pourtant, il n’y a aucun geste
blas phématoire, plutôt de la sympathie. Dans la série
« Crocodile Tears », dérivée d'un scénario sur l'histoire fictive
de l'artiste Jason James, des oeuvres de Matisse prennent vie
pour celui qui sait les identifier et sont reliées à des questions
sur le positionnement de l’art et des nouveaux médias
aujourd’hui. Le mythe de la modernité est à la fois utilisé et
sapé. Dans Variable Piece #70 : 1971 (In Process) Global,
Crocodile Tears : Peaceable Kingdom : Lloyd V (Matisse) de
1988-1990, la gouache découpée Polynésie, la mer de Matisse
devient la bannière du Royaume Pacifique.
Voir aussi LE PORTRAIT
Marcel ALOCCO
Nice, 1937
Acteur des mouvements Fluxus et Supports/Surfaces, Marcel
Alocco, dans une redéfinition de la peinture de chevalet met au
point, dès 1967, un travail à partir de draps de lit avant
d’élaborer les « Fragments de la peinture en patchwork »
à partir de 1973. Ces travaux se forment à partir
d’idéogrammes, de lettrages, de logos et d’emblèmes puisés
aussi bien dans l’histoire de l’art que dans des dessins animés.
Ces motifs sont appliqués sur une toile libre par l’intermédiaire
de pochoir ou de tampon formant des monotypes qu’il peut
reproduire à sa guise. La toile estampillée est ensuite déchirée
par l’artiste dans le sens de la trame afin de former des
fragments quadrilatéraux qu’il assemble aléatoirement en les
cousant les uns aux autres. Cette pratique n’est pas sans
évoquer les papiers découpés de Matisse et l’artiste revendique
volontiers cette filiation. Chez Marcel Alocco, le déchirage et la
couture permettent de mettre en avant la matérialité du
support. Le fil est à la fois ce qui joint les fragments et ce qui
les sépare. La reprise manuelle, plutôt que mécanique, et les
bords déchirés soulignent la matérialité du tissu. Le patchwork
laisse deviner l’implication du corps de l’artiste, tant dans l’acte
violent de déchirure que dans la pratique de la couture à la main.
Dans le fragment n°7 reprenant un des Nus Bleus de Matisse
et des motifs préhistoriques, Marcel Alocco teste, par le
morcellement de l’image initiale, sa prégnance visuelle et fait
appel à notre mémoire. En mai 2009, il recroise un Nu Bleu sur
une affiche d’étudiants collée sur un mur de la ville de Florence,
et le capture par la photographie.
Sherrie LEVINE
Hazelton, 1947
Parallèlement aux portraits à l’aquarelle d’après Henri Matisse,
Sherrie Levine reprend, avec sensualité et humour, dans une
taille légèrement réduite, La Chute d’Icare réalisée pour l’album
Jazz à la gouache. L’artiste modifie la couleur du motif situé au
centre de la silhouette ; de rouge symbolisant le cœur, elle
passe au jaune pour rappeler les étoiles qui l’entourent. L’artiste
américaine amorce un court-circuit dans une société
p a r a d o x a lement hantée d’une part par l ’ a p p r o p r i a t i o n
citationnelle et d’autre part par les notions de droits d’auteur et
de piratage.
Voir aussi LE PORTRAIT
Patrice CARRÉ
Angers, 1957
Patrice Carré a reproduit plusieurs gouaches découpées
de Matisse, mais avec des ciseaux crantés, d’ordinaire utilisés
en couture. Le découpage en zigzag crée de légers décalages
qui soulèvent de nombreuses questions sur l’original et sa
reproduction ainsi que sur le pixel. Il crée un effet optique
perturbant notre appréhension de l’oeuvre. Patrice Carré
s’octroie quelques « variations » aussi bien dans la colorimétrie
que dans les matériaux utilisés. Il réalise un nu matissien façon
écorché à partir d’images imprimées de pièces de viandes
trouvées dans des publicités de supermarché ou d’autres en
motif « reflets piscine ». Le décor « tas de bois » lui permet de
refaire La Femme à l’amphore de 1953 qui devient La Femme
à l ’ a m p h o r e d a n s u n t a s d e b o i s . Les parasitages et
interférences que l’artiste met en place mettent en jeu la force
identitaire des chefs d’œuvre et leur capacité de transformation.
Malgré leur basculement dans un univers à « deux francs six
sous » ou totalement kitsch, les œuvres de Matisse restent
reconnaissables en un seul coup d’œil. Bien plus que de citation
ou de parodie, chez Patrice Carré, il s’agit avant tout d’un
questionnement sur la reproductibilité des images iconiques
avec des moyens ordinaires ou désuets, et de plaisir aussi : le
plaisir de la reprise et de la manufacture. Pour La Perruche et
la sirène à crans, Carré réduit la composition à deux couleurs,
rouge et noir. Le revêtement adhésif décoratif, lui permet de
travailler directement sur mur et de jouer avec les motifs sur
les notions de réplique, de trompe l’œil, de vrai-faux, de bon et
de mauvais goût dans une pratique in situ. Patrice Carré revient
sur l’apport de Matisse dans le Pattern Painting (courant
américain qui apparaît dans les années 1970 et qui privilégie les
procédés décoratifs, artisanaux ou industriels) et dans le
mouvement Supports-Surfaces en France (avec la
déconstruction analytique du tableau de chevalet).
Voir aussi LA DANSE
Richard FAUGUET
La Châtre, 1963
Difficilement cernable, Richard Fauguet développe une pratique
tout à fait hétéroclite. Il multiplie les angles d’approche, les
techniques et les styles dans une démarche pluridisciplinaire.
Les références à l’histoire de l’art côtoient celles du bricolage et
des pratiques plus ordinaires. Cette confrontation s’inscrit à la
fois dans une volonté de détournement parodique et dans une
dialectique du bon et du mauvais goût questionnant aussi bien
les objets quotidiens qu’artistiques. L’œuvre présentée dans
l’exposition fait partie d’une série de douze silhouettes de chefs
d’œuvre modernes et contemporains : La Danseuse de Degas,
La Serpentine de Matisse, La Princesse X de Brancusi,
les mobiles de Calder, les silhouettes de Gilbert & George, le
lapin de Jeff Koons, etc. Découpées dans de l’adhésif, elles
reprennent l’esthétique du théâtre d’ombres tout en restant
proche du Pattern Painting. Le motif totalement kitsch et sa
planéité leur confèrent une dimension décorative similaire à
celle des papiers peints. Tournées en dérision, désacralisées,
ces figures emblématiques invitent à un « jeu somme toute
assez pédagogique de devinettes » (Pascal Pique). Ludique,
cette œuvre met en question l’originalité et la prégnance
visuelle des chefs d’œuvre face à leur détournement. Notre
rapport à l’imaginaire et à l’art de raconter des histoires s’en
trouve décuplé.
Claude VIALLAT
Nîmes, 1936
Initiateur de Supports-Surfaces, Claude Viallat regarde dès le
début de sa carrière l’œuvre de Matisse. Ses premières
peintures rappellent autant les formes biomorphiques de Miró
que les aplats de couleur chers à Matisse. Viallat s’approprie à
plusieurs reprises le motif de la vague, comme si la forme qu’il
choisira plus tard en découlait. Deux occurrences sont
présentées ici : Sans titre (La Vague) de 1966 et celui de 1967.
Viallat n’utilise pas la technique des papiers découpés et préfère
ici expérimenter différents médiums (gélatine, colorant). La toile
est encore tendue sur châssis. Une fois son système mis en
place (la répétition d’une forme apposée à intervalles réguliers
jusqu’à recouvrir la totalité de la toile libre), l’ombre de Matisse
demeure latente. Dans le tondo Hommage à Matisse déployant
cette forme, Viallat colle un article de journal où figure le portrait
de Matisse : hommage direct à la couleur, à la déclinaison et à
la profusion décorative tout autant qu’au personnage. La
fascination constante pour l’œuvre de Matisse a d’ailleurs fait
l’objet d’une exposition au musée Matisse du Cateau-Cambrésis
en 2005.
Voir aussi LA FENÊTRE
Gérald PANIGHI
Menton, 1974
Les dessins de Gérald Panighi combinent textes et images
populaires dans une pratique proche du remake (reprise) et du
sampling (échantillonnage, élément détourné et réutilisé en
boucle). L’artiste collecte, transfère, décalque, découpe
et associe des motifs et des phrases populaires. Personnages
de bandes dessinées, affiches de cinéma, étiquettes de vin,
faits divers tirés de la presse écrite, anecdotes trouvées sur le
net, phrases vécues ou entendues ici et là, s’entrecroisent de
manière improbable. Sur les feuilles de papier nourries par
l’usage et le temps, combinaisons incongrues et décalages
absurdes proposent un registre poétique. Si l’image n’illustre
pas le texte, les connections sont autant absurdes que sagaces.
L’œuvre possède un caractère fragile et intime. Une large place
est laissée au vide et aux taches qui deviennent l’essence de
l’imagination et de la désacralisation du dessin. L’iconographie
détournée, le papier vieilli ainsi que le texte tapé à la machine
à écrire participent de différents espace/temps. Dans une
approche parodique et paradoxalement révérencieuse, Matisse
est, chez Gérald Panighi, projeté dans des univers où l’on ne
l’attendait pas. Dans Bonne journée les diurnes créée pour
l’exposition, l’artiste détourne des images de Pin Up qu’il fait
jouer avec le motif de La Gerbe de Matisse. Le papier découpé
devient un accessoire de m ode gl a mour qui a c c entue
l’atmosphère légère et l’élan de modernité des années 1950.
L’image imprimée est associée à des phrases dactylographiées
trouvées sur des forums pour alcoolo-dépendants. Panighi use
du collage et du découpage pour créer des saynètes finalement
assez punk. Le traitement plastique renforce ce caractère trash
et bas de gamme, mais la débauche, la détresse et l’ivresse
sont captées avec subtilité. Trois temporalités (la silhouette
féminine, le motif matissien et le texte) s’entrechoquent pour
finalement s’unir avec sagacité et humour.
Louis CANE
Beaulieu-sur-Mer, 1943
Né en 1943 à Beaulieu-sur-Mer où il possède toujours un atelier,
Louis Cane débute ses études à l’École nationale des arts
décoratifs de Nice avant de rejoindre les Beaux-Arts de Paris et
de participer à l’aventure Supports/Surfaces. Parallèlement, il
participe au développement de la revue « Peinture, Cahiers
Théoriques ». Malgré les remises en cause incessantes du
tableau de chevalet, Louis Cane a bien conscience de ce qu’il
doit à la peinture et à son histoire, car il n’a de cesse de
présenter un travail pictural d’interprétation et de citation des
chefs d’œuvre de l’histoire de l’art. Dès le milieu des années
1970, ce médium réapparaît dans sa pratique, et avec lui ses
sujets archétypaux et ses figures emblématiques (Le Greco,
Vélasquez, Delacroix, Monet, Van Gogh, Manet, Picasso,
Bacon…). Ce dialogue pictural se combine à des réflexions sur
la couleur et le support. En marge des conventions, Louis Cane
allie prise de risque et plaisir à peindre. Les rapport entre
la couleur et le support traversent son oeuvre des « Sol/Mur »
aux peintures sur grillage ou châssis. Le MAMAC a fait le choix
de lui proposer de revenir sur l’œuvre de Matisse pour ce projet
d’exposition. L’artiste répond par des découpages dans la résine
colorée contrecollés sur toile. Dans La Blouse roumaine, les
motifs quadrillés de l’habit rappellent bizarrement les treillages
de l’artiste et l’avatar du châssis. La tête est schématisée et
renvoie au Saint-Dominique de Matisse réalisé pour la chapelle
du Rosaire à Vence. Le Cracheur de forme déverse, avec
gourmandise, tout un vocabulaire matissien fait de palmes et
de coraux.
Christian BONNEFOI
Salindre, 1948
Christian Bonnefoi développe une pratique qui interroge sur les
modalités d’apparition et de production de la peinture. Proche
de l’abstraction analytique, il reste toutefois éloigné voire
critique vis-à-vis de Supports-Surfaces. Christian Bonnefoi a très
tôt été marqué par l’œuvre de Matisse et tout particulièrement
par Les Nus de dos (1909-1930) dont les plâtres originaux sont
conservés au musée Matisse du Cateau-Cambrésis. De 1974 à
aujourd’hui, il n’a cessé de reprendre ce motif ne donnant à voir
que la « face cachée » de ce nu féminin aux traits archaïques,
il dit lui-même qu’il travaille depuis 30 ans « à essayer de voir
la face du dos de Matisse ». Du bas-relief, il transfère son sujet
dans le domaine du collage comme en écho aux papiers
découpés du maître. Ces variations font également écho à la
pratique de Matisse, qui n’avait de cesse de reprendre un sujet
pour mieux le décliner, le retravailler, le remanier. Les premiers
collages, de petits formats rectangulaires, déclinent, à
l’aquarelle et au crayon, la silhouette sur diverses sortes
de papiers : journal, feuille quadrillée, papier buvard… Puis, la
forme va en se complexifiant, la découpe se fragmente et se
libère du support, le geste se fait plus présent et déstructure le
dos, la couleur s’épanouit, les textures et les épaisseurs se
multiplient. De cette variation, Bonnefoi retient le papier de soie
punaisé au mur. Il travaille à présent « hors cadre », « sans
limite » pour un meilleur investissement de l’espace. Il arrache,
assemble, superpose, colle, recolle et encolle, travaille
la transparence et les opacités, les rapports de surface, mène
un travail de peintre. La mise en scène du dos, du verso, occulte
la face noble et première, celle de la communication, celle
du visage, elle montre ce qui habituellement est caché.
Bonnefoi illustre ce principe par un travail inversé, en
construisant son œuvre « par derrière ». Il réalise
s a c o m position sur le revers, puis retourne l’œuvre pour la
voir apparaître et la rehausser de graphite. L’annulation
des dualités dedans/dehors, endroit/envers, forme/fond
construit l’ensemble de sa démarche de peintre. Christian
Bonnefoi repense l’apparition de la peinture à partir d’une
réflexion sur la surface. Cette série a fait l’objet d’une exposition
au musée Matisse du Cateau-Cambrésis en 2011 ainsi qu’au
musée de Céret en 2012. Pour le MAMAC, Christian Bonnefoi
a réalisé une composition in situ autour d’œuvres historiques
et plus récentes, rappelant les œuvres monumentales en
papiers découpés du maître.
Mohamed MELEHI
Asilah, 1936
Né au Maroc où il joue un rôle déterminant, Mohamed Melehi
est l’un des maîtres de la peinture moderne orientale. Après
des études en Europe où il a été grandement influencé
p a r l ’ œ u vre de Matisse et quatre années passées aux
États-Unis où il a eu l’opportunité de côtoyer l’avant-garde
am éricaine, il peint Pulsation. On est en 1964 et pour la
première fois le motif de l’onde cher à Matisse (La Vague,
1952) apparaît. Elle traverse l’ensemble de son œuvre jusqu’à
aujourd’hui. Tout comme Matisse, Melehi accentue la franchise
des couleurs et des formes. Usant de ses propres couleurs, il
ne garde que la forme et l’intègre dans une nouvelle composition.
À Matisse, il doit beaucoup ; son œuvre toute entière peut se
lire comme une révérence au maître moderne. Pulsation est là
pour nous le rappeler. Acteur culturel important, il travaille pour
le Ministère de la Culture du Maroc où il tend à renforcer
l’accessibilité à l’art, promouvoir l’art contemporain et valoriser
la culture de son pays à travers le monde.
LES INTÉRIEURS
La thématique des intérieurs semble
condenser l’ensemble du travail de
Matisse tant elle parle de mises en
abyme et de mondes en suspens.
L’intérieur représente bien quelque
chose d’intime, d’intrinsèque et de
silencieux. On y appréhende l’attrait du
peintre pour les arts décoratifs, son goût
pour les objets, les tissus et les tableaux.
On y retrouve tous les sujets du maître,
sans aucune hiérarchie mais surtout on y
ressent cette volonté d’imbrication et
d’aplatissement des surfaces destinée à
créer un univers où tout serait lié et
connecté. Les intérieurs symbolisent
donc, plus que tout autre sujet, le
domaine de la peinture. C’est cette
vision subjective et phénoménologique
qui va retenir l’attention des artistes qui
n’hésitent pas à combiner tableaux du
maître et vues d’atelier, mêlant faits
réels et fiction et rappelant le procédé de
travail de Matisse qui créait de véritables
mises en scène pour la réalisation de
ses peintures.
Vik MUNIZ
São Polo, 1961
Vik Muniz se passionne très tôt pour les reproductions des
images. La variation des couleurs et des contrastes l’amène à
s’intéresser à la chromie, c’est-à-dire à l’intensité et à la
saturation des couleurs car celle-ci change totalement leur
perception. À la fin des années 1980, suite à la perte du livre
The best of Life qui recense les images les plus marquantes
publiées par le magasine Life entre 1936 et 1972, l’artiste
décide de redessiner certaines de ces images de mémoire puis
de les photographier et de les retoucher jusqu’à faire disparaitre
la trace de son geste et se rapprocher de la reproduction
mécanique de l’image imprimée (série « Memory Rendering »).
L’appropriation et la citation d’œuvres célèbres deviennent le
fondement de son travail. Chocolat, poussière, ordures, pièces
de puzzle, caviar, et diamants lui permettent de poser un regard
neuf sur les œuvres et provoquer de nouvelles perceptions
recentrées sur l’interactivité, la sensibilité et la matérialité.
Cependant il n’est souvent donné à voir que la photographie de
cette réalisation, rejouant aussi bien la reproductibilité, la
pérennité et la distanciation que l’illusionnisme permis par la
photographie. Dans ce sillon, il reprend des classiques de la
peinture aux pigments et consacre une part belle à Henri
Matisse (After Matisse, Pictures of Pigments). Ces
images tendent à modifier notre perception des tableaux
illustres en insistant sur leur caractère illusionniste et sensuel et quoi de plus voluptueux que le pigment de couleur, essence
même de la peinture ? Cependant, seule la photographie
retravaillée est donnée à voir. Elle pérennise la composition de
nature v ola ti l e, m et en s c ène l es m éc a ni s m es de la
r ep rés e n tation et insiste sur la prégnance visuelle, tant des
images que des chefs d’œuvre. Notre mémoire visuelle est
mise à contribution et légèrement bousculée, remise en
question.
Alun WILLIAMS
Manchester, 1961
Alun Williams mène des enquêtes tout à fait particulières et
romanesques sur l’histoire et la vie de personnages historiques
qu’il choisit de peindre : Jules Verne, Edgar Poe, Giuseppe
Garibaldi. Ces investigations le poussent à effectuer des
recherches biographiques approfondies tout comme à arpenter
les lieux fréquentés par le sujet étudié à la recherche de taches
qu’il introduira par la suite dans sa peinture. Les œuvres d’art et
les portraits sont également une source essentielle dans la
compréhension et la perception collective du personnage. Alun
Williams rencontre Matisse lors d’une enquête menée sur la
vie et la représentation de la Vierge. Les figures religieuses
intéressent l’artiste pour leur capacité à représenter un
symbole, une histoire davantage qu’un portrait réaliste. Dans
God and Multiple Virgins, il croise La Madone à la Prairie de
Raphaël à une étude de Matisse pour la Vierge de la chapelle du
Rosaire à Vence. Le portrait a été réalisé d’après Monique
Bourgeois, aide-soignante et modèle du maître. Entrée dans les
ordres, Sœur Jacques Marie joue un rôle crucial dans la
construction de la chapelle, conçue par Matisse dans sa totalité.
La peinture d’Alun Williams intègre Marie dans un intérieur
mêla nt l’architecture de L’ A n n o n c i a t i o n de Raphaël
à l’environnement créatif du peintre moderne dans son
atelier au Régina à Nice (le dessus de porte, le trépied, le miroir
ainsi que les motifs géométriques du sol). Sur le trépied, il
place, à l’image d’un portrait sculpté, une tache de peinture
trouvée sur le lieu de naissance de la Vierge . À droite, l’espace
est ouvert sur l’extérieur. Le paysage de l’arrière-plan reprend
celui du tableau de Raphaël. Trois taches de peinture extraites
d’œuvres de Picabia, Schnabel et Dali apparaissent comme des
portraits. Alun Williams aborde la peinture comme une image
mentale s’imprimant dans notre mémoire : le portrait historique
laissant place à une idée de la Vierge et à la fabrication d’une
image. Le contexte de création et la nature des images sont
ainsi mis en situation.
Vincent BIOULÈS
Montpellier, 1938
Très tôt associé à Supports/Sur faces, Vincent Bioulès
développe une œuvre figurative dont les thématiques renvoient
sans conteste à Henri Matisse. Dans La Sonate, l’artiste fait la
synthèse de plusieurs tableaux du maître. À gauche, il intègre
le piano du Pianiste et joueurs de dame, préfère les joueurs de
dame et la cheminée de La Famille du peintre, ajoute le
Violoniste à la fenêtre. L’intérieur évoque aussi la salle à manger
de Bioulès à Montpellier qu’il peint entre 1979 et 1983.
Les objets propres à son vocabulaire font leur apparition : le
treillage comme métaphore du châssis du tableau, l’arrosoir, les
vases aux motifs floraux, mais aussi l’escargot, les poissons et
les outils du peintre... Au centre, l’artiste représente le tableau
qui, posé sur un chevalet, renvoie à la thématique de l’atelier
telle que l’a développée Matisse. De ce dernier, il reprend
également la confusion optique, rendue possible par l’artifice
d’un miroir disposé au centre de la composition et par la
fenêtre qui, à l’image de celle de Matisse, fonctionne comme
autant d’allers-retours entre figuration et abstraction, intérieur et
extérieur, cadrage et champs chromatiques. Toute illusion de
profondeur est annulée, insistant sur la porosité des choses, de
l’espace et du monde. La touche, alternant aplats de couleur et
dégradés marqués par les notes saccadées du pinceau,
participe à cette imbrication des surfaces. L’aplatissement des
surfaces , l a s atura tion des c oul eurs , l ’a m bi guï té de
la déli m itation spatiale des objets ou plutôt leur fusion, ainsi
que ce mélange d’étrangeté et de joie de vivre qui se dégage
de certains tableaux de Matisse, apparaîssent comme autants
de leçons de peinture matissiennes. « Bioulès assume ainsi le
double héritage de l’œuvre de Matisse : le français et
l’américain ; celui qui fait cohabiter un sujet figuratif dans
un espace abstrait. »*
* Nathalie Bertrand, « Les intérieurs ‘’matissiens’’ » in Vincent Bioulès, Parcours, 1965-1995 :
Le paysage à Marseille dans les années 1990 - Toulon : Musée de Toulon / Athanor, 1995, p.
90.
Robert COMBAS
Lyon, 1957
Dès le début des années 1980, Robert Combas élabore une
nouvelle peinture figurative aux côtés de Rémi Blanchard,
François Boisrond et Hervé Di Rosa. Baptisée par Ben « La
Figurati on Libre », cette peinture rejette les codes
de représentation classique et s’inspire du rock, de la culture
underground et de la bande dessinée. Pour cette génération
d’artistes, la citation des grands maîtres n’est pas de mise, ils
préfèrent la culture populaire et contestataire. Combas réalise
toutefois un hommage au maître moderne. Mais le titre de
l’œuvre renvoie tant à Matisse qu’au modèle Maïté, comme s’il
devait autant à l’un qu’à l’autre. Dans le coin supérieur droit,
telle une vignette, une jeune femme est lascivement allongée
dans un hamac, la tête rejetée en arrière, les jambes repliées et écartées, les seins sortant du gilet défait. Elle se
réfère aux odalisques et tout particulièrement à une Odalisque
de 1923 de Matisse. Le reste de la composition est envahi par
des dessins et des inscriptions jubilatoires et luxuriants. Dans
cet entrelacs de motifs colorés, une ronde de personnages
rouges se dessine et évoque La Danse de Matisse. Hommage
ou reprise débribée et insouciante ? Cette joyeuse bacchanale
sent les îles et rappelle le voyage en Polynésie de Matisse. Un
hymne à la joie de vivre criant, extatique et sensuel ; une
« peinture baroque et dionysiaque » pour reprendre l’analyse
de Michel Onfray.
Cynthia LEMESLE &
Jean-Philippe ROUBAUD
Paris, 1974
Cannes, 1973
Lemesle et Roubaud produisent une œuvre abondante et
complexe, mêlant à de multiples références, une approche
critique sur le statut des images. Non sans humour, ils
multiplient détails et anecdotes, creusant inlassablement les
significations. Combinant aussi bien les styles que les
techniques (des savoir-faire ancestraux aux nouvelles peintures
industrielles en passant par l’artisanat), Lemesle et Roubaud
créent des installations souvent anachroniques aiguisant la
curiosité du spectateur. Ils réalisent pour l’exposition un papier
peint bleu et blanc rappelant les papiers découpés Polynésie, le
ciel et Polynésie, la mer, réalisés par Matisse en 1946. Les
motifs, tout en évoquant la matérialité de la peinture, rejouent
dans un faux test de Rorschach, des figures chères à Matisse :
oiseaux, coraux, végétaux, femmes à l’amphore. Les rehauts
d’ombres dessinés à la main font émerger du mur, un drapé,
produisant une ambiguïté quant à la nature de l’œuvre. Ce
décalage renvoie autant à l’origine même du médium (où
l e papier éta i t réel lem ent pei nt) qu’à l a tra di ti on de
l a r e p r é s e n tation d’un pli (du voile de Parrhasios qui avait
trompé Zeuxis lors d’un concours de peinture* aux rideaux
peints par Raphaël dans la chapelle Sixtine en passant par le
voile de Sainte Véronique). Sur ce fond rappelant le goût
de Matisse pour les tissus et la profusion décorative depuis sa
formation à l’école Quentin de La Tour du Cateau-Cambrésis
destinée aux dessinateurs en textile, Lemesle et Roubaud
accrochent une aquarelle représentant un voile tenu par
deux oiseaux. Peinte dans un style naturaliste, elle fait
référence au dispositif plastique du tableau dans le tableau,
récurrent dans l’œuvre de Matisse. Sur un guéridon, une
céramique accueille des ouvrages au crochet qui s’inspirent de
formes aquatiques matissiennes. Placés sous verre, ils sont un
monde dans un monde qui rappelle les intérieurs imbriqués de
Matisse. Enfin, un des pans du papier peint roule sur le sol et
s’invite dans l’espace d’exposition comme pour rendre
hommage aux leçons matissiennes présentes dans les
recherches de Supports-Surfaces. C’est une belle interrogation
du Pattern Painting que nous proposent ici Lemesle et
Roubaud.
* Parrhasios avait trompé Zeuxis lors d’un concours de peinture : Zeuxis avait peint des grappes
de raisin tellement réalistes que les oiseaux tentaient de les picorer. Fier, il va pour ôter le drap
qui recouvrait la toile de son rival et se rend compte qu’il s’agit d’un trompe-l’œil. Si son oeuvre
avait trompé les animaux, celle de Parrhasios avait trompé l’œil humain, qui plus est celui
d’un peintre. Zeuxis reconnaît sa défaite.
Thierry LAGALLA
Cannes, 1966
Après l’affiche associant Les Poissons rouges de Matisse à La
Pisseuse de Picasso, Thierry Lagalla s’invite dans le dialogue
entre les deux ténors de l’art moderne dans une installation
réalisée spécialement pour l’exposition. Thierry Lagalla refait,
d’après une photographie observée dans le catalogue de
l’exposition « Matisse-Picasso » qui s’est tenue au Grand Palais
à Paris en 2003, la vue que Matisse avait depuis son lit au
Régina, à la fin de sa vie. Sur une fausse cheminée et un faux
carrelage, il place l’image imprimée du tableau Paysage d’hiver,
prêté par Picasso à Matisse (après que ce dernier ait mis en
doute son art du paysage). De l’irrévérence ironique à la
chanson d’amour, cette reconstitution mêlant décor en
carton-pâte, trompe l’œil et support imprimé contrefait le
pouvoir des images et leur volonté illusionniste. Elle nous invite,
dans une fausse intimité, à assister au spectacle de l’histoire
de l’art, histoire dans laquell e Lagalla adore entrer
en empruntant la fenêtre.
Voir aussi LES POISSONS ROUGES et
LES NATURES MORTES
Herman BRAUN-VEGA
Lima, 1933
Né au Pérou, Herman Braun-Vega est un artiste autodidacte.
Usant de la citation, ses tableaux empruntent des personnages
issus de la peinture de Vélasquez, Picasso, Ingres ou Matisse,
qu’il associe à des scènes de la vie quotidienne d’Amérique du
Sud. Cette peinture qui, finalement parle de peinture et de son
regardeur, fait fusionner différentes cultures et époques.
Le métissage et le syncrétisme qui sont à l’œuvre interrogent
aussi bien notre capacité à voir qu’à créer des images, comme
c’est le cas dans Lumière Tahitienne (Matisse) : Matisse y
observe une nature morte exotique, le pinceau à la main, avec
à ses côtés deux polynésiens posant leur regard sur la peinture
occidentale. La femme est dévêtue et joue avec un papier
découpé bleu, le j eune hom m e de dos rega rde l es deux
silhouettes bleues de l’arrière-plan. L’une d’elles est tirée
directement du Nu bleu II de Matisse, l’autre fait fusionner la
première avec une figure de Aha oe feii eh (Quoi ? Tu es jalouse ?)
de Paul Gauguin. À gauche, on reconnaît La Danseuse créole du
maître de la modernité. Deux espaces s’entrechoquent : celui,
réaliste, où prennent place les personnages et celui qui,
métaphoriquement, représente le monde de la peinture. Sur le
fond de scène, les fenêtres, les aplats de couleur vive et
les papiers découpés de Matisse abolissent toute perspective.
Ainsi, les deux polynésiens opèrent un lien entre l’espace du
spectateur et l’espace de la peinture, mais aussi entre les
différentes cultures et époques. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si Braun-Vega a choisi de faire dialoguer Matisse avec
Gauguin. Nourris par la lumière et l’exotisme tahitiens, ces deux
artistes ont séjourné en Polynésie et illustrent la richesse d’un
échange socioculturel, cher à l’artiste péruvien.
Paola RISOLI
Milan, 1969
À partir de matériaux de récupération, Paola Risoli crée des
mondes miniatures, bricolés et intimistes qu’elle exploite
également par le biais de la photographie et de la vidéo. Plus
récemment, l’artiste niche ses saynètes dans des barils
recyclés. Le spectateur est alors invité à se rapprocher des
fenêtres découpées dans le métal pour se plonger dans
ces univers secrets. Les contrastes entre l’intérieur et
l’extérieur, entre les matériaux bruts et la finesse des détails,
entre l’exigence physique de la mise en œuvre et la délicatesse
du résultat sont subtilement construits. Malgré leur caractère
rudimentaire, ces décors « autoéclairés » génèrent des
ambiances quasi cinématographiques. Conçue spécialement
pour l’exposition, l’installation In Matisse met en scène la vie et
l’oeuvre du maître moderne et nous projette dans les coulisses
de la création. Deux barils accueillent des morceaux choisis
scénarisés par l’artiste pour nous immerger « dans » Matisse.
On reconnaît des outils du peintre (papiers découpés, ciseaux,
fusain placé au bout d’une perche), des objets de son quotidien
(lunettes, volière), des fragments de ses œuvres recomposés
(Poissons rouges réalisés à partir d’un bocal de cuisine ; verre,
chaise, table et sculptures de L’Atelier rouge, Danse en fil de
fer, portrait imprimé et découpé de la femme d’Harmonie en
rouge) et une photographie du maître. La présence de la cuisine
conforte la fiction d’un décor reconstitué et vivant, avec
ses ombres et ses lumières, ses ouvertures et ses recoins. Un
dispositif composé de quatre p h o t o g r a p h i e s e t d ’ u n e
vidéosurveillance (par webcam) restituent des points de vue
non appréhendables par le spectateur. Dans ce montage
silencieux, images fixes et en mouvement complètent notre
perception. L’installation est conçue comme un intérieur
subjectif et un atelier de création. À l’image de L’Atelier rouge
de Matisse, il est composé d’une multitude de tableaux dans le
tableau, à la tonalité lumineuse envahissante.
Loïc LE PIVERT
Nice, 1972
« Jamais un coup de dés n'abolira mon bazar.
Si je vous disais que ma participation à cette exposition est sans
doute le fruit du hasard, n'allez pas croire pour autant que je la
considère illégitime...
De même que Matisse est arrivé à la peinture par hasard après
avoir rencontré un peintre du dimanche, mon travail est souvent
induit par les événements fortuits du quotidien.
Les dessins figurant dans l'exposition, bien que majoritairement
réalisés pour l'occasion, s’intègrent pleinement dans une série
qui est en cours depuis le 1er mai 2006. Je suis venu au dessin
en quelque sorte pour satisfaire les exigences d’une employée
de l’ANPE qui souhaitait avoir une trace de mon emploi du
temps. Nés de la précarité et du désœuvrement, ces dessins,
qui dès le départ ont eu pour lieu de diffusion le net*, se
présentent comme une sorte de journal intime faisant l’état
des lieux de mes actes manqués. D’ailleurs au départ, je les
avais appelés Aujourd’hui je n’ai rien fait, titre que j’ai fini par
remplacer par La Pratique de la procrastination. Il faut dire que
si ces dessins sont bien nés un jour chômé, ils ne tiennent pas
vraiment leurs promesses dans la mesure où ils nécessitent
une activité quotidienne qui passe par la prise de vue
d’événements inframinces et par leur retranscription poétique
en dessin, ce qui occupe le plus clair de mon temps.
Chaque dessin est accompagné d’une phrase qui peut prendre
parfois l’apparence d’un paragraphe entier que d’aucuns
jugeront fastidieux à lire ou alors franchement drôle. Cet
élément textuel est indissociable de l’image produite et
cherche surtout à accompagner le regardeur au fil de l’immersion
qu’il effectue dans le dessin. Un tel accompagnement ne va
pas sans prises de latitude ni approximations. Il est plausible
d’entrevoir dans cette série une sorte de story-board inachevé,
mais si ces dessins s’apparentent à une narration, il est clair
qu’à l'idée d'indiquer un quelconque sens de lecture, se
substitue régulièrement la tentation d'indiquer un chemin de
traverse.
De là mon travail pourrait se résumer à une recherche des
correspondances entre plusieurs couches d'interprétations
possibles de situations données qui peuvent aussi bien relever
de ma vie domestique, de mes rencontres que du regard que
je pose sur le monde. Un livre, un film ou un disque peuvent
ainsi déclencher toute une série d’associations d’idées qui avancent
par ricochets et s’enrichissent de multiples jeux sémantiques
au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de leurs origines.
J'assimile le quotidien comme étant autant un vaste jeu vidéo
à ciel ouvert parcouru souvent en vue subjective, qu'une
installation étrange ou bien une comédie humaine où il serait
néanmoins question de films de gladiateurs. »
Loïc Le Pivert, mai 2013
* lapratiquedelaprocrastination.com
Isabelle GIOVACCHINI
Nice, 1982
Isabelle Giovacchini travaille l’évanescence et l’épiphanie des
images par différentes techniques et notamment par la
photographie. Leurs détournements et manipulations, qui sont
de l’ordre de l’ « inframince », expérimentent l’instant incertain
entre l’appariation et la disparition des figures et des formes.
La question de la reproductibilité traverse l’ensemble de sa
dém arche protéi form e. Im prégnée pa r l ’hi s toi re de
l a photographie et les sciences inexactes, l’œuvre d’Isabelle
Giovacchini est volontairement fragmentaire et parcellaire.
Basée sur la latence (ce qui est caché mais peut à tout moment
se manifester), elle use d’images et d’objets qui convoquent
mémoire et souvenirs dans une esthétique minimale : verres
brisés, toiles blanches percées à la main par une épingle,
développements photographiques incomplets, radiographies,
négatifs de bulbes de tulipes germés, etc. Isabelle Giovacchini
met au point un procédé photographique l a c una i re nomm é
« Mehr Licht » (« Plus de lumière ») qui participe d’un
dysfonctionnement des modalités d’exposition et
d e développement, comme si le réel n’avait de cesse
d’échapper à la technique. Au contact prolongé de la lumière, le
papier photo se colore en une teinte rosée presque fanée où
l’image reste dans l’attente d’une révélation qui n’adviendra
pas. Après avoir expérimenté cette technique sur des notes
chorégraphiques de Raoul-Auger Feuillet, un monochrome de
Klein ou l’abat-jour de Man Ray, Isabelle Giovacchni a souhaité
pour cette exposition, s’accaparer d’un vitrail de la chapelle du
Rosaire de Vence. L’artiste tire parti des propriétés du vitrail
(l umière, c ouleurs , déc oupes en pl om b) pour créer
un polyptique fragmenté en six photogrammes non révélés qui
restituent de manière spectrale le vitrail, véritable « boîte
à lumière » expérimentale prolongeant ses réflexions sur la
matérialisation et la dématérialisation.
LES NATURES MORTES
Le genre pictural de la nature morte est
intrinsèquement lié à la recherche de la
ressemblance. Chez Matisse, au
contraire, il est un prétexte à peindre des
objets récurrents de manière
changeante. C’est pourquoi le peintre se
plaît à s’entourer d’items qui lui sont
chers et à construire l’image d’une mise
en scène sans cesse renouvelée. Ces
objets fétiches e t d e provenances
diverses cohabitent dans un univers
intimiste. Le maître donne une identité à
ces sujets inanimés comme au fauteuil
rocaille vénitien qu’il chine en 1942 et
portraiture à plusieurs reprises. Les
œuvres choisies pour l’exposition
insistent sur le renouvellement du genre
opéré par Matisse d’un point de vue
décoratif et de manière fort différente
d’un Picasso à la même époque.
Malcolm MORLEY
Londres, 1931
L’œuvre de Malcolm Morley se reconnaît tant par ses sujets
(bateau, mer, voyage, sport, guerre) que par leur traitement
plastique caractérisé par une mise au carreau. L’artiste reproduit
fidèlement des images existantes (cartes postales, dépliants
publicitaires, photographies) par la technique traditionnelle de
la peinture à l’huile. Le report sur quadrillage lui permet
d’annihiler le geste de la main. Proche de l’Hyperréalisme, son
oeuvre aborde la question de la représ enta ti on du réel et sa
reproductibilité mécanique en deux dimensions. La planéité de
la peinture est soulignée par la présence d’un liseré blanc.
Parfois, l’image représentée a subi des détériorations
(froissements, déchirures) comme dans Disaster. Cette œuvre
comporte toutefois un caractère autobiographique très marqué.
À la fin des années 1970, l’artiste use de ses propres aquarelles
qu’il juxtapose et agrandit dans un style moins léché, qui
annonce la Bad Painting (courant pictural influencé par les arts
de la rue). La peinture présentée dans l’exposition s’inspire
librement du Fauteuil rocaille de Matisse. Éloignée de l’original,
elle reprend un cadrage étroit d’un dos de chaise de style
Rocaille. La touche est souple et large alors que les incisions
accentuent le caractère ornemental de la peinture et du motif
Régence.
Pierre Buraglio
Charenton-le-Pont, 1939
Pierre Buraglio fit partie du « moment » Supports-Surfaces
(pour reprendre une expression chère à Bernard Ceysson).
Entretenant une relation profonde et fondatrice avec l’œuvre de
Matisse, Buraglio s’intéresse dès 1978 à la Porte-Fenêtre
à Collioure et en réalise un dessin sur calque en 1979 (Dessin
d’après…Matisse – Porte-fenêtre à Collioure 1914, 120 x 98
cm, reproduit in cat. Chambéry, 1984). « À ce propos, dit-il, tous
les Dessins d’après… se veulent l’application de la leçon
matissienne ». Cet exercice est donc pour lui un moyen de
« sortir de l’individualité de l’artiste » (dixit Matisse) avec une
pointe de nostalgie vis-à-vis de la peinture classique. En 1980,
il reprend Le Fauteuil rocaille de Matisse qu’il a pu contempler
au musée Matisse de Nice quelques années auparavant et il
note : « Fauteuil Rocaille-Matisse 1943. Vu à Cimiez. 92 x 73
cm. La grandeur du geste envahissant la page confirme la force
des petits formats. Relecture du plein et du vide. Couleur
bloquée en angles qui enserre les lacis intérieurs qui veulent
rompre les cordes. Un marron ; un jaune ; un vert. » Décliné en
cinq variations, Pierre Buraglio reprend le cadrage très serré
retenu par Matisse qui lui donne ce caractère anthropomorphe.
L’artiste déploie dans cette série différentes techniques : craie,
fusain, peinture, crayon de couleur, découpe et collage. Cette
expérimentation des matières et des surfaces répond à l’objet
portraituré mais aussi à l’amour de Matisse pour ses objets.
Tout est ramené au même plan. Les arabesques des accoudoirs
et des pieds du fauteuil enserrées créent une intimité
particulière faite de silence et de vide. Il retient de Matisse
(souvent via Hantaï) la distance qu’il entretient avec ses
tableaux, le silence qui s’en dégage, la couleur délivrée, le bleu,
la mise à plat, la découpe, etc.
* Pierre Buraglio in Pierre Buraglio - Paris :
MNAM, Centre Pompidou, 1981.
Sarah MOON
Paris, 1941
Née au sein d’une famille juive sous l’Occupation, ce n’est
qu’en 1970 que Sarah Moon s’intéresse à la photographie après
des études de dessin en Angleterre et une carrière dans le
mannequinat. Aujourd’hui principale représentante de la
photographie de mode dite « impressionniste », elle a continué
à travailler dans ce domaine pendant quinze ans (particulièrement
pour Cacharel) avant de se consacrer à une photographie plus
personnelle et artistique. Sarah Moon développe une œuvre
basée sur la notion du souvenir, du souvenir d’enfance
notamment, puisque la sienne fut marquée par l’exil. C’est
probablement cette tentative impossible de transmettre une
intimité, un vécu qui fait la force poétique de son art. Sarah
Moon sait combien les images sont trompeuses, c’est
pourquoi elle restitue dans ses photographies altérées et
parfois nébuleuses, le caractère évanescent et fragmentaire de
la mémoire. Elle établit des correspondances et des associations,
allie le réel à l’absent. Ses œuvres qui refusent la monumentalité
ou la littéralité, préfèrent la discrétion, la confidentialité et les
moments latents. Devant ses clichés, on est souvent frappé
par un sentiment d’inquiétante étrangeté qui peut jaillir du
quotidien comme c’est le cas devant Les Citrons. L’image
rappelle un souvenir qui peu à peu se dissipe alors qu’on
souhaite le garder en mémoire. D’un souvenir d’enfance, elle
en appelle un autre, L’Intérieur rouge, nature morte sur table
bleue de Matisse. L’image est vibrante. Tout semble faire partie
d’une même chair du monde pour reprendre les mots du
philosophe Merlau-Ponty. La nature morte est actualisée. Le
fond rouge, sur lequel se détache un motif en zigzag, est
prégnant alors qu’il ne reste de la fenêtre de Matisse qu’un
reflet étrange. Sarah Moon ne cite pas l’œuvre du maître, elle
restitue le souvenir vivace d’un tableau, imbriqué à une histoire
plus personnelle. L’œuvre de Matisse est désormais sienne.
Marco del RE
Rome, 1950
L’œuvre de Marco del Re est marquée tant par la tradition
classique que par la peinture moderne, la mythologie et
la littérature. Le nu, la nature morte et les intérieurs sont des
thématiques qu’il partage avec Matisse. Dans Palette d’objets,
l’artiste s’est inspiré d’une photographie trouvée dans le livre de
Louis Aragon*. Cette photographie réalisée par Hélène Adant,
à la villa Le Rêve à Vence en 1946, sur la demande d’Aragon,
représente une mise en scène d’objets par Matisse pour l’une
de ses compositions picturales. Alité, Matisse recrée des
univers à peindre à partir d’objets et de tissus qui lui sont chers.
Marie-France Boyer explique très bien cette atmosphère
particulière : « Depuis sa grave opération de 1941, il a très peu
peint. Il doit souvent rester couché. C’est pourquoi il tente de
récréer autour de lui une sorte de paradis artificiel. Parmi les
objets, il y a une sorte de hiérarchie établie par le temps. […]
Mais les tables octogonales mauresques, le pot en faïence bleu
et blanc un peu ébréché «Tabac Royal», les ribambelles de
compotiers blancs, de vases chinois bleus et blancs dodus, les
aiguières orientales à long bec et les verres à vin du Rhin
se retrouvent tout au long de son travail. C’est toute l’intensité
de sensation et de souvenirs concentrés dans ces petits
ustensiles, année après année qu’il cherche chaque fois, et
dans chaque toile, et à capter et à transmettre. »** Louis
Aragon pense que les objets sont à Matisse ce que les mots
sont au poète et qu’il en dresse chaque fois un nouveau
portrait. Marco del Re poursuit ce parti-pris et réalise plusieurs
versions d’intérieurs où le goût des objets, des tissus, des
palmes et du décoratif, refait surface jusqu’à saturation de la
toile. La dominante rouge du tableau rappelle bien évidemment
les intérieurs rouges de Matisse mais aussi certaines natures
mortes dont Vaisselle et fruits sur un tapis rouge de 1906.
* Louis Aragon, Henri Matisse, roman - Paris : Gallimard, 1998.
** Matisse à la villa Le Rêve - Lausanne : La Bibliothèque des Arts, 2004, p. 36-41.
Thierry LAGALLA
Cannes, 1966
Comme on a pu le voir avec l’affiche Totjorn rotge (Always Red),
2011 associant Les Poissons rouges de Matisse à La Pisseuse
de Picasso, Thierry Lagalla émulssionne culture populaire
et artistique. La peinture Acanthes (Les), réalisée pour
l’exposition, fonctionne comme un décor reconstitué d’une
histoire qui n’a pas eu lieu. La scène prend place devant
le Paysage marocain (Acanthus) peint par Matisse en 1911 et
s’amuse de la relation qui unit le maître à la musique.
Pour parfaire son contre-chant, l’artiste convoque « The
Genius » (l’ingèni), Ray Charles. Le lien entre Matisse et Ray
Charles, les acanthes : « A-canthes Stop Loving You ». Thierry
Lagalla s’approprie tous les détails de la pochette du disque et
rej oue en pei nture l es effets des pa pi ers déc oupés,
représentant l’histoire complète de Matisse avec
l e s p a l mettes des peintures fauves des années 1910
jusqu’aux papiers découpés des années 1940. Au centre du
décor, Thierry Lagalla, en indigène de la peinture, remplace « le
Ray » (Charles). L’autoportrait est solennel. Il renvoie à la
peinture d’histoire. Le bricolage et la parodie génèrent
cependant une esthétique à mi-chemin entre la carte postale et
le roman-photo où sont représentés de nombreux autres
genres (paysage, autoportrait, affiche publicitaire) et
styles (réalisme, fauvisme, collage). De l’irrévérence ironique à
la chanson d’amour, Lagalla se joue des codes pour faire sens
et creuse le champ des significations.
Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LES INTÉRIEURS
Gérald THUPINIER
Moulins, 1950
Amateur de philosophie et de littérature, ce peintre singulier ne
cesse d’expérimenter et de repousser par un travail sur la
matière les limites entre abstraction et figuration, apparition et
disparition. Les références à l’histoire de l’art n’émanent pas
d’un simple plaisir citationnel mais d’une réelle filiation où Giotto
et Matisse sont des points d’ancrage. « Matisse gribouille »
prend ses sources dans une série de 158 dessins réalisés par
Matisse à la plume, au crayon et au fusain. Publiée en 1953
sous le titre « Thèmes et variations », celle-ci est classifiée sous
17 thématiques par ordre alphabétique (de A à P) comprenant
chacune entre 3 et 19 variations. Préfacé par Aragon, l’ouvrage
recueille un travail graphique initié en 1941 suite à une
importante opération affaiblissant l’artiste. Gérald Thupinier
revient sur la série H. Travaillant l’évanescence des motifs de
l’herbier, il utilise la technique du collage, combine encre de
Chine, noir de fumée et huile sur papier. Dans ces dessins
faussement monochromes, coulures, empâtements et
empreintes révèlent l’implication subtile de la main et du corps
de l’artiste. Le titre choisi par Thupinier insiste et ironise tant
sur le caractère fragile et instantané des dessins que sur
l’aspect « mal peint » de l’œuvre de Matisse mis en avant par
les détracteurs de la modernité. La maladresse de la gribouille
rend hommage à l’expérimentation matissienne et à son travail
en série et variation.
Guillaume PINARD
Nantes 1971
Par le biais d’une pratique protéiforme, Guillaume Pinard
développe un travail autour du dessin. Œuvres sur papier,
fresques au fusain, peintures à l’huile, animations vidéo,
installations, structures et éditions constituent un champ
d’expression où prolifère une mythologie personnelle.
Références à l’histoire de l’art et à la culture populaire
s’entrecroisent pour créer des histoires pour adultes aux
allures de bandes dessinées ou de livres pour enfants. Pour
l’exposition, l’artiste reproduit à l’échelle de l’espace de
l’exposition le premier tableau signé du maître : Nature morte
aux livres de 1890, conservé au musée Matisse de Nice.
Le caractère intime et privé de la petite nature morte, somme
toute classique, se voit projeté à l’échelle de l’espace muséal.
Cet agrandissement démesuré modifie notre perception de
l’œuvre et en propose une nouvelle approche. La matérialité et
la pérennité de la peinture à l’huile disparaissent au profit
des effets vaporeux du fusain sur le mur. La monumentalité et
la sensibilité volatile du dessin immergent totalement le
spectateur. L’échelle de l’image contraste avec le caractère
précaire, éphémère et fragile de la technique utilisée. La
détérioration de cette peau souple et vulnérable se manifeste
durant le temps de l’exposition avec le passage et le souffle
des visiteurs. L’intérêt de l’artiste pour la perdition et la
dématérialisation de l’image se retrouve dans son mode de
récupération. Extraite d’Internet, celle-ci a déjà subi une perte
d’information importante. À ces altérations s’ajoute le filtre
chromatique. Les couleurs de l’œuvre référent laissent place à
des noirs profonds et des nuances de gris. La notion de la
reproductibilité des œuvres d’art est abordée par un travail in
situ, contextuel et physique. Conférant au dessin une
fonction d’étude et de relecture, et à la pratique de la copie,
un rôle de transmission et de diffusion, l’artiste nous renvoie à
la question du plagiat, de l’originalité et de l’essence même de
la démarche artistique.
Conception et réalisation : Gilbert Perlein et Rébecca François
Montage : Orane Robiolle
Documentation : Clémence Amoretti, Estefania Radnic, Orane Robiolle
Henri Matisse
1869
Henri Matisse naît le 31 décembre au Cateau-Cambrésis,
dans le Nord.
1887
Matisse commence des études de droit à Paris.
1891
Matisse abandonne le droit pour se consacrer à la
peinture.
1892
Gustave Moreau, peintre membre de l’Académie des
beaux-arts, admet Matisse dans son atelier.
1904
Matisse passe l’été à Saint-Tropez.
1905
En avril, Matisse expose Luxe, calme et volupté au Salon
des indépendants ; au Salon d’automne, sa Femme au
chapeau est remarquée et fait de lui le chef de file des
Fauves.
1910
Matisse expose La Danse et La Musique au Salon d’automne, qui lui ont été commandées par le collectionneur
russe Stschoukine.
1912
Matisse découvre la lumière du Maroc.
1913
Matisse expose à l’Armory Show de New York puis de
Chicago.
1917
En décembre, Matisse s’installe à Nice, à l’hôtel
Beau-Rivage.
1921
Désormais Matisse vit près de la moitié de l’année à Nice.
1930
À la recherche d’une « autre lumière » et d’un «
autre espace», Matisse entreprend un voyage à Tahiti.
1931
Matisse commence La Danse pour Alfred Barnes, rue
Désirée Niel à Nice.
1934
Lydia Delectorskaya devient son modèle puis son assistante.
1941
Souffrant d’un cancer, Matisse est hospitalisé à Lyon ;
avant d’être opéré, il déclare à ses médecins : « Donnezmoi les trois ou quatre ans dont j’ai besoin pour conclure
mon œuvre. » Le destin lui accordera un sursis de treize
ans.
1945
Matisse travaille à la rétrospective que lui consacre le
Salon d’automne.
1946
Hélène Adant inaugure un reportage photographique sur
Matisse, qu’elle poursuit jusqu’à la mort de l’artiste ;
première exposition de Matisse à Nice.
1948
Rétrospective Matisse à Philadelphie ; Matisse se lance
dans la création de la chapelle du Rosaire pour
l es Dominicaines de Vence, qui sera inaugurée en 1951.
1952
Après avoir achevé La Tristesse du roi, Matisse réalise la
série des Nus bleus puis travaille à des compositions
monumentales en papiers découpés dont La Piscine.
1954
Matisse meurt à Nice le 3 novembre ; il est inhumé
au cimetière de Cimiez.

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