Mise en page 1 - Le Musée d`Art Moderne et d`Art Contemporain
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Mise en page 1 - Le Musée d`Art Moderne et d`Art Contemporain
L’ATELIER L’ a t e l i e r e s t u n m o t i f l a r g e m e n t développé par les artistes tant il permet une mise en scène de la pratique et du contexte de travail. Intime et personnel, il est un lieu de confrontation avec soi et avec les antécédents de l’histoire de l’art. Mais il peut aussi être un espace de rencontre, d’échange et de partage, ouvert sur le monde. Sa représentation a été mise à profit par Matisse qui privilégie les thématiques « du peintre et du mod è l e » ou « du tableau da ns l e tableau ». Les artistes vont réinterpréter cette approche, soit en actualisant une œuvre emblématique du maître à l’image de L’Atelier rouge, soit en partant de documents photographiques de l’atelier même de Matisse, mêlant le réel au monde de la peinture. Larry RIVERS New York, 1925 - Southhampton, 2002 Précurseur du Pop Art, Larry Rivers introduit à la même époque que Robert Rauschenberg ou que Jasper Johns des objets réels dans sa peinture dans un style à mi-chemin entre l’expressionnisme et le réalisme. Ses œuvres se caractérisent par l’emploi de toiles peintes marouflées sur carton plume, repoussant les frontières entre peinture et bas-relief. Larry Rivers se différencie cependant des artistes Pop par la diversité plastique de son œuvre et par un discours intimement personnel et subjectif. Grand admirateur de la peinture française et de Gustave Courbet notamment, il n’aura de cesse de réinterpréter les œuvres emblématiques de l’histoire de l’art. Grand maître de la reprise, de la citation et du détournement, ce n’est que tardivement, dans les années 1990, que Larry Rivers rendra hommage à Matisse. On rencontre alors de nombreuses scènes qui combinent les tableaux du maître à de splendides scènes d’atelier. Cependant, les œuvres en référence directe à Matisse se distinguent par exemple de la parodie de l’Olympia de Manet ou du Syndic de la guilde des drapiers de Rembrandt que l’artiste recontextualise dans un but critique, social et politique. Dans Matisse in Nice (At Work), Larry Rivers représente le tableau La Jeune fille à la gandoura verte de 1921 avec au premier plan un portrait du maître devant son chevalet réalisé d’après une photographie de Marguerite Matisse la même année à Nice. Rivers met ainsi en perspective l’œuvre et son contexte de création. Christophe CUZIN Saint-Siméon-de-Bressieux, 1956 Christophe Cuzin s’intéresse aux rapports entre la peinture et l’architecture. À partir de 1986, l’atelier de l’artiste devient le plus souvent l’espace investi qu’il réinterprète à la manière d’un peintre en bâtiment selon une méthode de travail rigoureuse produisant des œuvres toujours différentes. La peinture de Cuzin se détache de son caractère purement frontal et autonome pour s’emparer des plafonds, des sols et des es pa c es résiduels. Le volume, la lumière et les qualités architecturales sont intégrés à la proposition plastique, apportant un nouveau regard sur l’espace d’exposition et l’idéologie du White Cube. À partir des reproductions disponibles dans sa bibliothèque, Christophe Cuzin reprend, sur ordinateur et avec sa propre palette de couleurs, les œuvres qui l’ont influencé durant ses études, créant une histoire de l’art personnelle. Ce portfolio intitulé Mes référents est composé de 70 sérigraphies ‘’presque’’ monochromes où l’image de référence est dessinée au trait. Ainsi, elles en appellent à notre mémoire visuelle et nécessitent un effort d’identification. La question de la reproductibilité des œuvres d’art y est centrale. Dans cet inventaire ludique, il n’est pas étonnant de retrouver L'Atelier rouge tant la pratique in situ de Christophe Cuzin renoue avec la tradition décorative de la peinture associée à une démarche conceptuelle et analytique. Le tableau qui intériorise toute la peinture du maître, trouve un écho dans la dissolution de la frontière entre la peinture et l’architecture menée par Cuzin, comme si toutes ses œuvres étaient de grands ateliers où la couleur délivrée peut être perçue comme un hymne à Henri Matisse. Claude RUTAULT Trois-Moutiers, 1941 Engagé dans une interrogation sur les mécanismes et les conditions d’apparition de la peinture, Claude Rutault propose une variation de L’Atelier rouge peint par Matisse en 1911. L’artiste dresse le relevé des toiles présentes dans le tableau (dimensions, emplacement, nature) et les réinjecte dans l’espace d’exposition. L’installation amplifie le caractère spatial et temporel de la peinture dans le sens où elle est une actualisation conçue en fonction du lieu, qui peut évoluer selon le système de « Définition/Méthode » qu’il a mis en place dans les années 1970. L’œuvre conçue en 1986 trouve une nouvelle formulation dans l’exposition. La dimension ornementale de la peinture de Matisse s’affirme ici pleinement tout en conservant un rapport avec la planéité du médium. Ci-dessous une note de l’artiste rédigée pour l’occasion: « dé-finition/méthode « bonsoir monsieur matisse » 1986-2013 dans l’image agrandie de « l’atelier rouge », version noir et blanc. l’œuvre se compose de deux murs. c’est une peinture d’angle, reprenant en cela le tableau de matisse. les deux murs sont peints, leur emprise au sol est matérialisée par un plancher en bois peint de la même couleur que les murs. nous sommes dans l’atelier. sur chaque mur sont fixés des papiers, toujours en accord avec l’œuvre de référence. ces papiers suivent la règle énoncée par la dé-finition/méthode papiers : lorsque le support est blanc le papier est de n’importe quelle couleur sauf blanc et blanc si le support ne l’est pas. l’œuvre évolue au fur et à mesure des actualisations, s’éloignant progressivement de son point de départ jusqu’à sans doute, un jour, l’oublier. cette première actualisation est réalisée en noir et blanc parce que ce tableau est pour moi une image lointaine, presqu’une carte postale ancienne. d’autre part je ne suis pas certain que matisse ait peint une seule fois un tableau en noir et blanc. la dé-finition/méthode, par son existence même et par ce qu’elle met en œuvre, matérialise l’écart de deux conceptions de la peinture, réalise une extension, fait un pari. pour cette œuvre, tous les formats et toutes les couleurs sont possibles, jaune, vert, bleu, blanc… et, pourquoi pas rouge ? » cr. avril 2013. Valerio ADAMI Bologne, 1935 Valerio Adami est un peintre italien affilié dans les années 1960 à la Nouvelle Figuration. Dans un style figuratif acéré, les formes traitées en aplats de couleur vive, cernées d’un épais trait noir, s’imbriquent les unes aux autres annihilant toute perspective et évoquant l’art du vitrail. Les sujets s’inspirent de la société de consommation et s’agrègent à partir d’images préexistantes participant d’un fonds culturel partagé. Ses peintures parlent de littérature, de voyage, d’histoire, de musique et de poésie mêlant une iconographie classique et contemporaine. Le tableau représentant Matisse à l’atelier devant son modèle s’inscrit dans cette filiation. Il a été réalisé à partir d’une photographie de Brassaï prise en 1939 dans l’atelier du peintre, rue des Plantes à Paris. Adami assimile la scène avec son vocabulaire plastique en prenant bien soin de conserver les éléments spatiaux : la porte et la chaise au premier plan à droite, le tapis, le châssis et la fenêtre au fond. La tonalité rouge-rosé qui caractérise sa peinture domine. Matisse, assis, se perd dans son carnet à dessin. La pose du modèle nu évoque la sculpture antique tout en revêtant un caractère non classique par son aspect déstructuré. À l’instar d’une bande dessinée, l’œuvre parodie l’amour du peintre pour les modèles par une métaphore à caractère sexuel et humoristique. LA FENÊTRE La fenêtre joue un rôle primordial dans l’iconographie occidentale. D’abord indissociable des recherches sur la perspective menées à la Renaissance, cette ouverture sur le monde brouille les frontières entre intérieur et extérieur, jusqu’à devenir un sujet de premier plan aussi bien figuratif qu’abstrait. Matisse se l’approprie de manière personnelle et variée : veduta sur le paysage azuréen ou les abords de la Seine, lieu de fusion entre l’intérieur et l’extérieur, écran à contre-jour. L’apport des réflexions matissiennes sur la thématique de la fenêtre est prolifique. À cette liste succincte qui ne s’attache qu’aux citations directes, il faut mentionner le travail d’artistes comme Mark Rothko, Barnett Newman ou encore Pierre Buraglio. Gilles MAHÉ Guingamp, 1943 - Saint-Briac-sur-Mer, 1999 Gilles Mahé est un artiste tourné vers la question de la reproductibilité technique des images. Face à une société axée sur de nouvelles technologies de plus en pl us v i rtuel l es et innovantes, l’artiste répond avec des visuels existants et de simples photocopies, plongeant le spectateur dans une zone d’incertitudes qui le pousse à s’interroger sur ce qu’il voit. Avec désinvolture, il transforme, réinterprète l’image imprimée pour la faire sienne, lui donner une seconde vie et en faire un vecteur d’échange peut-être aussi parce qu’il est issu du domaine de la publicité, de l’édition et de la communication. Dans cette logique, il reprend plusieurs reproductions photocopiées de Matisse à la gouache. L’œuvre du peintre moderne facilement identifiable devient dès lors un prétexte pour interroger les concepts d’originalité, d’autonomie, de signature et de copie. Intérieur au violon de 1917-1918 et Intérieur rouge, nature morte sur table bleue de 1947 sont ainsi réinvestis par Gilles Mahé qui fait ressortir le motif de la fenêtre. Ces « coloriages » fluides et ludiques ramènent la planéité de l’image imprimée à celle de nos écrans d’ordinateur comme autant d’ouvertures sur le monde. Voir aussi LE PORTRAIT Sophie MATISSE Boston, 1965 Arrière-petite-fille d’Henri Matisse, petite-fille par alliance de Marcel Duchamp et épouse d’Alain Jacquet, Sophie Matisse a toujours baigné dans le milieu artistique. Son travail est lié à un héritage familial qui couvre les courants artistiques les plus importants du XXe siècle. C’est sans doute pourquoi elle s’approprie de manière ludique et décomplexée les classiques de l’histoire de l’art en prenant soin d’effacer les personnages des tableaux. L’artiste nous invite à revenir sur les motivations premières de la peinture occidentale : identifier, commémorer et glorifier. Par la disparition des acteurs des tableaux, cette intention première disparaît et il nous faut solliciter notre mémoire visuelle pour reconstituer et reconnaître l’image. Quand elle s’attache aux peintures de son arrière-grand-père, comme dans La Conversation (dans laquelle Matisse et sa femme sont représentés) et La Leçon de piano (où apparaît son grand-père Pierre Matisse), cet effacement est d’autant plus touchant. Les figures familières disparaissent comme happées par la fenêtre de l’arrière-plan. Par leur absence, Sophie Matisse renvoie conversation et musique au silence de la peinture. Claude VIALLAT Nîmes, 1936 Initiateur de Supports-Surfaces, Claude Viallat regarde, dès le début de sa carrière, l’œuvre de Matisse. Une fois son système mis en place (la répétition d’une forme apposée à intervalles réguliers jusqu’à recouvrir la totalité de la toile libre), l’ombre de Matisse demeure latente : dans la profusion des couleurs, des entrelacs et des tissus, dans leur intérêt commun pour les cultures primitives et folkloriques, dans la déclinaison d’un thème jusqu’à son épuisement, ainsi que dans la forme même qu’il répète puisqu’elle pourrait provenir des arabesques du Fauteuil rocaille. Ces proximités s’affirment explicitement par le motif de la fenêtre comme dans Fenêtre à Tahiti (hommage à Matisse) de 1976 ou Porte-fenêtre à Collioure réalisée en 1991 et présentée dans l’exposition. Celle-ci n’offre pas de vue sur l’extérieur ; le contre-jour crée une vue bouchée, une surface à peindre utilisée pour elle-même. L’oeuvre peinte à Collioure à l'automne 1914 par Matisse est d’une extrême sobriété. Proche de l’abstraction, elle recèle certains détails la raccrochant au monde réel : un volet, un mur, etc. La composition et les référents directs de la fenêtre se retrouvent dans la toile libre de Claude Viallat qui s’inscrit dans l’espace et propose elle aussi non pas une ouverture sur le monde mais une réflexion sur la surface de la peinture et ses rapports entre le fond et la forme. Ici, elle s’empare de l’espace. Parallèlement, un petit dessin reprend La Leçon de piano dont la scène prend place devant une fenêtre. Cette annotation figurative, surprenante dans la pratique de Viallat, permet d’appréhender à quel point l’artiste a regardé l’œuvre de Matisse. Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS Vincent BIOULÈS Montpellier, 1938 Très tôt associ é à Supports/Surfaces, Vincent Bioulès développe une œuvre figurative qui renvoie sans conteste à Henri Matisse. La présence de la fenêtre, comme métaphore du tableau, sujet omniprésent dans l’histoire de l’art, évoque l’œuvre du maître. Elle fonctionne comme autant d’allersretours entre figuration et abstraction, intérieur et extérieur, cadrage et champs chromatiques. Dans Jazz de 1984, le dispositif du tableau dans le tableau est souligné par la signature de l’artiste sur le rebord de la fenêtre, devenant le cadre d’une œuvre. Sur le mur de droite, est représenté un papier découpé de Matisse publié dans l’album Jazz en 1947 (The Circus). La citation est explicite et les mises en abyme ne cessent de renvoyer à l’œuvre du moderne. Dans cet intérieur, la confusion spatiale, l’aplatissement des surfaces ainsi que ce mélange d’étrangeté et de joie de vivre qui se dégage de certains tableaux de Matisse, apparaissent comme autant de leçons de peinture. Avec son propre vocabulaire plastique, « Bioulès assume ainsi le double héritage de l’œuvre de Matisse : le français et l’américain ; celui qui fait cohabiter un sujet figuratif dans un espace abstrait. »* * Nathalie Bertrand, « Les intérieurs ‘’matissiens’’ » in Vincent Bioulès, Parcours, 1965-1995 : Le paysage à Marseille dans les années 1990 - Toulon : Musée de Toulon / Athanor, 1995, p. 90. Voir aussi LES INTÉRIEURS LES POISSONS ROUGES Henri Matisse a décliné la thématique du bocal à poisson jusqu’à en faire un sujet auquel on l’identifie. Cet intérêt trouve son origine dans l’observation des estampes japonaises. Le peintre de la modernité fait de ce motif ordinaire un portrait à part entière, un objet de contemplation esthétique qui reconfigure totalement l’espace. L’univers liquide et fluctuant du bocal envahit les compositions de Matisse. Les objets semblent flotter et s’imbriquer les uns dans les autres jusqu’à devenir un tout inextricable, illustrant la porosité entre les choses et le monde. La transparence du verre permet de traiter les rapports entre intérieur et extérieur à la manière d’une lentille optique. La proximité d’une fenêtre ouverte amplifie cette vision synthétique de la peinture. Le bocal est un monde dans un monde. Parfois, les poissons deviennent de simples tâches de peinture rouge illustrant ses expérimentations sur la couleur. Sa variation et les questions qu’ils engendrent sont largement réinvesties par les artistes de manière très variée. Jean-Michel BASQUIAT New York, 1960 – New York, 1988 D’origine portoricaine et haïtienne, Jean-Michel Basquiat est un artiste autodidacte. Ses premiers graffitis, signés SAMO (Same Old Shit) et accompagnés d’une couronne copyrightée, envahissent le quartier d’East Village à New York dès le milieu des années 1970. Artiste underground, représentant notable du Melting Pot américain, Basquiat devient très tôt une figure incontournable de la scène artistique de l’époque. Grâce à Bruno Bischofberger, il collabore avec Francesco Clemente et Andy Warhol. Dans un style expressif, il crée sa propre mythologie et celle de toute une génération d’artistes. Sa peinture mêle éléments biographiques, arts de rue, médias, vaudou et culture afro. L’écriture y occupe une place centrale. Les références à l’histoire de l’art y sont très présentes, et parfois teintées de provocation. En 1983, Basquiat reprend La Joconde pour dénoncer la valeur spéculative de l’art, la défigure et la réduit au rang de billet de banque. C’est cette même année qu’il réalise ce petit dessin en hommage à Matisse. Sur la feuille de papier, il place au crayon de couleur quelques figures phares du répertoire matissien : un bocal à poisson qu’il double comme une variation chère au peintre moderne, la cathédrale Notre-Dame-de-Paris peinte par le maître depuis son atelier, quai Saint-Michel, ainsi qu’une tête de femme sculptée aux traits archaïques. D es s ous , i l i ns c ri t pa r troi s fois « MATISSE » comme une invocation des plus vibrantes. Le dessin, marqué par quelques taches de couleur, est épuré, il véhicule une grande pureté du geste et de la composition propre au peintre qu’est Basquiat dans une posture proche des papiers découpés. L’univers aquatique des poissons rouges de Matisse envahit l’ensemble du dessin. John BALDESSARI National City, 1931 John Baldessari a construit une œuvre pluridisciplinaire axée sur la mise en association d’images et de mots. Son goût pour le langage et la littérature traverse l’ensemble de sa démarche résolument postmoderne et conceptuelle. La photographie, outil de reproduction par excellence, demeure son matériau de référence, même si le tableau comme support et la peinture comme medium sont omniprésents. Baldessari joue sur la nature ambiguë des images. Il reporte sur toile d es impressions photographiques (souvent tirées de l’univers télévisuel) qu’il confronte à une inscription peinte à la main, créant des associations de sens inédites. Dans ce sillon, il réalise récemment de nombreuses œuvres en regard de celles d’Henri Matisse. L’une présente le bocal à poisson combiné aux Campbell’s Soup de Warhol tant par l e u r t r a i t e m e n t chromatique que par l’amalgame réalisé grâce à la légende associant Warhol à l’image représentée. Le bocal à poisson qui semble bien éloigné des Campbell’s Soup® les rejoint avec intensité. La valeur identitaire des œuvres et leur pouvoir d’absorption et de mutation sont au cœur du travail de Baldessari. Voir aussi LA DANSE et LE NU Ingo MAURER Île de Reichenau, 1932 Ingo Maurer est un designer spécialisé dans la création d’ensembles lumineux. Confectionnant aussi bien des lampes que l’éclairage de bâtiments ou d’espaces publics, il se passionne pour la lumière et les formes qui la catalysent ou la diffusent. Il appréhende l’ampoule comme « le lien parfait entre la technique et la poésie ». C’est une œuvre surprenante et tout à fait singulière dans la genèse de son travail qui est livrée dans ce véritable tableau vivant fait d’eau, de lumière et de poissons rouges. Au fond du bassin est disposé un miroir quand d’autres, de formes arrondies, flottent sur la surface de l’eau comme autant de nénuphars réfléchissant la lumière. L’éclairage projette sur le mur les ondulations et les mouvements des poissons et de l’eau tout comme le reflet des miroirs. Le dispositif évoque le théâtre d’ombres chinoises. L’écran fait basculer l’installation dans le domaine de l’art vidéo. Lors d’une exposition précédente, l’artiste fut d’ailleurs interpellé par un spectateur lui avouant : « C’est la meilleure vidéo que j’ai jamais vue ». Cette anecdote met en avant l’ambiguïté de cette pièce. La lumière répand le rouge orangé des poissons, mettant en avant leurs propriétés presque translucides tandis que la projection annule toute couleur pour ne rendre que des nuances de gris. On retrouve ici la thématique de la lentille optique et d’une vision synthétique telle que l’a développée Henri Matisse. Le bocal à poisson est bien une mise en abyme, un monde dans un monde. Roy LICHTENSTEIN New York, 1923 - New York, 1997 Comme tout représentant du Pop Art, Lichtenstein est fasciné par l’efficacité visuelle des images publicitaires. Pour autant, Matisse occupe une place privilégiée. Les thématiques développées (intérieurs et natures mortes), l’absence d’objets de prédilection ou de hiérarchie dans le choix des sujets traités, la magnificence des couleurs pures, la stylisation des formes et l’aplatissement des surfaces renvoient sans conteste à l’œuvre du maître. À partir de 1972, l’artiste américain décline le motif des poissons rouges dans la série des « Still Life with Goldfish ». Les croquis sélectionnés pour l’exposition insistent tout particulièrement sur cette reprise. À l’image des variations chères au peintre moderne, il modifie les cadrages et objets alentours : rideau, fenêtre, citron, balle de golf et huîtres, reprenant un autre motif matissien. Fasciné par les natures mortes et les scènes d’intérieur, Lichtenstein reprendra également de nombreuses œuvres matissiennes sur ces thématiques. La fenêtre est également souvent présente en arrière-plan. Dans Drawing for view from the window, par exemple, l’artiste américain cite explicitement la Fenêtre à Tahiti conservée au musée Matisse de Nice. Signes d’une manifestation sans retenue de l’oeuvre de Matisse dans la pratique de Lichtenstein, les croquis préparatoires présentés dans l’exposition donneront tous lieu à des peintures à l’huile imitant la repro duc ti on m é c a ni q ue de l a tra m e de la photogravure et de la bande dessinée, technique lisse et neutre qui a fait sa marque de fabrique. Au-delà des clins d’œil citationnels, Matisse demeure toujours présent dans les œuvres de l’Américain tant par le sujet que par leur traitement. Thierry LAGALLA Cannes, 1966 Depuis les années 1980, Thierry Lagalla émulsionne culture folklorique et artistique dans un style burlesque et engagé. Accordant une grande importance à la figure humaine, aux couleurs vives et pures, à l ’ex a c erba ti on j oy eus e des sentiments, mais aussi aux coutumes locales, Lagalla se revendique comme un artiste méridional. Dans cette propagande, il use de la langue niçoise (le nissart) et la mêle à l’anglais (mondialisation oblige). Il n’hésite pas non plus à se mettre en scène aussi bien dans ses peintures et ses vidéos que dans ses shows où les faits divers et la banalité du quotidien côtoient l’art et l’histoire, dans une volonté de désacralisation savante qui lui permet aussi d’être critique. Mêlant la figuration à l’esprit Fluxus, Thierry Lagalla fait un pied de nez aux conventions tant artistiques que sociales. Avec ses Tantiflas & Lume (Potatoes & Light) et ses charafis (objets usés, désuets), Lagalla ne serait-il pas le Candide de Voltaire ? Car les œuvres réalisées pour l’exposition nous convient à déguster une création faite de farce et d’érudition. Thierry Lagalla a répondu avec enthousiasme et conviction à l’invitation du MAMAC ; lui qui avait été marqué par l’exposition « Matisse-Picasso » présentée aux galeries nationales du Grand Palais à Paris en 2003 et avait entre autres réalisé un dessin sur les poissons rouges de Matisse confronté à La Pisseuse de Pablo Picasso. De ce dessin, il crée une affiche qu’il présente dans l’exposition et met en vente à la boutique du musée. De l’irrévérence ironique à la chanson d’amour, cette reprise ironise et recontextualise la danse des poissons rouges et la rivalité qui planait entre les deux ténors. Le caractère reproductible de l’affiche questionne le statut et la perception des chefs d’œuvre. L’affiche, multiple devenu l’original, us e de l a « poster-ité » matissienne. Elle contrefait le pouvoir des images et leur volonté illusionniste. Aujourd’hui, ne voit-on plus Matisse qu’au travers des reproductions de ses œuvres ? Quelle valeur accorde-t-on à leur duplication (rappelons-nous que l’urinoir de Duchamp est une édition d’une édition) ? Voir aussi LES INTÉRIEURS et LES NATURES MORTES LE NU On connaît l’amour de Matisse pour le modèle vivant. Ce plaisir à peindre s’exprime pleinement dans la représentation du nu qu’il associe presque toujours à la joie de vivre. Du sujet académique aux odalisques, Matisse réalise un hymne moderne à la nudité. Ce genre, développé depuis l’Antiquité comme la traduction d’un idéal esthétique avant de rencontrer le réalisme de L’Origine du monde en 1866, va au tournant du XXe siècle devenir le lieu d’une déconstruction plastique dont Matisse est l’un des représentants. Le nu lui permet d’approfondir ses recherches sur l’épuration des formes et des couleurs allant jusqu’à l’abstraction des papiers découpés dans la série des Nus bleus ou la déstructuration synthétique des Nus de Dos. Les artistes contemporains rendent hommage à la liberté et à la sérénité qui se dégagent des silhouettes matissiennes, tout comme à leur caractère novateur, mais ils n’hésitent pas à les détourner par des jeux de surfaces, des oblitérations ou des importations des figures dans des univers qui leur sont étrangers. Alain JACQUET Neuilly-sur-Seine, 1939 - New York, 2008 L’œuvre d’Alain Jacquet s’inscrit dans une dynamique inhérente au Pop Art, mais sur un socle d’expression qui demeure européen. Face à la multiplication exponentielle des images mais aussi à l’appauvrissement de leur contenu, Alain Jacquet réutilise, détourne, trame et reporte un fonds iconographique hétéroclite et paradoxal. Les évocations de l’histoire de l’art avec une prédilection pour la Renaissance italienne (Vinci, Botticelli) et les Modernes (Manet, Picasso, Matisse, Mondrian) se combinent à un substrat lié à la publicité et à l’imagerie américaine (bannière étoilée, fusées de la Nasa, personnages de Walt Disney®). Le traitement de l’image est emprunté à la culture de masse et aux modes de reproduction mécaniques ou industriels. La trame, le pixel ou les logos publicitaires réagissent avec l’image de référence dans un rapport entre le fond, la forme et la couleur. La série des « Camouflages » tisse ainsi un réseau d’images savantes et populaires qui sont tout à la fois voilées et révélées par un motif largement arbitraire détourné d’un code militaire. Camouflage H. Matisse Luxe, Calme et Volupté est issu de cette série. L’œuvre du maître est traitée par des aplats de couleur faisant ressortir des motifs abstraits sans nier l’image d’origine. ERRÓ (Gudmundur GUDMUNDSSON, dit) Olafsvik, 1932 Représentant de la Figuration narrative, Erró est un artiste migrateur qui depuis 1958 a choisi Paris comme port d’attache. Sa peinture, extrêmement référencée, démultiplie les images de la culture populaire et des mass media dans des compositions savamment serrées et construites. Cette densité et les sujets qui y sont associés mettent à jour les paradoxes qui sous-tendent notre société. Toujours avec humour, l’œuvre d’Erró comporte une dimension politique et sociale virulente. Les rapports entre l’homme et la machine, la surconsommation exponentielle construisent une esthétique du chaos qui fait dire à Jean-Clarence Lambert que cette peinture est « une sorte d’anti-légende du siècle ». Derrière ce caractère séditieux, Erró demeure un artiste postmoderne qui se rattache à l’histoire de l’art. Les références à Matisse y sont nombreuses et généreuses. En 1969, dans Matisse Motor, il reprend le Luxe I peint en 1907 par Matisse et y ajoute un moteur de part et d’autre des figures du maître alors qu’à l’arrière-plan un avion de chasse prend son envol. Le silence et la pureté de la peinture de Matisse se voient parasités par les moyens d’évasion modernes. John BALDESSARI National City, 1931 Dans une démarche pluridisciplinaire axée sur la mise en relation d’images et de mots, John Baldessari met en exergue la nature intrinsèquement équivoque des images. Dans ce sillon, l’artiste reporte sur toiles plusieurs impressions photographiques d’œuvres de Matisse qu’il confronte à des inscriptions peintes à la main, créant des associations de sens inédites. L’une d’entre elles ne conserve de La musique de 1910 que deux paires de jambes sur un aplat de couleur vert. Nous devons faire appel tant à notre mémoire qu’à notre imagination pour retrouver l’œuvre référent. Le texte placé sous l’image renvoie quant à lui au film de science-fiction d’Alex Proyas, Dark City de 1998, basé sur l’identité et la mémoire. Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LA DANSE Laurence AËGERTER Marseille, 1972 Abordant aussi bien la vidéo, la performance, l’édition que la photographie, Laurence Aëgerter s’approprie des systèmes qui classifient et régissent notre société : encyclopédies, annuaires, journaux, etc. Modifiant leur fonction ou leur structure, l’artiste les dévie de leurs objectifs et propose une nouvelle manière de les appréhender. Dans cette optique, Aëgerter a entrepris une série de portraits photographiques de spectateurs vus de dos contemplant les chefs d’œuvre de l’histoire de l’art. Des collections du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, elle retient plusieurs Matisse et rejoue les solutions plastiques adoptées par le maître de la modernité : aplats de couleur pure, modulation des surfaces, suppression de la perspective... Dans la GE 9154-100906-175148 (Matisse, jeu de boules), la spectatrice à la manière d’un caméléon se fond littéralement dans le décor. Les attitudes et coiffures soignées se répondent. La jeune femme semble réellement converser avec l’œuvre peinte. Tous les regards se portent sur le jeu, masqué par la silhouette de la jeune femme de manière à faire fusionner l’espace de la peinture et le temps de la création avec celui de sa réception dans un musée. Une nouvelle image apparaît. L’œuvre en figure une nouvelle. La mise en abyme est complète ; le voyeur est lui-même observé. Laurence Aëgerter met en scène notre perception des oeuvres dans les musées et en propose une expérience nouvelle. Gilles MIQUELIS Nice, 1976 Gilles Miquelis produit une œuvre picturale jouant de l’incongruité de scènes quotidiennes. Tant par ses sujets que par sa touche large et gestuelle, sa peinture évoque la culture américaine. Des grands formats aux petits dessins, toujours sur calque ou sur toile, Gilles Miquelis dépeint sans concession ses contemporains. Les sujets, pourtant tirés de l’inconscient collectif, déclinent une réalité très crue, insistant sur ce qu’il appelle « les accidents de la normalité ». Dans cet univers tragi-comique, Miquelis s’amuse des associations inconvenantes pour analyser nos rapports à la nudité et à la sexualité, parfois en nous mettant mal à l’aise, parfois en nous faisant rire. Sur l’invitation du MAMAC, le peintre a choisi de reprendre un nu très peu connu de Matisse, à la lisière de l’Impressionnisme et du Fauvisme, où une jeune femme est allongée devant un nid. Le caractère surprenant de cette scène convient parfaitement à Gilles Miquelis. Le peintre adapte le format, travaille d’après modèle et conserve sa touche douce, sereine et lumineuse pour s’approprier ce motif étrange. Sven ’t JOLLE Anvers, 1966 Sven't Jolle use du dessin et de la sculpture pour confronter l’histoire de l’art aux faits politiques, économiques et sociaux actuels. Reliant l’art à la vie avec humour, l’artiste belge n’hésite pas à dénoncer les travers de notre société tout comme ceux de l’art. Matisse apparaît dans une série de dessins (Claire et nette) exprimant tant la disparité des classes sociales que différentes manières de concevoir une sculpture. Plusieurs représentations de bronze de Matisse sont associées à des personnages précaires et ordinaires (SDF, femmes de ménage). Ce choc des cultures questionne les contradictions de notre société et met à jour ses faux-semblants. Bien que se référant aux sculptures de Matisse, les dessins sont conçus comme un travail en soi et non pas comme la représentation d'une sculpture potentielle. Ils posent la question suivante : comment créer et se positionner en tant qu’artiste dans la conjoncture actuelle ? Vincent CORPET Paris, 1958 Depuis le début des années 1980, Vincent Corpet crée des tableaux invitant à poser un regard neuf sur la peinture, un regard n’impliquant pas un sens de lecture préétabli. Les analogies qu’il crée n’obéissent à aucune logique symbolique : ce sont des formes qui se succèdent, se superposent, s’emboîtent, naissant les unes des autres et dont les compositions peuvent être des fragments de corps, des animaux, des végétaux ou bien même des objets du quotidien, des architectures, voire des paysages. Ces souvenirs de formes engrangés par l’œil, par la mémoire instinctive et pulsionnelle, s’inscrivent au hasard et se combinent à l’infini. Avec la série « Fuck Maîtres » (2009-2013), Vincent Corpet revient sur des tableaux célèbres et leur valeur iconique : Le Titien, Delacroix, Manet, Courbet, Picasso, Lichtenstein, Warhol, Basquiat, etc. Reprenant les œuvres à taille réelle, il enduit sa toile de peinture noire pour faire ressortir le modèle en grisaille par extraction de peinture ; il gratte, puis oblitère certaines parties du tableau par un voile d’une couleur vive et le passe au lettrage. De nouvelles formes, qui semblent jaillir de l’original, surgissent et mettent en scène la prégnance visuelle et identitaire des chefs d’œuvre de l’histoire de l’art ainsi que notre capacité à voir et à fabriquer des images. Sur l’invitation du musée, Vincent Corpet a réalisé pour l’exposition deux nouvelles peintures sur Matisse reprenant Les demoiselles à la rivière (1916, The Art Institute Chicago, Chicago) et Nu rose, intérieur rouge (1947, Musée Matisse, Cateau-Cambrésis). Jirí Kolár Protivín, 1914 - Prague, 2002 Artiste majeur de la scène artistique tchèque contemporaine, Jirí Kolár fut poète et dramaturge dans les années 1930 avant d’être reconnu pour ses collages novateurs. Menuisier de formation, il exerce toutes sortes de métier avant de se rapprocher des futuristes et des surréalistes qui influencent considérablement ses premiers travaux. Sa pratique se caractérise par l’association et l’assemblage d’images, de mots imprimés et d’objets. La représentation de tableaux historiques dont de nombreux Matisse y est omniprésente. Ecce Pictura de 1970 est un bel exemple de cette pratique : sur la reproduction d’un tableau classique peint par Claude Lorrain (La répudiation d’Agar, 1668), le collagiste dispose La Musique peinte par Matisse en 1910 comme s’il avait placé une toile de cinéma pour les personnages du tableau, oblitérant totalement le paysage. Quinze ans plus tard, il reprendra le Nu rose de 1935 à deux reprises, jouant sur les aplats de couleur, le motif du carrelage et les rapports fond/forme. Tom WESSELMANN Cincinnati, 1931 - New York, 2004 Tom Wesselmann est incontestablement l’un des piliers du Pop Art américain, même s’il a toujours refusé cette étiquette trop réductrice à son sens. Lui, qui souhaitait réconcilier l’art et la vie, magnifie à outrance l’American way of life. Son sujet de prédilection : le nu féminin dans des scènes de la vie quotidienne. Collages d’images imprimées et objets réels (rideau de douche, porte, radio) s’adjoignent à une peinture figurative stylisée et traitée en aplats, prenant ses sources dans la publicité. Les assemblages de Wesselmann tendent à relier la planéité de la peinture au monde réel. L’art y côtoie les icônes de la société de consommation. Dans des intérieurs derniers cris, les femmes-objets sont mises en scène dans des poses très suggestives. Renonçant à leur donner un visage, Wesselmann exacerbe leur pouvoir érotique. Dans cette apologie du plaisir moderne, Matisse occupe une place centrale. Reléguée au rang de poster, La Blouse roumaine, L’Autoportrait, La Danse ou encore La Robe bleue et quelques natures mortes, habillent les Great American Nudes de l’artiste américain de la fin des années 1960 jusqu’aux années 2000. Dans Sunset Nude with Man Ray, La Danse tel un écran publicitaire, est associée à une photographie de Man Ray, acteur important du Dadaïsme et du Surréalisme (Observatory Time : The Lovers, 1936). Les assemblages où Matisse devient une affiche décorative collée en arrière-plan foisonnent dressant une allégorie de la peinture teintée de rivalité. Les peintures et l’important fonds de dessins préparatoires présentés dans l’exposition témoignent de la pérennité de cette approche. Ces croquis préparatoires ont d’ailleurs tous donné naissance à de splendides peintures. Wesselmann cite finalement peu les nus matissiens, préférant mettre à profit la thématique du tableau dans le tableau. Sunset Nude with Matisse Self Portrait met en scène un autoportrait de Matisse en voyeur alors que l’acier découpé de Monica Nude and the Purple Robe souligne la beauté de la ligne et du vide et rappelle les papiers découpés. Cette femme alanguie sort tout droit de Robe violette et anémones peint par Matisse en 1937. À demi-dévêtue, elle s’est tranquillement allongée devant la nature morte du tableau. Toute l’œuvre de Tom Wesselman est imprégnée de l’héritage de Matisse : couleurs pures, aplatissement des surfaces, simplicité des formes, scènes d’intérieur, natures mortes et nus, douceur et silence… LE PORTRAIT Ce classique du genre va lui aussi devenir dans les mains du peintre fauve un leitmotiv de la modernité. Matisse va opérer un retour aux sources, redonnant au portrait sa dimension spirituelle tout en questionnant les valeurs intrinsèques de la peinture. Dépassant le portrait d’histoire, il aborde la figure humaine comme un masque doté d’une âme. Évacuant la mimesis au profit de l’expression, combinant couleurs aléatoires, stylisation des formes et invocation, c’est avec des tableaux comme Portrait de Madame Matisse à la raie verte qu’il est élevé au rang de chef de file du fauvisme en 1905. Rappelant les icônes byzantines, La Grande robe bleue et mimosas ou La Blouse roumaine marquent encore un pas dans cette volonté de simplification apaisée. Travaillant par paires et séries, il démultiplie les visages de ses modèles pour mieux s’e n l i b é r e r e t s e l e s approprier. Ces peintures, sculptures et dessins riches d’enseignement sont réinterprétés par les générations success i v e s , prolongeant un q u e s t i o n nement sur le statut des images. Sherrie LEVINE Hazelton, 1947 Sherrie Levine est une artiste conceptuelle américaine qui, dès les années 1970, débute un travail de reproduction mécanique d’œuvres célèbres. Ce fut l’une des premières à entreprendre une critique de la représentation, par ce biais, aux côtés d’artistes comme Sturtevant. À partir des années 1980, Levine investit la pratique du dessin et de l’aquarelle pour s’approprier les grands classiques modernes avant de travailler, dix ans plus tard, en trois dimensions. L’aquarelle et le dessin lui permettent de revenir sur des pratiques considérées comme mineures et féminines et de dénoncer le caractère paternaliste de l’histoire de l’art. Face à l’innovation constante de notre société, Levine répond avec des images existantes plongeant le spectateur dans une zone d’incertitudes qui doit le pousser à s’interroger sur ce qu’il voit. Reprises et appropriations perturbent le principe de l’histoire de l’art tel qu’il s’est développé depuis Vasari. Avec sensualité, Sherrie Levine reprend, trait pour trait, dans une taille légèrement réduite, plusieurs portraits de Matisse à l’aquarelle. Le maître devient un outil idéal de dénonciation du mythe moderne et de la suprématie de l’artiste démiurge. La copie, modèle d’apprentissage classique, élude le caractère original, unique et créatif de l’œuvre d’art. L’artiste américaine amorce un c o u r t - c i r c u i t d a n s u n e s o c i é té paradoxalement hantée d’une p a r t p a r l ’ a p p r o p r i a t i o n citationnelle et d’autre part par les notions de droits d’auteur et de piratage. Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS Andy WARHOL Forest City, 1928 - New York, 1987 Influencé par la publicité dont il reprend les sujets mais aussi les modes de production et les techniques de marketing, Andy Warhol magnifie les icônes de la culture populaire : bouteille de Coca-Cola®, portrait de Marilyn, boîte de soupe Campell’s® ou billet de banque. Il met en scène le pouvoir de l’image, sa reproductibilité, sa sérialité mais aussi son caractère morbide. Andy Warhol s’érige au rang de star dont la célébrité dépasse largement le domaine artistique stricto sensus et adopte une démarche pluridisciplinaire battant en brèche les frontières entre l’art et la vie. En 1963, il monte la Factory, vivier de la culture underground, y réalise ses films et produit le groupe de rock Velvet Underground. Matisse semble bien éloigné de ces préoccupations Pop. Warhol ne reprend qu’une seule fois une figure d’Henri Matisse dans une série des années 1980 consacrée à la citation d’œuvres d’art célèbres. La Joconde de Léonard de Vinci et La Naissance de Vénus de Botticelli y côtoient La Robe bleue de Matisse. Celle-ci n’est pas magnifiée comme La Marilyn, mais cette occurrence témoigne d’une réelle forme de reconnaissance. La stylisation des formes, l’aplat des couleur pure et l’absence de hiérarchie dans les sujets traités rappellent l’œuvre du maître moderne. Le musée Andy Warhol à Pittsburg, riche de plus de trois milles œuvres, prête pour l’exposition le dessin préparatoire à la réalisation de cette œuvre. Erik DIETMAN Jönköping, 1937 - Paris, 2002 Proche des acteurs du mouvement Fluxus et du Nouveau Réalisme mais refusant toute adhésion à ces groupes, Erik Dietman aime jouer avec le langage et l’humour. Après avoir peint les yeux bandés, il casse et reconstitue des objets qu’il recouvre de sparadraps. Peu à peu, les matériaux sont travaillés pour leur qualité respective (bois, verre, marbre, bronze) ; les objets se font plus poétiques. Loin des conventions, Dietman développe une esthétique hybride du bibelot et de la quincaillerie à la fois sensuelle et macabre. Son œuvre s'inscrit dans un métissage entre poésie verbale et réalité des choses. Dessins, objets, assemblages et sculptures donnent une existence matérielle à la parole, au verbe et au mot. Dietman se joue avec boulimie des associations de sens, d’images et de matières et aime à critiquer les avant-gardes. Dans La Jeannette Long-Dietman, des pierres posées au sol figurent le portrait de Jeannette réalisé par Matisse dans les années 1910. Sur les cinq sculptures que Matisse réalise de Jeanne Vaderin entre 1910 et 1916, les trois dernières font l’objet de telles déformations qu’elles semblent composées de plusieurs blocs de pierre (l’amorce de la poitrine, le menton, le nez, le chignon). Proche du cubisme analytique, les sculptures de Matisse essuient une critique virulente. D’où, l’acte de récupération d’Erik Dietman, qui fait de Jeannette une installation à la Richard Long, arpenteur anglais affilié au Land Art, reconnu notamment pour ses spirales en pierre et les traces qu’il réalise dans le paysage naturel. Dietman dispose les pierres sur un socle très proche du sol et invite le spectateur à se déplacer pour reconstituer la tête de femme. L’intérêt de cette occurrence réside donc dans cette double citation. Richard Long et Henri Matisse n’ont, à priori, rien en commun et c’est de cela dont s’amuse Dietman. Il surenchérit par le titre où il adjoint son nom créant une sorte de fausse filiation. Gilles MAHÉ Guingamp, 1943 - Saint-Briac-sur-Mer, 1999 Dans une réflexion sur la copie et l’original, Gilles Mahé reprend plusieurs reproductions photocopiées de Matisse à la gouache. Aux côtés d’Intérieur au violon de 1917-1918 et d’Intérieur rouge, nature morte sur table bleue de 1947, il s’accapare, toujours avec un geste hésitant et enfantin, le fameux Portrait de madame Matisse à la raie verte qui a fait de Matisse un des précurseurs du fauvisme. Ici encore, Gilles Mahé transforme, réinterprète l’image imprimée avec désinvolture pour la faire sienne mais aussi pour lui donner une seconde vie et en faire un vecteur d’échange. Voir aussi LA FENÊTRE Douglas HUEBLER Ann Arbor, 1924 - Truro, 1997 Douglas Huebler fait partie de cette première génération d’artistes conceptuels dont l’œuvre prolifique, et en apparence rigoureuse, demeure difficilement définissable tant elle regorge de décalages. Dans la série « Crocodile Tears », dérivée d'un scénario sur l'histoire fictive de l'artiste Jason James, des portraits de Matisse prennent vie pour celui qui sait les identifier et sont reliés à des questions sur le positionnement de l’art et des nouveaux médias aujourd’hui. Le débat entre la technique et le génie s’illustre dans Variable Piece #70 : 1971 (In Process) Global, Crocodile Tears : The Great Corrector (Conceptual Comic Strip) de 1984. Sous forme de story-board, Douglas Huebler esquisse l’histoire d’un artiste devenu directeur d’une école de Beaux-Arts qui n’a de cesse de rectifier les « erreurs » des grands maîtres, lui qui sait si bien dessiner. Un portrait de femme de Matisse est ainsi confronté à sa « correction ». Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS LA DANSE La Danse est sans doute l’image la plus emblématique de l’œuvre de Matisse. Les déclinaisons de cette ronde retra cent l’évolution de son art, des prémices du fauvisme à l’épanouissement des papiers découpés. Monumentales, elles abordent la notion de l’éternel recommencement qui reflète chez le maître la relativité du temps, de l’art et du monde. Les couleurs pures, la douceur des formes simplifiées ainsi que la nudité des corps renvoient aux cultures exotiques et ancestrales. La Danse met à l’honneur la dimension décorative, expressive et musicale de la peinture. Ces travaux, pour la majorité de commande et dont la dernière version inachevée fut réalisée à Nice, rue Désiré Niel à deux pas du MAMAC, donnent naissance à un large éventail de reprises, allant du ballet contemporain à la performance, en passant par la peinture, le dessin et la photographie. Ensemble, ces réitérations ouvrent un champ d’interprétation et suggèrent une « Danse avec Matisse ». John BALDESSARI National City, 1931 Dans une démarche pluridisciplinaire axée sur la mise en relation d’images et de mots, John Baldessari met en exergue la nature intrinsèquement équivoque des images. Dans ce sillon, l’artiste reporte sur toiles plusieurs impressions photographiques d’œuvres de Matisse qu’il confronte à des inscriptions peintes à la main, créant des associations de sens inédites. Parallèlement aux détournements des Poissons rouges et de La Musique, une oeuvre joint un pas de La Danse au chien futuriste de Giacomo Balla, posant l’équation sous forme de devinette : « … and Matisse ». Le mouvement cinétique rejoint le pas de danse dans une approche cinématographique. La valeur identitaire des œuvres et leur pouvoir d’absorption et de mutation sont au cœur du travail de Baldessari. Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LE NU Martin KIPPENBERGER Dortmund, 1953 - Vienne, 1997 L’artiste allemand Martin Kippenberger a tout au long de sa carrière créé des affiches pour promouvoir une grande variété d'événements. Au total, les quelques 200 affiches créées forment un corpus d’œuvres à part entière illustrant la tonalité et l’engagement de son travail : « Les affiches de Martin Kippenberger représentent et résument le mieux l'éventail de ses capacités : l'humour, la critique sociale, la combinaison intelligente des images provocantes et d'allusions. Elles sont critiques et engagées, expriment parfaitement ses idées et sa personnalité. »* Les supports de communication présentés ont été réalisés par l'artiste, en 1996 à l'occasion d'une exposition à l'Atelier Soardi, à Nice, lieu où Matisse créa La Danse de Barnes de 1930 à 1933. L’affiche fait allusion à ce tableau mais remplace les danseurs par le super-héros Spiderman. Tissant sa toile, il forme une ronde autour d’une célèbre photographie de Matisse dessinant dans le lieu même où il est invité à exposer. Kippenberger détourne Matisse en reprenant les stéréotypes de l’homme-araignée appartenant à l’univers des bandes dessinées. Le titre de l’exposition L’atelier Matisse sous-loué à Spiderman est d’ailleurs révélateur de cette désacralisation provocante et parodique. Le carton d’invitation reprend cette confrontation entre une photographie de Matisse à l’atelier et une image du super-héros rapiéçant son costume. Le MAMAC a la chance de voir entrer ces deux documents dans ses collections grâce à un don. *Jutta Koether, Tate Etc, n° 6 - Londres : La Tate, printemps 2006, p.36. Niki de SAINT PHALLE Neuilly-sur-Seine, 1930 - San Diego, 2002 Si Niki de Saint Phalle est avant tout connue par ses Nanas voluptueuses etcolorées, c’est avec la série des « tableaux-tirs », qu’elle produit à partir de 1961 qu’elle rejoint les rangs du Nouveau Réalisme. Elle qui est la seule femme du groupe joue un rôle de médiatrice entre les avant-gardes françaises et américaines. Les assemblages d’objets et de matériaux hétéroclites : grillage, plâtre, tissu, papier, laine, jouets et figures religieuses, sont autant d’él ém ents év oc a teurs de sa personnalité et de son histoire car l’artiste a subi une éducation très stricte et catholique qu’elle n’aura de cesse de vouloir exorciser. L’image de la femme et plus particulièrement de la mère nourricière devient omniprésente. En 2001, l’artiste fait une importante donation à Nice, ville où elle a séjourné à plusieurs reprises, ce qui permettra au MAMAC de possèder la plus grande collection consacrée à l’artiste en France et la seconde en Europe. Dans ce fonds, trois œuvres en référence à Henri Matisse ont été sélectionnées. Si les emprunts artistiques sont extrêmement rares et tardifs chez Niki de Saint Phalle, ils relèvent davantage de l’hommage que de la critique. Le fonds du musée atteste d’ailleurs de l’influence de Matisse sur son travail : par la stylisation des formes et l’emploi de couleurs pures, par les ressources des papiers découpés. Les œuvres présentées autour de La Danse relèvent d’une appropriation complète. Tantôt la ronde est éclatée, tantôt elle réunit quelques Nanas. L’artiste reprend le motif de la danse et l’adapte à son vocabulaire plastique. Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS Haizea BARCENILLA GARCIA Lezo, 1981 Après des études d’histoire de l’art, Haizea Barcenilla Garcia partage son temps entre le commissariat d’exposition et la critique d’art, ce qui lui permet d’expérimenter diverses pratiques non seulement en termes d’exposition mais aussi en tant que lieu de débat. Ainsi, elle réalise une proposition autour de La Danse de 1909 de Matisse conservée au MoMA de New York. Cette installation a été produite par le Musée de la Danse à Rennes avant d’être présentée au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (MAMVP) dans le cadre de la manifestation « This&There ». Constituée de photocopies de textes et d’images sur la célèbre Danse punaisées sur un panneau d’affichage de mêmes dimensions que l’œuvre référent, la proposition de la curatrice met en scène le rôle du musée dans les modalités de perception et de réception d’une oeuvre. En présentant une œuvre absente, cette installation met en jeu notre rapport à l’art et à ses modalités de réception. Haizea Barcenilla Ga rcia pose l a q u e s t i o n s u i v a n t e : Q u e r e garde-t-on quand on voit un chef d’œuvre : L’image mentale que l’on en a ou son discours et toute l’idéologie qui en découle ? Patrice CARRÉ Angers, 1957 Patrice Carré a regardé les gouaches découpées de Matisse avant de commencer à les reproduire, surtout celles « bien connues et diffusées largement sous forme de posters, dans les librairies de nombreux musées ». C’est donc, de prime abord, à un travail de copiste que se livre Patrice Carré, mais avec des ciseaux crantés d’ordinaire utilisés en couture. D’ailleurs, il utilise toujours un patron. Le découpage en zigzag crée de légers décalages qui soulèvent de nombreuses questions sur l’original et sa reproduction ainsi que sur le pixel. La maquette pour Deux Danseurs devient dans les mains de Patrice Carré Deux Danseurs à crans. Certaines parties sont fixées avec des punaises alors que l’œuvre est placée sous verre, mimant des conditions de conservation optimales. Bien plus que de citation ou de parodie, chez Patrice Carré, il s’agit avant tout d’un questionnement sur la reproductibilité des images iconiques avec des moyens ordinaires ou désuets ; et de plaisir aussi, le plaisir de la reprise et de la manufacture. Voir aussi LES PAPIERS DÉCOUPÉS Pedro PAUWELS Quaregnon, 1965 C’est à partir de la théorie des formes analysée par Kandinsky dans Point et ligne sur plan que Pedro Pauwels a voulu travailler pour Entre-mains. Envisageant l’écriture chorégraphique comme une construction graphique, il aborde le cadre de scène et le plateau comme une feuille blanche où il va intervenir à la manière d’un peintre, créant des espaces, des lignes, des courbes, des points de force et des vides. Aboutissement d’un travail débuté en décembre 2007 avec La Ligne, cette nouvelle création s’inscrit dans la continuité de ce travail sur le ressenti du mouvement. Il s’agissait, selon ses propres mots, de poursuivre ses recherches « sur le travail lié à la contrainte physique, corporelle, ayant et subissant elle-même ses propres contraintes, une contrainte vivante, mouvante, instable, demandant sans cesse des réajustements, de la vigilance, de l’adaptabilité » et de réfléchir sur les rapports instaurés par la dynamique de groupe. Les réflexions du chorégraphe se portent sur l’union et les rapports de l’ensemble au particulier. Pedro Pauwels s’efforce de créer une cohésion de groupe sans faire disparaître les singularités. Il travaille l’image d’un « engrenage vivant » dans lequel chaque individu a son rôle dans le fonctionnement du tout. La ronde, danse archétypale en chaîne ouverte ou fermée, sert de point de départ. Les points de rencontre où les mains se lient évoquent sans conteste La Danse de Matisse et ses multiples variations. Le chorégraphe revendique cette source comme un élément moteur de sa création. Wang QINGSONG Helongjiang, 1966 L’artiste chinois Wang Qingsong use de la photographie pour son efficacité visuelle et compose comme un metteur en scène. Il monte de véritables tableaux vivants dans lesquels il est souvent présent. A borda nt des thèm es c om m e la migration, la mondialisation, le consumérisme et la sexualité, il illustre les contradictions de la Chine contemporaine. La perte des valeurs traditionnelles, l’intrusion de la culture occidentale et la répression y sont traitées avec ironie. Dans Fotofest (littéralement « Festival de la photographie »), Wang Qingsong utilise une faille du découpage administratif de la République populaire de Chine pour réaliser un événement répréhensible. Sur un No man’s land échappant aux forces de l’ordre (du fait d’une délimitation floue entre les provinces), l’artiste mobilise des personnes pour un « shooting » public de nus. La photographie s em bl e m ettre en s c ène une foul e de journalistes autour de cinq femmes nues interprétant une chorégraphie inspirée de La Danse de Matisse. Mais la foule a été réunie via les réseaux sociaux et les appareils photos et les caméras ne sont que des artefacts en carton. Au milieu de ce terrain vague, où les figurants constituent une arène avec en son centre un tapis de lutte, se dresse un réel combat contre les tabous et les autorités. L’oeuvre évoque d’ailleurs les manifestation de la place Tian’anmen de 1989. La photographie, constat de l’événement, propose une actualisation de l’œuvre du peintre moderne occidental ainsi qu’une image possible de sa réception. Arthur AESCHBACHER Genève, 1923 Arthur Aeschbacher réalise des collages en utilisant non comme les Nouveaux réalistes des affiches maraudées dans la rue mais des supports récupérés le plus souvent dans des imprimeries. Loin des préoccupations sociologiques des affichistes, il récupère ces matériaux pour leur caractère proprement pictural. Les différents papiers, par leur texture, leur couleur et leur épaisseur, créent des compositions abstraites aux effets de matière très riches. Parfois, des éléments figuratifs ou typographiques resurgissent. L’éclatement de la typographie devient prioritaire. Les lettres imprimées sont traitées par la superposition de trames et de grilles peintes, accordant de plus en plus d’importance à la construction rigoureuse de l a surface. Ici, Arthur Aeschbacher a délibérément choisi de reprendre tel quel ce poster de la célèbre Danse de Matisse qu’il juxtapose à un assemblage très épuré de lettres et de chiffres fragmentés noirs ou rouges. Enfin, un maillage de trames géométriques bleues confère une unité à l’assemblage hétéroclite et répond au rythme de la mélodie matissienne. Découpes et collages renvoient également sans conteste à l’œuvre du grand maître, et notamment au vitrail Les abeilles. L’oblitération, loin d’être ici un acte de vandalisme, est de l’ordre de l’hommage. À la question Peut-on oblitérer Matisse ?, Arthur Aeschbacher nous confie que cette démarche est impossible. Francesco VEZZOLI Brescia, 1971 Influencé par la culture Pop, l’artiste italien Francesco Vezzoli pratique l’art de la citation, du collage, du montage et de la broderie, mêlant l’art au monde du spectacle et des célébrités. Entretenant une fascination pour les icônes populaires et les paillettes, Vezzoli imprime au laser des images d’actrices, de mannequins et de chanteurs sur lesquelles il intervient en cousant des larmes au fil d’argent, geste à la fois nostalgique et glamour. Des peintures abstraites sont également reproduites en broderie. Ce travail minutieux et lent, associé à l’attente du retour de l’être aimé, reste encore considéré comme mineur et féminin, et c’est bien ce qui intéresse Vezzoli. L’œuvre présentée pour l’exposition fait partie d’une série rendant hommage à Olga Khokhlova, célèbre danseuse et première épouse de Pablo Picasso, l’ensemble prend alors la forme d’un dispositif scénique, sorte d’ex-voto l’élevant au rang de divinité. Dans cette impression rehaussée de peinture, l’artiste associe le portrait de celle qui abandonna les ballets russes pour Picasso à La Danse de Matisse, qui devient une auréole brodée, emblème de ses arts, puisque la danseuse pratiquait aussi la broderie. L’association Matisse-Picasso refait ici surface avec humour et désinvolture. LES PAPIERS DÉCOUPÉS Les papiers découpés inscrivent définitivement l’œuvre d’Henri Matisse dans l’aventure contemporaine. D’un simple outil de composition lui permettant de jouer sur le positionnement de ses figures sur la surface, il atteint son apogée dans la série des Nus Bleus et s’empare de l’espace dans La Perruche et la Sirène, oeuvre de près de huit mètres de long. Peignant à la gouache de grands aplats de couleur sur des feuilles de papier qu’il découpe ensuite, l’artiste se constitue un répertoire de formes à disposer dans l’espace. En taillant directement dans la couleur, il réussit à dépasser la dichotomie entre le fond et la forme, le trait et la matière. L’organisation des papiers découpés permettra aux artistes contemporains d’investir l’espace dans une pratique de l’in situ. Initiateur de la couleur délivrée de la forme, Henri Matisse a un impact considérable sur le travail des artistes abstraits américains et européens, mais aussi sur l’usage du « copier/coller », de la citation et de l’appropriation propre aux nouvelles générations. Douglas HUEBLER Ann Arbor, 1924 - Truro, 1997 Dès la fin des années 1960, les œuvres de Huebler sont composées de cartes, de photographies, de textes et de dessins qui soulignent la présence d’un détail inattendu dans une volonté encyclopédique. Ces arborescences nous rappellent la beauté du processus et de la prospection. Il s’agit là de documentation qui n’informe pas. Précurseur de l’utilisation de la photographie dans l’art conceptuel, Huebler rend compte de leur modalité de réalisation qu’il classifie selon trois catégories : le temps (« Duration Piece »), le site (« Location Piece ») ou les deux à la fois (« Variable Piece »). Ce ne sont non pas les choses, mais le rapport entre les choses et la perception qu’on en a, qui l’intéresse. Loin d’éliminer l’acte créatif au profit d’une documentation et d’une approche comparatiste dépourvue d’affect, Huebler dégage de cette tonalité scientifique, beaucoup de poésie, d’humour et d’humanité. À partir du milieu des années 1980, Huebler combine représentations d’œuvres modernes, textes, photographies et dessins. Matisse fait plusieurs apparitions dans cet univers aseptisé et anti-romantique à souhait. Et pourtant, il n’y a aucun geste blas phématoire, plutôt de la sympathie. Dans la série « Crocodile Tears », dérivée d'un scénario sur l'histoire fictive de l'artiste Jason James, des oeuvres de Matisse prennent vie pour celui qui sait les identifier et sont reliées à des questions sur le positionnement de l’art et des nouveaux médias aujourd’hui. Le mythe de la modernité est à la fois utilisé et sapé. Dans Variable Piece #70 : 1971 (In Process) Global, Crocodile Tears : Peaceable Kingdom : Lloyd V (Matisse) de 1988-1990, la gouache découpée Polynésie, la mer de Matisse devient la bannière du Royaume Pacifique. Voir aussi LE PORTRAIT Marcel ALOCCO Nice, 1937 Acteur des mouvements Fluxus et Supports/Surfaces, Marcel Alocco, dans une redéfinition de la peinture de chevalet met au point, dès 1967, un travail à partir de draps de lit avant d’élaborer les « Fragments de la peinture en patchwork » à partir de 1973. Ces travaux se forment à partir d’idéogrammes, de lettrages, de logos et d’emblèmes puisés aussi bien dans l’histoire de l’art que dans des dessins animés. Ces motifs sont appliqués sur une toile libre par l’intermédiaire de pochoir ou de tampon formant des monotypes qu’il peut reproduire à sa guise. La toile estampillée est ensuite déchirée par l’artiste dans le sens de la trame afin de former des fragments quadrilatéraux qu’il assemble aléatoirement en les cousant les uns aux autres. Cette pratique n’est pas sans évoquer les papiers découpés de Matisse et l’artiste revendique volontiers cette filiation. Chez Marcel Alocco, le déchirage et la couture permettent de mettre en avant la matérialité du support. Le fil est à la fois ce qui joint les fragments et ce qui les sépare. La reprise manuelle, plutôt que mécanique, et les bords déchirés soulignent la matérialité du tissu. Le patchwork laisse deviner l’implication du corps de l’artiste, tant dans l’acte violent de déchirure que dans la pratique de la couture à la main. Dans le fragment n°7 reprenant un des Nus Bleus de Matisse et des motifs préhistoriques, Marcel Alocco teste, par le morcellement de l’image initiale, sa prégnance visuelle et fait appel à notre mémoire. En mai 2009, il recroise un Nu Bleu sur une affiche d’étudiants collée sur un mur de la ville de Florence, et le capture par la photographie. Sherrie LEVINE Hazelton, 1947 Parallèlement aux portraits à l’aquarelle d’après Henri Matisse, Sherrie Levine reprend, avec sensualité et humour, dans une taille légèrement réduite, La Chute d’Icare réalisée pour l’album Jazz à la gouache. L’artiste modifie la couleur du motif situé au centre de la silhouette ; de rouge symbolisant le cœur, elle passe au jaune pour rappeler les étoiles qui l’entourent. L’artiste américaine amorce un court-circuit dans une société p a r a d o x a lement hantée d’une part par l ’ a p p r o p r i a t i o n citationnelle et d’autre part par les notions de droits d’auteur et de piratage. Voir aussi LE PORTRAIT Patrice CARRÉ Angers, 1957 Patrice Carré a reproduit plusieurs gouaches découpées de Matisse, mais avec des ciseaux crantés, d’ordinaire utilisés en couture. Le découpage en zigzag crée de légers décalages qui soulèvent de nombreuses questions sur l’original et sa reproduction ainsi que sur le pixel. Il crée un effet optique perturbant notre appréhension de l’oeuvre. Patrice Carré s’octroie quelques « variations » aussi bien dans la colorimétrie que dans les matériaux utilisés. Il réalise un nu matissien façon écorché à partir d’images imprimées de pièces de viandes trouvées dans des publicités de supermarché ou d’autres en motif « reflets piscine ». Le décor « tas de bois » lui permet de refaire La Femme à l’amphore de 1953 qui devient La Femme à l ’ a m p h o r e d a n s u n t a s d e b o i s . Les parasitages et interférences que l’artiste met en place mettent en jeu la force identitaire des chefs d’œuvre et leur capacité de transformation. Malgré leur basculement dans un univers à « deux francs six sous » ou totalement kitsch, les œuvres de Matisse restent reconnaissables en un seul coup d’œil. Bien plus que de citation ou de parodie, chez Patrice Carré, il s’agit avant tout d’un questionnement sur la reproductibilité des images iconiques avec des moyens ordinaires ou désuets, et de plaisir aussi : le plaisir de la reprise et de la manufacture. Pour La Perruche et la sirène à crans, Carré réduit la composition à deux couleurs, rouge et noir. Le revêtement adhésif décoratif, lui permet de travailler directement sur mur et de jouer avec les motifs sur les notions de réplique, de trompe l’œil, de vrai-faux, de bon et de mauvais goût dans une pratique in situ. Patrice Carré revient sur l’apport de Matisse dans le Pattern Painting (courant américain qui apparaît dans les années 1970 et qui privilégie les procédés décoratifs, artisanaux ou industriels) et dans le mouvement Supports-Surfaces en France (avec la déconstruction analytique du tableau de chevalet). Voir aussi LA DANSE Richard FAUGUET La Châtre, 1963 Difficilement cernable, Richard Fauguet développe une pratique tout à fait hétéroclite. Il multiplie les angles d’approche, les techniques et les styles dans une démarche pluridisciplinaire. Les références à l’histoire de l’art côtoient celles du bricolage et des pratiques plus ordinaires. Cette confrontation s’inscrit à la fois dans une volonté de détournement parodique et dans une dialectique du bon et du mauvais goût questionnant aussi bien les objets quotidiens qu’artistiques. L’œuvre présentée dans l’exposition fait partie d’une série de douze silhouettes de chefs d’œuvre modernes et contemporains : La Danseuse de Degas, La Serpentine de Matisse, La Princesse X de Brancusi, les mobiles de Calder, les silhouettes de Gilbert & George, le lapin de Jeff Koons, etc. Découpées dans de l’adhésif, elles reprennent l’esthétique du théâtre d’ombres tout en restant proche du Pattern Painting. Le motif totalement kitsch et sa planéité leur confèrent une dimension décorative similaire à celle des papiers peints. Tournées en dérision, désacralisées, ces figures emblématiques invitent à un « jeu somme toute assez pédagogique de devinettes » (Pascal Pique). Ludique, cette œuvre met en question l’originalité et la prégnance visuelle des chefs d’œuvre face à leur détournement. Notre rapport à l’imaginaire et à l’art de raconter des histoires s’en trouve décuplé. Claude VIALLAT Nîmes, 1936 Initiateur de Supports-Surfaces, Claude Viallat regarde dès le début de sa carrière l’œuvre de Matisse. Ses premières peintures rappellent autant les formes biomorphiques de Miró que les aplats de couleur chers à Matisse. Viallat s’approprie à plusieurs reprises le motif de la vague, comme si la forme qu’il choisira plus tard en découlait. Deux occurrences sont présentées ici : Sans titre (La Vague) de 1966 et celui de 1967. Viallat n’utilise pas la technique des papiers découpés et préfère ici expérimenter différents médiums (gélatine, colorant). La toile est encore tendue sur châssis. Une fois son système mis en place (la répétition d’une forme apposée à intervalles réguliers jusqu’à recouvrir la totalité de la toile libre), l’ombre de Matisse demeure latente. Dans le tondo Hommage à Matisse déployant cette forme, Viallat colle un article de journal où figure le portrait de Matisse : hommage direct à la couleur, à la déclinaison et à la profusion décorative tout autant qu’au personnage. La fascination constante pour l’œuvre de Matisse a d’ailleurs fait l’objet d’une exposition au musée Matisse du Cateau-Cambrésis en 2005. Voir aussi LA FENÊTRE Gérald PANIGHI Menton, 1974 Les dessins de Gérald Panighi combinent textes et images populaires dans une pratique proche du remake (reprise) et du sampling (échantillonnage, élément détourné et réutilisé en boucle). L’artiste collecte, transfère, décalque, découpe et associe des motifs et des phrases populaires. Personnages de bandes dessinées, affiches de cinéma, étiquettes de vin, faits divers tirés de la presse écrite, anecdotes trouvées sur le net, phrases vécues ou entendues ici et là, s’entrecroisent de manière improbable. Sur les feuilles de papier nourries par l’usage et le temps, combinaisons incongrues et décalages absurdes proposent un registre poétique. Si l’image n’illustre pas le texte, les connections sont autant absurdes que sagaces. L’œuvre possède un caractère fragile et intime. Une large place est laissée au vide et aux taches qui deviennent l’essence de l’imagination et de la désacralisation du dessin. L’iconographie détournée, le papier vieilli ainsi que le texte tapé à la machine à écrire participent de différents espace/temps. Dans une approche parodique et paradoxalement révérencieuse, Matisse est, chez Gérald Panighi, projeté dans des univers où l’on ne l’attendait pas. Dans Bonne journée les diurnes créée pour l’exposition, l’artiste détourne des images de Pin Up qu’il fait jouer avec le motif de La Gerbe de Matisse. Le papier découpé devient un accessoire de m ode gl a mour qui a c c entue l’atmosphère légère et l’élan de modernité des années 1950. L’image imprimée est associée à des phrases dactylographiées trouvées sur des forums pour alcoolo-dépendants. Panighi use du collage et du découpage pour créer des saynètes finalement assez punk. Le traitement plastique renforce ce caractère trash et bas de gamme, mais la débauche, la détresse et l’ivresse sont captées avec subtilité. Trois temporalités (la silhouette féminine, le motif matissien et le texte) s’entrechoquent pour finalement s’unir avec sagacité et humour. Louis CANE Beaulieu-sur-Mer, 1943 Né en 1943 à Beaulieu-sur-Mer où il possède toujours un atelier, Louis Cane débute ses études à l’École nationale des arts décoratifs de Nice avant de rejoindre les Beaux-Arts de Paris et de participer à l’aventure Supports/Surfaces. Parallèlement, il participe au développement de la revue « Peinture, Cahiers Théoriques ». Malgré les remises en cause incessantes du tableau de chevalet, Louis Cane a bien conscience de ce qu’il doit à la peinture et à son histoire, car il n’a de cesse de présenter un travail pictural d’interprétation et de citation des chefs d’œuvre de l’histoire de l’art. Dès le milieu des années 1970, ce médium réapparaît dans sa pratique, et avec lui ses sujets archétypaux et ses figures emblématiques (Le Greco, Vélasquez, Delacroix, Monet, Van Gogh, Manet, Picasso, Bacon…). Ce dialogue pictural se combine à des réflexions sur la couleur et le support. En marge des conventions, Louis Cane allie prise de risque et plaisir à peindre. Les rapport entre la couleur et le support traversent son oeuvre des « Sol/Mur » aux peintures sur grillage ou châssis. Le MAMAC a fait le choix de lui proposer de revenir sur l’œuvre de Matisse pour ce projet d’exposition. L’artiste répond par des découpages dans la résine colorée contrecollés sur toile. Dans La Blouse roumaine, les motifs quadrillés de l’habit rappellent bizarrement les treillages de l’artiste et l’avatar du châssis. La tête est schématisée et renvoie au Saint-Dominique de Matisse réalisé pour la chapelle du Rosaire à Vence. Le Cracheur de forme déverse, avec gourmandise, tout un vocabulaire matissien fait de palmes et de coraux. Christian BONNEFOI Salindre, 1948 Christian Bonnefoi développe une pratique qui interroge sur les modalités d’apparition et de production de la peinture. Proche de l’abstraction analytique, il reste toutefois éloigné voire critique vis-à-vis de Supports-Surfaces. Christian Bonnefoi a très tôt été marqué par l’œuvre de Matisse et tout particulièrement par Les Nus de dos (1909-1930) dont les plâtres originaux sont conservés au musée Matisse du Cateau-Cambrésis. De 1974 à aujourd’hui, il n’a cessé de reprendre ce motif ne donnant à voir que la « face cachée » de ce nu féminin aux traits archaïques, il dit lui-même qu’il travaille depuis 30 ans « à essayer de voir la face du dos de Matisse ». Du bas-relief, il transfère son sujet dans le domaine du collage comme en écho aux papiers découpés du maître. Ces variations font également écho à la pratique de Matisse, qui n’avait de cesse de reprendre un sujet pour mieux le décliner, le retravailler, le remanier. Les premiers collages, de petits formats rectangulaires, déclinent, à l’aquarelle et au crayon, la silhouette sur diverses sortes de papiers : journal, feuille quadrillée, papier buvard… Puis, la forme va en se complexifiant, la découpe se fragmente et se libère du support, le geste se fait plus présent et déstructure le dos, la couleur s’épanouit, les textures et les épaisseurs se multiplient. De cette variation, Bonnefoi retient le papier de soie punaisé au mur. Il travaille à présent « hors cadre », « sans limite » pour un meilleur investissement de l’espace. Il arrache, assemble, superpose, colle, recolle et encolle, travaille la transparence et les opacités, les rapports de surface, mène un travail de peintre. La mise en scène du dos, du verso, occulte la face noble et première, celle de la communication, celle du visage, elle montre ce qui habituellement est caché. Bonnefoi illustre ce principe par un travail inversé, en construisant son œuvre « par derrière ». Il réalise s a c o m position sur le revers, puis retourne l’œuvre pour la voir apparaître et la rehausser de graphite. L’annulation des dualités dedans/dehors, endroit/envers, forme/fond construit l’ensemble de sa démarche de peintre. Christian Bonnefoi repense l’apparition de la peinture à partir d’une réflexion sur la surface. Cette série a fait l’objet d’une exposition au musée Matisse du Cateau-Cambrésis en 2011 ainsi qu’au musée de Céret en 2012. Pour le MAMAC, Christian Bonnefoi a réalisé une composition in situ autour d’œuvres historiques et plus récentes, rappelant les œuvres monumentales en papiers découpés du maître. Mohamed MELEHI Asilah, 1936 Né au Maroc où il joue un rôle déterminant, Mohamed Melehi est l’un des maîtres de la peinture moderne orientale. Après des études en Europe où il a été grandement influencé p a r l ’ œ u vre de Matisse et quatre années passées aux États-Unis où il a eu l’opportunité de côtoyer l’avant-garde am éricaine, il peint Pulsation. On est en 1964 et pour la première fois le motif de l’onde cher à Matisse (La Vague, 1952) apparaît. Elle traverse l’ensemble de son œuvre jusqu’à aujourd’hui. Tout comme Matisse, Melehi accentue la franchise des couleurs et des formes. Usant de ses propres couleurs, il ne garde que la forme et l’intègre dans une nouvelle composition. À Matisse, il doit beaucoup ; son œuvre toute entière peut se lire comme une révérence au maître moderne. Pulsation est là pour nous le rappeler. Acteur culturel important, il travaille pour le Ministère de la Culture du Maroc où il tend à renforcer l’accessibilité à l’art, promouvoir l’art contemporain et valoriser la culture de son pays à travers le monde. LES INTÉRIEURS La thématique des intérieurs semble condenser l’ensemble du travail de Matisse tant elle parle de mises en abyme et de mondes en suspens. L’intérieur représente bien quelque chose d’intime, d’intrinsèque et de silencieux. On y appréhende l’attrait du peintre pour les arts décoratifs, son goût pour les objets, les tissus et les tableaux. On y retrouve tous les sujets du maître, sans aucune hiérarchie mais surtout on y ressent cette volonté d’imbrication et d’aplatissement des surfaces destinée à créer un univers où tout serait lié et connecté. Les intérieurs symbolisent donc, plus que tout autre sujet, le domaine de la peinture. C’est cette vision subjective et phénoménologique qui va retenir l’attention des artistes qui n’hésitent pas à combiner tableaux du maître et vues d’atelier, mêlant faits réels et fiction et rappelant le procédé de travail de Matisse qui créait de véritables mises en scène pour la réalisation de ses peintures. Vik MUNIZ São Polo, 1961 Vik Muniz se passionne très tôt pour les reproductions des images. La variation des couleurs et des contrastes l’amène à s’intéresser à la chromie, c’est-à-dire à l’intensité et à la saturation des couleurs car celle-ci change totalement leur perception. À la fin des années 1980, suite à la perte du livre The best of Life qui recense les images les plus marquantes publiées par le magasine Life entre 1936 et 1972, l’artiste décide de redessiner certaines de ces images de mémoire puis de les photographier et de les retoucher jusqu’à faire disparaitre la trace de son geste et se rapprocher de la reproduction mécanique de l’image imprimée (série « Memory Rendering »). L’appropriation et la citation d’œuvres célèbres deviennent le fondement de son travail. Chocolat, poussière, ordures, pièces de puzzle, caviar, et diamants lui permettent de poser un regard neuf sur les œuvres et provoquer de nouvelles perceptions recentrées sur l’interactivité, la sensibilité et la matérialité. Cependant il n’est souvent donné à voir que la photographie de cette réalisation, rejouant aussi bien la reproductibilité, la pérennité et la distanciation que l’illusionnisme permis par la photographie. Dans ce sillon, il reprend des classiques de la peinture aux pigments et consacre une part belle à Henri Matisse (After Matisse, Pictures of Pigments). Ces images tendent à modifier notre perception des tableaux illustres en insistant sur leur caractère illusionniste et sensuel et quoi de plus voluptueux que le pigment de couleur, essence même de la peinture ? Cependant, seule la photographie retravaillée est donnée à voir. Elle pérennise la composition de nature v ola ti l e, m et en s c ène l es m éc a ni s m es de la r ep rés e n tation et insiste sur la prégnance visuelle, tant des images que des chefs d’œuvre. Notre mémoire visuelle est mise à contribution et légèrement bousculée, remise en question. Alun WILLIAMS Manchester, 1961 Alun Williams mène des enquêtes tout à fait particulières et romanesques sur l’histoire et la vie de personnages historiques qu’il choisit de peindre : Jules Verne, Edgar Poe, Giuseppe Garibaldi. Ces investigations le poussent à effectuer des recherches biographiques approfondies tout comme à arpenter les lieux fréquentés par le sujet étudié à la recherche de taches qu’il introduira par la suite dans sa peinture. Les œuvres d’art et les portraits sont également une source essentielle dans la compréhension et la perception collective du personnage. Alun Williams rencontre Matisse lors d’une enquête menée sur la vie et la représentation de la Vierge. Les figures religieuses intéressent l’artiste pour leur capacité à représenter un symbole, une histoire davantage qu’un portrait réaliste. Dans God and Multiple Virgins, il croise La Madone à la Prairie de Raphaël à une étude de Matisse pour la Vierge de la chapelle du Rosaire à Vence. Le portrait a été réalisé d’après Monique Bourgeois, aide-soignante et modèle du maître. Entrée dans les ordres, Sœur Jacques Marie joue un rôle crucial dans la construction de la chapelle, conçue par Matisse dans sa totalité. La peinture d’Alun Williams intègre Marie dans un intérieur mêla nt l’architecture de L’ A n n o n c i a t i o n de Raphaël à l’environnement créatif du peintre moderne dans son atelier au Régina à Nice (le dessus de porte, le trépied, le miroir ainsi que les motifs géométriques du sol). Sur le trépied, il place, à l’image d’un portrait sculpté, une tache de peinture trouvée sur le lieu de naissance de la Vierge . À droite, l’espace est ouvert sur l’extérieur. Le paysage de l’arrière-plan reprend celui du tableau de Raphaël. Trois taches de peinture extraites d’œuvres de Picabia, Schnabel et Dali apparaissent comme des portraits. Alun Williams aborde la peinture comme une image mentale s’imprimant dans notre mémoire : le portrait historique laissant place à une idée de la Vierge et à la fabrication d’une image. Le contexte de création et la nature des images sont ainsi mis en situation. Vincent BIOULÈS Montpellier, 1938 Très tôt associé à Supports/Sur faces, Vincent Bioulès développe une œuvre figurative dont les thématiques renvoient sans conteste à Henri Matisse. Dans La Sonate, l’artiste fait la synthèse de plusieurs tableaux du maître. À gauche, il intègre le piano du Pianiste et joueurs de dame, préfère les joueurs de dame et la cheminée de La Famille du peintre, ajoute le Violoniste à la fenêtre. L’intérieur évoque aussi la salle à manger de Bioulès à Montpellier qu’il peint entre 1979 et 1983. Les objets propres à son vocabulaire font leur apparition : le treillage comme métaphore du châssis du tableau, l’arrosoir, les vases aux motifs floraux, mais aussi l’escargot, les poissons et les outils du peintre... Au centre, l’artiste représente le tableau qui, posé sur un chevalet, renvoie à la thématique de l’atelier telle que l’a développée Matisse. De ce dernier, il reprend également la confusion optique, rendue possible par l’artifice d’un miroir disposé au centre de la composition et par la fenêtre qui, à l’image de celle de Matisse, fonctionne comme autant d’allers-retours entre figuration et abstraction, intérieur et extérieur, cadrage et champs chromatiques. Toute illusion de profondeur est annulée, insistant sur la porosité des choses, de l’espace et du monde. La touche, alternant aplats de couleur et dégradés marqués par les notes saccadées du pinceau, participe à cette imbrication des surfaces. L’aplatissement des surfaces , l a s atura tion des c oul eurs , l ’a m bi guï té de la déli m itation spatiale des objets ou plutôt leur fusion, ainsi que ce mélange d’étrangeté et de joie de vivre qui se dégage de certains tableaux de Matisse, apparaîssent comme autants de leçons de peinture matissiennes. « Bioulès assume ainsi le double héritage de l’œuvre de Matisse : le français et l’américain ; celui qui fait cohabiter un sujet figuratif dans un espace abstrait. »* * Nathalie Bertrand, « Les intérieurs ‘’matissiens’’ » in Vincent Bioulès, Parcours, 1965-1995 : Le paysage à Marseille dans les années 1990 - Toulon : Musée de Toulon / Athanor, 1995, p. 90. Robert COMBAS Lyon, 1957 Dès le début des années 1980, Robert Combas élabore une nouvelle peinture figurative aux côtés de Rémi Blanchard, François Boisrond et Hervé Di Rosa. Baptisée par Ben « La Figurati on Libre », cette peinture rejette les codes de représentation classique et s’inspire du rock, de la culture underground et de la bande dessinée. Pour cette génération d’artistes, la citation des grands maîtres n’est pas de mise, ils préfèrent la culture populaire et contestataire. Combas réalise toutefois un hommage au maître moderne. Mais le titre de l’œuvre renvoie tant à Matisse qu’au modèle Maïté, comme s’il devait autant à l’un qu’à l’autre. Dans le coin supérieur droit, telle une vignette, une jeune femme est lascivement allongée dans un hamac, la tête rejetée en arrière, les jambes repliées et écartées, les seins sortant du gilet défait. Elle se réfère aux odalisques et tout particulièrement à une Odalisque de 1923 de Matisse. Le reste de la composition est envahi par des dessins et des inscriptions jubilatoires et luxuriants. Dans cet entrelacs de motifs colorés, une ronde de personnages rouges se dessine et évoque La Danse de Matisse. Hommage ou reprise débribée et insouciante ? Cette joyeuse bacchanale sent les îles et rappelle le voyage en Polynésie de Matisse. Un hymne à la joie de vivre criant, extatique et sensuel ; une « peinture baroque et dionysiaque » pour reprendre l’analyse de Michel Onfray. Cynthia LEMESLE & Jean-Philippe ROUBAUD Paris, 1974 Cannes, 1973 Lemesle et Roubaud produisent une œuvre abondante et complexe, mêlant à de multiples références, une approche critique sur le statut des images. Non sans humour, ils multiplient détails et anecdotes, creusant inlassablement les significations. Combinant aussi bien les styles que les techniques (des savoir-faire ancestraux aux nouvelles peintures industrielles en passant par l’artisanat), Lemesle et Roubaud créent des installations souvent anachroniques aiguisant la curiosité du spectateur. Ils réalisent pour l’exposition un papier peint bleu et blanc rappelant les papiers découpés Polynésie, le ciel et Polynésie, la mer, réalisés par Matisse en 1946. Les motifs, tout en évoquant la matérialité de la peinture, rejouent dans un faux test de Rorschach, des figures chères à Matisse : oiseaux, coraux, végétaux, femmes à l’amphore. Les rehauts d’ombres dessinés à la main font émerger du mur, un drapé, produisant une ambiguïté quant à la nature de l’œuvre. Ce décalage renvoie autant à l’origine même du médium (où l e papier éta i t réel lem ent pei nt) qu’à l a tra di ti on de l a r e p r é s e n tation d’un pli (du voile de Parrhasios qui avait trompé Zeuxis lors d’un concours de peinture* aux rideaux peints par Raphaël dans la chapelle Sixtine en passant par le voile de Sainte Véronique). Sur ce fond rappelant le goût de Matisse pour les tissus et la profusion décorative depuis sa formation à l’école Quentin de La Tour du Cateau-Cambrésis destinée aux dessinateurs en textile, Lemesle et Roubaud accrochent une aquarelle représentant un voile tenu par deux oiseaux. Peinte dans un style naturaliste, elle fait référence au dispositif plastique du tableau dans le tableau, récurrent dans l’œuvre de Matisse. Sur un guéridon, une céramique accueille des ouvrages au crochet qui s’inspirent de formes aquatiques matissiennes. Placés sous verre, ils sont un monde dans un monde qui rappelle les intérieurs imbriqués de Matisse. Enfin, un des pans du papier peint roule sur le sol et s’invite dans l’espace d’exposition comme pour rendre hommage aux leçons matissiennes présentes dans les recherches de Supports-Surfaces. C’est une belle interrogation du Pattern Painting que nous proposent ici Lemesle et Roubaud. * Parrhasios avait trompé Zeuxis lors d’un concours de peinture : Zeuxis avait peint des grappes de raisin tellement réalistes que les oiseaux tentaient de les picorer. Fier, il va pour ôter le drap qui recouvrait la toile de son rival et se rend compte qu’il s’agit d’un trompe-l’œil. Si son oeuvre avait trompé les animaux, celle de Parrhasios avait trompé l’œil humain, qui plus est celui d’un peintre. Zeuxis reconnaît sa défaite. Thierry LAGALLA Cannes, 1966 Après l’affiche associant Les Poissons rouges de Matisse à La Pisseuse de Picasso, Thierry Lagalla s’invite dans le dialogue entre les deux ténors de l’art moderne dans une installation réalisée spécialement pour l’exposition. Thierry Lagalla refait, d’après une photographie observée dans le catalogue de l’exposition « Matisse-Picasso » qui s’est tenue au Grand Palais à Paris en 2003, la vue que Matisse avait depuis son lit au Régina, à la fin de sa vie. Sur une fausse cheminée et un faux carrelage, il place l’image imprimée du tableau Paysage d’hiver, prêté par Picasso à Matisse (après que ce dernier ait mis en doute son art du paysage). De l’irrévérence ironique à la chanson d’amour, cette reconstitution mêlant décor en carton-pâte, trompe l’œil et support imprimé contrefait le pouvoir des images et leur volonté illusionniste. Elle nous invite, dans une fausse intimité, à assister au spectacle de l’histoire de l’art, histoire dans laquell e Lagalla adore entrer en empruntant la fenêtre. Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LES NATURES MORTES Herman BRAUN-VEGA Lima, 1933 Né au Pérou, Herman Braun-Vega est un artiste autodidacte. Usant de la citation, ses tableaux empruntent des personnages issus de la peinture de Vélasquez, Picasso, Ingres ou Matisse, qu’il associe à des scènes de la vie quotidienne d’Amérique du Sud. Cette peinture qui, finalement parle de peinture et de son regardeur, fait fusionner différentes cultures et époques. Le métissage et le syncrétisme qui sont à l’œuvre interrogent aussi bien notre capacité à voir qu’à créer des images, comme c’est le cas dans Lumière Tahitienne (Matisse) : Matisse y observe une nature morte exotique, le pinceau à la main, avec à ses côtés deux polynésiens posant leur regard sur la peinture occidentale. La femme est dévêtue et joue avec un papier découpé bleu, le j eune hom m e de dos rega rde l es deux silhouettes bleues de l’arrière-plan. L’une d’elles est tirée directement du Nu bleu II de Matisse, l’autre fait fusionner la première avec une figure de Aha oe feii eh (Quoi ? Tu es jalouse ?) de Paul Gauguin. À gauche, on reconnaît La Danseuse créole du maître de la modernité. Deux espaces s’entrechoquent : celui, réaliste, où prennent place les personnages et celui qui, métaphoriquement, représente le monde de la peinture. Sur le fond de scène, les fenêtres, les aplats de couleur vive et les papiers découpés de Matisse abolissent toute perspective. Ainsi, les deux polynésiens opèrent un lien entre l’espace du spectateur et l’espace de la peinture, mais aussi entre les différentes cultures et époques. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Braun-Vega a choisi de faire dialoguer Matisse avec Gauguin. Nourris par la lumière et l’exotisme tahitiens, ces deux artistes ont séjourné en Polynésie et illustrent la richesse d’un échange socioculturel, cher à l’artiste péruvien. Paola RISOLI Milan, 1969 À partir de matériaux de récupération, Paola Risoli crée des mondes miniatures, bricolés et intimistes qu’elle exploite également par le biais de la photographie et de la vidéo. Plus récemment, l’artiste niche ses saynètes dans des barils recyclés. Le spectateur est alors invité à se rapprocher des fenêtres découpées dans le métal pour se plonger dans ces univers secrets. Les contrastes entre l’intérieur et l’extérieur, entre les matériaux bruts et la finesse des détails, entre l’exigence physique de la mise en œuvre et la délicatesse du résultat sont subtilement construits. Malgré leur caractère rudimentaire, ces décors « autoéclairés » génèrent des ambiances quasi cinématographiques. Conçue spécialement pour l’exposition, l’installation In Matisse met en scène la vie et l’oeuvre du maître moderne et nous projette dans les coulisses de la création. Deux barils accueillent des morceaux choisis scénarisés par l’artiste pour nous immerger « dans » Matisse. On reconnaît des outils du peintre (papiers découpés, ciseaux, fusain placé au bout d’une perche), des objets de son quotidien (lunettes, volière), des fragments de ses œuvres recomposés (Poissons rouges réalisés à partir d’un bocal de cuisine ; verre, chaise, table et sculptures de L’Atelier rouge, Danse en fil de fer, portrait imprimé et découpé de la femme d’Harmonie en rouge) et une photographie du maître. La présence de la cuisine conforte la fiction d’un décor reconstitué et vivant, avec ses ombres et ses lumières, ses ouvertures et ses recoins. Un dispositif composé de quatre p h o t o g r a p h i e s e t d ’ u n e vidéosurveillance (par webcam) restituent des points de vue non appréhendables par le spectateur. Dans ce montage silencieux, images fixes et en mouvement complètent notre perception. L’installation est conçue comme un intérieur subjectif et un atelier de création. À l’image de L’Atelier rouge de Matisse, il est composé d’une multitude de tableaux dans le tableau, à la tonalité lumineuse envahissante. Loïc LE PIVERT Nice, 1972 « Jamais un coup de dés n'abolira mon bazar. Si je vous disais que ma participation à cette exposition est sans doute le fruit du hasard, n'allez pas croire pour autant que je la considère illégitime... De même que Matisse est arrivé à la peinture par hasard après avoir rencontré un peintre du dimanche, mon travail est souvent induit par les événements fortuits du quotidien. Les dessins figurant dans l'exposition, bien que majoritairement réalisés pour l'occasion, s’intègrent pleinement dans une série qui est en cours depuis le 1er mai 2006. Je suis venu au dessin en quelque sorte pour satisfaire les exigences d’une employée de l’ANPE qui souhaitait avoir une trace de mon emploi du temps. Nés de la précarité et du désœuvrement, ces dessins, qui dès le départ ont eu pour lieu de diffusion le net*, se présentent comme une sorte de journal intime faisant l’état des lieux de mes actes manqués. D’ailleurs au départ, je les avais appelés Aujourd’hui je n’ai rien fait, titre que j’ai fini par remplacer par La Pratique de la procrastination. Il faut dire que si ces dessins sont bien nés un jour chômé, ils ne tiennent pas vraiment leurs promesses dans la mesure où ils nécessitent une activité quotidienne qui passe par la prise de vue d’événements inframinces et par leur retranscription poétique en dessin, ce qui occupe le plus clair de mon temps. Chaque dessin est accompagné d’une phrase qui peut prendre parfois l’apparence d’un paragraphe entier que d’aucuns jugeront fastidieux à lire ou alors franchement drôle. Cet élément textuel est indissociable de l’image produite et cherche surtout à accompagner le regardeur au fil de l’immersion qu’il effectue dans le dessin. Un tel accompagnement ne va pas sans prises de latitude ni approximations. Il est plausible d’entrevoir dans cette série une sorte de story-board inachevé, mais si ces dessins s’apparentent à une narration, il est clair qu’à l'idée d'indiquer un quelconque sens de lecture, se substitue régulièrement la tentation d'indiquer un chemin de traverse. De là mon travail pourrait se résumer à une recherche des correspondances entre plusieurs couches d'interprétations possibles de situations données qui peuvent aussi bien relever de ma vie domestique, de mes rencontres que du regard que je pose sur le monde. Un livre, un film ou un disque peuvent ainsi déclencher toute une série d’associations d’idées qui avancent par ricochets et s’enrichissent de multiples jeux sémantiques au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de leurs origines. J'assimile le quotidien comme étant autant un vaste jeu vidéo à ciel ouvert parcouru souvent en vue subjective, qu'une installation étrange ou bien une comédie humaine où il serait néanmoins question de films de gladiateurs. » Loïc Le Pivert, mai 2013 * lapratiquedelaprocrastination.com Isabelle GIOVACCHINI Nice, 1982 Isabelle Giovacchini travaille l’évanescence et l’épiphanie des images par différentes techniques et notamment par la photographie. Leurs détournements et manipulations, qui sont de l’ordre de l’ « inframince », expérimentent l’instant incertain entre l’appariation et la disparition des figures et des formes. La question de la reproductibilité traverse l’ensemble de sa dém arche protéi form e. Im prégnée pa r l ’hi s toi re de l a photographie et les sciences inexactes, l’œuvre d’Isabelle Giovacchini est volontairement fragmentaire et parcellaire. Basée sur la latence (ce qui est caché mais peut à tout moment se manifester), elle use d’images et d’objets qui convoquent mémoire et souvenirs dans une esthétique minimale : verres brisés, toiles blanches percées à la main par une épingle, développements photographiques incomplets, radiographies, négatifs de bulbes de tulipes germés, etc. Isabelle Giovacchini met au point un procédé photographique l a c una i re nomm é « Mehr Licht » (« Plus de lumière ») qui participe d’un dysfonctionnement des modalités d’exposition et d e développement, comme si le réel n’avait de cesse d’échapper à la technique. Au contact prolongé de la lumière, le papier photo se colore en une teinte rosée presque fanée où l’image reste dans l’attente d’une révélation qui n’adviendra pas. Après avoir expérimenté cette technique sur des notes chorégraphiques de Raoul-Auger Feuillet, un monochrome de Klein ou l’abat-jour de Man Ray, Isabelle Giovacchni a souhaité pour cette exposition, s’accaparer d’un vitrail de la chapelle du Rosaire de Vence. L’artiste tire parti des propriétés du vitrail (l umière, c ouleurs , déc oupes en pl om b) pour créer un polyptique fragmenté en six photogrammes non révélés qui restituent de manière spectrale le vitrail, véritable « boîte à lumière » expérimentale prolongeant ses réflexions sur la matérialisation et la dématérialisation. LES NATURES MORTES Le genre pictural de la nature morte est intrinsèquement lié à la recherche de la ressemblance. Chez Matisse, au contraire, il est un prétexte à peindre des objets récurrents de manière changeante. C’est pourquoi le peintre se plaît à s’entourer d’items qui lui sont chers et à construire l’image d’une mise en scène sans cesse renouvelée. Ces objets fétiches e t d e provenances diverses cohabitent dans un univers intimiste. Le maître donne une identité à ces sujets inanimés comme au fauteuil rocaille vénitien qu’il chine en 1942 et portraiture à plusieurs reprises. Les œuvres choisies pour l’exposition insistent sur le renouvellement du genre opéré par Matisse d’un point de vue décoratif et de manière fort différente d’un Picasso à la même époque. Malcolm MORLEY Londres, 1931 L’œuvre de Malcolm Morley se reconnaît tant par ses sujets (bateau, mer, voyage, sport, guerre) que par leur traitement plastique caractérisé par une mise au carreau. L’artiste reproduit fidèlement des images existantes (cartes postales, dépliants publicitaires, photographies) par la technique traditionnelle de la peinture à l’huile. Le report sur quadrillage lui permet d’annihiler le geste de la main. Proche de l’Hyperréalisme, son oeuvre aborde la question de la représ enta ti on du réel et sa reproductibilité mécanique en deux dimensions. La planéité de la peinture est soulignée par la présence d’un liseré blanc. Parfois, l’image représentée a subi des détériorations (froissements, déchirures) comme dans Disaster. Cette œuvre comporte toutefois un caractère autobiographique très marqué. À la fin des années 1970, l’artiste use de ses propres aquarelles qu’il juxtapose et agrandit dans un style moins léché, qui annonce la Bad Painting (courant pictural influencé par les arts de la rue). La peinture présentée dans l’exposition s’inspire librement du Fauteuil rocaille de Matisse. Éloignée de l’original, elle reprend un cadrage étroit d’un dos de chaise de style Rocaille. La touche est souple et large alors que les incisions accentuent le caractère ornemental de la peinture et du motif Régence. Pierre Buraglio Charenton-le-Pont, 1939 Pierre Buraglio fit partie du « moment » Supports-Surfaces (pour reprendre une expression chère à Bernard Ceysson). Entretenant une relation profonde et fondatrice avec l’œuvre de Matisse, Buraglio s’intéresse dès 1978 à la Porte-Fenêtre à Collioure et en réalise un dessin sur calque en 1979 (Dessin d’après…Matisse – Porte-fenêtre à Collioure 1914, 120 x 98 cm, reproduit in cat. Chambéry, 1984). « À ce propos, dit-il, tous les Dessins d’après… se veulent l’application de la leçon matissienne ». Cet exercice est donc pour lui un moyen de « sortir de l’individualité de l’artiste » (dixit Matisse) avec une pointe de nostalgie vis-à-vis de la peinture classique. En 1980, il reprend Le Fauteuil rocaille de Matisse qu’il a pu contempler au musée Matisse de Nice quelques années auparavant et il note : « Fauteuil Rocaille-Matisse 1943. Vu à Cimiez. 92 x 73 cm. La grandeur du geste envahissant la page confirme la force des petits formats. Relecture du plein et du vide. Couleur bloquée en angles qui enserre les lacis intérieurs qui veulent rompre les cordes. Un marron ; un jaune ; un vert. » Décliné en cinq variations, Pierre Buraglio reprend le cadrage très serré retenu par Matisse qui lui donne ce caractère anthropomorphe. L’artiste déploie dans cette série différentes techniques : craie, fusain, peinture, crayon de couleur, découpe et collage. Cette expérimentation des matières et des surfaces répond à l’objet portraituré mais aussi à l’amour de Matisse pour ses objets. Tout est ramené au même plan. Les arabesques des accoudoirs et des pieds du fauteuil enserrées créent une intimité particulière faite de silence et de vide. Il retient de Matisse (souvent via Hantaï) la distance qu’il entretient avec ses tableaux, le silence qui s’en dégage, la couleur délivrée, le bleu, la mise à plat, la découpe, etc. * Pierre Buraglio in Pierre Buraglio - Paris : MNAM, Centre Pompidou, 1981. Sarah MOON Paris, 1941 Née au sein d’une famille juive sous l’Occupation, ce n’est qu’en 1970 que Sarah Moon s’intéresse à la photographie après des études de dessin en Angleterre et une carrière dans le mannequinat. Aujourd’hui principale représentante de la photographie de mode dite « impressionniste », elle a continué à travailler dans ce domaine pendant quinze ans (particulièrement pour Cacharel) avant de se consacrer à une photographie plus personnelle et artistique. Sarah Moon développe une œuvre basée sur la notion du souvenir, du souvenir d’enfance notamment, puisque la sienne fut marquée par l’exil. C’est probablement cette tentative impossible de transmettre une intimité, un vécu qui fait la force poétique de son art. Sarah Moon sait combien les images sont trompeuses, c’est pourquoi elle restitue dans ses photographies altérées et parfois nébuleuses, le caractère évanescent et fragmentaire de la mémoire. Elle établit des correspondances et des associations, allie le réel à l’absent. Ses œuvres qui refusent la monumentalité ou la littéralité, préfèrent la discrétion, la confidentialité et les moments latents. Devant ses clichés, on est souvent frappé par un sentiment d’inquiétante étrangeté qui peut jaillir du quotidien comme c’est le cas devant Les Citrons. L’image rappelle un souvenir qui peu à peu se dissipe alors qu’on souhaite le garder en mémoire. D’un souvenir d’enfance, elle en appelle un autre, L’Intérieur rouge, nature morte sur table bleue de Matisse. L’image est vibrante. Tout semble faire partie d’une même chair du monde pour reprendre les mots du philosophe Merlau-Ponty. La nature morte est actualisée. Le fond rouge, sur lequel se détache un motif en zigzag, est prégnant alors qu’il ne reste de la fenêtre de Matisse qu’un reflet étrange. Sarah Moon ne cite pas l’œuvre du maître, elle restitue le souvenir vivace d’un tableau, imbriqué à une histoire plus personnelle. L’œuvre de Matisse est désormais sienne. Marco del RE Rome, 1950 L’œuvre de Marco del Re est marquée tant par la tradition classique que par la peinture moderne, la mythologie et la littérature. Le nu, la nature morte et les intérieurs sont des thématiques qu’il partage avec Matisse. Dans Palette d’objets, l’artiste s’est inspiré d’une photographie trouvée dans le livre de Louis Aragon*. Cette photographie réalisée par Hélène Adant, à la villa Le Rêve à Vence en 1946, sur la demande d’Aragon, représente une mise en scène d’objets par Matisse pour l’une de ses compositions picturales. Alité, Matisse recrée des univers à peindre à partir d’objets et de tissus qui lui sont chers. Marie-France Boyer explique très bien cette atmosphère particulière : « Depuis sa grave opération de 1941, il a très peu peint. Il doit souvent rester couché. C’est pourquoi il tente de récréer autour de lui une sorte de paradis artificiel. Parmi les objets, il y a une sorte de hiérarchie établie par le temps. […] Mais les tables octogonales mauresques, le pot en faïence bleu et blanc un peu ébréché «Tabac Royal», les ribambelles de compotiers blancs, de vases chinois bleus et blancs dodus, les aiguières orientales à long bec et les verres à vin du Rhin se retrouvent tout au long de son travail. C’est toute l’intensité de sensation et de souvenirs concentrés dans ces petits ustensiles, année après année qu’il cherche chaque fois, et dans chaque toile, et à capter et à transmettre. »** Louis Aragon pense que les objets sont à Matisse ce que les mots sont au poète et qu’il en dresse chaque fois un nouveau portrait. Marco del Re poursuit ce parti-pris et réalise plusieurs versions d’intérieurs où le goût des objets, des tissus, des palmes et du décoratif, refait surface jusqu’à saturation de la toile. La dominante rouge du tableau rappelle bien évidemment les intérieurs rouges de Matisse mais aussi certaines natures mortes dont Vaisselle et fruits sur un tapis rouge de 1906. * Louis Aragon, Henri Matisse, roman - Paris : Gallimard, 1998. ** Matisse à la villa Le Rêve - Lausanne : La Bibliothèque des Arts, 2004, p. 36-41. Thierry LAGALLA Cannes, 1966 Comme on a pu le voir avec l’affiche Totjorn rotge (Always Red), 2011 associant Les Poissons rouges de Matisse à La Pisseuse de Picasso, Thierry Lagalla émulssionne culture populaire et artistique. La peinture Acanthes (Les), réalisée pour l’exposition, fonctionne comme un décor reconstitué d’une histoire qui n’a pas eu lieu. La scène prend place devant le Paysage marocain (Acanthus) peint par Matisse en 1911 et s’amuse de la relation qui unit le maître à la musique. Pour parfaire son contre-chant, l’artiste convoque « The Genius » (l’ingèni), Ray Charles. Le lien entre Matisse et Ray Charles, les acanthes : « A-canthes Stop Loving You ». Thierry Lagalla s’approprie tous les détails de la pochette du disque et rej oue en pei nture l es effets des pa pi ers déc oupés, représentant l’histoire complète de Matisse avec l e s p a l mettes des peintures fauves des années 1910 jusqu’aux papiers découpés des années 1940. Au centre du décor, Thierry Lagalla, en indigène de la peinture, remplace « le Ray » (Charles). L’autoportrait est solennel. Il renvoie à la peinture d’histoire. Le bricolage et la parodie génèrent cependant une esthétique à mi-chemin entre la carte postale et le roman-photo où sont représentés de nombreux autres genres (paysage, autoportrait, affiche publicitaire) et styles (réalisme, fauvisme, collage). De l’irrévérence ironique à la chanson d’amour, Lagalla se joue des codes pour faire sens et creuse le champ des significations. Voir aussi LES POISSONS ROUGES et LES INTÉRIEURS Gérald THUPINIER Moulins, 1950 Amateur de philosophie et de littérature, ce peintre singulier ne cesse d’expérimenter et de repousser par un travail sur la matière les limites entre abstraction et figuration, apparition et disparition. Les références à l’histoire de l’art n’émanent pas d’un simple plaisir citationnel mais d’une réelle filiation où Giotto et Matisse sont des points d’ancrage. « Matisse gribouille » prend ses sources dans une série de 158 dessins réalisés par Matisse à la plume, au crayon et au fusain. Publiée en 1953 sous le titre « Thèmes et variations », celle-ci est classifiée sous 17 thématiques par ordre alphabétique (de A à P) comprenant chacune entre 3 et 19 variations. Préfacé par Aragon, l’ouvrage recueille un travail graphique initié en 1941 suite à une importante opération affaiblissant l’artiste. Gérald Thupinier revient sur la série H. Travaillant l’évanescence des motifs de l’herbier, il utilise la technique du collage, combine encre de Chine, noir de fumée et huile sur papier. Dans ces dessins faussement monochromes, coulures, empâtements et empreintes révèlent l’implication subtile de la main et du corps de l’artiste. Le titre choisi par Thupinier insiste et ironise tant sur le caractère fragile et instantané des dessins que sur l’aspect « mal peint » de l’œuvre de Matisse mis en avant par les détracteurs de la modernité. La maladresse de la gribouille rend hommage à l’expérimentation matissienne et à son travail en série et variation. Guillaume PINARD Nantes 1971 Par le biais d’une pratique protéiforme, Guillaume Pinard développe un travail autour du dessin. Œuvres sur papier, fresques au fusain, peintures à l’huile, animations vidéo, installations, structures et éditions constituent un champ d’expression où prolifère une mythologie personnelle. Références à l’histoire de l’art et à la culture populaire s’entrecroisent pour créer des histoires pour adultes aux allures de bandes dessinées ou de livres pour enfants. Pour l’exposition, l’artiste reproduit à l’échelle de l’espace de l’exposition le premier tableau signé du maître : Nature morte aux livres de 1890, conservé au musée Matisse de Nice. Le caractère intime et privé de la petite nature morte, somme toute classique, se voit projeté à l’échelle de l’espace muséal. Cet agrandissement démesuré modifie notre perception de l’œuvre et en propose une nouvelle approche. La matérialité et la pérennité de la peinture à l’huile disparaissent au profit des effets vaporeux du fusain sur le mur. La monumentalité et la sensibilité volatile du dessin immergent totalement le spectateur. L’échelle de l’image contraste avec le caractère précaire, éphémère et fragile de la technique utilisée. La détérioration de cette peau souple et vulnérable se manifeste durant le temps de l’exposition avec le passage et le souffle des visiteurs. L’intérêt de l’artiste pour la perdition et la dématérialisation de l’image se retrouve dans son mode de récupération. Extraite d’Internet, celle-ci a déjà subi une perte d’information importante. À ces altérations s’ajoute le filtre chromatique. Les couleurs de l’œuvre référent laissent place à des noirs profonds et des nuances de gris. La notion de la reproductibilité des œuvres d’art est abordée par un travail in situ, contextuel et physique. Conférant au dessin une fonction d’étude et de relecture, et à la pratique de la copie, un rôle de transmission et de diffusion, l’artiste nous renvoie à la question du plagiat, de l’originalité et de l’essence même de la démarche artistique. Conception et réalisation : Gilbert Perlein et Rébecca François Montage : Orane Robiolle Documentation : Clémence Amoretti, Estefania Radnic, Orane Robiolle Henri Matisse 1869 Henri Matisse naît le 31 décembre au Cateau-Cambrésis, dans le Nord. 1887 Matisse commence des études de droit à Paris. 1891 Matisse abandonne le droit pour se consacrer à la peinture. 1892 Gustave Moreau, peintre membre de l’Académie des beaux-arts, admet Matisse dans son atelier. 1904 Matisse passe l’été à Saint-Tropez. 1905 En avril, Matisse expose Luxe, calme et volupté au Salon des indépendants ; au Salon d’automne, sa Femme au chapeau est remarquée et fait de lui le chef de file des Fauves. 1910 Matisse expose La Danse et La Musique au Salon d’automne, qui lui ont été commandées par le collectionneur russe Stschoukine. 1912 Matisse découvre la lumière du Maroc. 1913 Matisse expose à l’Armory Show de New York puis de Chicago. 1917 En décembre, Matisse s’installe à Nice, à l’hôtel Beau-Rivage. 1921 Désormais Matisse vit près de la moitié de l’année à Nice. 1930 À la recherche d’une « autre lumière » et d’un « autre espace», Matisse entreprend un voyage à Tahiti. 1931 Matisse commence La Danse pour Alfred Barnes, rue Désirée Niel à Nice. 1934 Lydia Delectorskaya devient son modèle puis son assistante. 1941 Souffrant d’un cancer, Matisse est hospitalisé à Lyon ; avant d’être opéré, il déclare à ses médecins : « Donnezmoi les trois ou quatre ans dont j’ai besoin pour conclure mon œuvre. » Le destin lui accordera un sursis de treize ans. 1945 Matisse travaille à la rétrospective que lui consacre le Salon d’automne. 1946 Hélène Adant inaugure un reportage photographique sur Matisse, qu’elle poursuit jusqu’à la mort de l’artiste ; première exposition de Matisse à Nice. 1948 Rétrospective Matisse à Philadelphie ; Matisse se lance dans la création de la chapelle du Rosaire pour l es Dominicaines de Vence, qui sera inaugurée en 1951. 1952 Après avoir achevé La Tristesse du roi, Matisse réalise la série des Nus bleus puis travaille à des compositions monumentales en papiers découpés dont La Piscine. 1954 Matisse meurt à Nice le 3 novembre ; il est inhumé au cimetière de Cimiez.