Impact du droit communautaire sur la fonction publique française
Transcription
Impact du droit communautaire sur la fonction publique française
Actualité Impact du droit communautaire sur la fonction publique française En 1957, soit cinquante ans cette année, un noyau d’Etats européens signent à Rome le Traité éponyme instaurant entre eux la Communauté Economique Européenne. Cinquante ans, sept traités et vingt-sept Etats plus tard, les institutions européennes (le Parlement européen, le Conseil des Ministres et la Commission européenne) font naître régulièrement un grand nombre de règles juridiques regroupées par les spécialistes sous le vocable de « droit communautaire » (ou européen). On parle alors de droit dérivé par opposition au droit primitif contenu dans les traités. Les règles juridiques les plus connues sont les fameuses directives européennes qui permettent de fixer, au niveau européen, des résultats à atteindre tout en laissant aux instances nationales les moyens et méthodes pour y parvenir(1). Elles sont assorties d’une date limite de transposition à laquelle les Etats membres doivent permettre leur entrée en vigueur sous peine de fortes sanctions pécuniaires. La France, ayant aujourd’hui transposée 98,8% des directives existantes(2), souhaite encore améliorer son taux de transposition à la veille de sa présidence européenne prévue pour le second semestre de 2008. Parallèlement, la Cour de Justice des Communautés Européennes statue sur la conformité aux engagements européens des décisions nationales, créant de fait une importante jurisprudence qui contraint alors les Etats membres et leurs institutions. Bien qu’ignorée des compétences propres de l’Union européenne, la fonction publique est largement impactée par les décisions bruxelloises. 4 En effet, l’Union européenne ne reconnaît pas les fonctionnaires en tant que tels. Ils sont considérés comme des «travailleurs», au même titre que les salariés du secteur privé. De ce fait, ils sont concernés par les directives relatives au marché du travail et à la mobilité professionnelle. Ainsi, l’Union européenne est intervenue pour fixer le champ des emplois accessibles aux ressortissants communautaires, l’équivalence des diplômes, les procédures de recrutement, les règles relatives au renouvellement des contrats dont bénéficient les agents non titulaires, la situation des agents travaillant dans une structure reprise en régie par un service public ou encore sur les modalités de représentation des personnels. L’européanisation de la fonction publique est déjà une réalité Depuis la loi du 26 juillet 1991, la France autorise les ressortissants communautaires à accéder aux corps de la fonction publique ne participant pas à l’exercice de la puissance publique. C’est sur cette base légale que 80% des Echos de la Fonction Publique - N° 213 Mai/Juin 2007 emplois (incluant l’ensemble du secteur de l’enseignement) sont aujourd’hui ouverts. En juillet 2005, le Parlement français adopte la loi n° 2005-843 comportant plusieurs volets pour améliorer cette intégration : – l’actualisation des régimes et conditions requises pour concourir aux différents concours des trois fonctions publiques ; – l’existence d’une présomption de la « puissance publique » non plus par corps mais par emploi – concept développé par la Cour de Justice des Communautés européennes depuis 1980 – incluant de fait la nécessaire rédaction de fiches de postes, de formaliser des missions et de concourir ainsi à la définition d’objectifs et d’évaluation des résultats ; – la transposition de la directive 99/70 de juin 1999 tendant à encadrer le renouvellement de contrats à durée déterminée. Afin de préserver le principe de l’accès par concours et d’éviter les situations de précarité, tous les contrats à durée déterminée, renouvelés au-delà de six années, entraîneront leur transformation en contrats à durée indéterminée ; – l’instauration de protections contre les discriminations et le harcèlement, en achevant la transposition de trois directives qui consolident et harmonisent les dispositions présentes (les agents non titulaires devenant couverts dans tous les cas de figures) et en réaffirmant le caractère obligatoire de la réintégration après grossesse. Réciproquement, pour assurer la prise en compte des services effectués par des fonctionnaires français dans les autres Etats membres et dans des fonctions comparables (même si elles l’ont été dans un organisme privé), une commission commune aux trois fonctions publiques a été instaurée. Elle est compétente pour se prononcer tant sur la prise en compte des services pour le classement après un accès initial par concours que par la voie du détachement européen. Enfin, dans le dialogue social, une directive du 12 juin 1989 relative aux conditions de sécurité au travail pose le principe de la participation des agents aux instances compétentes en matière d’hygiène et de sécurité. Dans la Fonction publique de l’Etat, ces instances découlent des CTP. Elles ne permettent donc pas de prendre en compte systématiquement, dans le collège électoral, les agents non titulaires, qu’ils soient de droit public ou de droit privé. Cette situation a été condamnée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 10 juillet 2002. Cette décision conduit à changer le mode de désignation des membres du CTP : ceux-ci devraient en effet être élus par un collègue élargi, et non plus désignés par les syndicats au vu des élections dans chaque corps de fonctionnaires. Cette évolution, qui consiste à découpler les CTP des corps et à instaurer une logique de service à côté de la logique des corps, représente un changement important. Elle a été longuement évoquée dans le cadre des discussions plus générales sur le devenir du dialogue social dans la Fonction publique. Une européanisation juridique à l’impact limité D’une manière générale, la Cour de Justice des Communautés Européennes, considérant que les fonctionnaires sont en fait des employés en CDI auprès d’un organisme de droit public, résonne sous forme d’emplois et indique donc que les directives relatives à l’emploi et aux affaires sociales leurs sont applicables dans les mêmes conditions qu’elles le sont pour les employés du secteur privé. De fait, la fonction publique est affectée de plus en plus largement par le droit communautaire, parfois à partir de bases juridiques discrètes. Au-delà de l’accès des ressortissants communautaires à la fonction publique française, d’autres sujets sont influencés par la jurisprudence et les directives N° 214 Juillet/Août 2007 - Echos de la Fonction Publique 5 Actualités (mutuelles, temps de travail…). Il devient alors important de savoir si la Fonction publique a vocation à devenir une matière communautaire à part entière ? Pourtant, toutes ces modifications ont un impact limité sur les fonctions publiques nationales. Seuls 23 000 candidats communautaires se sont présentés aux concours français ces dix dernières années pour 2 800 candidats reçus. D’une manière plus générale, avec la réciprocité du détachement européen, 5% environ des emplois publics sont occupés par des citoyens européens. Une européanisation sociologique à l’impact majeur Fondé en 1981, l’Institut européen d’administration publique (IEAP/ EIPA), basé à Maastricht, soutient les administrations nationales et les institutions communautaires dans leurs tâches et responsabilités en matière d’intégration européenne, par le biais d’activités de recherche appliquée, de formation, de conseil et de publications dans cinq domaines importants : processus politiques et institutionnels, systèmes juridiques de l’Union européenne, gestion publique européenne, politiques régionales européennes, politiques communautaires et marché intérieur. Parallèlement, l’European public administration network (EPAN) est un réseau des administrations publiques européennes, constitué sur une base informelle et respectant l’organisation nationale de chaque fonction publique. Il a pour objectif de partager les savoirs et les expériences en matière de gouvernance publique, afin d’identifier les axes de renforcement et de réforme des administrations publiques, de capitaliser les savoirs, les pratiques et les orientations, dans une perspective de défis communs. Ce réseau est engagé dans la voie d’un dialogue social informel au niveau européen depuis la présidence française de 2000. Enfin, une grammaire commune de la réforme administrative a été adoptée progressivement, sous l’influence du new public management, mouvement d’idées né dans les années 80 et dont la propagation s’est faite par le truchement de l’OCDE et de l’EPAN. La réforme néo-managériale de la fonction publique en France a provoqué le passage d’une culture de respect du droit et des obligations de moyens, à une culture de la performance et des obligations de résultats. Anticiper pour être acteur L’européanisation de la Fonction publique française a longtemps été considérée comme une contrainte. Il est temps aujourd’hui d’abandonner ce discours et d’envisager ce processus comme une ressource. Pour cela, les fonctionnaires et principalement leurs syndicats doivent s’inscrire dans une démarche réformiste et anticipative face à l’Union européenne : – en suivant les procédures en amont, – en collaborant avec les députés européens lors des auditions des commissions, – en imposant un dialogue avec les décideurs nationaux, souvent les mêmes à dire « oui » à Bruxelles et « non » à Paris. ■ (1) Article 189 du Traité de Rome. (2) Communication en Conseil des ministres du 18 juillet 2007. 6 Echos de la Fonction Publique - N° 214 Juillet/Août 2007