FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA FALCONE PALERMO
Transcription
FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA FALCONE PALERMO
FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA FALCONE PALERMO Le mandat d’arrêt européen et la loi italienne d’implémentation Un cas exemplaire de conflit de systèmes Franco Impalà Avocat, LL.M. Collège d’Europe de Bruges contact : [email protected] “Quand ils furent aux frontières des Oreillons : « Vous voyez, dit Cacambo à Candide, que cet hémisphère-ci ne vaut pas mieux que l’autre : croyez-moi, retournons en Europe par le plus court. - Comment y retourner ? dit Candide, et où aller ? si je vais dans mon pays, les Bulgares et les Abares y égorgent tout ; si je retourne en Portugal, j’y suis brûlé ; si nous restons dans ce pays-ci, nous risquons à tout moment d’être mis en broche. Mais comment se résoudre à quitter la partie du monde que Mlle Cunégonde habite ? Tournons vers la Cayenne, dit Cacambo : nous y trouverons des Français, qui vont par tout le monde ; ils pourront nous aider. Dieu aura peutêtre pitié de nous”. François Marie Arouet, dit Voltaire Candide, ou l’optimisme 2 All’Europa all’Italia alla Sicilia di Giovanni e di Paolo 3 Un grand merci à la Fondazione Falcone ma reconnaissance ne suffira jamais Merci aussi à mes tutors de recherche Lorenzo Salazar John Vervaele En stricte ordre alphabétique 4 INTRODUCTION ............................................................................................. 7 I. « L’ETRANGE CAS » DE L’ITALIE ............................................................................. 7 I.1. Loi de transposition ou de négation ? ............................................................ 8 II. CHAOS AUX TORTS PARTAGES................................................................................ 10 II.1 De la nature controversée des décisions-cadre............................................ 10 II.2. La parole à la Cour ...................................................................................... 11 II.3. Une décision-cadre plus soucieuse de l’efficacité que du respect des garanties fondamentales ........................................................................................... 13 III. UN CONFLIT DE SYSTEMES DE PORTEE « EUROPEENNE ». UNE PREMIERE CLE DE LECTURE ........................................................................................................................ 14 CHAPITRE I LE PARCOURS DE L’IMPLÉMENTATION EN ITALIE ........................................................... 18 I. II. HISTORIQUE DE LA POSITION ITALIENNE SUR LE MANDAT D’ARRET ....................... 19 ANALYSE DES POSSIBLES INCOMPATIBILITES CONSTITUTIONNELLES ..................... 21 II.1. Les conflits entre les principes constitutionnels et les normes de droit international dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle............................ 22 II.2. L’inviolabilité de la liberté personnelle. L’obstacle du principe de « détermination suffisante » ( « tassatività »)........................................................... 23 II.3. Le juge naturel préétabli par la loi : un principe cardinal dans l’espace de justice européen ? ..................................................................................................... 25 II.4. La magistrature et le « procès équitable » ................................................... 29 II.5. Les principes constitutionnels concernant l’extradition : les articles 10-4 et 26 de la Constitution................................................................................................. 30 III. L’HESITATION DU GOUVERNEMENT .................................................................. 32 IV. LES DIFFERENTES PROPOSITIONS DE LOI PRESENTEES AU PARLEMENT ............... 32 CHAPITRE II LA LOI DE TRANSPOSITION : UNE MISE EN OEUVRE OU UN PAS EN ARRIÈRE ? ................. 35 I. DISPOSITIONS DE PRINCIPE ..................................................................................... 36 I.1 Le nouveau mécanisme de réserve parlementaire........................................ 38 I.2. Le rôle du Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale ..................... 39 II. PROCEDURE PASSIVE DE CONSIGNE ........................................................................ 41 II.1. Compétence de la Cour d’Appel................................................................... 41 II.2. Refus du mandat d’arrêt pour insuffisance de son contenu et de ses pièces jointes 41 II.3. Cas de double incrimination......................................................................... 43 II.4. La liste des crimes et le retour de double (ou « triple ») incrimination ....... 44 5 II.5. II.6. II.7. II.8. II.9. II.10. II.11. II.12. II.13. Ignorantia legis excusat................................................................................ 46 La compétence sur la requête passive et le déroulement de la procédure ... 47 La décision « sur la requête »....................................................................... 48 Les conséquences du manque de respect des délais ..................................... 49 Les indices graves de culpabilité .................................................................. 50 Les nouveaux motifs de refus .................................................................... 51 Garanties demandées à l’État d’émission et concours de demandes....... 54 Recours en Cassation................................................................................ 54 Autres dispositions régissant la phase passive ......................................... 54 III. PROCEDURE ACTIVE ........................................................................................... 55 III.1. Compétence juridictionnelle et contenu du mandat d’arrêt ..................... 56 IV. DISPOSITIONS TRANSITOIRES ............................................................................. 57 CONCLUSION .................................................................................................. 59 I. UN CONFLIT IRRESOLUBLE ..................................................................................... 59 II. UN CONFLIT DE PORTEE « EUROPEENNE ». UNE DEUXIEME CLE DE LECTURE......... 61 III. RECONNAISSANCE MUTUELLE ET MANDAT D’ARRET: MODE D’EMPLOI.............. 62 6 INTRODUCTION I. « L’étrange cas » de l’Italie 1. Attendue, repoussée, délayée, dernière pierre manquante dans la mosaïque des législations des 25 États membres, la loi italienne de transposition1 de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen2 a finalement vu le jour et est entrée à son tour en vigueur, bien qu’avec presque seize mois de retard vis-à-vis du délai légitime préfixé. Cela s’est produit dans un silence singulier de la part de la presse nationale et internationale, qui pourtant dès le moment des négociations n’avait pas hésité à attaquer lourdement le Gouvernement italien à cause de sa réticence ( réelle ) concernant cet instrument nouveau de coopération judiciaire et de son antieuropéisme ( présumé ). Mais aujourd’hui, les contingences politiques du Vieux Continent nous demandent d’être très attentifs. Le débat sur des innovations si essentielles et délicates comme toutes celles issues du « troisième pilier »3, où l’enjeu est le bien primaire de la liberté individuelle, ne mérite 1 Legge n° 69 du 22 avril 2005, Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri (ci-après la « loi italienne d’implémentation »), publiée dans la Gazzetta Ufficiale n° 98 du 29 avril 2005 et entrée en vigueur le 14 mai 2005, après les 15 jours classiques de vacatio legis prévus par l’article 10 des dispositions préliminaires au Code civil italien. V. l’Addendum du Secrétariat Général du Conseil 8519/05 ADD 1 du 3 mai 2005, disponible sur le site Internet http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/docs/polju/EN/EJN647.pdf. Il faut signaler que la Note précédente, la n° 8519/05 du 29 avril 2005, contenait une faute en ce qu’elle annonçait l’entrée en vigueur de la loi pour la date du 30 mai. V. http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/docs/polju/EN/EJN645.pdf . 2 Décision-cadre du Conseil relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États , n° 2002/584/JAI du 13 juin 2002, JO L 190, 18 juillet 2002 (ci-après la « décision-cadre »). Le texte de la décision-cadre, ainsi que toutes les lois nationales d’implémentation et d’autres informations relatives à l’exécution sont disponibles sur le site Internet du Conseil http://ue.eu.int/cms3_Applications/applications/PolJu/details.asp?lang=EN&cmsid=720&id=135 . 3 Ainsi est défini l’ensemble de normes du titre VI Traité sur l’Union européenne, « Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale », avec les normes de droit dérivé ayant leur base 7 pas d’être contaminé par la rhétorique ou par l’antipathie envers tel ou tel autre Gouvernement national. L’Italie a été le premier parmi les pays fondateurs de la Cee à ratifier la Constitution européenne4, et les Italiens sont traditionnellement parmi les peuples les plus « euroenthousiastes5». Pour quelle raison ce Docteur Jekyll de l’intégration européenne se serait-il soudainement transformé en un Mr Hyde du mandat d’arrêt? Les raisons sont essentiellement de deux types : a) d’ordre politique : la décisioncadre, tout en attribuant aux juges des pouvoirs qui appartenaient classiquement à l’exécutif, touche à un des thèmes les plus sensibles de la vie politique interne du pays, qui depuis plus d’une décennie vit un véritable conflit sans précèdent opposant la classe politique à la magistrature ; b) d’ordre juridique : c’est à ces derniers – souvent sousestimés car confondus avec les premiers – que nous consacrerons notre analyse. I.1. Loi de transposition ou de négation ? 2. Ce silence général qui a suivi la promulgation de la loi italienne semble encore plus étonnant si on considère que celle-ci a tout l’air d’être une loi de négation de la décision-cadre, plutôt que de mère transposition de cette dernière. En d’autres termes, et à moins que cette loi ne devienne pas l’objet d’interprétations du moins forcées de la part des juridictions nationales, l’exécution d’un mandat d’arrêt en Italie risquera de devenir une affaire du moins aléatoire. Car de véritables « ponts d’or » sont offerts aux avocats sous forme de dizaines de nouveaux motifs explicites et implicites de refus qui n’existaient pas dans la décision-cadre. En effet, l’esprit de la loi 69/2005 – hybride métamorphose d’un texte présenté par l’opposition face au nihilisme de la majorité et transformé par cette dernière jusqu’au point d’en subvertir la philosophie qui l’avait inspiré – découle non pas de la confiance mutuelle, mais d’une méfiance larvée à l’égard de la magistrature en soi d’un côté et de tout système juridique étranger de l’autre. Le juge italien sera appelé non seulement à opérer un véritable contrôle sur le fond de la juridique dans cette partie du Traité. Le troisième pilier se distingue du premier pilier, représenté par le droit des Communautés européennes au sens strict, et du deuxième pilier, constitué par les normes du titre V du TUE, « Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune ». 4 Cela a été fait par la voie parlementaire mais à une très large majorité : v. Legge n. 57 du 7 avril 2005, Ratifica ed esecuzione del Trattato che adotta una Costituzione per l’Europa e alcuni atti connessi, con atto finale, protocolli e dichiarazioni, fatto a Roma il 29 ottobre 2004, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n° 92 du 21 avril 2005, Supplemento ordinario n° 70. 5 Selon une recherche réalisée en novembre 2004 et publiée en mars 2005 par l’Eurobaromètre, 72% des Italiens – ce qui représentait le pourcentage le plus haut parmi les 25 pays membres – auraient été en faveur de l’approbation du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, contre une moyenne européenne de 49%. V. The Future Constitutional Treaty – Full Report, disponible sur le site 8 requête, mais aussi à pratiquement juger l’État d’émission et son système constitutionnel sous la loupe des principes fondamentaux du système juridique italien. Sans compter que le principe de la double ou « triple » incrimination de facto redeviendra la règle, alors que la décision-cadre en avait fait l’exception6. Une grande partie de ces difficultés dérivent d’une lacune qui jusqu’à hier était propre du système juridique italien. Il s’agit de la totale émargination du Parlement national par rapport à toutes négociations communautaires. La Camera dei Deputati et le Senato della Repubblica traditionnellement étaient habitués à voir les normes communautaires comme de simples faits accomplis. Cette délégation en blanc à l’exécutif – du moins paradoxale, étant donné que la forme italienne de gouvernement a toujours été définie comme « parlementaire » – était un tant soit peu tolérable dans le domaine du droit communautaire au sens strict, et montrait une fois de plus un haut degré de confiance des institutions nationales dans la construction européenne, cela a cessé d’être le cas lorsque l’Union a commencé à étendre son champ d’action à des domaines habituellement réservés à la souveraineté nationale. Cela était notamment le cas de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, qui touchait à des biens constitutionnellement couverts par une réserve de loi absolue. Il est donc facile de comprendre – au delà de toute considération politique sur l’opportunité et sur le fond de la décision-cadre – les raisons du mauvais accueil que le Parlement italien a réservé à cette « révolution dans l’extradition » : bien que celui-ci n’en partageait pas l’esprit, il ne pouvait plus la remettre sur le tapis. Ainsi l’habituel excès de confiance de la part de l’Assemblée italienne à tout ce qui était made in EU était quasi paradoxalement à l’origine de cette nouvelle forme de méfiance. Heureusement, la leçon a servi à quelque chose. Comme nous le verrons, grâce à une récente réforme du processus de participation des institutions nationales à la phase dite « ascendante » de formation du droit de l’Union européenne, l’introduction d’un mécanisme de réserve parlementaire sera désormais la règle, comme dans d’autres pays européens. En outre, une disposition spécifique à cet égard est aussi contenue dans la loi d’implémentation que nous allons présenter7. http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/ebs/ebs_214_en.pdf . V. para. 25. 7 V. para. 19. 6 9 II. Chaos aux torts partagés 3. La loi 69/2005 semble ainsi pouvoir être attaquée sous le profil de son incompatibilité avec la décision-cadre. Le paradoxe, toutefois, réside dans le fait qu’à son tour la décision-cadre peut être attaquée à cause de son incompatibilité avec certains droits fondamentaux protégés par la Constitution nationale. En effet, il serait injuste d’attribuer toute la responsabilité de cette situation à la maladresse du législateur italien. Les circonstances et les modalités qui ont accompagné l’approbation de la décision-cadre ne demeurent plus un mystère. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’émotivité et le souci de donner un signal fort à l’opinion publique ayant pris la place d’une méditation pondérée, la décision-cadre fut signée en un temps record8. Le résultat fait que nous sommes aujourd’hui en présence d’un outil qui est peut-être partiellement prématuré visà-vis de son temps9. Il faut toutefois distinguer les lacunes qui sont inhérentes à la nature juridique de l’instrument isolément considéré, de celles qui ne sont propres qu’à cette décision-cadre. Tout débute par une sorte de pêché originel. C’est que la décision-cadre manque d’un véritable… cadre constitutionnel. Sans une liste détaillée de garanties et de libertés fondamentales, sans un encadrement préalable des compétences pénales et l’établissement d’une juridiction suprême chargée de l’interprétation uniforme du droit ainsi créé, sans spécification de la nature et des effets juridiques des instituts de troisième pilier, le seul principe de reconnaissance mutuelle apparaît comme étant une fondation trop fragile d’un édifice qui est désormais imposant10. II.1 De la nature controversée des décisions-cadre 4. Ainsi une décision-cadre est un instrument problématique par nature11. Son avantage 8 V. par exemple A. Megie, Le 11 septembre : élément accélérateur de la coopération judiciaire européenne ? Le cas du mandat d’arrêt, in Les Cahiers de la sécurité intérieure 2003, n.55, p. 91-120, et P. Jund, Les origines du mandat d’arrêt européen, in ERA-Forum : scripta iuris europaei 2003, n. 4, p. 25-33. 9 V. l’étude clairvoyante de S. Alegre – M. Leaf, European Arrest Warrant – A solution ahead of its time ?, Justice, London, 2003. Cette émotivité post-11 septembre a produit d’ailleurs un instrument dangereux quant au respect des droits fondamentaux. Il s’agit de l’Accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition, publié au JO L 181(19.07.2003), qui, à l’article 5, semble permettre, entre autre, l’extradition d’une personne même si celle-ci risque la peine de mort. 10 Pour en avoir une idée il suffit de consulter le richissime site de documentation JAI de la Commission, http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc_criminal_intro_en.htm . 11 Sur la nature juridique des décisions-cadre, v. S. Laugier-Deslandes, Les incidences de la création du mandat d’arrêt européen sur les conventions d’extradition, in Annuaire français de droit international, 2002, XLVIII, p. 695-714. 10 par rapport à une convention est surtout la rapidité avec laquelle elle arrive à se greffer dans les ordres juridiques nationaux. Elle partage avec la directive sa souplesse, qui laisse aux systèmes nationaux la faculté de choisir la forme et les moyens de parvenir aux fins fixées. Mais voilà que les ambiguïtés sont dévoilées lorsque l’on compare la décisioncadre à sa cousine communautaire. Dans le domaine du droit pénal, régi traditionnellement par la stricte application du principe de légalité, une telle souplesse ne serait-t-elle pas déplacée? Quelles sanctions sont prévues dans le cas de manque de transposition ou d’implémentation inexacte? Si la décision-cadre n’entraîne pas d’effet direct par l’affirmation explicite du timide législateur du Traité12, quelles conséquences génère-t-elle, notamment pour les particuliers? Comment s’insère-t-elle dans la hiérarchie des normes? Est-ce que le principe de primauté acquiert ici un nouvel habit, ou n’est-ce pas plutôt dans cette occasion qu’il révèle enfin son illusion, surtout vis-à-vis des constitutions nationales? Ces questions importantes et bien d’autres seront posées tant qu’un cadre constitutionnel adéquat fasse défaut. Mais les derniers événements politiques européens nous font perdre toute illusion : l’avènement d’un tel cadre n’appartient pas à l’avenir proche13. II.2. La parole à la Cour 5. Ce sera donc à la Cour de Justice, comme d’habitude, de faire face au lacunes du législateur, dans la mesure ou sa compétence amputée dans le domaine de la JAI le lui permettra. Se limitera-t-elle à suivre passivement la lettre du Traité? Une première anticipation de ce qui sera l’avenir nous est offerte par l’affaire C-105/03, procédure pénale contre Maria Pupino, en discussion ces jours à la Cour. On détient déjà les conclusions, fort intéressantes, de l’Avocat général Juliane Kokott14. Il s’agit d’une demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de Florence concernant l’interprétation de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales15. Le juge italien souhaite savoir si, « conformément à cette décision-cadre, dans le cadre de poursuites pénales pour 12 V. article 34-2 b) TUE. Il va sans dire que le projet de Traité constitutionnel apporte des réponses intéressantes à nos interrogations, ne serait-ce que pour l’abolition de la structure en piliers et des décisions-cadre par leur substitution avec l’instrument général de la loi-cadre, pour l’attribution d’un rôle important aussi aux Parlements nationaux dans la formation du droit, et pour l’institution d’une compétence à la Cour de justice non difforme de sa compétence en la matière communautaire. 14 CJCE, conclusions de l’AG du 11 novembre 2004, Maria Pupino, aff. 105/03. 13 11 blessures infligées à des enfants âgés de cinq ans, ceux-ci pouvaient être entendus comme témoins, en dehors des débats, dans le cadre d’une procédure d’administration anticipée de la preuve, alors même que ceci n’est, en ce qui concerne les délits poursuivis, pas prévu par la procédure pénale italienne »16. Le code italien, en effet, semble permettre l’administration anticipée de la preuve, avec une assistance psychologique, dans le cas ou les mineurs son victimes d’abus sexuels et non pas quand ils sont victimes de blessures. Cela est-il compatible avec l’article 2 de la décision-cadre, qui impose à chaque État membre d’assurer aux victimes « un rôle réel et approprié dans son système judiciaire pénal », et de continuer à « oeuvrer pour garantir aux victimes un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle »? Le paragraphe 2 dudit article, en particulier, oblige les États membres à veiller « à ce que les victimes particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation ». La question peut donc être ainsi reformulée : les mineurs sont-ils des victimes « particulièrement vulnérable » ? Si oui, la décision-cadre peut-elle avoir l’effet d’étendre à un cas qui n’est pas expressément prévu par la législation nationale une procédure faisant exception à la règle générale selon laquelle la constitution des preuves « doit avoir lieu, au cours des débats, à l’initiative des parties et dans le respect du contradictoire, sous le contrôle direct du juge17»? Puisqu’il s’agissait d’offrir un traitement plus favorable aux enfants, et grâce aussi à une certaine souplesse de la législation italienne, qui aurait probablement consenti d’arriver au même résultat interprétatif sans déranger la décision-cadre, l’AG a eu bon jeu de suivre le chemin parcouru autrefois par les directives : le principe de loyauté à l’égard de l’Union résultant de l’article 10 TCE serait commun aussi au système du TUE ; de ce principe, il découlerait pour les États un devoir d’interprétation conforme, « dans la mesure du possible », de leur propre droit interne ; ergo, « […] toute décision-cadre oblige les juridictions nationales appelées à interpréter le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la décision-cadre, à le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre pour atteindre le résultat visé par celle-ci». Selon l’AG, la décision-cadre ne crée pas de nouvelles règles dans l’ordre juridique interne, « mais présuppose que des règles existent déjà et que celles-ci sont susceptibles de faire l’objet d’une interprétation conforme à la décision15 JO 2001 L 82, p. 1. V. para. 1 conclus. préc. 17 V. para. 8 conclus. préc. 16 12 cadre – licite selon le droit national18 ». Finalement, Mme Kokott ne manque pas de préciser aussi que « […] l’exigence que les décisions-cadre soient adoptées à l’unanimité par le Conseil garantit qu’aucun État membre ne sera tenu par une décision-cadre sans son consentement19». Trois questions surgissent spontanément. 1) Selon l’AG, donc, l’interprétation conforme, plutôt que combler un vide, perfectionne une règle déjà existante. En d’autre mots, si le droit national donne 9 et que la décision-cadre donne 10, grâce à celle-ci les individus pourront obtenir 10 ; mais si le droit national donne 0, les individus obtiendront 0. Comment justifier une telle disparité, justement comblée dans le cadre du premier pilier par l’attribution de l’effet direct aux directives là où les États sont défaillants ? 2) Comment justifier la disparité encore plus grande – inexistante dans le premier pilier – entre les ressortissants des États qui, en application de l’article 35-2 TUE, ont attribué à la Cour de Justice la compétence à titre préjudiciel, et les ressortissants des États qui ne l’ont pas fait ? Et encore, entre les États qui n’ont donné la possibilité de saisir la Cour à qu’aux juridictions de dernière instance (art. 35-3a) et ceux qui ont concédé cette faculté à toutes ses juridictions (art. 35-3b)20? 3) Et enfin, peut-on identifier un État-membre avec son Gouvernement, alors qu’on touche de façon si incisive à des secteur traditionnellement réservés aux Parlements nationaux, dont la participation dans la formation du droit JAI est du moins sporadique si non inexistante? Il s’agit de questions très intéressantes, qui resteront en suspens encore longtemps. II.3. Une décision-cadre plus soucieuse de l’efficacité que du respect des garanties fondamentales 6. Nous ne voulons pas insister sur les limites de cette décision-cadre du point de vue du respect des droits fondamentaux des individus, car beaucoup d’auteurs ont déjà admirablement mis en évidence cet aspect21. Nous ne le ferons qu’au long de notre présentation concernant la loi italienne, précisément où les deux textes diffèrent à ce 18 V. para. 36 et 35 conclus. préc. V. para. 51 conclus. préc. 20 L’Espagne et la Hongrie ont opté pour la solution proposée par l’article 35-3 a) TUE ; l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Luxembourg, la Suède, la Finlande, le Portugal, la France, l’Italie, les Pays Bas et la République Tchèque ont opté pour la solution proposée par l’article 35-3 b). Les autres États membres n’ont pas (encore) attribué à la Cour la compétence à titre préjudiciel. 21 V. par exemple M. Lugato, La tutela dei diritti fondamentali rispetto al mandato d’arresto europeo, in Rivista di diritto internazionale, 2003, n.1, p.27-54. 19 13 sujet. Mais nous pouvons déjà anticiper le fait que le barycentre de notre analyse se fondera sur l’adhérence non parfaite de la décision-cadre à une des garanties fondamentales protégées par la Constitution italienne et aussi par le système juridique communautaire – même si on n’en est pas encore pleinement conscient : le principe du droit au juge naturel préétabli par la loi. Nous essaierons de montrer que la plupart des critiques à l’encontre de la décision-cadre ainsi que l’origine même de la méfiance envers le principe de reconnaissance mutuelle demeurent dans la carence de cohérence interne dans le système juridique européen, due à l’absence d’un dispositif régulateur des compétences pénales22. III. Un conflit de systèmes de portée « européenne ». Une première clé de lecture 7. Cette étude veut se focaliser surtout sur la loi d’implémentation italienne, en individuant ses points les plus délicats et controversés. Toutefois, comme le lecteur l’a sans doute déjà deviné, dans la mesure du possible nous voudrions aussi franchir la limite des Alpes méridionales, pour réfléchir au le fait que si les difficultés créées par l’exécution concrète du mandat d’arrêt sont aujourd’hui partagées par d’autres États membres, cela n’est pas casuel. Au contraire, cette situation possède des racines profondes. Le manque d’un cadre constitutionnel adéquat, auquel nous avons déjà fait allusion, ne fait qu’augmenter la résistance des systèmes juridiques nationaux. Et nous pouvons être certains que l’énigme originelle du système juridique communautaire, celle des limites « concrètes » du principe de primauté – limites qui ont été souvent identifiées dans le noyau dur des libertés et des droits fondamentaux garantis par les Constitutions nationales23 – va se proposer à nouveau et de façon amplifiée dans le champ du troisième pilier. Nous ne sommes qu’au début d’un conflit sans précèdent entre les systèmes juridiques et politiques nationaux et le système de l’Union européenne, à la fin duquel on aura l’Europe de demain. De ce conflit, qui aujourd’hui se reflète dans nos sociétés 22 V. para. 12. Pour l’Italie, v. infra, para 10. Sur la question de la primauté, une des lectures les plus intéressantes est sans doute le procès-verbal de l’audition tenue le 19 novembre 2003 devant le European Union Committee de la House of Lords britannique par M. Roger Errera, membre honoraire du Conseil d’État français. En répondant aux nombreuses questions des Lords anglais concernant le texte du Traité constitutionnel, M. Errera fait une reconstruction complète et lucide des rapports entre les Cours suprêmes nationales et la CJCE. Les Minutes of evidence de cette audition sont disponibles sur le site 23 14 civiles, le mandat d’arrêt n’est qu’une des expressions les plus représentatives. Nous souhaitons étudier le cas de l’Italie en l’encadrant en ce contraste opposant l’Europe avec son impulsion d’intégration aux systèmes nationaux avec leur instinct de conservation. Il y a d’abord un problème métabolique. Nonobstant les très grands progrès de ces dernières années, on observe encore dans la plupart de nos pays un décalage important entre la capacité productive de l’Union, qui défourne ses nouveautés normatives à rythme presque quotidien, et la capacité d’assimilation des systèmes et des cultures juridiques nationaux. Dans la matière pénale, nous sommes en train d’assister à une véritable révolution copernicienne. Le centre de gravité se déplace du niveau étatique au niveau supranational. La menace croissante constituée par le terrorisme et la criminalité transnationale impose une réponse adéquate de la part de l’Union, et cela audelà de toute rhétorique. Mais nos systèmes juridiques nationaux sont le résultat de stratifications pluriséculaires, qui les rendent très peu perméables aux changements provenant de l’extérieur. Cela est encore plus valable pour les pays qui possèdent une structure constitutionnelle «kelsénienne24», comme l’Italie, avec une constitution rigide, très minutieuse quant à la liste de garanties procédurales fondamentales, et gardée par une Cour constitutionnelle exerçant son contrôle ex post sur l’œuvre du législateur ordinaire. Aujourd’hui, nous pouvons constater les premières manifestations de ce phénomène en Allemagne25 et en Pologne26. Ce conflit n’est donc pas une particularité italienne. Comme le récent Rapport http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200304/ldselect/ldeucom/47/3111901.htm. V. H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle), in Rev. dr. pub. sc. pol., XXXV, 1928, p.197. 25 Ce n’est pas une coïncidence si le Bundesverfassungsgericht, la Cour constitutionnelle allemande, se retrouve aujourd’hui à devoir soumettre à un examen délicat non seulement la loi nationale d’implémentation du mandat d’arrêt, mais aussi l’édifice du troisième pilier dans son entièreté. Les enjeux dépassent presque le cas d’espèce – concernant la remise en Espagne de M. Mamoun Darkazanli, accusé d’être un membre du réseau d’Al-Qaeda. Cela était facilement prévisible, et arrivera tôt ou tard dans tous les pays à structure « kelsénienne ». Les questions posées à Karlsruhe semblent à première vue coïncider en grande partie avec celles qui intéressent le cas de l’Italie. Concernant les difficultés rencontrées en Allemagne, et pour un exemple de la phobie mutuelle, V. W. Kaleck, The European arrest warrant from the perspective of a German defence attorney, sur http://www.statewatch.org/news/archive2003.htm, 6 juillet 2003. 26 Dans son jugement rendu le 27 avril 2005, la Cour constitutionnelle polonaise en est arrivée à déclarer l’illégitimité constitutionnelle de l’article 607t, para. 1, du code de procédure criminelle du 1997, qui permet la remise des citoyens polonais à d’autres États-membres en vertu d’un mandat d’arrêt européen, par sa contrariété à l’article 55-1 de la Constitution, qui au contraire en interdit l’extradition. Mais simultanément, en application de l’article 190-3 de la Constitution, la Cour a suspendu les effets de son jugement pour une durée de 18 mois, laissant ainsi au législateur national le temps de modifier la Constitution, en considération de l’importance « cruciale » du mandat d’arrêt européen. Un résumé en anglais de ce jugement est disponible sur le site http://www.statewatch.org/news/2005/apr/poland.pdf. 24 15 de la Commission européenne sur l’implémentation du mandat d’arrêt le souligne27, plusieurs États membres ont dû réviser leurs constitutions avant d’implémenter la décision-cadre. Cette opposition entre deux systèmes juridiques antagonistes se retrouve en des termes similaires, mais ici beaucoup plus dramatiques, que dans le cadre du le premier pilier. Les juristes qui ont analysé cette évolution dans le cadre du droit communautaire ont toujours eu du mal à expliquer comment les systèmes nationaux interagissent avec le système communautaire: on a proposé soit une vision « moniste », soit une vision « dualiste », cependant la question n’a jamais été vraiment tranchée. Il a peut-être un problème de définitions : qu’est-ce exactement qu’un système juridique? Nous voulons suggérer deux clés de lecture, dont la deuxième à en clôture de cette étude. La première est probablement offerte à l’interprète par les aboutissements de la moderne Théorie Générale des Systèmes. Selon cette théorie, un système est un ensemble auto-ordonné d’éléments qui est régi par une téléonomie de conservation et de croissance28. Pour l’instant, il nous suffit de noter comme l’élément de croissance est prédominant dans le système du troisième pilier, qui est un système jeune, tandis que l’élément de conservation est prédominant dans les systèmes adultes, tels que les systèmes nationaux. Lorsqu’un système juridique national se sent profondément menacé, il est naturel qu’il essaie de manière « spontanée » de réagir. Plus le système est rigide, plus la réaction sera obstinée. Paradoxalement, plus les pressions vers l’unification chercheront à dépasser la « limite de vitesse tolérée », plus celle-ci sera ralentie. Dans le cas du mandat d’arrêt, l’Italie, pays si lié à sa tradition juridique dont les racines remontent à des millénaires, risque de devenir un des exemples les plus patents de la concrétisation de ce phénomène. Effectivement, la loi d’implémentation a tenté d’émousser, bien que tardivement et de façon un peu maladroite, les indices 27 V. le Rapport de la Commission fondé sur l’article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres du 23 février 2005, COM(2005) 63 final, sur http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/com_2005_063_fr.pdf, et son Annexe COM(2005) 63 final sur http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/sec_2005_267_en.pdf. Quant à la France, v. la loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen, publiée au JORF du 26 mars 2003, p. 5344. 28 V. L. von Bertalanffy, General Systems Theory, Braziller, New York, 1973. Le juriste peut se sentir encouragé par le fait que la théorie des systèmes vise à fonder une unification de la Science par l’élaboration d’un nombre limité de théories simples applicables à la description des phénomènes les plus divers (« isomorphisme »). 16 d’incompatibilité entre la décision-cadre et la Constitution auxquels nous avons déjà fait allusion. Or le point de vue de la défense d’un procès est souvent oublié dans le débat. En Italie, le juge du fond soulèvera une question de légitimité constitutionnelle, à la demande des parties au procès, chaque fois qu’il constatera que la question « n’est pas manifestement infondée ». Un jugement de constitutionnalité peut durer en moyenne un an et demi. Il est clair que, dans un cas pareil, si l’objectif poursuivi lors de l’introduction du mandat d’arrêt était d’accélérer les procédures d’extradition, il ne sera pas atteint. Toute faiblesse de la nouvelle discipline sera visée par les avocats, du moins dans la mise en place d’une stratégie défensive dilatoire. Ainsi, l’efficacité d’un instrument presque nécessaire, tel que le mandat d’arrêt européen, risque de façon paradoxale d’être menacée au profit de la criminalité transnationale, jouissant d’un terrain fertile dans le marché intérieur pour agir sans être perturbée. Ainsi, nous comprenons pourquoi le législateur ordinaire a un rôle objectivement difficile, étant compressé entre des délais peut-être trop courts et une demande extraordinaire de sécurité d’une part et la rigidité du système interne d’autre part. Cela est encore plus vrai dans un pays où le Parlement, abandonné à lui-même, était contraint de se confronter aux engagements pris par l’exécutif. Afin de contextualiser la description détaillée de la nouvelle normative, il sera donc opportun de faire précéder celle-ci par un bref historique de la position soutenue par l’Italie lors des négociations au sein du Conseil de l’Union, suivi par l’exposition des problématiques liées au conflit entre la Constitution et les normes issues du troisième pilier, qui se propose de nouveau aujourd’hui avec une vigueur renouvelé29. 29 Toute traduction de l’italien de sources normatives, jurisprudentielles et doctrinales est le fruit de l’élaboration personnelle de l’auteur, qui s’excuse auprès des auteurs des textes originaux au cas où sa traduction ne satisferait pas leurs attentes. La traduction des articles de la Constitution italienne utilisée dans ce travail est celle publiée sur le site officiel de la Cour constitutionnelle: http://www.cortecostituzionale.it/fra/testinormativi/costituzionedellarepubblica/costituzione_principii.asp 17 CHAPITRE I Le parcours de l’implémentation en Italie 18 I. Historique de la position italienne sur le mandat d’arrêt 8. Un des premiers symptômes d’hostilité s’était manifesté déjà lors de la réunion du Conseil JAI du 6 et 7 décembre 2001. L’unique délégation à exprimer son désaccord sur l’article 2 de la proposition de compromis avancée par la présidence belge fut la délégation italienne30. La position initiale du Gouvernement était de limiter la liste des infractions prévue dans l’article 2-2 de la future décision-cadre – c’est à dire, des infractions pour lesquelles le contrôle sur la double incrimination n’aurait plus eu lieu – à six crimes seulement, au lieu des 32 proposés et actuellement prévus31. Il s’agissait des six typologies d’infraction prévues aussi par la liste restreinte contenue dans le Traité d’extradition entre l’Italie et l’Espagne32. Le résultat aurait été l’exclusion de la liste de quelques crimes auxquels l’Union s’était déjà intéressée dans la perspective du rapprochement du droit substantiel : parmi eux, figuraient la fraude, la corruption et le 30 V. L. Salazar, Il mandato d'arresto europeo: un primo passo verso il mutuo riconoscimento delle decisioni penali, in Diritto penale eprocesso, 2002, 8, p.1042. 31 V. M. Chiavario, Giustizia: il mandato di cattura europeo mette a nudo le contraddizioni italiane, in Guida al Diritto – Il Sole 24 Ore, 22 décembre 2001, p.11: cette position était soutenue par le Ministre de la Justice Gianfranco Castelli, mais a aussi été démentie par le Président du Conseil. V. aussi V. Grevi, Il “mandato d’arresto europeo” tra ambiguità politiche e attuazione legislativa, in Il Mulino, 2002, p.122. 32 Presque toutes les réserves de nature juridique et politique pouvant caractériser l’approche de l’Italie au sujet du mandat d’arrêt européen auraient pu être également soulevées à l’encontre du Traité bilatéral d’extradition signé avec l’Espagne à Rome le 28 novembre 2000 : v. la relation du Ministère de la Justice italien, disponible sur http://www.giustizia.it/dis_legge/relazioni/trat_Italia_spagna_relazione.htm. Pour le texte de ce Traité, v. Guida al Diritto – Il Sole 24 ore, n° 3, 2001, p.106, avec le commentaire d’E. Selvaggi. Ce traité est souvent considéré comme l’antécédent historique du mandat d’arrêt européen. Le Premier Ministre espagnol José Maria Aznar et son homologue italien Giuliano Amato l’avaient conclu surtout dans le but de résoudre le problème de l’extradition de l’Espagne vers l’Italie des citoyens italiens condamnés par contumace en Italie pour leurs activités liées à la Mafia ou à d’autres organisations criminelles. Sa logique était déjà celle de l’instauration d’un espace juridique commun se basant sur le principe de la reconnaissance mutuelle, avec notamment l’élimination du filtre politique dans la procédure, du contrôle sur la double incrimination et du refus de l’extradition pour les personnes condamnées par contumace, et avec la limitation du principe de spécialité. Mais il y avait toutefois deux différences fondamentales avec le mandat d’arrêt européen : 1) la nature juridique différente de l’instrument : le Traité bilatéral Italie-Espagne était en fait un instrument typique de droit international, alors que le mandat d’arrêt européen a été institué par une décision-cadre. Comme nous le verrons infra, para. 14, cette remarque est très importante, surtout vis-à-vis de l’article 26 de la Constitution italienne ; 2) le champ d’application différent: le Traité avec l’Espagne a été conçu pour combattre les crimes plus graves : terrorisme, criminalité organisée, trafic de stupéfiants, trafic d’armes, traite d’êtres humains, abus sexuels sur des mineurs, crimes qui sont tous punissables d’une peine maximale d’au moins quatre ans de réclusion. La limitation du champ d’application peut donc expliquer, sans peut-être la justifier, la position « minimaliste » adoptée par l’Italie pendant les négociations concernant le mandat d’arrêt. V. pour plus de détails G. Iuzzolino, Cooperazione internazionale e mandato d’arresto europeo, in Diritto e Giustizia, 2003, p.11. V. aussi C. Mapelli, La loi espagnole 3/2003, du 14 mars, sur le mandat d’arrêt européen, in ERAForum : scripta iuris europaei 2003, n. 4, p.47-62. 19 blanchiment33. Suite aux pressions exercées par l’opinion publique34, la position italienne avait déjà changé lors du Conseil européen de Laeken du 14 et 15 décembre. Un accord était intervenu entre le Premier Ministre belge et son collègue italien à Rome35, aux termes duquel l’Italie aurait accepté la proposition de compromis. Cependant, le Conseil aurait dû tenir compte d’une déclaration italienne un peu sibylline : « pour donner exécution à la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, le Gouvernement italien devra démarrer les procédures de droit interne pour rendre ladite décision compatible avec les principes suprêmes de l’ordre constitutionnel en matière de droits fondamentaux, et pour rapprocher son système judiciaire et légal des modèles européens [...]». Cette déclaration avait été simplement inscrite dans le procès-verbal du Conseil. Sa valeur juridique était partant presque nulle36. Mais surtout sa signification était vague. Comment l’Italie aurait-elle pu rapprocher son système légal et judiciaire des modèles européens, compte tenu qu’un tertium comparationis, un « modèle européen d’organisation judiciaire » n’existait guère? Au contraire, il existe en Europe un ensemble de systèmes procéduraux très différents, dont le spectre va de l’extrême du système accusatoire jusqu’à l’extrême du système inquisitoire, à travers une gamme fortement variée de systèmes mixtes. Et les divergences apparaissent plus nettement lorsque l’on considère les différents modèles d’organisation judiciaire. Il y a par exemple des pays où le ministère public dépend du Ministre de la Justice, et d’autres – comme l’Italie – où le principe est au contraire celui de l’indépendance des organes de poursuite judiciaire par rapport à toute influence de l’exécutif. On pourrait aussi citer la diversité qui existe entre les pays qui adhèrent au principe de légalité des poursuites et ceux qui suivent le principe de l’opportunité des poursuites. Les exemples pourraient se multiplier. L’unique 33 E. Bruti Liberati–I. J. Patrone, Il mandato d’arresto europeo, in Questione giustizia, I, 2002, p.2297, et E. Calvanese–G. De Amicis, Via libera dell’Assemblea di Strasburgo al mandato di cattura formato Europa, in Guida al diritto – Il Sole 24 Ore, 16 février 2002, p.104. 34 Il est emblématique de noter, comme le font E. Selvaggi – O. Villoni, Questioni reali e non sul mandato europeo d’arresto, in Cassazione penale, 2002, II, p.447, que jusqu’au 9 décembre la presse n’avait jamais dit en quoi le mandat d’arrêt consistait vraiment. Cependant, beaucoup de déclarations parlaient déjà de « Forcolandia » (littéralement : « le pays du gibet ») ou du risque d’être poursuivi par des MP dirigés par les services secrets dans les pays ex-communistes... 35 L. Salazar, préc. note 30, p.1043. 36 E. Bruti Liberati – I. J. Patrone, préc. note 33, p.2304, qui citent CJCE 30 janvier 1985, Commission c/ Danemark, aff. 143/83, Rec. p.423 ; CJCE 26 février 1991, The Queen c/ Immigration Appeal tribunal, ex parte Antonissen, aff. 292/89, Rec. p.I-745, et CJCE 19 mars 1996, Commission c/ Conseil, aff. 25/94, Rec. p.I-1469. En ce même sens, E. Selvaggi, Il mandato d’arresto europeo alla prova dei fatti, in Cassazione penale, 2002, 10, p.2979. 20 dénominateur commun est l’adhérence de tous ces pays à la CEDH, surtout à la lumière de plus d’un demi-siècle de labor limae fait par la Cour de Strasbourg. Mais l’effort d’harmonisation, dans lequel les Institutions européennes et les États s’engagent de plus en plus dans le domaine du troisième pilier, ne saurait pas être soutenu par un seul même pays de façon unilatérale37. Un discours différent aurait pu être tenu pour les adaptations du système juridique italien au contenu de la décision-cadre, car dans ce cas c’est elle qui constitue le terme de comparaison. Mais, curieusement, l’Italie n’a pas pensé à faire inclure ces réserves dans le texte de la décision-cadre, comme l’a fait par exemple l’Autriche38. II. Analyse des possibles incompatibilités constitutionnelles 9. En Italie, l’introduction du mandat d’arrêt s’est heurtée à une tradition constitutionnelle très jalouse de ses propres acquis dans le domaine du droit pénal. En effet, la Constitution italienne contient un ensemble très détaillé de normes concernant l’ordre de la magistrature, le procès, et les garanties juridictionnelles. Une doctrine très influente n’a pas manqué de manifester dès le début son scepticisme vis-à-vis du mandat d’arrêt. Cette doctrine était bien représentée par les anciens présidents de la Cour Constitutionnelle et anciens Gardes des Sceaux de la République, Vincenzo Caianello et Giuliano Vassalli. Dans un avis motivé39 rendu au Premier Ministre le 11 décembre 2001, les deux éminents juristes s’accordaient sur l’incompatibilité avec la Constitution de ce qui était encore la proposition de décisioncadre : cette dernière aurait violé les principes de détermination suffisante ( tassatività ) de la norme pénale et de la réserve de loi absolue, et les autres principes constitutionnels de sauvegarde de la liberté personnelle. Le problème du conflit entre ces normes fondamentales et une norme de droit dérivé, comme une décision-cadre, s’est donc posé40. 37 Il s’agit d’une vérité de La Palice. Dans le mêmes termes, E. Bruti Liberati – I. J. Patrone, préc. note 33, p.2308. V. http://www.giustizia.it/uffici/inaug_ag/ag2003ministro.htm. En vérité, cette déclaration cachait la volonté de mettre en place une reforme de l’ordre judiciaire, argument qui est encore au centre du débat politique. 38 V. l’article 33 de la décision-cadre. 39 V. Caianello – G. Vassalli, Parere sulla proposta di decisione-quadro sul mandato di arresto europeo, in Cassazione penale, 2002, p.462. 40 V. A. Celotto, I problemi del mandato di arresto europeo, in Questione giustizia, http://www.unife.it/progetti/forumcostituzionale/contributi/que-giu.htm, 11 février 2003. 21 II.1. Les conflits entre les principes constitutionnels et les normes de droit international dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle 10. La Cour constitutionnelle italienne soutient depuis toujours la thèse dite « dualiste41». Le droit interne d’une part, et le droit communautaire d’autre part, constitueraient en effet « deux systèmes autonomes et distincts bien que coordonnés ». La base juridique de la reconstruction effectuée par la Cour se situe dans l’article 11, deuxième alinéa, de la Constitution républicaine, selon lequel « l’Italie [...] consent, dans des conditions de réciprocité avec les autres États, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les Nations ; elle suscite et favorise les organisations internationales poursuivant ce but42». La Cour a désormais reconnu le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit interne même postérieur43. Néanmoins elle garde encore une réserve relative à la protection des droits fondamentaux garantis par la Charte constitutionnelle. Dans l’arrêt Frontini44 elle a affirmé que les limitations de souveraineté ne peuvent en aucun cas comporter pour les institutions de la CE un pouvoir inadmissible de violer les principes fondamentaux de l’ordre juridique constitutionnel interne ou les droits inaliénables de la personne humaine. Cette jurisprudence a été confirmée lors du célèbre arrêt Granital45. Il faut souligner que cette vision a été développée dans le cadre du premier pilier, ce qui a fait dire à la doctrine majoritaire qu’en vérité la possibilité d’une violation des droits fondamentaux de la part du droit communautaire est une hypothèse plutôt théorique. Mais cette vision peut s’adapter aisément aux conflits entre les principes constitutionnels et les instruments de troisième pilier – tels qu’une décision-cadre – où une violation des garanties fondamentales des individus apparaît sans aucun doute plus probable. 41 Cf. G. Tesauro, Diritto comunitario, 3ème éd., CEDAM, Padova, 2003, p.184. A cette norme la nouvelle version de l’article 117 s’est récemment ajoutée qui, suite à la reforme en sens fédéral de l’État introduite par la loi constitutionnelle n. 3 du 18 octobre 2001, publiée à la Gazzetta Ufficiale n° 24 du 24 octobre 2001, Modifications au titre V de la partie deuxième de la Constitution, prévoit que « Le pouvoir législatif est exercé par l'État et les Régions dans le respect de la Constitution, aussi bien que des contraintes découlant de la réglementation communautaire et des obligations internationales ». 43 C’est n’est donc pas une coïncidence si le nouveau article 117 de la Constitution, cité à la note précédente, mets désormais l’accent sur les «contraintes découlant de la réglementation communautaire». 44 Corte cost., 27 décembre 1973, n° 183, Frontini e Pozzani, in Foro italiano, 1974, I, 314. 45 Corte cost., 8 juin 1984, n° 170 Granital, in Foro italiano, 1984, I, 2062. 42 22 II.2. L’inviolabilité de la liberté personnelle. L’obstacle du principe de « détermination suffisante » ( « tassatività ») 11. L’article 13, premier alinéa, de la Constitution républicaine statue que « la liberté de la personne est inviolable ». Le deuxième alinéa précise qu’il n’est admis « aucune forme de détention, d’inspection ou de perquisition concernant la personne, ni aucune autre restriction de la liberté de la personne, si ce n’est par un acte motivé de l’autorité judiciaire et que dans les cas et selon les modalités prévus par la loi ». La doctrine concorde en affirmant qu’il y a en cette matière une réserve législative absolue. En d’autres mots, les limitations de la liberté personnelle sont soumises à la compétence exclusive de la magistrature, qui à son tour est soumise à la loi. Cette dernière est la loi au sens formel, c’est à dire, la loi émanant du Parlement, qui doit régler de façon précise et exhaustive toutes les phases de l’exercice du pouvoir de limitation de la liberté personnelle. Or, puisque la décision-cadre a été transposée dans le système juridique national par une loi au sens formel, le problème quant au principe de légalité per se ne se pose pas. Mais dans le système juridique italien, un des corollaires du principe de légalité ( nullum crimen sine lege ) est le principe de « détermination suffisante » ( tassatività ou tipicità ) des incriminations. Il s’agit d’un principe d’origine jurisprudentielle et doctrinale, selon lequel il est nécessaire que la norme soit formulée, dans l’indication de tous les éléments objectifs et subjectifs du fait incriminé46, avec un degré d’exactitude de nature à consentir au juge l’individuation du type de fait défini par la norme47. Ce principe se réfère donc de façon plus spécifique au droit substantiel. En effet, sa formulation doit être dérivée en premier lieu de l’article 25 de la Constitution, interprété à la lumière des articles 112 et 24, deuxième alinéa, de la Constitution48. 46 V. M. Ronco, Il principio di tipicità della fattispecie penale nell’ordinamento vigente, Giappichelli, Torino, 1979, et N. Bartone, Mandato d’arresto europeo e tipicità nazionale del reato, Giuffré, Milano, 2003, p.65. 47 Le principe de tassatività est formulé de façon plus stricte dans la jurisprudence nationale que le principe de prévisibilité dans la jurisprudence de la Cour EDH: V. aff. Cantoni c. France, arrêt du 15 novembre 1996, Rec. arr. déc. 1996-V, para. 29-35. 48 L’article 25 de la Constitution établit que : « nul ne peut être soustrait au juge naturel préconstitué par la loi. Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi entrée en vigueur avant la commission du fait. Nul ne peut être soumis à des mesures de sûreté, sauf dans les cas prévus par la loi ». L’article 24, deuxième alinéa, garantit le droit à la défense en tant que « droit inviolable en quelque état et à quelque degré que soit la procédure », tandis que l’article 112 établit le principe selon lequel le ministère public a l’obligation d’exercer l’action pénale. 23 Il y a une différence fondamentale entre le principe de légalité et le principe de tassatività. Le premier, concernant la hiérarchie des sources normatives, est établi pour protéger les individus des abus éventuels de la part du pouvoir exécutif, alors que le but du deuxième, concernant la technique de formulation de la norme, est de sauvegarder les individus des abus éventuels du pouvoir judiciaire49. Nonobstant sa dimension substantielle, le champ d’application du principe de tassatività est étendu aussi, par la voie de l’article 13 de la Constitution, aux normes procédurales touchant à la liberté des personnes. M. Vassalli et M. Caianello avaient estimé pouvoir identifier plusieurs profils de conflit entre ces principes constitutionnels et la liste de 32 typologies de crimes contenue dans l’article 2-2 de la décision-cadre. Ces infractions – peut-être est-il utile de le rappeler – sont celles pour lesquelles un contrôle sur la double incrimination ne sera plus requis, à condition qu’elles soient « punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission ». Le manque de précision de cette liste50 aurait menacé le respect de ce principe de tassatività. Mais ce déficit aurait nui irrémédiablement aussi au respect du principe de légalité des poursuites (article 112), parce qu’il aurait introduit des critères imprécis pour vérifier le respect de l’obligation de poursuivre, et du droit de défense (article 24), car il aurait empêché le prévenu « de pouvoir se confronter à un chef d’imputation précis et avec un fait non équivoque51 ». Nicola Bartone52 avait fait une analyse comparative «structurelle» très approfondie des définitions des crimes de fraude, escroquerie, criminalité informatique, vol, blanchiment, corruption, et association criminelle en Italie, France, Allemagne et Espagne, parvenant à la conclusion que, en raison des différences existantes dans les ordres juridiques nationaux quant à la définition de ces infractions, le mandat d’arrêt européen ne donnait pas de « protection digne » au principe de tassatività. Une partie de la doctrine a cependant insisté sur le caractère excessif de ces préoccupations, puisque la majorité des crimes contenus dans la liste aurait été constituée 49 G. Fiandaca – E. Musco, Diritto penale, III éd., Zanichelli, 2002, p. 65. V. aussi M. Plachta, European Arrest Warrant: revolution in extradition?, in European Journal of Crime, Criminal Law and Criminal Justice, n° 2, 2003, p.190, et N. Galantini, Prime osservazioni sul mandato d’arresto europeo, in Il Foro ambrosiano, 2002, p.268. 51 V. Caianello – G. Vassalli, préc. note 39, p.465. 52 N. Bartone, préc. note 46. 50 24 par des infractions déjà « connues » par le code pénal italien ou déjà harmonisées ou en cours d’harmonisation au niveau européen ou international53. Mais souvent l’on observe que ces instruments d’harmonisation n’ont pas encore été transposés et que ces conventions n’ont pas encore été ratifiées54 ou même qu’elles n’ont pas été signées par tous les pays membres de l’Union. Le risque d’une atteinte au principe de typicité subsiste donc, en étant optimiste, du moins dans une perspective à court terme. L’impression, encore un fois, est que l’Union a fait un saut logique. Il aurait été sans doute préférable de procéder au préalable à l’harmonisation des notions des crimes indiquées dans la liste de l’article 2-2, ou encore mieux, d’exclure pour le moment de cette liste simplement les crimes qui n’ont pas été objet d’harmonisation. D’ailleurs, dans le cas de notions harmonisées, on ne comprend pas pourquoi une référence explicite aux instruments législatifs d’harmonisation n’a pas été faite. Il n’est pas opportun de transplanter dans le domaine du droit pénal la logique législative du premier pilier, où de facto la définition des notions plus controversées a été toujours déléguée par le législateur à la Cour de Justice55. Le paradoxe est que, en raison des principes de primauté et de reconnaissance mutuelle, il était sans doute trop tard pour que le législateur national essaie de remédier à cette défaillance au moment de la transposition. Toutefois, en vérité, surtout en l’absence de définitions communes, c’est plutôt le principe constitutionnel du juge naturel préétabli par la loi qui semble être mis en danger. II.3. Le juge naturel préétabli par la loi : un principe cardinal dans l’espace de justice européen ? 12. La décision-cadre ne touche pas aux règles nationales concernant la juridiction. Cela peut à première vue paraître respectueux du principe de subsidiarité et de la liberté des États de se donner les règles procédurales qu’ils préfèrent. En réalité, l’éventualité que des conflits de compétence très difficiles à résoudre puissent se présenter a été peut53 V. L. Salazar, préc. note 30, p.1048, qui énumère une liste détaillée d’instruments internationaux (actions communes, conventions du Conseil de l’Europe, conventions internationales, etc.) harmonisant en particulier les définitions des premiers 13 crimes contenus dans la liste. 54 Tel est le cas, par exemple, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STCE 185), qui a été signée à Budapest le 21 novembre 2001, mais qui, parmi les 25 États membres de l’UE, a été ratifiée jusqu’à aujourd’hui seulement par la Hongrie, l’Estonie et la Lituanie. V. http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=185&CM=1&DF=09/04/04&CL=FRE. 25 être sous-estimée. En effet, au niveau européen, presque rien n’a été fait pour « prévenir les conflits de compétences entre États membres », comme le demande l’article 31, d) TUE. Au contraire, les dernières tendances semblent montrer une involution inquiétante dans la prise de conscience du problème56. Le simple appel au principe de reconnaissance mutuelle n’apparaît pas suffisant: les codes pénaux ou de procédure pénale nationaux peuvent accueillir des critères qui dépassent le principe de territorialité, en étendant la juridiction nationale bien au-delà des frontières de l’État. La notion même de territorialité n’est pas immuable : elle peut aussi varier d’État en État. Mais c’est le principe en soi qui semble inadéquat lorsque l’on fait attention à une typologie d’infraction, comme la « criminalité informatique », qui, bien qu’inclue dans la liste de l’article 2-2, n’a pas fait l’objet d’harmonisation et est par nature « a-territoriale ». Ce problème concerne l’Italie, dont la Constitution à l’article 25 statue que « nul ne peut être soustrait au juge national préétabli par la loi ». Mais il concerne aussi tous les autres États membres, même si leurs constitutions sont souvent muettes sur ce point57 : la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne garantit par l’article 47, deuxième alinéa, que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ». Et cela ne doit pas être une simple coïncidence si dans l’article 6 CEDH, dans une 55 Plus en général, concernant les problèmes linguistiques et la nécessité d’une définition « stipulative » des notions juridiques, v. H. Kantorowicz, The Definition of Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1958. 56 La Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen – Reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale du 26 juillet 2000, COM (2000) 495 final, sur http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/site/fr/com/2000/com2000_0495fr01.pdf, témoignait d’une prise de conscience sur le problème de la répartition des compétences en matière pénale. Cependant, la Commission semblait déjà être inspirée plutôt par un souci d’efficacité que par un élan de protection du droit fondamental au juge naturel préétabli par la loi. En tout cas il s’agit encore aujourd’hui d’un effort isolé dans le panorama législatif du troisième pilier. Au contraire, la récente Communication de la Commission sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les États membres du 19 mai 2005, COM (2005) 195 final, disponible sur http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/com_2005_195_fr.pdf , semble suivre un chemin opposé : c’est dans ce nouveau texte que la Commission annonce officiellement qu’elle présentera en 2005 un livre vert sur les conflits de compétences et le non bis in idem, qui proposera des solutions pour régler les conflits de juridiction dans l’Ue, « […] tenant compte notamment du rôle d’Eurojust aux termes de l’article III-273 de la Constitution et des demandes formulées par le programme de La Haye sur ce point ». Mais, précise la Commission, « [...] sans toucher aux mécanismes nationaux de détermination de la compétence juridictionnelle ». 57 Quant à la France, v. T. RENOUX, La Justice et la Constitution de 1958, – La place de la justice dans la Constitution, in La Constitution de 1958 en 20 questions, dossier publié sur le site Internet du Conseil Constitutionnel, http://www.conseil-constitutionnel.fr, 1999 : « […]contrairement à ses devancières et autres Constitutions européennes, la Constitution de la France, qui ne consacre seulement que trois articles à la Justice (article 64, 65 et 66) est singulièrement muette sur les principes constitutionnels régissant l’organisation judiciaire, les juridictions financières, ou le principe selon lequel nul ne peut être privé de son juge naturel, principe rappelé par exemple, par la Constitution de l'Italie […] ». 26 formulation très similaire, le mot préalablement fait défaut. Quelles sont les conséquences de cet ajout? La Constitution italienne, avec la longue œuvre d’interprétation que la jurisprudence italienne a consacré à la spécification de ce principe établi dans le but d’assurer l’impartialité du juge 58, peut nous fournir un apport utile. Selon la Cour italienne, « la constitution préalable du juge et la discrétion dans sa désignation en concret sont des critères entre lesquels une conciliation n’apparaît pas possible59». Pour que le principe soit respecté, selon la jurisprudence et la doctrine dominante, il faut qu’au moment où le fait justiciable s’avère, la loi sache déjà qui sera le juge compétent, sans qu’aucune marge de discrétion ne soit laissée à l’interprète – peu importe qu’il s’agisse des parties ou du juge – afin d’empêcher qu’il puisse rechercher le tribunal plus favorable. Le respect de cette norme a été la source de très grandes polémiques en Italie lors de l’approbation en 2002 de la loi sur le renvoi du procès d’un tribunal à l’autre pour cause de suspicion légitime60. Et il est naturel qu’au moment où le problème se posera lors des premières applications concrètes du mandat d’arrêt, la question ne pourra qu’être renvoyée devant la Cour constitutionnelle, avec les conséquences qui ont été illustrées en ouverture de cette contribution. L’article 4-7 de la décision-cadre semble vouloir offrir un remède permettant à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen lorsqu’il porte sur des infractions qui « a) selon le droit de l’État membre d’exécution, ont été commises en tout ou en partie sur le territoire de l’État membre d’exécution ou en un lieu considéré comme tel, ou b) ont été commises hors du territoire de l’État membre d’émission et que le droit de l’État membre d’exécution n’autorise pas la poursuite pour les mêmes infractions commises hors de son territoire ». Mais un tel palliatif paraît insuffisant, parce que la définition d’infractions « commises hors du territoire » est laissée aux États et est donc variable61. Sans l’établissement d’un système européen réglant les compétences pénales, un système fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle manquera toujours de cohérence logique, et le phénomène du 58 V. par exemple V. Andrioli, La precostituzione del giudice, in Riv. it. dir. proc. pen., 1964, p.328. V. Corte cost., 3 juillet 1962, n. 88, in Giurisprudenza costituzionale, 1963, p.471. 60 Legge n° 248 du 7 novembre 2002, dite « Cirami » du nom de son promoteur, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n° 261 du 7 novembre 2002. 61 La Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13, avait conscience de cette difficulté : « […] Le problème devient particulièrement aigu dans les cas où une compétence universelle […] est d'application. […] il n'est pas inhabituel que plusieurs États membres soient compétents. Il n'y a 59 27 forum shopping risquerait d’assumer des proportions déplorables et incontrôlées62. Par contre, se donner des règles strictes d’attribution de la juridiction, équivaudrait à construire une autoroute dans l’espace judiciaire européen. Ces règles devraient être fondées essentiellement sur le principe de territorialité, de sorte qu’un fait soit punissable uniquement selon la loi du pays dans lequel le fait a été commis : en principe, les systèmes pénaux substantiels des États membres ne devraient pas pouvoir étendre leurs «tentacules» aux dehors des frontières nationales. Ainsi des principes tels que les principes de responsabilité personnelle, de sûreté juridique, de légalité, de reconnaissance mutuelle63 et – ce qui pourrait sembler à première vue un paradoxe – de souveraineté nationale en sortiraient renforcés. Le véhicule de la coopération judiciaire pourra ainsi tenir sa vitesse avec moins de risques d’encourir des accidents mortels. Quand on saura avec exactitude qui est compétent à juger quoi, on pourra probablement commencer à penser à l’existence d’un seul système pénal européen, respectueux des valeurs protégées par les systèmes pénaux nationaux64. Ce but devrait être achevé à travers l’adoption d’une convention européenne (préférablement65) ou d’une décision-cadre sur la compétence judiciaire en droit pénal et l’attribution à la Cour de justice ou à Eurojust66 du rôle d’arbitre des juridictions. pas de règle de litispendance ni de hiérarchie des niveaux juridictionnels, mais seulement une incitation, parfois, à coordonner et, dans la mesure du possible, à centraliser les poursuites ». 62 V. Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13.1: « Un autre argument en faveur d'une série de règles de compétences clairement définies est la nécessité d'éviter la recherche du tribunal le plus favorable. Il faudrait rendre la chose impossible quelle que soit la partie à la procédure qui tente d'agir de la sorte, qu'il s'agisse de l'accusation ou de la défense. Dans la plupart des cas, les autorités compétentes des États membres (éventuellement) concernées pourraient déterminer seules, en interprétant les règles de compétence, si c'est dans leur État membre qu'il convient ou non d'engager des poursuites dans une affaire ». 63 V. Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13 : « […] Si des règles communément établies prévoient explicitement que les autorités d'un (seul) État membre sont compétentes pour juger une affaire donnée, les autres États membres reconnaîtront et accepteront cette décision plus facilement que si leurs propres autorités étaient également compétentes pour décider. Cela s’applique à la fois aux différences en matière de droit pénal substantiel et de droit procédural pénal. En effet, même lorsqu'il n'y a pas double incrimination, l’État membre invité à exécuter une décision concernant un acte qui n'est pas constitutif d'un délit au regard de sa propre législation devrait l'accepter plus facilement, étant donné que cette décision repose sur des normes communément admises fixant les responsabilités pour une affaire donnée ». 64 Pour un des premiers exemples de refus en France d’un mandat d’arrêt délivré par l’Espagne fondé sur une exception d’incompétence territoriale, car les faits de terrorisme et de participation à une organisation criminelle « […] auraient été commis pour partie sur le territoire français », v. Cass. crim. 8 juillet 2004, n° 4350, Aritza x. 65 Mais la tendance suivie par la Commission dans sa dernière Communication du 19 mai 2005, préc., est celle de proposer une décision-cadre : comme nous le voyons, il s’agit d’une solution plus rapide, mais moins apte à sculpter des critères invariables et, par conséquent, à garantir le respect du principe du juge naturel préétabli par la loi. 66 Ceci semble être est le choix de la Commission dans sa dernière Communication du 19 mai 2005: v. supra note 56 et aussi l’article III-273, 2 b) du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. 28 II.4. La magistrature et le « procès équitable » 13. Selon le premier alinéa de l’article 104 de la Constitution italienne, « la magistrature constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir ». M. Vassalli et M. Caianello avaient estimé que l’élimination de tout type de contrôle préliminaire sur le fond et la légalité des actes provenant d’une autorité judiciaire étrangère – et pourtant différente de l’autorité dont on parle à l’article 104 – aurait pu engendrer une violation des garanties du « procès équitable », régies par l’article 111 de la Constitution. Cet article a été récemment réformé67 dans un souci de rendre les liaisons entre la Charte constitutionnelle et le nouveau code de procédure pénale, inspiré par le model accusatoire, plus harmonieuses : « La juridiction s’exerce par le procès équitable régi par la loi. Tout procès se déroule contradictoirement entre les parties, dans des conditions d’égalité, devant un juge tiers et impartial. La loi en assure la durée raisonnable. Dans le procès pénal, la loi garantit que la personne accusée d’une infraction soit, dans le plus bref délai possible, informée confidentiellement de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle ; dispose du temps et des conditions nécessaires pour préparer sa défense ; ait la faculté, devant le juge, d’interroger ou de faire interroger les personnes qui font des déclarations contre elle, d’obtenir la convocation et l’interrogatoire de personnes pour sa défense dans les mêmes conditions que l’accusation ainsi que l’acquisition de tout autre moyen de preuve en sa faveur; soit assistée d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée au procès. Le procès pénal est régi par le principe du contradictoire dans la formation de la preuve. La culpabilité du prévenu ne peut être prouvée sur la base de déclarations faites par celui qui, par libre choix, s’est toujours volontairement soustrait à l’interrogatoire du prévenu ou de son défenseur. La loi fixe les cas dans lesquels la formation de la preuve n’a pas lieu contradictoirement par consentement du prévenu ou pour la constatation d’une impossibilité de nature objective ou par l’effet d’une conduite illicite prouvée. Toutes les mesures juridictionnelles doivent être motivées. Le pourvoi en cassation pour violation de la loi est toujours admis contre les 67 Article 1-1 de la loi constitutionnelle n° 2 du 23 novembre 1999, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n. 300 du 23 octobre 1999. 29 sentences (sentenze) et contre les mesures concernant la liberté de la personne, prononcées par les organes juridictionnels ordinaires ou spéciaux. Il ne peut être dérogé à cette règle que pour les jugements (sentenze) des tribunaux militaires en temps de guerre [...] ». Caianello et Vassalli avaient plus particulièrement manifesté leur préoccupation quant à l’éventualité que les actes de l’autorité étrangère ne soient pas motivés, comme le demande le sixième alinéa de cet article. La menace aurait également concerné le principe constitutionnel selon lequel toutes les sentences et les autres mesures de l’autorité judiciaire concernant la liberté de la personne sont susceptibles d’obtenir un pourvoi en Cassation. Mais ces objections étaient surmontables. Il suffisait en fait que la loi de transposition prévoie l’obligation de motivation pour les mandats à destination ou originaires de l’Italie68 et la possibilité de pourvoi en Cassation pour violation de loi, en traçant une voie prioritaire afin de respecter les délais stricts de procédure imposés par la décision-cadre69. II.5. Les principes constitutionnels concernant l’extradition : les articles 10-4 et 26 de la Constitution 14. Selon l’article 26, premier alinéa, de la Constitution italienne, « l’extradition du citoyen ne peut être accordée que dans les cas où elle est expressément prévue par les conventions internationales ». Le deuxième alinéa précise qu’en aucun cas l’extradition ne peut être admise pour des délits politiques. D’ailleurs, ce même principe est exprimé pour les étrangers à l’article 10, quatrième alinéa, selon lequel « l’extradition d’un étranger pour des infractions politiques n’est pas admise ». Les doutes les plus forts ont été exprimés surtout par rapport à la nature juridique de l’instrument adopté pour l’institution du mandat d’arrêt européen, car une décision-cadre 68 Ce qui a été le cas : v. para. 33. En ce sens, E. Selvaggi, préc. note 36, p.2984. La solution trouvée par le législateur italien, qui laisse la possibilité d’un pourvoi aussi pour le fond, est cependant allée un peu au-delà de ces exigences légitimes : v. para. 33. 69 30 n’est pas assimilable à une convention internationale70. Cette question délicate a été extrêmement débattue. Certains estimaient que la solution du problème résidait en la circonstance que l’extradition au sens classique se différencie de la remise introduite par la décision-cadre, ou dans le fait que les « racines » de cette dernière se trouvent dans le Traité sur l’Union européenne ( articles 31 et 34 ), qui est une convention internationale71. Mais il y a lieu d’objecter que si le mandat d’arrêt rend la remise d’une personne d’un État à un autre plus aisée, alors le niveau de garantie nécessiterait, en contrepartie, d’être haussé. On ne saurait pas échapper à la garantie constitutionnelle dont l’objet est de demander un instrument juridique hiérarchiquement supérieur à la loi dans le but de garantir la personne, en prévoyant la possibilité de parvenir au même résultat par une norme qualitativement différente. D’autres auteurs ont évoqué le concept de citoyenneté européenne72. Mais il s’agit d’une évocation inopportune. En premier lieu, comment le dit l’article 17 TCE, « La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». De surcroît, si cette notion n’est même pas suffisante à assurer la liberté d’établissement des personnes « économiquement inactives73 », a fortiori elle ne pourrait pas justifier l’extradition d’une personne. Cependant, une fois de plus, l’Italie n’a ni formulé de réserves sur ce point, ni même songé à une adaptation de sa Constitution. La loi de transposition a opté pour des solutions originales et en contraste avec la décision-cadre, comme nous le verrons dans les prochains paragraphes : entre autre, le refus de l’extradition pour les infractions politiques a été placidement réintroduit parmi de très nombreuses causes de refus prévues ex novo par cette loi. 70 En Italie, la question d’inconstitutionnalité concernant l’exclusion des crimes politiques parmi les motifs de refus d’un mandat d’arrêt a été posée, mais pas dans les mêmes termes qu’en France, où on en est arrivé à modifier la Constitution. V. Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003, préc. note 27, suivie par la loi d’implémentation n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite loi Perben II, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, publiée au JORF du 10 mars 2004, p.4567. V. Jean Pradel, Le mandat d'arrêt européen – Un premier pas vers une révolution copernicienne dans le droit français de l’extradition (1), in Le Dalloz, 20 mai 2004, n° 20, Chroniques, p. 1392-1404, et la suite et fin in Le Dalloz, 27 mai 2004, n° 21, Chroniques, p. 1462-1469. V. aussi P. Mabaka, Remarques sur la loi constitutionnelle relative au mandat d’arrêt européen, in Les Petites Affiches 2003, v. 392, n° 147, p.6. Dans le Bel Paese, la question a été « résolue » par la réintroduction du refus à l’extradition pour les infractions politiques : v. para. 31. 71 V. Grevi, préc. note 31, à la p.125. 72 V. Grevi, préc. note 31, à la p.119. 73 V. Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, publiée sur JO L 158 30.04.2004, p. 77. 31 III. L’hésitation du Gouvernement 15. Même après avoir concédé son oui final presque inconditionnel, l’exécutif italien n’a jamais eu une attitude très enthousiaste à l’égard du mandat d’arrêt. Le Gouvernement n’a jamais présenté un texte de loi de transposition, tout en laissant l’initiative au Parlement. Un décret du Ministre de la Justice du 19 mars 200374 avait institué une « Commission pour la prédisposition d’un schéma de dessein de loi pour l’exécution de la décision-cadre [...], avec l’examen préalable du domaine d’adéquation de la normative interne et des profils éventuels de compatibilité avec les principes constitutionnels et propres de l’ordre juridique italien ». Cette Commission, présidée par M. Giuseppe Viola et composée de douze experts provenant du monde académique et professionnel, avait effectivement présenté ses conclusions dans le délai établi du 30 juin 2003. Cependant, le Gouvernement n’a jamais transformé ce schéma en une proposition officielle, malgré les engagements pris par le Ministre de la Justice pendant le semestre de la Présidence italienne du Conseil. IV. Les différentes propositions de loi présentées au Parlement 16. Une proposition de loi et deux propositions de délégation législative avaient été soumises à l’examen du Parlement par des parties d’opposition. La première avait été la proposition Kessler75, du nom de son premier signataire, rédigée par le groupe des parlementaires des DS (« Démocrates de gauche »). Elle avait été suivi par la proposition de délégation législative Buemi76, présentée par des députés des socialistes-démocrates, de l’Udeur (« Union des démocrates pour l’Europe ») et des Verts, et par la 74 Disponible sur http://www.giustizia.it/commissioni_studio/decreti/comm_viola_istituz.htm 75 Proposta di legge n° 4246, présentée le 30 juillet 2003. Tous les textes des propositions sont disponibles sur le site www.camera.it. 76 Proposta di delega al Governo n° 4431, présentée le 28 octobre 2003. 32 « proposition-photocopie » Pisapia77, présentée par les députés de la « Refondation Communiste ». La proposition Kessler, quant à sa philosophie inspiratrice, faisait pleinement confiance au principe de reconnaissance mutuelle. Contrairement à celle qui deviendra la loi définitive, elle ne disait rien sur des conditions éventuelles devant être satisfaites par un mandat d’arrêt en provenance d’un autre pays, et elle était aussi muette quant au problème de la liste tristement célèbre des crimes de l’article 2-2 de la décision-cadre. Cette proposition a été profondément modifiée lors du débat à la Commission Justice de la Chambre des Députés par les élus de la majorité. M. Kessler en a été jusqu’à en renier la paternité. Le nouveau texte est par la suite passé dans les annales sous le nom de proposition Pecorella, du nom de l’onorevole président de la Commission Justice78. Ce texte a de fait réuni les trois propositions précédentes dans un seul texte qui a été soumis à l’examen de l’Assemblée le 19 avril. Il s’agissait de l’embryon de la loi actuelle, qui a ensuite entrepris une véritable odyssée parlementaire79. Cette longue gestation a eu toutefois quelques effets bénéfiques sur la qualité du résultat final. Même si on est très loin d’avoir un texte parfait, comme nous le verrons, le produit fini présente beaucoup moins de problèmes par rapport au texte audacieux de la proposition Pecorella. Cette 77 Proposta di delega al Governo n° 4436, présentée le 29 octobre 2003. Les deux propositions de délégation législative Buemi et Pisapia étaient en réalité deux « textes-photocopie », inspirés par une suggestion de l’Union des avocats pénalistes italiens ( Unione delle Camere penali italiane ). Cette suggestion, soi-disant « attentive à l’exigence de sauvegarder des interférences externes » le système des garanties fixées par l’ordre juridique national, avait été le résultat du congrès de l’Unione, qui avait eu lieu en octobre 2002 sous la direction de M. Giuliano Vassalli. Elle reprenait, en substance, les objections d’illégitimité constitutionnelle sur lesquelles M. Vassalli et M. Caianello avaient fondé leur avis au Président du Conseil. Leur défaut commun était celui d’avoir choisi de se servir de l’instrument de la délégation législative, qui aurait causé un allongement démesuré du temps nécessaire à l’accomplissement du processus de transposition. La délégation législative, prévue par l’article 76 de la Constitution italienne, est une délégation à légiférer faite par le Parlement au Gouvernement, qui résulte d’une loi ordinaire qui en fixe la durée et l’objet, pour demander au Gouvernement d’émettre un « décret législatif » dans des domaines qui requièrent un texte techniquement complexe. Cet instrument permet au législateur de se servir du recours à l’expertise technique que le Gouvernement a normalement plus facilement à sa disposition. Par contre, le processus législatif peut s’allonger presque indéfiniment, l’unique conséquence étant la responsabilité politique devant le Parlement du Gouvernement, au cas où ce dernier n’accomplirait pas sa mission. Or, dans la situation de retard par rapport à l’obligation de transposition dans laquelle l’Italie se trouvait, l’adoption d’une délégation législative apparaît très inopportune. En plus, on se serait trouvés devant un cas de « délégation sur délégation », car la décision-cadre est déjà, en un certain sens, une délégation du législateur communautaire au législateur national pour la réalisation d’objectifs communs. Pour admission des rapporteurs, ces deux propositions avaient le but d’éviter l’introduction « subreptice » dans le système juridique italien d’un « sous-système de libertate » en contraste avec les principes généraux de l’ordre juridique national. 78 Proposta n° 4246-A. Le texte de la II Commission (Justice), définitivement ayant été délibéré le 17 mars 2004, M. Kessler avait proposé un texte alternatif de minorité, le 4246-bis. 79 Les plus téméraires pourront consulter les travaux préparatoires dans leurs intégralité sur les deux sites www.camera.it et www.senato.it . 33 dernière, d’ailleurs, avait été fortement influencée par les avis rendus par la Commission Affaires Constitutionnels et par la Commission Politiques Communautaires. Mais elle était surtout le reflet du conflit entre magistrature et classe politique auquel nous avons déjà fait allusion. En effet, elle était surprenante à plusieurs points de vue, comme nous allons le voir au fur et à mesure à travers une comparaison avec le texte définitif. Elle représentait sous plusieurs aspects un retour en arrière même par rapport à la « vieille » extradition de 1957. La vraie crainte qui l’avait inspirée – même son rapporteur l’avait admis – était liée à l’élargissement d’une part80 et à la magistrature en tant que telle d’autre part. Suivant cette proposition, le juge de l’exécution aurait eu non seulement la tâche de procéder à un véritable contrôle sur le fond de la requête, mais aussi celle de faire un véritable « procès » aux systèmes juridiques des États d’émission, en vérifiant, entre autre, que le mandat d’arrêt ait été signé par un « juge indépendant »: car l’Italie n’aurait exécuté que les mandats provenant des États qui respecteraient « les principes et les dispositions contenus dans la Constitution de la République, y compris ceux relatifs à la magistrature en tant qu’ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir ». Bien entendu indépendant surtout du pouvoir exécutif. 80 V. les déclarations de M. Pecorella lors de la séance à la Chambre des Députés du 19 avril 2004. 34 CHAPITRE II La loi de transposition : une mise en oeuvre ou un pas en arrière ? 35 I. Dispositions de principe 17. Heureusement, le débat parlementaire a permis d’effacer les tâches les plus grossières, qui ont disparues dans le texte de la loi 69/2005. Mais, comme nous l’avons déjà observé, il s’agit toujours d’une loi qui ne peut pas simplement être qualifiée de « loi d’implémentation » : seule la pratique sera en mesure de nous dire si l’exécution d’un mandat d’arrêt en Italie deviendra une affaire courante ou plutôt quelque chose d’extrêmement liée à l’imprévu. 18. Le titre premier de la loi (« dispositions de principe ») vise à fixer le principe selon lequel le mandat d’arrêt sera mis en œuvre en tenant compte de la limite du respect de la Constitution et des principes fondamentaux de l’ordre juridique italien. L’article 1, premier alinéa, statue que la loi « exécute81» les dispositions de la décisioncadre, « […] dans la mesure où ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les principes suprêmes de l’ordre constitutionnel en matière de droits fondamentaux, et en matière de droits de liberté et de procès équitable82». Le troisième alinéa introduit quelques conditions surprenantes. Un mandat d’arrêt sera exécuté en Italie « […] à condition que la mesure préventive qui constitue la base du mandat soit signée par un juge, qu’elle soit motivée, ou que la sentence à exécuter soit irrévocable ». Dans le cas de mesures préventives, on peut donc se demander quel sera le destin des mandats d’arrêt se fondant sur une mesure non signée par un juge, mais, par exemple, par un ministère public83. Quant aux décisions de condamnation, la force exécutive d’un mandat d’arrêt sera liée au caractère irrévocable de celles-ci84: il faut alors se demander ce qu’il adviendra des mandats se fondant sur une sentence non irrévocable mais dotée de force exécutive, provenant par exemple d’un pays où les décisions de première instance sont immédiatement exécutives. En introduisant ces deux conditions non prévues par la 81 Le texte utilise le verbe « attua » au lieu de « recepisce », utilisé par la proposition Kessler. Il s’agit d’une subtile nuance avec laquelle le législateur semble avoir voulu mettre en évidence l’absence d’effet directe des dispositions de la décision-cadre dans l’ordre juridique interne. 82 Comme le rappelle le para. 4 de l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, aussi l’Irlande a introduit une clause de refus lorsque le mandat se révèle contraire à la Constitution nationale. Selon la Commission, cela serait toutefois contraire à la décision-cadre. 83 Au Danemark, par exemple, la participation d’un juge en cette phase ne parait qu’être éventuelle. C’est ainsi selon le Rapport de la Commission, préc. note 27, qui ne manque pas de faire noter l’anomalie de la législation danoise sur ce point. 84 Ce principe est confirmé par l’article 17-4 de la loi italienne d’implémentation. Cf. para. 30. 36 décision-cadre, le législateur italien a voulu adhérer au schéma de son propre système de procédure pénale, qui prévoit que toute mesure préventive privative de la liberté personnelle soit arrêtée par « le juge qui procède »85 et qui subordonne tout effet exécutoire d’une sentence au fait que celle-ci soit devenue irrévocable et ait acquis l’autorité de la chose jugée86. Ce texte, de toute manière, pose moins de problèmes par rapport à la version qui avait été originairement proposée par la majorité faisant référence entre autre à une inédite condition de réciprocité87. L’article 2, qui a fait l’objet d’une modification substantielle par rapport à la version proposée par la majorité, vise à établir une clause de respect des droits fondamentaux et des garanties constitutionnelles: « 1. [...] l’Italie exécutera le mandat d’arrêt européen dans le respect des droits et des principes suivants, établis par les traités internationaux et par la Constitution : a) les droits fondamentaux garantis par la Convention pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...]88; b) les principes et les règles contenus dans la Constitution de la République, concernant le procès équitable, y compris ceux relatifs à la protection de la liberté personnelle, même en relation au droit de défense et au principe d’égalité, ainsi que ceux relatifs à la responsabilité pénale et à la qualité des sanctions pénales89». 85 Article 279 du code de procédure pénale. Pendant la phase des enquêtes, « le juge pour les enquêtes préliminaires » est compétent à se prononcer sur l’application de la mesure provisoire. C’est ainsi que la loi transpose de façon « garantista » la notion d’ « autorité judiciaire » dont parle l’article 13, troisième alinéa, de la Constitution. Le problème est que l’article 1-1 de la décision-cadre, quand il parle de « décision judiciaire » ne semble pas vouloir se limiter aux décisions prises par les juges. 86 Article 650 du c.p.p. italien. 87 Le texte proposé lors de la séance à la Camera du 19 avril 2004 précisait en outre que le juge devait être « indépendant », que la décision devait être « suffisamment » motivée et que, dans la phase d’instruction, « la personne soit recherchée uniquement dans le but de son renvoi en jugement ». 88 Dans son Rapport cité supra, note 27, para. 2.2.3., la Commission assume que, même si la décision-cadre n’a pas fait de la condition générale de respect des droits fondamentaux un motif explicite de refus en cas de violation, « […] cependant il va sans dire qu’une autorité judiciaire est toujours fondée à refuser l’exécution d’un mandat d'arrêt si elle constate que la procédure est entachée d’une violation de l’article 6 TUE et des principes constitutionnels communs aux États membres ». Toutefois, elle précise que « dans un système fondé sur la confiance mutuelle une telle situation devrait rester exceptionnelle ». 89 Dans la proposition Pecorella, le même article statuait que «1. [...] l’Italie exécutera le mandat d’arrêt européen seulement envers les États qui respectent : a) les droits fondamentaux garantis par la Convention pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales […]; b) les principes et les normes contenus dans la Constitution, y compris ceux relatifs à la magistrature en tant qu’ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir, à la protection de la liberté personnelle, même en relation au principe de défense et au principe d’égalité, ainsi que ceux relatifs aux sources du droit pénal, à la présomption de non culpabilité, et à la qualité des sanctions pénales ». De telles dispositions auraient été fortement critiquables, car elles auraient bafoué les principes de reconnaissance et de confiance mutuelle. Le juge de l’exécution aurait eu le pouvoir, sans en avoir les moyens, de juger si son homologue était effectivement indépendant, ou si son État respectait la CEDH. Mais surtout, on aurait demandé aux autres États membres de respecter non seulement les principes, mais aussi toute autre «disposition» contenus dans la Constitution italienne. D’ailleurs, d’autres dispositions, sorties par la porte, son rentrées par la fenêtre. Tel est le cas de la 37 Le deuxième paragraphe du même article donne la possibilité aux autorités italiennes de demander des « garanties appropriées » liées au respect des principes indiqués par le premier alinéa, tandis que le troisième introduit une obligation de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt si l’État d’émission s’est rendu responsable d’une violation grave et persistante de ces principes, constatée par le Conseil de l’Union aux termes du considérant 10 de la décision-cadre. I.1 Le nouveau mécanisme de réserve parlementaire 19. On a déjà eu l’occasion de signaler que la méfiance réservée par le Parlement italien à la décision-cadre était due en grande partie à l’absence dans le système juridique interne d’un mécanisme qui puisse permettre la participation de l’Assemblée aux négociations au sein du Conseil. Pour remédier à cette faille, l’article 3 a introduit une solution intéressante en ce qui concerne les projets de modification de la liste des infractions prévue à l’article 2-2, de la décision-cadre, instituant l’obligation pour le Gouvernement de les soumettre à la réserve parlementaire. Dans ce but, à l’avenir le Président du Conseil devra transmettre aux deux Chambres tout projet de modification accompagné d’une relation dans laquelle il devra illustrer « l’état des négociations et l’impact des dispositions sur l’ordre juridique italien ». Aux termes du paragraphe 3 du même article, un veto provenant « de la Chambre des députés ou du Sénat » aura un caractère contraignant et ne consentira pas à l’adhésion de l’État italien aux modifications proposées. Ce mécanisme pourrait permettre de limiter pro futuro les problèmes de constitutionnalité qui ont été soulevés par rapport à cette liste. Pourtant, il reste à voir comment il se coordonnera avec le dispositif de la récente loi n° 11 du 4 février 2005, qui introduit les « Normes générales sur la participation de l’Italie au procès normatif de l’Union européenne et sur les procédures d’exécution des obligations communautaires 90». Cette loi établit en fait un mécanisme de réserve parlementaire généralisé, mais à l’article 4 prévoit que, après 20 jours à compter de la communication présomption de non culpabilité, qui a été biffée dans la version définitive, mais qui est substantiellement restée en place à travers l’article 1, déjà analysé, qui impose que les décisions de condamnation de l’autorité judiciaire étrangère soient irrévocables, et à travers la disposition contenue à l’article 17-4, que nous analyserons infra au para. 30. 90 Loi n° 11 du 4 février 2004, Norme generali sulla partecipazione dell’Italia al processo normativo dell’Unione europea e sulle procedure di esecuzione degli obblighi comunitari, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n° 37 du 15 février 2005. Il s’agit de la réforme de la loi n. 86 du 9 mars 1989, dite « La Pergola », qui encadrait le processus d’adaptation de l’ordre juridique interne aux obligations imposées par le droit communautaire. 38 faite par le Gouvernement aux deux Chambres d’avoir posé la réserve d’examen parlementaire au sein du Conseil de l’Union, le Gouvernement est libre de procéder aux négociations si le Parlement ne s’est pas prononcé. Des problèmes interprétatifs pourront surgir du manque de coordination de ces deux normes, spécialement en raison du fait que l’article 3 de la loi de transposition ne prévoit pas ce mécanisme de « silenceassentiment » ( silenzio-assenso ), et n’impose pas non plus de délais au Parlement pour s’exprimer. En application des deux critères interprétatifs classiques lex specialis derogat generali et lex posterior derogat priori on pourrait parvenir à la conclusion que dans le cas de la liste de typologies criminelles prévue par l’article 2-2 de la décision-cadre, l’examen du Parlement italien n’est soumis à aucun délais. Mais le recours à l’interprétation systématique permettrait quand même d’assimiler ce mécanisme à la norme générale, compte tenu de l’obligation générale de loyauté et de coopération interinstitutionnelle prévu par l’article10 TCE. Ce rébus aurait pu être évité grâce à un simple renvoi général à la loi 11/2005. Toutefois cette dernière, au moment de l’approbation de l’article 3 dans sa version actuelle91, n’existait pas encore, et une modification ultérieure aurait résulté au renvoi une fois de plus de l’entrée en vigueur de la loi d’implémentation92. I.2. Le rôle du Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale 20. L’article 4 désigne le Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale pour la transmission et la réception des mandats d’arrêts et de la correspondance officielle les concernant. Le législateur italien a donc choisi de se valoir de l’option rendue possible par l’article 7 de la décision-cadre, qui permet aux États membres de confier aux autorités centrales ce rôle d’assistance administrative93. Cette norme ne faisait pas partie de la proposition originale présentée par M. Kessler, qui était favorable à un mécanisme de correspondance directe, « de juge à juge ». Elle a été l’objet d’un âpre débat 91 L’amendement en question a été approuvé par la Chambre des députés à très large majorité le 11 mai 2004 et par le Sénat le 26 janvier 2005. 92 Cette solution interprétative pourrait être corroborée par l’article 39-1 de la loi d’implémentation (« normes applicables »), qui fait un renvoi général « aux dispositions du code de procédure pénale et des lois complémentaires, si compatibles ». Mais il faut admettre que cela serait un peu forcé de vouloir inclure la loi 11/2005 parmi les « lois complémentaires » (… au code de procédure pénale). 93 Comment le signale le para. 2.1.2 du Rapport de la Commission, préc. note 27, ce choix a été partagé par l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Finlande et la Suède, tandis que en Danemark le Ministre est l’autorité judiciaire compétente en tout. Estonie, Hongrie, Malte, Irlande, et Royaume Uni ont opté pour l’interposition d’une autorité centrale détenant le monopole des transmissions. Selon la Commission, dans 39 parlementaire, qui l’avait vu introduite, supprimé par la Chambre94 et finalement réintroduite au Sénat dans sa version modifiée. C’est ainsi que le paragraphe 4, ajouté in extremis, avec une formule un peu obscure, prévoit une possibilité de correspondance directe limitée entre les autorités judiciaires : « dans les limites et avec les modalités prévues par des accords internationaux – dit le texte définitif de la norme – la correspondance directe entre les autorités judiciaires peut être consentie à condition de réciprocité. Dans ce cas l’autorité judiciaire compétente informe immédiatement le Ministre de la Justice de la réception ou de l’émission d’un mandat d’arrêt européen […] ». Il semble donc que la condition de réciprocité dont la norme parle ne pourra pas être considérée remplie lorsque, par exemple, la loi d’implémentation d’un des autres 24 pays membres autorise immédiatement la correspondance directe. Au contraire, pour que ce mécanisme opère il faudra faire référence à des ( futurs? ) « accords internationaux » non mieux précisés. L’utilisation de la forme passive ( « peut être consentie » ) sans un complément d’agent correspondant n’aide pas à clarifier par qui concrètement la correspondance directe peut être autorisée. En tout cas, l’utilisation de la forme éventuelle « peut », impliquant une décision discrétionnaire, semble exclure la possibilité que le mécanisme de correspondance directe opère de façon automatique. La dernière phrase de cet article 4 nous précise que cette norme est sans préjudice pour la compétence du Ministre de la Justice en matière de remise de la personne, en application du premier paragraphe de l’article 23, qui attribue à la Garde de Sceaux la tâche de stipuler des accords visant à régler les modalités de la remise de la personne. Cette compétence ministérielle semble aller un peu au delà du rôle d’assistance administrative que la décision-cadre voulait attribuer aux autorités centrales, comme nous le laisse comprendre le considérant 9 de cette dernière. Cependant, la loi italienne est loin des excès qu’on retrouve dans d’autres pays membres, notamment le Danemark95, où le Ministre de la Justice est l’autorité judiciaire compétente à délivrer ou à exécuter un mandat à norme de l’article 6 de la décision-cadre, ce qui semble vraiment contraire non seulement à l’esprit de la décision-cadre, mais aussi plus généralement aux principes ces derniers deux cas le rôle de l’autorité centrale outrepasserait le simple rôle de facilitation administrative voulu par la décision-cadre. 94 Exactement, lors de la séance de la Camera du 17 février 2005, quand le vote conjoint de l’opposition et de la Lega Nord (ce dernier étant un peu paradoxale étant considérées le positions traditionnellement exprimés par ce parti sur le rôle du Ministre de la Justice) avait mis en minorité le Gouvernement sur ce point controversé, causant ainsi un des nombreux renvois enregistrés pendant l’iter parlementaire. 95 De façon similaire, en Estonie et en Lituanie le Ministre est compétent à délivrer un mandat en exécution d’une décision judiciaire. 40 fondamentaux sur lesquels la confiance mutuelle devrait se fonder, comme l’a remarqué la Commission96. II. Procédure passive de consigne 21. La méfiance envers le principe de reconnaissance mutuelle qui a inspiré cette loi se reflète dans le déséquilibre entre la masse imposante de la partie relative à la procédure passive et l’exiguïté des dispositions destinées à régler le rôle de l’Italie en tant qu’État d’émission. II.1. Compétence de la Cour d’Appel 22. Au sens de l’article 5 de la loi italienne (« garantie juridictionnelle »), l’instance qui juge sur la remise est la Cour d’Appel, dont la compétence est fixée selon les critères territoriaux classiques (résidence, domicile, demeure, ou lieu d’arrestation). La Cour d’Appel de Rome a une compétence résiduelle97. II.2. Refus du mandat d’arrêt pour insuffisance de son contenu et de ses pièces jointes 23. Le premier paragraphe de l’article 6 reproduit exactement l’article 8 de la décision-cadre quant au contenu du mandat d’arrêt. Si le mandat d’arrêt ne contient pas l’une des informations prévues98, le juge italien, en application de l’article 16 – directement ou par l’intermédiaire du Ministre de la Justice – pourra demander à l’autorité d’émission la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires. Cette dernière disposition est un calque de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre, sauf que pour ses conséquences (explicites). Si l’autorité d’émission ne pourvoit pas à l’intégration dans un délai fixé par le juge italien et qui en tout cas ne peut pas être supérieur à 30 jours, ce dernier devra refuser la requête. La procédure suivra le 96 V. Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 4. Selon la Commission, 13 États membres auraient désigné le Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale, mais parfois le rôle de ceux-ci semblerait aller au-delà de l’esprit de la décision-cadre. 97 La version originaire de la proposition Pecorella prévoyait que les décisions relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen devaient être soumises « au contrôle d’une autorité judiciaire qui soit suffisant à garantir le respect des dispositions des considérants (12), (13) et (14) de la décision-cadre ». 98 Sauf les informations prévues par l’article 8-1, lettre b), de la décision-cadre : le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et de télécopieur et l’adresse électronique de l’autorité judiciaire d’émission. Dans la proposition Pecorella, le manque de toute information – y inclues celles prévues par l’article 8 de la décision-cadre – était frappé par la sanction de l’irrecevabilité. 41 même chemin si le juge italien estime nécessaire d’obtenir des éléments ultérieurs dans le but de vérifier si l’une des nombreuses (et très originales99) causes de refus prévues par l’article 18 subsiste. Il en est de même pour les causes de refus prévues par l’article 19, qui toutefois se limite à rendre obligatoires les garanties accordées par l’article 5 de la décision-cadre (en ce qui concerne les décisions par défaut, la peine d’emprisonnement à vie, et l’exécution de la peine dans l’État où la personne est résidante ou dont elle est citoyenne). Les paragraphes 3 et 4 obligent l’autorité d’émission à joindre au mandat d’arrêt une copie de la décision sur laquelle le mandat se fonde ; une « relation sur les faits attribués à la personne de laquelle la remise est demandée, avec l’indication des sources de preuve, du temps et du lieu de commission des faits mêmes et de leur qualification juridique »; le texte des dispositions législatives applicables, avec l’indication du type et de la durée de la peine ; les données signalétiques et toute autre information apte à déterminer l’identité et la nationalité de la personne de laquelle la remise est demandée. Si l’État d’émission ne remplit pas cette obligation imposée par la loi italienne, le président de la Cour d’Appel ou un magistrat délégué par celui-ci requiert au Ministre de la Justice l’acquisition de ces documents, en informant l’autorité d’émission « que la réception de la décision et de la documentation est une condition nécessaire pour l’examen de la requête d’exécution de la partie de la Cour d’Appel ». Si l’autorité d’émission ne donne pas suite à la requête du Ministre, « la Cour d’Appel refuse la requête » (c’est-à-dire, le mandat d’arrêt). Il est à peine le cas de rappeler que ces dispositions sur les pièces jointes, et surtout celles relatives aux conséquences de leur absence, ne sont présentes nulle part dans le texte de la décision-cadre100, même si l’article 12 de cette dernière établit génériquement que « la mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de la personne recherchée101». 99 V. para. 31. Selon le para. 2.2.2. du Rapport de la Commission, préc., note 27, des obligations de joindre des mentions ou pièces non prévues par la décision-cadre auraient aussi été introduites par les lois de transposition maltaise et tchèque. Selon l’Annexe au Rapport, préc. note 27, 6 États membres – l’Allemagne, l’Espagne, la Lituanie, le Portugal, la Slovaquie et la Suède – refuseront le mandat ou libéreront la personne si les informations requises ne sont pas reçues dans les délais ou si elle sont incomplètes. 101 Une des modifications plus opportunes par rapport à la proposition Pecorella a regardé cet article. Le paragraphe 3, lettre à) demandait de joindre à un mandat, entre autre, « […] tout document nécessaire afin de permettre l’examen que l’autorité judiciaire italienne devra effectuer pour vérifier si les principes 100 42 Tout mandat d’arrêt devra parvenir en Italie en langue italienne. II.3. Cas de double incrimination 24. L’article 7 fait de la double incrimination une condition générale obligatoire pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. En effet, l’article 2-4 de la décision-cadre laissait ce choix aux États membres102 pour les infractions autres que celles visées au paragraphe 2 dudit article. En ce qui concerne les infractions en matière de taxes, impôts, douanes et change, l’article 4-1 de la décision-cadre exclut tout refus se fondant sur le fait que la législation de l’État d’exécution n’impose pas le même type de réglementation fiscale ou douanière. Mais le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi d’implémentation italienne introduit une exception à ce principe. Il doit s’agir de taxes et d’impôts assimilables, par analogie, à de taxes ou des impôts pour lesquelles la loi italienne prévoit, en cas de violation, la sanction de la réclusion d’un maximum d’au moins trois ans, sans tenir compte d’éventuelles circonstances aggravantes. De même, pour le calcul de la durée maximale de la peine ou de la mesure de sûreté dont à l’article 2-1 de la décision-cadre, qui définit le champ d’application de la décisioncadre, la loi italienne précise qu’il ne faudra pas tenir compte des circonstances aggravantes. Voilà une précision ne figurant pas dans le texte de la décision-cadre et qui aurait été très opportune en son contexte de celle-ci en application du principe de légalité, contenus dans les articles 1 et 2 ont été respectés […] ». Si on considérait la formulation originaire des articles 1 et 2 (v. supra, para. 16-18), on aurait pu se demander quels auraient pu être les documents que le juge a quo aurait dû joindre, afin de démontrer à son collègue italien qu’il faisait partie d’une magistrature indépendante, et que son État respectait effectivement la CEDH et... la Constitution italienne. On n’aurait pu penser à rien d’autre qu’à un manuel de droit constitutionnel et de procédure pénale du pays d’émission. Cette prévision, due probablement plutôt à une inattention qu’à un sens de l’humour involontaire, était de toute façon fort expressive du climat qui a accueilli la décision-cadre lors de son entrée au Parlement italien. 102 Pour ces infractions « autres » la décision-cadre précise que le contrôle sur la double incrimination a lieu « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification » de l’infraction. Selon la version originairement présentée par la majorité, le juge italien aurait aussi dû vérifier «l’identité des éléments constitutifs, subjectifs et objectifs». Il est remarquable que ni la discipline générale du code pénal et du code de procédure pénale, ni certains traités bilatéraux conclus par l’Italie (v. par exemple l’article 2 de la loi n. 225/1984, de ratification du Traité d’extradition Italie-USA du 13 octobre 1983, publiée sur GURI n° 165 du 16.07.1984, disponible sur le site http://www.giustizia.it/cassazione/leggi/l225_84.html, qui parle seulement de « crimes punissables selon les lois des deux parties contractantes ») font référence à l’identité objective et subjective de la définition du crime. Notamment, l’article 13, 2ème alinéa, du code pénal dit simplement que « le fait qui est l’objet de la demande d’extradition » doit être prévu « comme crime par la loi italienne et par la loi étrangère ». Encore une fois, le débat parlementaire a permis une amélioration de la loi définitive. 43 mais qui sans doute sortait désormais du domaine de compétence du législateur national en vertu du principe de reconnaissance mutuelle. II.4. La liste des crimes et le retour de double (ou « triple ») incrimination 25. La formulation de l’article 8 est un point crucial de la loi italienne de transposition, qui la rend unique parmi les 25 législations nationales d’implémentation103. A travers cet article, le législateur italien a voulu remédier aux probables atteintes au principe constitutionnel de détermination suffisante de l’infraction pénale causées par la carence définitoire excessive de la liste contenue dans l’article 2-2 de la décision-cadre. Cependant, son intervention tardive semble aller bien au-delà de cette exigence. D’une part, le principe selon lequel la double incrimination ne s’applique pas aux cas énumérés a été confirmé au premier paragraphe. D’autre part, des définitions extrêmement détaillées ont été données pour chaque type d’infraction, plus détaillées, dans certains cas, que les définitions contenues dans le code pénal. En demandant au juge de l’exécution de vérifier la correspondance entre l’incrimination prévue par le droit du pays d’émission et la définition donnée par cet article 8, le législateur italien semble avoir réintroduit de facto un contrôle sur la double incrimination qui parfois sera encore plus strict qu’à l’accoutumée. Nous nous limiterons à nous référer à quelques exemples parmi les plus significatifs. La typologie d’infraction citée à la lettre e) de l’article 2-2 de la décision-cadre (« trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes »), a été ainsi traduite : « vendre, offrir, céder, distribuer, commercialiser, acquérir, transporter, exporter, importer, ou procurer à d’autres des substances qui, selon les législations en vigueur dans les pays européens, sont considérées stupéfiantes et psychotropes » 104 . Il est évident qu’une liste si minutieuse de verbes ne peut qu’avoir un caractère péremptoire, avec la conséquence d’exclure toutes les autres activités qui par hasard n’y rentrent pas. 103 Ce nouveau phénomène de « triple incrimination » semble être un trait distinctif de la législation italienne, comme nous sommes sur le point d’expliquer ci-après. Il n’en semble pas être de même pour les législations de la Belgique, de la Pologne, de la Slovénie, de l’Estonie, de la Grèce et de la France, qui, selon le para. 2.1.1 du Rapport de la Commission, préc. note 27, auraient « […] rétabli […] ou pris le risque de rétablir […] un contrôle sur la double incrimination » . V. aussi l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 2. 44 La notion de « cybercriminalité » a été redéfinie de la façon suivante105: « commettre, dans le but de procurer un profit à soi-même ou à d’autres personnes, ou de causer un dommage à d’autres personnes, un acte dans le but de s’introduire ou de stationner abusivement dans un système informatique ou télématique protégé par des mesures de sécurité ou d’endommager ou de détruire des systèmes informatiques ou télématiques, données, informations ou logiciels qui y sont contenus ou qui y sont relatifs ». Ce deuxième exemple met en évidence les difficultés d’application pouvant survenir, car la définition donnée par le législateur fourmille d’éléments objectifs et subjectifs qui pourraient très bien manquer dans la définition du pays d’émission. Une autre liste péremptoire est celle de la lettre n). Au moment où la décision-cadre parle de « crimes contre l’environnement, y compris le trafic illicite d’espèces animales menacées et le trafic illicite d’espèces et d’essences végétales menacées », la conduite définie par la loi italienne consiste à « mettre en péril l’environnement à travers le rejet d’hydrocarbures, d’huiles usagés ou de fanges provenant de l’épuration des eaux, l’émission de substances dangereuses dans l’atmosphère, dans le sol ou dans l’eau, le traitement, le transport, le dépôt, l’élimination de déchets dangereux, le stockage de déchets dans le sol ou dans l’eau et la gestion abusive d’une déchetterie ; posséder, capturer et commercialiser des espèces animales et végétales protégées ». En ce qui concerne « l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers », la loi italienne ajoute un but de profit qui n’est pas nécessairement requis par la notion de la décision-cadre, et cela aussi pour le trafic d’organes, de sorte que l’on ne pourra pas exécuter un mandat d’arrêt envers une personne qui aurait trafiqué des organes n’ayant pas comme objectif celui d’en tirer un gain. Quant à l’ « enlèvement, la séquestration et la prise d’otage », la notion donnée par le législateur italien subordonne la subsistance de l’incrimination à la vérification de la circonstance que la séquestration soit faite dans le but de « contraindre une troisième personne [...] à mettre en oeuvre n’importe quel acte ou omission, en subordonnant la libération de la personne séquestrée à cet acte ou 104 105 Article 8-1, lettre e). Article 8-1, lettre m). 45 omission »106. La définition de « racisme et xénophobie », fortement critiquée par la majorité parlementaire à cause de sa possible « interprétation en sens liberticide », a été restreinte seulement aux incitations publiques à la violence, en tant que « manifestation d’une haine raciale » et à l’exaltation des crimes contre l’humanité. Dans tous ces cas, le juge italien devra faire un effort de comparaison107 entre les deux définitions : et le fait que la définition italienne est contenue dans la loi de transposition plutôt que dans le code pénal change très peu en ce que le principe de reconnaissance mutuelle est vidé de toute signification. Ainsi on a pu parler de « triple incrimination108». Une solution plus simple, capable de mettre un frein puissant à des abus éventuels, consistait simplement à obliger l’État d’émission d’apporter la preuve que l’infraction pour laquelle un mandat d’arrêt est émis est effectivement punissable en vertu de sa loi nationale, afin qu’il puisse être démontré que la restriction de la liberté individuelle impliquée par la mise en oeuvre du mandat d’arrêt ne revête pas un caractère arbitraire109. D’ailleurs, tel est précisément le but de l’obligation de joindre au mandat d’arrêt le texte des lois applicables, prévu par l’article 6-4 b), comme nous l’avons déjà vu plus haut. II.5. Ignorantia legis excusat 26. En application de l’article 8-3, le juge italien devra refuser la remise « du citoyen italien » si le fait incriminé n’est pas prévu comme crime par la loi italienne, et s’il résulte que la personne recherchée « ne connaissait pas, sans faute de sa part, la norme pénale du pays d’émission ». Il s’agit de la codification du principe de l’ignorance excusable de la loi pénale énoncé par la Cour constitutionnelle dans le célèbre arrêt n° 364/88110, et trouvant son fondement dans le principe de la responsabilité pénale personnelle dont à l’article 27-1 de la Constitution italienne. Cependant, une fois de plus, le législateur italien a introduit une cause de refus relative à la protection d’une garantie fondamentale propre de l’ordre constitutionnel interne, mais qui n’existe guère dans la 106 Article 8-1, lettre r). Article 8-2. 108 V. le discours à la Camera du député Giannicola Sinisi lors de la séance n. 585 du 14 février 2005. 109 V. l’avis du Conseil d’État français n° 368-282 du 26 septembre 2002, sur http://www.senat.fr/rap/l02126/l02-12610.html . 107 46 décision-cadre. La discrimination en faveur des citoyens italiens, en outre, ne semble pas justifiée. Par exemple, la situation d’un non citoyen italien, résidant en Italie, se trouvant dans une condition d’ignorantia legis excusable par rapport à la législation d’un Pays membre autre que le sien, pourrait bien se présenter. Une pareille discrimination pose des problèmes de manque de respect non seulement des principes généraux du droit communautaire, mais aussi, paradoxalement, de la Constitution italienne, du moment que l’article 27 ne se limite pas à protéger les citoyens, mais tous ceux qui ont à faire avec la justice : cela résulte de la lecture conjointe de cet article avec l’article 24-1 de la Constitution, qui prévoit que « Chacun peut ester en justice pour la protection de ses droits et de ses intérêts légitimes », sans se limiter aux citoyens de la République italienne. II.6. La compétence sur la requête passive et le déroulement de la procédure 27. Les articles 5 et 9 attribuent à la Cour d’Appel territorialement compétente, à laquelle le Ministre de la Justice transmet le mandat, le pouvoir de juger sur la remise. Le président de la Cour décide par ordonnance motivée « sous peine de nullité » de l’application d’une mesure coercitive provisoire, s’il pense que celle-ci est nécessaire, « compte tenu particulièrement de l’exigence de garantir que la personne de laquelle la remise est demandée ne se soustraira à cette dernière », comme le demande l’article 12 de la décision-cadre. Le paragraphe 6 de l’article 9 de la loi italienne précise que « les mesures coercitives ne peuvent pas être ordonnées, s’il y a des raisons pour croire que des causes qui empêchent la consigne subsistent111 ». Contre les ordonnances du président de la Cour d’Appel, la personne intéressée, son défenseur et le procureur général peuvent faire un recours en Cassation pour violation de la loi112. Dans un délai de 5 jours à partir de l’exécution des mesures coercitives, le président interroge l’intéressé, en le renseignant entre autre sur ses droits en application de l’article 11 de la décision-cadre. Ainsi la loi italienne prévoit l’audition obligatoire de la personne 110 Corte cost. du 23 mars 1988, in Foro italiano, 1988, I, p.1385. Cette jurisprudence a déclaré l’illégitimité constitutionnelle de l’article 5 du code pénal en ce qu’il ne prévoyait pas l’ignorance « inévitable » de la loi comme exception au principe général ignorantia legis non excusat. 111 Ainsi le texte de la proposition Pecorella a été changé, qui prévoyait que « nulle mesure ne peut être appliquée s’il est établi que le fait a été commis en présence d’une cause de justification ou si la personne n’est pas punissable ou s’il y a une cause d’extinction du crime ou de la peine ». 112 Article 9-7 de la loi italienne d’implémentation. Cette dernière fait aussi un renvoi général aux dispositions du code de procédure pénale, conformément à l’article 12 de la décision-cadre. 47 recherchée, tandis que l’article 14 de la décision-cadre lui attribue ce droit seulement lorsqu’elle ne consent pas à sa remise. L’audience en chambre de conseil pour la décision a lieu dans un délai de 20 jours à partir de l’exécution des mesures provisoires. Des normes spécifiques sont prévues dans le cas où la Police judiciaire procèderait à l’arrestation à sa propre initiative (articles 11-13), pour le consentement donné à la consigne, qui est toujours irrévocable113 (article 14), pour les mesures provisoires dans l’attente de la décision (article 15), et pour les informations intégratives (article 16). Ces dispositions ne semblent poser aucun problème particulier quant à leur compatibilité avec les normes correspondantes de la décision-cadre, si ce n’est pour le refus de la remise dépendant du retard dans la transmission des informations intégratives dont nous avons déjà parlé. Il faut aussi souligner le rôle de protagoniste que le Ministre de la Justice conserve dans la procédure en cette phase. C’est lui, en effet, qui a la tâche de se coordonner avec l’autorité judiciaire d’émission à fin de s’accorder sur la durée et les conditions du transfert temporaire, en application de l’article 19 de la décision-cadre. II.7. La décision « sur la requête » 28. Aux termes de l’article 17, la sentence qui décide de la remise doit intervenir dans un délai normal de 60 jours, qui correspond à celui établi par l’article 17-3 de la décisioncadre, à compter de l’exécution de la mesure provisoire restrictive de la liberté personnelle. Si, en cas de force majeure, ce délai ne peut pas être respecté, le président de la Cour d’Appel en informe le Ministre de la Justice, qui en informe à son tour l’autorité de l’État membre d’émission, « aussi à travers Eurojust ». Cette dernière précision semble aller au-delà de ce qui est établi par l’article 17 de la décision-cadre, qui impose à l’autorité d’exécution d’informer directement l’autorité d’émission, et parallèlement Eurojust. Il ne semble pas, en d’autres mots, que l’autorité de l’exécution puisse mandater Eurojust pour cette tâche, qui rentre dans la compétence des autorités nationales. Il faut signaler, d’ailleurs, que neuf autres États membres n’ont pas mentionné la possibilité d’informer Eurojust dans leur législation nationale114. 113 L’Italie donc a opté pour l’irrévocabilité du consentement, ne faisant pas recours à la possibilité ouverte par l’article 13 de la décision-cadre. Selon le para. 2.2.3 du Rapport de la Commission, préc. note 27, on constate désormais que dans la pratique, dans plus de la moitié des cas rapportés, les personnes concernées consentent à leur remise. 114 V. l’Annexe au Rapport de la Commission préc. note 27, para. 4. 48 II.8. Les conséquences du manque de respect des délais 29. Voilà un des éléments d’originalité les plus marquants de la loi italienne, qui est tout à fait contraire à la décision-cadre mais peut-être moins contradictoire que celle-ci. La décision-cadre a établi trois délais principaux régissant la procédure. Le premier délai est celui qui est imposé par l’article 17-2 : « Lorsque la personne recherchée consent à sa remise, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être prise dans les dix jours suivant ledit consentement ». Le deuxième est imposé par le paragraphe successif : « Dans les autres cas, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être prise dans un délai de soixante jours à compter de l’arrestation de la personne recherchée ». Dans des « cas spécifiques », selon le paragraphe 4, ce dernier peut être prolongé de 30 jours. Le troisième est le délai pour la remise de la personne, qui en application de l’article 23 doit se perfectionner « […] au plus tard dix jours après la décision finale sur l’exécution du mandat d’arrêt européen ». Si le respect de ce délai s’avère « impossible en vertu d’un cas de force majeure », les deux autorités judiciaires s’accordent pour établir une nouvelle date. Dans ce cas, la remise doit impérativement être effectuée dans les dix jours suivant cette nouvelle date convenue. Une norme similaire s’applique lorsqu’il y a « des raisons humanitaires sérieuses » : dans ce cas, il est « sursis temporairement à la remise » jusqu’à ce que telles raisons cessent d’exister. C’est à ce moment que les deux autorités judiciaires conviendront d’une nouvelle date, et les dix jours découleront de cette nouvelle date115. La décision-cadre ne lie aucune conséquence juridique particulière au manque de respect des premiers deux délais, sinon, comme nous l’avons vu, un devoir d’en informer Eurojust, comme s’il s’agissait de sanctionner l’État défaillant à travers une sorte de « mauvaise publicité ». La conséquence est beaucoup plus sérieuse dans le cas de manque de respect des délais imposés par l’article 23. Selon l’article 24-5 de la décision-cadre, si 115 Article 23-4 de la décision-cadre. Deux remarques : 1) il est difficile d’expliquer le choix du législateur européen de rédiger deux paragraphes distincts avec deux formulations différentes pour deux situations qui sont pratiquement réglées de la même façon ( aussi dans le premier cas il s’agit d’un sursis, même si la norme n’en parle pas explicitement ) et qui ont les mêmes conséquences. L’unique chose qui change est apparemment la prémisse : force majeure ou raisons humanitaires sérieuses. De plus, la notion de « raisons humanitaires sérieuses » ( telle que par exemple une situation de danger pour la vie de la personne) semble pouvoir bien être comprise dans la catégorie plus ample de « force majeure » ; 2) il est à notre avis légitime de penser que ces deux délais puissent se juxtaposer : c’est à dire, si une situation de force majeure autre qu’une raison humanitaire sérieuse s’avère après la cessation de celle-ci, on pourrait estimer qu’un nouveau 49 la personne se trouve toujours en détention à l’expiration de ces délais, elle doit être remise en liberté. La décision-cadre propose donc un système un peu contradictoire : la procédure pourrait durer théoriquement à l’infini jusqu’à la décision finale, sans que la personne éventuellement en état de détention ait le droit d’être libérée et sans qu’elle ait la moindre certitude sur son avenir ; une fois la décision intervenue – c’est à dire, une fois qu’un premier embryon de sûreté juridique se sera finalement greffé dans la procédure – la décision-cadre imposera un délai péremptoire particulièrement strict, quitte à rendre vain un travail d’enquête qui avait été probablement long et épuisant. Dans le premier cas, l’inviolabilité de la liberté personnelle et la présomption d’innocence, s’il s’agit de personnes recherchées en vue de leur poursuite, subissent une blessure profonde. Dans le deuxième, juges et policiers d’au moins deux pays peuvent se voir obligées à « rejeter à la mer le poisson » après l’avoir pêché. Or « heureusement », la notion de force majeure – par définition vis cui resisti non potest – est suffisamment souple pour pouvoir justifier de sursis sans encourir d’excessifs embarras116. La loi italienne, au contraire, est tranchante. La conséquence sera la libération de la personne dans les trois cas, comme il le disent les articles 21 et 23 : une discipline très respectueuse de la liberté personnelle et de la… faune marine ; beaucoup moins respectueuse, toutefois, de la décision-cadre117. II.9. Les indices graves de culpabilité 30. Le quatrième paragraphe de l’article 17 contient un autre élément d’originalité : la Cour d’Appel « ordonne la remise de la personne recherchée si des indices graves de culpabilité sont établis ou si une décision irrévocable de condamnation existe ». Nous avons déjà décrit les problèmes qui surgissent du fait d’avoir lié la force exécutoire d’un mandat d’arrêt au caractère irrévocable de la décision sur laquelle il se fonde118. Mais la vraie nouveauté consiste à avoir introduit l’obligation, pour le juge de l’exécution, de sursis ait lieu, et vice-versa, même si le para. 3 ne renvoie explicitement qu’au délai « normal » prévu par le para. 2. 116 Ce risque est plus important dans les 4 pays – Belgique, Danemark, Espagne et Estonie – dont les législations nationales prévoient qu’en tout cas le délais de dix jours ne peut être prolongé que de dix autres jours à partir de la date de la décision finale, et non pas de la nouvelle date convenue, comme le prévoit l’article 23-4 de la décision-cadre. 117 Une différence ultérieure avec la décision-cadre est que cette dernière n’énumère le danger manifeste pour la santé ou la vie de la personne recherchée qu’à titre d’exemple de raison humanitaire sérieuse, tandis que l’article 23-3 de la loi italienne en fait la seule hypothèse possible. 118 V. para. 18. 50 vérifier la subsistance de ces graves indices de culpabilité119. En stricte application du principe de reconnaissance mutuelle, cette évaluation devrait rester la compétence de l’autorité d’émission. Il s’agit, encore une fois, d’une norme que le législateur italien a voulu introduire dans le souci de protéger un droit fondamental propre à l’ordre juridique interne120. Mais dans ce cas il semble aussi y avoir une faute de perspective. En effet, dans la dialectique « normale » du système juridique interne, le ministère public demande la mesure, et le juge en dispose. Mais on ne peut pas étendre ce schéma procédural au système du mandat d’arrêt européen. Dans ce contexte, l’autorité judiciaire d’émission n’est pas assimilable au ministère public italien, car elle est porteuse d’un acte – le mandat d’arrêt – qui s’est perfectionné juridiquement dans l’ordre juridique de provenance, et non pas d’une simple requête121. II.10. Les nouveaux motifs de refus 31. Nous avons déjà rencontré le long de notre parcours plusieurs motifs de refus, semés un peu partout dans cette loi d’implémentation. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées, car l’article 18 ajoute 20 autres motifs explicites de refus. Certains d’entre eux sont déjà « connus » par la décision-cadre. Il s’agit des sept motifs de nonexécution facultative prévus par l’article 4 de la décision-cadre, et rendus obligatoires par la loi italienne122. A ceux-ci, un assortiment de causes de justification ou d’exclusion de la responsabilité importées directement du code pénal italien vient s’ajouter. Le législateur italien subordonne à nouveau l’efficacité du mandat d’arrêt européen au respect du droit interne ; pour l’énième fois, le juge italien devra procéder à une appréciation sur le fond de l’affaire : nous nous limiterons à nous reporter ici à quelques 119 Une restriction similaire est prévue par l’article 28-2 de la loi hollandaise d’implémentation : l’autorité judiciaire d’exécution doit refuser la remise si elle constate qu’il ne peut y avoir aucun suspect sur le fait que la personne requise est coupable en relation aux actes pour lesquels la remise est demandée. Dans l’Annexe au Rapport préc. note 27, la Commission ne manque pas de souligner qu’un tel examen au fond du cas est contraire à la décision-cadre. A fortiori on doit donc parvenir à la même conclusion en ce qui concerne l’Italie. 120 V. l’article 273-1 du code de procédure pénale italien, selon lequel « nul ne peut être soumis à des mesures de cautèle si à charge il n’y a la subsistance de graves indices de culpabilité ». 121 Nous restons de cette opinion même si l’article 19 de la décision-cadre parle de façon accidentelle de « juridiction requérante », car la formule utilisée dans tous les autres cas est celle d’autorité judiciaire ou État membre « d’émission ». 122 L’Italie n’est pas le seul État membre à avoir interprété l’article 4 de la décision-cadre dans le sens que ce dernier laisserait aux États membres ( et non pas à leurs juges ) la possibilité de choisir de se prévaloir des 7 motifs de refus contenus dans cet article. Selon l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 4, ainsi ont fait plusieurs États membres, qui ont rendus obligatoires pour leurs juges certains de ces « motifs de non-exécution facultative ». 51 exemples parmi le plus éloquents123. En application de la lettre d) dudit article, un de ces motifs obligatoires de refus correspond au consensus de la personne dont le droit a été lésé. Il s’agit d’une cause de justification du crime prévue par l’article 50 du code pénal : si la victime pouvait disposer validement de son droit selon la loi italienne, le juge ad quem devra refuser l’exécution du mandat. De l’article 51 c.p. provient la cause d’exclusion figurant à la lettre c): la personne ne sera pas punissable si pour la loi italienne le fait constitue exercice d’un droit ou si elle a pour l’accomplissement de son devoir. De l’article 45 c.p. provient la cause justificatrice de la force majeure. Le juge devra en outre refuser l’exécution « si le fait est une manifestation de la liberté d’association et de presse124 » ou, selon la lettre e), si « la législation de l’État membre d’émission ne prévoit pas des limites maximales pour l’emprisonnement préventif ». Le refus de l’exécution pour les infractions politiques a été réintroduit125, en bafouant ainsi l’une des principales nouveautés introduites par la décision-cadre126. La lettre g) oblige le juge à refuser l’exécution du mandat si « par les actes du procès apparaît que la décision […] n’est pas la conséquence d’un procès équitable, conduit dans le respect des droits minimaux de l’accusé » prévus par l’article 6 CEDH et par l’article 2 du Protocole n° 7, qui garantit le droit à un double degré de juridiction en matière pénale. Dans le cas des mineurs, en application de l’article 18, lettre i), le juge refusera aussi le mandat si la personne avait moins de 14 ans au moment de la commission du fait, ou si elle avait moins de 18 ans et que le fait est punissable d’une peine maximale inférieure à 9 ans, ou si « la restriction de la liberté personnelle apparaît incompatible avec les processus éducatifs en acte, ou si l’ordre juridique de l’État membre d’émission ne prévoit aucune différence de traitement pénitentiaire entre un mineur de 18 ans et un 123 L’Italie n’est pas le seul pays à avoir introduit des motifs de refus qui ne sont pas prévus par la décisioncadre. Cette pratique a été défini comme « inquiétante » par la Commission, qui a désapprouvé – sauf en ce qui concerne les motifs de refus se basant sur le respect du ne bis in idem vis-à-vis de la Cour pénale internationale et plus en général sur le respect des droits fondamentaux, que les deux tiers des États ont décidé d’introduire expressément, tandis que les autres ont apprécier que cette clause était implicite – la prévision de nouveaux motifs de refus de la part notamment du Danemark, de Malte, de la Hollande, du Portugal et du Royaume Uni, telles que des motivations politiques, de sécurité nationale ou impliquant un contrôle au fond de l’affaire. V. le Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 2.2.1. 124 Article 18, lettre d). A ce propos, v. aussi le considérant 12, deuxième alinéa, de la décision-cadre. 125 Sauf les exclusions prévues par l’article 11 de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997, par l’article 1 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme signée à Strasbourg le 27 janvier 1977 et par l’article unique de la loi constitutionnelle n. 1 du 21 juin 1967, qui règle l’extradition pour les délits de génocide. V. l’article 18, lettre f) de la loi italienne d’implémentation. 52 majeur, ou quand, une fois les contrôles nécessaires effectués, le sujet apparaît dans tous les cas non punissable, ou, finalement, quand dans l’ordre juridique de l’État membre d’émission la vérification de la capacité effective d’entendre et de vouloir n’est pas prévue127». La lettre s) établit une exception pour les femmes enceintes ou mères d’enfants âgés de moins de trois ans, sauf si on est en présence d’exigences de cautèle « de gravité exceptionnelle » et que le mandat a été émis au cours d’un procédé128. La lettre t) exclut l’exécution du mandat d’arrêt si la motivation de la décision de la mesure restrictive qui est à la base du mandat d’arrêt européen manque de motivation. Il s’agit d’un principe général du droit garanti non seulement dans l’ordre juridique interne par l’article 13, deuxième alinéa, de la Constitution italienne129, mais aussi dans le système de la Convention européenne des droits de l’homme130, que la décision-cadre semble à tort bafouer, puisqu’elle ne prévoit l’obligation de la motivation que pour les décisions de refus131. Une clause générale prévoit finalement de façon explicite le refus de l’exécution lorsque « le jugement pour l’exécution duquel la consigne a été demandée contient des dispositions contraires aux principes fondamentaux de l’ordre juridique italien132». On peut se demander si et jusqu’à quelle mesure cette norme est justifiée par le considérant 12, deuxième alinéa, de la décision-cadre, qui précise que cette dernière « n’empêche pas un État membre d’appliquer ses règles constitutionnelles relatives au respect du droit à un procès équitable, à la liberté d’association, à la liberté de la presse et à la liberté d’expression dans d’autres médias ». 126 Pour les problèmes de constitutionnalité concernant les infractions politiques, v. supra, para. 14. Même si cette norme peut sembler très restrictive, elle ne pose pas de problèmes de conformité à la décision-cadre, dont l’article 3, en ce qui concerne les mineurs, fait un renvoi explicite au droit de l’État membre d’exécution. 128 En Italie la doctrine et la jurisprudence font traditionnellement une distinction entre la phase du « procédé » ( « procedimento » ) et du « procès » pénal ( « processo » ). Dans le schéma classique, la première coïncide avec la phase de l’enquête préliminaire dirigée par le ministère public et par la police judiciaire sous la vigilance du juge pour les enquêtes préliminaires. La deuxième commence avec la fin du procedimento, quand le ministère public décide de « promouvoir » l’action pénale devant le juge pour l’audience préliminaire. L’utilisation du mot procedimento dans la formulation de la lettre s) laisse donc supposer qu’elle s’applique aussi à un moment qui correspond, pour les juridictions étrangères, à la phase de l’instruction. 129 V. supra para. 11. 130 V. Article 45-1 CEDH, qui prévoit sans exceptions que « Les arrêts, ainsi que les décisions déclarant des requêtes recevables ou irrecevables, sont motivés ». 131 Article 17-6 de la décision-cadre. 132 Article 18, lettre v) de la loi italienne d’implémentation. 127 53 II.11. Garanties demandées à l’État d’émission et concours de demandes 32. En application de l’article 19, l’Italie subordonnera l’exécution d’un mandat d’arrêt à toutes les trois conditions énumérées par l’article 5 de la décision-cadre ( en ce qui concerne les jugements par défaut, l’emprisonnement à vie, et les ressortissants de l’État d’exécution ). Concernant les concours de demandes, l’article 20 respecte exactement l’ordre proposé par l’article 16 de la décision-cadre dans l’énumération des critères dont le juge de l’exécution doit tenir compte pour opérer son choix. Il s’agit, dans l’ordre, de la gravité de l’infraction, du lieu de commission, de la date d’émission des mandats, du fait que le mandat a été émis pour l’exécution d’une mesure provisoire ou d’une peine définitive. II.12. Recours en Cassation 33. Dans le souci de respecter l’article 111 de la Constitution, le texte Kessler (article 13) et la proposition Pecorella (article 22) avaient prévu la possibilité d’un recours en Cassation. Mais la première proposition permettait le pourvoi seulement pour violation de la loi et dans un terme de cinq jours à partir de la lecture du jugement, tandis que la deuxième, en fin accueillie, permet le recours aussi pour le fond – ce qui peut-être est excessif même vis-à-vis du droit interne, étant considéré que l’article 111 de la Constitution ne parle que de recours pour violation de la loi133 – et le délai est augmenté à dix jours à partir de la date de « connaissance légale de la décision ». Le recours suspend l’exécution de la décision. La Cour de cassation doit rendre sa décision dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier. La non observation de ce délai semble toutefois dépourvue de conséquences particulières. II.13. Autres dispositions régissant la phase passive 34. Les dispositions successives, qui concernent la déduction de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution de la durée totale, la remise différée ou temporaire, la remise ou l’extradition ultérieure, le principe de spécialité et le transit, ne donnent lieu à aucun problème particulier, se limitant presque à répéter les articles correspondants de la décision-cadre ou à renvoyer à ceux-ci. 54 Voilà quelques précisions utiles: en ce qui concerne la remise ultérieure de la personne à un autre État membre et l’extradition vers un État tiers en vertu d’un mandat d’arrêt émis pour une infraction commise avant la première remise, en application de l’article 25, elle est admise seulement si la Cour d’Appel donne son consentement préalable. L’Italie a donc opté pour ne pas adhérer au système de consentement qu’on pourrait définir « présomptif sauf opposition spécifique de l’autorité judiciaire » proposé par l’article 281 de la décision-cadre. Il en est de même pour le principe de spécialité, l’Italie n’ayant pas adhéré a ce système134, rendu possible par l’article 27 de la décision-cadre, de renonciation présomptive au principe de spécialité sauf opposition de l’autorité judiciaire. Selon l’article 26-3 de la loi italienne, l’État d’émission devra présenter sa demande à la Cour d’Appel qui a exécuté le mandat. Mais attention, car les 20 motifs de refus énoncés à l’article 18135 seront applicables aussi dans cette circonstance. En ce qui concerne le transit, l’autorité chargée de recevoir les demandes en application de l’article 25 de la décision-cadre sera le Ministre de la Justice, qui pourra subordonner le transit de la personne à la condition que cette dernière, après avoir été entendue, soit renvoyée en Italie pour y purger la peine privative de la liberté qui sera énoncée à son encontre136. Il s’agit d’une possibilité mise à disposition par la décision-cadre et pleinement conforme à celle-ci. Mais dans ce système il y a peut-être une légère fausse note, en ce que le Ministre dispose, en matière de transit, de pouvoirs discrétionnaires que ni lui, ni l’autorité judiciaire possèdent en matière de remise, car dans le contexte de celle-ci c’est la Cour d’Appel qui doit – sans en avoir le choix de décider autrement – subordonner la remise au renvoi du ressortissant italien en Italie pour qu’il y puisse purger sa peine. III. Procédure active 35. La loi italienne ne consacre que quelques dispositions laconiques à la procédure active de remise. L’interprète ne trouvera ici aucune des anomalies qui caractérisent la procédure passive. Psychologiquement, ce déséquilibre s’explique très facilement : le 133 V. supra, para. 13. V. aussi E. Selvaggi, préc. note 36, p.2984. D’ailleurs, seules l’Estonie et l’Autriche l’ont fait selon l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27. 135 V. supra, para. 31. 134 55 made in Italy ne suscite guère de méfiance. III.1. Compétence juridictionnelle et contenu du mandat d’arrêt 36. Le mandat est émis par le juge qui a exécuté la mesure provisoire137 ou par le ministère public auprès du juge qui a émis le jugement définitif138. Il est ainsi transmis au Ministre de la Justice, qui procède à sa traduction et à sa transmission à l’autorité compétente du pays d’exécution139. L’article 30 régit le contenu du mandat d’arrêt. Il est intéressant de comparer cette norme avec l’article 6, qui règle le contenu du mandat « passif ». Les informations qui doivent être indiquées dans le formulaire sont pratiquement les mêmes, même si quelquefois la formulation change légèrement. Ainsi l’article 6, lettre e) parle de « description des circonstances de la commission de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré de participation de la personne recherchée » alors que la lettre correspondante de l’article 30 parle plus simplement de « description du fait contesté, y compris l’époque et le lieu de commission, et, en cas de concours de personnes, le degré de participation de la personne recherchée ». La lettre f) de l’article 6 parle de « sentence définitive » alors que la lettre f) de l’article 30 parle de « sentence irrévocable ». Mais ces petites discordances textuelles ne devraient donner lieu à aucune conséquence notable. La vraie différence réside plutôt dans le fait que dans le cadre de la procédure passive, toutes ces informations sont requises sous peine de recevabilité, tandis qu’aucune sanction procédurale n’est prévue pour l’omission d’une de ces informations dans un mandat émis par l’Italie. De plus, on ne demande pas que ce dernier soit accompagné par toute la panoplie de documents et de relations requise pour les mandats passifs. Pour une question de cohérence, le législateur italien aurait dû au moins ajouter une norme imposant au juge italien de joindre au mandat italien tous les documents et les informations ultérieurs requis par le pays d’exécution... Cela reflète, plus en général, un des nœuds procéduraux du système introduit par la décision-cadre : un mandat d’arrêt, afin d’atteindre sa cible sans risquer de tomber dans toute une série de pièges et d’obstacles procéduraux, devra satisfaire à chaque fois à quatre paradigmes, comme nous 136 Article 27-3 de la loi italienne d’implémentation. Article 28-1, lettre a), de la loi italienne d’implémentation. 138 Article 28-1, lettres b) et c), de la loi italienne d’implémentation. 139 Article 28-2 de la loi italienne d’implémentation. 137 56 le verrons en conclusion de cette étude. IV. Dispositions transitoires 37. Dans le régime transitoire de la décision-cadre, il faut distinguer les dispositions d’application liées à la date de réception de la demande, de celles liées à la date de commission des faits incriminés ( tempus comissi delicti ). 1) Selon l’article 32 de la décision-cadre, les « demandes d’extradition » reçues avant le 1er janvier 2004 auraient dû continuer d’être régies par les « vieilles » normes en matière d’extradition, tandis que les demandes reçues à partir de cette date devraient être régies « par les règles adoptées par les États membres » en exécution de la décision-cadre. 2) Toutefois, au moment de l’adoption de la décision-cadre, un État membre avait la possibilité de déclarer qu’en tant qu’État d’exécution, il continuerait de traiter selon le système d’extradition applicable avant le 1er Janvier 2004 les demandes relatives à des faits commis avant une date qu’il aurait dû indiquer. Cette date, en tout cas, n’aurait pu être postérieure au 7 août 2002, jour d’entrée en vigueur de la décision-cadre, correspondant, en application de l’article 35, au vingtième jour suivant celui de la publication au Journal officiel. En ce qui concerne la loi italienne, en premier lieu, nous avons déjà observé que lors de l’approbation de la décision-cadre l’Italie, comme l’Autriche et en partie la France, décida de ne pas attribuer de valeur rétroactive aux nouvelles normes. Mais contrairement à la France140, et similairement à l’Autriche, l’Italie avait déclaré141 qu’elle continuerait de traiter selon les dispositions en vigueur en matière d’extradition toutes les demandes relatives à des faits commis avant le 7 août 2002. Cette déclaration a été confirmée par l’article 40-2 de la loi de transposition, mais avec une différence assez significative, car ce dernier fait référence aux normes en matière d’extradition en vigueur non plus à la date du 1er janvier 2004, mais à celle d’entrée en vigueur de la loi même, c’est-à-dire le 14 mai 2005. Ainsi, l’article 40-1 statue que la nouvelle normative s’applique aux mandats d’arrêt émis 140 La France continuera de traiter selon le système d’extradition applicable avant le 1er janvier 2004 les demandes passives relatives à des faits commis avant le 1er novembre 1993, date d’entrée en vigueur du TUE. 141 V. Annexe à la décision-cadre, JOCE L 190/91 (18.7.2002). 57 et reçus après l’entrée en vigueur de la loi interne de transposition, fixée au 14 mai 2005. En ce qui concerne les typologies d’infraction pour lesquelles la double incrimination ne devrait plus s’appliquer, l’article 40-3 précise que les normes correspondantes « s’appliquent uniquement aux faits commis après la date d’entrée en vigueur de la présente loi ». Ces deux dernières dispositions peuvent sembler également non conformes aux articles 32 et 35 de la décision-cadre. L’article 40-1 pour deux raisons : 1) parce qu’il fait référence non seulement à la date de réception, mais aussi à celle d’émission des mandats d’arrêt, de sorte que les « vieilles » normes devraient s’appliquer même aux mandats émis avant le 14 mai 2005, mais reçus après cette date; 2) parce qu’il fait référence à la date d’entrée en vigueur de la loi italienne, et non pas à celle du 1er janvier 2004142. Justement, à première vue, la formulation de l’article 32 de la décision-cadre ( selon lequel « […] Les demandes reçues à partir de cette date seront régies par les règles adoptées par les États membres […] ») semble laisser aux normes nationales d’exécution la pleine liberté de décider le sort des demandes reçues après le premier janvier 2004. Mais il ne faut pas oublier que d’autre part, les États avaient jusqu’au 31 décembre 2004 pour transposer la décision-cadre. En ce qui concerne l’article 40-3, qui parle expressément de faits commis après la date d’entrée en vigueur de la loi d’implémentation, cette norme est contraire à la décisioncadre, qui ne permet une dérogation au régime du tempus commissi delicti qu’en relation à des faits commis antérieurement au 7 août 2002. Les normes italiennes sont inspirées par le souci de sauvegarder le principe de non rétroactivité de la norme pénale. D’ailleurs, selon la Commission, trois autres pays – la République Tchèque, le Luxembourg, et la Slovénie – n’auraient pas respecté les dispositions transitoires prévues par la décision-cadre143. 142 Au contraire, la proposition Kessler fixait la date d’applicabilité des nouvelles dispositions au 1er janvier 2004. 143 Mais la République Tchèque et la Slovénie n’auraient pas pu faire la déclaration figurant à l’article 32 de la décision-cadre, pour la raison très simple qu’ils n’étaient pas encore membres de l’Ue au moment de l’adoption de celle-ci. V. l’Annexe au Rapport de la Commission préc. note 27, para. 4. 58 CONCLUSION I. Un conflit irrésoluble 38. De plusieurs points de vue, la loi d’implémentation italienne ne respecte pas la décision-cadre ; or cette dernière semble incompatible avec certains principes fondamentaux de la Constitution italienne. D’un côté, nous assistons à l’annulation de facto des principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, à travers notamment la réintroduction subreptice du principe de double incrimination, la prévision de nombreux nouveaux motifs de refus – parmi lesquels la réintroduction du refus à l’extradition pour les infractions politiques – et un alourdissement administratif qui font perdre au mandat d’arrêt européen une grande partie de sa raison d’être. Mais, du côté de la décision-cadre, la nature ambiguë de l’instrument, le déficit démocratique qui a caractérisé son approbation, le manque d’un cadre constitutionnel capable de rendre entre autre possible le phénomène du forum shopping – nous avons souligné l’urgence d’établir un système cohérent régulateur des compétences pénales au niveau européen – et en général une structure fondée plus sur le souci légitime d’efficacité de l’exécution que sur le respect de biens si précieux comme la liberté individuelle et la présomption d’innocence144, ne font 144 Une considération qui mérite d’être faite est liée au respect d’un principe de nécessité en matière de limitation de la liberté personnelle : il serait souhaitable que l’Union pense à un système dans lequel le transfert d’un pays à l’autre d’une personne recherchée n’est que l’extrema ratio, n’advenant que dans la mesure ou cela s’avère strictement nécessaire, car un procès est malheureusement déjà une peine en soi : il ne faut pas oublier qu’une personne est considérée innocente jusqu’à la condamnation définitive. Pourquoi par exemple ne pas faire usage des possibilités offertes par les nouvelles technologies ? Plutôt qu’être ballottée d’un pays à l’autre, une personne pourrait être sous certaines conditions interrogée par le moyen d’une téléconférence. Surtout si elle est ressortissante de l’état d’exécution, son droit à la défense en sortirait renforcé, les inévitables « dégâts collatéraux » d’une remise seraient évités, et ainsi plusieurs 59 qu’alimenter les phobies et les résistances des systèmes juridiques nationaux, dont l’Italie n’est qu’un des exemples, bien que probablement le plus évident. De plus, tout effort du législateur ordinaire, visant à remédier a posteriori et de façon unilatérale aux imperfections d’un instrument issu de la méthode intergouvernementale, apparaît désormais tardif. En Italie, à court terme, le problème se posera sans doute devant la Cour constitutionnelle et devant la Cour de justice. Dans certains cas, la loi d’implémentation a suffi à résoudre les problèmes d’inconstitutionnalité. Cela a été le cas, comme nous l’avons constaté, de l’obligation de motivation pour toute mesure juridictionnelle, ou pour la possibilité de pourvoi en cassation, prévus par l’article 111 de la Constitution. Mais dans d’autres cas, une réforme de la Constitution aurait été préférable. Cela est valable surtout pour les articles 10-4 et 26, qui permettent l’extradition des citoyens seulement en exécution de conventions internationales, et l’interdisent même pour les étrangers quant aux infractions politiques. Cette voie a été suivie, par exemple, par la France, qui a modifié sa Constitution avant d’implémenter la décision-cadre145. Le cas de la France nous pousse à proposer de réfléchir à l’institution en Italie d’un contrôle de constitutionnalité ex ante, du moins pour les instruments juridiques du troisième pilier, où l’enjeu est la liberté des individus146. Un contrôle pareil aurait probablement permis d’éviter la plupart des polémiques qui ont nui à la compréhension des enjeux lors du processus de négociation, et l’Italie gagnerait énormément en crédibilité internationale. Mais il faut déjà se féliciter du renforcement du rôle du Parlement national, qui pourrait déjà s’avérer être une solution à beaucoup – non certes à la totalité – des problèmes. obstacles liés à la méfiance entre les États seraient surmontés. Il s’agit d’ailleurs d’une pratique qui est déjà expérimenté de façon quotidienne en Italie – mais pour des raisons essentiellement de sécurité – dans des procès très délicats comme ceux de Mafia, où souvent il est nécessaire de ne pas révéler le lieu dans lesquels les personnes interrogées se trouvent. Dans ce sens, nous regrettons que dans son Rapport la Commission définit comme « intéressante », une réglementation comme celle de la loi d’implémentation autrichienne, en application de laquelle une personne peut être consignée à l’Etat requérant avant la conclusion d’un appel, alors que si par la suite elle gagne l’appel, l’Autriche demandera à l’État membre de la restituer. Ceux qui ont un tant soit peu d’expérience directe des systèmes pénitentiaires des pays membres savent qu’aucune Cour européenne des droits de l’homme saurait remédier aux dégâts irréparables subis par une personne innocente lors d’un procès ; l’unique moyen réaliste de les limiter demeure plutôt dans leur prévention, dans la mesure du possible. 145 V. supra, note 70. 146 Même si selon une partie de la doctrine française le «véritable enjeu» du renforcement de la garantie des droits fondamentaux se situe au niveau européen et non pas national: v. Julien Boucher, Le mandat d’arrêt européen et la Constitution française, Synthèse n° 84, Fondation Robert Schuman, http://www.robertschuman.org/lettre/syntheses-archives.htm. Même après la modification de l’article 88-4 de la Constitution, le débat en France reste ouvert : V. le Rapport au Sénat de P. Fauchon, annexé au procès-verbal de la séance du 15 janvier 2003, http://www.senat.fr/rap/l02-126/l02-1260.html. 60 II. Un conflit de portée « européenne ». Une deuxième clé de lecture 39. Cela dit, deux questions essentielles se posent. La première est relative aux effets des violations du droit du troisième pilier commises par les législateurs nationaux. Le législateur ordinaire ne peut pas déroger de façon unilatérale à une norme de droit secondaire. Mais quelle est la sanction quand cela arrive? La réponse est désarmante. Avec l’actuel Traité, elle est de fait nulle. Une des faiblesses du droit du troisième pilier est qu’il s’agit de ce que les romains auraient défini de leges imperfectae : des normes sans sanctions concrètes, compte tenu des pouvoirs actuellement attribués à la Commission et à la Cour de justice en la matière. L’initiative de la Commission faisant défaut pour volonté du législateur des Traités, on sait que l’étiquette communautaire découragera les États membres à recourir à l’article 35-7 TUE, qui attribue à la Cour de justice la compétence « [...] pour statuer sur tout différend entre États membres concernant l’interprétation ou l’application des actes adoptés au titre de l’article 34, paragraphe 2, dès lors que ce différend n’a pu être réglé au sein du Conseil dans les six mois qui ont suivi la saisine de celui-ci par l’un de ses membres ». L’Italie a pu retarder l’implémentation du mandat d’arrêt d’un an et demi, et personne ne semble pour l’instant songer à la moindre conséquence, surtout à un moment ou l’Europe n’est pas au zénith de sa popularité. La deuxième question concerne les violations des constitutions nationales commises par le droit secondaire : l’énigme de la primauté se pose à nouveau et tout fait penser que le droit de l’Union va dans ce cas devoir céder le pas, comme l’ont de fait montré dans le domaine du premier pilier les vicissitudes vécues par quelques récents et importants arrêts de la Cour. Le problème est que le dernier mot sur l’application du droit communautaire est de fait toujours de compétence des instances nationales : le « culte » de la primauté du droit de l’Union a un sens seulement dans la mesure où il est entretenu de façon assidue par les juridictions nationales147. Si cela n’était pas le cas, les 147 Nous nous référons, par exemple, à CJCE 3 septembre 2003, Köbler, aff. 224/01, et à CJCE 6 novembre 2003, Gambelli, aff. 243/2001. Dans le premier cas – qui représente un aboutissement de la jurisprudence Francovich – la Cour a déclaré la responsabilité des États membres pour les violations du droit communautaire commises par les juridictions nationales de dernière instance. Mais le problème, non vu par la Cour, est qu’en dernière instance ce sera le juge national qui sera compétent à s’auto-condamner. Est-ce réaliste, ou s’agit-il plutôt d’un cercle vicieux ? Dans le deuxième arrêt la Cour a fondamentalement déclaré les normes pénales italiennes en matière de jeux d’hasard en contraste avec les principes de la libre circulation des services et de la liberté d’établissement. Par la suite une véritable bataille légale a été livrée par les intéressés pour faire accepter cette jurisprudence devant les juridictions nationales ; mais ces dernières, de fait, continuent à en méconnaître la portée et à refuser l’accès au marché national, se basant sur de considérations liées surtout au droit interne. Après deux ans, la Cour va se prononcer sur les mêmes 61 États qui ont modifié leurs constitutions avant d’implémenter la décision-cadre n’auraient pas dû le faire : tel serait le sens d’une vraie primauté communautaire. Voilà finalement la deuxième clé, que nous avions promis plus haut148. Cette fois elle nous est offerte par le moderne « juspositivisme méthodologique »149, selon lequel un système peut être défini comme « juridique » quand il implique la coercition, c’est à dire le monopole de l’usage de la force de la part des autorités chargées de faire respecter le droit. En ce sens, le système communautaire est privé de cette qualité, car ce sont les autorités nationales qui ont le monopole de la force et qui peuvent concrètement faire appliquer le droit sur leur territoire. Selon cette reconstruction qui peut sembler un peu brutale mais qui expliquerait beaucoup d’ambiguïtés apparentes que nous vivons aujourd’hui, seuls les systèmes nationaux seraient « juridiques ». Est-ce cela la vraie limite du principe de primauté? Dans le doute, le juriste qui a à faire à un mandat d’arrêt fera mieux de respecter certaines règles pratiques s’il ne veut pas rendre ses efforts vains. III. Reconnaissance mutuelle et mandat d’arrêt: mode d’emploi 40. Dans l’attente au moins d’une harmonisation minimale préalable du droit substantiel et procédural, pour que la libre circulation des décisions judiciaire puisse être en quelque mesure effective, il sera nécessaire, comme nous l’avons anticipé, que les mandats d’arrêt satisfassent toujours à quatre paradigmes. Le premier paradigme est celui de la décision-cadre : bien que par définition elle ne devrait normalement pas entraîner d’effet direct, un mandat qui n’est pas «en règle» avec la décision-cadre difficilement restera immun, notamment sous la hache des avocats défenseurs. Le deuxième paradigme est celui du droit du pays d’émission : car l’autorité judiciaire requérante est liée premièrement au système juridique qui demeure la source originelle de sa légitimité. normes : v. la demande décision préjudicielle présentée par le Tribunale di Teramo, CJCE aff. 360/04, procédure pénale contre Soricchio Angelo, JO C 262/20 du 23 octobre 2004, et celle présentée par le Tribunale di Larino, aff. 338/04, procédure pénale contre Massimiliano Placanica, JO C 273/10 du 6 novembre 2004. Il est évident que les particuliers pourront effectivement exercer les droits qu’ils tirent du système communautaire seulement quand les juridictions nationales seront convaincues – plutôt qu’obligées – par la Cour. 148 V. supra, para. 7. 149 V. C. S. Nino, Notas de introducción al derecho, dans sa version italienne Introduzione all’analisi del diritto, Giappichelli editore, Torino, 1996, p. 89-138. 62 Le troisième paradigme est celui du droit du pays de destination. Dans le cas de l’Italie, par exemple, il sera sans aucun doute « plus opportun » pour l’autorité d’émission, dans un souci de rapidité et d’effectivité, d’envoyer toutes les informations et documents supplémentaires requises par la loi transalpine, à fin que son mandat soit inattaquable, même si d’un point de vue strictement positif on pourrait soutenir qu’une telle obligation d’envoyer des documents non prévus par la décision-cadre n’a aucun fondement juridique. Finalement, le quatrième paradigme à respecter est constitué du système supranational des droits fondamentaux, en premier lieu de ceux qui sont garantis par les traités européens, par la Convention européenne des droits de l’homme, et par la jurisprudence de leurs Cours respectives. La responsabilité de la satisfaction de ces quatre paradigmes est confiée presque entièrement aux autorités du pays de l’émission, qui dans chaque cas seront obligées de bien calculer toutes les possibles oscillations dépendantes surtout de la variable «État membre d’exécution». Et personne ne peut douter du fait que ce calcul, dans certains cas, comme celui de l’Italie, sera extrêmement ardu. Nous ne sommes pas convaincus, par ailleurs, que tout s’ajustera une fois le système étant rodé. Car ce ne sera pas seulement aux juges d’assimiler toutes les implications de ce système, mais aussi aux avocats d’en déceler les fautes. Et les variables apparaissent tellement instables – et les failles, tellement nombreuses – que la plus grande prudence sera requise : l’enjeu est la création de notre espace de liberté, de sécurité et de justice. 63