FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA FALCONE PALERMO

Transcription

FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA FALCONE PALERMO
FONDAZIONE GIOVANNI E FRANCESCA
FALCONE
PALERMO
Le mandat d’arrêt européen et la loi italienne
d’implémentation
Un cas exemplaire de conflit de systèmes
Franco Impalà
Avocat, LL.M. Collège d’Europe de Bruges
contact : [email protected]
“Quand ils furent aux frontières des
Oreillons : « Vous voyez, dit Cacambo à Candide,
que cet hémisphère-ci ne vaut pas mieux que
l’autre : croyez-moi, retournons en Europe par le
plus court. - Comment y retourner ? dit Candide,
et où aller ? si je vais dans mon pays, les Bulgares
et les Abares y égorgent tout ; si je retourne en
Portugal, j’y suis brûlé ; si nous restons dans ce
pays-ci, nous risquons à tout moment d’être mis en
broche. Mais comment se résoudre à quitter la
partie du monde que Mlle Cunégonde habite ?
Tournons vers la Cayenne, dit Cacambo : nous y
trouverons des Français, qui vont par tout le
monde ; ils pourront nous aider. Dieu aura peutêtre pitié de nous”.
François Marie Arouet, dit Voltaire
Candide, ou l’optimisme
2
All’Europa
all’Italia
alla Sicilia
di Giovanni e di Paolo
3
Un grand merci à la Fondazione Falcone
ma reconnaissance ne suffira jamais
Merci aussi à mes tutors de recherche
Lorenzo Salazar
John Vervaele
En stricte ordre alphabétique
4
INTRODUCTION ............................................................................................. 7
I.
« L’ETRANGE CAS » DE L’ITALIE ............................................................................. 7
I.1.
Loi de transposition ou de négation ? ............................................................ 8
II.
CHAOS AUX TORTS PARTAGES................................................................................ 10
II.1
De la nature controversée des décisions-cadre............................................ 10
II.2. La parole à la Cour ...................................................................................... 11
II.3. Une décision-cadre plus soucieuse de l’efficacité que du respect des
garanties fondamentales ........................................................................................... 13
III.
UN CONFLIT DE SYSTEMES DE PORTEE « EUROPEENNE ». UNE PREMIERE CLE DE
LECTURE ........................................................................................................................ 14
CHAPITRE I
LE PARCOURS DE L’IMPLÉMENTATION EN ITALIE ........................................................... 18
I.
II.
HISTORIQUE DE LA POSITION ITALIENNE SUR LE MANDAT D’ARRET ....................... 19
ANALYSE DES POSSIBLES INCOMPATIBILITES CONSTITUTIONNELLES ..................... 21
II.1. Les conflits entre les principes constitutionnels et les normes de droit
international dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle............................ 22
II.2. L’inviolabilité de la liberté personnelle. L’obstacle du principe de
« détermination suffisante » ( « tassatività »)........................................................... 23
II.3. Le juge naturel préétabli par la loi : un principe cardinal dans l’espace de
justice européen ? ..................................................................................................... 25
II.4. La magistrature et le « procès équitable » ................................................... 29
II.5. Les principes constitutionnels concernant l’extradition : les articles 10-4 et
26 de la Constitution................................................................................................. 30
III.
L’HESITATION DU GOUVERNEMENT .................................................................. 32
IV.
LES DIFFERENTES PROPOSITIONS DE LOI PRESENTEES AU PARLEMENT ............... 32
CHAPITRE II
LA LOI DE TRANSPOSITION : UNE MISE EN OEUVRE OU UN PAS EN ARRIÈRE ? ................. 35
I.
DISPOSITIONS DE PRINCIPE ..................................................................................... 36
I.1
Le nouveau mécanisme de réserve parlementaire........................................ 38
I.2.
Le rôle du Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale ..................... 39
II.
PROCEDURE PASSIVE DE CONSIGNE ........................................................................ 41
II.1. Compétence de la Cour d’Appel................................................................... 41
II.2. Refus du mandat d’arrêt pour insuffisance de son contenu et de ses pièces
jointes 41
II.3. Cas de double incrimination......................................................................... 43
II.4. La liste des crimes et le retour de double (ou « triple ») incrimination ....... 44
5
II.5.
II.6.
II.7.
II.8.
II.9.
II.10.
II.11.
II.12.
II.13.
Ignorantia legis excusat................................................................................ 46
La compétence sur la requête passive et le déroulement de la procédure ... 47
La décision « sur la requête »....................................................................... 48
Les conséquences du manque de respect des délais ..................................... 49
Les indices graves de culpabilité .................................................................. 50
Les nouveaux motifs de refus .................................................................... 51
Garanties demandées à l’État d’émission et concours de demandes....... 54
Recours en Cassation................................................................................ 54
Autres dispositions régissant la phase passive ......................................... 54
III.
PROCEDURE ACTIVE ........................................................................................... 55
III.1.
Compétence juridictionnelle et contenu du mandat d’arrêt ..................... 56
IV.
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ............................................................................. 57
CONCLUSION .................................................................................................. 59
I.
UN CONFLIT IRRESOLUBLE ..................................................................................... 59
II.
UN CONFLIT DE PORTEE « EUROPEENNE ». UNE DEUXIEME CLE DE LECTURE......... 61
III.
RECONNAISSANCE MUTUELLE ET MANDAT D’ARRET: MODE D’EMPLOI.............. 62
6
INTRODUCTION
I.
« L’étrange cas » de l’Italie
1. Attendue, repoussée, délayée, dernière pierre manquante dans la mosaïque des
législations des 25 États membres, la loi italienne de transposition1 de la décision-cadre
sur le mandat d’arrêt européen2 a finalement vu le jour et est entrée à son tour en vigueur,
bien qu’avec presque seize mois de retard vis-à-vis du délai légitime préfixé. Cela s’est
produit dans un silence singulier de la part de la presse nationale et internationale, qui
pourtant dès le moment des négociations n’avait pas hésité à attaquer lourdement le
Gouvernement italien à cause de sa réticence ( réelle ) concernant cet instrument nouveau
de coopération judiciaire et de son antieuropéisme ( présumé ). Mais aujourd’hui, les
contingences politiques du Vieux Continent nous demandent d’être très attentifs. Le
débat sur des innovations si essentielles et délicates comme toutes celles issues du
« troisième pilier »3, où l’enjeu est le bien primaire de la liberté individuelle, ne mérite
1
Legge n° 69 du 22 avril 2005, Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro
2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure
di consegna tra Stati membri (ci-après la « loi italienne d’implémentation »), publiée dans la Gazzetta
Ufficiale n° 98 du 29 avril 2005 et entrée en vigueur le 14 mai 2005, après les 15 jours classiques de
vacatio legis prévus par l’article 10 des dispositions préliminaires au Code civil italien. V. l’Addendum du
Secrétariat Général du Conseil 8519/05 ADD 1 du 3 mai 2005, disponible sur le site Internet
http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/docs/polju/EN/EJN647.pdf. Il faut signaler que la Note précédente, la n°
8519/05 du 29 avril 2005, contenait une faute en ce qu’elle annonçait l’entrée en vigueur de la loi pour la
date du 30 mai. V. http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/docs/polju/EN/EJN645.pdf .
2
Décision-cadre du Conseil relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États ,
n° 2002/584/JAI du 13 juin 2002, JO L 190, 18 juillet 2002 (ci-après la « décision-cadre »). Le texte de la
décision-cadre, ainsi que toutes les lois nationales d’implémentation et d’autres informations relatives à
l’exécution
sont
disponibles
sur
le
site
Internet
du
Conseil
http://ue.eu.int/cms3_Applications/applications/PolJu/details.asp?lang=EN&cmsid=720&id=135 .
3
Ainsi est défini l’ensemble de normes du titre VI Traité sur l’Union européenne, « Dispositions relatives à
la coopération policière et judiciaire en matière pénale », avec les normes de droit dérivé ayant leur base
7
pas d’être contaminé par la rhétorique ou par l’antipathie envers tel ou tel autre
Gouvernement national. L’Italie a été le premier parmi les pays fondateurs de la Cee à
ratifier la Constitution européenne4, et les Italiens sont traditionnellement parmi les
peuples les plus « euroenthousiastes5». Pour quelle raison ce Docteur Jekyll de
l’intégration européenne se serait-il soudainement transformé en un Mr Hyde du mandat
d’arrêt? Les raisons sont essentiellement de deux types : a) d’ordre politique : la décisioncadre, tout en attribuant aux juges des pouvoirs qui appartenaient classiquement à
l’exécutif, touche à un des thèmes les plus sensibles de la vie politique interne du pays,
qui depuis plus d’une décennie vit un véritable conflit sans précèdent opposant la classe
politique à la magistrature ; b) d’ordre juridique : c’est à ces derniers – souvent sousestimés car confondus avec les premiers – que nous consacrerons notre analyse.
I.1.
Loi de transposition ou de négation ?
2.
Ce silence général qui a suivi la promulgation de la loi italienne semble encore
plus étonnant si on considère que celle-ci a tout l’air d’être une loi de négation de la
décision-cadre, plutôt que de mère transposition de cette dernière. En d’autres termes, et
à moins que cette loi ne devienne pas l’objet d’interprétations du moins forcées de la part
des juridictions nationales, l’exécution d’un mandat d’arrêt en Italie risquera de devenir
une affaire du moins aléatoire. Car de véritables « ponts d’or » sont offerts aux avocats
sous forme de dizaines de nouveaux motifs explicites et implicites de refus qui
n’existaient pas dans la décision-cadre. En effet, l’esprit de la loi 69/2005 – hybride
métamorphose d’un texte présenté par l’opposition face au nihilisme de la majorité et
transformé par cette dernière jusqu’au point d’en subvertir la philosophie qui l’avait
inspiré – découle non pas de la confiance mutuelle, mais d’une méfiance larvée à l’égard
de la magistrature en soi d’un côté et de tout système juridique étranger de l’autre. Le
juge italien sera appelé non seulement à opérer un véritable contrôle sur le fond de la
juridique dans cette partie du Traité. Le troisième pilier se distingue du premier pilier, représenté par le
droit des Communautés européennes au sens strict, et du deuxième pilier, constitué par les normes du titre
V du TUE, « Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune ».
4
Cela a été fait par la voie parlementaire mais à une très large majorité : v. Legge n. 57 du 7 avril 2005,
Ratifica ed esecuzione del Trattato che adotta una Costituzione per l’Europa e alcuni atti connessi, con
atto finale, protocolli e dichiarazioni, fatto a Roma il 29 ottobre 2004, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n°
92 du 21 avril 2005, Supplemento ordinario n° 70.
5
Selon une recherche réalisée en novembre 2004 et publiée en mars 2005 par l’Eurobaromètre, 72% des
Italiens – ce qui représentait le pourcentage le plus haut parmi les 25 pays membres – auraient été en faveur
de l’approbation du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, contre une moyenne européenne de
49%. V. The Future Constitutional Treaty – Full Report, disponible sur le site
8
requête, mais aussi à pratiquement juger l’État d’émission et son système constitutionnel
sous la loupe des principes fondamentaux du système juridique italien. Sans compter que
le principe de la double ou « triple » incrimination de facto redeviendra la règle, alors que
la décision-cadre en avait fait l’exception6. Une grande partie de ces difficultés dérivent
d’une lacune qui jusqu’à hier était propre du système juridique italien. Il s’agit de la
totale émargination du Parlement national par rapport à toutes négociations
communautaires.
La
Camera
dei
Deputati
et
le
Senato
della
Repubblica
traditionnellement étaient habitués à voir les normes communautaires comme de simples
faits accomplis. Cette délégation en blanc à l’exécutif – du moins paradoxale, étant donné
que la forme italienne de gouvernement a toujours été définie comme « parlementaire »
– était un tant soit peu tolérable dans le domaine du droit communautaire au sens strict, et
montrait une fois de plus un haut degré de confiance des institutions nationales dans la
construction européenne, cela a cessé d’être le cas lorsque l’Union a commencé à étendre
son champ d’action à des domaines habituellement réservés à la souveraineté nationale.
Cela était notamment le cas de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, qui
touchait à des biens constitutionnellement couverts par une réserve de loi absolue. Il est
donc facile de comprendre – au delà de toute considération politique sur l’opportunité et
sur le fond de la décision-cadre – les raisons du mauvais accueil que le Parlement italien
a réservé à cette « révolution dans l’extradition » : bien que celui-ci n’en partageait pas
l’esprit, il ne pouvait plus la remettre sur le tapis. Ainsi l’habituel excès de confiance de
la part de l’Assemblée italienne à tout ce qui était made in EU était quasi paradoxalement
à l’origine de cette nouvelle forme de méfiance. Heureusement, la leçon a servi à quelque
chose. Comme nous le verrons, grâce à une récente réforme du processus de participation
des institutions nationales à la phase dite « ascendante » de formation du droit de l’Union
européenne, l’introduction d’un mécanisme de réserve parlementaire sera désormais la
règle, comme dans d’autres pays européens. En outre, une disposition spécifique à cet
égard est aussi contenue dans la loi d’implémentation que nous allons présenter7.
http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/ebs/ebs_214_en.pdf .
V. para. 25.
7
V. para. 19.
6
9
II.
Chaos aux torts partagés
3. La loi 69/2005 semble ainsi pouvoir être attaquée sous le profil de son incompatibilité
avec la décision-cadre. Le paradoxe, toutefois, réside dans le fait qu’à son tour la
décision-cadre peut être attaquée à cause de son incompatibilité avec certains droits
fondamentaux protégés par la Constitution nationale. En effet, il serait injuste d’attribuer
toute la responsabilité de cette situation à la maladresse du législateur italien. Les
circonstances et les modalités qui ont accompagné l’approbation de la décision-cadre ne
demeurent plus un mystère. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’émotivité et le
souci de donner un signal fort à l’opinion publique ayant pris la place d’une méditation
pondérée, la décision-cadre fut signée en un temps record8. Le résultat fait que nous
sommes aujourd’hui en présence d’un outil qui est peut-être partiellement prématuré visà-vis de son temps9.
Il faut toutefois distinguer les lacunes qui sont inhérentes à la nature juridique de
l’instrument isolément considéré, de celles qui ne sont propres qu’à cette décision-cadre.
Tout débute par une sorte de pêché originel. C’est que la décision-cadre manque d’un
véritable… cadre constitutionnel. Sans une liste détaillée de garanties et de libertés
fondamentales,
sans
un
encadrement
préalable
des
compétences
pénales
et
l’établissement d’une juridiction suprême chargée de l’interprétation uniforme du droit
ainsi créé, sans spécification de la nature et des effets juridiques des instituts de troisième
pilier, le seul principe de reconnaissance mutuelle apparaît comme étant une fondation
trop fragile d’un édifice qui est désormais imposant10.
II.1
De la nature controversée des décisions-cadre
4. Ainsi une décision-cadre est un instrument problématique par nature11. Son avantage
8
V. par exemple A. Megie, Le 11 septembre : élément accélérateur de la coopération judiciaire
européenne ? Le cas du mandat d’arrêt, in Les Cahiers de la sécurité intérieure 2003, n.55, p. 91-120, et P.
Jund, Les origines du mandat d’arrêt européen, in ERA-Forum : scripta iuris europaei 2003, n. 4, p. 25-33.
9
V. l’étude clairvoyante de S. Alegre – M. Leaf, European Arrest Warrant – A solution ahead of its time ?,
Justice, London, 2003. Cette émotivité post-11 septembre a produit d’ailleurs un instrument dangereux
quant au respect des droits fondamentaux. Il s’agit de l’Accord entre l’Union européenne et les États-Unis
d’Amérique en matière d’extradition, publié au JO L 181(19.07.2003), qui, à l’article 5, semble permettre,
entre autre, l’extradition d’une personne même si celle-ci risque la peine de mort.
10
Pour en avoir une idée il suffit de consulter le richissime site de documentation JAI de la Commission,
http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc_criminal_intro_en.htm .
11
Sur la nature juridique des décisions-cadre, v. S. Laugier-Deslandes, Les incidences de la création du
mandat d’arrêt européen sur les conventions d’extradition, in Annuaire français de droit international, 2002,
XLVIII, p. 695-714.
10
par rapport à une convention est surtout la rapidité avec laquelle elle arrive à se greffer
dans les ordres juridiques nationaux. Elle partage avec la directive sa souplesse, qui laisse
aux systèmes nationaux la faculté de choisir la forme et les moyens de parvenir aux fins
fixées. Mais voilà que les ambiguïtés sont dévoilées lorsque l’on compare la décisioncadre à sa cousine communautaire. Dans le domaine du droit pénal, régi
traditionnellement par la stricte application du principe de légalité, une telle souplesse ne
serait-t-elle pas déplacée? Quelles sanctions sont prévues dans le cas de manque de
transposition ou d’implémentation inexacte? Si la décision-cadre n’entraîne pas d’effet
direct par l’affirmation explicite du timide législateur du Traité12, quelles conséquences
génère-t-elle, notamment pour les particuliers? Comment s’insère-t-elle dans la hiérarchie
des normes? Est-ce que le principe de primauté acquiert ici un nouvel habit, ou n’est-ce
pas plutôt dans cette occasion qu’il révèle enfin son illusion, surtout vis-à-vis des
constitutions nationales? Ces questions importantes et bien d’autres seront posées tant
qu’un cadre constitutionnel adéquat fasse défaut. Mais les derniers événements politiques
européens nous font perdre toute illusion : l’avènement d’un tel cadre n’appartient pas à
l’avenir proche13.
II.2.
La parole à la Cour
5. Ce sera donc à la Cour de Justice, comme d’habitude, de faire face au lacunes du
législateur, dans la mesure ou sa compétence amputée dans le domaine de la JAI le lui
permettra. Se limitera-t-elle à suivre passivement la lettre du Traité? Une première
anticipation de ce qui sera l’avenir nous est offerte par l’affaire C-105/03, procédure
pénale contre Maria Pupino, en discussion ces jours à la Cour. On détient déjà les
conclusions, fort intéressantes, de l’Avocat général Juliane Kokott14. Il s’agit d’une
demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de Florence concernant
l’interprétation de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001, relative
au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales15. Le juge italien souhaite
savoir si, « conformément à cette décision-cadre, dans le cadre de poursuites pénales pour
12
V. article 34-2 b) TUE.
Il va sans dire que le projet de Traité constitutionnel apporte des réponses intéressantes à nos
interrogations, ne serait-ce que pour l’abolition de la structure en piliers et des décisions-cadre par leur
substitution avec l’instrument général de la loi-cadre, pour l’attribution d’un rôle important aussi aux
Parlements nationaux dans la formation du droit, et pour l’institution d’une compétence à la Cour de justice
non difforme de sa compétence en la matière communautaire.
14
CJCE, conclusions de l’AG du 11 novembre 2004, Maria Pupino, aff. 105/03.
13
11
blessures infligées à des enfants âgés de cinq ans, ceux-ci pouvaient être entendus comme
témoins, en dehors des débats, dans le cadre d’une procédure d’administration anticipée
de la preuve, alors même que ceci n’est, en ce qui concerne les délits poursuivis, pas
prévu par la procédure pénale italienne »16. Le code italien, en effet, semble permettre
l’administration anticipée de la preuve, avec une assistance psychologique, dans le cas ou
les mineurs son victimes d’abus sexuels et non pas quand ils sont victimes de blessures.
Cela est-il compatible avec l’article 2 de la décision-cadre, qui impose à chaque État
membre d’assurer aux victimes « un rôle réel et approprié dans son système judiciaire
pénal », et de continuer à « oeuvrer pour garantir aux victimes un traitement dûment
respectueux de leur dignité personnelle »? Le paragraphe 2 dudit article, en particulier,
oblige les États membres à veiller « à ce que les victimes particulièrement vulnérables
bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation ». La question
peut donc être ainsi reformulée : les mineurs sont-ils des victimes « particulièrement
vulnérable » ? Si oui, la décision-cadre peut-elle avoir l’effet d’étendre à un cas qui n’est
pas expressément prévu par la législation nationale une procédure faisant exception à la
règle générale selon laquelle la constitution des preuves « doit avoir lieu, au cours des
débats, à l’initiative des parties et dans le respect du contradictoire, sous le contrôle direct
du juge17»?
Puisqu’il s’agissait d’offrir un traitement plus favorable aux enfants, et grâce aussi à une
certaine souplesse de la législation italienne, qui aurait probablement consenti d’arriver
au même résultat interprétatif sans déranger la décision-cadre, l’AG a eu bon jeu de
suivre le chemin parcouru autrefois par les directives : le principe de loyauté à l’égard de
l’Union résultant de l’article 10 TCE serait commun aussi au système du TUE ; de ce
principe, il découlerait pour les États un devoir d’interprétation conforme, « dans la
mesure du possible », de leur propre droit interne ; ergo, « […] toute décision-cadre
oblige les juridictions nationales appelées à interpréter le droit national, qu’il s’agisse de
dispositions antérieures ou postérieures à la décision-cadre, à le faire dans toute la mesure
du possible à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre pour atteindre le
résultat visé par celle-ci». Selon l’AG, la décision-cadre ne crée pas de nouvelles règles
dans l’ordre juridique interne, « mais présuppose que des règles existent déjà et que
celles-ci sont susceptibles de faire l’objet d’une interprétation conforme à la décision15
JO 2001 L 82, p. 1.
V. para. 1 conclus. préc.
17
V. para. 8 conclus. préc.
16
12
cadre – licite selon le droit national18 ». Finalement, Mme Kokott ne manque pas de
préciser aussi que « […] l’exigence que les décisions-cadre soient adoptées à l’unanimité
par le Conseil garantit qu’aucun État membre ne sera tenu par une décision-cadre sans
son consentement19».
Trois questions surgissent spontanément. 1) Selon l’AG, donc, l’interprétation conforme,
plutôt que combler un vide, perfectionne une règle déjà existante. En d’autre mots, si le
droit national donne 9 et que la décision-cadre donne 10, grâce à celle-ci les individus
pourront obtenir 10 ; mais si le droit national donne 0, les individus obtiendront 0.
Comment justifier une telle disparité, justement comblée dans le cadre du premier pilier
par l’attribution de l’effet direct aux directives là où les États sont défaillants ? 2)
Comment justifier la disparité encore plus grande – inexistante dans le premier pilier –
entre les ressortissants des États qui, en application de l’article 35-2 TUE, ont attribué à
la Cour de Justice la compétence à titre préjudiciel, et les ressortissants des États qui ne
l’ont pas fait ? Et encore, entre les États qui n’ont donné la possibilité de saisir la Cour à
qu’aux juridictions de dernière instance (art. 35-3a) et ceux qui ont concédé cette faculté
à toutes ses juridictions (art. 35-3b)20? 3) Et enfin, peut-on identifier un État-membre
avec son Gouvernement, alors qu’on touche de façon si incisive à des secteur
traditionnellement réservés aux Parlements nationaux, dont la participation dans la
formation du droit JAI est du moins sporadique si non inexistante?
Il s’agit de questions très intéressantes, qui resteront en suspens encore longtemps.
II.3.
Une décision-cadre plus soucieuse de l’efficacité que du respect des garanties
fondamentales
6. Nous ne voulons pas insister sur les limites de cette décision-cadre du point de vue du
respect des droits fondamentaux des individus, car beaucoup d’auteurs ont déjà
admirablement mis en évidence cet aspect21. Nous ne le ferons qu’au long de notre
présentation concernant la loi italienne, précisément où les deux textes diffèrent à ce
18
V. para. 36 et 35 conclus. préc.
V. para. 51 conclus. préc.
20
L’Espagne et la Hongrie ont opté pour la solution proposée par l’article 35-3 a) TUE ; l’Allemagne,
l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Luxembourg, la Suède, la Finlande, le Portugal, la France, l’Italie, les
Pays Bas et la République Tchèque ont opté pour la solution proposée par l’article 35-3 b). Les autres États
membres n’ont pas (encore) attribué à la Cour la compétence à titre préjudiciel.
21
V. par exemple M. Lugato, La tutela dei diritti fondamentali rispetto al mandato d’arresto europeo, in
Rivista di diritto internazionale, 2003, n.1, p.27-54.
19
13
sujet. Mais nous pouvons déjà anticiper le fait que le barycentre de notre analyse se
fondera sur l’adhérence non parfaite de la décision-cadre à une des garanties
fondamentales protégées par la Constitution italienne et aussi par le système juridique
communautaire – même si on n’en est pas encore pleinement conscient : le principe du
droit au juge naturel préétabli par la loi. Nous essaierons de montrer que la plupart des
critiques à l’encontre de la décision-cadre ainsi que l’origine même de la méfiance envers
le principe de reconnaissance mutuelle demeurent dans la carence de cohérence interne
dans le système juridique européen, due à l’absence d’un dispositif régulateur des
compétences pénales22.
III.
Un conflit de systèmes de portée « européenne ». Une première clé
de lecture
7.
Cette étude veut se focaliser surtout sur la loi d’implémentation italienne, en
individuant ses points les plus délicats et controversés. Toutefois, comme le lecteur l’a
sans doute déjà deviné, dans la mesure du possible nous voudrions aussi franchir la limite
des Alpes méridionales, pour réfléchir au le fait que si les difficultés créées par
l’exécution concrète du mandat d’arrêt sont aujourd’hui partagées par d’autres États
membres, cela n’est pas casuel. Au contraire, cette situation possède des racines
profondes. Le manque d’un cadre constitutionnel adéquat, auquel nous avons déjà fait
allusion, ne fait qu’augmenter la résistance des systèmes juridiques nationaux. Et nous
pouvons être certains que l’énigme originelle du système juridique communautaire, celle
des limites « concrètes » du principe de primauté – limites qui ont été souvent identifiées
dans le noyau dur des libertés et des droits fondamentaux garantis par les Constitutions
nationales23 – va se proposer à nouveau et de façon amplifiée dans le champ du troisième
pilier. Nous ne sommes qu’au début d’un conflit sans précèdent entre les systèmes
juridiques et politiques nationaux et le système de l’Union européenne, à la fin duquel on
aura l’Europe de demain. De ce conflit, qui aujourd’hui se reflète dans nos sociétés
22
V. para. 12.
Pour l’Italie, v. infra, para 10. Sur la question de la primauté, une des lectures les plus intéressantes est
sans doute le procès-verbal de l’audition tenue le 19 novembre 2003 devant le European Union Committee
de la House of Lords britannique par M. Roger Errera, membre honoraire du Conseil d’État français. En
répondant aux nombreuses questions des Lords anglais concernant le texte du Traité constitutionnel, M.
Errera fait une reconstruction complète et lucide des rapports entre les Cours suprêmes nationales et la
CJCE. Les Minutes of evidence de cette audition sont disponibles sur le site
23
14
civiles, le mandat d’arrêt n’est qu’une des expressions les plus représentatives.
Nous souhaitons étudier le cas de l’Italie en l’encadrant en ce contraste opposant
l’Europe avec son impulsion d’intégration aux systèmes nationaux avec leur instinct de
conservation. Il y a d’abord un problème métabolique. Nonobstant les très grands progrès
de ces dernières années, on observe encore dans la plupart de nos pays un décalage
important entre la capacité productive de l’Union, qui défourne ses nouveautés
normatives à rythme presque quotidien, et la capacité d’assimilation des systèmes et des
cultures juridiques nationaux. Dans la matière pénale, nous sommes en train d’assister à
une véritable révolution copernicienne. Le centre de gravité se déplace du niveau étatique
au niveau supranational. La menace croissante constituée par le terrorisme et la
criminalité transnationale impose une réponse adéquate de la part de l’Union, et cela audelà de toute rhétorique. Mais nos systèmes juridiques nationaux sont le résultat de
stratifications pluriséculaires, qui les rendent très peu perméables aux changements
provenant de l’extérieur.
Cela est encore plus valable pour les pays qui possèdent une structure constitutionnelle
«kelsénienne24», comme l’Italie, avec une constitution rigide, très minutieuse quant à la
liste de garanties procédurales fondamentales, et gardée par une Cour constitutionnelle
exerçant son contrôle ex post sur l’œuvre du législateur ordinaire. Aujourd’hui, nous
pouvons constater les premières manifestations de ce phénomène en Allemagne25 et en
Pologne26. Ce conflit n’est donc pas une particularité italienne. Comme le récent Rapport
http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200304/ldselect/ldeucom/47/3111901.htm.
V. H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle), in Rev. dr.
pub. sc. pol., XXXV, 1928, p.197.
25
Ce n’est pas une coïncidence si le Bundesverfassungsgericht, la Cour constitutionnelle allemande, se
retrouve aujourd’hui à devoir soumettre à un examen délicat non seulement la loi nationale
d’implémentation du mandat d’arrêt, mais aussi l’édifice du troisième pilier dans son entièreté. Les enjeux
dépassent presque le cas d’espèce – concernant la remise en Espagne de M. Mamoun Darkazanli, accusé
d’être un membre du réseau d’Al-Qaeda. Cela était facilement prévisible, et arrivera tôt ou tard dans tous
les pays à structure « kelsénienne ». Les questions posées à Karlsruhe semblent à première vue coïncider en
grande partie avec celles qui intéressent le cas de l’Italie. Concernant les difficultés rencontrées en
Allemagne, et pour un exemple de la phobie mutuelle, V. W. Kaleck, The European arrest warrant from
the perspective of a German defence attorney, sur
http://www.statewatch.org/news/archive2003.htm, 6 juillet 2003.
26
Dans son jugement rendu le 27 avril 2005, la Cour constitutionnelle polonaise en est arrivée à déclarer
l’illégitimité constitutionnelle de l’article 607t, para. 1, du code de procédure criminelle du 1997, qui
permet la remise des citoyens polonais à d’autres États-membres en vertu d’un mandat d’arrêt européen,
par sa contrariété à l’article 55-1 de la Constitution, qui au contraire en interdit l’extradition. Mais
simultanément, en application de l’article 190-3 de la Constitution, la Cour a suspendu les effets de son
jugement pour une durée de 18 mois, laissant ainsi au législateur national le temps de modifier la
Constitution, en considération de l’importance « cruciale » du mandat d’arrêt européen. Un résumé en
anglais de ce jugement est disponible sur le site http://www.statewatch.org/news/2005/apr/poland.pdf.
24
15
de la Commission européenne sur l’implémentation du mandat d’arrêt le souligne27,
plusieurs États membres ont dû réviser leurs constitutions avant d’implémenter la
décision-cadre.
Cette opposition entre deux systèmes juridiques antagonistes se retrouve en des termes
similaires, mais ici beaucoup plus dramatiques, que dans le cadre du le premier pilier. Les
juristes qui ont analysé cette évolution dans le cadre du droit communautaire ont toujours
eu du mal à expliquer comment les systèmes nationaux interagissent avec le système
communautaire: on a proposé soit une vision « moniste », soit une vision « dualiste »,
cependant la question n’a jamais été vraiment tranchée. Il a peut-être un problème de
définitions : qu’est-ce exactement qu’un système juridique? Nous voulons suggérer deux
clés de lecture, dont la deuxième à en clôture de cette étude. La première est
probablement offerte à l’interprète par les aboutissements de la moderne Théorie
Générale des Systèmes. Selon cette théorie, un système est un ensemble auto-ordonné
d’éléments qui est régi par une téléonomie de conservation et de croissance28. Pour
l’instant, il nous suffit de noter comme l’élément de croissance est prédominant dans le
système du troisième pilier, qui est un système jeune, tandis que l’élément de
conservation est prédominant dans les systèmes adultes, tels que les systèmes nationaux.
Lorsqu’un système juridique national se sent profondément menacé, il est naturel qu’il
essaie de manière « spontanée » de réagir. Plus le système est rigide, plus la réaction sera
obstinée. Paradoxalement, plus les pressions vers l’unification chercheront à dépasser la
« limite de vitesse tolérée », plus celle-ci sera ralentie.
Dans le cas du mandat d’arrêt, l’Italie, pays si lié à sa tradition juridique dont les racines
remontent à des millénaires, risque de devenir un des exemples les plus patents de la
concrétisation de ce phénomène. Effectivement, la loi d’implémentation a tenté
d’émousser, bien que tardivement et de façon un peu maladroite, les indices
27
V. le Rapport de la Commission fondé sur l’article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002
relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres du 23 février 2005,
COM(2005) 63 final, sur
http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/com_2005_063_fr.pdf, et son Annexe
COM(2005) 63 final sur
http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/sec_2005_267_en.pdf.
Quant à la France, v. la loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt
européen, publiée au JORF du 26 mars 2003, p. 5344.
28
V. L. von Bertalanffy, General Systems Theory, Braziller, New York, 1973. Le juriste peut se sentir
encouragé par le fait que la théorie des systèmes vise à fonder une unification de la Science par
l’élaboration d’un nombre limité de théories simples applicables à la description des phénomènes les plus
divers (« isomorphisme »).
16
d’incompatibilité entre la décision-cadre et la Constitution auxquels nous avons déjà fait
allusion. Or le point de vue de la défense d’un procès est souvent oublié dans le débat. En
Italie, le juge du fond soulèvera une question de légitimité constitutionnelle, à la demande
des parties au procès, chaque fois qu’il constatera que la question « n’est pas
manifestement infondée ». Un jugement de constitutionnalité peut durer en moyenne un
an et demi. Il est clair que, dans un cas pareil, si l’objectif poursuivi lors de l’introduction
du mandat d’arrêt était d’accélérer les procédures d’extradition, il ne sera pas atteint.
Toute faiblesse de la nouvelle discipline sera visée par les avocats, du moins dans la mise
en place d’une stratégie défensive dilatoire. Ainsi, l’efficacité d’un instrument presque
nécessaire, tel que le mandat d’arrêt européen, risque de façon paradoxale d’être menacée
au profit de la criminalité transnationale, jouissant d’un terrain fertile dans le marché
intérieur pour agir sans être perturbée.
Ainsi, nous comprenons pourquoi le législateur ordinaire a un rôle objectivement
difficile, étant compressé entre des délais peut-être trop courts et une demande
extraordinaire de sécurité d’une part et la rigidité du système interne d’autre part. Cela est
encore plus vrai dans un pays où le Parlement, abandonné à lui-même, était contraint de
se confronter aux engagements pris par l’exécutif.
Afin de contextualiser la description détaillée de la nouvelle normative, il sera donc
opportun de faire précéder celle-ci par un bref historique de la position soutenue par
l’Italie lors des négociations au sein du Conseil de l’Union, suivi par l’exposition des
problématiques liées au conflit entre la Constitution et les normes issues du troisième
pilier, qui se propose de nouveau aujourd’hui avec une vigueur renouvelé29.
29
Toute traduction de l’italien de sources normatives, jurisprudentielles et doctrinales est le fruit de
l’élaboration personnelle de l’auteur, qui s’excuse auprès des auteurs des textes originaux au cas où sa
traduction ne satisferait pas leurs attentes. La traduction des articles de la Constitution italienne utilisée
dans ce travail est celle publiée sur le site officiel de la Cour constitutionnelle:
http://www.cortecostituzionale.it/fra/testinormativi/costituzionedellarepubblica/costituzione_principii.asp
17
CHAPITRE I
Le parcours de l’implémentation en Italie
18
I.
Historique de la position italienne sur le mandat d’arrêt
8.
Un des premiers symptômes d’hostilité s’était manifesté déjà lors de la réunion du
Conseil JAI du 6 et 7 décembre 2001. L’unique délégation à exprimer son désaccord sur
l’article 2 de la proposition de compromis avancée par la présidence belge fut la
délégation italienne30. La position initiale du Gouvernement était de limiter la liste des
infractions prévue dans l’article 2-2 de la future décision-cadre – c’est à dire, des
infractions pour lesquelles le contrôle sur la double incrimination n’aurait plus eu lieu – à
six crimes seulement, au lieu des 32 proposés et actuellement prévus31. Il s’agissait des
six typologies d’infraction prévues aussi par la liste restreinte contenue dans le Traité
d’extradition entre l’Italie et l’Espagne32. Le résultat aurait été l’exclusion de la liste de
quelques crimes auxquels l’Union s’était déjà intéressée dans la perspective du
rapprochement du droit substantiel : parmi eux, figuraient la fraude, la corruption et le
30
V. L. Salazar, Il mandato d'arresto europeo: un primo passo verso il mutuo riconoscimento delle
decisioni penali, in Diritto penale eprocesso, 2002, 8, p.1042.
31
V. M. Chiavario, Giustizia: il mandato di cattura europeo mette a nudo le contraddizioni italiane, in
Guida al Diritto – Il Sole 24 Ore, 22 décembre 2001, p.11: cette position était soutenue par le Ministre de
la Justice Gianfranco Castelli, mais a aussi été démentie par le Président du Conseil. V. aussi V. Grevi, Il
“mandato d’arresto europeo” tra ambiguità politiche e attuazione legislativa, in Il Mulino, 2002, p.122.
32
Presque toutes les réserves de nature juridique et politique pouvant caractériser l’approche de l’Italie au
sujet du mandat d’arrêt européen auraient pu être également soulevées à l’encontre du Traité bilatéral
d’extradition signé avec l’Espagne à Rome le 28 novembre 2000 : v. la relation du Ministère de la Justice
italien, disponible sur http://www.giustizia.it/dis_legge/relazioni/trat_Italia_spagna_relazione.htm. Pour le
texte de ce Traité, v. Guida al Diritto – Il Sole 24 ore, n° 3, 2001, p.106, avec le commentaire d’E.
Selvaggi. Ce traité est souvent considéré comme l’antécédent historique du mandat d’arrêt européen. Le
Premier Ministre espagnol José Maria Aznar et son homologue italien Giuliano Amato l’avaient conclu
surtout dans le but de résoudre le problème de l’extradition de l’Espagne vers l’Italie des citoyens italiens
condamnés par contumace en Italie pour leurs activités liées à la Mafia ou à d’autres organisations
criminelles. Sa logique était déjà celle de l’instauration d’un espace juridique commun se basant sur le
principe de la reconnaissance mutuelle, avec notamment l’élimination du filtre politique dans la procédure,
du contrôle sur la double incrimination et du refus de l’extradition pour les personnes condamnées par
contumace, et avec la limitation du principe de spécialité. Mais il y avait toutefois deux différences
fondamentales avec le mandat d’arrêt européen : 1) la nature juridique différente de l’instrument : le Traité
bilatéral Italie-Espagne était en fait un instrument typique de droit international, alors que le mandat d’arrêt
européen a été institué par une décision-cadre. Comme nous le verrons infra, para. 14, cette remarque est
très importante, surtout vis-à-vis de l’article 26 de la Constitution italienne ; 2) le champ d’application
différent: le Traité avec l’Espagne a été conçu pour combattre les crimes plus graves : terrorisme,
criminalité organisée, trafic de stupéfiants, trafic d’armes, traite d’êtres humains, abus sexuels sur des
mineurs, crimes qui sont tous punissables d’une peine maximale d’au moins quatre ans de réclusion. La
limitation du champ d’application peut donc expliquer, sans peut-être la justifier, la position
« minimaliste » adoptée par l’Italie pendant les négociations concernant le mandat d’arrêt. V. pour plus de
détails G. Iuzzolino, Cooperazione internazionale e mandato d’arresto europeo, in Diritto e Giustizia, 2003,
p.11. V. aussi C. Mapelli, La loi espagnole 3/2003, du 14 mars, sur le mandat d’arrêt européen, in ERAForum : scripta iuris europaei 2003, n. 4, p.47-62.
19
blanchiment33.
Suite aux pressions exercées par l’opinion publique34, la position italienne avait déjà
changé lors du Conseil européen de Laeken du 14 et 15 décembre. Un accord était
intervenu entre le Premier Ministre belge et son collègue italien à Rome35, aux termes
duquel l’Italie aurait accepté la proposition de compromis. Cependant, le Conseil aurait
dû tenir compte d’une déclaration italienne un peu sibylline : « pour donner exécution à
la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, le Gouvernement italien devra démarrer
les procédures de droit interne pour rendre ladite décision compatible avec les principes
suprêmes de l’ordre constitutionnel en matière de droits fondamentaux, et pour
rapprocher son système judiciaire et légal des modèles européens [...]».
Cette déclaration avait été simplement inscrite dans le procès-verbal du Conseil. Sa
valeur juridique était partant presque nulle36. Mais surtout sa signification était vague.
Comment l’Italie aurait-elle pu rapprocher son système légal et judiciaire des modèles
européens, compte tenu qu’un tertium comparationis, un « modèle européen
d’organisation judiciaire » n’existait guère? Au contraire, il existe en Europe un ensemble
de systèmes procéduraux très différents, dont le spectre va de l’extrême du système
accusatoire jusqu’à l’extrême du système inquisitoire, à travers une gamme fortement
variée de systèmes mixtes. Et les divergences apparaissent plus nettement lorsque l’on
considère les différents modèles d’organisation judiciaire. Il y a par exemple des pays où
le ministère public dépend du Ministre de la Justice, et d’autres – comme l’Italie – où le
principe est au contraire celui de l’indépendance des organes de poursuite judiciaire par
rapport à toute influence de l’exécutif. On pourrait aussi citer la diversité qui existe entre
les pays qui adhèrent au principe de légalité des poursuites et ceux qui suivent le principe
de l’opportunité des poursuites. Les exemples pourraient se multiplier. L’unique
33
E. Bruti Liberati–I. J. Patrone, Il mandato d’arresto europeo, in Questione giustizia, I, 2002, p.2297, et
E. Calvanese–G. De Amicis, Via libera dell’Assemblea di Strasburgo al mandato di cattura formato
Europa, in Guida al diritto – Il Sole 24 Ore, 16 février 2002, p.104.
34
Il est emblématique de noter, comme le font E. Selvaggi – O. Villoni, Questioni reali e non sul mandato
europeo d’arresto, in Cassazione penale, 2002, II, p.447, que jusqu’au 9 décembre la presse n’avait jamais
dit en quoi le mandat d’arrêt consistait vraiment. Cependant, beaucoup de déclarations parlaient déjà de
« Forcolandia » (littéralement : « le pays du gibet ») ou du risque d’être poursuivi par des MP dirigés par
les services secrets dans les pays ex-communistes...
35
L. Salazar, préc. note 30, p.1043.
36
E. Bruti Liberati – I. J. Patrone, préc. note 33, p.2304, qui citent CJCE 30 janvier 1985, Commission c/
Danemark, aff. 143/83, Rec. p.423 ; CJCE 26 février 1991, The Queen c/ Immigration Appeal tribunal, ex
parte Antonissen, aff. 292/89, Rec. p.I-745, et CJCE 19 mars 1996, Commission c/ Conseil, aff. 25/94, Rec.
p.I-1469. En ce même sens, E. Selvaggi, Il mandato d’arresto europeo alla prova dei fatti, in Cassazione
penale, 2002, 10, p.2979.
20
dénominateur commun est l’adhérence de tous ces pays à la CEDH, surtout à la lumière
de plus d’un demi-siècle de labor limae fait par la Cour de Strasbourg. Mais l’effort
d’harmonisation, dans lequel les Institutions européennes et les États s’engagent de plus
en plus dans le domaine du troisième pilier, ne saurait pas être soutenu par un seul même
pays de façon unilatérale37. Un discours différent aurait pu être tenu pour les adaptations
du système juridique italien au contenu de la décision-cadre, car dans ce cas c’est elle qui
constitue le terme de comparaison. Mais, curieusement, l’Italie n’a pas pensé à faire
inclure ces réserves dans le texte de la décision-cadre, comme l’a fait par exemple
l’Autriche38.
II.
Analyse des possibles incompatibilités constitutionnelles
9.
En Italie, l’introduction du mandat d’arrêt s’est heurtée à une tradition
constitutionnelle très jalouse de ses propres acquis dans le domaine du droit pénal. En
effet, la Constitution italienne contient un ensemble très détaillé de normes concernant
l’ordre de la magistrature, le procès, et les garanties juridictionnelles.
Une doctrine très influente n’a pas manqué de manifester dès le début son scepticisme
vis-à-vis du mandat d’arrêt. Cette doctrine était bien représentée par les anciens
présidents de la Cour Constitutionnelle et anciens Gardes des Sceaux de la République,
Vincenzo Caianello et Giuliano Vassalli. Dans un avis motivé39 rendu au Premier
Ministre le 11 décembre 2001, les deux éminents juristes s’accordaient sur
l’incompatibilité avec la Constitution de ce qui était encore la proposition de décisioncadre : cette dernière aurait violé les principes de détermination suffisante ( tassatività )
de la norme pénale et de la réserve de loi absolue, et les autres principes constitutionnels
de sauvegarde de la liberté personnelle. Le problème du conflit entre ces normes
fondamentales et une norme de droit dérivé, comme une décision-cadre, s’est donc
posé40.
37
Il s’agit d’une vérité de La Palice. Dans le mêmes termes, E. Bruti Liberati – I. J. Patrone, préc. note 33,
p.2308. V. http://www.giustizia.it/uffici/inaug_ag/ag2003ministro.htm. En vérité, cette déclaration cachait
la volonté de mettre en place une reforme de l’ordre judiciaire, argument qui est encore au centre du débat
politique.
38
V. l’article 33 de la décision-cadre.
39
V. Caianello – G. Vassalli, Parere sulla proposta di decisione-quadro sul mandato di arresto europeo, in
Cassazione penale, 2002, p.462.
40
V. A. Celotto, I problemi del mandato di arresto europeo, in Questione giustizia,
http://www.unife.it/progetti/forumcostituzionale/contributi/que-giu.htm, 11 février 2003.
21
II.1.
Les conflits entre les principes constitutionnels et les normes de droit
international dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
10. La Cour constitutionnelle italienne soutient depuis toujours la thèse dite « dualiste41».
Le droit interne d’une part, et le droit communautaire d’autre part, constitueraient en effet
« deux systèmes autonomes et distincts bien que coordonnés ». La base juridique de la
reconstruction effectuée par la Cour se situe dans l’article 11, deuxième alinéa, de la
Constitution républicaine, selon lequel « l’Italie [...] consent, dans des conditions de
réciprocité avec les autres États, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre
qui assure la paix et la justice entre les Nations ; elle suscite et favorise les organisations
internationales poursuivant ce but42». La Cour a désormais reconnu le principe de la
primauté du droit communautaire sur le droit interne même postérieur43. Néanmoins elle
garde encore une réserve relative à la protection des droits fondamentaux garantis par la
Charte constitutionnelle. Dans l’arrêt Frontini44 elle a affirmé que les limitations de
souveraineté ne peuvent en aucun cas comporter pour les institutions de la CE un pouvoir
inadmissible de violer les principes fondamentaux de l’ordre juridique constitutionnel
interne ou les droits inaliénables de la personne humaine. Cette jurisprudence a été
confirmée lors du célèbre arrêt Granital45. Il faut souligner que cette vision a été
développée dans le cadre du premier pilier, ce qui a fait dire à la doctrine majoritaire
qu’en vérité la possibilité d’une violation des droits fondamentaux de la part du droit
communautaire est une hypothèse plutôt théorique. Mais cette vision peut s’adapter
aisément aux conflits entre les principes constitutionnels et les instruments de troisième
pilier – tels qu’une décision-cadre – où une violation des garanties fondamentales des
individus apparaît sans aucun doute plus probable.
41
Cf. G. Tesauro, Diritto comunitario, 3ème éd., CEDAM, Padova, 2003, p.184.
A cette norme la nouvelle version de l’article 117 s’est récemment ajoutée qui, suite à la reforme en sens
fédéral de l’État introduite par la loi constitutionnelle n. 3 du 18 octobre 2001, publiée à la Gazzetta
Ufficiale n° 24 du 24 octobre 2001, Modifications au titre V de la partie deuxième de la Constitution,
prévoit que « Le pouvoir législatif est exercé par l'État et les Régions dans le respect de la Constitution,
aussi bien que des contraintes découlant de la réglementation communautaire et des obligations
internationales ».
43
C’est n’est donc pas une coïncidence si le nouveau article 117 de la Constitution, cité à la note
précédente, mets désormais l’accent sur les «contraintes découlant de la réglementation communautaire».
44
Corte cost., 27 décembre 1973, n° 183, Frontini e Pozzani, in Foro italiano, 1974, I, 314.
45
Corte cost., 8 juin 1984, n° 170 Granital, in Foro italiano, 1984, I, 2062.
42
22
II.2.
L’inviolabilité
de
la
liberté
personnelle.
L’obstacle
du
principe
de
« détermination suffisante » ( « tassatività »)
11.
L’article 13, premier alinéa, de la Constitution républicaine statue que « la liberté
de la personne est inviolable ». Le deuxième alinéa précise qu’il n’est admis « aucune
forme de détention, d’inspection ou de perquisition concernant la personne, ni aucune
autre restriction de la liberté de la personne, si ce n’est par un acte motivé de l’autorité
judiciaire et que dans les cas et selon les modalités prévus par la loi ». La doctrine
concorde en affirmant qu’il y a en cette matière une réserve législative absolue. En
d’autres mots, les limitations de la liberté personnelle sont soumises à la compétence
exclusive de la magistrature, qui à son tour est soumise à la loi. Cette dernière est la loi
au sens formel, c’est à dire, la loi émanant du Parlement, qui doit régler de façon précise
et exhaustive toutes les phases de l’exercice du pouvoir de limitation de la liberté
personnelle. Or, puisque la décision-cadre a été transposée dans le système juridique
national par une loi au sens formel, le problème quant au principe de légalité per se ne se
pose pas.
Mais dans le système juridique italien, un des corollaires du principe de légalité ( nullum
crimen sine lege ) est le principe de « détermination suffisante » ( tassatività ou tipicità )
des incriminations. Il s’agit d’un principe d’origine jurisprudentielle et doctrinale, selon
lequel il est nécessaire que la norme soit formulée, dans l’indication de tous les éléments
objectifs et subjectifs du fait incriminé46, avec un degré d’exactitude de nature à consentir
au juge l’individuation du type de fait défini par la norme47. Ce principe se réfère donc de
façon plus spécifique au droit substantiel. En effet, sa formulation doit être dérivée en
premier lieu de l’article 25 de la Constitution, interprété à la lumière des articles 112 et
24, deuxième alinéa, de la Constitution48.
46
V. M. Ronco, Il principio di tipicità della fattispecie penale nell’ordinamento vigente, Giappichelli,
Torino, 1979, et N. Bartone, Mandato d’arresto europeo e tipicità nazionale del reato, Giuffré, Milano,
2003, p.65.
47
Le principe de tassatività est formulé de façon plus stricte dans la jurisprudence nationale que le principe
de prévisibilité dans la jurisprudence de la Cour EDH: V. aff. Cantoni c. France, arrêt du 15 novembre
1996, Rec. arr. déc. 1996-V, para. 29-35.
48
L’article 25 de la Constitution établit que : « nul ne peut être soustrait au juge naturel préconstitué par la
loi.
Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi entrée en vigueur avant la commission du fait.
Nul ne peut être soumis à des mesures de sûreté, sauf dans les cas prévus par la loi ».
L’article 24, deuxième alinéa, garantit le droit à la défense en tant que « droit inviolable en quelque état et à
quelque degré que soit la procédure », tandis que l’article 112 établit le principe selon lequel le ministère
public a l’obligation d’exercer l’action pénale.
23
Il y a une différence fondamentale entre le principe de légalité et le principe de
tassatività. Le premier, concernant la hiérarchie des sources normatives, est établi pour
protéger les individus des abus éventuels de la part du pouvoir exécutif, alors que le but
du deuxième, concernant la technique de formulation de la norme, est de sauvegarder les
individus des abus éventuels du pouvoir judiciaire49. Nonobstant sa dimension
substantielle, le champ d’application du principe de tassatività est étendu aussi, par la
voie de l’article 13 de la Constitution, aux normes procédurales touchant à la liberté des
personnes.
M. Vassalli et M. Caianello avaient estimé pouvoir identifier plusieurs profils de conflit
entre ces principes constitutionnels et la liste de 32 typologies de crimes contenue dans
l’article 2-2 de la décision-cadre. Ces infractions – peut-être est-il utile de le rappeler –
sont celles pour lesquelles un contrôle sur la double incrimination ne sera plus requis, à
condition qu’elles soient « punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une
mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles
sont définies par le droit de l’État membre d’émission ».
Le manque de précision de cette liste50 aurait menacé le respect de ce principe de
tassatività. Mais ce déficit aurait nui irrémédiablement aussi au respect du principe de
légalité des poursuites (article 112), parce qu’il aurait introduit des critères imprécis pour
vérifier le respect de l’obligation de poursuivre, et du droit de défense (article 24), car il
aurait empêché le prévenu « de pouvoir se confronter à un chef d’imputation précis et
avec un fait non équivoque51 ». Nicola Bartone52 avait fait une analyse comparative
«structurelle» très approfondie des définitions des crimes de fraude, escroquerie,
criminalité informatique, vol, blanchiment, corruption, et association criminelle en Italie,
France, Allemagne et Espagne, parvenant à la conclusion que, en raison des différences
existantes dans les ordres juridiques nationaux quant à la définition de ces infractions, le
mandat d’arrêt européen ne donnait pas de « protection digne » au principe de tassatività.
Une partie de la doctrine a cependant insisté sur le caractère excessif de ces
préoccupations, puisque la majorité des crimes contenus dans la liste aurait été constituée
49
G. Fiandaca – E. Musco, Diritto penale, III éd., Zanichelli, 2002, p. 65.
V. aussi M. Plachta, European Arrest Warrant: revolution in extradition?, in European Journal of
Crime, Criminal Law and Criminal Justice, n° 2, 2003, p.190, et N. Galantini, Prime osservazioni sul
mandato d’arresto europeo, in Il Foro ambrosiano, 2002, p.268.
51
V. Caianello – G. Vassalli, préc. note 39, p.465.
52
N. Bartone, préc. note 46.
50
24
par des infractions déjà « connues » par le code pénal italien ou déjà harmonisées ou en
cours d’harmonisation au niveau européen ou international53. Mais souvent l’on observe
que ces instruments d’harmonisation n’ont pas encore été transposés et que ces
conventions n’ont pas encore été ratifiées54 ou même qu’elles n’ont pas été signées par
tous les pays membres de l’Union. Le risque d’une atteinte au principe de typicité
subsiste donc, en étant optimiste, du moins dans une perspective à court terme.
L’impression, encore un fois, est que l’Union a fait un saut logique. Il aurait été sans
doute préférable de procéder au préalable à l’harmonisation des notions des crimes
indiquées dans la liste de l’article 2-2, ou encore mieux, d’exclure pour le moment de
cette liste simplement les crimes qui n’ont pas été objet d’harmonisation. D’ailleurs, dans
le cas de notions harmonisées, on ne comprend pas pourquoi une référence explicite aux
instruments législatifs d’harmonisation n’a pas été faite. Il n’est pas opportun de
transplanter dans le domaine du droit pénal la logique législative du premier pilier, où de
facto la définition des notions plus controversées a été toujours déléguée par le législateur
à la Cour de Justice55. Le paradoxe est que, en raison des principes de primauté et de
reconnaissance mutuelle, il était sans doute trop tard pour que le législateur national
essaie de remédier à cette défaillance au moment de la transposition.
Toutefois, en vérité, surtout en l’absence de définitions communes, c’est plutôt le
principe constitutionnel du juge naturel préétabli par la loi qui semble être mis en danger.
II.3.
Le juge naturel préétabli par la loi : un principe cardinal dans l’espace de justice
européen ?
12.
La décision-cadre ne touche pas aux règles nationales concernant la juridiction.
Cela peut à première vue paraître respectueux du principe de subsidiarité et de la liberté
des États de se donner les règles procédurales qu’ils préfèrent. En réalité, l’éventualité
que des conflits de compétence très difficiles à résoudre puissent se présenter a été peut53
V. L. Salazar, préc. note 30, p.1048, qui énumère une liste détaillée d’instruments internationaux (actions
communes, conventions du Conseil de l’Europe, conventions internationales, etc.) harmonisant en
particulier les définitions des premiers 13 crimes contenus dans la liste.
54
Tel est le cas, par exemple, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STCE 185),
qui a été signée à Budapest le 21 novembre 2001, mais qui, parmi les 25 États membres de l’UE, a été
ratifiée jusqu’à aujourd’hui seulement par la Hongrie, l’Estonie et la Lituanie. V.
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=185&CM=1&DF=09/04/04&CL=FRE.
25
être sous-estimée. En effet, au niveau européen, presque rien n’a été fait pour « prévenir
les conflits de compétences entre États membres », comme le demande l’article 31, d)
TUE. Au contraire, les dernières tendances semblent montrer une involution inquiétante
dans la prise de conscience du problème56. Le simple appel au principe de reconnaissance
mutuelle n’apparaît pas suffisant: les codes pénaux ou de procédure pénale nationaux
peuvent accueillir des critères qui dépassent le principe de territorialité, en étendant la
juridiction nationale bien au-delà des frontières de l’État. La notion même de territorialité
n’est pas immuable : elle peut aussi varier d’État en État. Mais c’est le principe en soi qui
semble inadéquat lorsque l’on fait attention à une typologie d’infraction, comme la
« criminalité informatique », qui, bien qu’inclue dans la liste de l’article 2-2, n’a pas fait
l’objet d’harmonisation et est par nature « a-territoriale ». Ce problème concerne l’Italie,
dont la Constitution à l’article 25 statue que « nul ne peut être soustrait au juge national
préétabli par la loi ». Mais il concerne aussi tous les autres États membres, même si leurs
constitutions sont souvent muettes sur ce point57 : la Charte des Droits Fondamentaux de
l’Union européenne garantit par l’article 47, deuxième alinéa, que « toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ». Et
cela ne doit pas être une simple coïncidence si dans l’article 6 CEDH, dans une
55
Plus en général, concernant les problèmes linguistiques et la nécessité d’une définition « stipulative » des
notions juridiques, v. H. Kantorowicz, The Definition of Law, Cambridge University Press, Cambridge,
1958.
56
La Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen – Reconnaissance mutuelle
des décisions finales en matière pénale du 26 juillet 2000, COM (2000) 495 final, sur
http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/site/fr/com/2000/com2000_0495fr01.pdf, témoignait d’une
prise de conscience sur le problème de la répartition des compétences en matière pénale. Cependant, la
Commission semblait déjà être inspirée plutôt par un souci d’efficacité que par un élan de protection du
droit fondamental au juge naturel préétabli par la loi. En tout cas il s’agit encore aujourd’hui d’un effort
isolé dans le panorama législatif du troisième pilier. Au contraire, la récente Communication de la
Commission sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière pénale et le renforcement
de la confiance mutuelle entre les États membres du 19 mai 2005, COM (2005) 195 final, disponible sur
http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/criminal/doc/com_2005_195_fr.pdf , semble suivre un
chemin opposé : c’est dans ce nouveau texte que la Commission annonce officiellement qu’elle présentera
en 2005 un livre vert sur les conflits de compétences et le non bis in idem, qui proposera des solutions pour
régler les conflits de juridiction dans l’Ue, « […] tenant compte notamment du rôle d’Eurojust aux termes
de l’article III-273 de la Constitution et des demandes formulées par le programme de La Haye sur ce
point ». Mais, précise la Commission, « [...] sans toucher aux mécanismes nationaux de détermination de
la compétence juridictionnelle ».
57
Quant à la France, v. T. RENOUX, La Justice et la Constitution de 1958, – La place de la justice dans la
Constitution, in La Constitution de 1958 en 20 questions, dossier publié sur le site Internet du Conseil
Constitutionnel, http://www.conseil-constitutionnel.fr, 1999 : « […]contrairement à ses devancières et
autres Constitutions européennes, la Constitution de la France, qui ne consacre seulement que trois articles
à la Justice (article 64, 65 et 66) est singulièrement muette sur les principes constitutionnels régissant
l’organisation judiciaire, les juridictions financières, ou le principe selon lequel nul ne peut être privé de
son juge naturel, principe rappelé par exemple, par la Constitution de l'Italie […] ».
26
formulation très similaire, le mot préalablement fait défaut. Quelles sont les
conséquences de cet ajout? La Constitution italienne, avec la longue œuvre
d’interprétation que la jurisprudence italienne a consacré à la spécification de ce principe
établi dans le but d’assurer l’impartialité du juge 58, peut nous fournir un apport utile.
Selon la Cour italienne, « la constitution préalable du juge et la discrétion dans sa
désignation en concret sont des critères entre lesquels une conciliation n’apparaît pas
possible59». Pour que le principe soit respecté, selon la jurisprudence et la doctrine
dominante, il faut qu’au moment où le fait justiciable s’avère, la loi sache déjà qui sera le
juge compétent, sans qu’aucune marge de discrétion ne soit laissée à l’interprète – peu
importe qu’il s’agisse des parties ou du juge – afin d’empêcher qu’il puisse rechercher le
tribunal plus favorable. Le respect de cette norme a été la source de très grandes
polémiques en Italie lors de l’approbation en 2002 de la loi sur le renvoi du procès d’un
tribunal à l’autre pour cause de suspicion légitime60. Et il est naturel qu’au moment où le
problème se posera lors des premières applications concrètes du mandat d’arrêt, la
question ne pourra qu’être renvoyée devant la Cour constitutionnelle, avec les
conséquences qui ont été illustrées en ouverture de cette contribution.
L’article 4-7 de la décision-cadre semble vouloir offrir un remède permettant à l’autorité
judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen lorsqu’il porte sur
des infractions qui « a) selon le droit de l’État membre d’exécution, ont été commises en
tout ou en partie sur le territoire de l’État membre d’exécution ou en un lieu considéré
comme tel, ou b) ont été commises hors du territoire de l’État membre d’émission et que
le droit de l’État membre d’exécution n’autorise pas la poursuite pour les mêmes
infractions commises hors de son territoire ».
Mais un tel palliatif paraît insuffisant, parce que la définition d’infractions « commises
hors du territoire » est laissée aux États et est donc variable61. Sans l’établissement d’un
système européen réglant les compétences pénales, un système fondé sur le principe de
reconnaissance mutuelle manquera toujours de cohérence logique, et le phénomène du
58
V. par exemple V. Andrioli, La precostituzione del giudice, in Riv. it. dir. proc. pen., 1964, p.328.
V. Corte cost., 3 juillet 1962, n. 88, in Giurisprudenza costituzionale, 1963, p.471.
60
Legge n° 248 du 7 novembre 2002, dite « Cirami » du nom de son promoteur, publiée dans la Gazzetta
Ufficiale n° 261 du 7 novembre 2002.
61
La Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13, avait conscience de cette
difficulté : « […] Le problème devient particulièrement aigu dans les cas où une compétence universelle
[…] est d'application. […] il n'est pas inhabituel que plusieurs États membres soient compétents. Il n'y a
59
27
forum shopping risquerait d’assumer des proportions déplorables et incontrôlées62. Par
contre, se donner des règles strictes d’attribution de la juridiction, équivaudrait à
construire une autoroute dans l’espace judiciaire européen. Ces règles devraient être
fondées essentiellement sur le principe de territorialité, de sorte qu’un fait soit punissable
uniquement selon la loi du pays dans lequel le fait a été commis : en principe, les
systèmes pénaux substantiels des États membres ne devraient pas pouvoir étendre leurs
«tentacules» aux dehors des frontières nationales. Ainsi des principes tels que les
principes de responsabilité personnelle, de sûreté juridique, de légalité, de reconnaissance
mutuelle63 et – ce qui pourrait sembler à première vue un paradoxe – de souveraineté
nationale en sortiraient renforcés. Le véhicule de la coopération judiciaire pourra ainsi
tenir sa vitesse avec moins de risques d’encourir des accidents mortels. Quand on saura
avec exactitude qui est compétent à juger quoi, on pourra probablement commencer à
penser à l’existence d’un seul système pénal européen, respectueux des valeurs protégées
par les systèmes pénaux nationaux64.
Ce but devrait être achevé à travers l’adoption d’une convention européenne
(préférablement65) ou d’une décision-cadre sur la compétence judiciaire en droit pénal et
l’attribution à la Cour de justice ou à Eurojust66 du rôle d’arbitre des juridictions.
pas de règle de litispendance ni de hiérarchie des niveaux juridictionnels, mais seulement une incitation,
parfois, à coordonner et, dans la mesure du possible, à centraliser les poursuites ».
62
V. Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13.1: « Un autre argument en
faveur d'une série de règles de compétences clairement définies est la nécessité d'éviter la recherche du
tribunal le plus favorable. Il faudrait rendre la chose impossible quelle que soit la partie à la procédure qui
tente d'agir de la sorte, qu'il s'agisse de l'accusation ou de la défense. Dans la plupart des cas, les autorités
compétentes des États membres (éventuellement) concernées pourraient déterminer seules, en interprétant
les règles de compétence, si c'est dans leur État membre qu'il convient ou non d'engager des poursuites
dans une affaire ».
63
V. Communication reconnaissance mutuelle du 26 juillet 2000, préc., § 13 : « […] Si des règles
communément établies prévoient explicitement que les autorités d'un (seul) État membre sont compétentes
pour juger une affaire donnée, les autres États membres reconnaîtront et accepteront cette décision plus
facilement que si leurs propres autorités étaient également compétentes pour décider. Cela s’applique à la
fois aux différences en matière de droit pénal substantiel et de droit procédural pénal. En effet, même
lorsqu'il n'y a pas double incrimination, l’État membre invité à exécuter une décision concernant un acte
qui n'est pas constitutif d'un délit au regard de sa propre législation devrait l'accepter plus facilement, étant
donné que cette décision repose sur des normes communément admises fixant les responsabilités pour une
affaire donnée ».
64
Pour un des premiers exemples de refus en France d’un mandat d’arrêt délivré par l’Espagne fondé sur
une exception d’incompétence territoriale, car les faits de terrorisme et de participation à une organisation
criminelle « […] auraient été commis pour partie sur le territoire français », v. Cass. crim. 8 juillet 2004,
n° 4350, Aritza x.
65
Mais la tendance suivie par la Commission dans sa dernière Communication du 19 mai 2005, préc., est
celle de proposer une décision-cadre : comme nous le voyons, il s’agit d’une solution plus rapide, mais
moins apte à sculpter des critères invariables et, par conséquent, à garantir le respect du principe du juge
naturel préétabli par la loi.
66
Ceci semble être est le choix de la Commission dans sa dernière Communication du 19 mai 2005: v.
supra note 56 et aussi l’article III-273, 2 b) du Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
28
II.4.
La magistrature et le « procès équitable »
13.
Selon le premier alinéa de l’article 104 de la Constitution italienne, « la
magistrature constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir ». M.
Vassalli et M. Caianello avaient estimé que l’élimination de tout type de contrôle
préliminaire sur le fond et la légalité des actes provenant d’une autorité judiciaire
étrangère – et pourtant différente de l’autorité dont on parle à l’article 104 – aurait pu
engendrer une violation des garanties du « procès équitable », régies par l’article 111 de
la Constitution. Cet article a été récemment réformé67 dans un souci de rendre les liaisons
entre la Charte constitutionnelle et le nouveau code de procédure pénale, inspiré par le
model accusatoire, plus harmonieuses :
« La juridiction s’exerce par le procès équitable régi par la loi.
Tout procès se déroule contradictoirement entre les parties, dans des conditions
d’égalité, devant un juge tiers et impartial. La loi en assure la durée raisonnable.
Dans le procès pénal, la loi garantit que la personne accusée d’une infraction soit,
dans le plus bref délai possible, informée confidentiellement de la nature et des
motifs de l’accusation portée contre elle ; dispose du temps et des conditions
nécessaires pour préparer sa défense ; ait la faculté, devant le juge, d’interroger ou
de faire interroger les personnes qui font des déclarations contre elle, d’obtenir la
convocation et l’interrogatoire de personnes pour sa défense dans les mêmes
conditions que l’accusation ainsi que l’acquisition de tout autre moyen de preuve
en sa faveur; soit assistée d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la
langue employée au procès.
Le procès pénal est régi par le principe du contradictoire dans la formation de la
preuve. La culpabilité du prévenu ne peut être prouvée sur la base de déclarations
faites par celui qui, par libre choix, s’est toujours volontairement soustrait à
l’interrogatoire du prévenu ou de son défenseur.
La loi fixe les cas dans lesquels la formation de la preuve n’a pas lieu
contradictoirement par consentement du prévenu ou pour la constatation d’une
impossibilité de nature objective ou par l’effet d’une conduite illicite prouvée.
Toutes les mesures juridictionnelles doivent être motivées.
Le pourvoi en cassation pour violation de la loi est toujours admis contre les
67
Article 1-1 de la loi constitutionnelle n° 2 du 23 novembre 1999, publiée dans la Gazzetta Ufficiale n.
300 du 23 octobre 1999.
29
sentences (sentenze) et contre les mesures concernant la liberté de la personne,
prononcées par les organes juridictionnels ordinaires ou spéciaux. Il ne peut être
dérogé à cette règle que pour les jugements (sentenze) des tribunaux militaires en
temps de guerre [...] ».
Caianello et Vassalli avaient plus particulièrement manifesté leur préoccupation quant à
l’éventualité que les actes de l’autorité étrangère ne soient pas motivés, comme le
demande le sixième alinéa de cet article. La menace aurait également concerné le
principe constitutionnel selon lequel toutes les sentences et les autres mesures de
l’autorité judiciaire concernant la liberté de la personne sont susceptibles d’obtenir un
pourvoi en Cassation. Mais ces objections étaient surmontables. Il suffisait en fait que la
loi de transposition prévoie l’obligation de motivation pour les mandats à destination ou
originaires de l’Italie68 et la possibilité de pourvoi en Cassation pour violation de loi, en
traçant une voie prioritaire afin de respecter les délais stricts de procédure imposés par la
décision-cadre69.
II.5.
Les principes constitutionnels concernant l’extradition : les articles 10-4 et 26 de
la Constitution
14.
Selon l’article 26, premier alinéa, de la Constitution italienne, « l’extradition du
citoyen ne peut être accordée que dans les cas où elle est expressément prévue par les
conventions internationales ». Le deuxième alinéa précise qu’en aucun cas l’extradition
ne peut être admise pour des délits politiques. D’ailleurs, ce même principe est exprimé
pour les étrangers à l’article 10, quatrième alinéa, selon lequel « l’extradition d’un
étranger pour des infractions politiques n’est pas admise ».
Les doutes les plus forts ont été exprimés surtout par rapport à la nature juridique de
l’instrument adopté pour l’institution du mandat d’arrêt européen, car une décision-cadre
68
Ce qui a été le cas : v. para. 33.
En ce sens, E. Selvaggi, préc. note 36, p.2984. La solution trouvée par le législateur italien, qui laisse la
possibilité d’un pourvoi aussi pour le fond, est cependant allée un peu au-delà de ces exigences légitimes :
v. para. 33.
69
30
n’est pas assimilable à une convention internationale70. Cette question délicate a été
extrêmement débattue. Certains estimaient que la solution du problème résidait en la
circonstance que l’extradition au sens classique se différencie de la remise introduite par
la décision-cadre, ou dans le fait que les « racines » de cette dernière se trouvent dans le
Traité sur l’Union européenne ( articles 31 et 34 ), qui est une convention
internationale71. Mais il y a lieu d’objecter que si le mandat d’arrêt rend la remise d’une
personne d’un État à un autre plus aisée, alors le niveau de garantie nécessiterait, en
contrepartie, d’être haussé. On ne saurait pas échapper à la garantie constitutionnelle dont
l’objet est de demander un instrument juridique hiérarchiquement supérieur à la loi dans
le but de garantir la personne, en prévoyant la possibilité de parvenir au même résultat
par une norme qualitativement différente.
D’autres auteurs ont évoqué le concept de citoyenneté européenne72. Mais il s’agit d’une
évocation inopportune. En premier lieu, comment le dit l’article 17 TCE, « La
citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». De
surcroît, si cette notion n’est même pas suffisante à assurer la liberté d’établissement des
personnes « économiquement inactives73 », a fortiori elle ne pourrait pas justifier
l’extradition d’une personne.
Cependant, une fois de plus, l’Italie n’a ni formulé de réserves sur ce point, ni même
songé à une adaptation de sa Constitution. La loi de transposition a opté pour des
solutions originales et en contraste avec la décision-cadre, comme nous le verrons dans
les prochains paragraphes : entre autre, le refus de l’extradition pour les infractions
politiques a été placidement réintroduit parmi de très nombreuses causes de refus prévues
ex novo par cette loi.
70
En Italie, la question d’inconstitutionnalité concernant l’exclusion des crimes politiques parmi les motifs
de refus d’un mandat d’arrêt a été posée, mais pas dans les mêmes termes qu’en France, où on en est arrivé
à modifier la Constitution. V. Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003, préc. note 27, suivie par
la loi d’implémentation n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite loi Perben II, portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité, publiée au JORF du 10 mars 2004, p.4567. V. Jean Pradel, Le mandat d'arrêt
européen – Un premier pas vers une révolution copernicienne dans le droit français de l’extradition (1), in
Le Dalloz, 20 mai 2004, n° 20, Chroniques, p. 1392-1404, et la suite et fin in Le Dalloz, 27 mai 2004, n°
21, Chroniques, p. 1462-1469. V. aussi P. Mabaka, Remarques sur la loi constitutionnelle relative au
mandat d’arrêt européen, in Les Petites Affiches 2003, v. 392, n° 147, p.6. Dans le Bel Paese, la question a
été « résolue » par la réintroduction du refus à l’extradition pour les infractions politiques : v. para. 31.
71
V. Grevi, préc. note 31, à la p.125.
72
V. Grevi, préc. note 31, à la p.119.
73
V. Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des
citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire
des États membres, publiée sur JO L 158 30.04.2004, p. 77.
31
III.
L’hésitation du Gouvernement
15.
Même après avoir concédé son oui final presque inconditionnel, l’exécutif italien
n’a jamais eu une attitude très enthousiaste à l’égard du mandat d’arrêt. Le
Gouvernement n’a jamais présenté un texte de loi de transposition, tout en laissant
l’initiative au Parlement. Un décret du Ministre de la Justice du 19 mars 200374 avait
institué une « Commission pour la prédisposition d’un schéma de dessein de loi pour
l’exécution de la décision-cadre [...], avec l’examen préalable du domaine d’adéquation
de la normative interne et des profils éventuels de compatibilité avec les principes
constitutionnels et propres de l’ordre juridique italien ». Cette Commission, présidée par
M. Giuseppe Viola et composée de douze experts provenant du monde académique et
professionnel, avait effectivement présenté ses conclusions dans le délai établi du 30 juin
2003. Cependant, le Gouvernement n’a jamais transformé ce schéma en une proposition
officielle, malgré les engagements pris par le Ministre de la Justice pendant le semestre
de la Présidence italienne du Conseil.
IV.
Les différentes propositions de loi présentées au Parlement
16.
Une proposition de loi et deux propositions de délégation législative avaient été
soumises à l’examen du Parlement par des parties d’opposition. La première avait été la
proposition Kessler75, du nom de son premier signataire, rédigée par le groupe des
parlementaires des DS (« Démocrates de gauche »). Elle avait été suivi par la proposition
de délégation législative Buemi76, présentée par des députés des socialistes-démocrates,
de l’Udeur (« Union des démocrates pour l’Europe ») et des Verts, et par la
74
Disponible sur
http://www.giustizia.it/commissioni_studio/decreti/comm_viola_istituz.htm
75
Proposta di legge n° 4246, présentée le 30 juillet 2003. Tous les textes des propositions sont disponibles
sur le site www.camera.it.
76
Proposta di delega al Governo n° 4431, présentée le 28 octobre 2003.
32
« proposition-photocopie » Pisapia77, présentée par les députés de la « Refondation
Communiste ».
La proposition Kessler, quant à sa philosophie inspiratrice, faisait pleinement confiance
au principe de reconnaissance mutuelle. Contrairement à celle qui deviendra la loi
définitive, elle ne disait rien sur des conditions éventuelles devant être satisfaites par un
mandat d’arrêt en provenance d’un autre pays, et elle était aussi muette quant au
problème de la liste tristement célèbre des crimes de l’article 2-2 de la décision-cadre.
Cette proposition a été profondément modifiée lors du débat à la Commission Justice de
la Chambre des Députés par les élus de la majorité. M. Kessler en a été jusqu’à en renier
la paternité. Le nouveau texte est par la suite passé dans les annales sous le nom de
proposition Pecorella, du nom de l’onorevole président de la Commission Justice78. Ce
texte a de fait réuni les trois propositions précédentes dans un seul texte qui a été soumis
à l’examen de l’Assemblée le 19 avril. Il s’agissait de l’embryon de la loi actuelle, qui a
ensuite entrepris une véritable odyssée parlementaire79. Cette longue gestation a eu
toutefois quelques effets bénéfiques sur la qualité du résultat final. Même si on est très
loin d’avoir un texte parfait, comme nous le verrons, le produit fini présente beaucoup
moins de problèmes par rapport au texte audacieux de la proposition Pecorella. Cette
77
Proposta di delega al Governo n° 4436, présentée le 29 octobre 2003. Les deux propositions de
délégation législative Buemi et Pisapia étaient en réalité deux « textes-photocopie », inspirés par une
suggestion de l’Union des avocats pénalistes italiens ( Unione delle Camere penali italiane ). Cette
suggestion, soi-disant « attentive à l’exigence de sauvegarder des interférences externes » le système des
garanties fixées par l’ordre juridique national, avait été le résultat du congrès de l’Unione, qui avait eu lieu
en octobre 2002 sous la direction de M. Giuliano Vassalli. Elle reprenait, en substance, les objections
d’illégitimité constitutionnelle sur lesquelles M. Vassalli et M. Caianello avaient fondé leur avis au
Président du Conseil. Leur défaut commun était celui d’avoir choisi de se servir de l’instrument de la
délégation législative, qui aurait causé un allongement démesuré du temps nécessaire à l’accomplissement
du processus de transposition. La délégation législative, prévue par l’article 76 de la Constitution italienne,
est une délégation à légiférer faite par le Parlement au Gouvernement, qui résulte d’une loi ordinaire qui en
fixe la durée et l’objet, pour demander au Gouvernement d’émettre un « décret législatif » dans des
domaines qui requièrent un texte techniquement complexe. Cet instrument permet au législateur de se
servir du recours à l’expertise technique que le Gouvernement a normalement plus facilement à sa
disposition. Par contre, le processus législatif peut s’allonger presque indéfiniment, l’unique conséquence
étant la responsabilité politique devant le Parlement du Gouvernement, au cas où ce dernier n’accomplirait
pas sa mission. Or, dans la situation de retard par rapport à l’obligation de transposition dans laquelle
l’Italie se trouvait, l’adoption d’une délégation législative apparaît très inopportune. En plus, on se serait
trouvés devant un cas de « délégation sur délégation », car la décision-cadre est déjà, en un certain sens,
une délégation du législateur communautaire au législateur national pour la réalisation d’objectifs
communs. Pour admission des rapporteurs, ces deux propositions avaient le but d’éviter l’introduction
« subreptice » dans le système juridique italien d’un « sous-système de libertate » en contraste avec les
principes généraux de l’ordre juridique national.
78
Proposta n° 4246-A. Le texte de la II Commission (Justice), définitivement ayant été délibéré le 17 mars
2004, M. Kessler avait proposé un texte alternatif de minorité, le 4246-bis.
79
Les plus téméraires pourront consulter les travaux préparatoires dans leurs intégralité sur les deux sites
www.camera.it et www.senato.it .
33
dernière, d’ailleurs, avait été fortement influencée par les avis rendus par la Commission
Affaires Constitutionnels et par la Commission Politiques Communautaires. Mais elle
était surtout le reflet du conflit entre magistrature et classe politique auquel nous avons
déjà fait allusion. En effet, elle était surprenante à plusieurs points de vue, comme nous
allons le voir au fur et à mesure à travers une comparaison avec le texte définitif. Elle
représentait sous plusieurs aspects un retour en arrière même par rapport à la « vieille »
extradition de 1957. La vraie crainte qui l’avait inspirée – même son rapporteur l’avait
admis – était liée à l’élargissement d’une part80 et à la magistrature en tant que telle
d’autre part. Suivant cette proposition, le juge de l’exécution aurait eu non seulement la
tâche de procéder à un véritable contrôle sur le fond de la requête, mais aussi celle de
faire un véritable « procès » aux systèmes juridiques des États d’émission, en vérifiant,
entre autre, que le mandat d’arrêt ait été signé par un « juge indépendant »: car l’Italie
n’aurait exécuté que les mandats provenant des États qui respecteraient « les principes et
les dispositions contenus dans la Constitution de la République, y compris ceux relatifs à
la magistrature en tant qu’ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir ». Bien
entendu indépendant surtout du pouvoir exécutif.
80
V. les déclarations de M. Pecorella lors de la séance à la Chambre des Députés du 19 avril 2004.
34
CHAPITRE II
La loi de transposition : une mise en oeuvre ou un pas en arrière ?
35
I.
Dispositions de principe
17.
Heureusement, le débat parlementaire a permis d’effacer les tâches les plus
grossières, qui ont disparues dans le texte de la loi 69/2005. Mais, comme nous l’avons
déjà observé, il s’agit toujours d’une loi qui ne peut pas simplement être qualifiée de
« loi d’implémentation » : seule la pratique sera en mesure de nous dire si l’exécution
d’un mandat d’arrêt en Italie deviendra une affaire courante ou plutôt quelque chose
d’extrêmement liée à l’imprévu.
18.
Le titre premier de la loi (« dispositions de principe ») vise à fixer le principe
selon lequel le mandat d’arrêt sera mis en œuvre en tenant compte de la limite du respect
de la Constitution et des principes fondamentaux de l’ordre juridique italien.
L’article 1, premier alinéa, statue que la loi « exécute81» les dispositions de la décisioncadre, « […] dans la mesure où ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les
principes suprêmes de l’ordre constitutionnel en matière de droits fondamentaux, et en
matière de droits de liberté et de procès équitable82».
Le troisième alinéa introduit quelques conditions surprenantes. Un mandat d’arrêt sera
exécuté en Italie « […] à condition que la mesure préventive qui constitue la base du
mandat soit signée par un juge, qu’elle soit motivée, ou que la sentence à exécuter soit
irrévocable ». Dans le cas de mesures préventives, on peut donc se demander quel sera le
destin des mandats d’arrêt se fondant sur une mesure non signée par un juge, mais, par
exemple, par un ministère public83.
Quant aux décisions de condamnation, la force exécutive d’un mandat d’arrêt sera liée au
caractère irrévocable de celles-ci84: il faut alors se demander ce qu’il adviendra des
mandats se fondant sur une sentence non irrévocable mais dotée de force exécutive,
provenant par exemple d’un pays où les décisions de première instance sont
immédiatement exécutives. En introduisant ces deux conditions non prévues par la
81
Le texte utilise le verbe « attua » au lieu de « recepisce », utilisé par la proposition Kessler. Il s’agit
d’une subtile nuance avec laquelle le législateur semble avoir voulu mettre en évidence l’absence d’effet
directe des dispositions de la décision-cadre dans l’ordre juridique interne.
82
Comme le rappelle le para. 4 de l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, aussi l’Irlande a
introduit une clause de refus lorsque le mandat se révèle contraire à la Constitution nationale. Selon la
Commission, cela serait toutefois contraire à la décision-cadre.
83
Au Danemark, par exemple, la participation d’un juge en cette phase ne parait qu’être éventuelle. C’est
ainsi selon le Rapport de la Commission, préc. note 27, qui ne manque pas de faire noter l’anomalie de la
législation danoise sur ce point.
84
Ce principe est confirmé par l’article 17-4 de la loi italienne d’implémentation. Cf. para. 30.
36
décision-cadre, le législateur italien a voulu adhérer au schéma de son propre système de
procédure pénale, qui prévoit que toute mesure préventive privative de la liberté
personnelle soit arrêtée par « le juge qui procède »85 et qui subordonne tout effet
exécutoire d’une sentence au fait que celle-ci soit devenue irrévocable et ait acquis
l’autorité de la chose jugée86. Ce texte, de toute manière, pose moins de problèmes par
rapport à la version qui avait été originairement proposée par la majorité faisant référence
entre autre à une inédite condition de réciprocité87.
L’article 2, qui a fait l’objet d’une modification substantielle par rapport à la version
proposée par la majorité, vise à établir une clause de respect des droits fondamentaux et
des garanties constitutionnelles: « 1. [...] l’Italie exécutera le mandat d’arrêt européen
dans le respect des droits et des principes suivants, établis par les traités internationaux et
par la Constitution : a) les droits fondamentaux garantis par la Convention pour la
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...]88; b) les principes et
les règles contenus dans la Constitution de la République, concernant le procès équitable,
y compris ceux relatifs à la protection de la liberté personnelle, même en relation au droit
de défense et au principe d’égalité, ainsi que ceux relatifs à la responsabilité pénale et à la
qualité des sanctions pénales89».
85
Article 279 du code de procédure pénale. Pendant la phase des enquêtes, « le juge pour les enquêtes
préliminaires » est compétent à se prononcer sur l’application de la mesure provisoire. C’est ainsi que la loi
transpose de façon « garantista » la notion d’ « autorité judiciaire » dont parle l’article 13, troisième alinéa,
de la Constitution. Le problème est que l’article 1-1 de la décision-cadre, quand il parle de « décision
judiciaire » ne semble pas vouloir se limiter aux décisions prises par les juges.
86
Article 650 du c.p.p. italien.
87
Le texte proposé lors de la séance à la Camera du 19 avril 2004 précisait en outre que le juge devait être
« indépendant », que la décision devait être « suffisamment » motivée et que, dans la phase d’instruction,
« la personne soit recherchée uniquement dans le but de son renvoi en jugement ».
88
Dans son Rapport cité supra, note 27, para. 2.2.3., la Commission assume que, même si la décision-cadre
n’a pas fait de la condition générale de respect des droits fondamentaux un motif explicite de refus en cas
de violation, « […] cependant il va sans dire qu’une autorité judiciaire est toujours fondée à refuser
l’exécution d’un mandat d'arrêt si elle constate que la procédure est entachée d’une violation de l’article 6
TUE et des principes constitutionnels communs aux États membres ». Toutefois, elle précise que « dans un
système fondé sur la confiance mutuelle une telle situation devrait rester exceptionnelle ».
89
Dans la proposition Pecorella, le même article statuait que «1. [...] l’Italie exécutera le mandat d’arrêt
européen seulement envers les États qui respectent : a) les droits fondamentaux garantis par la Convention
pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales […]; b) les principes et les normes
contenus dans la Constitution, y compris ceux relatifs à la magistrature en tant qu’ordre autonome et
indépendant de tout autre pouvoir, à la protection de la liberté personnelle, même en relation au principe de
défense et au principe d’égalité, ainsi que ceux relatifs aux sources du droit pénal, à la présomption de non
culpabilité, et à la qualité des sanctions pénales ». De telles dispositions auraient été fortement critiquables,
car elles auraient bafoué les principes de reconnaissance et de confiance mutuelle. Le juge de l’exécution
aurait eu le pouvoir, sans en avoir les moyens, de juger si son homologue était effectivement indépendant,
ou si son État respectait la CEDH. Mais surtout, on aurait demandé aux autres États membres de respecter
non seulement les principes, mais aussi toute autre «disposition» contenus dans la Constitution italienne.
D’ailleurs, d’autres dispositions, sorties par la porte, son rentrées par la fenêtre. Tel est le cas de la
37
Le deuxième paragraphe du même article donne la possibilité aux autorités italiennes de
demander des « garanties appropriées » liées au respect des principes indiqués par le
premier alinéa, tandis que le troisième introduit une obligation de refuser l’exécution
d’un mandat d’arrêt si l’État d’émission s’est rendu responsable d’une violation grave et
persistante de ces principes, constatée par le Conseil de l’Union aux termes du
considérant 10 de la décision-cadre.
I.1
Le nouveau mécanisme de réserve parlementaire
19.
On a déjà eu l’occasion de signaler que la méfiance réservée par le Parlement
italien à la décision-cadre était due en grande partie à l’absence dans le système juridique
interne d’un mécanisme qui puisse permettre la participation de l’Assemblée aux
négociations au sein du Conseil. Pour remédier à cette faille, l’article 3 a introduit une
solution intéressante en ce qui concerne les projets de modification de la liste des
infractions prévue à l’article 2-2, de la décision-cadre, instituant l’obligation pour le
Gouvernement de les soumettre à la réserve parlementaire. Dans ce but, à l’avenir le
Président du Conseil devra transmettre aux deux Chambres tout projet de modification
accompagné d’une relation dans laquelle il devra illustrer « l’état des négociations et
l’impact des dispositions sur l’ordre juridique italien ». Aux termes du paragraphe 3 du
même article, un veto provenant « de la Chambre des députés ou du Sénat » aura un
caractère contraignant et ne consentira pas à l’adhésion de l’État italien aux modifications
proposées. Ce mécanisme pourrait permettre de limiter pro futuro les problèmes de
constitutionnalité qui ont été soulevés par rapport à cette liste. Pourtant, il reste à voir
comment il se coordonnera avec le dispositif de la récente loi n° 11 du 4 février 2005, qui
introduit les « Normes générales sur la participation de l’Italie au procès normatif de
l’Union
européenne
et
sur
les
procédures
d’exécution
des
obligations
communautaires 90». Cette loi établit en fait un mécanisme de réserve parlementaire
généralisé, mais à l’article 4 prévoit que, après 20 jours à compter de la communication
présomption de non culpabilité, qui a été biffée dans la version définitive, mais qui est substantiellement
restée en place à travers l’article 1, déjà analysé, qui impose que les décisions de condamnation de
l’autorité judiciaire étrangère soient irrévocables, et à travers la disposition contenue à l’article 17-4, que
nous analyserons infra au para. 30.
90
Loi n° 11 du 4 février 2004, Norme generali sulla partecipazione dell’Italia al processo normativo
dell’Unione europea e sulle procedure di esecuzione degli obblighi comunitari, publiée dans la Gazzetta
Ufficiale n° 37 du 15 février 2005. Il s’agit de la réforme de la loi n. 86 du 9 mars 1989, dite « La
Pergola », qui encadrait le processus d’adaptation de l’ordre juridique interne aux obligations imposées par
le droit communautaire.
38
faite par le Gouvernement aux deux Chambres d’avoir posé la réserve d’examen
parlementaire au sein du Conseil de l’Union, le Gouvernement est libre de procéder aux
négociations si le Parlement ne s’est pas prononcé. Des problèmes interprétatifs pourront
surgir du manque de coordination de ces deux normes, spécialement en raison du fait que
l’article 3 de la loi de transposition ne prévoit pas ce mécanisme de « silenceassentiment » ( silenzio-assenso ), et n’impose pas non plus de délais au Parlement pour
s’exprimer. En application des deux critères interprétatifs classiques lex specialis derogat
generali et lex posterior derogat priori on pourrait parvenir à la conclusion que dans le
cas de la liste de typologies criminelles prévue par l’article 2-2 de la décision-cadre,
l’examen du Parlement italien n’est soumis à aucun délais. Mais le recours à
l’interprétation systématique permettrait quand même d’assimiler ce mécanisme à la
norme générale, compte tenu de l’obligation générale de loyauté et de coopération
interinstitutionnelle prévu par l’article10 TCE. Ce rébus aurait pu être évité grâce à un
simple renvoi général à la loi 11/2005. Toutefois cette dernière, au moment de
l’approbation de l’article 3 dans sa version actuelle91, n’existait pas encore, et une
modification ultérieure aurait résulté au renvoi une fois de plus de l’entrée en vigueur de
la loi d’implémentation92.
I.2.
Le rôle du Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale
20.
L’article 4 désigne le Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale pour la
transmission et la réception des mandats d’arrêts et de la correspondance officielle les
concernant. Le législateur italien a donc choisi de se valoir de l’option rendue possible
par l’article 7 de la décision-cadre, qui permet aux États membres de confier aux autorités
centrales ce rôle d’assistance administrative93. Cette norme ne faisait pas partie de la
proposition originale présentée par M. Kessler, qui était favorable à un mécanisme de
correspondance directe, « de juge à juge ». Elle a été l’objet d’un âpre débat
91
L’amendement en question a été approuvé par la Chambre des députés à très large majorité le 11 mai
2004 et par le Sénat le 26 janvier 2005.
92
Cette solution interprétative pourrait être corroborée par l’article 39-1 de la loi d’implémentation
(« normes applicables »), qui fait un renvoi général « aux dispositions du code de procédure pénale et des
lois complémentaires, si compatibles ». Mais il faut admettre que cela serait un peu forcé de vouloir inclure
la loi 11/2005 parmi les « lois complémentaires » (… au code de procédure pénale).
93
Comment le signale le para. 2.1.2 du Rapport de la Commission, préc. note 27, ce choix a été partagé par
l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Finlande et la Suède, tandis que en Danemark le Ministre est l’autorité
judiciaire compétente en tout. Estonie, Hongrie, Malte, Irlande, et Royaume Uni ont opté pour
l’interposition d’une autorité centrale détenant le monopole des transmissions. Selon la Commission, dans
39
parlementaire, qui l’avait vu introduite, supprimé par la Chambre94 et finalement
réintroduite au Sénat dans sa version modifiée. C’est ainsi que le paragraphe 4, ajouté in
extremis, avec une formule un peu obscure, prévoit une possibilité de correspondance
directe limitée entre les autorités judiciaires : « dans les limites et avec les modalités
prévues par des accords internationaux – dit le texte définitif de la norme – la
correspondance directe entre les autorités judiciaires peut être consentie à condition de
réciprocité. Dans ce cas l’autorité judiciaire compétente informe immédiatement le
Ministre de la Justice de la réception ou de l’émission d’un mandat d’arrêt européen
[…] ». Il semble donc que la condition de réciprocité dont la norme parle ne pourra pas
être considérée remplie lorsque, par exemple, la loi d’implémentation d’un des autres 24
pays membres autorise immédiatement la correspondance directe. Au contraire, pour que
ce mécanisme opère il faudra faire référence à des ( futurs? ) « accords internationaux »
non mieux précisés. L’utilisation de la forme passive ( « peut être consentie » ) sans un
complément d’agent correspondant n’aide pas à clarifier par qui concrètement la
correspondance directe peut être autorisée. En tout cas, l’utilisation de la forme
éventuelle « peut », impliquant une décision discrétionnaire, semble exclure la possibilité
que le mécanisme de correspondance directe opère de façon automatique.
La dernière phrase de cet article 4 nous précise que cette norme est sans préjudice pour la
compétence du Ministre de la Justice en matière de remise de la personne, en application
du premier paragraphe de l’article 23, qui attribue à la Garde de Sceaux la tâche de
stipuler des accords visant à régler les modalités de la remise de la personne. Cette
compétence ministérielle semble aller un peu au delà du rôle d’assistance administrative
que la décision-cadre voulait attribuer aux autorités centrales, comme nous le laisse
comprendre le considérant 9 de cette dernière. Cependant, la loi italienne est loin des
excès qu’on retrouve dans d’autres pays membres, notamment le Danemark95, où le
Ministre de la Justice est l’autorité judiciaire compétente à délivrer ou à exécuter un
mandat à norme de l’article 6 de la décision-cadre, ce qui semble vraiment contraire non
seulement à l’esprit de la décision-cadre, mais aussi plus généralement aux principes
ces derniers deux cas le rôle de l’autorité centrale outrepasserait le simple rôle de facilitation administrative
voulu par la décision-cadre.
94
Exactement, lors de la séance de la Camera du 17 février 2005, quand le vote conjoint de l’opposition et
de la Lega Nord (ce dernier étant un peu paradoxale étant considérées le positions traditionnellement
exprimés par ce parti sur le rôle du Ministre de la Justice) avait mis en minorité le Gouvernement sur ce
point controversé, causant ainsi un des nombreux renvois enregistrés pendant l’iter parlementaire.
95
De façon similaire, en Estonie et en Lituanie le Ministre est compétent à délivrer un mandat en exécution
d’une décision judiciaire.
40
fondamentaux sur lesquels la confiance mutuelle devrait se fonder, comme l’a remarqué
la Commission96.
II.
Procédure passive de consigne
21.
La méfiance envers le principe de reconnaissance mutuelle qui a inspiré cette loi
se reflète dans le déséquilibre entre la masse imposante de la partie relative à la procédure
passive et l’exiguïté des dispositions destinées à régler le rôle de l’Italie en tant qu’État
d’émission.
II.1.
Compétence de la Cour d’Appel
22.
Au sens de l’article 5 de la loi italienne (« garantie juridictionnelle »), l’instance
qui juge sur la remise est la Cour d’Appel, dont la compétence est fixée selon les critères
territoriaux classiques (résidence, domicile, demeure, ou lieu d’arrestation). La Cour
d’Appel de Rome a une compétence résiduelle97.
II.2.
Refus du mandat d’arrêt pour insuffisance de son contenu et de ses pièces jointes
23.
Le premier paragraphe de l’article 6 reproduit exactement l’article 8 de la
décision-cadre quant au contenu du mandat d’arrêt. Si le mandat d’arrêt ne contient pas
l’une des informations prévues98, le juge italien, en application de l’article 16 –
directement ou par l’intermédiaire du Ministre de la Justice – pourra demander à
l’autorité d’émission la fourniture d’urgence des informations complémentaires
nécessaires. Cette dernière disposition est un calque de l’article 15, paragraphe 2, de la
décision-cadre, sauf que pour ses conséquences (explicites). Si l’autorité d’émission ne
pourvoit pas à l’intégration dans un délai fixé par le juge italien et qui en tout cas ne peut
pas être supérieur à 30 jours, ce dernier devra refuser la requête. La procédure suivra le
96
V. Annexe au Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 4. Selon la Commission, 13 États membres
auraient désigné le Ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale, mais parfois le rôle de ceux-ci
semblerait aller au-delà de l’esprit de la décision-cadre.
97
La version originaire de la proposition Pecorella prévoyait que les décisions relatives à l’exécution d’un
mandat d’arrêt européen devaient être soumises « au contrôle d’une autorité judiciaire qui soit suffisant à
garantir le respect des dispositions des considérants (12), (13) et (14) de la décision-cadre ».
98
Sauf les informations prévues par l’article 8-1, lettre b), de la décision-cadre : le nom, l’adresse, le
numéro de téléphone et de télécopieur et l’adresse électronique de l’autorité judiciaire d’émission. Dans la
proposition Pecorella, le manque de toute information – y inclues celles prévues par l’article 8 de la
décision-cadre – était frappé par la sanction de l’irrecevabilité.
41
même chemin si le juge italien estime nécessaire d’obtenir des éléments ultérieurs dans le
but de vérifier si l’une des nombreuses (et très originales99) causes de refus prévues par
l’article 18 subsiste. Il en est de même pour les causes de refus prévues par l’article 19,
qui toutefois se limite à rendre obligatoires les garanties accordées par l’article 5 de la
décision-cadre (en ce qui concerne les décisions par défaut, la peine d’emprisonnement à
vie, et l’exécution de la peine dans l’État où la personne est résidante ou dont elle est
citoyenne).
Les paragraphes 3 et 4 obligent l’autorité d’émission à joindre au mandat d’arrêt une
copie de la décision sur laquelle le mandat se fonde ; une « relation sur les faits attribués
à la personne de laquelle la remise est demandée, avec l’indication des sources de preuve,
du temps et du lieu de commission des faits mêmes et de leur qualification juridique »; le
texte des dispositions législatives applicables, avec l’indication du type et de la durée de
la peine ; les données signalétiques et toute autre information apte à déterminer l’identité
et la nationalité de la personne de laquelle la remise est demandée. Si l’État d’émission
ne remplit pas cette obligation imposée par la loi italienne, le président de la Cour
d’Appel ou un magistrat délégué par celui-ci requiert au Ministre de la Justice
l’acquisition de ces documents, en informant l’autorité d’émission « que la réception de
la décision et de la documentation est une condition nécessaire pour l’examen de la
requête d’exécution de la partie de la Cour d’Appel ». Si l’autorité d’émission ne donne
pas suite à la requête du Ministre, « la Cour d’Appel refuse la requête » (c’est-à-dire, le
mandat d’arrêt). Il est à peine le cas de rappeler que ces dispositions sur les pièces
jointes, et surtout celles relatives aux conséquences de leur absence, ne sont présentes
nulle part dans le texte de la décision-cadre100, même si l’article 12 de cette dernière
établit génériquement que « la mise en liberté provisoire est possible à tout moment
conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité
compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue
d’éviter la fuite de la personne recherchée101».
99
V. para. 31.
Selon le para. 2.2.2. du Rapport de la Commission, préc., note 27, des obligations de joindre des
mentions ou pièces non prévues par la décision-cadre auraient aussi été introduites par les lois de
transposition maltaise et tchèque. Selon l’Annexe au Rapport, préc. note 27, 6 États membres –
l’Allemagne, l’Espagne, la Lituanie, le Portugal, la Slovaquie et la Suède – refuseront le mandat ou
libéreront la personne si les informations requises ne sont pas reçues dans les délais ou si elle sont
incomplètes.
101
Une des modifications plus opportunes par rapport à la proposition Pecorella a regardé cet article. Le
paragraphe 3, lettre à) demandait de joindre à un mandat, entre autre, « […] tout document nécessaire afin
de permettre l’examen que l’autorité judiciaire italienne devra effectuer pour vérifier si les principes
100
42
Tout mandat d’arrêt devra parvenir en Italie en langue italienne.
II.3.
Cas de double incrimination
24.
L’article 7 fait de la double incrimination une condition générale obligatoire pour
l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. En effet, l’article 2-4 de la décision-cadre
laissait ce choix aux États membres102 pour les infractions autres que celles visées au
paragraphe 2 dudit article.
En ce qui concerne les infractions en matière de taxes, impôts, douanes et change,
l’article 4-1 de la décision-cadre exclut tout refus se fondant sur le fait que la législation
de l’État d’exécution n’impose pas le même type de réglementation fiscale ou douanière.
Mais le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi d’implémentation italienne introduit une
exception à ce principe. Il doit s’agir de taxes et d’impôts assimilables, par analogie, à de
taxes ou des impôts pour lesquelles la loi italienne prévoit, en cas de violation, la sanction
de la réclusion d’un maximum d’au moins trois ans, sans tenir compte d’éventuelles
circonstances aggravantes.
De même, pour le calcul de la durée maximale de la peine ou de la mesure de sûreté dont
à l’article 2-1 de la décision-cadre, qui définit le champ d’application de la décisioncadre, la loi italienne précise qu’il ne faudra pas tenir compte des circonstances
aggravantes. Voilà une précision ne figurant pas dans le texte de la décision-cadre et qui
aurait été très opportune en son contexte de celle-ci en application du principe de légalité,
contenus dans les articles 1 et 2 ont été respectés […] ». Si on considérait la formulation originaire des
articles 1 et 2 (v. supra, para. 16-18), on aurait pu se demander quels auraient pu être les documents que le
juge a quo aurait dû joindre, afin de démontrer à son collègue italien qu’il faisait partie d’une magistrature
indépendante, et que son État respectait effectivement la CEDH et... la Constitution italienne. On n’aurait
pu penser à rien d’autre qu’à un manuel de droit constitutionnel et de procédure pénale du pays d’émission.
Cette prévision, due probablement plutôt à une inattention qu’à un sens de l’humour involontaire, était de
toute façon fort expressive du climat qui a accueilli la décision-cadre lors de son entrée au Parlement
italien.
102
Pour ces infractions « autres » la décision-cadre précise que le contrôle sur la double incrimination a
lieu « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification » de l’infraction. Selon la version
originairement présentée par la majorité, le juge italien aurait aussi dû vérifier «l’identité des éléments
constitutifs, subjectifs et objectifs». Il est remarquable que ni la discipline générale du code pénal et du
code de procédure pénale, ni certains traités bilatéraux conclus par l’Italie (v. par exemple l’article 2 de la
loi n. 225/1984, de ratification du Traité d’extradition Italie-USA du 13 octobre 1983, publiée sur GURI n°
165 du 16.07.1984, disponible sur le site http://www.giustizia.it/cassazione/leggi/l225_84.html, qui parle
seulement de « crimes punissables selon les lois des deux parties contractantes ») font référence à l’identité
objective et subjective de la définition du crime. Notamment, l’article 13, 2ème alinéa, du code pénal dit
simplement que « le fait qui est l’objet de la demande d’extradition » doit être prévu « comme crime par la
loi italienne et par la loi étrangère ». Encore une fois, le débat parlementaire a permis une amélioration de
la loi définitive.
43
mais qui sans doute sortait désormais du domaine de compétence du législateur national
en vertu du principe de reconnaissance mutuelle.
II.4.
La liste des crimes et le retour de double (ou « triple ») incrimination
25.
La formulation de l’article 8 est un point crucial de la loi italienne de
transposition, qui la rend unique parmi les 25 législations nationales d’implémentation103.
A travers cet article, le législateur italien a voulu remédier aux probables atteintes au
principe constitutionnel de détermination suffisante de l’infraction pénale causées par la
carence définitoire excessive de la liste contenue dans l’article 2-2 de la décision-cadre.
Cependant, son intervention tardive semble aller bien au-delà de cette exigence. D’une
part, le principe selon lequel la double incrimination ne s’applique pas aux cas énumérés
a été confirmé au premier paragraphe. D’autre part, des définitions extrêmement
détaillées ont été données pour chaque type d’infraction, plus détaillées, dans certains
cas, que les définitions contenues dans le code pénal. En demandant au juge de
l’exécution de vérifier la correspondance entre l’incrimination prévue par le droit du pays
d’émission et la définition donnée par cet article 8, le législateur italien semble avoir
réintroduit de facto un contrôle sur la double incrimination qui parfois sera encore plus
strict qu’à l’accoutumée. Nous nous limiterons à nous référer à quelques exemples parmi
les plus significatifs.
La typologie d’infraction citée à la lettre e) de l’article 2-2 de la décision-cadre (« trafic
illicite de stupéfiants et de substances psychotropes »), a été ainsi traduite :
« vendre, offrir, céder, distribuer, commercialiser, acquérir, transporter, exporter,
importer, ou procurer à d’autres des substances qui, selon les législations en
vigueur dans les pays européens, sont considérées stupéfiantes et psychotropes »
104
.
Il est évident qu’une liste si minutieuse de verbes ne peut qu’avoir un caractère
péremptoire, avec la conséquence d’exclure toutes les autres activités qui par hasard n’y
rentrent pas.
103
Ce nouveau phénomène de « triple incrimination » semble être un trait distinctif de la législation
italienne, comme nous sommes sur le point d’expliquer ci-après. Il n’en semble pas être de même pour les
législations de la Belgique, de la Pologne, de la Slovénie, de l’Estonie, de la Grèce et de la France, qui,
selon le para. 2.1.1 du Rapport de la Commission, préc. note 27, auraient « […] rétabli […] ou pris le
risque de rétablir […] un contrôle sur la double incrimination » . V. aussi l’Annexe au Rapport de la
Commission, préc. note 27, para. 2.
44
La notion de « cybercriminalité » a été redéfinie de la façon suivante105:
« commettre, dans le but de procurer un profit à soi-même ou à d’autres personnes,
ou de causer un dommage à d’autres personnes, un acte dans le but de s’introduire
ou de stationner abusivement dans un système informatique ou télématique protégé
par des mesures de sécurité ou d’endommager ou de détruire des systèmes
informatiques ou télématiques, données, informations ou logiciels qui y sont
contenus ou qui y sont relatifs ».
Ce deuxième exemple met en évidence les difficultés d’application pouvant
survenir, car la définition donnée par le législateur fourmille d’éléments
objectifs et subjectifs qui pourraient très bien manquer dans la définition du
pays d’émission. Une autre liste péremptoire est celle de la lettre n). Au
moment où la décision-cadre parle de « crimes contre l’environnement, y
compris le trafic illicite d’espèces animales menacées et le trafic illicite
d’espèces et d’essences végétales menacées », la conduite définie par la loi
italienne consiste à
« mettre en péril l’environnement à travers le rejet d’hydrocarbures, d’huiles
usagés ou de fanges provenant de l’épuration des eaux, l’émission de substances
dangereuses dans l’atmosphère, dans le sol ou dans l’eau, le traitement, le
transport, le dépôt, l’élimination de déchets dangereux, le stockage de déchets dans
le sol ou dans l’eau et la gestion abusive d’une déchetterie ; posséder, capturer et
commercialiser des espèces animales et végétales protégées ».
En ce qui concerne « l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers », la loi italienne ajoute un
but de profit qui n’est pas nécessairement requis par la notion de la décision-cadre, et cela
aussi pour le trafic d’organes, de sorte que l’on ne pourra pas exécuter un mandat d’arrêt
envers une personne qui aurait trafiqué des organes n’ayant pas comme objectif celui
d’en tirer un gain.
Quant à l’ « enlèvement, la séquestration et la prise d’otage », la notion donnée par le
législateur italien subordonne la subsistance de l’incrimination à la vérification de la
circonstance que la séquestration soit faite dans le but de
« contraindre une troisième personne [...] à mettre en oeuvre n’importe quel acte ou
omission, en subordonnant la libération de la personne séquestrée à cet acte ou
104
105
Article 8-1, lettre e).
Article 8-1, lettre m).
45
omission »106.
La définition de « racisme et xénophobie », fortement critiquée par la majorité
parlementaire à cause de sa possible « interprétation en sens liberticide », a été restreinte
seulement aux incitations publiques à la violence, en tant que « manifestation d’une haine
raciale » et à l’exaltation des crimes contre l’humanité.
Dans tous ces cas, le juge italien devra faire un effort de comparaison107 entre les deux
définitions : et le fait que la définition italienne est contenue dans la loi de transposition
plutôt que dans le code pénal change très peu en ce que le principe de reconnaissance
mutuelle est vidé de toute signification. Ainsi on a pu parler de « triple incrimination108».
Une solution plus simple, capable de mettre un frein puissant à des abus éventuels,
consistait simplement à obliger l’État d’émission d’apporter la preuve que l’infraction
pour laquelle un mandat d’arrêt est émis est effectivement punissable en vertu de sa loi
nationale, afin qu’il puisse être démontré que la restriction de la liberté individuelle
impliquée par la mise en oeuvre du mandat d’arrêt ne revête pas un caractère arbitraire109.
D’ailleurs, tel est précisément le but de l’obligation de joindre au mandat d’arrêt le texte
des lois applicables, prévu par l’article 6-4 b), comme nous l’avons déjà vu plus haut.
II.5.
Ignorantia legis excusat
26.
En application de l’article 8-3, le juge italien devra refuser la remise « du citoyen
italien » si le fait incriminé n’est pas prévu comme crime par la loi italienne, et s’il
résulte que la personne recherchée « ne connaissait pas, sans faute de sa part, la norme
pénale du pays d’émission ». Il s’agit de la codification du principe de l’ignorance
excusable de la loi pénale énoncé par la Cour constitutionnelle dans le célèbre arrêt n°
364/88110, et trouvant son fondement dans le principe de la responsabilité pénale
personnelle dont à l’article 27-1 de la Constitution italienne. Cependant, une fois de plus,
le législateur italien a introduit une cause de refus relative à la protection d’une garantie
fondamentale propre de l’ordre constitutionnel interne, mais qui n’existe guère dans la
106
Article 8-1, lettre r).
Article 8-2.
108
V. le discours à la Camera du député Giannicola Sinisi lors de la séance n. 585 du 14 février 2005.
109
V. l’avis du Conseil d’État français n° 368-282 du 26 septembre 2002, sur http://www.senat.fr/rap/l02126/l02-12610.html .
107
46
décision-cadre. La discrimination en faveur des citoyens italiens, en outre, ne semble pas
justifiée. Par exemple, la situation d’un non citoyen italien, résidant en Italie, se trouvant
dans une condition d’ignorantia legis excusable par rapport à la législation d’un Pays
membre autre que le sien, pourrait bien se présenter. Une pareille discrimination pose des
problèmes de manque de respect non seulement des principes généraux du droit
communautaire, mais aussi, paradoxalement, de la Constitution italienne, du moment que
l’article 27 ne se limite pas à protéger les citoyens, mais tous ceux qui ont à faire avec la
justice : cela résulte de la lecture conjointe de cet article avec l’article 24-1 de la
Constitution, qui prévoit que « Chacun peut ester en justice pour la protection de ses
droits et de ses intérêts légitimes », sans se limiter aux citoyens de la République
italienne.
II.6.
La compétence sur la requête passive et le déroulement de la procédure
27.
Les articles 5 et 9 attribuent à la Cour d’Appel territorialement compétente, à
laquelle le Ministre de la Justice transmet le mandat, le pouvoir de juger sur la remise. Le
président de la Cour décide par ordonnance motivée « sous peine de nullité » de
l’application d’une mesure coercitive provisoire, s’il pense que celle-ci est nécessaire, «
compte tenu particulièrement de l’exigence de garantir que la personne de laquelle la
remise est demandée ne se soustraira à cette dernière », comme le demande l’article 12 de
la décision-cadre. Le paragraphe 6 de l’article 9 de la loi italienne précise que « les
mesures coercitives ne peuvent pas être ordonnées, s’il y a des raisons pour croire que
des causes qui empêchent la consigne subsistent111 ». Contre les ordonnances du
président de la Cour d’Appel, la personne intéressée, son défenseur et le procureur
général peuvent faire un recours en Cassation pour violation de la loi112.
Dans un délai de 5 jours à partir de l’exécution des mesures coercitives, le président
interroge l’intéressé, en le renseignant entre autre sur ses droits en application de l’article
11 de la décision-cadre. Ainsi la loi italienne prévoit l’audition obligatoire de la personne
110
Corte cost. du 23 mars 1988, in Foro italiano, 1988, I, p.1385. Cette jurisprudence a déclaré
l’illégitimité constitutionnelle de l’article 5 du code pénal en ce qu’il ne prévoyait pas l’ignorance
« inévitable » de la loi comme exception au principe général ignorantia legis non excusat.
111
Ainsi le texte de la proposition Pecorella a été changé, qui prévoyait que « nulle mesure ne peut être
appliquée s’il est établi que le fait a été commis en présence d’une cause de justification ou si la personne
n’est pas punissable ou s’il y a une cause d’extinction du crime ou de la peine ».
112
Article 9-7 de la loi italienne d’implémentation. Cette dernière fait aussi un renvoi général aux
dispositions du code de procédure pénale, conformément à l’article 12 de la décision-cadre.
47
recherchée, tandis que l’article 14 de la décision-cadre lui attribue ce droit seulement
lorsqu’elle ne consent pas à sa remise. L’audience en chambre de conseil pour la décision
a lieu dans un délai de 20 jours à partir de l’exécution des mesures provisoires.
Des normes spécifiques sont prévues dans le cas où la Police judiciaire procèderait à
l’arrestation à sa propre initiative (articles 11-13), pour le consentement donné à la
consigne, qui est toujours irrévocable113 (article 14), pour les mesures provisoires dans
l’attente de la décision (article 15), et pour les informations intégratives (article 16). Ces
dispositions ne semblent poser aucun problème particulier quant à leur compatibilité avec
les normes correspondantes de la décision-cadre, si ce n’est pour le refus de la remise
dépendant du retard dans la transmission des informations intégratives dont nous avons
déjà parlé. Il faut aussi souligner le rôle de protagoniste que le Ministre de la Justice
conserve dans la procédure en cette phase. C’est lui, en effet, qui a la tâche de se
coordonner avec l’autorité judiciaire d’émission à fin de s’accorder sur la durée et les
conditions du transfert temporaire, en application de l’article 19 de la décision-cadre.
II.7.
La décision « sur la requête »
28.
Aux termes de l’article 17, la sentence qui décide de la remise doit intervenir dans
un délai normal de 60 jours, qui correspond à celui établi par l’article 17-3 de la décisioncadre, à compter de l’exécution de la mesure provisoire restrictive de la liberté
personnelle. Si, en cas de force majeure, ce délai ne peut pas être respecté, le président de
la Cour d’Appel en informe le Ministre de la Justice, qui en informe à son tour l’autorité
de l’État membre d’émission, « aussi à travers Eurojust ». Cette dernière précision
semble aller au-delà de ce qui est établi par l’article 17 de la décision-cadre, qui impose à
l’autorité d’exécution d’informer directement l’autorité d’émission, et parallèlement
Eurojust. Il ne semble pas, en d’autres mots, que l’autorité de l’exécution puisse
mandater Eurojust pour cette tâche, qui rentre dans la compétence des autorités
nationales. Il faut signaler, d’ailleurs, que neuf autres États membres n’ont pas mentionné
la possibilité d’informer Eurojust dans leur législation nationale114.
113
L’Italie donc a opté pour l’irrévocabilité du consentement, ne faisant pas recours à la possibilité ouverte
par l’article 13 de la décision-cadre. Selon le para. 2.2.3 du Rapport de la Commission, préc. note 27, on
constate désormais que dans la pratique, dans plus de la moitié des cas rapportés, les personnes concernées
consentent à leur remise.
114
V. l’Annexe au Rapport de la Commission préc. note 27, para. 4.
48
II.8.
Les conséquences du manque de respect des délais
29.
Voilà un des éléments d’originalité les plus marquants de la loi italienne, qui est
tout à fait contraire à la décision-cadre mais peut-être moins contradictoire que celle-ci.
La décision-cadre a établi trois délais principaux régissant la procédure. Le premier délai
est celui qui est imposé par l’article 17-2 : « Lorsque la personne recherchée consent à sa
remise, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être
prise dans les dix jours suivant ledit consentement ». Le deuxième est imposé par le
paragraphe successif : « Dans les autres cas, la décision définitive sur l’exécution du
mandat d’arrêt européen devrait être prise dans un délai de soixante jours à compter de
l’arrestation de la personne recherchée ». Dans des « cas spécifiques », selon le
paragraphe 4, ce dernier peut être prolongé de 30 jours.
Le troisième est le délai pour la remise de la personne, qui en application de l’article 23
doit se perfectionner « […] au plus tard dix jours après la décision finale sur l’exécution
du mandat d’arrêt européen ». Si le respect de ce délai s’avère « impossible en vertu d’un
cas de force majeure », les deux autorités judiciaires s’accordent pour établir une
nouvelle date. Dans ce cas, la remise doit impérativement être effectuée dans les dix jours
suivant cette nouvelle date convenue. Une norme similaire s’applique lorsqu’il y a « des
raisons humanitaires sérieuses » : dans ce cas, il est « sursis temporairement à la remise »
jusqu’à ce que telles raisons cessent d’exister. C’est à ce moment que les deux autorités
judiciaires conviendront d’une nouvelle date, et les dix jours découleront de cette
nouvelle date115.
La décision-cadre ne lie aucune conséquence juridique particulière au manque de respect
des premiers deux délais, sinon, comme nous l’avons vu, un devoir d’en informer
Eurojust, comme s’il s’agissait de sanctionner l’État défaillant à travers une sorte de
« mauvaise publicité ». La conséquence est beaucoup plus sérieuse dans le cas de manque
de respect des délais imposés par l’article 23. Selon l’article 24-5 de la décision-cadre, si
115
Article 23-4 de la décision-cadre. Deux remarques : 1) il est difficile d’expliquer le choix du législateur
européen de rédiger deux paragraphes distincts avec deux formulations différentes pour deux situations qui
sont pratiquement réglées de la même façon ( aussi dans le premier cas il s’agit d’un sursis, même si la
norme n’en parle pas explicitement ) et qui ont les mêmes conséquences. L’unique chose qui change est
apparemment la prémisse : force majeure ou raisons humanitaires sérieuses. De plus, la notion de « raisons
humanitaires sérieuses » ( telle que par exemple une situation de danger pour la vie de la personne) semble
pouvoir bien être comprise dans la catégorie plus ample de « force majeure » ; 2) il est à notre avis légitime
de penser que ces deux délais puissent se juxtaposer : c’est à dire, si une situation de force majeure autre
qu’une raison humanitaire sérieuse s’avère après la cessation de celle-ci, on pourrait estimer qu’un nouveau
49
la personne se trouve toujours en détention à l’expiration de ces délais, elle doit être
remise en liberté. La décision-cadre propose donc un système un peu contradictoire : la
procédure pourrait durer théoriquement à l’infini jusqu’à la décision finale, sans que la
personne éventuellement en état de détention ait le droit d’être libérée et sans qu’elle ait
la moindre certitude sur son avenir ; une fois la décision intervenue – c’est à dire, une
fois qu’un premier embryon de sûreté juridique se sera finalement greffé dans la
procédure – la décision-cadre imposera un délai péremptoire particulièrement strict,
quitte à rendre vain un travail d’enquête qui avait été probablement long et épuisant.
Dans le premier cas, l’inviolabilité de la liberté personnelle et la présomption
d’innocence, s’il s’agit de personnes recherchées en vue de leur poursuite, subissent une
blessure profonde. Dans le deuxième, juges et policiers d’au moins deux pays peuvent se
voir obligées à « rejeter à la mer le poisson » après l’avoir pêché. Or « heureusement », la
notion de force majeure – par définition vis cui resisti non potest – est suffisamment
souple pour pouvoir justifier de sursis sans encourir d’excessifs embarras116.
La loi italienne, au contraire, est tranchante. La conséquence sera la libération de la
personne dans les trois cas, comme il le disent les articles 21 et 23 : une discipline très
respectueuse de la liberté personnelle et de la… faune marine ; beaucoup moins
respectueuse, toutefois, de la décision-cadre117.
II.9.
Les indices graves de culpabilité
30.
Le quatrième paragraphe de l’article 17 contient un autre élément d’originalité : la
Cour d’Appel « ordonne la remise de la personne recherchée si des indices graves de
culpabilité sont établis ou si une décision irrévocable de condamnation existe ». Nous
avons déjà décrit les problèmes qui surgissent du fait d’avoir lié la force exécutoire d’un
mandat d’arrêt au caractère irrévocable de la décision sur laquelle il se fonde118. Mais la
vraie nouveauté consiste à avoir introduit l’obligation, pour le juge de l’exécution, de
sursis ait lieu, et vice-versa, même si le para. 3 ne renvoie explicitement qu’au délai « normal » prévu par le
para. 2.
116
Ce risque est plus important dans les 4 pays – Belgique, Danemark, Espagne et Estonie – dont les
législations nationales prévoient qu’en tout cas le délais de dix jours ne peut être prolongé que de dix autres
jours à partir de la date de la décision finale, et non pas de la nouvelle date convenue, comme le prévoit
l’article 23-4 de la décision-cadre.
117
Une différence ultérieure avec la décision-cadre est que cette dernière n’énumère le danger manifeste
pour la santé ou la vie de la personne recherchée qu’à titre d’exemple de raison humanitaire sérieuse, tandis
que l’article 23-3 de la loi italienne en fait la seule hypothèse possible.
118
V. para. 18.
50
vérifier la subsistance de ces graves indices de culpabilité119. En stricte application du
principe de reconnaissance mutuelle, cette évaluation devrait rester la compétence de
l’autorité d’émission. Il s’agit, encore une fois, d’une norme que le législateur italien a
voulu introduire dans le souci de protéger un droit fondamental propre à l’ordre juridique
interne120. Mais dans ce cas il semble aussi y avoir une faute de perspective. En effet,
dans la dialectique « normale » du système juridique interne, le ministère public demande
la mesure, et le juge en dispose. Mais on ne peut pas étendre ce schéma procédural au
système du mandat d’arrêt européen. Dans ce contexte, l’autorité judiciaire d’émission
n’est pas assimilable au ministère public italien, car elle est porteuse d’un acte – le
mandat d’arrêt – qui s’est perfectionné juridiquement dans l’ordre juridique de
provenance, et non pas d’une simple requête121.
II.10. Les nouveaux motifs de refus
31.
Nous avons déjà rencontré le long de notre parcours plusieurs motifs de refus,
semés un peu partout dans cette loi d’implémentation. Mais les choses sont beaucoup
plus compliquées, car l’article 18 ajoute 20 autres motifs explicites de refus. Certains
d’entre eux sont déjà « connus » par la décision-cadre. Il s’agit des sept motifs de nonexécution facultative prévus par l’article 4 de la décision-cadre, et rendus obligatoires par
la loi italienne122. A ceux-ci, un assortiment de causes de justification ou d’exclusion de
la responsabilité importées directement du code pénal italien vient s’ajouter. Le
législateur italien subordonne à nouveau l’efficacité du mandat d’arrêt européen au
respect du droit interne ; pour l’énième fois, le juge italien devra procéder à une
appréciation sur le fond de l’affaire : nous nous limiterons à nous reporter ici à quelques
119
Une restriction similaire est prévue par l’article 28-2 de la loi hollandaise d’implémentation : l’autorité
judiciaire d’exécution doit refuser la remise si elle constate qu’il ne peut y avoir aucun suspect sur le fait
que la personne requise est coupable en relation aux actes pour lesquels la remise est demandée. Dans
l’Annexe au Rapport préc. note 27, la Commission ne manque pas de souligner qu’un tel examen au fond
du cas est contraire à la décision-cadre. A fortiori on doit donc parvenir à la même conclusion en ce qui
concerne l’Italie.
120
V. l’article 273-1 du code de procédure pénale italien, selon lequel « nul ne peut être soumis à des
mesures de cautèle si à charge il n’y a la subsistance de graves indices de culpabilité ».
121
Nous restons de cette opinion même si l’article 19 de la décision-cadre parle de façon accidentelle
de « juridiction requérante », car la formule utilisée dans tous les autres cas est celle d’autorité judiciaire
ou État membre « d’émission ».
122
L’Italie n’est pas le seul État membre à avoir interprété l’article 4 de la décision-cadre dans le sens que
ce dernier laisserait aux États membres ( et non pas à leurs juges ) la possibilité de choisir de se prévaloir
des 7 motifs de refus contenus dans cet article. Selon l’Annexe au Rapport de la Commission, préc. note
27, para. 4, ainsi ont fait plusieurs États membres, qui ont rendus obligatoires pour leurs juges certains de
ces « motifs de non-exécution facultative ».
51
exemples parmi le plus éloquents123.
En application de la lettre d) dudit article, un de ces motifs obligatoires de refus
correspond au consensus de la personne dont le droit a été lésé. Il s’agit d’une cause de
justification du crime prévue par l’article 50 du code pénal : si la victime pouvait disposer
validement de son droit selon la loi italienne, le juge ad quem devra refuser l’exécution
du mandat. De l’article 51 c.p. provient la cause d’exclusion figurant à la lettre c): la
personne ne sera pas punissable si pour la loi italienne le fait constitue exercice d’un
droit ou si elle a pour l’accomplissement de son devoir. De l’article 45 c.p. provient la
cause justificatrice de la force majeure. Le juge devra en outre refuser l’exécution « si le
fait est une manifestation de la liberté d’association et de presse124 » ou, selon la lettre e),
si « la législation de l’État membre d’émission ne prévoit pas des limites maximales pour
l’emprisonnement préventif ». Le refus de l’exécution pour les infractions politiques a été
réintroduit125, en bafouant ainsi l’une des principales nouveautés introduites par la
décision-cadre126. La lettre g) oblige le juge à refuser l’exécution du mandat si « par les
actes du procès apparaît que la décision […] n’est pas la conséquence d’un procès
équitable, conduit dans le respect des droits minimaux de l’accusé » prévus par l’article 6
CEDH et par l’article 2 du Protocole n° 7, qui garantit le droit à un double degré de
juridiction en matière pénale.
Dans le cas des mineurs, en application de l’article 18, lettre i), le juge refusera aussi le
mandat si la personne avait moins de 14 ans au moment de la commission du fait, ou si
elle avait moins de 18 ans et que le fait est punissable d’une peine maximale inférieure à
9 ans, ou si « la restriction de la liberté personnelle apparaît incompatible avec les
processus éducatifs en acte, ou si l’ordre juridique de l’État membre d’émission ne
prévoit aucune différence de traitement pénitentiaire entre un mineur de 18 ans et un
123
L’Italie n’est pas le seul pays à avoir introduit des motifs de refus qui ne sont pas prévus par la décisioncadre. Cette pratique a été défini comme « inquiétante » par la Commission, qui a désapprouvé – sauf en ce
qui concerne les motifs de refus se basant sur le respect du ne bis in idem vis-à-vis de la Cour pénale
internationale et plus en général sur le respect des droits fondamentaux, que les deux tiers des États ont
décidé d’introduire expressément, tandis que les autres ont apprécier que cette clause était implicite – la
prévision de nouveaux motifs de refus de la part notamment du Danemark, de Malte, de la Hollande, du
Portugal et du Royaume Uni, telles que des motivations politiques, de sécurité nationale ou impliquant un
contrôle au fond de l’affaire. V. le Rapport de la Commission, préc. note 27, para. 2.2.1.
124
Article 18, lettre d). A ce propos, v. aussi le considérant 12, deuxième alinéa, de la décision-cadre.
125
Sauf les exclusions prévues par l’article 11 de la Convention internationale pour la répression des
attentats terroristes à l'explosif, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997,
par l’article 1 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme signée à Strasbourg le 27
janvier 1977 et par l’article unique de la loi constitutionnelle n. 1 du 21 juin 1967, qui règle l’extradition
pour les délits de génocide. V. l’article 18, lettre f) de la loi italienne d’implémentation.
52
majeur, ou quand, une fois les contrôles nécessaires effectués, le sujet apparaît dans tous
les cas non punissable, ou, finalement, quand dans l’ordre juridique de l’État membre
d’émission la vérification de la capacité effective d’entendre et de vouloir n’est pas
prévue127».
La lettre s) établit une exception pour les femmes enceintes ou mères d’enfants âgés de
moins de trois ans, sauf si on est en présence d’exigences de cautèle « de gravité
exceptionnelle » et que le mandat a été émis au cours d’un procédé128.
La lettre t) exclut l’exécution du mandat d’arrêt si la motivation de la décision de la
mesure restrictive qui est à la base du mandat d’arrêt européen manque de motivation. Il
s’agit d’un principe général du droit garanti non seulement dans l’ordre juridique interne
par l’article 13, deuxième alinéa, de la Constitution italienne129, mais aussi dans le
système de la Convention européenne des droits de l’homme130, que la décision-cadre
semble à tort bafouer, puisqu’elle ne prévoit l’obligation de la motivation que pour les
décisions de refus131.
Une clause générale prévoit finalement de façon explicite le refus de l’exécution lorsque
« le jugement pour l’exécution duquel la consigne a été demandée contient des
dispositions contraires aux principes fondamentaux de l’ordre juridique italien132». On
peut se demander si et jusqu’à quelle mesure cette norme est justifiée par le considérant
12, deuxième alinéa, de la décision-cadre, qui précise que cette dernière « n’empêche pas
un État membre d’appliquer ses règles constitutionnelles relatives au respect du droit à un
procès équitable, à la liberté d’association, à la liberté de la presse et à la liberté
d’expression dans d’autres médias ».
126
Pour les problèmes de constitutionnalité concernant les infractions politiques, v. supra, para. 14.
Même si cette norme peut sembler très restrictive, elle ne pose pas de problèmes de conformité à la
décision-cadre, dont l’article 3, en ce qui concerne les mineurs, fait un renvoi explicite au droit de l’État
membre d’exécution.
128
En Italie la doctrine et la jurisprudence font traditionnellement une distinction entre la phase du
« procédé » ( « procedimento » ) et du « procès » pénal ( « processo » ). Dans le schéma classique, la
première coïncide avec la phase de l’enquête préliminaire dirigée par le ministère public et par la police
judiciaire sous la vigilance du juge pour les enquêtes préliminaires. La deuxième commence avec la fin du
procedimento, quand le ministère public décide de « promouvoir » l’action pénale devant le juge pour
l’audience préliminaire. L’utilisation du mot procedimento dans la formulation de la lettre s) laisse donc
supposer qu’elle s’applique aussi à un moment qui correspond, pour les juridictions étrangères, à la phase
de l’instruction.
129
V. supra para. 11.
130
V. Article 45-1 CEDH, qui prévoit sans exceptions que « Les arrêts, ainsi que les décisions déclarant des
requêtes recevables ou irrecevables, sont motivés ».
131
Article 17-6 de la décision-cadre.
132
Article 18, lettre v) de la loi italienne d’implémentation.
127
53
II.11. Garanties demandées à l’État d’émission et concours de demandes
32.
En application de l’article 19, l’Italie subordonnera l’exécution d’un mandat
d’arrêt à toutes les trois conditions énumérées par l’article 5 de la décision-cadre ( en ce
qui concerne les jugements par défaut, l’emprisonnement à vie, et les ressortissants de
l’État d’exécution ).
Concernant les concours de demandes, l’article 20 respecte exactement l’ordre proposé
par l’article 16 de la décision-cadre dans l’énumération des critères dont le juge de
l’exécution doit tenir compte pour opérer son choix. Il s’agit, dans l’ordre, de la gravité
de l’infraction, du lieu de commission, de la date d’émission des mandats, du fait que le
mandat a été émis pour l’exécution d’une mesure provisoire ou d’une peine définitive.
II.12. Recours en Cassation
33.
Dans le souci de respecter l’article 111 de la Constitution, le texte Kessler (article
13) et la proposition Pecorella (article 22) avaient prévu la possibilité d’un recours en
Cassation. Mais la première proposition permettait le pourvoi seulement pour violation
de la loi et dans un terme de cinq jours à partir de la lecture du jugement, tandis que la
deuxième, en fin accueillie, permet le recours aussi pour le fond – ce qui peut-être est
excessif même vis-à-vis du droit interne, étant considéré que l’article 111 de la
Constitution ne parle que de recours pour violation de la loi133 – et le délai est augmenté à
dix jours à partir de la date de « connaissance légale de la décision ».
Le recours suspend l’exécution de la décision. La Cour de cassation doit rendre sa
décision dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier. La non
observation de ce délai semble toutefois dépourvue de conséquences particulières.
II.13.
Autres dispositions régissant la phase passive
34.
Les dispositions successives, qui concernent la déduction de la période de
détention subie dans l’État membre d’exécution de la durée totale, la remise différée ou
temporaire, la remise ou l’extradition ultérieure, le principe de spécialité et le transit, ne
donnent lieu à aucun problème particulier, se limitant presque à répéter les articles
correspondants de la décision-cadre ou à renvoyer à ceux-ci.
54
Voilà quelques précisions utiles: en ce qui concerne la remise ultérieure de la personne à
un autre État membre et l’extradition vers un État tiers en vertu d’un mandat d’arrêt émis
pour une infraction commise avant la première remise, en application de l’article 25, elle
est admise seulement si la Cour d’Appel donne son consentement préalable. L’Italie a
donc opté pour ne pas adhérer au système de consentement qu’on pourrait définir
« présomptif sauf opposition spécifique de l’autorité judiciaire » proposé par l’article 281 de la décision-cadre.
Il en est de même pour le principe de spécialité, l’Italie n’ayant pas adhéré a ce
système134, rendu possible par l’article 27 de la décision-cadre, de renonciation
présomptive au principe de spécialité sauf opposition de l’autorité judiciaire. Selon
l’article 26-3 de la loi italienne, l’État d’émission devra présenter sa demande à la Cour
d’Appel qui a exécuté le mandat. Mais attention, car les 20 motifs de refus énoncés à
l’article 18135 seront applicables aussi dans cette circonstance.
En ce qui concerne le transit, l’autorité chargée de recevoir les demandes en application
de l’article 25 de la décision-cadre sera le Ministre de la Justice, qui pourra subordonner
le transit de la personne à la condition que cette dernière, après avoir été entendue, soit
renvoyée en Italie pour y purger la peine privative de la liberté qui sera énoncée à son
encontre136. Il s’agit d’une possibilité mise à disposition par la décision-cadre et
pleinement conforme à celle-ci. Mais dans ce système il y a peut-être une légère fausse
note, en ce que le Ministre dispose, en matière de transit, de pouvoirs discrétionnaires que
ni lui, ni l’autorité judiciaire possèdent en matière de remise, car dans le contexte de
celle-ci c’est la Cour d’Appel qui doit – sans en avoir le choix de décider autrement –
subordonner la remise au renvoi du ressortissant italien en Italie pour qu’il y puisse
purger sa peine.
III.
Procédure active
35.
La loi italienne ne consacre que quelques dispositions laconiques à la procédure
active de remise. L’interprète ne trouvera ici aucune des anomalies qui caractérisent la
procédure passive. Psychologiquement, ce déséquilibre s’explique très facilement : le
133
V. supra, para. 13. V. aussi E. Selvaggi, préc. note 36, p.2984.
D’ailleurs, seules l’Estonie et l’Autriche l’ont fait selon l’Annexe au Rapport de la Commission, préc.
note 27.
135
V. supra, para. 31.
134
55
made in Italy ne suscite guère de méfiance.
III.1.
Compétence juridictionnelle et contenu du mandat d’arrêt
36.
Le mandat est émis par le juge qui a exécuté la mesure provisoire137 ou par le
ministère public auprès du juge qui a émis le jugement définitif138. Il est ainsi transmis au
Ministre de la Justice, qui procède à sa traduction et à sa transmission à l’autorité
compétente du pays d’exécution139.
L’article 30 régit le contenu du mandat d’arrêt. Il est intéressant de comparer cette norme
avec l’article 6, qui règle le contenu du mandat « passif ». Les informations qui doivent
être indiquées dans le formulaire sont pratiquement les mêmes, même si quelquefois la
formulation change légèrement. Ainsi l’article 6, lettre e) parle de « description des
circonstances de la commission de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré
de participation de la personne recherchée » alors que la lettre correspondante de l’article
30 parle plus simplement de « description du fait contesté, y compris l’époque et le lieu
de commission, et, en cas de concours de personnes, le degré de participation de la
personne recherchée ». La lettre f) de l’article 6 parle de « sentence définitive » alors que
la lettre f) de l’article 30 parle de « sentence irrévocable ». Mais ces petites discordances
textuelles ne devraient donner lieu à aucune conséquence notable.
La vraie différence réside plutôt dans le fait que dans le cadre de la procédure passive,
toutes ces informations sont requises sous peine de recevabilité, tandis qu’aucune
sanction procédurale n’est prévue pour l’omission d’une de ces informations dans un
mandat émis par l’Italie. De plus, on ne demande pas que ce dernier soit accompagné par
toute la panoplie de documents et de relations requise pour les mandats passifs. Pour une
question de cohérence, le législateur italien aurait dû au moins ajouter une norme
imposant au juge italien de joindre au mandat italien tous les documents et les
informations ultérieurs requis par le pays d’exécution... Cela reflète, plus en général, un
des nœuds procéduraux du système introduit par la décision-cadre : un mandat d’arrêt,
afin d’atteindre sa cible sans risquer de tomber dans toute une série de pièges et
d’obstacles procéduraux, devra satisfaire à chaque fois à quatre paradigmes, comme nous
136
Article 27-3 de la loi italienne d’implémentation.
Article 28-1, lettre a), de la loi italienne d’implémentation.
138
Article 28-1, lettres b) et c), de la loi italienne d’implémentation.
139
Article 28-2 de la loi italienne d’implémentation.
137
56
le verrons en conclusion de cette étude.
IV.
Dispositions transitoires
37.
Dans le régime transitoire de la décision-cadre, il faut distinguer les dispositions
d’application liées à la date de réception de la demande, de celles liées à la date de
commission des faits incriminés ( tempus comissi delicti ).
1) Selon l’article 32 de la décision-cadre, les « demandes d’extradition » reçues avant le
1er janvier 2004 auraient dû continuer d’être régies par les « vieilles » normes en matière
d’extradition, tandis que les demandes reçues à partir de cette date devraient être régies
« par les règles adoptées par les États membres » en exécution de la décision-cadre.
2) Toutefois, au moment de l’adoption de la décision-cadre, un État membre avait la
possibilité de déclarer qu’en tant qu’État d’exécution, il continuerait de traiter selon le
système d’extradition applicable avant le 1er Janvier 2004 les demandes relatives à des
faits commis avant une date qu’il aurait dû indiquer. Cette date, en tout cas, n’aurait pu
être postérieure au 7 août 2002, jour d’entrée en vigueur de la décision-cadre,
correspondant, en application de l’article 35, au vingtième jour suivant celui de la
publication au Journal officiel.
En ce qui concerne la loi italienne, en premier lieu, nous avons déjà observé que lors de
l’approbation de la décision-cadre l’Italie, comme l’Autriche et en partie la France,
décida de ne pas attribuer de valeur rétroactive aux nouvelles normes.
Mais
contrairement à la France140, et similairement à l’Autriche, l’Italie avait déclaré141 qu’elle
continuerait de traiter selon les dispositions en vigueur en matière d’extradition toutes les
demandes relatives à des faits commis avant le 7 août 2002. Cette déclaration a été
confirmée par l’article 40-2 de la loi de transposition, mais avec une différence assez
significative, car ce dernier fait référence aux normes en matière d’extradition en vigueur
non plus à la date du 1er janvier 2004, mais à celle d’entrée en vigueur de la loi même,
c’est-à-dire le 14 mai 2005.
Ainsi, l’article 40-1 statue que la nouvelle normative s’applique aux mandats d’arrêt émis
140
La France continuera de traiter selon le système d’extradition applicable avant le 1er janvier 2004 les
demandes passives relatives à des faits commis avant le 1er novembre 1993, date d’entrée en vigueur du
TUE.
141
V. Annexe à la décision-cadre, JOCE L 190/91 (18.7.2002).
57
et reçus après l’entrée en vigueur de la loi interne de transposition, fixée au 14 mai 2005.
En ce qui concerne les typologies d’infraction pour lesquelles la double incrimination ne
devrait plus s’appliquer, l’article 40-3 précise que les normes correspondantes
« s’appliquent uniquement aux faits commis après la date d’entrée en vigueur de la
présente loi ».
Ces deux dernières dispositions peuvent sembler également non conformes aux articles
32 et 35 de la décision-cadre. L’article 40-1 pour deux raisons : 1) parce qu’il fait
référence non seulement à la date de réception, mais aussi à celle d’émission des mandats
d’arrêt, de sorte que les « vieilles » normes devraient s’appliquer même aux mandats
émis avant le 14 mai 2005, mais reçus après cette date; 2) parce qu’il fait référence à la
date d’entrée en vigueur de la loi italienne, et non pas à celle du 1er janvier
2004142. Justement, à première vue, la formulation de l’article 32 de la décision-cadre (
selon lequel « […] Les demandes reçues à partir de cette date seront régies par les règles
adoptées par les États membres […] ») semble laisser aux normes nationales d’exécution
la pleine liberté de décider le sort des demandes reçues après le premier janvier 2004.
Mais il ne faut pas oublier que d’autre part, les États avaient jusqu’au 31 décembre 2004
pour transposer la décision-cadre.
En ce qui concerne l’article 40-3, qui parle expressément de faits commis après la date
d’entrée en vigueur de la loi d’implémentation, cette norme est contraire à la décisioncadre, qui ne permet une dérogation au régime du tempus commissi delicti qu’en relation
à des faits commis antérieurement au 7 août 2002. Les normes italiennes sont inspirées
par le souci de sauvegarder le principe de non rétroactivité de la norme pénale.
D’ailleurs, selon la Commission, trois autres pays – la République Tchèque, le
Luxembourg, et la Slovénie – n’auraient pas respecté les dispositions transitoires prévues
par la décision-cadre143.
142
Au contraire, la proposition Kessler fixait la date d’applicabilité des nouvelles dispositions au 1er janvier
2004.
143
Mais la République Tchèque et la Slovénie n’auraient pas pu faire la déclaration figurant à l’article 32
de la décision-cadre, pour la raison très simple qu’ils n’étaient pas encore membres de l’Ue au moment de
l’adoption de celle-ci. V. l’Annexe au Rapport de la Commission préc. note 27, para. 4.
58
CONCLUSION
I.
Un conflit irrésoluble
38.
De plusieurs points de vue, la loi d’implémentation italienne ne respecte pas la
décision-cadre ; or cette dernière semble incompatible avec certains principes
fondamentaux de la Constitution italienne. D’un côté, nous assistons à l’annulation de
facto des principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, à travers notamment la
réintroduction subreptice du principe de double incrimination, la prévision de nombreux
nouveaux motifs de refus – parmi lesquels la réintroduction du refus à l’extradition pour
les infractions politiques – et un alourdissement administratif qui font perdre au mandat
d’arrêt européen une grande partie de sa raison d’être. Mais, du côté de la décision-cadre,
la nature ambiguë de l’instrument, le déficit démocratique qui a caractérisé son
approbation, le manque d’un cadre constitutionnel capable de rendre entre autre possible
le phénomène du forum shopping – nous avons souligné l’urgence d’établir un système
cohérent régulateur des compétences pénales au niveau européen – et en général une
structure fondée plus sur le souci légitime d’efficacité de l’exécution que sur le respect de
biens si précieux comme la liberté individuelle et la présomption d’innocence144, ne font
144
Une considération qui mérite d’être faite est liée au respect d’un principe de nécessité en matière de
limitation de la liberté personnelle : il serait souhaitable que l’Union pense à un système dans lequel le
transfert d’un pays à l’autre d’une personne recherchée n’est que l’extrema ratio, n’advenant que dans la
mesure ou cela s’avère strictement nécessaire, car un procès est malheureusement déjà une peine en soi : il
ne faut pas oublier qu’une personne est considérée innocente jusqu’à la condamnation définitive. Pourquoi
par exemple ne pas faire usage des possibilités offertes par les nouvelles technologies ? Plutôt qu’être
ballottée d’un pays à l’autre, une personne pourrait être sous certaines conditions interrogée par le moyen
d’une téléconférence. Surtout si elle est ressortissante de l’état d’exécution, son droit à la défense en
sortirait renforcé, les inévitables « dégâts collatéraux » d’une remise seraient évités, et ainsi plusieurs
59
qu’alimenter les phobies et les résistances des systèmes juridiques nationaux, dont l’Italie
n’est qu’un des exemples, bien que probablement le plus évident. De plus, tout effort du
législateur ordinaire, visant à remédier a posteriori et de façon unilatérale aux
imperfections d’un instrument issu de la méthode intergouvernementale, apparaît
désormais tardif. En Italie, à court terme, le problème se posera sans doute devant la Cour
constitutionnelle et devant la Cour de justice. Dans certains cas, la loi d’implémentation a
suffi à résoudre les problèmes d’inconstitutionnalité. Cela a été le cas, comme nous
l’avons constaté, de l’obligation de motivation pour toute mesure juridictionnelle, ou
pour la possibilité de pourvoi en cassation, prévus par l’article 111 de la Constitution.
Mais dans d’autres cas, une réforme de la Constitution aurait été préférable. Cela est
valable surtout pour les articles 10-4 et 26, qui permettent l’extradition des citoyens
seulement en exécution de conventions internationales, et l’interdisent même pour les
étrangers quant aux infractions politiques. Cette voie a été suivie, par exemple, par la
France, qui a modifié sa Constitution avant d’implémenter la décision-cadre145. Le cas de
la France nous pousse à proposer de réfléchir à l’institution en Italie d’un contrôle de
constitutionnalité ex ante, du moins pour les instruments juridiques du troisième pilier, où
l’enjeu est la liberté des individus146. Un contrôle pareil aurait probablement permis
d’éviter la plupart des polémiques qui ont nui à la compréhension des enjeux lors du
processus de négociation, et l’Italie gagnerait énormément en crédibilité internationale.
Mais il faut déjà se féliciter du renforcement du rôle du Parlement national, qui pourrait
déjà s’avérer être une solution à beaucoup – non certes à la totalité – des problèmes.
obstacles liés à la méfiance entre les États seraient surmontés. Il s’agit d’ailleurs d’une pratique qui est déjà
expérimenté de façon quotidienne en Italie – mais pour des raisons essentiellement de sécurité – dans des
procès très délicats comme ceux de Mafia, où souvent il est nécessaire de ne pas révéler le lieu dans
lesquels les personnes interrogées se trouvent. Dans ce sens, nous regrettons que dans son Rapport la
Commission définit comme « intéressante », une réglementation comme celle de la loi d’implémentation
autrichienne, en application de laquelle une personne peut être consignée à l’Etat requérant avant la
conclusion d’un appel, alors que si par la suite elle gagne l’appel, l’Autriche demandera à l’État membre de
la restituer. Ceux qui ont un tant soit peu d’expérience directe des systèmes pénitentiaires des pays
membres savent qu’aucune Cour européenne des droits de l’homme saurait remédier aux dégâts
irréparables subis par une personne innocente lors d’un procès ; l’unique moyen réaliste de les limiter
demeure plutôt dans leur prévention, dans la mesure du possible.
145
V. supra, note 70.
146
Même si selon une partie de la doctrine française le «véritable enjeu» du renforcement de la garantie des
droits fondamentaux se situe au niveau européen et non pas national: v. Julien Boucher, Le mandat d’arrêt
européen et la Constitution française, Synthèse n° 84, Fondation Robert Schuman, http://www.robertschuman.org/lettre/syntheses-archives.htm. Même après la modification de l’article 88-4 de la Constitution,
le débat en France reste ouvert : V. le Rapport au Sénat de P. Fauchon, annexé au procès-verbal de la
séance du 15 janvier 2003, http://www.senat.fr/rap/l02-126/l02-1260.html.
60
II.
Un conflit de portée « européenne ». Une deuxième clé de lecture
39.
Cela dit, deux questions essentielles se posent. La première est relative aux effets
des violations du droit du troisième pilier commises par les législateurs nationaux. Le
législateur ordinaire ne peut pas déroger de façon unilatérale à une norme de droit
secondaire. Mais quelle est la sanction quand cela arrive? La réponse est désarmante.
Avec l’actuel Traité, elle est de fait nulle. Une des faiblesses du droit du troisième pilier
est qu’il s’agit de ce que les romains auraient défini de leges imperfectae : des normes
sans sanctions concrètes, compte tenu des pouvoirs actuellement attribués à la
Commission et à la Cour de justice en la matière. L’initiative de la Commission faisant
défaut pour volonté du législateur des Traités, on sait que l’étiquette communautaire
découragera les États membres à recourir à l’article 35-7 TUE, qui attribue à la Cour de
justice la compétence « [...] pour statuer sur tout différend entre États membres
concernant l’interprétation ou l’application des actes adoptés au titre de l’article 34,
paragraphe 2, dès lors que ce différend n’a pu être réglé au sein du Conseil dans les six
mois qui ont suivi la saisine de celui-ci par l’un de ses membres ». L’Italie a pu retarder
l’implémentation du mandat d’arrêt d’un an et demi, et personne ne semble pour l’instant
songer à la moindre conséquence, surtout à un moment ou l’Europe n’est pas au zénith de
sa popularité.
La deuxième question concerne les violations des constitutions nationales commises par
le droit secondaire : l’énigme de la primauté se pose à nouveau et tout fait penser que le
droit de l’Union va dans ce cas devoir céder le pas, comme l’ont de fait montré dans le
domaine du premier pilier les vicissitudes vécues par quelques récents et importants
arrêts de la Cour. Le problème est que le dernier mot sur l’application du droit
communautaire est de fait toujours de compétence des instances nationales : le
« culte » de la primauté du droit de l’Union a un sens seulement dans la mesure où il est
entretenu de façon assidue par les juridictions nationales147. Si cela n’était pas le cas, les
147
Nous nous référons, par exemple, à CJCE 3 septembre 2003, Köbler, aff. 224/01, et à CJCE 6 novembre
2003, Gambelli, aff. 243/2001. Dans le premier cas – qui représente un aboutissement de la jurisprudence
Francovich – la Cour a déclaré la responsabilité des États membres pour les violations du droit
communautaire commises par les juridictions nationales de dernière instance. Mais le problème, non vu
par la Cour, est qu’en dernière instance ce sera le juge national qui sera compétent à s’auto-condamner.
Est-ce réaliste, ou s’agit-il plutôt d’un cercle vicieux ? Dans le deuxième arrêt la Cour a fondamentalement
déclaré les normes pénales italiennes en matière de jeux d’hasard en contraste avec les principes de la libre
circulation des services et de la liberté d’établissement. Par la suite une véritable bataille légale a été livrée
par les intéressés pour faire accepter cette jurisprudence devant les juridictions nationales ; mais ces
dernières, de fait, continuent à en méconnaître la portée et à refuser l’accès au marché national, se basant
sur de considérations liées surtout au droit interne. Après deux ans, la Cour va se prononcer sur les mêmes
61
États qui ont modifié leurs constitutions avant d’implémenter la décision-cadre n’auraient
pas dû le faire : tel serait le sens d’une vraie primauté communautaire. Voilà finalement
la deuxième clé, que nous avions promis plus haut148. Cette fois elle nous est offerte par
le moderne « juspositivisme méthodologique »149, selon lequel un système peut être
défini comme « juridique » quand il implique la coercition, c’est à dire le monopole de
l’usage de la force de la part des autorités chargées de faire respecter le droit. En ce sens,
le système communautaire est privé de cette qualité, car ce sont les autorités nationales
qui ont le monopole de la force et qui peuvent concrètement faire appliquer le droit sur
leur territoire. Selon cette reconstruction qui peut sembler un peu brutale mais qui
expliquerait beaucoup d’ambiguïtés apparentes que nous vivons aujourd’hui, seuls les
systèmes nationaux seraient « juridiques ». Est-ce cela la vraie limite du principe de
primauté? Dans le doute, le juriste qui a à faire à un mandat d’arrêt fera mieux de
respecter certaines règles pratiques s’il ne veut pas rendre ses efforts vains.
III.
Reconnaissance mutuelle et mandat d’arrêt: mode d’emploi
40.
Dans l’attente au moins d’une harmonisation minimale préalable du droit
substantiel et procédural, pour que la libre circulation des décisions judiciaire puisse être
en quelque mesure effective, il sera nécessaire, comme nous l’avons anticipé, que les
mandats d’arrêt satisfassent toujours à quatre paradigmes.
Le premier paradigme est celui de la décision-cadre : bien que par définition elle ne
devrait normalement pas entraîner d’effet direct, un mandat qui n’est pas «en règle» avec
la décision-cadre difficilement restera immun, notamment sous la hache des avocats
défenseurs.
Le deuxième paradigme est celui du droit du pays d’émission : car l’autorité judiciaire
requérante est liée premièrement au système juridique qui demeure la source originelle de
sa légitimité.
normes : v. la demande décision préjudicielle présentée par le Tribunale di Teramo, CJCE aff. 360/04,
procédure pénale contre Soricchio Angelo, JO C 262/20 du 23 octobre 2004, et celle présentée par le
Tribunale di Larino, aff. 338/04, procédure pénale contre Massimiliano Placanica, JO C 273/10 du 6
novembre 2004. Il est évident que les particuliers pourront effectivement exercer les droits qu’ils tirent du
système communautaire seulement quand les juridictions nationales seront convaincues – plutôt
qu’obligées – par la Cour.
148
V. supra, para. 7.
149
V. C. S. Nino, Notas de introducción al derecho, dans sa version italienne Introduzione all’analisi del
diritto, Giappichelli editore, Torino, 1996, p. 89-138.
62
Le troisième paradigme est celui du droit du pays de destination. Dans le cas de l’Italie,
par exemple, il sera sans aucun doute « plus opportun » pour l’autorité d’émission, dans
un souci de rapidité et d’effectivité, d’envoyer toutes les informations et documents
supplémentaires requises par la loi transalpine, à fin que son mandat soit inattaquable,
même si d’un point de vue strictement positif on pourrait soutenir qu’une telle obligation
d’envoyer des documents non prévus par la décision-cadre n’a aucun fondement
juridique.
Finalement, le quatrième paradigme à respecter est constitué du système supranational
des droits fondamentaux, en premier lieu de ceux qui sont garantis par les traités
européens, par la Convention européenne des droits de l’homme, et par la jurisprudence
de leurs Cours respectives. La responsabilité de la satisfaction de ces quatre paradigmes
est confiée presque entièrement aux autorités du pays de l’émission, qui dans chaque cas
seront obligées de bien calculer toutes les possibles oscillations dépendantes surtout de la
variable «État membre d’exécution». Et personne ne peut douter du fait que ce calcul,
dans certains cas, comme celui de l’Italie, sera extrêmement ardu. Nous ne sommes pas
convaincus, par ailleurs, que tout s’ajustera une fois le système étant rodé. Car ce ne sera
pas seulement aux juges d’assimiler toutes les implications de ce système, mais aussi aux
avocats d’en déceler les fautes. Et les variables apparaissent tellement instables – et les
failles, tellement nombreuses – que la plus grande prudence sera requise : l’enjeu est la
création de notre espace de liberté, de sécurité et de justice.
63

Documents pareils