DES PSYS POUR COMBATTRE LA SOUS

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DES PSYS POUR COMBATTRE LA SOUS
DES PSYS POUR COMBATTRE LA SOUS-NUTRITION?
Véronique Burger /Phanie - Libéria
Dans les sociétés occidentales, nul ne s’étonne qu’une cellule de crise s’occupe des familles des
victimes d’un attentat, que des parents soient accompagnés après le décès de leur enfant, qu’après
un viol, une femme soit suivie par un psychologue...
Dans des pays où l’accès aux soins psychologiques est moins répandu, lors de catastrophes naturelles
ou de chocs, de situations de grande vulnérabilité ou dénuement, cet accompagnement passe
souvent «à l’as». Il peut pourtant avoir des répercussions sur le bien-être général mais aussi
nutritionnel des individus, en particulier celui des enfants, de par l’impact sur la capacité des
parents à prendre soin d’eux.
Par ailleurs, certains facteurs sociaux-culturels peuvent avoir des effets bénéfiques ou négatifs sur le
statut nutritionnel des enfants : il s’agit notamment de traditions, de croyances sur ce qui est bon ou
mauvais pour un enfant, ou bien encore de modes de vie (charge de travail, configuration de la
cellule familiale). Une dimension plus « anthropologique » qu’ACF prend également en compte dans
ses programmes « SMPS » ( Santé Mentale et Pratiques de Soins).
Cela fait 10 ANS cette année qu’Action contre la Faim a décidé d’intégrer la «santé mentale », c’està-dire la dimension psychologique et les « pratiques de soins » (soins prodigués aux enfants par leur
entourage proche) dans beaucoup de ses programmes de lutte contre la sous-nutrition.
10 ans de terrain en chiffres
• Plus de 70 psychologues, psychiatres et psychomotriciens expatriés à ACF
• Plus de 1000 employés nationaux psychologues et travailleurs sociaux,
• 4 permanents au siège de Paris
• 22 pays d’intervention :
En Asie : Afghanistan, Bangladesh, Birmanie, Indonésie, Népal, Pakistan, Philippines, Sri Lanka
En Afrique : Burundi, Djibouti, Ethiopie, Libéria, Madagascar, Niger, République de Centrafrique,
Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad
Amériques : Haïti
Europe : Nord-Caucase
• Plus de 60 programmes développés dans le monde
Parce que la sous-nutrition n’est pas uniquement liée à un problème de
manque de nourriture, parce qu’elle a également une dimension
psychologique, contextuelle et culturelle, les programmes d’ACF
comprennent souvent un volet « santé mentale et pratiques de soins».
DEPRESSION ET SOUS-NUTRITION
Les nombreux articles qui paraissent dans nos journaux sur le « baby blues » mettent bien en
lumière l’impact de la dépression d’une mère sur sa capacité à prendre soin de son enfant, et sur le
développement de celui-ci.
On comprend à quel point certains épisodes traumatisants (guerres, déplacements de population,
catastrophes naturelles, auxquels s’ajoutent généralement la déstabilisation de la cellule familiale)
peuvent, eux aussi, générer de graves troubles individuels
TEMOIGNAGE
(traumatismes, dépressions, stress, deuils compliqués) qui
«J’ai perdu deux enfants pendant le
à leur tour peuvent affecter la capacité de parents à
cyclone. Je n’arrive pas à chercher
s’occuper de leur enfant. Les difficultés psychologiques
du travail, ma femme est toujours
des parents peuvent directement générer une
ailleurs et notre bébé ne prend plus
malnutrition chez l’enfant. Aujourd’hui, on sait qu’un
de poids.»
enfant risque de grandir moins bien ou de récupérer plus
difficilement d’un épisode de malnutrition aiguë si ses parents sont déprimés, en état de choc ou
peu disponibles.
Ce phénomène est d’autant plus problématique que, dans des contextes d’urgence, il se superpose
souvent à la perturbation des sources d’approvisionnement alimentaire ou de revenus…
Les pratiques de soins infantiles sont les comportements
TEMOIGNAGE
et pratiques des personnes en charge des soins qui
«Je suis seule et il est né d’un viol lors
fournissent la nourriture, les soins médicaux, la
de l’attaque de mon village. Je
stimulation et le soutien émotionnel nécessaires pour
n’arrive pas à l’allaiter et à le regarder
dans les yeux.»
permettre à l’enfant de vivre, grandir et se développer
sainement. Ces pratiques, combinées à une sécurité
alimentaire et des ressources en soins médicaux, ont une importance capitale sur le bien-être
de l’enfant. Dans des familles soumises à un choc ou en difficulté, le lien enfant/parent peut
être affecté. Il s’agit donc de retisser le lien affectif pour recréer un environnement propice à un
bon développement.
LE POIDS DE LA CULTURE
Des croyances locales sur ce qui est bon ou mauvais pour un enfant influencent les pratiques.
Certaines croyances sont parfois dommageables pour l’état nutritionnel de l’enfant et sa future
relation à la nourriture. Si donner à une famille un sac de riz de 25 kg est vital, une transmission
des savoirs en matière de développement infantile est tout autant essentielle...
ACF procède à des évaluations approfondies des croyances, pratiques, relations socio culturelles
des populations bénéficiaires afin d’avoir une bonne connaissance de l’environnement
socioculturel et de comprendre les facteurs qui peuvent favoriser la sous-nutrition.
Comme dans l’exemple du Tchad (ci-dessous), elle met en œuvre des programmes visant à
changer les comportements, en favorisant les pratiques favorables à l’équilibre nutritionnel et
s’efforçant de faire reculer celles qui lui nuisent.
LES «SMPS» EN ACTION
Faire vivre son enfant dans un champ de ruines et dans
le deuil
© ACF, Haïti
L’EXEMPLE D’HAITI
Suite au séisme meurtrier de janvier 2010, ACF a mis en place des
programmes spécifiques en santé mentale et pratiques de soins à Port
au Prince. Dans ce cadre, notamment, des tentes d’accueil mères –
enfants offrait aux femmes un espace où elles pouvaient se reposer, tout en bénéficiant d’un soutien
psychologique et d’une attention bienveillante.
Un intense travail d’accompagnement et d’écoute de ces mères a été réalisé, prenant en compte les
ressentis et traumatismes qui, dans de nombreux cas, pouvaient conduire à la rupture du lien entre
la mère et l’enfant, ou des soins qu’elle lui prodiguait habituellement.
Par exemple, un certain nombre de mamans pensait qu’elles n’avaient plus de lait après le tremblement de terre car il était «monté» dans leur cerveau. De ce fait, elles arrêtaient d’allaiter,
pensant qu’elles ne pouvaient plus avoir de lait. Les programmes d’accompagnement ont donc visé à
leur permettre de se détacher de ce type de croyances, à les faire sortir de la sidération et de
l’abattement.
Par ailleurs, une tradition locale fait qu’à la naissance, on donne souvent à boire un mélange
d’herbes au bébé. Or, comme l’eau n’était pas potable suite au séïsme, les nourrissons ayant un petit
poids de naissance pouvaient rapidement devenir malnutris. L’équipe a donc expliqué aux
bénéficiaires, au-delà de cette croyance, les bénéfices pour l’enfant de la prise du colostrum et de
l’allaitement, en proposant aux mères un accompagnement dans les soins au bébé.
L’EXEMPLE DU TCHAD
«L’instinct de protection et de survie dépasse toutes les traditions »
© ACF, Christina Lionnet-Tchad
Dans la région du Kanem et du Bahr el Gazel, au Tchad, ACF mène un
programme «Renforcement et prévention de la détérioration des
pratiques de soin infantiles.»
Dans cette région, certaines pratiques de soins traditionnelles peuvent
impacter le statut nutritionnel de nourrissons: rareté de l’allaitement
exclusif pendant les six premiers mois (pourtant recommandé),
utilisation d’eau souvent de mauvaise qualité en complément de l’allaitement, sevrages
précoces, non progressifs et sans utilisation d’alimentation de transition comme les bouillies.
L’espacement insuffisant des naissances, le recours chez de nombreuses mères à la sousalimentation dans l’espoir d’éviter des bébés de gros poids et des accouchements difficiles, sont
également problématiques.
Le programme mis en place par ACF vise à promouvoir les connaissances relatives à la
nutrition et au développement de l’enfant et à favoriser des changements de comportements
qui tiennent compte de ces besoins.
Des programmes semblables menés précédemment dans d’autres pays voisins ont fait leurs
preuves, comme dans la région de Gao, au Mali: la proportion de mères qui donnaient à leurs
enfants de l’eau ou du lait animal à la place du lait maternel est passée de 67% à 1% à peine en
un an, et plus de la moitié des femmes admettaient après cette période pratiquer l’allaitement
dès les premières heures suivant l’accouchement. En bref, comme le résumait Nuria Salse,
nutritionniste: «une femme est capable d’adapter certaines croyances dès qu’elle s’aperçoit
que la nouvelle pratique est bénéfique pour son enfant. L’instinct de protection et de survie
dépasse toutes les traditions ».
LES SMPS – QUELQUES TEMPS FORTS
1999
Congo - Brazzaville
Le terrain interpelle le siège
de l’organisation !
Les équipes ACF du CongoBrazzaville travaillant dans les
centres nutritionnels ne savent
comment aider les personnes qui
arrivent de la brousse mettent à leur
raconter leur histoire récente faite de
meurtres, de violence, de peur et de
faim : comment faire face à leur
souffrance psychique ? Comment
guérir un patient qui refuse de se
nourrir et de prendre son traitement ?
Quelle(s) réponse(s) ACF peut- elle
apporter ? Comment peut-elle
améliorer les services proposés tant
dans l’urgence que dans la post
urgence ?
2005
Pakistan, Sri Lanka :
Réponse aux urgences !
Suite au séisme au Pakistan, ACF
monte ses premières tentes d’accueil
pour les mères et enfants de moins
de 2 ans. Au fur et à mesure des
urgences, ce programme va s’affiner
et devenir la « Baby Friendly Tent »,
lieu visant à offrir sécurité et
réassurance aux parents et enfants
vivant dans un contexte de crise, à les
accompagner au niveau nutritionnel,
psychosocial et psychologique.
Suite au tsunami, un programme de
prise en charge psychologique est
proposé dans les camps au Sri Lanka à
travers des entretiens individuels,
l’utilisation de contes traditionnels, la
mise en place de pièces de théâtre sur
la montée des eaux par exemple.
En parallèle, une intervention pour
accompagner un phénomène de
« baby-boom post catastrophe » est
montée pour permettre aux parents
d’accueillir leurs nouveau-nés dans les
meilleures conditions.
2000-2001
Recrutement d’une première
psychologue
Pour répondre à ces questions, un
rapport est fait par une psychologue
qui propose d’intégrer la santé
mentale à ACF selon deux axes :
- Un axe thématique qui fait le
lien entre santé mentale,
développement
infantile et malnutrition
à travers notamment les
pratiques de soins infantiles.
- Un axe contextuel prenant en
compte l’impact psychosocial
du contexte sur les populations
et les individus (conflits, post
conflits et situations d’extrême
pauvreté).
2008
Birmanie, RCA
De la prévention des
désastres à la résilience en
situation de conflits !
Suite au cyclone Narjis en Birmanie,
le secteur de SMPS s’engage dans la
préparation et la gestion des risques
et met en place des formations aux
premiers secours psychologiques
d’urgence.
A Paoua, en République
Centrafricaine, un programme de
santé mentale, dont les bénéficiaires
sont des villageois qui ont dû se cacher
dans la brousse, est ouvert basé sur
le concept de résilience suite à des
violences subies. Il s’agit de renforcer
les capacités et les mécanismes de
protection communautaire pour faire
face à un traumatisme collectif et
pour générer à nouveau des revenus
ou redonner accès à la production
agricole.
1999
Afghanistan, Soudan
2 projets pilotes
En 2002, ACF se positionne
en précurseur et lance des
opérations de la santé mentale et
des pratiques de soins dans ses
programmes de lutte contre la faim.
2 projets-pilotes sont lancés, en
Afghanistan et au Soudan. Ils se
concentrent sur les centres
nutritionnels puisque c’est
de là qu’est venue la demande :
renforcement des compétences
des soignants, prise en compte de la
dimension psychosociale dans la
compréhension et le traitement
de la malnutrition, stimulation
psychosociale des enfants sévèrement
malnutris, guidance parentale etc.
2010-2011
Haïti : vers des programmes
plus holistiques!
Pour soutenir les jeunes filles mères et
de leurs bébés dans un contexte de
stigmatisation et d’auto-exclusion, ACF
lance un projet-pilote associant
sécurité alimentaire, moyens
d’existence, santé mentale et
pratiques de soins. Il s’agit d’
accompagner des mères adolescentes
et leurs bébés dans une approche
holistique : formation et insertion
socio-professionnelle, suivi médical,
soutien à la parentalité, au
développement infantile. Le
programme est un succès et est
reproduit ailleurs dans le pays.
En 2011, suite à l’épidémie de choléra,
les SMPS se mettent aussi au service
de la lutte contre la maladie. Les
travailleurs psychosociaux et les
psychologues interviennent auprès
des malades et de leurs familles,
adaptent les messages de prévention
en fonction des croyances culturelles
locales, montent des groupes
d’entraide dans les communautés et
luttent contre la stigmatisation.
Pour en savoir plus ou pour une interview:
Christina LIONNET :[email protected] 01 43358237
Et aussi nos articles en ligne : http://www.actioncontrelafaim.org/fr/content/nutrition-sante-et-pratiques-desoins et http://www.actioncontrelafaim.org/fr/content/des-psychologues-pour-lutter-contre-la-faim

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