BON ANNIVERSAIRE FRÉDÉRIC !
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BON ANNIVERSAIRE FRÉDÉRIC !
BON ANNIVERSAIRE FRÉDÉRIC ! Des paroles aux actes… Livret spirituel spécial 200e anniversaire Année liturgique C 2012-2013 O n a beau lire les pages qu’il nous a laissées, on a beau se rappeler ses actes et ses discours, on n’y découvre ni la colère qui se venge, ni l’amertume qui s’accroît en se répandant, ni le mépris qui brave, ni l’ironie qui se moque, sous prétexte d’instruire ou de corriger. Sans abaisser jamais l’Église devant le monde, il tient d’une main généreuse, parce que c’est la charité qui la guide, le sceptre tout-puissant. Il plaint plus qu’il n’accuse, il pardonne plus qu’il ne condamne, et, toujours invincible sous le bouclier, il tempère dans son épée la force qu’il y sent, de peur d’achever la mort en quelque âme qui peut encore revivre. » R. P. Henri Lacordaire Cité par Charles Alphonse Ozanam, Vie de Frédéric Ozanam, 1882, p. 50. 2 Bon anniversaire Frédéric ! AVANT-PROPOS Frédéric Ozanam, « humblement, reconnaissons que nous le connaissons peu… » I nvités, en tant que membres de sa famille à écrire cet avant-propos, la fin de sa prière, dite de Pise 1, nous vient à l’esprit : « La bénédiction du Seigneur est sur les familles où l’on se souvient des aïeux. » Oui, notre famille est de celles qui se souviennent de leurs ancêtres. Pour autant le connaissons-nous plus ou mieux que d’autres ? Porteurs du patronyme 2 ou descendants directs, nous avons tous entendu, depuis notre enfance, parler de Frédéric. Peu d’entre nous ont participé aux commémorations de 1953 et de 1983, plus nombreux étaient ceux présents à la béatification de 1997 et au Colloque de la Bibliothèque Nationale de France de 2003 : autant d’occasions d’écouter, de découvrir parfois, d’admirer mais surtout de se reconnaître petit devant un tel exemple ; nous taire et méditer… Principal fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, précurseur du catholicisme social, professeur de littérature étrangère, spécialiste de Dante, historien et auteur de la formule « Passons aux Barbares », rédacteur d’articles de L’Ère nouvelle… et, pour couronner le tout, « Bienheureux », que de titres qui placent notre arrière-arrière-grand- Prière écrite le 23 avril 1853. Texte complet, pages 351 à 354 in Frédéric Ozanam, Actes du colloque de 1998, Faculté de Théologie de Lyon, Bayard, 2001. 1 Ce sont les descendants du docteur Charles Ozanam (1824-1890), frère cadet de Frédéric. 2 Des paroles aux actes… 3 père ou grand-oncle sur un piédestal, impressionnant, inaccessible, voire écrasant. La décision familiale de donner, en 2003, une grande partie des archives à la Bibliothèque nationale de France, a été l’occasion pour certains d’entre nous d’un travail sur la correspondance passive de Frédéric qui a renouvelé notre regard. Ainsi, Raphaëlle Chevalier-Montariol a été sensible au Frédéric de la sphère privée en étudiant en particulier les lettres de sa femme Amélie et de tout l’entourage familial. Les petits défauts de Frédéric – reconnus et avoués à sa compagne – laissent entrevoir la possibilité pour chacun de tendre à la sainteté 3. Surtout, Raphaëlle a mis en lumière la personnalité d’Amélie, son altruisme, sa culture, la profondeur de leur amour, son rôle important non seulement au côté de Frédéric, mais pour lui, « le faisant grandir dans son amour de Dieu », leur spiritualité conjugale et le témoignage de couple uni et croyant qu’ensemble ils donnaient 4. Nous-mêmes, nous avons eu la chance de mieux découvrir, lors d’un travail sur Marie Cruiziat 5, la qualité de vie de tout leur entourage. C’est le portrait d’une famille unie et aimante, qui est apparu. Une famille au sens complet du terme, élargie à toutes les fratries et générations, vivantes et décédées, et à tous ceux partageant leur toit. Une famille où le mariage n’est pas que l’union d’un homme et d’une femme mais l’union de deux familles. Les Ozanam et les Soulacroix unissent leurs destins, leurs affections, partagent leurs joies, leurs souffrances et leurs croix. Ils s’enrichissent mutuellement de leur foi. Frédéric et ses proches, au quotidien, vivent cela et, ensemble, témoignent ainsi de l’Amour de Dieu. Entretien d’O. BETHOUX avec R. CHEVALIER-MONTARIOL (1950-2009), 2003 (http://membres.multimania.fr/philia/doc/memoire%20vive.rtf). 3 Raphaëlle CHEVALIER-MONTARIOL, Amélie et Frédéric Ozanam à la lumière de Vatican II, Éd. Jouve, Paris, 2009, 115 p. 4 Marie Cruiziat est restée 71 ans au service de quatre générations d’Ozanam ; à partir de 1843, elle est chez Frédéric et Amélie (Magdeleine HOUSSAY et Charles OZANAM, Marie Cruiziat 17701857, Membre de la famille Ozanam, Jouve, février 2012). 5 4 Bon anniversaire Frédéric ! Parmi les douze textes de Frédéric choisis dans ce livret, sept sont écrits quand il a entre 16 et 25 ans. Déjà la force de sa foi est étonnante ; on comprend qu’il soit donné à nouveau en exemple aux JMJ de 2013 à Rio. À 40 ans, très malade, il rédige son testament et y ajoute ces lignes : « Je laisse à ma chère Amélie en mémoire de ses tendres soins et comme le plus doux adieu que je puisse lui adresser, le dessin de Buonajuti représentant le baiser des anges et des saints. Et puisqu’elle m’a demandé des vers pour les écrire au-dessous, elle y pourra mettre les vers suivans [sic] : Ces anges attendaient au sortir de la terre Les élus confiés à leur doux ministère. Toi, mon ange gardien, tu restes ici-bas : Ta prière ouvrira le ciel devant mes pas. Tu restes quelques jours pour mettre sur la voie L’Enfant, la tendre enfant qui causait notre joie. Fais qu’elle pense à moi : donne-lui tes vertus. Nous nous retrouverons au séjour où l’on aime, Et nous échangerons sous les yeux de Dieu même Le long embrassement qui ne finira plus. Pise, la semaine sainte 1853. » Les liens créés par le sacrement du mariage sont bien pour Frédéric des liens éternels 6 qui préfigurent la Communion des Saints. Beau sujet de méditation qu’on peut mettre en relation avec les fêtes de Noël et de la Sainte Famille. L’affirmation contraire - le mariage s’arrêterait au décès de l’un des époux - est parfois trouvée, certains interprétant ainsi l’évangile dit “des Saducéens” (Mc 12, 25). Le Père CANTALAMESSA, prédicateur de la Maison pontificale, rectifie cela dans son homélie de novembre 2006 (cf. : http:// www.zenit.org/article-14032?l=french). 6 Des paroles aux actes… 5 Rédigée au même moment, l’émouvante prière de Pise est la supplique d’un homme qui se trouve à « plus que la moitié du chemin ordinaire de la vie ». Il sait qu’il est proche du retour au Père. « Faut-il donc quitter tous ces biens que vous-même, mon Dieu, m’avez donnés ? » Il renoncerait à tout en échange de « la douceur de vieillir auprès de ma femme et d’achever l’éducation de mon enfant », mais il se soumet : « Il est écrit au commencement du livre que je dois faire votre volonté. Et j’ai dit “Je viens Seigneur”. » Comment ne pas faire le parallèle avec le Christ au jardin des Oliviers ? « Et Il priait pour que, s’il était possible, cette heure s’éloignât de Lui. » Et Il dit : “Abba, Père, tout Vous est possible ; transportez ce calice loin de Moi ; toutefois, non pas ce que Je veux, mais ce que Vous voulez” 7. Notre Saint-Père Benoît XVI, après explication de ce passage, nous dit qu’ « Adam et Ève ont pensé [à cause du péché] que le “non” à Dieu était le sommet de la liberté, signifiait être pleinement soi-même. Jésus sur le Mont des Oliviers ramène la volonté humaine au “oui” total à Dieu ; […] Ainsi, Jésus nous dit que ce n’est que dans la conformation de sa propre volonté à celle de Dieu, que l’être humain arrive à sa hauteur véritable, devient “divin” ; ce n’est qu’en sortant de lui, ce n’est que dans le “oui” à Dieu que se réalise le désir d’Adam, de nous tous, celui d’être complètement libres. C’est ce que Jésus accomplit à Gethsémani : en transférant la volonté humaine dans la volonté divine naît l’homme véritable, et nous sommes rachetés 8. » Frédéric atteint cette hauteur, ce rachat : « Je viens si vous m’appelez, et je n’ai pas le droit de me plaindre. » Cette année, qui est aussi celle de la Foi, nous invite à un regard renouvelé sur Frédéric Ozanam, centré sur le croyant, le chrétien qu’il était. À quelques mois de sa mort, il redit son espérance en la Vie Marc 14, 36. 7 8 ENOIT XVI, Audience Générale du mercredi 1er février 2012, Salle Paul VI (cf. : http://www.vatican. B va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120201_fr.html). 6 Bon anniversaire Frédéric ! éternelle, il croit en la Communion des Saints et en toute liberté, à l’appel de Dieu, il dit « Oui ». Que cette année du bicentenaire soit vôtre, à vous les Vincentiens, famille de cœur de Frédéric. Ce jeudi 18 octobre 2012, en la fête de saint Luc, Évangéliste N Magdeleine Houssay, descendante de Frédéric et Charles Ozanam, descendant de Charles Des paroles aux actes… 7 Avent et Noël DÉCEMBRE 2012 U N DI EU QU I SE CAC H E… « Il ne faut point croire que la foi, que le soin des intérêts d’une croyance chère et menacée retiennent les chrétiens éloignés des connaissances humaines. La religion, qui les rassure, ne leur a pas fait inutilement ces loisirs. Elle ne leur permet pas seulement, elle leur recommande la science. Car si la vérité est Dieu même, il s’ensuit, comme parle saint Augustin, que toute science est bonne en soi, et que le vrai est souverainement désirable, même indépendamment de l’utilité théologique qu’on en peut tirer. Au fond de toutes choses et dans les dernières profondeurs de l’infiniment petit, il faut bien finir par trouver la trace de l’idée éternelle. Les docteurs ont reconnu ce vestige empreint par toute la création, et c’est ce qui sanctifie l’étude de la nature. Une image plus ressemblante se découvre dans l’homme, et c’est ce qui fait la dignité de la philosophie. La Providence remplit l’histoire, et de là Bossuet professe qu’il est honteux à un honnête homme d’ignorer le genre humain. En sorte que, dans tous les ordres et à tous les degrés, c’est toujours un Dieu absent qu’on poursuit, qui se cache de façon qu’on le cherche, mais de façon qu’on le trouve, parce qu’il veut éprouver l’amour et ne le désespérer pas. 8 Bon anniversaire Frédéric ! De là vient la probité de la science chrétienne. Elle ne se paye ni de faits hasardés, ni de conséquences prématurées. Elle est humble et ne croit pas que ce soit trop de toute une vie pour acheter une vérité si petite qu’elle soit. Elle est patiente enfin, parce qu’elle se confie. Nous descendons, le microscope à la main, dans les derniers détails de la physiologie végétale ; nous nous penchons sur les creusets de nos laboratoires, nous reconstruisons péniblement des inscriptions effacées et des langues en ruines. Il ne nous est pas donné de voir le terme de ces recherches arides : mais nous savons que d’autres y trouveront des conclusions glorieuses pour la Providence. Nous ne sommes qu’au commencement, et le chemin est long ; mais nous savons que Dieu est au bout. » Bienheureux Frédéric OZANAM Des devoirs littéraires des Chrétiens, 1843, discours prononcé au Cercle catholique en présence de Mgr Affre, Archevêque de Paris, in Mélanges, Œuvres Complètes, 3e Édition, 1855, tome VII, pp. 132-133. L a foi chrétienne ose dire que tous les hommes, croyants ou non, sont des chercheurs de Dieu. Qu’ils scrutent l’infiniment petit de la matière ou l’infiniment grand du cosmos, qu’ils s’interrogent sur euxmêmes par les sciences humaines et la philosophie, qu’ils se refusent à «ignorer le genre humain» en relisant leur histoire, ils peuvent voir les traces, sous forme de «vestiges» et d’ «images», de l’action divine. L’observation, la connaissance des choses sont, nous l’ont rappelé les Pères grecs et latins, une voie pour découvrir Dieu, ce Dieu qui, par le Des paroles aux actes… 9 Mystère de l’Incarnation, vient à nous dans la chair, par la Révélation, mais qui reste caché… Et bien qu’il ne soit plus possible pour quelques hommes de connaître tout du monde de façon encyclopédique, comme l’affirmait humblement le pape Paul VI juste après le Concile de Vatican II, l’Église ne reste pas «éloignée des connaissances humaines». Elle continue de s’informer, de se former et d’être, elle aussi, «experte» en humanité parce qu’elle a reçu la mission de servir. De plus, Frédéric a affronté courageusement, avec intelligence et courtoisie, le dénigrement de la foi chrétienne : au même titre que nous nous présentons comme les avocats ou les porte-parole des pauvres, nous sommes invités à défendre la foi chrétienne aujourd’hui avec le même respect et le même courage. Nous ne sommes peut-être pas aussi habiles en paroles et en discours que le professeur Frédéric Ozanam mais nous pouvons être habiles et transmettre, plus que des valeurs dont certaines ont rang universel maintenant, des savoir-faire et des savoir-vivre ensemble évangéliques. «Aimer, Partager et Servir»… N Jérôme Delsinne cm 10 Bon anniversaire Frédéric ! Pour aller plus loin… Que nous reste-t-il encore à découvrir ? Qu’avons-nous encore à apprendre ou à améliorer ? Pour prier… Confions au Seigneur le travail des chercheurs. Que leurs découvertes servent au bien de l’humanité entière. À lire… Christian VERHEYDE, Prier 15 jours avec Frédéric Ozanam, Nouvelle Cité, mai 2011, 126 p. Des paroles aux actes… 11 JANVIER 2013 épiphanie H EU R EU X L ES CŒU RS PU RS… 12 « Heureux celui qui a reçu de profondes semences de vertus, de grands exemples de sagesse, heureux celui qui a toujours chéri la religion de son enfance : car si les liens dont elle captivait son intelligence viennent à se relâcher, du moins il lui reste attaché par le cœur : le doute lui pèse et il cherche à s’en affranchir ; le combat est douloureux et pénible, il lui coûte de secrètes larmes, bien des angoisses, mais enfin il se termine par la victoire ; un examen respectueux éclaire peu à peu son esprit et bientôt l’inonde de lumières ; si quelque temps la conviction rationnelle lui a manqué, la fidélité morale lui demeurait, le don de Dieu était en lui, et la foi ne l’avait point quitté ; elle s’est voilée seulement, comme pour se faire chercher, comme pour se faire aimer davantage. Mais il en est beaucoup que la violence d’une imagination précoce, beaucoup que la présomption d’un orgueil juvénile entraîne, et qui croient se faire grands ou heureux, en désertant l’autel où ils avaient appris à prier, en tournant le dos au prêtre qui les avait bénis, pour suivre les diverses doctrines répandues autour d’eux. Alors ils vont grossir successivement le cortège de tous ceux qui se disent chercheurs de vérité ; ils recueillent successivement les fruits de tous les arbres de science, plantés de Bon anniversaire Frédéric ! la main des hommes pour devenir semblables à Dieu, mais tous ces fruits sont vides et amers, et plusieurs de ceux qui avaient essayé de s’en nourrir, sentent que ce n’est point assez pour apaiser leur soif et leur faim, et alors ils s’asseyent tristement, et croyant que la vérité n’est pas, parce qu’ils ne l’ont pas connue, ils s’endorment affaiblis dans un léthargique sommeil. » Bienheureux Frédéric OZANAM Extrait de l’article sur les « Souvenirs de Tusculum ou entretiens philosophiques et religieux de deux amis près des ruines de la maison de campagne de Cicéron », in L’Univers, du 20 février 1834. (cité dans le Livre du Centenaire, p. 9) E n février 1834, il écrit un article sur les «Souvenirs de Tusculum» pour le journal L’Univers. La tonalité du texte pourrait nous faire penser aux Confessions de saint Augustin. Finesse de la langue, profondeur de la pensée, justesse psychologique : ce texte, bien que son auteur soit encore très jeune, manifeste une maturité exceptionnelle. Il n’est pas une réflexion de type philosophique, il se présente plutôt comme un sage avertissement qu’Ozanam adresserait, indirectement, à ses condisciples étudiants, élevés dans la religion catholique comme lui, et confrontés à Paris, pendant leurs études, à toutes sortes d’idées, d’opinions, de courants philosophiques pouvant les éloigner très loin du christianisme, en une contrée «où les fruits sont vides et amers». Et Ozanam parle d’expérience. Quelques années auparavant, alors qu’il était au lycée (1827-1829), il traversa une crise spirituelle très grave, mais qu’il pu surmonter grâce à l’aide de son professeur de philosophie, l’abbé Noirot, qui l’aida Des paroles aux actes… 13 à rebâtir sa vie chrétienne sur une base intellectuelle solide où la foi et la raison ne s’opposent pas mais se complètent. Dans ce cheminement spirituel, où les crises sont inévitables, le travail sur un plan «moral», l’ascèse, joue un rôle extrêmement important : «si quelque temps la conviction rationnelle lui a manqué, la fidélité morale lui demeurait». C’est cette «fidélité morale» qui permet justement de traverser le doute et toutes les nuits de la foi. Nous rejoignons l’Évangile : «Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu». Voir Dieu, c’est être rassasié pleinement, éternellement. La vision de Dieu s’offre autant à l’intelligence qu’à la pureté du cœur, cette «fidélité morale», la clarté du regard, sans ombre, ni trouble. Frédéric Ozanam nous enseigne à traverser avec lui, comme lui, toutes les crises à venir qui secouent ou qui vont secouer la barque de notre vie. Mais il nous dit : accroche-toi à l’Église, à l’Évangile qu’elle proclame à temps et à contretemps, à la prière. C’est en elle, avec l’Église que tu atteindras la Vérité, non pas comme un corpus de doctrines à défendre ou comme un bien à faire mais comme un bien à être. Mais ce chemin est impossible à parcourir sans la grâce, le «don de Dieu» dont parle Ozanam, la perle précieuse, le trésor caché dans le champ. N Olivier Bethoux Pour prier… Confions au Seigneur toutes celles et ceux qui n’ont « point assez pour apaiser leur soif et leur faim ». Qu’ils trouvent sur leur route des frères qui partagent le pain et donnent sens à la vie… À lire… JEAN XXIII, Mater et magistra, lettre encyclique, 15 mai 1961. JEAN-PAUL II, Fides et ratio, lettre encyclique, 14 septembre 1998. 14 Bon anniversaire Frédéric ! U N SUJ E T D’I N DIGNAT ION… « Elle est triste et déplorable, la condition de ces malheureuses victimes de la barbarie européenne ! Elle sera toujours un sujet d’indignation et de larmes pour le vrai philosophe et le vrai chrétien, l’horrible cruauté de ces hommes qui se disent civilisés, et qui au nom d’une religion sainte, apparaissent aux terres étrangères tels que des brigands ravisseurs pour enlever le fils à sa mère, le père à ses enfants. Pleurons la honte de nos frères oppresseurs ! Pleurons les maux de nos frères opprimés ! Mais vous qui les déplorez avec moi, détournez un instant vos yeux de ces calamités pour remonter à leur cause ! » Bienheureuse Rosalie Rendu FÉVRIER 2013 Bienheureux Frédéric OZANAM Extrait de la Lettre sur la Traite des Nègres, in L’Abeille française, 15 août 1829. A l’âge de seize ans, dix-neuf ans avant le décret du gouvernement provisoire conduisant à l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises sur la proposition de Victor Schœlcher, député de la Martinique, Frédéric Ozanam dénonçait l’inhumanité de la traite des Noirs. Des paroles aux actes… 15 F rédéric Ozanam perçoit l’injustice et l’horreur de l’esclavage, pourtant largement accepté par la société de son temps. Son opposition totale avec la foi chrétienne lui apparaît comme une évidence, mais il ne s’en tient pas à ce constat : il invite à remonter aux causes afin d’attaquer le mal à la racine. Il accompagne sa conscience spirituelle d’une recherche rationnelle. Nous qui avons vocation à être les porte-parole des pauvres, nous devons avoir une attitude semblable. En effet, comme chrétiens, notre responsabilité est éminemment engagée car nous connaissons «la volonté du Maître» (Lc 12, 47). 16 Nous devons d’abord ouvrir les yeux pour voir le pauvre à notre porte (Mt 25, 44 - Lc 16, 19-31) en dépassant le consensus social qui, bien souvent, ferme nos yeux et anesthésie notre cœur. Pour cela, notre conscience a besoin d’être formée afin que nous soyons capables de déceler les injustices là où elles se trouvent, de nous en indigner en vérité et de vouloir y remédier dans la mesure de nos moyens. Comme nous y incite la doctrine sociale de l’Église, les critères pour éclairer notre conscience pourraient être la vérité, la justice l’amour et la liberté, piliers sur lesquels, «au-delà des droits et des devoirs, l’ordre de la société repose» (Pacem in Terris). En effet, «dépourvu de la vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme» (Caritas in Veritate, § 3), «la charité dépasse la justice, […] mais elle n’existe jamais sans la justice» (Caritas in Veritate, § 6), et «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent» (Ps 85, 11). Liberté et charité, pour leur part, Bon anniversaire Frédéric ! sont étroitement liées. L’une ne va pas sans l’autre. C’est l’amour qui nous rend libres et, en nous libérant, le Christ nous engage sur le chemin du plus grand amour (Jn 15, 12). l’immigré sans toit, le vieillard ou le malade en fin de vie, la personne handicapée, l’enfant à naître… N Rémy Bertrand Alors, les yeux grands ouverts sur la vérité, nous aurons la volonté éclairée de secourir le pauvre quel qu’il soit : Pour aller plus loin… Avons-nous une connaissance suffisante de la doctrine sociale de l’Église ? Connaissons-nous et consultons-nous le Compendium de la D.S.E (disponible depuis 2006 sur le site www.vatican.va) ? Quelle est notre capacité d’indignation et quels « esclaves » devons-nous libérer aujourd’hui ? Pour prier… Prions pour les malades, les persécutés, les esclaves de notre siècle et demandons au Seigneur d’ouvrir nos yeux sur les détresses morales et sociales de notre temps. À lire… Sr Louise SULLIVAN FdlC, Sœur Rosalie Rendu, Une passion pour les pauvres, traduit par Raymonde Dubois, Médiapaul, 2007, 426 p. Christine LAZERGUES, Alain VIDALIES, Sur les diverses formes de l’esclavage moderne, Rapport d’information, n° 3459, 12 décembre 2001, Assemblée Nationale. Des paroles aux actes… 17 mars 2 0 1 3 Carême L A R E NA ISSA NC E PA R L’ESPR I T… « J’ai dit, déjà plus d’une fois, que le christianisme n’a point fait l’humanité, mais qu’il l’a refaite ; il ne crée pas, il transforme. L’homme existe, mais sous la loi de la chair ; la famille, mais sous la loi du plus fort ; la cité, mais sous la loi d’intérêt. Le christianisme réforme l’homme par la renaissance de l’esprit ; la famille, par le droit des faibles ; la cité, par la conscience publique. De même aussi il trouve dans les sociétés antiques des temples, des sacrifices, des prêtres : il ne les abolit pas, il les purifie ; le christianisme n’a rien aboli, il a tout régénéré. » Bienheureux Frédéric OZANAM La Civilisation chrétienne au V e siècle, Douzième leçon, « Les institutions chrétiennes », Œuvres Complètes, 3e Édition, 1855, tome II, p. 28 L e Carême est ce temps donné par Dieu pour «refaire», se laisser «transformer», «purifier» et «régénérer». Semper reformanda. 18 Toujours en réforme. Toujours en train d’«assouplir ce qui est raide», de «réchauffer ce qui est froid», de «rendre droit ce qui est faussé». Bon anniversaire Frédéric ! certes, mais, ô combien plus juste ! Nous avons bien, comme nous y invite saint Paul, à nous «dépouiller du vieil homme» pour «revêtir l’homme nouveau 3.» L’Apôtre des nations en précise le moyen : «il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence 4.» Aussi Frédéric souhaitait de tout son cœur, de toute son âme, sa force et son intelligence, voir se transformer intelligemment les institutions de la France pour le bien de tous les hommes en tenant compte des plus faibles. Il avait compris quels étaient les déséquilibres et les injustices qui menaçaient grandement la paix sociale et il avait humblement et intelligemment proposé en Nous sommes toujours trop vite tentés conséquence des moyens pour les d’abolir. Et par là, nous risquons de corriger. Saint Paul ne s’adressait pas choisir la voie facile du rejet et de à un seul Corinthien. N’y voyons pas rester dans la logique de l’exclusion, ici un vouvoiement de politesse. Saint celle-là même que nous dénonçons. Paul s’adressait à une communauté, La voie de la purification – comme à un corps, à un ensemble donc. l’on purifie l’or – est bien plus ardue, Frédéric fait la même chose : en Patiemment. Pas à pas. Pierre par pierre. L’Église, les institutions, les hommes, ma vie personnelle, nos relations sont appelés sans cesse à se réformer. Nous ne désirons pas un «autre» monde créé de toute pièce par quelques technocrates et conceptuellement parfait mais, comme Frédéric Ozanam, nous désirons un monde fait «autrement» par la participation de tous car les hommes, les familles et les cités resteront. Nous désirons un monde «autrement» avec des hommes qui vivent de l’Esprit, avec des familles qui donnent toute la place – et une place active – aux plus faibles, avec des cités régies par le bien commun. 3 Éphésiens 4, 22-24 et Colossiens 3, 9-10. Éphésiens 4, 23. 4 Des paroles aux actes… 19 écrivant dans L’Ère Nouvelle, il s’adresse à tous les hommes, à la société française dans son entier. Quand Dieu prend la parole, par la bouche d’un prophète, Il s’adresse à tout le peuple… Aussi, dans cette optique, la conversion ou la réforme concerne «notre intelligence» ou pour dire autrement nos facultés, nos aptitudes ou nos capacités : quels regards, quelles compréhensions des choses, quelles paroles, quelles pratiques – mêmes charitables – allons-nous purifier et transformer spirituellement en Conférence, dans la Société de Saint-Vincent-de-Paul, dans l’Église, dans notre démocratie, en Europe, dans le monde, ceci pour le bien de tous ? L’enjeu n’est pas tant ici un progrès personnel – moi et mon Dieu – mais le progrès, la transformation en bien de l’humanité tout entière : un meilleur partage des richesses, un meilleur accès aux ressources nécessaires pour vivre, une meilleure possibilité d’éducation et de formation… N Jérôme Delsinne cm Pour prier… Avant de faire ou « refaire », de « régénérer » la société, demandons au Seigneur la « renaissance de l’Esprit ». 20 Bon anniversaire Frédéric ! AU BOR D DU SE N T I E R… « L’humanité de nos jours me semble comparable au voyageur dont parle l’Évangile : elle aussi, tandis qu’elle poursuivait sa route dans les chemins que le Christ lui a tracés, elle a été assaillie par des ravisseurs, par les « larrons » de la pensée, par des hommes méchants qui lui ont ravi ce qu’elle possédait : le trésor de la foi et de l’amour ; et ils l’ont laissée nue et gémissante et couchée au bord du sentier. Les prêtres et les lévites ont passé, et cette fois, comme ils étaient des prêtres et des lévites véritables, ils se sont approchés de cet être souffrant, et ils ont voulu le guérir. Mais, dans son délire, il les a méconnus et repoussés. Octave de Pâques AVRIL 2013 À notre tour, faibles Samaritains, profanes et gens de peu de foi que nous sommes, osons cependant aborder ce grand malade. Peut-être ne s’effrayera-t-il point de nous ; essayons de sonder ses plaies et d’y verser l’huile, faisons retentir à son oreille des paroles de consolation et de paix ; et puis, quand ses yeux se seront dessillés, nous le remettrons entre les mains de ceux que Dieu a constitués les gardiens et les médecins des âmes, qui sont aussi, en quelque sorte, nos hôteliers dans le pèlerinage d’ici-bas, puisqu’ils donnent à nos esprits errants et affamés la parole sainte pour nourriture et l’espérance d’un monde meilleur pour abri. Des paroles aux actes… 21 Voilà ce qui nous est proposé, voilà la vocation sublime que la Providence nous a faite. Mais que nous en sommes peu dignes et que nous fléchissons facilement sous le fardeau ! Je parle de nous autres, étudiants de Paris, colonie du peuple de Dieu sur la terre étrangère. Il semble que le spectacle de cette corruption et de cette misère devrait nous rendre ardents et forts. Il semble qu’ayant devant nous de grands vices, et au-dessus de nous de grandes vertus, nous dussions être comme un bataillon serré en face de l’ennemi, rangé sous les drapeaux qu’il aime. Et malheureusement il n’en est point ainsi. Je ne sais quelle langueur semble s’être emparée de nous. Je ne crains pas de dire du plus grand nombre ce qui est vrai de moi en particulier. Nous sommes frappés d’un abattement général, nous remplissons nos devoirs par habitude, nous continuons nos bonnes œuvres par routine, mais plus d’enthousiasme, plus de bouillant prosélytisme, plus de ces rayons de Charité qui au commencement venaient quelquefois illuminer et échauffer nos âmes. Nous sommes très nombreux, mais nous perdons en intensité ce que nous gagnons en étendue. » Bienheureux Frédéric OZANAM À Léonce Curnier, lettre du 23 février 1835. 22 Bon anniversaire Frédéric ! P ermets-moi tout d’abord de te tutoyer, toi qui es mon aîné dans la foi mais mon cadet quant à ton bref pèlerinage sur la terre des vivants car aujourd’hui je suis beaucoup plus âgé que toi. Toi aussi, cher Frédéric, au XIXe siècle, en ce 23 février 1835, à travers ton courrier adressé à ton ami Léonce Curnier – qui fut le fondateur à Nîmes de la première Conférence provinciale –, tu faisais déjà le constat de ce que nous vivons aujourd’hui en France et dans le monde en ce XXIe siècle. Oui «la terre s’est refroidie», oui «l’humanité de nos jours est comparable au voyageur dont parle l’Évangile, elle aussi, tandis qu’elle poursuivait la route tracée par le Christ elle a été assaillie par des ravisseurs, des larrons de la pensée qui lui ont ravi ce qu’elle possédait : le trésor de la foi et de l’amour.» ô combien ces écrits prophétiques nous interpellent au sein de notre chère Société de Saint-Vincentde-Paul ! Cette Société que tu as fondée avec tes amis en désirant que ses membres humbles, simples et fraternels soient à la lumière de l’Évangile les témoins de Celui qui est amour à travers l’exercice de la charité. Car : «où sont amour et charité Dieu est présent 5». Soyons donc conscients que notre engagement de vincentien est avant tout une vocation, une réponse à un appel, devenu désir, de suivre le Christ souffrant dans ses membres les plus faibles. Restons-y attachés. Souvenons-nous du jour où, pour la première fois, nous avons frappé à la porte de la Conférence qui allait devenir la nôtre pour lui offrir nos services. Le Seigneur nous attendait pour vivre cette vocation qu’il avait faite éclore au sein de notre âme : aller à sa rencontre à travers le service Hymne latine chantée le Jeudi Saint pendant le lavement des pieds. 5 Des paroles aux actes… 23 des pauvres. «Serviteur des pauvres» et «serviteur de Jésus-Christ» selon les belles expressions de saint Vincent de Paul. Tu as dû toi aussi, mon cher Frédéric, être interpellé comme je le fus lors de mon éveil à la vocation vincentienne par ces paroles du Christ : «des pauvres il y en aura toujours parmi vous 6». Et à cause de cela j’ai ressenti ce pressant appel qui me faisait obligation d’aller à leur rencontre et d’essayer de soulager bien modestement leur misère. Notre vocation qui nous pousse à rencontrer l’autre à travers le Tout Autre, doit se faire fraternellement avec beaucoup d’humilité, de tendresse, de respect, d’amour. Notre vocation n’est pas uniquement de soulager les misères matérielles, mais apporter aussi cette espérance qui va permettre à l’ami en difficulté de grandir, peut-être, dans la foi car «l’homme ne vit pas seulement de pain». Notre vocation nous invite aussi à porter un regard global sur la société, à ne pas rester inactifs devant les injustices et les discriminations mais aussi devant le rejet de la plupart des valeurs qui sont les nôtres et qu’actuellement l’on bafoue, l’on rejette, l’on méprise. Notre vocation nous appelle à la douceur, à l’humilité mais aussi à la fermeté. Il nous appartient de faire entendre notre voix lorsque notre société court à la dérive ou à sa perte, comme tu l’as fait Frédéric, avec courage durant toute ta vie qui fut si brève – ta révolte devant l’esclavage, le travail des enfants, le salaire insuffisant –, mais aussi ton énergique protestation en Sorbonne lorsque, étudiant, tu as été meurtri par les attaques incessantes contre la foi en Jésus-Christ. Notre vocation est avant tout le témoignage de l’Amour de Dieu pour les hommes. N’ayons pas peur de dire que notre action caritative prend sa source dans la lumière de l’Évangile et n’oublions pas qu’elle nous invite personnellement à vivre en présence de Dieu qui nourrit notre foi par la prière et les sacrements. Matthieu 26, 11. 6 24 Bon anniversaire Frédéric ! En cette année 2013, où nous fêtons ton 200 e anniversaire, dans un monde ô combien matérialiste et qui s’éloigne de façon tragique de cette civilisation de l’amour si chère au bienheureux Jean-Paul II et que, toi aussi, tu as appelé de tous tes vœux en fondant notre Société de Saint-Vincent-dePaul, ouvre le cœur des hommes et des femmes de notre temps afin qu’ils accueillent ce petit grain de folie qui nous pousse à la vocation à la charité. Je sais, mon cher Frédéric, toi l’ami fidèle, que nous pouvons compter sur toi, sur ta prière, sur celle de Marie notre mère et de tes amis les saints et bienheureux dont tu partages la joie céleste. Je termine ce petit message d’amitié en te souhaitant, cher Frédéric, un bon anniversaire. N Charles Martre Pour prier… En cette année du 200 e anniversaire de sa naissance, que le bienheureux Frédéric Ozanam intercède pour sa chère Société de Saint-Vincent-de-Paul afin que le Seigneur envoie de nombreux ouvriers dans les champs de la charité et en particulier des ouvriers de la dernière heure. À lire… Michel-Marie ZANOTTI-ZORKINE, La passion de l’amour - Chemin de Croix, Édition Ad Solem, collection « Spiritualité », avril 2012, 64 p. Des paroles aux actes… 25 mai 2 0 1 3 Pentecôte DES HOM M ES PLUS GR A N DS E T M E I L L EU RS… « Il est douloureux de voir le génie déserter solennellement et passer transfuge dans le camp opposé ; transfuge inutile car, en abdiquant la foi, il abdique son passé et, par conséquent, sa gloire et sa force, double sujet de deuil pour ceux qui l’aimaient. Et maintenant, qui remplira la place que ceux-ci laissent vide ? Où sont les Ambroise, les Jérôme, les Augustin, qui viendront s’asseoir sur le siège désert de Tertullien ? Qui osera ramasser la lyre tombée dans la poudre, et achever l’hymne commencé ? Je sais que Dieu, que l’Église, n’ont pas besoin de poètes ni de docteurs ; mais ceux qui en ont besoin, ce sont les faibles croyants que les défections scandalisent ; ce sont ceux qui ne croient pas, et qui méprisent notre pauvreté d’esprit ; c’est nous-mêmes, qui avions besoin parfois de voir devant nous des hommes plus grands et meilleurs, dont le pied frayât notre sentier, dont l’exemple encourageât et enorgueillît notre faiblesse. Nous ne pouvons pas, jeunes gens chrétiens, penser à remplacer ces hommes ; mais ne pourrions-nous pas en faire la monnaie, et combler par le nombre et le travail la lacune qu’ils ont laissée dans nos rangs ? 26 Bon anniversaire Frédéric ! […] Oui, nous sommes des serviteurs inutiles ; mais nous sommes des serviteurs, et le salaire n’est donné qu’à la condition du travail que nous ferons dans la vigne du Seigneur en l’endroit qui nous sera assigné. Oui, la vie est méprisable, si nous la considérons dans l’usage que nous en faisons, mais non si nous voyons l’usage que nous pouvons en faire, si nous la considérons comme l’œuvre la plus parfaite du Créateur, comme le vêtement sacré dont le Sauveur a voulu se couvrir : la vie alors est digne de respect et d’amour. Prions l’un pour l’autre, mon bien cher ami, défions-nous de nos ennuis, de nos tristesses, de nos défiances. Allons simplement où la miséricordieuse Providence nous conduit, contents de voir la pierre où nous devons poser le pied, sans vouloir découvrir toute la suite et toutes les sinuosités du chemin. » Bienheureux Frédéric OZANAM À François Lallier, lettre du 5 novembre 1836. A u début de sa lettre, Frédéric Ozanam fait allusion à la condamnation par Grégoire XVI à Rome de l’ouvrage de l’abbé de la Mennais, Les affaires de Rome, et du poème Jocelyn d’Alphonse de Lamartine. Il exprime sa douleur devant les défections de leurs auteurs par rapport à l’Église et la difficulté de trouver des personnalités pouvant remplacer les Docteurs de l’Église et servir d’exemples. Des paroles aux actes… 27 Cette réflexion l’amène à encourager les jeunes chrétiens à un engagement fort pour combler les lacunes laissées et être encore davantage au service de l’Église. Il rappelle que les chrétiens sont des serviteurs et doivent, en serviteurs fidèles, suivre la voie que le Seigneur les incite à suivre : «Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres. Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître !», (Mt 25, 22-23). Être au service des plus pauvres est bien dans l’objectif de tout vincentien et chaque confrère en est sans doute bien convaincu. Cependant, dans sa lettre, Frédéric Ozanam fait allusion au texte de saint Luc (Lc 17, 5-10) en soulignant que «nous sommes des serviteurs inutiles». Cela paraît bien dur et n’est guère encourageant. On peut se demander à quoi bon servir si l’on ne sert à rien ! Certes Jésus conte cette parabole pour ceux qui seraient tentés de se croire indispensables et qui 28 risquent de s’enorgueillir de ce qu’ils ont pu réaliser. Mais le texte ne nous incite pas seulement à la recherche de l’humilité. Il va plus loin, plus précisément pour indiquer une autre voie que celle d’une utilité plus ou moins payante des services rendus. Dans notre société actuelle, on est obsédé par l’idée de résultat et d’efficacité. Or, pour Dieu, ce qui importe n’est pas la reconnaissance du service mais plutôt la reconnaissance du serviteur en tant que personne. Le Seigneur se considère lui-même comme serviteur : «le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude», (Mt 20, 28). Il veut nous faire comprendre que, malgré nos maladresses et nos fautes, Il a besoin de nous, Il nous prend à son service. Il le fait parce qu’Il nous aime. Et cet amour, Il ne le compte pas, Il nous le donne. Il ne faut plus chercher à savoir si l’on est utile mais plutôt rendre grâce et Bon anniversaire Frédéric ! remercier Dieu de ce qu’il veut bien nous prendre à son service. Le Seigneur nous ouvre la voie de la gratuité, le chemin où nous pouvons découvrir et vivre la grâce d’être inutile. Pour Jésus, y a-t-il de plus grandes choses que d’aimer ? Aimer, c’est servir. Parce qu’Il nous fait confiance, Il nous invite à le servir davantage dans nos frères en les aimant. À l’exemple de Frédéric Ozanam, sachons mettre davantage encore notre belle devise vincentienne en pratique : «Aimer, Partager, Servir». N Juliette Asta Pour aller plus loin… Comment pouvons-nous suivre le Christ dans nos actions vincentiennes ? Savons-nous toujours répondre à son appel de façon désintéressée ? Pour prier… Le grand livre des prières, textes choisis et présentés par Christine Florence et la rédaction de Prier, préface de Mgr Albert Rouet, Desclée De Brouwer, Paris, collection Prier, octobre 2010, 537 p. À lire… Évangile selon saint Luc 12, 35-43 ; 17, 5-10 et Évangile selon saint Matthieu 20, 20-27 ; 24, 42-51 ; 25, 14-30. Des paroles aux actes… 29 Mariage de Frédéric et d’Amélie, le mercredi 23 juin 1841 JUIN 2013 30 QU I VI E N DR A COM B L E R C E GR A N D VI DE ? « Je balbutie une langue que je ne sais point encore ; je parle de choses qui ne me sont point révélées. Chez moi l’imagination s’est développée de bonne heure, la sensibilité a été plus tardive ; bien que mon âge soit celui des passions, à peine en ai-je senti les premières approches. Ma pauvre tête a déjà bien souffert, mais mon cœur n’a pas encore connu d’autres affections que celles du sang et de l’amitié. Cependant il me semble que j’éprouve depuis quelque temps les symptômes avant-coureurs d’un ordre nouveau de sentiments, et je m’en effraye ; je sens en moi se faire un grand vide que ne remplit ni l’amitié, ni l’étude ; j’ignore qui viendra le combler : sera-ce Dieu ? Sera-ce une créature ? Si c’est une créature je prie qu’elle ne se présente que tard, quand je m’en serai rendu digne ; je prie qu’elle apporte avec elle ce qu’il faudra d’avantages temporels et de charmes extérieurs pour qu’elle ne laisse place à aucun regret ; mais je prie surtout qu’elle vienne avec une âme excellente, qu’elle apporte une grande vertu, qu’elle vaille beaucoup mieux que moi, qu’elle m’attire en haut, qu’elle ne me fasse pas descendre, qu’elle soit généreuse, parce que souvent je suis pusillanime, qu’elle soit fervente, parce que je suis tiède dans les Bon anniversaire Frédéric ! choses de Dieu, qu’elle soit compatissante enfin, pour que je n’aie pas à rougir devant elle de mon infériorité. Voilà mes vœux, voilà mes rêves ; mais, comme je vous l’ai dit, rien n’est plus impénétrable que mon propre avenir. Vivez heureux, vous dont la route est maintenant toute tracée : Vivite felices quibus est fortuna peracta. Mais, quand au milieu de vos jouissances, vous aurez un moment de libre, priez pour moi qui ne sais encore où je vais. Votre ami. » Bienheureux Frédéric OZANAM À Léonce Curnier, lettre du 29 octobre 1835. Q uand il envoie cette lettre, le 29 octobre 1835, à son grand ami Léonce Curnier – fondateur de la première Conférence de Charité en dehors de Paris en 1834 à Nîmes – qui lui annonce son prochain mariage, Frédéric n’a que vingt-deux ans. Il poursuit des études de droit et de lettres à Paris. Il connaît peu des choses de l’amour : «je balbutie une langue que je ne sais point encore». Cependant il lui apparaît que cela doive évoluer. Mais dans quelle direction ? «Sera-ce Dieu ? Sera-ce une créature ?». Il est fort indécis, il le sera pendant cinq ans encore avant de rencontrer Amélie. Même s’il «éprouve les symptômes avant-coureurs d’un ordre nouveau de sentiments», il fait part de ses émotions dont certaines sont très terre à terre, mais bien compréhensives et montrent bien la difficulté de prendre position : «je prie qu’elle apporte avec elle ce qu’il faudra de charmes extérieurs pour qu’elle ne laisse place à aucun regret». Il attend beaucoup de sa future épouse. Il souhaite qu’elle possède d’autres qualités que lui : générosité, ferveur, «qu’elle vaille beaucoup mieux que moi» qu’elle soit Des paroles aux actes… 31 «compatissante pour que je n’ai pas à rougir devant elle de mon infériorité». À la fois désirs égoïstes – il écrit ce qu’il espère de sa future épouse – mais aussi et beaucoup plus souhaits que l’être choisi lui apporte beaucoup. Il a besoin d’une femme qui le fera grandir dans son amour de Dieu. Frédéric emploie le «je» et il s’adresse à celle qu’il ne connait pas encore avec un «elle» très impersonnel. Il aura beaucoup de mal à transformer ce «moi» et ce «vous» en nous : «désormais, nous dirons nous». Mais comme toujours, dans les lettres de Frédéric, il fait confiance en la Providence. Sans le dire – «rien ne m’est plus impénétrable que mon propre avenir» – il comprend que le couple est une aventure à deux, journellement recommencée et grandie. Cela est toujours vrai et les qualités de l’homme et de la femme doivent être en harmonie la plus parfaite pour que leur amour s’épanouisse non seulement à travers eux, non seulement à travers leurs enfants, mais aussi au travers des rencontres de la vie. Même quand les bourrasques du temps, parfois, chahutent l’embarcation, elle résistera si les époux se font confiance et se mettent sous la protection de Dieu. N Christian Verheyde Pour prier… Confions au Seigneur les couples qui se préparent au mariage, toutes celles et ceux qui hésitent à prendre un engagement ou qui « s’en effraient ». Demandons au Seigneur qu’Il donne son Esprit aux époux pour qu’ils soient, comme Amélie et Frédéric, « généreux et « fervents ». Confions enfin au Seigneur toutes celles et ceux qui « ressentent en eux un grand vide » : qu’ils trouvent de vrais amis. 32 Bon anniversaire Frédéric ! U N R EST E DE DIGN I T E… « Il faut achever, et, pour juger le divorce comme institution démocratique, il faut descendre à l’application de la loi, c’est-à-dire du titre VI du Code civil, la plus sage législation qui soit en cette matière, et la seule praticable, si l’on veut conserver au mariage un reste de dignité, un reste de contrainte aux passions. Les rédacteurs du Code civil, ces juges sévères du cœur humain, avaient pensé rendre le divorce rare en le rendant dispendieux. Ce n’est pas ici le lieu de dresser le tableau des frais d’une instance en dissolution de mariage. Mais il suffit de parcourir les soixante articles qui en règlent la procédure (254-294), de calculer tout ce qu’elle exige d’inventaires, de comparutions avec assistance d’avoué, de pièces fournies, d’enquêtes, de procèsverbaux, de jugements interlocutoires ou définitifs, tout ce qu’elle permet d’incidents, de défauts, d’appels et de pourvois ; pour se figurer, avec un peu d’habitude du palais, le formidable chiffre auquel s’élèvera la taxe. Ce signe n’est pas celui d’une institution populaire. Et ne dites pas qu’on y pourvoira en rendant la justice gratuite pour les pauvres : car combien de citoyens consentiront à recevoir la justice comme une aumône ? Ni en rendant la justice gratuite pour tous : car vous ne voulez pas inaugurer le règne de la fraternité universelle en déDes paroles aux actes… Saint Benoît, Abbé, Patron de l’Europe J U I llet 2 0 1 3 33 chaînant sur la société le déluge des procès que la crainte salutaire du tarif ne contiendrait plus. » Bienheureux Frédéric OZANAM Mélanges, « Du Divorce », Œuvres Complètes, 3e Édition, 1855, tome VII, pp. 179-180. R endre le divorce rare en le rendant dispendieux…» Que nous sommes loin de cette réalité ! Nous savons, à travers nos accueils, nos visites, à quel point l’éclatement des couples est devenu tristement commun et à quel point ces situations conduisent parfois à de grandes précarités, surtout pour les femmes. Au-delà des difficultés matérielles, la grande, l’immense solitude de celui ou celle qui se retrouve seul(e), sans personne à qui confier les difficultés quotidiennes, sans regard amoureux à donner ou à recevoir doit être et rester pour nous une souffrance à partager. 34 «J’ai peine de votre peine» disait Monsieur Vincent. Dans l’accompagnement que nous faisons de ces familles déchirées, nous devons savoir trouver des causes d’émerveillement, pour que, sous notre regard, ces familles retrouvent l’estime d’elles-mêmes, et redécouvrent la fierté, l’envie d’aller de l’avant, le désir de reconstruire leur vie. Lorsque nous accompagnons des personnes qui viennent de se séparer ou qui sont en train de divorcer, sachons que la procédure est difficile à vivre : elle marque le tournant de la fin d’un rêve, le rêve d’une vie à deux avec un projet commun. Elle ouvre Bon anniversaire Frédéric ! une vie de solitude et de galères. La procédure de divorce révèle petit à petit cette triste réalité. Elle est de plus parfois violemment agressive et pour mieux se venger du conjoint, on se sert des enfants... À nous de savoir être des porteurs de paix, des apôtres de douceur. «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur», (cf. Mt 11, 29). À une période où ils sont entourés de rancœur, d’agressivité, de conseils plus ou moins bons, la douceur que nous apporterons sera une bénédiction ; la paix que nous partagerons sera consolante et réconfortante. N Migueline Houette Pour aller plus loin… Sachons reconnaître, à chacune de nos visites, les merveilles de Dieu, Dieu à la fois présent et caché agissant en chacun de nous. Notre regard émerveillé valorisera ceux que nous visitons. Sachons accompagner sans juger. Difficile exercice… Pour prier… Évangile selon saint Marc, chapitre 10, « Jésus, l’ayant regardé, l’aima… » Des paroles aux actes… 35 AOÛT 2013 Saint Augustin, Évêque et Docteur UNE MêME ESPé R A NC E… « Dans le christianisme, la fin principale du mariage n’est pas la naissance des enfants ; saint Augustin le dit dans un admirable langage, et c’est aussi la doctrine de Tertullien ; la fin principale du mariage, c’est de donner l’exemple, le type, la consécration primitive de toute société humaine dans cet amour qui en est le lien. Et comme ce type de toute société doit être l’unité parfaite, et par conséquent une unité où tout soit égal et indissoluble, il s’ensuit que dans le mariage chrétien tout se partage et rien ne se rompt ; tout se partage, devoirs, condition : les devoirs sont égaux pour les deux parties contractantes. Toutes les deux doivent apporter une même espérance, un cœur égal aux mêmes chaînes destinées à les unir toujours. » Bienheureux Frédéric OZANAM La Civilisation au V e siècle, Quatorzième leçon, « Les femmes chrétiennes », Œuvres Complètes, 3e Édition, 1855, tome II, pp. 81-82. 36 Bon anniversaire Frédéric ! C ’est en remontant aux sources de l’institution du mariage au début de la chrétienté que Frédéric Ozanam contredit en première lecture la finalité du mariage telle qu’elle était et est encore, couramment formulée ; et il est très affirmatif : «La fin principale du mariage n’est pas la naissance des enfants». C’est pour «rétablir la femme à sa place naturelle dans la famille» et il poursuit son propos sur l’égalité des devoirs des deux époux, «des deux parties contractantes». Cette approche reste d’une grande actualité au XXIe siècle et dans l’Église, à telle enseigne que les «Semaines Sociales 2012» ont été consacrées au thème de la parité homme-femme. L’on comprend bien dans cette perspective l’indissolubilité du mariage, qui, autrement, n’aurait pas de sens pour un couple sans enfants si ceux-ci étaient la finalité première du mariage. Mais Frédéric Ozanam va plus loin, la finalité du mariage «c’est de donner l’exemple», de constituer le «type» de toute société ; il y a là une vision du rôle du couple chrétien dans la société comme témoin d’amour et d’espérance par l’unité sociale qu’il constitue ; ce témoignage, le couple Amélie-Frédéric en est un vivant exemple. C’est dans cette perspective que la Société de Saint-Vincent-dePaul en Italie a proposé il y a déjà plusieurs années la notion de «Conférence familiale» composée exclusivement de couples. L’intérêt de cette formule est multiple. Elle Des paroles aux actes… 37 permet à des couples de partager leur engagement et d’échanger entre eux sur les équilibres à trouver au sein du couple entre vie familiale, activité professionnelle et engagement associatif à la lumière de la spiritualité vincentienne. Elle permet aussi de faire participer toute la famille, notamment les enfants à l’engagement vincentien des parents. N Bertrand Ousset, Président National Pour prier… Prions le Seigneur pour que tous les couples chrétiens s’attachent à porter autour d’eux le témoignage d’amour et d’espérance partagés. à lire… Bernadette et Bernard CHOVELON, préface de Xavier LACROIX , L’aventure du mariage, guide pratique et spirituel, Cerf, collection « Épiphanie »,2002, 208 p. Mgr Renaud de DINECHIN, Charles MERCIER et Luc DUBRULLE, Frédéric Ozanam, l’homme d’une promesse, Desclée de Brouwer, 2010, 185 p., le chapitre « Frédéric Ozanam en privé », pp. 125-146. 38 Bon anniversaire Frédéric ! U N R EST E DE DIGN I T E… « Mon cher Ernest, […] Pauvres gens que nous sommes, nous ne savons pas si demain nous serons en vie et nous voudrions savoir ce que nous ferons dans 20 ans d’ici. Nous ignorons quelles sont nos facultés, quel peut être notre bonheur et nous voudrions nous tracer une route inflexible pour le développement des facultés dont nous ne sommes pas sûrs, pour atteindre un bonheur qui est pour nous un mystère. D’ailleurs, considère ceci : à quoi sert de savoir ce qu’on doit faire - sinon à faire bien ? À quoi sert de connaître sa destination - sinon à l’accomplir ? À quoi bon voir le chemin - sinon à marcher ? Or, pourvu que le voyageur y voie à dix pas devant lui, n’arrivera-t-il pas aussi bien que s’il avait sous les yeux le plan de l’architecte ? Et ne nous suffit-il pas de connaître notre devoir et notre destinée pour le moment le plus prochain de l’avenir, sans vouloir étendre nos regards jusqu’à l’infini ? Si nous savons ce que Dieu veut faire de nous demain, n’est-ce pas assez et qu’avons-nous besoin de nous soucier de ce qu’il nous commandera dans dix ans, puisque d’ici là il peut nous appeler au repos ? Bienheureux Frédéric OZANAM, le 9 septembre SEPTEMBRE 2013 Je ne dis pas pour cela qu’il faille être insouciant et paresseux Des paroles aux actes… 39 à suivre une vocation indiquée, mais qu’il faut se contenter d’en connaître une partie et la poursuivre avec énergie et calme sans s’inquiéter de ce qui est encore caché. La pensée de l’incertitude des choses humaines ne doit point briser nos courages et éteindre notre activité : elle doit au contraire nous attacher plus fort au devoir du présent en nous convainquant de l’ignorance de l’avenir. Tu trouverais bien de la paix et du contentement si tu pouvais te pénétrer de ces idées que nous ne sommes ici-bas que pour accomplir la volonté de la Providence, que cette volonté s’accomplit jour par jour et que celui qui meurt laissant sa tâche inachevée est tout aussi avancé aux yeux de la suprême justice que celui qui a le loisir de l’achever tout entière ; que l’homme ne peut pas plus créer son être moral qu’il ne saurait créer son être physique, qu’on ne se fait point orateur, philosophe, artiste, homme de génie, mais qu’on est fait tel peu à peu et insensiblement par la conduite de Dieu. Les plus grands hommes sont ceux qui n’ont jamais fait d’avance le plan de leur destinée, mais qui se sont laissés mener par la main. Un peu de confiance au Père céleste sans la volonté duquel pas un cheveu ne tombe d’une tête humaine. […] Ton cousin. » Bienheureux Frédéric OZANAM À Ernest Falconnet, lettre du 11 avril 1834. 40 Bon anniversaire Frédéric ! F aire bien», «accomplir sa destination», «voir le chemin» et «marcher» avec ses compagnons, son épouse Amélie et sa fille Marie. Telle a été la courte et intense vie du bienheureux Frédéric Ozanam. Tel a été son bonheur sur cette terre… Dans cette première moitié du XIXe siècle, l’espérance de vie moyenne en France n’était pas très longue : à peine 30 ans. En 1810, elle fait un bond à 37 ans en partie grâce à la vaccination contre la variole. Pendant les guerres napoléoniennes et la guerre de 1870, cette espérance décline brutalement et repasse sous les 30 ans 7. Les longs plans de carrières étaient rares. Nous comprenons mieux alors cette appréhension de son cousin Ernest que partage Frédéric : «Nous ne savons pas si demain nous serons en vie.» Notre espérance de vie n’est plus la même aujourd’hui grâce aux progrès continus de la médecine et la paix durable. Cependant l’inconnu demeure : «Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure 8» nous dit Jésus. Que ferons-nous «dans 20 ans d’ici» ? Quel visage aura la Société de Saint-Vincent-de-Paul dans vingt ans ? Que deviendra l’Église dans vingt ans ? Le monde sera-t-il encore debout tel qu’il est, se développera-t-il durablement dans vingt ans ? Nous n’en savons rien. Nous ne sommes sûrs de rien en ces domaines, en ces «facultés». Nous ne pouvons «tracer de route inflexible.» Pourquoi «vouloir étendre nos regards vers l’infini» ? Nous sommes, comme l’a été Frédéric, des «voyageurs qui n’y voyons pas à dix pas devant nous» et qui cependant arrivent aussi bien «à destination» que si nous avions «sous les yeux le plan de l’architecte.» Voir seulement «dix pas devant» avec pour compagne cette «pensée de l’incertitude des choses humaines» n’a pas découragé Frédéric ni fait baisser son activité. Il a accompli la volonté de la Providence «jour par jour». Il s’est contenté de savoir ce Des paroles aux actes… 41 que Dieu voulait de lui «demain» et non «dans dix ans.» Loin de l’insouciance et de la paresse, il a poursuivit sa vocation «avec calme et énergie». Et il est mort en «laissant sa tâche inachevée.» Et la Société de Saint-Vincent-de-Paul poursuit son chemin… «C’est bien, Frédéric, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens te réjouir avec ton maître 9.» N Jérôme Delsinne cm 7 S ource : INED, Graphique du mois, L’Évolution de l’espérance de vie en France, N° 5, octobre 2006 sur www.ined.fr 8 Matthieu 25, 13 ; Matthieu 24, 36 et Matthieu 24, 50. 9 Matthieu 25, 23. Pour prier… Confions au Seigneur celles et ceux qui s’inquiètent de l’avenir et qui désespèrent. Prions pour celles et ceux qui sont en recherche de vocation. Qu’ils croisent sur leur route des femmes et des hommes « énergiques », pétris d’espérance et de foi. À lire… Gérard Cholvy, Frédéric Ozanam, Éd. ARTEGE, 2012, 320 p., nouvelle biographie spécial bicentenaire. 42 Bon anniversaire Frédéric ! U N E E NSE IGN E PAS BA NA L E… « Nous lisons maintenant, au lieu de l’Imitation, la Vie de saint Vincent de Paul, pour mieux nous pénétrer de ses exemples et de ses traditions. Un saint patron n’est pas en effet une enseigne banale pour une Société comme un Saint-Denys ou un Saint-Nicolas pour un cabaret. Ce n’est même pas un nom honorable sous lequel on puisse faire bonne contenance dans le monde religieux : c’est un type qu’il faut s’efforcer de réaliser, comme lui-même a réalisé le type divin de Jésus-Christ. C’est une vie qu’il faut continuer, un cœur auquel il faut réchauffer son cœur, une intelligence où l’on doit chercher des lumières ; c’est un modèle sur la terre et un protecteur au ciel ; un double culte lui est dû, d’imitation et d’invocation. C’est d’ailleurs à ces seules conditions, de s’approprier les pensées et les vertus du saint, que la Société peut échapper aux imperfections personnelles de ses membres, qu’elle peut se rendre utile dans l’Église et se donner une raison d’existence. Saint Vincent de Paul, l’un des plus récents d’entre les canonisés 10, a un avantage immense par la proximité des temps où il vécut, par la variété infinie des bienfaits qu’il répandit, 10 Saint François d’Assise OCTOBRE 2013 dlr. : Il fut béatifié par Benoît XII le 13 août 1729 et canonisé par Clément XII le 16 N juin 1737. Frédéric Ozanam vient de vivre le centième anniversaire de la canonisation du saint Patron. Des paroles aux actes… 43 par l’universalité de l’admiration qu’il inspira. Les grandes âmes qui approchent Dieu de plus près y prennent quelque chose de prophétique. Ne doutons pas que saint Vincent de Paul n’ait eu une vision anticipée des maux et des besoins de notre époque : il n’était pas homme à fonder sur le sable, ni à bâtir pour deux jours. La bénédiction du quatrième commandement est sur la tête des saints ; ils honorèrent ici-bas leur Père céleste, ils vivront longuement. Une immortalité terrestre leur est décernée dans leurs œuvres. C’est pourquoi les Augustin, les Benoît, les Bruno, les François, qui dorment depuis 15, 12, 8, 6 siècles dans la poussière ne cessent pas d’avoir leur postérité spirituelle, leurs représentants debout au milieu des ruines du passé. L’astre de saint Vincent de Paul, monté plus tard sur l’horizon, n’est pas destiné sans doute à fournir une moins longue carrière. Marchons à sa lueur : honorons aussi notre père en la personne de ce Patron si digne d’amour, et nous vivrons longtemps. » Bienheureux Frédéric OZANAM À François Lallier, lettre du 17 mai 1838. Un Saint Patron A rrêtons-nous un instant pour bien relire cette lettre, pour bien comprendre le message que Frédéric nous laisse, pour 44 découvrir la vie de saint Vincent et ainsi mieux vivre notre service et notre engagement. Nous croyons tous bien connaître sa vie. La connaissons-nous vraiment ? Bon anniversaire Frédéric ! Vous êtes là, sorte d’oiseau de nuit, avec votre grande cape qui vole au vent, en ces hivers interminables, les galoches dans la neige, pressant sur votre cœur un enfant. C’est ainsi que nous vous voyons. Monsieur Vincent était tout à la fois émerveillé comme le berger de la crèche, modeste comme le publicain, attentif comme le bon Samaritain et habile comme Zachée. Nous le reconnaissons encore sous les traits du semeur ou du serviteur en tenue de travail et, bien sûr, sous ceux du Bon Pasteur. Homme d’action et de prière, de commandement et d’humilité, homme d’organisation et d’imagination, humble et audacieux, efficace et discret, bienveillant pour autrui et exigeant pour lui-même, il estime qu’il ne fait jamais assez. Infatigable géant de la charité, il n’a pas d’âge. Homme de plain-pied, il sut diriger avec la même autorité les femmes comme les soldats, les Grands comme les pauvres. Monsieur Vincent fut l’homme de l’instant et celui des siècles à venir… Servir aujourd’hui. Quel sens donner au service ? Quel sens donner aux exigences du service telles qu’elles nous ont été léguées par Vincent de Paul ? Servir requiert des attitudes cohérentes avec ce que nous sommes, des attitudes profondes : le discernement, la gratuité et le désintéressement. Notre service doit rejoindre tous nos frères, sans exclusive quand il s’agit de la charité, de l’amour de Dieu et du service du prochain pour l’amour de Dieu. Servir, c’est aussi savoir écouter. L’écoute est la vertu qui permet d’accueillir. Saint Vincent a été un maître de l’écoute parce qu’il a placé en premier, dans sa vie, l’humilité, cette vertu qui conduit à considérer les autres comme cadeaux et comme instruments du salut de Dieu pour soi-même. Des paroles aux actes… 45 S’engager. C’est prendre une responsabilité, s’exposer, mettre ses forces, ses dons, son savoir au service d’autrui, répondre à un appel ou enfin répondre à l’appel de Dieu qui s’est engagé le premier à être à nos côtés. L’engagement peut comporter certaines difficultés : la durée, le fait de tenir dans la durée, l’augmentation des tâches, le droit de rompre un engagement quand nous faisons fausse route, apprendre à partager les tâches. Le fondement de l’engagement de saint Vincent, ce n’est pas lui-même : c’est Dieu qui voit la misère de son peuple et qui appelle à participer à sa libération. L’engagement consiste donc plutôt à répondre à un appel de Dieu. Un appel qui peut très bien nous être adressé par une personne concrète ou à travers un rêve, une 10 intuition, un désir ou une conviction ressentie au plus profond de nousmêmes. Comprendre les fondements de notre engagement, c’est revenir à sa source : Dieu, l’appel de Dieu car il a en vue notre bonheur. Finalement, l’engagement n’est-il pas aussi l’accomplissement de ce pour quoi nous sommes faits 11. Prenons-nous le temps aujourd’hui de discerner par la prière, par exemple, ce à quoi nous sommes appelés comme saint Vincent ? N Madeleine Thémines S aint Augustin dans les Confessions I,1,1 : « Tu nous as faits orientés pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi. » 46 Bon anniversaire Frédéric ! Pour aller plus loin… Pouvons-nous nous identifier au bon Samaritain ? Jésus et saint Vincent nous invitent à incarner cette attitude, comme eux et avec eux. Désirons-nous servir ? Pourquoi ? Pourquoi cet engagement ? Que ferons-nous pour servir de plus en plus « à la manière de » saint Vincent ? Pour prier… Jean Pierre RENOUARD cm, Prier 15 jours avec Saint Vincent de Paul, Nouvelle Cité, 2000, 125 p. Vous y trouverez des prières de saint Vincent de Paul. Soyez également créatifs et partagez avec tous. À lire… Dominique ROBIN, confrère de Bayonne (CD 64), Saint Vincent de Paul et le temps de la charité, Médiapaul, 2011, 271 p. Jean Pierre RENOUARD cm, Saint Vincent de Paul, Maître de sagesse : initiation à l’esprit vincentien, Nouvelle Cité, 2010 , 189 p Des paroles aux actes… 47 Sainte Cécile, vierge et martyre N ovembre 2 0 1 3 U ne espé rance in fatigable « L’homme, selon le christianisme, vit de deux vies : la vie de la nature et celle de la grâce qui s’ajoute à la nature. Dans l’ordre surnaturel, le vrai révélé à la foi constitue le dogme, le bien embrassé par l’homme produit la morale, le beau entrevu par l’espérance inspire le culte. Il semble qu’ici tout soit immuable, et cependant Vincent de Lérins veut que la loi du progrès s’y fasse obéir. Le dogme ne change point, mais la foi est une puissance active qui cherche la lumière, fides quærens intellectum. Elle conserve la vérité révélée, mais elle la médite, elle la commente, et du symbole que retient la mémoire d’un enfant, elle tire la Somme de saint Thomas d’Aquin. La morale ne change point, mais l’amour qui la met en pratique ne connaît pas de repos. Les préceptes restent, mais les œuvres se multiplient. Toutes les inspirations de la charité chrétienne sont déjà dans le Sermon sur la montagne : cependant il fallait des siècles pour en faire sortir les monastères civilisateurs, les écoles, les hôpitaux qui couvrirent toute l’Europe. Enfin, le culte ne change pas, du moins dans son fond, qui est le sacrifice : un peu de pain et de vin, au fond d’un cachot, suffisait à la liturgie des martyrs. Mais une espérance infatigable pousse l’homme à se rapprocher de la beauté divine qui ne se laisse pas contempler 48 Bon anniversaire Frédéric ! ici-bas face à face. Il s’aide de tout ce qui semble monter au ciel, comme les fleurs, le feu, l’encens. Il donne l’essor à la pierre et porte à des hauteurs inouïes les flèches de ses cathédrales. Il ajoute à la prière les deux ailes de la poésie et du chant, qui la mènent plus haut que les cathédrales et les flèches. Et cependant il n’arrive encore qu’à une distance infinie du terme qu’il poursuit. De là cette mélancolie qui respire dans les hymnes de nos grandes fêtes. Au sortir des pompes sacrées, l’homme religieux ressent l’ennui de la terre et dit comme saint Paul : « Je désire la dissolution de mon corps pour être avec le Christ. Cupio dissolvi. » Ce cri est encore celui d’une âme qui veut grandir ; en effet, le christianisme représente les saints allant de clarté en clarté, et le bonheur de la vie future comme un progrès éternel. » Bienheureux Frédéric OZANAM La Civilisation chrétienne au V e siècle, Première et deuxième leçons, « Du progrès dans les siècles de décadence », Œuvres Complètes, 3e Édition, 1855, tome I, pp. 21-23. F rédéric Ozanam, avant d’agir ou plutôt avant «d’opérer», de se lancer dans une opération de petite ou grande envergure ou une œuvre, que ce soit l’exercice de la charité dans les rues de Paris puis dans le monde ou la défense de la foi chrétienne dans ses cours à la Sorbonne et dans ses écrits – car il s’agit bien ici d’une œuvre – est un Des paroles aux actes… 49 observateur attentif et un contemplatif amoureux de «la vie de la nature» et de la vie de la grâce «qui s’ajoute à la nature». Cette grâce divine qui n’empêche en rien la liberté humaine ni ne se substitue à la nature humaine mais qui vient au secours de notre «faible» chair. En ce sens, Frédéric est donc un fidèle héritier de saint Vincent de Paul, ce contemplatif avant et dans l’action, et par là fidèle, lui aussi, à l’Évangile1… repartir tout tristes comme le jeune homme riche… Nous ne naissons pas chrétiens, nous ne sommes pas chrétiens du jour au lendemain dès notre baptême : nous devenons chrétiens en suivant «L’homme vit de deux vies» : il est le Christ. «Il semble qu’ici tout soit là le fondement de la vie chrétienne immuable, et cependant la loi du et il se présente à nous chaque jour progrès se fait obéir.» Aussi Frédéric comme un défi «olympique» sans Ozanam nous invite, moyennant la cesse à embrasser. Non pas une grâce, à progresser dans tous ces schizophrénie subie ni un double jeu domaines : chercher la lumière ou à mener. «Ce n’est pas seulement discerner, méditer, prier, célébrer la de pain que l’homme vivra, mais divine liturgie, mettre en pratique la de toute parole sortant de la bouche charité «qui ne connaît pas de repos», de Dieu 2.» multiplier les œuvres… Frédéric, par son regard d’historien, Deux vies, deux nourritures… Nous pouvons dire : oui, je le veux, «que tout nous rappelle également qu’entre l’inspiration, la parole prononcée et se passe pour moi selon Ta parole» comme Marie a pu le dire et laisser la la mise en œuvre, la réalisation, il peut se passer des siècles entiers. grâce opérer. Ou bien nous pouvons 50 Bon anniversaire Frédéric ! Nous semons mais d’autres après nous ferons la récolte. Et notre trésor, «le bonheur de la vie future», se trouve au ciel. Aussi, selon son souhait, que notre espérance sur cette terre demeure «infatigable» et nous «pousse à» nous «rapprocher» quotidiennement tant de Dieu que des hommes. Tel est le chemin de la sainteté… N Jérôme Delsinne cm Luc 14, 28 : « En effet, lequel d’entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et juger s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » 1 Matthieu 4, 4. 2 Pour prier… Psaume 145. À lire… Card. Jean-Marie LUSTIGER, Premiers pas dans la prière, Nouvelle Cité, 1986, 194 p. Pierre PIERRARD et Amin A. de TARRAZI, Ozanam un saint laïc pour notre temps, éditions du Signe, 1997, 48 p. 2013 200e anniversaire de la naissance du Bienheureux Frédéric Ozanam et 160e anniversaire de sa mort. 180e anniversaire de la Fondation de la 1ère Conférence de Saint Vincent de Paul. Année liturgique C 2012-2013 Des paroles aux actes… 51 | Philippe Guitton | 06 25 79 60 57 | Crédit photo © Julien Spiewak Studio Volant Ce livret a été réalisé par la Commission Spiritualité de la Société de Saint-Vincent-de-Paul - France RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE 120 avenue du Général Leclerc 75014 Paris - www.ssvp.fr