Les regles de conflit de lois en matiere de compensation dans le
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Les regles de conflit de lois en matiere de compensation dans le
Prix ALJB 2010 Prix ALJB 2010 LES REGLES DE CONFLIT DE LOIS EN MATIERE DE COMPENSATION DANS LE SECTEUR FINANCIER Par Grégory Minne Avocat à la Cour Arendt & Medernach Introduction 1. Intérêt du sujet. – La crise financière internationale des dernières années a rendu les professionnels du secteur financier plus attentifs à la compensation de leurs obligations réciproques. Le caractère singulier de la place financière luxembourgeoise a pour effet que la compensation comporte régulièrement un ou plusieurs éléments d’extranéité entraînant un conflit de lois. En effet, lorsqu’une relation juridique entre deux personnes présente un caractère international, les lois de plusieurs pays sont susceptibles de s’appliquer. Ainsi, par exemple, si une société anglaise et une société luxembourgeoise concluent régulièrement des opérations financières mais n’ont pas prévu d’accord particulier de compensation, les juristes de chacune de ces sociétés consulteront leurs règles de conflit de lois respectives pour savoir quelle loi s’appliquera à la compensation de leur obligations réciproques. En revanche, si les contrats conclus entre ces sociétés contiennent des clauses relatives à la compensation des créances nées de ces contrats ou si ces sociétés ont conclu un accord général en vertu duquel leurs obligations réciproques seront compensées, se posera la question de savoir quelle loi s’appliquera à cette compensation, selon que les sociétés auront ou non choisi une loi applicable. Par ailleurs, si l’une de ces sociétés rencontre des difficultés financières et fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité, on peut se demander si la loi applicable à cette procédure aura une incidence sur la compensation et si la réponse à cette question sera la même selon que la société en difficulté est une société opérationnelle, une banque, une entreprise d’investissement, une entreprise d’assurances ou un ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 organisme de placement collectif. Enfin, se posera également la question de savoir si la localisation des deux sociétés sur le territoire de l’Union européenne impliquera des réponses différentes de celles qui seraient données si la contrepartie de la société luxembourgeoise était établie en Suisse ou dans l’Etat de New York. Ces questions montrent à quel point la résolution des conflits de lois en matière de compensation présente un intérêt fondamental pour le secteur financier. 2. Notions. – La compensation, que l’on classe traditionnellement parmi les modes d’extinction des obligations, constitue à la fois un double paiement abrégé et une garantie de paiement1. Sa fonction de double paiement est d’une utilité économique évidente dans le secteur financier puisqu’elle simplifie les rapports entre les parties qui ne doivent plus procéder à de multiples prestations monétaires. Sa fonction de garantie permet au créancier qui compense sa créance avec celle de son débiteur de recevoir paiement à concurrence du montant de la créance la plus faible et, dans un contexte de procédure d’insolvabilité, d’éviter d’entrer en concours avec les autres créanciers de son débiteur devenu insolvable. Ces deux fonctions expliquent pourquoi la compensation est prisée 1M. Ekelmans, « La loi applicable à la compensation », RDC-TBH, 2006/9, n° 2; M.-N. Jobard-Bachellier, « Obligations », Rép. internat. Dalloz, 1998, n° 64; Y. Loussouarn, « Les sûretés personnelles traditionnelles en droit international privé », in Les sûretés, Feduci, 1984, p. 430 et 445; J.-P. Rémery, note sous Cass. fr. (civ.), 6 juin 1990, D., 1991, p. 139; N. Watté, « L’opposabilité des sûretés dans le nouveau règlement européen des procédures d’insolvabilité », Rev. dr. ULB, vol. 24, 2001, n° 39; Idem « Questions de droit international privé des sûretés », in Le droit des sûretés, Editions du Jeune Barreau, 1992, n° 43. 7 Prix ALJB 2010 par les professionnels du secteur financier tant localement que sur le plan international. Les formes que peut revêtir la compensation diffèrent selon son origine. La compensation est légale lorsqu’elle résulte de la loi, sans le concours de la volonté des parties. Elle est judiciaire lorsqu’elle fait intervenir un juge qui, saisi de deux demandes fondées sur des créances réciproques dont l’une au moins n’est pas liquide, procède à la liquidation de ces créances et prononce leur extinction totale ou partielle. Elle est conventionnelle quand elle naît d’un accord de volontés entre parties. Cette triple origine a des conséquences sur le terrain des conflits de lois car les questions que la compensation suscite en droit international privé appellent des réponses différentes selon que la compensation est légale, judiciaire ou conventionnelle2. 3. Précisions terminologiques. – Nous utiliserons le terme « créance passive » pour désigner la prétention qu’une partie (A) exerce contre une autre partie (B) à laquelle B oppose la compensation, et le terme « créance active » pour nommer la prétention de B opposée en compensation à la créance passive de A. Ainsi, si A demande à B de lui payer 100 et que B lui oppose une créance de 50, la créance de A est la créance passive qui « subit » la compensation et celle de B est la créance active. La compensation conventionnelle peut prendre soit la forme d’une ou de plusieurs clauses insérées dans un contrat ayant un objet plus large (par exemple, un contrat de prêt d’instruments financiers), soit celle d’un contrat dont le seul objet est d’organiser la compensation de créances entre parties. Sauf lorsque la distinction sera nécessaire, nous emploierons le terme « accord de compensation » pour englober ces deux formes et nous présumerons que les clauses de compensation contenues dans un contrat ayant un objet plus vaste sont régies par la même loi que ce contrat. conventionnelle. La seconde partie est consacrée au régime de la compensation dans l’hypothèse de l’ouverture d’une telle procédure. Nous examinerons les règles prévues par les instruments communautaires pertinents ainsi que par le droit commun. Notre étude se concentrera sur les règles de conflit de lois relatives à la compensation entre professionnels du secteur financier. Les règles particulières du droit de la consommation ne seront pas examinées3. I. Compensation en dehors du contexte d’une procédure d’insolvabilité internationale 5. Remarque introductive. – Les incidences de l’origine légale, judiciaire ou conventionnelle de la compensation en matière de conflit de lois seront examinées dans cette première partie. Dans ce cadre, nous étudierons les règles en matière de compensation légale et conventionnelle prévues par le Règlement Rome I4 qui reprend dans les grandes lignes le système mis en place par la Convention de Rome5 mais comble toutefois une lacune importante de celle-ci en matière de compensation légale. La ressemblance entre ces deux instruments nous autorisera, dans certains cas6, à nous inspirer des sources disponibles avant l’application du Règlement Rome I. Il s’agit, notamment, du Rapport Giuliano/Lagarde qui est le rapport explicatif de la Convention de 3 Enfin, les termes « insolvable » et « insolvabilité » seront pris ici dans le sens le plus large et ne se limiteront pas au seul état d’une personne faisant l’objet d’une procédure collective luxembourgeoise ayant pour objet son assainissement ou sa liquidation. 4. Délimitation du sujet. – Notre contribution comprend deux parties. La première partie a pour objet les règles de conflit de lois applicables en matière de compensation en dehors du contexte d’une procédure d’insolvabilité internationale ouverte à l’encontre de l’une des parties. Nous aborderons successivement la compensation légale, la compensation judiciaire et la compensation 4 5 6 2Y. Loussouarn (note 1), p. 445; N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 45. 8 Sur les contrats de consommation, voy. O. Boskovic, « La protection de la partie faible dans le Règlement Rome I », D., 2008, p. 2175 s.; P. Cachia, « Consumer contracts in European private international law: The sphere of operation of the consumer contract rules in the Brussels I and Rome I Regulations », European Law Review, juin 2009, p. 476 s.; F. J. Garcimartín Alférez, « New Issues in the Rome I Regulation: the Special Provisions on Financial Market Contracts », in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 161 s., sp. p.165 s.; P. Mankowski, « Consumer Contracts under Article 6 of the Rome I Regulation », in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/ Bonomi), Schulthess, 2008, p. 121 s.; F. Ragno, « The Law Applicable to Consumer Contracts under the Rome I Regulation », in Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual Obligations in Europe (Ed. Ferrari/ Leible), Sellier, 2009, p. 129 s.; P. Wautelet, « Rome I et le consommateur de produits et services financiers », Rev. eur. dr. cons., 4/2009, p. 776 s. Règlement (CE) N° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO, L 177, 4 juillet 2008, p. 6 s.). Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO, C 334, 30 décembre 2005, p. 1 s. (version consolidée)). Sur l’interprétation des termes de la Convention de Rome et du Règlement Rome I, voy. F. J. Garcimartín Alférez, « The Rome I Regulation: Much Ado About Nothing? », The European Legal Forum, 2-2008, n° 7 et note 8. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 Rome préparé par M. Giuliano et P. Lagarde7. En revanche, en matière de compensation judiciaire, nous verrons que la solution apportée au conflit de lois est d’origine doctrinale. 6. Champ d’application du Règlement Rome I8. – Alors que la Convention de Rome continue de régir les contrats conclus avant le 17 décembre 2009, le Règlement Rome I s’applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre 20099. Il se substitue totalement au droit international privé des Etats membres de l’Union européenne qui sont liés par ses termes en matière de loi applicable aux obligations contractuelles10. Le Règlement Rome I a un caractère universel (art. 2). Il s’applique lorsque la question de la loi applicable est posée à une juridiction de l’un des Etats membres liés, peu importe la nationalité des parties, le lieu de leur établissement ou la loi qu’il désigne (il peut s’agir de la loi d’un Etat membre ou de celle d’un Etat tiers)11. Le Règlement Rome I est applicable dans tous les Etats membres12, à l’exception du 7M. Giuliano/P. Lagarde, Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO, C 282, 31 octobre 1980, p. 1 s.). 8 Pour les détails, S. Francq, « Le règlement “Rome I” sur la loi applicable aux obligations contractuelles. De quelques changements… », Clunet, 2009, n° 7 s.; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome du 19 juin 1980 et règlement “Rome I” du 17 juin 2008 », JCL Europe Traité, 2009, Fasc. 3200 et JCL Droit international, 2009, Fasc. 552-11, n° 28 s.; P. Lagarde/A. Tenenbaum, « De la convention de Rome au règlement Rome I », RCDIP, 2008, n° 6 s.; V. Marquette, « Le Règlement “Rome I” sur la loi applicable aux contrats internationaux », RDCTBH, 2009/6, n° 9 s.; C. Nourissat, « Le nouveau droit communautaire des contrats internationaux. Le règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (“Rome I”) », Defrénois, N° 19/09, 2009, n° 10 s.; R. Plender/M. Wilderspin, The European Private International Law of Obligations, 3ème éd., Sweet & Maxwell, 2009, n° 4-001 s. et n° 5-001 s.; P. Wautelet, « Le nouveau droit européen des contrats internationaux », in Actualités de droit international privé, Anthémis, 2009, p. 9 s. 9 Sur l’application dans le temps du Règlement Rome I, voy. le rectificatif publié au JO, L 309, 24 novembre 2009, p. 87 qui modifie l’article 28 du Règlement Rome I. Ce dernier se lit aujourd’hui comme suit: « Le présent règlement s’applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009 ». La loi qui détermine le moment auquel un contrat est conclu est la loi du contrat (H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 40; F. Schockweiler, « La loi applicable aux obligations contractuelles au Luxembourg, après l’adoption, en droit national, des règles de la convention de Rome du 19 juin 1980 », in Diagonales à travers le droit luxembourgeois, 1986, n° 125; P. Wautelet (note 8), p. 9). 10H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 28; P. Mayer/V. Heuzé, Droit international privé, 10ème éd., Montchrestien, 2010, n° 693. 11 Pour un exemple, voy. Cour d’appel, 24 septembre 1998, Pas. 31, p. 58 s. 12 Dès l’adoption du Règlement Rome I, l’Irlande a souhaité y être soumise (considérant 44). Le Royaume-Uni a notifié à la Commission, par lettre du 24 juillet 2008, son intention d’accepter le Règlement Rome I et d’y participer. Suite à un avis favorable transmis au Conseil le 11 novembre 2008, la ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Danemark (considérant 46). Il s’applique, dans des situations comportant des conflits de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale qui ne sont pas exclues de son champ d’application (art.1 §1). Les notions reprises à l’article 1 §1 ne sont pas définies par le Règlement Rome I. Celui-ci indique, toutefois, que son champ d’application matériel doit être cohérent par rapport au Règlement Bruxelles I13 et au Règlement Rome II14 (considérant 7)15. La notion de « conflits de lois » est, cependant, définie dans le Rapport Giuliano/Lagarde16 et a été reprise en substance dans l’exposé des motifs du Règlement Rome II. Elle vise toutes les « situations qui comportent un ou plusieurs éléments d’extranéité par rapport à la vie sociale interne d’un pays et qui donnent vocation à s’appliquer à plusieurs systèmes juridiques »17. La notion d’« obligation contractuelle » variant en fonction du droit des Etats membres auxquels le Règlement Rome I s’applique, c’est à l’interprétation autonome de cette notion donnée par la Cour de justice qu’il convient de se référer18. La Cour de justice Commission a adopté une décision le 22 décembre 2008 rendant le Règlement Rome I applicable au Royaume-Uni (JO, L 10, 15 janvier 2009, p. 22). Le considérant 45 du Règlement Rome I est aujourd’hui caduc. 13Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO, L 012, 16 janvier 2001, p. 1 s.), tel que modifié. 14 Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO, L 199, 31 juillet 2007, p. 40 s.). 15 Sur l’interaction de ces règlements, voy. S. Francq, « Les champs d’application (matériel et spatial) dans les textes de référence. De la cohérence terminologique à la cohérence systémique. En passant par la théorie générale… », in La matière civile et commerciale, socle d’un code européen de droit international privé ? (Dir. Fallon/Lagarde/Poillot Peruzzetto), Dalloz, 2009, p. 35 s.; B. Haftel, « Entre “Rome II” et “Bruxelles I”: l’interprétation communautaire uniforme du règlement “Rome I” », Clunet, 2010, p. 761 s.; E. Lein, « La nouvelle synergie Rome I / Rome II / Bruxelles I », in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 27 s.; F. Pocar, « Some Remarks on the Relationship between the Rome I and the Brussels I Regulations », in Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009, p. 343 s. 16Rapport Giuliano/Lagarde, p. 10. 17 Exposé des motifs, COM(2003) 427 final, p. 9. 18A. Bonomi, « Conversion of the Rome Convention on Contracts into an EC Instrument », Yearbook of Private International Law, vol. V, 2003, p. 63-64; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 12; H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 42; V. Marquette (note 8), n° 11; P. Wautelet (note 8), p. 12. Sur les notions de « matière civile et commerciale » et de « matière contractuelle », voy. H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe. Règlement 44/2001. Convention de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007), 4ème éd., LGDJ, 2009, n° 36 s. et n° 178 s. 9 Prix ALJB 2010 a essentiellement défini la notion de « matière contractuelle » dans le cadre de la délimitation du champ d’application des articles 5, 1° et 5, 3° de la Convention de Bruxelles19 et du Règlement Bruxelles I. Ainsi, selon la Cour de justice, la matière contractuelle suppose un « engagement librement assumé d’une partie envers une autre »20. La notion de « matière civile et commerciale » doit également recevoir une interprétation autonome21 qui coïncide, en substance, avec les matières de droit privé22. On notera d’ailleurs que le Règlement Rome I exclut expressément les matières fiscales, douanières et administratives (art. 1 §1). est généralement admis que la solution se trouve dans son article 10 §1 d) selon lequel les divers modes d’extinction des obligations, en ce compris la compensation légale, sont inclus dans le domaine de la loi du contrat (lex contractus)24. Cette solution n’est toutefois satisfaisante que si les créances sont régies par la même loi. Si, par exemple, une société grecque et une société luxembourgeoise ont conclu en 2008 un contrat régi par la loi anglaise, la compensation légale de leurs créances réciproques nées de ce contrat sera soumise à la loi anglaise. A. Compensations non conventionnelles 9. Règles antérieures à la Convention de Rome. – Lorsque les créances à compenser sont régies par des lois différentes, chacune des lois a un titre à s’appliquer. Ainsi, si l’une des parties est allemande et l’autre luxembourgeoise et si l’un de leurs contrats est soumis à la loi allemande et l’autre à la loi luxembourgeoise, la question se pose de savoir quelle loi régit la compensation des créances réciproques issues de ces contrats. Les solutions retenues varient en fonction des systèmes juridiques25. Il n’entre pas dans notre propos d’examiner toutes ces solutions, la doctrine internationaliste ayant fait montre d’une imagination très fertile26. Nous examinerons 1. Compensation légale a. Détermination de la loi applicable 1) Règles antérieures au Règlement Rome I a) Cas où les créances à compenser sont régies par la même loi 7. Règles antérieures à la Convention de Rome. – La question de la loi applicable à la compensation légale trouve une réponse évidente lorsque les créances à compenser relèvent de la même loi. C’est la loi commune aux deux créances qui régit la compensation23. 8. Convention de Rome. – Aucune règle explicite n’est prévue par la Convention de Rome concernant la compensation légale. Cependant, il 19 Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, approuvée par la loi du 8 août 1972 (Mémorial A, N° 57, 20 septembre 1972, p. 1364 s.). 20 Voy. Cour de justice, 20 janvier 2005, C-27/02, Engler, Rec. 2005, I-481, n° 50; 5 février 2004, C-265/02, Frahuil, Rec. 2004, I-1543, n° 24; 17 septembre 2002, C-334/00, Tacconi, Rec. 2002, I-7357, n° 23; 27 octobre 1998, C-51/97, Réunion européenne, Rec. 1998, I-6511, n° 17; 17 juin 1992, C-26/91, Handte, Rec. 1992, I-3967, n° 15. 21S. Francq, « Le Règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. Présentation générale », in Actualités de droit international privé, Anthémis, 2009, p. 77, note 22; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 10; P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 6; V. Marquette (note 8), n° 12; C. Nourissat (note 8), n° 11. 22 H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 43. Voy. Cour de justice, 15 mai 2003, C-266/01, Préservatrice Foncière TIARD, Rec. 2003, I-4867, n° 36 et les conclusions de M. l’Avocat Général Dàmaso avant Cour de justice, 15 février 2007, Lechouritou, Rec. 2007, I-1519, n° 35. 23H. Batiffol, Traité élémentaire de droit international privé, 2ème éd., LGDJ, 1955, n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde, Droit international privé, 7ème éd., tome II, LGDJ, 1983, n° 614; M.-N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 65;Y. Loussouarn (note 1), p. 446; N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 46; N. Watté/V. Marquette, « Faillite internationale – Compétence – Effets d’une faillite prononcée à l’étranger – sûretés réelles – droit de préférence », European Review of Private Law, 1999, n° 51. 10 b) Cas où les créances à compenser sont régies par deux lois différentes 24M. Ekelmans (note 1), n° 5; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 85; P. Lagarde, « Le nouveau droit international privé des contrats après l’entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 », RCDIP, 1991, n° 58; U. Magnus, « Set-off and the Rome I Proposal », Yearbook of Private International Law, vol. VIII, 2006, p. 114; Max Planck Institute, Comments on the European Commission’s Green Paper on the conversion of the Rome Convention of 1980 on the law applicable to contractual obligations into a Community instrument and its modernization, p. 87 (disponible sur www.mpipriv.de (dernière consultation: 15 octobre 2010)); F. Schockweiler (note 9), n° 134; Idem, Les conflits de lois et les conflits de juridictions en droit international privé luxembourgeois, 2ème éd. (mise à jour par J.-C. Wiwinius), Paul Bauler, s.d., n° 574; J.-C. Wiwinius, « La convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Aperçu de la jurisprudence luxembourgeoise », Bulletin du Cercle François Laurent, 2001/III, n° 106. 25 Pour un aperçu des solutions en droit comparé, voy. Commission on European Contract Law, Principles of European Contract Law - Part III (Ed. Lando/Clive/Prüm/ Zimmermann), Kluwer Law International, 2003, p. 139 s.; Max Planck Institute (note 24), p. 87 s.; R. Zimmermann, Comparative Foundations of a European Law of Set-Off and Prescription, Cambridge University Press, 2002, p. 18 s. Voy. aussi les conclusions de M. l’Avocat Général Léger avant Cour de Justice, 13 juillet 1995, Danværn Production / Schuhfabriken Otterbeck, C-341/93, Rec. 1995, p. I-2053 (n° 27 s. des conclusions) et avant Cour de justice, 10 juillet 2003, C-87/01 P, Commission / CCRE, Rec. 2003 p. I-7617 (n° 44 s. des conclusions). 26 Sur les solutions proposées, voy. H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614; M. Hellner, « Set-off », in Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual Obligations in Europe (éd. Ferrari/Leible), Sellier, 2009, p. 253; Y. Loussouarn (note 1), p. 446-447; U. Magnus (note 24), p. 115; J.-P. Rémery (note 1), p. 140; ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 uniquement deux solutions qui ont trouvé un écho en doctrine luxembourgeoise, à savoir la règle du cumul des lois applicables aux créances à compenser et celle de la loi applicable à la créance passive27. Des auteurs belges et français défendaient l’idée – et certains la défendent probablement encore aujourd’hui – selon laquelle, lorsque les créances à compenser sont soumises à des lois différentes, la compensation légale est limitée aux seuls cas où elle est prévue par les deux lois régissant les créances28. Cette approche était suivie en jurisprudence française29. Le choix du rattachement cumulatif, parfois qualifié de distributif30, repose sur l’analyse du mécanisme de la compensation qui est d’éteindre deux obligations31. Selon cette approche, la compensation, constituant une cause d’extinction totale ou partielle des obligations, ne peut opérer que si elle est cumulativement admise par la loi de chacune des obligations32. Le rattachement cumulatif a l’avantage, écriton, de « préserver l’égalité entre les créanciers et d’assurer la protection des intérêts de chacune des parties »33. Il n’y a pas lieu de privilégier la loi applicable à l’une des créances mais au N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 47 s. 27 On notera, pour mémoire, quelques autres solutions évoquées en doctrine: loi du juge saisi, loi de la créance la plus récente, loi de la créance la plus ancienne, loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits, loi de la résidence habituelle de la personne qui demande la compensation ou encore loi autorisant la compensation. 28H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614 (ces auteurs observent qu’il ne s’agit pas véritablement d’un conflit de lois mais de l’application cumulative de conditions devant être remplies par chacune des créances); M. Ekelmans (note 1), n° 1 et 5; Idem, « L’arrêt CCRE et la compensation des créances communautaires », Cah. dr. eur., 2003, n° 18; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome du 19 juin 1980 et règlement ”Rome I” du 17 juin 2008 », JCL Europe Traité, 2009, Fasc. 3201 et JCL Droit international, 2009, Fasc. 552-15, n° 120; Idem, « Le nouveau droit international privé européen des contrats (Commentaire de la convention C.E.E. n° 80/934 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980) », Rev. trim. dr. eur., janvier-mars 1981, n° 84 (dans ces deux contributions, l’auteur semble toutefois hésiter avec la loi applicable à la créance passive); M.N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 68; P. Lagarde (note 24), n° 58; Y. Loussouarn (note 1), p. 447; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 749; V. Marquette (note 8), n° 46; J.-P. Rémery (note 1), p. 140; F. Rigaux/M. Fallon, Droit international privé, 3 ème éd., Larcier, 2005, n° 14.59. 29 Cour d’appel de Grenoble, 13 septembre 1995, RCDIP, 1996, p. 676 s., note D. Pardoel; Cour d’appel de Paris, 29 mars 1938, Clunet, 1938, p. 749 s., note P. Tager. 30 J.-P. Rémery (note 1), p. 140. 31N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 49. 32P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 749. 33 Groupe européen de droit international privé, Réponse au Livre vert de la Commission sur la transformation de la Convention de Rome en instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation, Vienne, 2003, n° 45 (disponible sur www.gedip-egpil.eu (dernière consultation: 15 octobre 2010)). ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 contraire de constater la réunion des conditions de la compensation applicables à chacune des créances34. La question posée à chacune de ces lois est cependant différente35. Ainsi, à la loi régissant la créance A, il est demandé si elle permet la compensation avec la créance B, tandis que pour la loi gouvernant la créance B, la question posée est de savoir si elle est compensable avec la créance A. Le rattachement cumulatif présente, cependant, des inconvénients. Tout d’abord, si une des deux lois refuse la compensation, les parties restent tenues d’exécuter leurs obligations respectives, ce qui est problématique lorsque ces parties doivent effectuer de nombreuses prestations monétaires. Ensuite, il ne permet pas de déterminer la loi commune de la compensation puisque deux lois trouvent à s’appliquer36. Enfin, le rattachement cumulatif s’écarte de la règle retenue par l’article 6 du Règlement Insolvabilité37 et par d’autres textes communautaires qui retiennent, comme nous le verrons, la solution de la loi applicable à la créance passive, ignorant ainsi la fonction de garantie de la compensation38. La Cour de justice s’est prononcée en 2003 sur la question de la loi applicable à la compensation entre une créance soumise à la loi belge et une créance régie par le droit communautaire. Il est utile de noter que la Convention de Rome n’était pas applicable en l’espèce car l’une des créances faisant l’objet du litige n’était pas contractuelle. La Cour de justice a déclaré que « tant qu’elle opère l’extinction simultanée de deux obligations, une compensation extrajudiciaire entre des créances gouvernées par deux ordres juridiques distincts ne saurait intervenir que pour autant qu’elle satisfasse aux exigences des deux ordres juridiques en présence. Plus précisément, toute compensation de cette nature requiert de s’assurer, en ce qui concerne chacune des créances concernées, que les conditions en matière de compensation que prévoit l’ordre juridique dont elles relèvent, respectivement, ne se trouvent pas méconnues »39. La règle du cumul a ainsi été retenue par la Cour de justice. Certains auteurs proposaient pour leur part d’appliquer la loi de la créance à l’encontre de 34M. Ekelmans (note 28), n° 18. 35 J.-P. Rémery (note 1), p. 140. 36N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 49. 37 Règlement (CE) N° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (JO, L 160, 30 juin 2000, p. 1 s.), tel que modifié. 38M. Ekelmans (note 1), n° 6. 39 Cour de justice, 10 juillet 2003, C-87/01 P, Commission / CCRE, Rec. 2003 p. I-7617, n° 61. Sur cet arrêt, voy. A. Bouveresse, « La compensation de créances ne compense pas l'absence de créance », Europe, Octobre 2003, p. 1415; M. Ekelmans (note 1), n° 12; Idem (note 28), n° 17-18; M. Fallon, « Compensation légale de créances en dip et ses effets dans l’ordre juridique communautaire », Revue@ dipr.be, 2003, p. 68 s.; U. Magnus (note 24), p. 116-117. 11 Prix ALJB 2010 laquelle est opposée la compensation (loi de la créance passive)40. Cette solution, notamment retenue en Allemagne41, a pour avantage de protéger la partie envers qui la créance est invoquée – et qui doit faire face aux conséquences de la compensation invoquée par l’autre partie – en la faisant bénéficier du régime juridique applicable à sa créance42. De plus, elle permet au juge saisi d’appliquer la même loi à la demande formulée par la partie demanderesse et à la compensation43. Enfin, elle est cohérente avec les solutions adoptées par l’article 6 du Règlement Insolvabilité et par d’autres textes communautaires en matière de procédures d’insolvabilité. Au Luxembourg, F. Schockweiler44 semblait favorable à la règle de conflit désignant la loi de la créance passive tandis que P. Kinsch a adopté la solution du cumul des lois45. A notre connaissance, il n’existe pas de jurisprudence luxembourgeoise publiée sur le sujet. 10. Convention de Rome. – La Convention de Rome ne donne pas de solution lorsque les créances à compenser sont soumises à des lois différentes. 2) Règles sous l’empire du Règlement Rome I a) Cas où les créances à compenser sont régies par la même loi 11. Solution ayant des conséquences identiques à celle antérieure au Règlement Rome I. – L’article 17 du Règlement Rome I, qui porte l’intitulé « Compensation légale », comble une lacune de la Convention de Rome concernant cette forme de compensation46. A l’époque où la Convention de 40B. Audit/L. d’Avout, Droit international privé, 6ème éd., Economica, 2010, n° 854 (ces auteurs semblent néanmoins hésiter avec la règle du cumul). Voy. aussi les références citées par H. Batiffol (note 23), n° 629 et note 58; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614 et note 4; M. Hellner (note 26), p. 256-257. 41H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 120; Groupe européen de droit international privé (note 33), n° 46; P. Lagarde (note 24), n° 58; Idem, « Remarques sur la proposition de règlement de la Commission européenne sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), RCDIP, 2006, n° 22. 42M. Hellner (note 26), p. 256-257; Max Planck Institute (note 24), p. 92. 43Max Planck Institute (note 24), p. 92. 44 F. Schockweiler (note 9), n° 134; Idem (note 24), n° 574. 45P. Kinsch, « La faillite du client étranger d’une banque luxembourgeoise », in Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, Larcier, tome II, 1994, n° 20 et note 80; Idem, « La faillite en droit international privé luxembourgeois », Pas. 31, 1995, n° 34 et note 160. Voy. aussi l’avis du Conseil d’Etat qui fait expressément référence aux « lois applicables cumulativement aux deux créances » dans son avis sur le projet de loi relatif à l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurances (Doc. Parl. N° 5108(3), p. 6). 46 Sur les discussions relatives à l’insertion d’un article sur la compensation légale, voy. le Livre vert du 14 janvier 2003 sur la transformation de la Convention de Rome de 12 Rome a été discutée, les négociateurs ne se sont pas mis d’accord sur la règle de conflit de lois à retenir car ils n’ont pu départager la solution française du cumul des deux lois et la solution allemande de la loi de la créance passive47. Le Règlement Rome I a finalement retenu la solution allemande48. Son article 17 dispose en effet qu’« [à] défaut d’accord entre les parties sur la possibilité de procéder à une compensation, la compensation est régie par la loi applicable à l’obligation contre laquelle elle est invoquée ». Ainsi, lorsque les créances à compenser relèvent de la même loi, la solution retenue par le Règlement Rome I (loi de la créance passive) a les mêmes conséquences que la solution retenue avant l’entrée en application du Règlement Rome I (loi commune des créances). Par exemple, si une société belge et une société luxembourgeoise ont des créances réciproques régies par la loi belge et que la société luxembourgeoise invoque la compensation à l’encontre de la société belge, les questions concernant cette compensation seront soumises à la loi belge. b) Cas où les créances à compenser sont régies par deux lois différentes 12. Solution nouvelle: loi applicable à la créance passive. – En optant pour la loi applicable à la créance passive, l’article 17 du Règlement Rome I facilite la compensation de créances soumises à des lois différentes, tout en respectant les attentes légitimes de la personne qui n’a pas pris l’initiative de la compensation49. Ainsi, dans l’hypothèse où une société espagnole demande à une société luxembourgeoise le paiement d’une créance soumise à la loi espagnole et que la société luxembourgeoise invoque la compensation avec une créance régie par la loi luxembourgeoise, les questions liées à la compensation seront régies par la loi espagnole. On notera que l’article 17 ne s’applique qu’à la compensation légale – la compensation conventionnelle est expressément exclue50 – et qu’il n’inclut pas les obligations non contractuelles51. 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation (COM(2002) 654 final) et les nombreuses réponses disponibles sur http://ec.europa.eu/justice/news/ consulting_public/rome_i/news_summary_rome1_ en.htm# (dernière consultation: 15 octobre 2010). 47P. Lagarde (note 41), n° 22. 48 Pour une critique de cette solution, voy. Groupe européen de droit international privé (note 33), n° 46. 49 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 9. 50 La solution retenue par l’article 17 du Règlement Rome I ne concerne pas la compensation conventionnelle qui est soumise aux règles générales des articles 3 et 4 du Règlement Rome I (Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 9; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 85). 51 L’article 1 §1 du Règlement Rome I limite, en effet, le champ d’application de celui-ci aux seules obligations contractuelles. Voy. aussi en ce sens, M. Ekelmans (note 1), n° 16. Contra: U. Magnus (note 24), p. 118. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 b. Domaine d’application de la loi déterminée 13. Exemples de questions régies par la loi de la créance passive. – Une fois que la loi applicable à la compensation légale est déterminée, il est nécessaire de savoir ce qu’elle régit. La question qui vient alors à l’esprit est la suivante: cette loi régit-elle tous les aspects que soulève la compensation légale ou peut-elle être contrainte de s’incliner face à d’autres lois ? Il est, en principe, admis que la loi désignée en vertu de la règle de conflit de lois détermine l’ensemble du régime de la compensation légale52. Sans prétendre à l’exhaustivité, les questions suivantes sont régies par la loi de la créance passive53: la possibilité de compenser, le type d’actifs à compenser54, la nature des créances à compenser55, les conditions de la compensation56, le moment et la manière dont la compensation doit être invoquée57, le moment où la compensation prend effet58, la possibilité pour les parties d’exclure la compensation dans leurs relations ou pour une partie de renoncer à s’en prévaloir et la possibilité pour une partie d’invoquer à l’encontre d’une succursale d’une société la compensation d’une créance qu’elle possède envers cette société. C’est en revanche la loi propre à chaque créance qui détermine si cette créance existe ou non. 2. Compensation judiciaire a. Détermination de la loi applicable 14. Loi du for. – Les conflits de lois en matière de compensation judiciaire semblent plus faciles à résoudre. La doctrine internationaliste ne s’attarde d’ailleurs généralement pas sur ce 52M. Hellner (note 26), p. 258; N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 54. 53 Sur le domaine de la loi applicable pour la compensation légale, voy. M. Hellner (note 26), p. 258 s.; U. Magnus (note 24), p 121-122. 54 La compensation peut ne viser que les créances de sommes d’argent ou y inclure également d’autres choses fongibles. 55 Dans certains systèmes juridiques, la compensation ne peut pas être invoquée à l’encontre d’une créance alimentaire, salariale ou fiscale. 56 Les conditions de la compensation légale peuvent varier selon les systèmes juridiques. Ainsi, la loi applicable peut requérir la réunion de différentes conditions: (i) créances réciproques, (ii) créances entre les mêmes personnes agissant en la même qualité (chacune est créancière et débitrice de l’autre), (iii) créances fongibles, exigibles et liquides. 57 Dans certains systèmes juridiques, comme le système luxembourgeois, la compensation légale est automatique pour autant que les conditions prévues par la loi soient réunies. Dans d’autres systèmes juridiques, la compensation légale nécessite une déclaration de volonté de la partie qui l’invoque. 58 Le moment où la compensation devient effective varie selon les systèmes juridiques. Il peut correspondre, notamment, au moment où toutes les créances viennent à exister ou à celui où la déclaration de compensation est faite par la partie qui l’invoque. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 type de compensation. La majorité des auteurs se prononce en faveur de l’application de la loi du pays où siège le juge saisi (lex fori) au motif qu’elle est fondée sur le pouvoir du juge de remédier à l’absence des conditions de fond requises pour la compensation légale59. La compensation judiciaire a lieu lorsque le juge liquide les créances et leur confère les caractéristiques requises pour en permettre la compensation. Ainsi, si une société luxembourgeoise intente une action devant une juridiction luxembourgeoise pour obtenir le paiement d’une somme d’argent qui lui est due par une société irlandaise au titre de l’un des contrats qu’elles ont conclus ensemble, cette dernière pourra introduire une demande reconventionnelle devant cette même juridiction pour demander la compensation judiciaire alors même que sa créance contre la société luxembourgeoise n’est pas liquide60. b. Domaine d’application de la loi déterminée 15. Exemples de questions régies par la loi du for. – Les points suivants sont régis par la loi du for qui a vocation à s’appliquer au régime de la compensation judiciaire: la possibilité d’invoquer la compensation, les conditions de la compensation61, le moment à partir duquel la demande de compensation doit être formulée par le défendeur devant le juge62, la forme dans laquelle cette demande doit être formulée63 et la mesure 59H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614; F. Despagnet, Précis de droit international privé, 5ème éd., LGDJ, 1909, n° 316 (bien que cet auteur affirme qu’il faille s’en tenir à la loi du for, il écrit que la question de savoir si la dette est susceptible de compensation est fixée par la loi du contrat); M. Ekelmans (note 1), n° 20; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 120; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 84; M.-N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 83; P. Kinsch, « La faillite du client … » (note 45), n° 20 et note 80; Idem, « La faillite … » (note 45), n° 34 et note 160; Y. Loussouarn, (note 1), p. 448; U. Magnus (note 24), p. 120; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 749 et note 98; J.-P. Rémery (note 1), p. 140; F. Schockweiler (note 9), n° 134; Idem (note 24), n° 574; N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 50-51 (cet auteur considère qu’il ne faudrait admettre la compétence de la lex fori que si « les créances en cause [sont], quant au principe en tout cas, compensables au regard de la législation étrangère qui les régit ». Cette position est critiquée par M. Ekelmans ((note 1), n° 20) au motif qu’elle reviendrait à appliquer un système de cumul à la compensation judiciaire). 60 Pour un exemple, voy. Trib. arr. Luxembourg, 29 février 1996, numéro 54678 du rôle. 61 Comme les deux autres formes de compensation, la compensation judiciaire requiert que les dettes soient réciproques et existent entre les mêmes personnes agissant en la même qualité (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, tome 3, Bruylant, 2010, n° 1562). 62La lex fori précisera s’il est possible de demander la compensation judiciaire pour la première fois en instance d’appel. 63La lex fori indiquera si la demande de compensation doit être formulée par une demande que le défendeur oppose 13 Prix ALJB 2010 dans laquelle la créance invoquée par le défendeur envers laquelle une demande en paiement est formulée peut être facilement constatée et liquidée sans porter préjudice au demandeur. B. Compensation conventionnelle 1. Détermination de la loi applicable a. Règles particulières en matière de capacité 16. Personnes morales. – La capacité juridique des personnes morales de conclure un accord de compensation n’entre pas dans le champ d’application du Règlement Rome I (art. 1 §2 f)). Cette question est réglée par la loi applicable à la personne morale (lex societatis). En droit luxembourgeois, la capacité juridique d’une société commerciale est régie par la loi du pays où se situe son administration centrale64. 17. Mandat. – Les professionnels du secteur financier agissent parfois par le truchement d’intermédiaires pour conclure un accord de compensation en leur nom et pour leur compte. La capacité juridique du mandataire d’agir au nom et pour le compte du mandant relève de la lex societatis lorsque ce mandataire est une société. Le Règlement Rome I exclut de son champ d’application la question de savoir si un mandataire peut engager le mandant envers les tiers (art. 1 §2 g))65. Cette question relève de la loi du lieu d’exécution du mandat66. C’est la loi choisie qui régit la relation contractuelle entre le mandant et le mandataire67. En cas d’absence de choix, c’est la loi du pays où le mandataire, débiteur de la prestation caractéristique, a sa résidence habituelle qui devra s’appliquer68. à l’action principale (demande reconventionnelle) ou comme une simple exception. 64 Articles 2 et 159 de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales (Mémorial A, N° 90, 30 octobre 1915, p. 925 s.), telle que modifiée. L’administration centrale est présumée, jusqu’à preuve du contraire, coïncider avec le lieu de son siège statutaire (art. 2). Sur la notion de siège en droit des sociétés, voy. P.-H. Conac, « Le siège social en droit luxembourgeois des sociétés », Journal des Tribunaux Luxembourgeois, 2009, p. 2 s. 65 L’exclusion est justifiée par le fait que le principe de l’autonomie de la volonté peut difficilement être admis (Rapport Giuliano/Lagarde, p. 13). 66C. Jassogne, « Les mandataires », in Traité pratique de droit commercial (Dir. Verougstraete), 2ème éd., tome II, Kluwer, 2010, n° 886-887; F. Rigaux/M. Fallon, Droit international privé, 2ème éd., tome II, Larcier, 1993, n° 932; P. Wéry, Le mandat, Larcier, 2000, n° 291. 67 F. Rigaux/M. Fallon (note 28), n° 14.136; F. Schockweiler (note 9), n° 42; Idem (note 24), n° 481; P. Wéry (note 66), n° 286. Pour rappel, le Luxembourg n’est pas lié par la Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation. 68 Trib. arr. Luxembourg, 10 juin 1996, numéro 57409 du rôle. Cette solution a, notamment, l’intérêt de maintenir l’unité de la loi applicable pour les intermédiaires professionnels 14 b. Règles particulières en matière de forme et de preuve 18. Forme. – L’élaboration d’un accord de compensation appelle la question de savoir quelle forme doit revêtir cet accord. L’article 11 du Règlement Rome I prévoit des règles de conflit en ce qui concerne la loi applicable à la forme69. Ces règles, qui ont un caractère alternatif, s’appliquent aux accords de compensation. Le Règlement Rome I fait la distinction selon que les parties (ou leurs représentants) se trouvent ou non dans le même pays lors de la conclusion de l’accord de compensation. Lorsque les parties sont situées dans le même pays, l’accord est valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme (i) de la loi qui le régit au fond ou (ii) de la loi du pays dans lequel il a été conclu (art. 11 §1). Lorsque les parties se trouvent dans des pays différents, l’accord de compensation est valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme (i) de la loi qui le régit au fond ou (ii) de la loi d’un des pays dans lequel se trouve l’une ou l’autre des parties au moment de sa conclusion ou (iii) de la loi du pays dans lequel l’une ou l’autre des parties avait sa résidence habituelle à ce momentlà (art. 11 §2)70. Les rattachements utilisés par le Règlement Rome I étant larges, le risque de voir un accord de compensation être annulé pour vice de forme est faible. 19. Preuve. – L’utilisation d’un accord de compensation conduit à s’interroger sur la façon dont peut être prouvé un tel accord. Les questions de preuve sont en principe exclues du domaine du Règlement Rome I (art. 2 §3). Cependant, celui-ci traite de l’objet et de la charge de la preuve (art. 18 §1) ainsi que de l’admissibilité des modes de preuve (art. 18 §2). La loi applicable à l’accord de compensation s’appliquera à l’objet et à la charge de la preuve dans la mesure où, en matière d’obligations contractuelles, elle établit des présomptions légales ou répartit la charge de la preuve. Ces règles sont en effet des règles de fond et non de procédure71. En ce qui concerne l’admissibilité des modes de preuves, un accord de compensation peut être prouvé par tout mode de preuve admis soit par la loi du for, soit par l’une des lois visées à l’article 11 du Règlement agissant pour plusieurs mandants (D. Bureau/H. Muir Watt, Droit international privé. Partie spéciale, 2ème éd., PUF, 2010, n° 952). 69 Sur cette notion, voy. le Rapport Giuliano/Lagarde, p. 29: « Il est néanmoins permis de considérer comme une forme […] tout comportement extérieur imposé à l’auteur d’une manifestation de volonté juridique et sans lequel cette manifestation de volonté ne peut se voir attribuer une pleine efficacité ». 70 Cette troisième branche à la règle de conflit alternative vise les contrats conclus par voie électronique (P. Lagarde (note 41), n° 19. 71H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 140; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 102; P. Lagarde (note 24), n° 55. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 Rome I (y compris donc la lex contractus), selon laquelle l’acte est valable quant à la forme. Le Règlement Rome I prévoit une limite en précisant que le mode de preuve prévu par la loi de la forme n’est admis que pour autant que la preuve puisse être administrée selon ce mode devant le juge saisi. Cette limite ne devrait viser que l’hypothèse où la loi de la procédure du for ne permet pas, de manière générale, tel ou tel mode de preuve72. c. Cas où une loi est choisie par les parties 1) Autonomie de la volonté 20. Règle générale. – La liberté laissée aux parties de choisir la loi applicable constitue « l’une des pierres angulaires » du Règlement Rome I (considérant 11). Un accord de compensation peut ainsi être régi par la loi choisie par les parties (art. 3 §1) 73. Le Règlement Rome I prévoit toutefois trois limites au choix de la loi applicable: (i) les règles impératives, (ii) les lois de police et (iii) l’ordre public. On notera que le Règlement Rome I fait, en effet, une distinction entre les « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » (les règles impératives) et les « lois de police », cette dernière notion devant être interprétée plus restrictivement (considérant 37). Une telle distinction n’existait pas avant le Règlement Rome I. 21. Règles impératives. – L’expérience montre que des professionnels du secteur financier luxembourgeois peuvent vouloir soumettre un contrat contenant une clause de compensation à une loi étrangère bien que la situation ne présente des liens qu’avec le Luxembourg (parties situées au Luxembourg, exécution des obligations nées du contrat au Luxembourg, …) et que le seul élément d’extranéité soit le choix de cette loi pour régir leurs obligations contractuelles. Il n’est, en effet, pas rare de voir ces professionnels conclure des contrats standards contenant des clauses de compensation soumis à une loi étrangère tels que ceux élaborés par l’ISDA74 en matière de produits dérivés ou par l’ISLA75 pour les prêts d’instruments financiers. 72Rapport Giuliano/Lagarde, p. 36; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 143; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 104; P. Geortay, « Règles de conflits de lois applicables aux principales sûretés personnelles conventionnelles », in Droit bancaire et financier au Luxembourg, Larcier, vol. 2, 2004, n° 29-17; F. Schockweiler (note 9), n° 172; Idem (note 24), n° 624. 73 F. Despagnet (note 59), n° 316; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 120; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 84; M.-N. JobardBachellier, « Opérations sur créances », Rép. internat. Dalloz, 1998, n° 70; P. Kinsch, « La faillite du client … » (note 45), n° 20 et note 80; Idem, « La faillite … » (note 45), n° 34 et note 160; F. Schockweiler (note 9), n° 134; Idem (note 24), n° 574. 74 International Swaps and Derivatives Association. 75 International Securities Lending Association. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Afin d’éviter que des parties ne choisissent une loi sans aucun rapport avec leur contrat dans le seul but d’échapper à l’application de règles impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix, le Règlement Rome I précise que le choix d’une loi étrangère pour régir un contrat purement interne ne peut porter atteinte aux dispositions impératives de la loi du pays qui présente toutes les connexions avec ce contrat (art. 3 §3). Le Règlement Rome I applique la même règle aux contrats purement intracommunautaires que les parties ont décidé de faire régir par la loi d’un pays tiers. Ainsi, lorsque tous les éléments de la situation sont localisés au moment du choix de la loi d’un pays tiers dans un ou plusieurs États membres, y compris le Danemark (art. 1 §4), le choix de la loi d’un pays tiers ne peut avoir pour effet d’exclure l’application des règles impératives de droit communautaire telles que mises en œuvre par la loi de l’Etat du for (art. 3 §4)76. Ces dispositions visent l’hypothèse de la « fraude à la loi »77. 22. Lois de police. – La loi choisie par les parties pour régir leur accord de compensation peut également être écartée par le jeu des lois de police78. Dans un souci de sécurité juridique, le Règlement Rome I introduit une définition de la notion de « lois de police ». Il s’agit d’« une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement » (art. 9 §1). Cette définition s’inspire des termes de l’arrêt Arblade rendu par 76 Sur ces mécanismes, voy. L. d’Avout, « Le sort des règles impératives dans le Règlement Rome I », D., 2008, p. 2165 s.; A. Bonomi, « Le régime des règles impératives et des lois de police dans le Règlement “Rome I” sur la loi applicable aux contrats », in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 217 s.; Idem, « Prime considerazioni sul regime delle norme di applicazione necessaria nel nuovo regolamento Roma I sulla legge applicabile ai contratti », in Liber Fausto Pocar, Giuffrè, 2009, p. 107 s.; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 22-23; A. Nuyts, « Les lois de police et dispositions impératives dans le Règlement Rome I », RDC-TBH, 2009/6, p. 553 s. 77 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 5. Cette notion de « fraude à la loi » suscite des questions (voy. S. Francq (note 8), n° 30). 78 Sur l’exception de lois de police en droit luxembourgeois, voy. P. Kinsch, « Chronique de jurisprudence luxembourgeoise. Quelques aspects d’actualité du droit international privé », Bulletin du Cercle François Laurent, 1995/I, n° 14 s. (« Du point de vue de la technique du droit international privé, les lois de police se caractérisent par leur volonté d’application immédiate à une situation donnée, quelle que soit la loi, le cas échéant étrangère, qui est normalement appelée à régir celle-ci en vertu des règles normales (bilatérales) de conflits de lois », n° 14); F. Schockweiler (note 9), n° 106 s.; Idem (note 24), n° 197 s. et n° 548 s. 15 Prix ALJB 2010 la Cour de justice79 dont l’objet n’était cependant pas de créer une définition propre de lois de police puisque cet arrêt se rapporte au droit du marché intérieur80. Le Règlement Rome I contient une disposition autorisant le juge saisi à s’opposer à l’application, dans l’Etat où il siège, d’une loi étrangère pouvant porter atteinte aux lois de police du for (art. 9 §2). L’importance de cette liberté ne doit cependant pas être exagérée car la Cour de justice a le droit de contrôler la qualification de dispositions nationales des Etats membres en lois de police81. En outre, le recours aux lois de police doit se justifier dans des circonstances exceptionnelles (considérant 37). Le Règlement Rome I reconnaît également la faculté au juge saisi d’appliquer les lois de police étrangères (art. 9 §3)82. Ceci a entraîné un changement au Luxembourg puisque, avant l’entrée en application du Règlement Rome I, le législateur luxembourgeois avait exclu l’application de lois de police étrangères d’un autre Etat par le juge luxembourgeois en faisant usage d’une réserve prévue par la Convention de Rome83. Sous le Règlement Rome I, le juge saisi souhaitant appliquer des lois de police étrangères devra néanmoins tenir compte de la nature, de l’objet et des conséquences de l’application ou de la nonapplication de ces lois. De plus, les lois de police pouvant être appliquées seront uniquement celles du lieu d’exécution des obligations contractuelles84. L’effet de ces lois de police se limite, par ailleurs, au seul cas où elles rendraient l’exécution du contrat illégale85. La limitation prévue par le Règlement 79 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 8. Voy. Cour de justice, 23 novembre 1999, C-369/96 et C-376/96, Arblade, Rec. 1999, I-8453, n° 30: les lois de police sont des « dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci ». 80 Sur cette définition, voy. A. Bonomi, « Le régime … » (note 76), p. 223 s.; Idem, « Prime considerazioni … » (note 76), p. 112 s.; A. Nuyts (note 76), n° 7 s. 81M.-E. Ancel, « Le règlement Rome I, nouvelle pièce du système communautaire de droit international privé », Revue Lamy Droit Civil, octobre 2008, p. 10; H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 95; P. Wautelet (note 8), p. 44. Voy. au sujet de l’ordre public de l’Etat requis, Cour de justice, 11 mai 2000, Renault, C-38/98, Rec. 2000, p. I-2973, n° 27; 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. 2000, p. I-1935, n° 22. 82 Il peut s’agir de lois de police d’un Etat membre ou d’un Etat tiers (P. Wautelet (note 8), p. 46-47). 83 Sur cette exclusion, voy. F. Schockweiler (note 9), n° 111 s.; Idem (note 24), n° 553-554. 84 Sur les questions suscitées par cette limitation, voy. P. Wautelet (note 8), p. 47-48. 85 Il s’agit notamment de dispositions en matière de contrôle des changes, d’embargo, de contrebande, de contrefaçon de monnaie ou de trafics en tout genre que les dispositions de nombreux Etats rendent illégales (P. Wautelet (note 8), p. 47). 16 Rome I en matière de lois de police étrangères devrait donc avoir un impact réduit en pratique86. 23. Ordre public. – L’exception d’ordre public, dont le jeu est moindre en matière contractuelle87, permet au juge saisi d’écarter la loi étrangère normalement applicable lorsque l’application de cette loi (et non la loi elle-même) au litige qui lui est soumis porte une atteinte suffisamment grave à un intérêt que l’ordre juridique du for considère comme devant être protégé88. Cette exception est évoquée par le Règlement Rome I dans des termes similaires à ceux de la Convention de Rome. La loi choisie par les parties pour régir un accord de compensation ne peut être écartée que si son application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for (art. 21). A l’instar des lois de police, le recours à l’exception d’ordre public devra se justifier dans des circonstances exceptionnelles (considérant 37). 2) Loi pouvant être choisie par les parties 24. Choix d’une loi étatique. – Tout comme pour la Convention de Rome, le Règlement Rome I se place dans la perspective d’un choix par les parties d’une loi étatique89. La jurisprudence luxembourgeoise va en ce sens90. Le fait que le Règlement Rome I indique qu’il « n’interdit pas aux parties d’intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale » (considérant 13) ne signifie pas que les parties puissent désigner une loi non étatique comme loi applicable à leur accord de compensation. Le choix d’une loi non étatique ne constitue pas un choix de loi au sens du Règlement Rome I. Un accord de compensation qui comporterait un tel choix (par exemple, les usages d’un milieu professionnel déterminé) devra être régi par la loi désignée par la règle de conflit de lois applicable en l’absence de choix91. Il appartiendra ensuite à cette loi de préciser la place qu’elle accorde à la loi non étatique choisie par les parties à l’accord de compensation92. 86P. Wautelet (note 8), p. 49. Sur l’utilisation très rare par le juge de l’article 7 §1 de la Convention de Rome, voy. H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 100. 87D. Bureau/H. Muir Watt (note 68), n° 908; P. Wautelet (note 8), p. 43. 88 Sur l’exception d’ordre public en droit luxembourgeois, voy. P. Kinsch (note 78), n° 1 s.; F. Schockweiler (note 24), n° 181 s. 89S. Francq (note 8), n° 24-25; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 5; P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n°9; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 703. 90 Voy. Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 426 s., où dans cette espèce la Cour fait expressément référence au choix d’un « système juridique » (p. 433). 91P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 703; P. Wautelet (note 8), p. 25. 92P. Lagarde (note 24), n° 19; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 703; F. Rigaux, « Examen de quelques questions ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 25. Choix négatif. – La clause d’un accord de compensation excluant l’application de toute loi étatique ne constitue pas un choix de loi au sens du Règlement Rome I93. Dans une telle hypothèse, le juge devra rechercher la loi applicable à défaut de choix. Cette solution doit également être retenue en cas de choix négatif partiel, excluant une ou plusieurs lois. Un choix négatif partiel ne permet en effet pas d’identifier une loi choisie et équivaut donc à une absence de choix94. 26. Dépeçage. – Les parties peuvent-elles diviser un contrat contenant une clause de compensation en plusieurs éléments qui seraient soumis à des lois différentes choisies par elles ? On notera que le Règlement Rome I n’interdit pas expressément aux parties de pratiquer elles-mêmes le dépeçage. Il indique sur ce point que « les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat » (art. 3 §1). Plusieurs sources disponibles semblent admettre le dépeçage par les parties. Le Rapport Giuliano/Lagarde (p. 17), après avoir rappelé la position partagée des experts sur cette question, indique qu’en cas de dépeçage le choix des parties doit être cohérent, « c’est-à-dire concerner des éléments du contrat qui peuvent être régis par des lois différentes sans donner lieu à des résultats contradictoires ». La jurisprudence et la doctrine luxembourgeoises paraissent favorables au dépeçage95. Les doctrines belge et française semblent également aller en ce sens96. Bien que nous ne recommandions pas cette solution en pratique, le choix par les parties à un contrat contenant une clause de compensation de faire régir cette clause par une loi différente de celle qui gouverne le contrat devrait donc être reconnu à condition qu’il soit cohérent avec la loi régissant les autres aspects de ce contrat. En pratique, il s’agira de vérifier si l’accord de compensation peut avoir une existence autonome. Si les parties soumettent laissées ouvertes par la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles », Cah. dr. eur., 1988, n° 16. 93P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 702. 94P. Lagarde (note 24), n° 19. 95 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 426 s.; F. Schockweiler (note 9), n° 61; Idem (note 24), n° 503. 96D. Bureau/H. Muir Watt (note 68), n° 897 (ces auteurs n’envisagent le dépeçage qu’en présence « d’éléments du contrat objectivement détachables »); H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 13 s.; Idem (note 28), n° 47; B. Hanotiau, « La Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles », Journal des Tribunaux, 1982, n° 21; P. Lagarde (note 24), n° 21; Idem, « La convention de Rome », Banque & Droit (hors série), juin 1993, p. 2; V. Marquette (note 8), n° 17; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 710 (selon ces auteurs, le dépeçage est admis lorsque le contrat comporte des « aspects objectivement détachables »); C. Nourissat (note 8), n° 25; F. Rigaux (note 92), n° 15; B. Sousi-Roubi, « La convention de Rome et la loi applicable aux contrats bancaires », Bulletin Droit et Banque, N° 21, 1994, p. 8; P. Wautelet (note 8), p. 22. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 leur contrat à plusieurs lois qui ne peuvent pas respecter cette condition de cohérence, le juge appliquera la règle qui s’appliquerait en l’absence de choix97. Enfin, si les parties ont choisi une loi applicable à une partie seulement de leur contrat, le juge saisi déterminera la loi applicable aux autres parties du contrat en recourant également à la loi applicable en l’absence de choix98. 27. Modification de la loi choisie par l’autorité qui l’a édictée et clause de stabilisation. – Le choix de la loi étant un choix de droit international privé et non de droit matériel99, un accord de compensation sera soumis à la loi choisie par les parties. Si cette loi est modifiée ultérieurement par l’autorité qui l’a édictée et que les dispositions nouvelles sont applicables aux contrats en cours, ces dispositions s’appliqueront à l’accord de compensation100. En choisissant la loi applicable à leur accord de compensation, les parties s’exposent donc aux modifications ultérieures de cette loi. La clause – appelée clause de stabilisation ou d’intangibilité – par laquelle les parties choisissent de soumettre un tel accord à une loi dans sa teneur au jour de sa conclusion équivaut à un choix de droit matériel101. Dans un tel cas, le juge saisi devra rechercher la loi applicable au contrat selon les critères de rattachement prévus par le Règlement Rome I en l’absence de choix et vérifier, ensuite, le sort que cette loi réserve à la clause de stabilisation102. 3) Limites quant au choix de la loi par les parties 28. Forme du choix de la loi. – Selon le Règlement Rome I, le choix de la loi applicable à un accord de compensation doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause (art. 3 §1). Le choix de la loi applicable est un choix exprès lorsqu’il figure dans une clause spéciale faisant partie de l’accord de compensation ou annexée à celui-ci103. Comment apprécier le choix lorsqu’il n’est pas exprès ? Lorsque les créances sont soumises à la même loi, il est généralement admis que les parties ont implicitement voulu soumettre la compensation à cette loi104. Cette solution, que la doctrine considère 97Rapport Giuliano/Lagarde, p. 17; B. Hanotiau (note 96), n° 21; P. Lagarde (note 24), n° 21. 98B. Hanotiau (note 96), n° 21; P. Lagarde (note 24), n° 21. 99P. Lagarde (note 24), n° 18; B. Sousi-Roubi (note 96), p. 8. 100P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 708. 101P. Lagarde (note 24), n° 22; Idem (note 96), p. 2; F. Rigaux (note 92), n° 17; B. Sousi-Roubi (note 96), p. 9. 102P. Lagarde (note 24), n° 22; Idem (note 96), p. 2; B. SousiRoubi (note 96), p. 9. 103 F. Rigaux/M. Fallon (note 28), n° 14.43. 104H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614; M.-N. Jobard-Bachellier (note 73), n° 70; Y. Loussouarn (note 1) p. 446; N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 52; N. Watté/V. Marquette (note 23), n° 17 Prix ALJB 2010 comme valable dans le cas où la Convention de Rome s’applique105, nous semble devoir également être retenue lorsque le Règlement Rome I est applicable. La réponse à donner à la question posée est plus difficile lorsque les créances sont régies par des lois différentes. Le Rapport Giuliano/Lagarde donne quelques exemples de ce que pourrait être cette volonté certaine non expressément invoquée106. La jurisprudence luxembourgeoise a reconnu certains cas de choix implicite de la loi applicable107. Elle a cependant exigé que la volonté implicite des parties s’induise avec une certitude suffisante soit des termes de l’accord, soit du comportement des parties108. La désignation implicite doit donc être suffisamment certaine et ne pas obliger le juge à se livrer à une recherche hypothétique de la volonté des parties car, si tel était le cas, la loi applicable serait celle déterminée en cas d’absence de choix109. Certains éléments peuvent exprimer le choix implicite des parties. Ainsi, par exemple, le choix d’une juridiction pour connaître des litiges liés à un accord de compensation peut être un révélateur du choix des parties quant à la loi applicable. A cet égard, dans son préambule, le Règlement Rome I dispose qu’un « accord entre les parties visant à donner compétence exclusive à une ou plusieurs juridictions d’un État membre pour connaître des différends liés au contrat devrait être l’un des facteurs à prendre en compte pour déterminer si le choix de la loi a été clairement énoncé » (considérant 12). La jurisprudence luxembourgeoise a déjà recouru à ce facteur pour déterminer la loi applicable à un contrat en l’absence de choix exprès110. La jurisprudence et la doctrine luxembourgeoises utilisent également d’autres critères tels que la référence à une loi précise ou à des articles déterminés du code d’un pays111, l’ensemble des dispositions du contrat, son environnement économique, les relations habituelles des parties, l’utilisation de contrats types connus uniquement d’un pays déterminé112 51. 105N. Watté/V. Marquette (note 23), n° 51. 106 Référence dans un contrat à des articles du code civil d’un pays déterminé ou lien avec un contrat antérieur conclu entre les mêmes parties et comportant un choix de la loi applicable (p. 17). 107 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434; Trib. arr. Luxembourg, 21 avril 1993, n° 45158 du rôle. 108 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434. 109 F. Schockweiler (note 9), n° 60. 110 Trib. arr. Luxembourg, 21 avril 1993, n° 45158 du rôle. 111 Cour d’appel, 11 septembre 2000, n° 23382 du rôle; Cour d’appel, 15 janvier 1992, n° 12225 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 5 mai 1999, n° 59929 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826 du rôle. La référence à des dispositions d’une loi étrangère peut cependant s’avérer insuffisante (Trib. arr. Luxembourg, 7 janvier 2005, n° 87357 du rôle). 112 Trib. arr. Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826 du rôle; F. Schockweiler (note 9), n° 59; Idem (note 24), n° 501. 18 ou encore le lieu où des litiges doivent être tranchés par voie d’arbitrage113. L’attitude des parties après la conclusion du contrat peut, le cas échéant, également être révélatrice de leur volonté114. Les indications qui précèdent seront utiles en pratique mais ne suffiront sans doute pas toujours à prévenir certaines divergences d’interprétation. 29. Choix de la loi et changement de choix postérieurs à la conclusion du contrat. – Le choix de la loi applicable à un accord de compensation se fait en principe par l’insertion d’une clause d’élection de droit dans l’accord. Il n’est cependant pas exceptionnel en pratique que les parties n’aient pas choisi de loi applicable avant la conclusion de leur accord de compensation ou qu’elles décident de modifier leur choix après la conclusion de cet accord. Le Règlement Rome I reconnaît aux parties la faculté de convenir, à tout moment, de faire régir leur contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant (art. 3 §2). La loi choisie tardivement par les parties régit, en principe, l’accord de compensation rétroactivement depuis sa conclusion115. Le Règlement Rome I fixe néanmoins deux exceptions à ce principe. Si l’accord était valable au moment de sa conclusion quant à la forme selon l’une des lois désignées à l’article 11 du Règlement Rome I, le choix tardif d’une autre loi ne pourra pas affecter sa validité formelle. Le choix tardif ne pourra, en outre, pas porter atteinte aux droits des tiers. 30. Consentement quant au choix de la loi applicable. – Selon l’article 3 §5 du Règlement Rome I, l’existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont soumis à la même loi que l’accord de compensation si cet accord était valable (art. 10 §1). Si une partie à un accord de compensation souhaite établir qu’elle n’a pas consenti à cet accord, elle peut toutefois invoquer la loi du pays où elle a sa résidence habituelle mais uniquement s’il résulte des circonstances qu’il serait déraisonnable de déterminer l’effet de son comportement d’après la loi applicable si l’accord était valable (art. 10 §2). d. Loi applicable à défaut de choix 31. Mécanisme de l’article 4 du Règlement Rome I. – La question de la détermination de la loi applicable est délicate lorsque les parties n’ont pas choisi une loi pour régir leur accord de compensation. Bien que l’hypothèse du défaut de choix de la loi applicable par les parties devrait être rare en pratique pour les accords de 113 F. Schockweiler (note 9), n° 59; Idem (note 24), n° 501. 114 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434. 115H. Gaudemet-Tallon, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 48; P. Lagarde (note 24), n° 24; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 716 (ces auteurs exceptent toutefois les contrats à exécution successive); F. Schockweiler (note 9), n° 57; Idem (note 24), n° 499. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 compensation conclus par les professionnels du secteur financier116, il nous semble néanmoins utile d’examiner la solution donnée par le Règlement Rome I qui s’éloigne considérablement de celle consacrée par la Convention de Rome. Sous l’empire de la Convention de Rome, la désignation de la loi applicable à défaut de choix par les parties repose sur une règle tenant en trois éléments: 1) désignation de la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (art. 4 §1); 2) présomption selon laquelle les liens les plus étroits sont censés être établis avec le pays dans lequel réside habituellement la partie qui doit fournir la prestation caractéristique (art. 4 §2); 3) clause d’exception écartant la présomption si les circonstances montrent que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays (art. 4 §5)117. Dans le cadre du Règlement Rome I, à défaut de choix par les parties à un accord de compensation118, c’est l’article 4 qui pose les règles de détermination de la loi applicable. Les principes directeurs qui sous-tendent cette disposition tiennent en quatre éléments119: 1) Règle principale: plusieurs règles fixes déterminent la loi applicable à huit contrats courants (art. 4 §1); 2) Règle subsidiaire: si ces règles ne sont pas utilisables (soit parce que le contrat n’est visé par aucune d’elles soit parce qu’il est visé par plusieurs d’entre elles), le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle (art. 4 §2 et considérant 19); 3) Règle sous-subsidiaire: si la loi ne peut être déterminée en utilisant la règle principale ou la règle subsidiaire, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (art. 4 §4 et considérant 21); 4) Clause d’exception: s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays 116Les contrats standards contiennent généralement des clauses d’élection de droit. Cependant, la pratique nous montre que les parties à certaines opérations financières non standardisées ou conclues sur la base d’un contrat standard ne contenant pas de clause d’élection de droit peuvent ne pas procéder à un choix de la loi applicable. 117 Pour plus de détails sur cette règle, voy. H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 26 s.; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 49 s.; P. Lagarde (note 24), n° 26 s.; F. Schockweiler (note 9), n° 62 s.; Idem (note 24), n° 504 s.; J.-C. Wiwinius (note 24), n° 36 s. 118Pour mémoire, il convient généralement de réserver l’application des articles 5, 6, 7 et 8 prévoyant des règles spéciales pour certains contrats. 119 Pour une synthèse de la mécanique du Règlement Rome I, voy. le tableau de S. James, « Rome I: Shall we dance ? », Law and Financial Markets Review, mars 2008, p. 115. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 autre que celui visé par la règle principale ou la règle subsidiaire, le contrat est régi par la loi de cet autre pays (art. 4 §3 et considérant 20)120. 1) Règle principale 32. Rattachements fixes pour huit contrats. – L’article 4 §1 du Règlement Rome I prévoit des règles spécifiques déterminant la loi applicable à huit contrats déterminés qui se fondent sur le système de la prestation caractéristique ou sur d’autres fondements121. Certains de ces contrats, susceptibles d’intéresser le secteur financier, peuvent contenir des clauses de compensation. Il s’agit du contrat de vente de biens, du contrat de prestation de services et du contrat conclu au sein d’un système multilatéral. 33. Vente de biens. – L’article 4 §1 a) du Règlement Rome I dispose que le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays où le vendeur a sa résidence habituelle. Que recouvre le terme « biens » ? De prime abord, l’utilisation de ce terme pourrait laisser croire que cette disposition s’applique, par exemple, aux contrats de vente d’instruments financiers contenant une clause de compensation. Cependant, les versions anglaise et espagnole visent la vente de marchandises (sale of goods, compraventa de mercaderías) alors que les versions française et italienne se réfèrent à la vente de biens (vendita di beni). De plus, le considérant 17 précise que la notion de « vente de biens » devrait recevoir la même interprétation que celle retenue pour l’application de l’article 5 du Règlement Bruxelles I qui utilise l’expression « vente de marchandises ». Enfin, les commentateurs du Règlement Rome I semblent considérer que la notion visée soit la vente de marchandises122. Le fait que la notion de « biens » vise les marchandises plutôt que les biens au sens large (en ce compris, par exemple, les instruments financiers) ne devrait pas avoir de conséquences pratiques car si un contrat de vente d’instruments financiers contenant une clause de compensation 120 A l’inverse de la Convention de Rome (art. 4 §1 2ème phrase), le Règlement Rome I ne prévoit pas que si une partie du contrat est séparable du reste du contrat et présente un lien plus étroit avec ce pays, il pourra être fait application à cette partie du contrat de la loi de cet autre pays. 121 Sur les différents fondements des rattachements fixes, voy. B. Ancel, « La loi applicable à défaut de choix », in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 83 s.; P. Wautelet (note 8), p. 35 s. 122B. Ancel (note 121), p. 89-90; M.-E. Ancel (note 81), p. 11; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 43; U. Magnus, « Article 4 Rome I Regulation. The Applicable Law in the Absence of Choice », in Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009, p. 36-37; V. Marquette (note 8), n° 23; P. Wautelet (note 8), p. 32 et note 123. 19 Prix ALJB 2010 ne constitue pas un contrat de vente de biens au sens de l’article 4 §1 a), la détermination de la loi applicable à ce contrat pourra se faire en recourant au critère de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique, en l’espèce le vendeur, prévu à l’article 4 §2 du Règlement Rome I. 34. Prestation de services. – L’article 4 §1 b) du Règlement Rome I prévoit que le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays où le prestataire de services a sa résidence habituelle. Il retient donc comme critère de rattachement la résidence habituelle du débiteur de la prestation de services. Cette disposition, qui risque d’être très sollicitée123, est susceptible d’intéresser les accords de compensation conclus par des professionnels du secteur financier dans la mesure où ces professionnels peuvent agir en tant que prestataires de services (par exemple, agent de règlement, prêteur et dépositaire). Le Règlement Rome I ne précise pas le sens de la notion de « prestation de services ». La jurisprudence de la Cour de justice devrait cependant constituer une source utile à la détermination du contenu de ce terme (considérant 17). Ainsi, dans l’arrêt Falco Privatstiftung, la Cour de justice a indiqué que « la notion de services implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération » 124. A l’instar de la vente de biens, il est probable que cette question n’ait pas beaucoup d’incidence en pratique puisque le juge saisi pourra toujours recourir à la règle de conflit subsidiaire prévue à l’article 4 §2 du Règlement Rome I125. 35. Notion de « résidence habituelle ». – L’article 4 §1 a) et b) doit se lire en conjonction avec l’article 19 du Règlement Rome I qui contient une définition de la notion de « résidence habituelle ». Cette disposition fait une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Pour les personnes morales, qui nous intéressent ici, la résidence habituelle correspond au lieu de l’« administration centrale ». Le Règlement Rome I ne définit pas cette notion qui est également utilisée par la Convention de Rome (art. 4 §2), le Règlement Bruxelles I (art. 60 §1) et le Règlement Rome II (art. 23 §1). Pour certains auteurs, l’administration centrale devrait désigner « le lieu où la société est effectivement administrée (le siège réel) »126. Il 123M.-E. Ancel (note 81), p. 11; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 48. 124 Cour de Justice, 23 avril 2009, Falco Privatstiftung / Weller-Lindhorst, C-533/07, Rec. 2009, p. I-3327, n° 29. 125 Voy. aussi en ce sens, P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 12; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 727. 126M. Fallon/J. Meeusen, « Le commerce électronique, la directive 2000/31/CE et le droit international privé », RCDIP, 2002, n° 20. Cette définition est reprise par R. Jafferali dans son commentaire sur le Règlement Rome II, « Rome II ou la loi applicable aux obligations non contractuelles » (2ème partie), RGAR, 2008, F. 298, 14399, 20 a, en outre, été suggéré de s’inspirer de la notion de « centre des intérêts principaux » utilisée dans le Règlement Insolvabilité127. Une connaissance de la réalité de la société concernée sera en tout état de cause nécessaire pour déterminer son administration centrale128. Afin d’éviter tout conflit mobile, le Règlement Rome I prévoit expressément que la résidence habituelle à prendre en compte est déterminée au moment de la conclusion de l’accord de compensation (art. 19 §3). Le changement ultérieur de résidence habituelle sera donc sans effet sur la détermination de la loi applicable à cet accord. 36. Notions de « succursale, agence et autre établissement ». – Lorsqu’un accord de compensation est conclu dans le cadre de l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, ou lorsque, selon cet accord, la prestation doit être fournie par une succursale, une agence ou un autre établissement, c’est le lieu où est situé cette succursale, cette agence ou cet autre établissement qui sert de résidence habituelle (art. 19 §2). Les notions de « succursale, agence et autre établissement » ne sont pas définies par le Règlement Rome I. La Cour de justice considère que ces notions impliquent « un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère, pourvu d’une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceuxci, tout en sachant qu’un lien de droit éventuel s’établira avec la maison mère dont le siège est à l’étranger, sont dispensés de s’adresser directement à celle-ci, et peuvent conclure des affaires au centre d’opérations qui en constitue le prolongement »129. 37. Systèmes multilatéraux. – Le Règlement Rome I contient une règle de conflit de lois, qui ne figure pas dans la Convention de Rome, selon laquelle les contrats conclus « au sein d’un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers » sont soumis à la loi du pays qui régit ce système (art. 4 §1 h)). Les contrats visés, susceptibles de contenir des clauses de compensation, peuvent être des contrats de vente d’instruments financiers mais aussi des contrats de prêt ou de sûretés130. Le concept de « système multilatéral » n’est pas défini par le Règlement Rome I mais il y est précisé que « [l]es systèmes multilatéraux devraient être ceux au sein desquels des opérations commerciales sont conduites tels que les marchés réglementés et les n° 20. 127 F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 45. 128P. Wautelet (note 8), p. 35. 129 Cour de justice, 22 novembre 1978, Somafer SA / SaarFerngas AG, 33/78, Rec. 1978, p. 2183 s., n° 12. 130 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 165. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 systèmes multilatéraux de négociation131 mentionnés à l’article 4 de la [Directive MIF132], qu’ils reposent ou non sur une contrepartie centrale » (considérant 18). Les contrats conclus dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres tels que les systèmes Clearstream et Euroclear sont exclus de cette disposition (art. 23 et considérant 31)133. Les marchés et les systèmes visés par le Règlement Rome I peuvent être ceux d’un Etat tiers à condition qu’ils soient équivalents à ceux visés par la Directive MIF134. La loi que désigne la règle de conflit est celle du pays qui régit le système multilatéral. Autrement dit, il s’agit de la loi du marché135. En pratique, le juge saisi identifiera les règles d’accès du système ou l’autorité qui autorise ou reconnaît un marché comme étant un marché national136. Cette règle de conflit de lois, intervenue tard dans les négociations137 et critiquée par certains auteurs138, se justifie notamment par le fait que les contrats conclus au sein de ces marchés et systèmes doivent être régis par une seule loi139. 2) Règle subsidiaire 38. Résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique. – La règle générale de l’article 4 §1 prévoyant des rattachements fixes pour huit contrats n’est utile ni dans l’hypothèse d’un contrat de compensation (qui ne figure pas parmi ces huit contrats) ni lorsque le contrat contenant la clause de compensation n’est pas énuméré dans la liste des huit contrats ou lorsqu’il est susceptible de rentrer dans plusieurs catégories de cette liste. Dans ce cas, le juge saisi devra se tourner vers la règle de conflit de lois subsidiaire prévue par l’article 4 §2 du Règlement Rome I qui prévoit que le contrat est régi par la loi du pays dans 131 Multilateral Trading Facilities. 132 Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/ CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO, L 145, 30 avril 2004, p. 1 s.), telle que modifiée. 133 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 165; Idem (note 6), n° 41; P. Wautelet (note 8), p. 38. 134 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 164. 135 H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28), n°45; V. Marquette (note 8), n° 23; P. Wautelet (note 8), p. 38. Cette règle permet d’assurer une application uniforme des règles du marché aux opérations et de faire coïncider la loi applicable aux contrats avec le statut de l’intermédiaire qui, en principe, intervient pour l’exécution de ces contrats (P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 26). 136 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 164. 137 Sur la genèse de cette règle, voy. F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 162-163; P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 21 s. 138M. Lehmann, « Financial Instruments », in Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009, p. 85 s.; U. Magnus (note 122), p. 27 s. 139 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 162. Pour une critique de cette règle, voy. M. Lehmann (note 138), p. 85 s. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 lequel le débiteur de la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. La détermination de la prestation caractéristique d’un contrat ne soulève pas de difficulté pour les contrats unilatéraux. En revanche, l’individualisation de cette prestation est plus délicate pour les contrats synallagmatiques où les parties effectuent des prestations réciproques, parfois uniquement sous forme monétaire. 39. Notion de « prestation caractéristique ». – Le Règlement Rome I ne définit pas la notion de « prestation caractéristique » qui ne semble pas avoir une signification différente de celle utilisée dans la Convention de Rome140. Les sources interprétant cette notion pour les besoins de la Convention de Rome restent donc, selon nous, pertinentes pour le Règlement Rome I141. Parmi les sources disponibles, le Rapport Giuliano/ Lagarde (p. 20) apporte quelques éclaircissements en indiquant que la prestation caractéristique est celle « pour laquelle le paiement est dû, c’est-àdire, selon les différentes catégories de contrats, le transfert de la propriété, la livraison d’objets mobiliers corporels, l’attribution de l’usage d’une chose, la fourniture d’un service, du transport, de l’assurance, de l’activité bancaire, de la caution, etc., qui constitue le centre de gravité et la fonction socio-économique de l’opération contractuelle ». Selon la jurisprudence luxembourgeoise, afin de déterminer la prestation caractéristique, il convient d’identifier la prestation qui distingue un contrat d’un autre, qui est spécifique au contrat en cause142. La formule utilisée par les magistrats est constante: ce qui est caractéristique dans les contrats synallagmatiques, ce n’est pas le paiement du prix, mais la prestation pour laquelle le paiement du prix est effectué143. Ainsi, notamment, il a été jugé que la prestation caractéristique est celle du prêteur en cas de contrat de prêt144, du dépositaire 140Sur la prestation caractéristique, voy. M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, Economica, 2002, n° 414 s.; G. Kaufmann-Kohler, « La prestation caractéristique en droit international privé des contrats et l’influence de la Suisse », Annuaire suisse de droit international, 1989, p. 195 s.; P. Mankowski, « The Principle of Characteristic Performance Revisited Yet Again », in Liber Amicorum Kurt Siehr, Schulthess, 2010, p. 433 s.; A.-C. Van Gysel/J. Ingber, « A la recherche de la prestation caractéristique », Rev. dr. ULB, 1994, p. 55 s., F. Vischer, « The Concept of the Characteristic Performance Reviewed », in Liber Amicorum Georges Droz, Kluwer Law International, 1996, p. 499 s. 141 Voy. aussi en ce sens, R. Plender/M. Wilderspin (note 8), n° 7-057-7-058. 142 Cour d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s. 143 Voy. not. Cour d’appel, 23 mai 2001, n° 20289 du rôle; Cour d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s.; Cour d’appel, 20 juin 1995, n° 16651 du rôle; Cour d’appel, 10 mai 1994, n° 15664 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 1er juin 2005, n° 91269 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 27 février 2003, n° 47586 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 10 juillet 2002, n° 75629 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 20 juillet 2001, n° 49020 du rôle. 144 Cour d’appel, 11 juillet 2001, n° 24959 du rôle; Cour 21 Prix ALJB 2010 en cas de contrat de dépôt145, du vendeur en cas de contrat de vente146, de l’entrepreneur en cas de contrat d’entreprise147, du prête-nom en cas de contrat de prête-nom148, du livreur en cas de contrat de livraison149, de l’agent commercial en cas de contrat d’agence commerciale150. La fourniture d’un service, d’une assurance ou de l’activité bancaire constitue donc la prestation caractéristique151. 40. Contrats contenant une clause de compensation. – Dans certains cas, en particulier dans le secteur financier, les prestations dues par les parties au titre d’un contrat comprenant une ou plusieurs clauses de compensation peuvent être de multiples prestations réciproques, financières et en nature. Dans ce cas, on peut s’interroger sur l’identité de celui qui effectue la prestation caractéristique et sur la pertinence du facteur de rattachement proposé par l’article 4 §2 du Règlement Rome I. Il nous semble toutefois erroné d’ôter toute utilité au critère de la prestation caractéristique du fait que l’on est en présence de prestations réciproques multiples. Il n’entre pas dans l’objet de notre contribution d’analyser les hypothèses où le critère de la prestation caractéristique pourrait être retenu lorsque des parties se doivent des prestations réciproques multiples. Il est toutefois utile de mentionner l’étude réalisée par deux auteurs belges, A.-C. Van Gysel et J. Ingber152 pour lancer quelques pistes de réflexion. En substance, ces auteurs considèrent que, pour déterminer la prestation caractéristique, il convient tout d’abord de rechercher si la qualité d’une des parties au contrat permet ou non de déterminer la loi applicable. Ils citent, par exemple, les contrats bancaires où la loi du lieu du siège de la banque est applicable aux d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s.; Trib. arr. Luxembourg, 10 juillet 2002, n° 75629 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 20 décembre 1995, n° 45828 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826 du rôle. 145 Trib. arr. Luxembourg, 5 mai 1999, n° 59746 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 14 janvier 1999, n° 47824 du rôle. 146Cour d’appel, 18 juin 2008, n° 29158 du rôle; Cour d’appel, 25 octobre 2006, n° 30460 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 27 février 2003, n° 47586 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 4 octobre 2001, n° 4020/01 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 17 décembre 1993, n° 42054 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 29 novembre 1990, n° 39468 du rôle. 147Cour d’appel, 18 juin 2008, n° 29158 du rôle; Cour d’appel, 13 juillet 2006, n° 29278 du rôle; Cour d’appel, 10 mai 1994, n° 15664 du rôle. 148 Trib. arr. Luxembourg, 6 juin 2002, n° 49563 du rôle. 149 Trib. arr. Luxembourg, 20 juillet 2001, n° 49020 du rôle. 150 Cour d’appel, 21 février 2002, n° 25161 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 21 février 2002, n° 25161 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 17 février 2000, n° 47638 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 14 janvier 1999, n° 47252 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 7 juillet 1988, n° 37654 du rôle. 151 F. Schockweiler (note 24), n° 510; A.-C. Van Gysel/J. Ingber (note 140), p. 92-93. A propos des nuances à apporter en matière bancaire, voy. J. Stoufflet/E. Bouretz, « Banque et opérations de banque », JCL Droit international, 2007, Fasc. 566-25, n° 54 s. 152A.-C. Van Gysel/J. Ingber (note 140), p. 55 s. 22 relations contractuelles. Dans l’hypothèse où la qualité des parties ne peut pas être prise en compte (par exemple, lorsque les parties au contrat sont toutes les deux des banques), il faut distinguer les contrats unilatéraux des contrats synallagmatiques. Pour les contrats unilatéraux, la loi applicable est celle du lieu où se trouve le débiteur de la seule prestation. Pour les contrats synallagmatiques, trois hypothèses sont possibles: (i) prestation monétaire contre prestation en nature, (ii) pas de prestations monétaires et (iii) uniquement des prestations monétaires. Dans la première hypothèse (prestation monétaire contre prestation en nature), la loi applicable est celle du pays où se trouve le débiteur de la prestation en nature. Dans la seconde (pas de prestations monétaires), les auteurs recommandent de recourir à d’autres critères (par exemple, le lieu d’exécution ou de conclusion du contrat) car chacune des prestations peut être caractéristique. Dans la troisième hypothèse (uniquement des prestations monétaires), il convient de distinguer si l’argent constitue une rémunération (« argent rémunératoire ») ou plutôt un service ou un crédit au sens large (« argent service »). Seul ce dernier pourra être pris en compte pour déterminer la loi applicable. 41. Contrat ayant pour seul objet la compensation. – Lorsque deux parties concluent un contrat dont le seul objet est de régler la compensation de leurs obligations réciproques au titre de différents contrats conclus entre elles, le recours à l’article 4 §2 du Règlement Rome I est vain puisqu’il est impossible d’identifier le débiteur de la prestation caractéristique. C’est donc la règle sous-subsidiaire des liens les plus étroits qui devra s’appliquer. 3) Règle sous-subsidiaire 42. Liens les plus étroits. – À défaut de pouvoir déterminer la loi applicable en recourant aux rattachements fixes prévus pour les huit contrats mentionnés à l’article 4 §1 ou au rattachement subsidiaire de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique mentionné à l’article 4 §2, le Règlement Rome I prévoit à titre soussubsidiaire que le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (art. 4 §4). Cette disposition confère au juge une marge d’appréciation afin de déterminer la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation qui lui est soumise. Cette liberté ne doit cependant pas être exagérée dans la mesure où les règles de conflit de lois du Règlement Rome I doivent présenter un haut degré de prévisibilité (considérant 16). Le critère des liens les plus étroits n’a pas la même fonction dans la Convention de Rome (où il est le premier critère applicable en l’absence de choix de loi applicable) et dans le Règlement Rome I. La jurisprudence luxembourgeoise rendue sous ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 l’empire de la Convention de Rome pourra être consultée afin de connaître les critères auxquels les magistrats luxembourgeois ont généralement recours. Parmi ces critères, on mentionne habituellement le lieu de conclusion du contrat et le lieu d’exécution des obligations nées du contrat. Dans son analyse, le juge saisi pourra également prendre en compte l’existence de liens plus étroits avec un ou plusieurs autres contrats (considérant 21). 4) Clause d’exception 43. Liens manifestement plus étroits. – L’article 4 §3 du Règlement Rome I énonce que « [l]orsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2 [de l’article 4 du Règlement Rome I], la loi de cet autre pays s’applique ». Cette disposition, que l’on qualifie de clause d’exception, permet au juge d’appliquer la loi qui présente les liens manifestement plus étroits avec le cas qui lui est soumis. Elle apporte de la flexibilité dans la résolution du conflit de lois dans la mesure où elle permet d’écarter les rattachements de l’article 4 §1 et §2 dans l’hypothèse où l’application de ces rattachements n’apporterait pas de solution satisfaisante. A la différence de la Convention de Rome (art. 4 §5), le texte du Règlement Rome I exige que les liens soient « manifestement » plus étroits avec le pays en cause. L’ajout de cet adverbe vise, en effet, à faire en sorte que l’article 4 §3 reste d’un usage exceptionnel. Le juge pourra, entre autres, prendre en compte l’existence de liens étroits du contrat avec un ou plusieurs autres contrats (considérant 20). L’article 4 §3 ne précise pas si les liens manifestement plus étroits qui déclenchent l’application de la clause d’exception doivent avoir existé dès la conclusion de l’accord de compensation ou s’ils peuvent être apparus ultérieurement (à la suite, par exemple, d’un déplacement du lieu de l’administration centrale de l’une des parties). II paraît cependant raisonnable de s’en tenir en principe, par analogie avec l’article 4 §2, aux éléments existant lors de la conclusion de l’accord de compensation. 2. Domaine d’application de la loi déterminée 44. Questions générales relevant du droit des contrats. – En droit international privé des contrats, la loi du contrat est généralement dotée d’un empire très vaste afin d’assurer l’unité et l’économie du contrat. Il n’existe, à notre connaissance, pas de jurisprudence luxembourgeoise publiée relative au domaine de la loi de la compensation conventionnelle. Il nous semble que, pour assurer l’unité de compétence législative, l’ensemble du régime de la compensation doit relever de la lex ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 contractus. Il existe très peu de nouveautés sur ce point dans le Règlement Rome I par rapport à la Convention de Rome. L’article 12 du Règlement Rome I, qui reprend à l’identique le contenu de l’article 10 de la Convention de Rome, est un texte général qui énumère, à titre indicatif, une série de questions qui entrent dans le domaine de la loi du contrat. Ainsi, la lex contractus régit notamment: l’interprétation de l’accord de compensation, l’exécution des obligations qu’il engendre, les conséquences de l’inexécution totale ou partielle des obligations nées de l’accord de compensation, y compris l’évaluation du dommage dans la mesure où des règles de droit la gouvernent (dans les limites, toutefois, des pouvoirs attribués au juge saisi par son droit procédural), les divers modes d’extinction des obligations, ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l’expiration d’un délai, et les conséquences de la nullité de l’accord de compensation (art. 12 §1)153. En revanche, les modalités d’exécution et les mesures à prendre par le créancier en cas de défaut dans l’exécution des obligations nées d’un accord de compensation relèvent de la loi du pays où l’exécution a lieu (art. 12 §2). Enfin, l’existence et la validité d’un accord de compensation sont soumises à la loi qui serait applicable si cet accord était valable (art. 10 §1). 45. Questions propres à la compensation. – La loi applicable à la compensation conventionnelle régit, notamment, le type d’actifs à compenser154, la nature des créances à compenser155, les conditions de la compensation156, le moment auquel compenser, la manière dont la compensation fonctionne, la possibilité pour les parties de conférer un caractère fongible aux objets de plusieurs dettes qui n’auraient pas en soi ce caractère, le moment de l’extinction des obligations157 et le fait de savoir si une convention de compensation peut être tacite. 153 Sur le champ d’application de la lex contractus, voy. le Rapport Giuliano/Lagarde, p. 32-33; F. Schockweiler (note 9), n° 116 s.; Idem (note 24), n° 555 s.; J.-C. Wiwinius (note 24), n° 90 s. 154La compensation conventionnelle peut concerner des créances de sommes d’argent et des instruments financiers. 155La compensation conventionnelle peut ne pas pouvoir être invoquée à l’encontre d’une créance alimentaire ou salariale. 156A l’instar des deux autres types de compensation, la compensation conventionnelle exige au minimum que les dettes soient réciproques et qu’elles existent entre les mêmes personnes agissant en la même qualité (P. Van Ommeslaghe (note 61), n° 1562). 157 Les parties peuvent souhaiter que l’extinction de leurs obligations se fasse au moment de la conclusion du contrat de compensation (compensation immédiate) ou au moment prévu dans le contrat de compensation (compensation future). 23 Prix ALJB 2010 II. Compensation dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité internationale 46. Remarque introductive. – Le législateur européen, soucieux de garantir la sécurité juridique, a élaboré des règles de conflit de lois en matière d’insolvabilité internationale qui intéressent la compensation. Plusieurs instruments communautaires contiennent des règles en la matière. Il s’agit du Règlement Insolvabilité, de la Directive Banques158 transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 mars 2004159, de la Directive Assureurs160 transposée en droit luxembourgeois par la loi du 11 mars 2004161 et de la Directive Finalité162 transposée en droit luxembourgeois par la loi du 12 janvier 2001163. Dans la mesure où le Règlement Insolvabilité a succédé à la convention européenne du 23 novembre 1995 relative aux procédures d’insolvabilité (qui n’est jamais entrée en vigueur) et en a repris les principes, le Rapport Virgòs/Schmit164, qui est le 158Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (JO, L 125, 5 mai 2001, p. 15 s.). 159 Loi du 19 mars 2004 portant transposition dans la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier de la directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (Mémorial A, N° 45, 29 mars 2004, p. 708 s.). 160Directive 2001/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance (JO, L 110, 20 avril 2001, p. 28 s.). 161 Loi du 11 mars 2004 relative à l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurances et modifiant la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances (Mémorial A, N° 44, 29 mars 2004, p. 696 s.). 162 Directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (JO, L 166, 11 juin 1998, p. 45 s.). La Directive Finalité est modifiée par la directive 2009/44/ CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/ CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées (JO, L 146, 10 juin 2009, p. 37 s.). 163Loi du 12 janvier 2001 portant transposition de la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres dans la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier et complétant la loi du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier (Mémorial A, N° 16, 6 février 2001, p. 681 s.). Les dispositions relatives aux systèmes ont été transférées dans la loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement (Mémorial A, N° 215, 11 novembre 2009, p. 3698 s.). 164M. Virgòs/E. Schmit, Rapport sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité, 3 mai 1996 (réf. 6500/96). Le Rapport Virgòs/Schmit est notamment reproduit dans The EC Regulation on Insolvency Proceedings. A 24 commentaire officiel de cette convention, constitue une clé d’interprétation importante du Règlement Insolvabilité. Nous examinerons dans une première partie les règles de conflit de lois applicables lorsque la procédure d’insolvabilité est ouverte à l’étranger. Une seconde partie sera consacrée aux règles de conflit de lois applicables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg. A. Procédure d’insolvabilité ouverte à l’étranger 1. Règlement Insolvabilité 47. Champ d’application165. – Le Règlement Insolvabilité est entré en vigueur le 31 mai 2002 (art. 47) et est directement applicable dans l’ensemble des Etats membres, à l’exception du Danemark (considérant 33). Il s’applique « aux procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic » (art. 1 §1). Le Règlement Insolvabilité pose quatre conditions à son application. Il vise des « procédures collectives », ce qui exclut les actions individuelles (1ère condition). Les procédures d’insolvabilité visées doivent être fondées sur l’insolvabilité du débiteur (2ème condition). La notion d’« insolvabilité » n’est pas définie par le Règlement Insolvabilité. Il appartient à la loi de l’Etat d’ouverture de la procédure d’insolvabilité (lex concursus) de déterminer les conditions d’ouverture d’une telle procédure (art. 4 §2). Le « débiteur » peut être une personne physique ou morale, un commerçant ou un particulier (considérant 9). Il Commentary and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/ Isaacs), 2ème éd., Oxford University Press, 2009, p. 382 s. 165 Pour les détails, voy. D. Bureau, « La fin d’un îlot de résistance. Le Règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité », RCDIP, 2002, n° 6 s.; P. De Cesari/G. Montella, Le procedure di insolvenza nella nuova disciplina comunitaria. Commentario articolo per articolo del regolamento CE N. 1346/2000, Giuffrè, 2004, p. 81 s.; I. Fletcher, « Scope and Jurisdiction », in The EC Regulation on Insolvency Proceedings. A Commentary and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème éd., Oxford University Press, 2009, n° 3.01 s.; Idem, Insolvency in Private International Law. National and International Approaches, 2ème éd., Oxford University Press, 2005, n° 7.29 s.; M. Lemal, « La faillite (loi du 7 août 1997 sur les faillites) », in Traité pratique de droit commercial (Dir. Verougstraete), 2ème éd., tome II, Kluwer, 2010, n° 670 s.; F. Mélin, Le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, Bruylant/FEC, 2008, n° 15 s.; M. Raimon, Le règlement communautaire 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, LGDJ, 2007, n° 43 s.; P. L. C. Torremans, Cross Border Insolvencies in EU, English and Belgian Law, Kluwer Law International, 2002, p. 140 s.; I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 2003, n° 1180 s.; M. Virgòs/F. Garcimartín, The European Insolvency Regulation: Law and Practice, Kluwer Law International, 2004, n° 25 s.; B. Wessels, International Insolvency Law, Kluwer Law International, 2006, n° 10426 s. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 appartient également à l’Etat d’ouverture de la procédure d’insolvabilité de déterminer qui sont les débiteurs visés par le Règlement Insolvabilité (art. 4 §2 a)). Les procédures collectives doivent entraîner le « dessaisissement » total ou partiel du débiteur (3ème condition) et la désignation d’un « syndic » (4ème condition) qui est défini comme « toute personne ou tout organe dont la fonction est d’administrer ou de liquider les biens dont le débiteur est dessaisi ou de surveiller la gestion de ses affaires » (art. 2 b)). Le Règlement Insolvabilité ne s’applique que si le « centre des intérêts principaux » du débiteur est localisé dans l’Union européenne (considérant 14) et si les procédures d’insolvabilité ont des effets transfrontaliers (considérants 3 et 8). Enfin, le Règlement Insolvabilité exclut de son champ d’application les établissements de crédit, les entreprises d’assurances, les organismes de placement collectif et les entreprises d’investissement dont les services impliquent la détention de fonds ou de valeurs mobilières (art. 1 §2). Ces entités relèvent d’autres textes communautaires ou du droit commun de l’insolvabilité internationale que nous examinerons plus loin. 48. Description générale du mécanisme du Règlement Insolvabilité en matière de compensation. – La compensation n’est évoquée expressément que dans les considérants 26 et 27 ainsi que dans deux dispositions du Règlement Insolvabilité. Or, ce sont au total quatre dispositions qui intéressent la compensation. Tout d’abord, l’article 4 §2 d) du Règlement Insolvabilité prévoit, comme règle principale, que la loi de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité détermine « les conditions d’opposabilité d’une compensation ». Ensuite, l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité introduit une exception à la règle principale de l’article 4 §2 d) en disposant que « [l]’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer la compensation de sa créance avec la créance du débiteur, lorsque cette compensation est permise par la loi applicable à la créance du débiteur insolvable ». L’expression un peu laborieuse de « loi applicable à la créance du débiteur insolvable » doit s’entendre comme la loi applicable à la créance dont le débiteur insolvable est le titulaire envers l’autre partie166. On notera que la règle de l’article 6 §1 est semblable à celle prévue à l’article 17 du Règlement Rome I qui retient la règle de la loi de la créance passive en matière de compensation légale. Le Règlement Insolvabilité opte donc pour une solution où deux lois auraient vocation à s’appliquer en matière de compensation: la lex concursus comme règle principale et la loi 166Rapport Virgòs/Schmit, n° 108. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 applicable à la créance du débiteur insolvable (loi de la créance passive) en tant que règle subsidiaire. Puis, l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité prévoit une exception à la règle subsidiaire de l’article 6 §1 en disposant que celui-ci ne fait pas obstacle aux actions en nullité, en annulation ou en inopposabilité visées à l’article 4 §2 m) du Règlement Insolvabilité selon lequel la lex concursus détermine les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers. Ces règles visent les nullités de la période suspecte. Enfin, l’exception prévue à l’article 6 §2 fait ellemême l’objet d’une exception prévue à l’article 13 du Règlement Insolvabilité qui dispose que l’article 4 §2 m) « n’est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte la preuve que: [(i)] cet acte est soumis à la loi d’un autre État membre que l’État d’ouverture, et que, [(ii)] cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen, d’attaquer cet acte ». Les règles établies par le Règlement Insolvabilité en matière de compensation peuvent être récapitulées comme suit: 1) Règle principale: application de la lex concursus à la compensation (art. 4); 2) Règle subsidiaire: application de la loi de la créance passive à la compensation lorsque la lex concursus ne permet pas la compensation (art. 6 §1); 3) Exception à la règle subsidiaire: application des règles de la lex concursus aux actes préjudiciables envers les autres créanciers du débiteur insolvable (art. 6 §2 et art. 4 §2 m)); 4) Exception à l’exception à la règle subsidiaire: non application des règles de la lex concursus aux actes préjudiciables envers les autres créanciers du débiteur insolvable (i) si l’acte préjudiciable est soumis à la loi d’un Etat membre autre que l’Etat d’ouverture de la procédure d’insolvabilité et (ii) si la loi de cet autre Etat membre ne permet pas d’attaquer l’acte concerné (art. 13). On notera que la compensation est considérée comme un moyen d’extinction d’obligations réciproques lorsque l’article 4 du Règlement Insolvabilité s’applique tandis qu’elle assume un rôle de garantie lorsque l’article 6 §1 est invoqué167. Cette dernière disposition se situe, en effet, dans 167Rapport Virgòs/Schmit, n° 109; P. De Cesari/G. Montella (note 165), p. 150; European Financial Markets Lawyers Group, Protection for Bilateral Insolvency Set-off and Netting Agreements under EC Law, October 2004, n° 66 s., sp. n° 71; I. Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.100; M. Lemal (note 165), n° 703; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 185. 25 Prix ALJB 2010 la ligne de l’article 5 (droits réels des tiers) et de l’article 7 (réserve de propriété) du Règlement Insolvabilité qui établissent des régimes spéciaux destinés à protéger les droits des créanciers. Enfin, la fonction de garantie de la compensation est expressément rappelée dans le préambule du Règlement Insolvabilité: « La compensation devient ainsi une sorte de garantie régie par une loi dont le créancier concerné peut se prévaloir au moment de la naissance de la créance » (considérant 26). Les sections suivantes détaillent les règles résumées ci-dessus et examinent les questions particulières pouvant se poser en matière de compensation. a. Règle principale 49. Application de la lex concursus. – La règle de conflit de lois prévue par l’article 4 du Règlement Insolvabilité semble claire de prime abord. L’article 4 §1 indique, en effet, que la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est la lex concursus et l’article 4 §2 ajoute que la lex concursus détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure ainsi qu’une série d’autres questions énumérées à titre d’illustrations comme les débiteurs pouvant faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité, les pouvoirs du débiteur et du syndic et, ce qui nous intéresse davantage, les conditions d’opposabilité d’une compensation. 50. Interprétations doctrinales de l’article 4 du Règlement Insolvabilité. – Malgré sa clarté apparente, l’article 4 du Règlement Insolvabilité est l’objet de différentes interprétations en doctrine168. Ceci semble résulter des différentes versions linguistiques de l’article 4 §2 qui mentionne au titre de question régie par la lex concursus les « conditions d’opposabilité » de la compensation. Alors que la version anglaise paraît neutre (the conditions under which set-offs may be invoked), les versions française, espagnole (las condiciones de oponibilidad de una compensación), allemande (die Voraussetzungen für die Wirksamkeit einer Aufrechnung) et italienne (le condizioni di opponibilità della compensazione) se lisent de façon plus restrictive en ne mentionnant que les conditions d’opposabilité de la compensation. Une première lecture de l’article 4 §2 d) du Règlement Insolvabilité, isolée des autres dispositions de l’article 4, pourrait laisser croire que le législateur communautaire n’a voulu soumettre que les conditions d’opposabilité de la compensation à la lex concursus en laissant le soin à la loi de la créance passive de régir les autres aspects de la compensation. 168 Pour un aperçu de la question, voy. F. Mélin (note 165), n° 203; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181. 26 Une partie de la doctrine est donc d’avis que c’est la loi de la créance passive qui déciderait de la validité et de l’opposabilité de la compensation tandis que la lex concursus ne déterminerait que la place que peut occuper le créancier qui invoque la compensation par rapport aux autres créanciers du débiteur insolvable169. Selon cette approche, la première question que le juge saisi devrait se poser serait donc celle de savoir si le créancier dispose ou non du droit de compenser en vertu de la loi qui régit sa créance (application de la lex causae). Si le créancier bénéficie effectivement d’un tel droit, le juge devrait alors se demander si ce droit de compensation peut être invoqué dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité (application de la lex concursus). Cette interprétation, qui résulte d’une lecture restrictive de l’article 4 §2 d), ne nous semble cependant pas refléter la finalité du Règlement Insolvabilité et devrait donc être écartée. En effet, comme l’ont souligné les éminents auteurs M. Virgòs et F. Garcimartín, une telle interprétation du Règlement Insolvabilité aurait pour effet d’imposer un modèle national de compensation en cas d’insolvabilité d’un débiteur au niveau de l’Union européenne alors que le but du Règlement Insolvabilité est précisément de préserver la neutralité de l’article 4 à l’égard des différents modèles de compensation qui existent dans le droit des Etats membres170. Afin d’apprécier la portée de l’article 4 du Règlement Insolvabilité, certains auteurs171, à l’avis desquels nous nous rangeons, recommandent plutôt d’en faire une lecture globale. L’article 4 §1 confère, en effet, une compétence de principe à la lex concursus. Cette compétence connaît des exceptions prévues aux articles 5 et suivants du Règlement Insolvabilité. L’article 4 §2 liste, quant à lui, des exemples de questions soumises à la lex concursus, parmi lesquelles figurent expressément les conditions d’opposabilité de la compensation. La liste de ces exemples ne limite donc pas le champ d’application de la lex concursus mais vise uniquement à illustrer son rôle et à éliminer certains doutes concernant le champ d’application de l’article 4 §1172. 169D. Bureau (note 165), n° 82; M.-N. Jobard-Bachellier, « Le sort des garanties », in L’effet international de la faillite: une réalité ? (Dir. Jault-Seseke/Robine), Dalloz, 2004, p. 142. Voy. aussi les références citées par M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181. 170M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181-182. 171 F. Mélin (note 165), n° 203; Idem, « La loi applicable à la compensation dans les procédures communautaires d’insolvabilité », Clunet, 2007, n° 12 s.; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 182. 172 F. Mélin (note 171), n° 12-13; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 182. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 On notera que certains systèmes juridiques prévoient des règles particulières qui précisent les conditions et les effets de la compensation en cas d’insolvabilité. Ces règles existent parallèlement aux règles de droit commun régissant la compensation en dehors du contexte d’une procédure d’insolvabilité. D’autres systèmes juridiques se limitent à indiquer si une compensation, possible en vertu des règles de droit commun, peut produire des effets dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité173. L’article 4 du Règlement Insolvabilité doit être lu en tenant compte de ces différences. Lorsque le système juridique relève de la première catégorie (existence parallèle de règles de droit commun et de règles particulières en cas d’insolvabilité), la lex concursus déterminera si une compensation est possible et, dans l’affirmative, à quelles conditions. Le point d’attache sera, dans ce cas, l’article 4 §1 du Règlement Insolvabilité. En revanche, lorsque le système juridique appartient à la seconde catégorie (existence de règles de droit commun et de règles sur les seuls effets de la compensation de droit commun dans une procédure d’insolvabilité), il sera alors utile de se référer à l’article 4 §2 du Règlement Insolvabilité174. b. Règle subsidiaire 51. Application de la loi de la créance passive lorsque la lex concursus ne permet pas la compensation. – La règle principale de la lex concursus présente deux désavantages pour les professionnels du secteur financier. Tout d’abord, si une partie à un contrat souhaite évaluer les conséquences de l’éventuelle insolvabilité de son cocontractant, elle devra déterminer au préalable l’Etat membre où la procédure d’insolvabilité serait susceptible d’être ouverte à l’encontre de ce cocontractant175. Pour ce faire, elle devra avoir connaissance du lieu où se trouve le centre des intérêts principaux de son cocontractant lors de la conclusion de leur contrat. Une telle situation ne rencontre évidemment pas les attentes de cette partie si, durant l’existence du contrat, son cocontractant vient à transférer le centre de ses intérêts principaux. Ensuite, des parties croyant pouvoir se prévaloir d’une compensation au regard de la loi applicable à leurs créances réciproques ou d’un accord de compensation dont elles auraient choisi la loi applicable, pourraient voir leurs prévisions déjouées par l’ouverture d’une procédure 173Pour un aperçu en droit comparé, voy. M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 182. 174M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 182; Pour une illustration, voy. F. Mélin (note 165), n° 203; Idem (note 171), n° 13. 175I. Fletcher, Insolvency… (note 165), n° 7-82 et 7.98; Idem, « Choice of Law Rules », in The EC Regulation on Insolvency Proceedings. A Commentary and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème éd., Oxford University Press, 2009, n° 4.23; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 179. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 d’insolvabilité relevant d’une loi n’admettant pas la compensation. Cette solution va donc à l’encontre de la fonction de garantie que joue la compensation dans un contexte d’insolvabilité internationale176. Afin de pallier ces désavantages177, le Règlement Insolvabilité prévoit une exception à la lex concursus dans le but de protéger « la confiance légitime et la sécurité des transactions » (considérant 24). Selon l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer la compensation de sa créance avec la créance du débiteur insolvable lorsque cette compensation est permise par la loi de la créance passive. Le droit de compensation dépend ainsi d’une loi qui est prévisible dès la conclusion du contrat qui fait naître la créance du débiteur. Un changement du centre des intérêts principaux du débiteur insolvable n’affectera pas cette solution. Cette intention est clairement reflétée dans le préambule du Règlement Insolvabilité qui prévoit que si la lex concursus n’admet pas la compensation, un créancier a toutefois droit à une compensation si la compensation est possible en vertu de la loi applicable à la créance du débiteur insolvable (considérant 26). Ainsi, il est généralement admis que l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité a pour objet d’écarter l’application de toute restriction de la lex concursus aux questions liées à la compensation si celle-ci est autorisée par la loi de la créance passive178. On notera que la disposition de la loi de la créance passive en faveur de la validité de la compensation a été qualifiée de « sorte de loi de police » prévalant sur la lex concursus179. En pratique, si une banque luxembourgeoise et une société opérationnelle ayant le centre de ses intérêts principaux dans un autre Etat membre auquel le Règlement Insolvabilité s’applique ont conclu des contrats et si la société opérationnelle fait ultérieurement l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans cet Etat membre, le juge saisi devra d’abord examiner si la lex concursus admet l’opposabilité de la compensation. Si la lex concursus admet cette opposabilité, la compensation sera normalement possible. Cela 176M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 179. 177 Une approche permettant à des créanciers d’échapper à la lex concursus pourrait consister à demander l’ouverture d’une procédure secondaire dans un Etat membre où leur débiteur, déjà soumis à une procédure dans l’Etat membre où est situé le centre de ses intérêts principaux, dispose d’un établissement afin de se soumettre à la loi l’Etat de la procédure secondaire. Cette approche ne serait toutefois intéressante que si cette loi admettait la compensation (F. Mélin (note 165), n° 204; Idem (note 171), n° 15). 178V. Marquette, « L’incidence du règlement 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité sur les sûretés bancaires contractuelles », in Sûretés bancaires et financières, Cahiers AEDBF/EVBFR Belgium, Nº 15, Bruylant, 2004, n° 72. 179M. Raimon (note 165), n° 589. 27 Prix ALJB 2010 suppose bien évidemment que la loi de la créance passive soit différente de la lex concursus. Si la lex concursus ne reconnaît pas la compensation, le juge se tournera alors vers la loi de la créance passive pour savoir si la compensation peut être opposée dans le cadre de la procédure d’insolvabilité. Si la loi applicable à la créance du débiteur insolvable n’offre pas plus de possibilités de compensation que la lex concursus, cette dernière retrouvera alors un titre à s’appliquer180. 52. Notion de « compensation ». – Le Règlement Insolvabilité ne précise pas ce que recouvre le terme « compensation » utilisé à l’article 6 §1. Se pose donc la question de savoir si cette disposition ne vise que la compensation légale ou si elle inclut la compensation conventionnelle. Cette question est fondamentale pour les professionnels du secteur financier désireux de voir leurs accords de compensation rendus opposables dans un contexte d’insolvabilité internationale. Les sources disponibles confirment que l’article 6 §1 inclut la compensation conventionnelle. Tout d’abord, le Rapport Virgòs/Schmit (n° 110) prévoit dans son commentaire sur l’article 6 « qu’en cas d’accord portant sur la compensation conventionnelle de diverses créances entre deux parties, la loi de l’Etat contractant applicable à cet accord régira la compensation de créances visées par l’accord et nées avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ». Ensuite, M. Virgòs181 et F. Garcimartín182, confirment que la compensation conventionnelle est visée par l’article 6 §1 en invoquant trois éléments. Tout d’abord, l’article 6 §1 n’exclut pas expressément la compensation conventionnelle de son champ d’application. Ensuite, le champ d’application de l’article 6 §1 doit inclure la compensation conventionnelle afin de respecter son objectif qui est de protéger la confiance légitime des créanciers d’un débiteur insolvable et la sécurité des transactions (considérant 24). Enfin, 180P. Wautelet, « Le nouveau droit international privé belge », Forum financier / Droit bancaire et financier, 2005/II, n° 42. 181M. Virgòs, « The 1995 European Community Convention on Insolvency Proceedings: an Insider’s View », Forum Internationale, N° 25, n° 44. 182M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 191 s. L’argumentaire développé par M. Virgòs/F. Garcimartín a été critiqué par F. Mélin qui estime hasardeux de se baser sur la Directive Banques qui admet expressément la prise en compte de la compensation conventionnelle et le recours à la loi qui lui est applicable pour en déduire que la même approche devrait être retenue pour le Règlement Insolvabilité alors qu’aucune disposition du Règlement Insolvabilité ne va explicitement dans ce sens. De plus, cet auteur est d’avis qu’un argument de texte devrait aussi être pris en compte. L’article 6 §1 se réfère à « la loi applicable à la créance du débiteur insolvable ». Cette formule ne s’accorderait pas, selon F. Mélin, avec la proposition de prise en compte de la loi régissant l’accord de compensation ((note 165), n° 208; (note 171), n° 2628). 28 admettre que la compensation conventionnelle soit visée par l’article 6 §1 permet d’articuler le régime prévu par la Directive Banques qui sera examiné plus loin. A ce stade, on mentionnera que l’article 23 §1 de la Directive Banques contient une règle de conflit de lois semblable à celle de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité (application de la loi de la créance passive) mais que l’article 25 de la Directive Banques énonce, en outre, que les conventions de compensation sont régies exclusivement par la loi applicable au contrat régissant ces conventions (application de la lex contractus). Ne pas admettre que l’article 6 §1 s’applique à la compensation conventionnelle mènerait à une situation paradoxale car, dans ce cas, si une banque et une société opérationnelle concluaient un accord de compensation, la compensation conventionnelle serait opposable dans l’hypothèse où ce serait la banque qui ferait l’objet d’une procédure d’insolvabilité (application de l’article 25 de la Directive Banques) alors que la compensation conventionnelle ne serait pas opposable si c’était la société opérationnelle qui faisait l’objet d’une procédure d’insolvabilité (application – erronée – de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité)183. Au vu de ce qui précède, il ne fait donc aucun doute que les accords de compensation sont visés par la règle protectrice de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité184. Une autre question qui se pose est de savoir si l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité vise la compensation avec déchéance du terme (closeout netting). Cette forme de compensation est définie dans plusieurs textes185 dont la Directive Collateral186 qui donne la définition suivante: « une clause d’un contrat de garantie financière ou d’un contrat qui contient un contrat de garantie financière, ou, en l’absence de toute clause de ce type, toute disposition législative et réglementaire, en vertu de laquelle la survenance d’un fait motivant l’exécution, que ce soit par novation ou compensation ou d’une autre manière, entraîne les effets suivants: [(i)] le délai restant à courir avant l’échéance des obligations des parties est supprimé, de sorte que lesdites obligations sont soit immédiatement exigibles et exprimées comme une obligation de payer un montant représentant 183M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 193-194. 184 Voy. aussi en ce sens, M. Lemal (note 165), n° 703; I. Verougstraete (note 165), n° 1210. 185 Voy. les définitions données par l’article 2 k) de la Directive Finalité, par l’article 31 j) de La Convention d’Unidroit sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés et les recommandations 101 à 107 du Guide législatif sur le droit de l’insolvabilité de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. 186Directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (JO, L 168, 27 juin 2002, p. 43 s.). La Directive Collateral est modifiée par la directive 2009/44/CE citée à la note 162 ci-dessus. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 leur valeur courante estimée, soit éteintes et remplacées par une obligation de payer le montant susmentionné, et/ou [(ii)] un relevé est établi des sommes que se doivent mutuellement les parties en vertu de ces obligations et un montant égal au solde net doit être versé par la partie dont la dette est la plus élevée » (art. 2 §1 n)). La compensation avec déchéance du terme est une forme particulière de compensation187 élaborée par la pratique et destinée à assurer le règlement de dettes et de créances résultant, par exemple, de transactions financières. Puisque l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité ne prévoit pas d’exclusion ni de restriction en matière de compensation conventionnelle, nous estimons que cette disposition vise les accords de compensations relatifs à des créances monétaires réciproques et toutes les autres formes d’accords de compensation plus complexes dont la fonction est de prévoir la compensation comme les clauses de compensation avec déchéance du terme188. 53. Application des dispositions du droit de l’insolvabilité de la loi de la créance passive. – La question s’est posée de savoir si le juge examinant si la compensation est permise par la loi de la créance passive doit se référer aux dispositions de droit commun (applicables en l’absence d’insolvabilité) en matière de compensation de la loi concernée ou aux dispositions du droit de l’insolvabilité relatives à la compensation. Le rapport Virgòs/ Schmit (n° 109) est clair sur ce point: « [l]’article 6 constitue une exception à l’applicabilité générale de [la lex concursus] à cet égard en permettant la compensation dans les conditions prévues pour la compensation en cas d’insolvabilité189 par la loi applicable à la créance du débiteur insolvable ». La doctrine considère également que c’est bien aux règles de la loi de la créance passive applicables en matière d’insolvabilité qu’il faut se référer190 même si aucune procédure d’insolvabilité n’est ouverte dans cet État191. 187P. Van Ommeslaghe (note 61), n° 1560. 188 Voy. aussi en ce sens, M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 193. Contra: V. Marquette (note 178), n° 71. Cet auteur est d’avis que l’article 6 §1 ne s’applique pas à la compensation avec déchéance du terme au motif que la compensation n’est qu’un des éléments constitutifs de la compensation avec déchéance du terme. 189 C’est nous qui soulignons. 190 F. Mélin (note 165), n° 209; Idem (note 171), n° 30-31; G. Moss/T. Smith, « Commentary on Council Regulation 1346/2000 on Insolvency Proceedings », in The EC Regulation on Insolvency Proceedings. A Commentary and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème éd., Oxford University Press, 2009, n° 8.203; P. Nabet, La coordination des procédures d’insolvabilité en droit de la faillite internationale et communautaire, Litec, 2010, n° 148; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 187; I. Verougstraete (note 165), n° 1210; N. Watté, « L’opposabilité … » (note 1), n° 42. 191M. Raimon (note 165), n° 592. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 54. Créances nées avant la procédure d’insolvabilité. – L’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité ne précise pas si son régime de faveur vise à la fois les créances nées avant et celles nées après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. En se basant sur la lettre de l’article 6 §1, qui ne contient aucune limitation expresse, certains auteurs192 sont d’avis que l’article 6 §1 devrait s’appliquer sans distinguer les créances antérieures des créances postérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. En Belgique, N. Watté193 considère que la réponse à cette question devrait être réglée par la loi applicable à la créance du débiteur insolvable. Cette solution reposerait sur la philosophie de l’article 6 qui est de préserver le droit acquis à la compensation en vertu d’une loi différente de la lex concursus. Selon la majorité des auteurs194, cependant, l’article 6 §1 ne doit s’appliquer que dans l’hypothèse où les créances à compenser existaient avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Cette dernière solution doit, selon nous, être retenue. Tout d’abord, la finalité de l’article 6 §1 est de protéger les attentes des créanciers en matière de compensation lorsque ces attentes sont nées avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité195. Cette disposition s’applique dès lors aux créances nées, par exemple, de contrats conclus avant cette ouverture. Ensuite, en mentionnant que « [l]’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer la compensation de sa créance », le texte semble se limiter aux créances nées avant l’ouverture de la procédure196. Les créances nées après l’ouverture de la procédure devraient donc être soumises à la lex concursus et à l’article 4 du Règlement Insolvabilité197. 55. Créances régies par la loi d’un Etat membre ou d’un Etat tiers. – A l’inverse d’autres dispositions du Règlement Insolvabilité, l’article 6 §1 n’indique pas expressément que la loi de la créance passive doit être celle d’un Etat membre198. 192P. De Cesari/G. Montella (note 165), p. 153. 193N. Watté, « L’opposabilité … » (note 1), n° 42. 194Rapport Virgòs/Schmit, n° 110; D. Devos, « La directive européenne du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres », Euredia, 1999/2, n° 11; Idem, « Collateral transactions in payment and securities settlement systems: the EU Framework », Forum financier / Droit bancaire et financier, 2002/I, n° 11; F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note 171), n° 25; M. Hellner (note 26), p. 266; I. Fletcher (note 175), n° 4.24 et 4.26; G. Moss/T. Smith (note 190), n° 8.205; M. Virgòs (note 181), n° 44; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 188; B. Wessels (note 165), n° 10662. 195 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note 171), n° 25; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 188. 196 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note 171), n° 25. 197 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note171), n° 25; G. Moss/T. Smith (note 190), n° 8.205; B. Wessels (note 165), n° 10662. 198 Voy. sur ce point le Rapport Virgòs/Schmit, n° 93. 29 Prix ALJB 2010 Certains auteurs, dont nous partageons l’avis, estiment que les créances régies par la loi d’un Etat tiers entrent donc dans le champ d’application de l’article 6 §1199. Cette approche nous semble en accord avec l’esprit du Règlement Insolvabilité qui tend à favoriser la compensation200. Selon d’autres auteurs, la formulation de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité ne requerrait pas qu’il soit fait expressément référence à la loi d’un Etat membre dans le texte de l’article 6 §1 pour que cette restriction s’applique puisqu’elle est implicitement reconnue par la limitation du Règlement Insolvabilité au cadre communautaire201. Si cette dernière solution était retenue, les règles de conflit de lois de droit commun des Etats membres devraient s’appliquer en cas de créances régies par la loi d’un Etat tiers avec pour conséquence possible que la compensation ne serait pas aussi bien protégée que dans le cadre du Règlement Insolvabilité. c. Exception à la règle subsidiaire 56. Application de la lex concursus aux actes préjudiciables aux créanciers. – La règle principale rendant applicable la lex concursus à la compensation peut être écartée lorsque cette loi n’est pas favorable à la compensation et céder la place à la règle subsidiaire selon laquelle la loi de la créance passive s’applique à la compensation. Afin de protéger les créanciers du débiteur insolvable ne bénéficiant pas d’un droit de compensation, l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité prévoit cependant une exception à la loi de la créance passive et confère à la lex concursus un titre à s’appliquer aux actions en nullité, en annulation ou en inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers. Par conséquent, même si la compensation échappe à l’application de la lex concursus par l’effet de l’article 6 §1, la lex concursus entre à nouveau en jeu s’il y a lieu d’annuler ou de rendre inopposables des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers ou encore si l’ouverture de la procédure d’insolvabilité 199P. De Cesari/G. Montella (note 165), p. 152; I. Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.100-7.101 (cet auteur rappelle l’évolution historique du texte sur la règle subsidiaire applicable en matière de compensation et souligne que la référence initiale à la loi d’un Etat contractant a été supprimée du texte par la suite); Idem (note 175), n° 4.25; G. C. Giorgini, Méthodes conflictuelles et règles matérielles dans l’application des « nouveaux instruments » de règlement de la faillite internationale, Dalloz, 2006, n° 873; F. Mélin (note 165), n° 210; Idem (note 171), n° 32-33; P. Nabet (note 190), n° 148; M. Raimon (note 165), n° 590; P. L. C. Torremans (note 165), p. 178-179; I. Verougstraete (note 165), n° 1210; N. Watté, « L’opposabilité … » (note 1), n° 42; B. Wessels (note 165), n° 10665. 200 Voy. aussi en ce sens, F. Mélin (note 165), n ° 210; Idem (note 171), n° 33. 201G. Moss/T. Smith (note 190), n° 8.200 et 8.202; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 137 et n° 189. 30 entraîne automatiquement l’annulation de tels actes. 57. Accords de compensation conclus pendant la période suspecte. – Des accords de compensation conclus pendant la période suspecte sont susceptibles d’être annulés ou rendus inopposables en vertu des règles sur les actes préjudiciables aux autres créanciers du débiteur insolvable prévues par la lex concursus202. On notera qu’il appartient à la lex concursus de déterminer si c’est la conclusion d’un accord de compensation pendant la période suspecte ou le paiement effectué pendant cette période sur base d’un accord de compensation conclu en dehors de la période suspecte qui constitue l’acte préjudiciable aux créanciers203. 58. Changement de choix de loi applicable à la compensation. – Nous avons vu dans la première partie de cette contribution que l’article 3 §2 du Règlement Rome I autorise les parties à un accord de compensation à faire régir cet accord par une loi autre que celle qui le régissait antérieurement sous la double réserve que cette modification n’affecte pas la validité formelle de l’accord de compensation et ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Dans l’hypothèse où l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité menacerait l’une des parties à un accord de compensation, les parties pourraient être tentées de recourir à cette faculté. Un tel changement pourrait cependant être déclaré nul ou inopposable conformément aux dispositions prévues par l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité204. d. Exception à l’exception à la règle subsidiaire 59. Non application des règles relatives aux actes préjudiciables sous certaines conditions. – Lorsque la règle principale de l’article 4 rendant applicable la lex concursus est écartée au profit de la règle subsidiaire de l’article 6 §1 relative à la loi de la créance passive et que cette règle subsidiaire est frappée de l’exception prévue par l’article 6 §2 (qui renvoie à l’article 4 §2 m)) pour les actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers, l’exception de l’article 6 §2 fait à son tour l’objet d’une exception prévue à l’article 13 du Règlement Insolvabilité. En effet, cette disposition prévoit que l’article 4 §2 m) n’est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte la preuve que cet acte est soumis à la loi d’un État membre autre que celui de la lex concursus et que cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen, 202V. Marquette (note 178), n° 78; P. L. C. Torremans (note 165), p. 179. 203V. Marquette (note 178), n° 78. 204I. Fletcher, Insolvency (note 165), n° 7.101; G. C. Giorgini (note 199), n° 875. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 d’attaquer cet acte. Ainsi, par exemple, si une banque luxembourgeoise liée en vertu d’un accord de compensation à une société qui fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans un autre Etat membre peut prouver (i) que cet accord est soumis à une autre loi que la lex concursus et (ii) qu’en vertu de cette autre loi l’accord de compensation ne peut, par aucun moyen, faire l’objet d’une action en nullité, en inopposabilité ou en annulation dans ce cas d’espèce, alors la lex concursus devrait être écartée. L’exception de l’article 13 ne trouve cependant à s’appliquer que s’il n’existe aucun moyen d’attaquer l’acte de compensation qui cause préjudice aux autres créanciers. Le Règlement Insolvabilité ne précise pas le sens des mots « par aucun moyen ». Le Rapport Virgòs/Schmit (n° 137) indique sur ce point que l’acte préjudiciable aux autres créanciers ne doit être susceptible d’être attaqué ni sur la base des règles en matière d’insolvabilité, ni sur la base des règles générales applicables à l’acte. Il s’agirait, par exemple, des recours prévus en matière de nullités de la période suspecte205. Le Rapport Virgòs/Schmit (n° 137) précise également que les mots « en l’espèce » signifient que l’acte de compensation ne doit pas être susceptible d’être attaqué en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce206. e. Règle spéciale en matière de systèmes et de marchés financiers 60. Application de la loi de l’Etat membre du système ou du marché financier. – Le Règlement Insolvabilité contient une règle de conflit de lois spéciale concernant les systèmes de paiement, les systèmes de règlement d’opérations sur titres et les marchés financiers qui déroge à la règle principale selon laquelle la lex concursus s’applique à la compensation. Aux termes de l’article 9 du Règlement Insolvabilité, « [s]ans préjudice de l’article 5 [du Règlement Insolvabilité]207, les effets de la procédure d’insolvabilité sur les droits et obligations des participants à un système de paiement ou de règlement ou à un marché financier sont régis exclusivement par la loi de l’État membre applicable audit système ou marché ». Cette règle signifie que les effets de la procédure d’insolvabilité 205D. Bureau (note 165), n° 41 et note 125; F. Mélin (note 165), n° 205. 206 Voy. aussi M. Raimon (note 165), n° 513; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 240. 207L’article 9 §1 réserve l’application de l’article 5 du Règlement Insolvabilité dans l’hypothèse où un créancier ou un tiers serait titulaire de droits réels constitués dans le cadre d’un système ou d’un marché sur des biens du participant insolvable situés sur le territoire d’un autre Etat membre au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Les droits de ces créanciers ou tiers ne sont par conséquent affectés ni par la lex concursus ni par la loi applicable au système ou au marché. Sur cette réserve, voy. le Rapport Virgòs/Schmit, n° 124; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 218. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 sur les droits et obligations des participants (y compris le droit de compensation) sont soumis aux règles d’insolvabilité de l’Etat membre dont la loi est applicable au système ou au marché financier208. L’opposabilité de la compensation dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité affectant un participant sera à apprécier exclusivement en fonction de la loi du système ou du marché financier209. A l’instar de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité, l’article 9 constitue une exception à la lex concursus. Cependant, alors que l’article 6 §1 – qui est une règle de conflit de lois négative – se contente de garantir que l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité « n’affecte pas » le droit qu’un créancier peut opposer à la masse, l’article 9 constitue une règle de conflit de lois classique qui indique la loi qui s’applique à la question particulière exclue du champ de la lex concursus. On notera que le champ de l’article 9 se limite à la loi des Etats membres. Les règles de conflit de lois de chaque Etat membre retrouveront donc un titre à s’appliquer si le système ou le marché est régi par la loi d’un Etat tiers210. 61. Objectifs poursuivis par la règle spéciale. – Le Rapport Virgòs/Schmit (n° 120) apporte un éclaircissement sur les motifs qui ont conduit le législateur communautaire à prévoir une telle règle. L’article 9 du Règlement Insolvabilité a pour objet de faire produire à une procédure d’insolvabilité ouverte dans un Etat membre autre que celui du système ou du marché financier les mêmes effets que ceux qu’elle aurait produit dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte selon la loi de ce système ou marché. En soumettant les effets de l’insolvabilité exclusivement à la loi applicable au système ou au marché financier, l’article 9 sauvegarde la confiance générale dans les mécanismes de règlement et de liquidation des transactions prévus dans les systèmes ou sur les marchés financiers. En ce qui concerne ces mécanismes, le Rapport Virgòs/Schmit (n° 120) mentionne expressément la compensation et la compensation avec déchéance du terme211. Le considérant 27 du Règlement Insolvabilité indique, en outre, que les systèmes et les marchés financiers requièrent une protection particulière et que cette protection s’applique à la compensation prévue dans les systèmes conformément, notamment, à la Directive Finalité. En vertu de cette protection particulière, c’est la loi applicable au système ou au marché financier concerné qui devra s’appliquer 208Rapport Virgòs/Schmit, n° 121; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 216; B. Wessels (note 165), n° 10691. 209D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 12; Idem, « Collateral transactions … » (note 194), n° 12; I. Verougstraete (note 165), n° 1210. 210 Voy. aussi en ce sens, G. C. Giorgini (note 199), n° 428; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 219. 211 Voy. aussi M. Virgòs (note 181), n° 51; B. Wessels (note 165), n° 10690. 31 Prix ALJB 2010 à la compensation. Cette disposition vise à éviter toute modification des mécanismes de règlement et de liquidation des transactions prévues dans les systèmes ou sur les marchés financiers des États membres, en cas d’insolvabilité d’une des parties à une transaction. Enfin, il est précisé que les dispositions particulières de la Directive Finalité priment les dispositions générales du Règlement Insolvabilité. La Directive Finalité est une lex specialis par rapport à l’article 9 du Règlement Insolvabilité212. En conséquence, les règles nationales imposées sur base de la Directive Finalité l’emportent sur les règles générales du Règlement Insolvabilité213. 62. Notions de « participants à un système de paiement ou de règlement ou à un marché financier ». – Le Règlement Insolvabilité ne définit pas ces notions. Elles devraient être comprises comme dans le cadre de la Directive Finalité214. Aux termes de cette directive, un « participant » est « une institution, une contrepartie centrale, un organe de règlement, une chambre de compensation ou un opérateur de système »215 (art. 2 f)). Le « système » est défini comme « un accord formel convenu: [(i)] entre trois participants ou davantage, sans compter l’opérateur de ce système, un éventuel organe de règlement, une éventuelle contrepartie centrale, une éventuelle chambre de compensation ou un éventuel participant indirect, et comportant des règles communes ainsi que des procédures normalisées pour la compensation, qu’elle soit effectuée par l’intermédiaire d’une contrepartie centrale ou non, ou l’exécution des ordres de transfert entre participants, [(ii)] régi par la législation d’un État membre choisi par les participants; toutefois, les participants peuvent uniquement choisir la législation d’un État membre dans lequel l’un d’entre eux au moins a son siège social, et [(iii)] désigné, sans préjudice d’autres conditions d’application générale plus strictes prévues par la législation nationale, en tant que système et notifié à la Commission [européenne] par l’État membre dont la législation est applicable, après que cet État membre s’est assuré du caractère adéquat des règles de fonctionnement du système. Un accord conclu entre des systèmes interopérables ne constitue pas un système » (art. 212M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 212. 213M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 212. 214 Les définitions utilisées ici tiennent compte des changements opérés par la directive 2009/44/CE. Sur ces notions suite à la modification de la Directive Finalité, voy. S. Lo Giudice, « The EU Framework for Settlement Finality: its Past, Present and Future », Euredia, 2010/2, p. 189 s. Voy. aussi G. C. Giorgini (note 199), n° 426; F. Mélin (note 165), n° 222; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 212 s. 215 Les termes « institution », « contrepartie centrale », « organe de règlement », « chambre de compensation » et « opérateur de système » sont définies à l’article 2 de la Directive Finalité. 32 2 a)). Le « marché financier » est, selon le Rapport Virgòs/Schmit (n° 120), « [u]n marché situé dans un Etat [membre], où sont négociés des instruments financiers, d’autres avoirs financiers ou des contrats à terme sur marchandises et des droits d’option. Il se caractérise par des transactions régulières et ses conditions de fonctionnement et d’accès sont réglementées par la loi de l’Etat [membre] concerné, ce qui inclut, le cas échéant, un contrôle approprié exercé par les autorités chargées de la réglementation dans cet Etat [membre] »216. 63. Actes préjudiciables aux créanciers. – L’article 9 §2 du Règlement Insolvabilité dispose que l’article 9 §1 « ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action en nullité, en annulation ou en inopposabilité des paiements ou des transactions en vertu de la loi applicable au système de paiement ou au marché financier concerné ». Bien qu’il ne soit fait mention que du système de paiement, il nous semble que le système de règlement des opérations sur titres devrait également être visé par cette disposition. L’article 9 §2 n’est pas sans rappeler l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité. Cependant, contrairement à l’article 6 §2, les actions en nullité, en annulation ou en inopposabilité visées par l’article 9 §2 ne sont pas régies par la lex concursus mais par la loi applicable au système ou au marché financier. Cette solution a pour avantage d’assurer l’unité de la loi applicable aux questions liées à un système ou à un marché financier et de permettre aux professionnels du secteur financier intervenant dans un système ou sur un marché financier de faire reposer leurs attentes sur une seule loi, en principe connue, sans devoir prendre en considération d’autres lois potentiellement applicables217. Si, par exemple, une société néerlandaise agit en tant que participant à un système de paiement régi par la loi anglaise et fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité aux Pays-Bas, les lois de deux 216M. Virgòs/F. Garcimartín font également référence à la définition de « marché réglementé » contenue dans la Directive MIF pour inclure notamment les systèmes multilatéraux de négociation (Multilateral Trading Facilities) dans le champ de l’article 9 du Règlement Insolvabilité ((note 165), n° 215). Il s’agit d’un « système multilatéral, exploité et/ou géré par un opérateur de marché, qui assure ou facilite la rencontre - en son sein même et selon ses règles non discrétionnaires - de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à la négociation dans le cadre de ses règles et/ou de ses systèmes, et qui est agréé et fonctionne régulièrement conformément aux dispositions du titre III [de la Directive MIF] » (art. 4 §1 14)). Voy. aussi les exemples de marchés – dont les règles contiennent des clauses de compensation – cités par I. Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.109 et note 180; Idem (note 175), n° 4.32 et note 38. 217Rapport Virgòs/Schmit, n° 120 s.; I. Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.109; G. C. Giorgini (note 199), n° 428; P. L. C. Torremans (note 165), p. 181; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 217. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 Etats membres auront vocation à s’appliquer: la loi néerlandaise en tant que lex concursus et la loi anglaise en tant que loi du système. Sous réserve d’éventuels droits réels de créanciers ou de tiers, la loi anglaise déterminera les droits et obligations des participants au système (y compris les effets de la procédure d’insolvabilité sur la compensation) et appréhendera également les actions en nullité, en annulation et en inopposabilité218. La lex concursus sera dès lors totalement exclue. 2. Directive Banques 64. Champ d’application219. – Les établissements de crédit, exclus du champ d’application du Règlement Insolvabilité, font l’objet de règles particulières en matière de procédures d’insolvabilité. La Directive Banques est applicable à tous les Etats membres, y compris le Danemark, alors que le Règlement Insolvabilité – dont cette directive s’inspire fortement – n’est pas applicable au Danemark. La Directive Banques s’applique en outre à la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein220. Elle vise les établissements de crédit ainsi que leurs succursales au sens de l’article 1er, premier et troisième points de la directive 2000/12/CE221. Depuis la directive 2006/48/CE222, la notion d’établissement de crédit inclut les entreprises dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour leur propre compte et les établissements de monnaie électronique, au sens de la directive 2000/46/CE223, qui émettent des instruments de 218 Sur les hypothèses pratiques en matière de systèmes et de marchés financiers, voy. G. C. Giorgini (note 199), n° 429; F. Mélin (note 165), n° 224. 219Pour les détails, voy. J.-P. Deguée, « La directive 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit : une solution aux défaillances bancaires internationales ? », Euredia, 2001-2002/1, n° 14 s.; F. Mélin (note 165), n° 102 s.; Ph.-E. Partsch, Droit bancaire et financier européen, Larcier, 2009, n° 467 s.; B. Wessels, « Commentary on Directive 2001/24/EC on the Reorganisation and Winding-Up of Credit Institutions », in EU Banking and Insurance Insolvency (Ed. Moss/Wessels), Oxford University Press, 2006, n° 2.01 s. 220 Voy. l’Annexe IX de l’accord sur l’espace économique européen (JO, L 1, 3 janvier 1994, p. 3 s.). 221Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO, L 126, 26 mai 2000, p. 1 s.). 222Article 4 de la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (refonte) (JO, L 177, 30 juin 2006, p. 1 s.), telle que modifiée. Cette directive remplace la directive 2000/12/CE citée à la note 221 ci-dessus. 223Directive 2000/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 septembre 2000 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements (JO, L 275, 27 octobre 2000, p. 39 s.). Cette directive sera remplacée en 2011 par la directive 2009/110/ CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'accès à l'activité des établissements ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 paiement sous la forme de monnaie électronique224. Les procédures visées par la Directive Banques sont les mesures d’assainissement et les procédures de liquidation. Ces mesures comprennent notamment les mesures qui comportent la possibilité d’une suspension de paiements, d’une suspension des mesures d’exécution ou d’une réduction des créances (considérant 7). 65. Description générale du mécanisme de la Directive Banques en matière de compensation. – La Directive Banques fait référence à la compensation dans trois dispositions. La règle principale figure à l’article 10 §2 c) qui dispose que la loi de l’État membre d’origine (lex concursus) détermine les conditions d’opposabilité d’une compensation225. L’article 23 §1, qui constitue une exception à la règle principale de l’article 10 § 2c), consacre la règle de la loi de la créance passive. L’article 25 – qui n’a pas d’équivalent dans le Règlement Insolvabilité – précise que « [l]es conventions de compensation et de novation («netting agreements») sont régies exclusivement par la loi applicable au contrat régissant ces conventions » (lex contractus). Trois lois ont ainsi vocation à s’appliquer en matière de compensation lorsqu’un établissement de crédit fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité: (i) la lex concursus en tant que règle principale, (ii) la loi de la créance passive en tant que règle subsidiaire et (ii) la loi applicable à la convention de compensation en tant que règle spéciale. On notera également que l’article 23 §2 de la Directive Banques précise que le principe de l’article 23 §1 ne fait pas obstacle à l’application des règles de la lex concursus relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers. L’exception prévue à l’article 23 §2 fait également l’objet d’une exception prévue à l’article 30 de la Directive Banques. a. Règles similaires à celles retenues par le Règlement Insolvabilité 66. Synthèse des règles et renvoi. – La Directive Banques contient des règles similaires à celles du Règlement Insolvabilité. Les commentaires formulés ci-dessus à propos du Règlement Insolvabilité s’appliquent donc également à la Directive Banques sous réserve du commentaire de la règle spéciale prévue à l’article 25 de la Directive Banques en matière de compensation conventionnelle que nous formulons ci-dessous. de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO, L 267, 10 octobre 2009, p. 7 s.). 224 Sur ces notions, voy. J.-P. Deguée (note 219), n° 14; Ph.-E. Partsch (note 219), n° 326 s. 225 L’Etat membre d’origine correspond à l’Etat membre où l’établissement de crédit a été agréé (art. 4 7) de la directive 2006/48/CE). 33 Prix ALJB 2010 Les principes directeurs qui sous-tendent les dispositions de la Directive Banques tiennent en cinq éléments: 1) règle principale: application de la lex concursus à la compensation (art. 10); 2) règle subsidiaire: application de la loi de la créance passive à la compensation lorsque la lex concursus ne permet pas la compensation (art. 23 §1); 3) exception à la règle subsidiaire: application des règles de la lex concursus relatives aux actes préjudiciables aux autres créanciers du débiteur insolvable (art. 23 §2 et 10 §2 l)); 4) exception à l’exception à la règle subsidiaire: non application des règles de la lex concursus relatives aux actes préjudiciables (i) si l’acte préjudiciable est soumis à la loi d’un Etat membre autre que l’Etat d’ouverture et (ii) si la loi de cet autre Etat membre ne permet pas d’attaquer cet acte (art. 30) et 5) règle spéciale en matière de compensation conventionnelle: application exclusive de la lex contractus (art. 25). b. Règle spéciale en matière de compensation conventionnelle 67. Application exclusive de la lex contractus. – L’article 25 de la Directive Banques prévoit que les conventions de compensation sont régies exclusivement par la loi qui leur est applicable. Cet article n’a pas d’équivalent dans le Règlement Insolvabilité. L’existence de cette règle spéciale sur la loi applicable à la compensation conventionnelle dans la Directive Banques pourrait laisser croire – par une lecture a contrario – que la règle de conflit prévue à l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité ne vise pas la compensation conventionnelle. L’objectif poursuivi par la règle spéciale de l’article 25 nous montre qu’une telle interprétation est erronée. 68. Objectif de protection des marchés financiers et de ses participants. – La règle spéciale sur la compensation conventionnelle ne figurait pas dans le texte de la proposition de la Commission européenne226. Elle est apparue pour la première fois dans la position commune arrêtée par le Conseil le 17 juillet 2000227. Elle figurait dans un article 20 intitulé « Effets sur certains contrats et sur certains droits » et se lisait comme suit: « les conventions de compensation et de novation («contractual netting») entre l’établissement de crédit et sa contrepartie sont régis exclusivement par la loi de l’État membre applicable à ces conventions » (art. 20 §1 c)). Aux termes de la position commune, l’article 20 « contient des dispositions relatives aux effets des mesures et des procédures sur certains contrats et sur certains droits. Cet article déroge au principe fondamental de l’application de la lex concursus établi aux articles 3 et 10 226 Proposition initiale (JO, C 356, 31 décembre 1985, p. 55 s.) et proposition modifiée (JO, C 36, 8 février 1988, p. 1 s.). 227 Position commune (CE) N° 43/2000 arrêtée par le Conseil le 17 juillet 2000 (JO, C 300, 20 octobre 2000, p. 13 s.). 34 [application de la loi de l’Etat membre d’origine]. L’objectif global de cet article est de garantir la sécurité juridique dans des cas particuliers pour lesquels il est estimé que l’importance ou la nature particulière du contrat justifie la dérogation au principe d’universalité »228. La position commune précise que « [l]e paragraphe 1, point c), concerne des conventions de compensation et de novation («contractual netting») (conventions destinées à mettre en balance les soldes négatifs et les soldes positifs) entre un établissement de crédit et sa contrepartie […]. Dans [ce] cas, c’est la loi [de l’Etat membre229] applicable à la convention qui s’applique. Ces conventions sont couramment utilisées sur les marchés financiers et le Conseil estime que la fonction spéciale de ces contrats exige une dérogation au principe de l’application universelle de la loi de l’Etat membre d’origine afin de protéger le fonctionnement des marchés financiers et de garantir la sécurité juridique des parties contractantes »230. La position commune a été modifiée par la suite et la règle spéciale sur la compensation conventionnelle contenue à l’article 20 §1 c) a été transférée dans un article ayant la même teneur que celle de l’article 25 de la Directive Banques. Il résulte de ce qui précède que l’intention claire des auteurs de l’article 25 est d’écarter l’application de la lex concursus dans tous les cas231 – y compris en ce qui concerne les actes préjudiciables aux autres créanciers – afin de protéger le fonctionnement des marchés financiers et de garantir la sécurité juridique des professionnels du secteur financier. En conséquence, l’article 25 de la Directive Banques a pour effet d’écarter les règles de la lex concursus, en particulier les règles relatives aux actions en nullité, en annulation et en inopposabilité prévues à l’article 23 §2 (qui est équivalent à l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité) et de limiter le champ d’application de l’article 23 §1 à la compensation légale232. Comme nous l’avons déjà indiqué ci228 Position commune (CE) N° 43/2000, p. 28. 229 On notera que l’article 25 de la Directive Banques ne contient plus cette restriction à la loi d’un Etat membre. 230 Position commune (CE) N° 43/2000, p. 29. 231J.-P. Deguée (note 219), n° 41 et n° 63; Idem, « La directive 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit: enfin un droit international privé uniforme des procédures d’insolvabilité en matière bancaire ! », in Sûretés bancaires et financières, Cahiers AEDBF/EVBFR Belgium, Nº 15, Bruylant, 2004, n° 24; Idem, « The Winding Up Directive Finally Establishes Uniform Private Law for Banking. Insolvency Proceedings », European Business Law Review, 2004, n° 24. 232J.-P. Deguée (note 219), n° 66. Voy. aussi en ce sens, Doc. Parl. N° 5153 (p. 22): « Eu égard à l’article 61-14 [de la loi du 5 avril 1993 qui transpose l’article 25 de la Directive Banques en droit luxembourgeois] prévoyant une règle de conflit de lois dérogeant à la lex concursus pour les conventions de netting, le présent article [61-12 de la loi du 5 avril 1993 qui transpose l’article 23 de la Directive Banques en droit luxembourgeois] ne présente ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 dessus, l’article 25 n’implique en aucun cas l’exclusion de la compensation conventionnelle du champ d’application de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité233. La différence entre l’article 25 de la Directive Banques et l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité concerne essentiellement les règles relatives aux actes préjudiciables qui sont exclues pour l’article 25 mais qui restent applicables pour l’article 6234. 69. Notion de « compensation conventionnelle ». – La Directive ne précise pas ce qu’il faut entendre par « compensation conventionnelle ». Il nous semble, au vu de l’objectif poursuivi par l'article 25, que cette notion doive s’entendre dans un sens large et inclure, notamment, la compensation au sens strict ainsi que la compensation avec déchéance du terme235. c. Règle spéciale en matière de marchés réglementés 70. Application de la loi du contrat régissant les transactions sur un marché réglementé. – L’article 27 de la Directive Banques, qui constitue une exception à la lex concursus, prévoit une règle de conflit de lois selon laquelle les transactions effectuées dans le cadre d’un marché réglementé sont régies exclusivement par la loi applicable aux contrats régissant ces transactions. A la différence de l’article 9 du Règlement Insolvabilité (qui vise la loi du système ou du marché financier), l’article 27 pointe vers la loi applicable aux transactions. Même si la pratique montre que le règlement de marché peut prévoir que la loi applicable aux transactions est celle du marché, il est malheureux que les textes de l’article 27 de la Directive Banques et de l’article 9 du Règlement Insolvabilité soient différents alors qu’ils ont un objet similaire236. La notion de « marché réglementé » devrait être la même que celle utilisée dans la Directive MIF237. 3. Directive Assureurs 71. Champ d’application238. – La Directive Assureurs ne vise que les entreprises d’assurances un intérêt que pour la compensation légale [c’est nous qui soulignons]. Les parties à une convention de compensation vont en effet choisir comme loi applicable une loi dont les dispositions en matière d’insolvabilité ne remettent pas en cause la compensation ». 233M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 193-194. 234J.-P. Deguée (note 219), n° 63 s., sp. n° 66; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 194. 235Voy. aussi en ce sens, European Financial Markets Lawyers Group (note 167), n° 125. Voy. aussi B. Wessels (note 219), n° 2.138. 236J.-P. Deguée (note 219), n° 51; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 220. 237M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 215 et n° 220. 238 Pour les détails, voy. J.-P. Deguée, « Aspects juridiques de la liquidation des entreprises d’assurances », Euredia, 2003/4, n° 2 s.; F. Mélin (note 165), n° 95 s.; G. Moss/T. Smith, « Commentary on Directive 2001/17/ ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 qui ont obtenu un agrément au sens de l’article 6 de la directive 73/239/CEE239 ou de l’article 4 de la directive 2002/83/CE240. Les procédures d’insolvabilité visées par la Directive Assureurs sont les mesures d’assainissement et les procédures de liquidation. Cependant, à la différence de la Directive Banques, des procédures qui ne sont pas fondées sur l’état d’insolvabilité de l’entreprise d’assurances sont également visées par la Directive Assureurs. Ainsi, les procédures de liquidation volontaires impliquant l’intervention d’une autorité administrative ou judiciaire entrent dans le champ d’application de la Directive Assureurs241. a. Règles similaires à celles retenues par le Règlement Insolvabilité 72. Synthèse des règles et renvoi. – A l’instar du Règlement Insolvabilité et de la Directive Banques, la Directive Assureurs prévoit des exceptions à la lex concursus pour protéger la confiance légitime des créanciers et la sécurité de certaines transactions dans des États membres autres que l’État membre d’origine (considérant 24). En raison de la similarité des dispositions applicables en matière de compensation contenues dans la Directive Assureurs et le Règlement Insolvabilité, les commentaires formulés à propos de ce dernier s’appliquent également à la Directive Assureurs. Celle-ci compte également quatre règles: 1) règle principale: application de la lex concursus à la compensation (art. 9); 2) règle subsidiaire: application de la loi de la créance passive à la compensation lorsque la lex concursus ne permet pas la compensation (art. 22 §1); 3) exception à la règle subsidiaire: application des règles de la lex concursus relatives aux actes préjudiciables aux autres créanciers du débiteur insolvable (art. 22 §2 et 9 §2 l)) et 4) exception à l’exception à la règle subsidiaire: non application des règles de la lex concursus relatives aux actes préjudiciables (i) si l’acte préjudiciable est soumis à la loi d’un Etat membre autre que l’Etat membre d’origine et (ii) si la loi de cet autre Etat membre ne permet pas d’attaquer cet acte (art. 24). La Directive Assureurs ne contient pas de disposition semblable à l’article 25 de la Directive Banques. EC on the Reorganisation and Winding-Up of Insurance Undertakings », in EU Banking and Insurance Insolvency (Ed. Moss/Wessels), Oxford University Press, 2006, n° 3.01 s. 239 Première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO, L 228, 16 août 1973, p. 3 s.) telle que modifiée. 240 Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie (JO, L 345, 19 décembre 2002, p. 1 s.) telle que modifiée. 241J.-P. Deguée (note 238), n° 4. 35 Prix ALJB 2010 b. Règle spéciale en matière de marchés réglementés 73. Renvoi et actes préjudiciables aux autres créanciers. – L’article 23 §1 de la Directive Assureurs contient une règle de conflit de lois similaire à celle de l’article 9 du Règlement Insolvabilité. Elle n’a pas suivi la même voie que l’article 27 de la Directive Banques. Ainsi, selon la Directive Assureurs, la loi applicable au marché régit les effets d’une procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre d’une entreprise d’assurances sur les droits et obligations (y compris le droit de compensation) des participants à ce marché (exception faite éventuellement aux droits réels de créanciers ou de tiers). L’article 23 §2 de la Directive Assureurs permet, en outre, l’exercice d’actions en nullité, en annulation ou en inopposabilité prévues par la lex concursus. Les commentaires formulés ci-dessus à propos de l’article 9 du Règlement Insolvabilité sont valables pour la Directive Assureurs. 4. Directive Finalité 74. Champ d’application242. – La Directive Finalité s’applique aux Etats membres ainsi qu’à la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein243. La Directive Finalité s’applique à tout système de paiement et de règlement des opérations sur titres ainsi qu’à tout participant à un tel système entrant dans son champ d’application (art. 1 a) et b)). Elle veille, notamment, à ce que la compensation244 d’ordres de transfert à l’intérieur d’un système de paiement ou de règlement des opérations sur titres puisse produire ses effets en cas d’insolvabilité d’un participant. Les notions de « système » et de « participant », applicables pour la Directive Finalité, ont déjà été examinées ci-dessus dans le cadre de notre étude de l’article 9 du Règlement Insolvabilité. 75. Application de la loi du système. – L’article 8 de la Directive Finalité dispose que « lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre d’un participant à un système, les droits et obligations découlant de sa participation ou liés à 242 Pour les détails, voy. P. Bloch, « La directive 98/26/CEE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres », in Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF – France II (Ed. Mattout/De Vauplane.), Banque, 1999, p. 54 s.; D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 19 s.; Idem, « Collateral transactions … » (note 194), n° 19 s.; S. Lo Giudice (note 199), p. 189 s. et p. 218 s. 243 Voy. l’Annexe IX de l’accord sur l’Espace économique européen (JO, L 1, 3 janvier 1994, p. 3 s.). 244 La Directive Finalité définit la compensation comme « la conversion des créances et des obligations résultant d’ordres de transfert qu’un ou plusieurs participants émettent en faveur d’un ou plusieurs autres participants ou reçoivent de ceux-ci en une créance ou en une obligation nette unique, de sorte que seule une créance nette peut être exigée ou une obligation nette peut être due » (art. 2 k)). 36 cette participation sont déterminés par la législation applicable audit système ». L’article 8, qui rappelle notamment l’article 9 du Règlement Insolvabilité, dispose qu’en cas d’insolvabilité d’un participant (d’un Etat membre mais aussi d’un Etat tiers) à un système, ses droits et obligations envers le système pour les questions réglées par la Directive Finalité comme la compensation seront déterminés par la loi du système et non par la lex concursus245. Ainsi, lorsqu’une banque luxembourgeoise et une banque espagnole, qui participent à un même système de paiement régi par la loi anglaise, ont conclu des opérations de change à travers ce système et que la banque espagnole fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité en Espagne, l’opposabilité de la compensation des créances de la banque luxembourgeoise sera régie par la loi anglaise (loi du système). 76. Détermination de la loi du système. – La Directive Finalité envisage les systèmes comme des accords et consacre l’application de la loi d’autonomie (art. 2 a)). Les participants peuvent choisir la loi d’un Etat membre pour régir leur système246. Il doit s’agir de la loi d’un État membre dans lequel l’un d’entre eux au moins a son siège social (art. 2 a), 2ème tiret). En l’absence de choix de loi applicable, c’est en principe la loi de l’Etat où se trouve l’organe de règlement qui fournit la prestation caractéristique entre les participants du système qui devra s’appliquer sur base de l’article 4 §2 du Règlement Rome I247. 5. Règles applicables en l’absence de texte communautaire ou international 77. Application de la lex concursus aux rapports de droit préexistants. – Il n’existe pas, sur le plan communautaire, d’harmonisation complète en matière de procédures d’insolvabilité. Ainsi, par exemple, les organismes de placement collectif et les entreprises d’investissement qui fournissent des services impliquant la détention de fonds ou de valeurs mobilières ne font pas l’objet de règles particulières en matière de procédures d’insolvabilité. Or, ces personnes peuvent recourir à la compensation dans le cadre de leurs opérations financières. Se pose donc la question de savoir quelle solution apporte le régime de droit commun en matière de compensation lorsque ces personnes font l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Selon la jurisprudence, les effets qu’une procédure d’insolvabilité ouverte a sur les droits qu’un créancier peut invoquer envers le débiteur 245D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 36; Idem, « Collateral transactions … » (note 194), n° 36. 246P. Bloch (note 242), p. 70. 247 Voy. aussi en ce sens, P. Bloch (note 242), p. 70. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 insolvable s’apprécient selon la lex concursus248. Cette règle de conflit de lois vaut tant pour les procédures d’insolvabilité ouvertes au Luxembourg que pour celles déclarées à l’étranger249. Le principe d’application de la lex concursus est néanmoins atténué par l’application potentielle de lois de police ou de l’exception d’ordre public du for250. Ainsi, par exemple, si une banque luxembourgeoise a conclu un contrat avec un organisme de placement collectif établi en Suisse, la lex concursus (loi suisse) aura vocation à déterminer si la compensation légale ou conventionnelle (selon qu’il existe ou non un accord de compensation) est opposable dans le cadre de la procédure d’insolvabilité ouverte en Suisse. Cette solution a pour conséquence que si la lex concursus écarte la compensation, la banque luxembourgeoise qui l’invoque dans le cadre de la procédure suisse ne pourra pas bénéficier de la compensation. 78. Règle spéciale prévue pour les accords de compensation régis par la loi luxembourgeoise. – La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière251 contient des dispositions qui protègent les accords de compensation régis par la loi luxembourgeoise qui sont conclus avec une partie faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité à l’étranger. Bien qu’une analyse de ces dispositions de droit matériel sorte du champ de cette contribution, on notera que la loi du 5 août 2005 prévoit que les accords de compensation sont valables et opposables aux tiers, commissaires, curateurs, liquidateurs et autres organes similaires nonobstant l’existence d’une mesure d’assainissement, d’une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours étrangère (art. 20 (1)). De plus, la loi du 5 août 2005 précise que les dispositions étrangères régissant les mesures d’assainissement, les procédures de liquidation, les autres situations de concours ainsi que les saisies (civiles, pénales et judiciaires), confiscations pénales, cessions et aliénations des droits concernés ne sont pas applicables aux accords de compensation et ne font pas obstacle à l’exécution de ces accords (art. 20(4)). Cette disposition – qui constitue une loi de police252 – vise notamment à protéger les professionnels du secteur financier qui concluent des accords de compensation régis par la loi luxembourgeoise avec des personnes ne faisant pas l’objet d’un régime harmonisé en matière de procédures d’insolvabilité en écartant l’application de la lex concursus étrangère. 248 Trib. arr. Luxembourg, 10 novembre 1993, n° 538/93. 249P. Kinsch, « La faillite … » (note 45), n° 31. 250P. Kinsch, « La faillite du client … » (note 45), n° 19; Idem, « La faillite … » (note 45), n° 32-33. 251 Mémorial A, N° 128, 16 août 2005, p. 2212 s. 252 Doc. Parl. N° 5251, p. 20. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 B. Procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg 1. Règlement Insolvabilité 79. Application de la lex concursus ou de la loi du système ou du marché. – Lorsqu’un débiteur luxembourgeois fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité au Luxembourg253, le juge saisi examinera tout d’abord la règle de l’article 4 du Règlement Insolvabilité qui consacre l’application de la lex concursus à la compensation. Il consultera sa loi pour savoir quel sort est réservé à la compensation que pourrait invoquer un créancier du débiteur luxembourgeois insolvable. En ce qui concerne la compensation légale de créances, le juge luxembourgeois examinera sa loi – et non la loi de la créance passive254 – afin de déterminer si les conditions sont remplies pour reconnaître l’opposabilité d’une telle compensation dans le cadre de la procédure d’insolvabilité luxembourgeoise. Pour les accords de compensation régis par la loi luxembourgeoise, il aura nécessairement égard à la loi du 5 août 2005 qui immunise les accords de compensation en cas de procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg255. En présence d'un système ou d'un marché au sens de l'article 9 du Règlement Insolvabilité, c'est la loi applicable à ce système ou marché qui s'appliquera à la compensation. 2. Loi du 19 décembre 2004 portant transposition de la Directive Banques 80. Application de la lex concursus, de la loi régissant les transactions sur un marché ou de la lex contractus. – Le législateur luxembourgeois a, par la loi du 19 décembre 2004, transposé les règles de conflit de lois relatives à la compensation dans la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier256, telle que modifiée, qui contient les dispositions relatives à l’insolvabilité d’établissements de crédit et d’autres établissements qui ont la gestion de fonds de tiers: 1) règle principale (art. 61-2); 2) règle subsidiaire (art. 61-12 (1)); 3) exception à la règle subsidiaire (art. 61-12 (2) et 61-2 (2) l)); 4) exception à l’exception à la règle subsidiaire (art. 61-19) et 5) règles spéciales en matière de compensation conventionnelle (art. 61-14) et de marché réglementé (art. 61-16). Le juge luxembourgeois adoptera une attitude semblable à celle décrite cidessus pour le Règlement Insolvabilité. Il aura, 253 Les procédures luxembourgeoises expressément visées par le Règlement Insolvabilité et qui nous intéressent ici sont la faillite, la gestion contrôlée et le concordat préventif de la faillite. 254 A supposer que la loi de la créance passive ne soit pas la loi luxembourgeoise. 255 Voy. les articles 18 et suivants de la loi du 5 août 2005. 256 Mémorial A, N° 27, 10 avril 1993, p. 462 s. 37 Prix ALJB 2010 en outre, égard à la règle spéciale applicable en matière de compensation conventionnelle. 3. Loi du 11 mars 2004 portant transposition de la Directive Assureurs 81. Application de la lex concursus ou de la loi du marché. – Les règles de conflit de lois relatives à la compensation ont été transposées par la loi du 11 mars 2004 dans la loi du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances257, telle que modifiée, qui contient les dispositions relatives à l’insolvabilité des entreprises d’assurances: 1) règle principale (art. 58); 2) règle subsidiaire (art. 58-4 (1)); 3) exception à la règle subsidiaire (art. 58-4 (2) et 58 (2) l)); 4) exception à l’exception à la règle subsidiaire (art. 58-6) et 5) règle spéciale en matière de marché réglementé (art. 58-5). De la même façon que pour le Règlement Insolvabilité et la loi du 5 avril 1993, le juge luxembourgeois adoptera une attitude similaire à celle décrite ci-dessus. 4. Loi du 12 janvier 2001 portant transposition de la Directive Finalité 82. Application de la loi du système. – Le législateur luxembourgeois a transposé la Directive Finalité dans la loi du 5 avril 1993 et, afin de regrouper les dispositions légales relatives aux systèmes de paiement dans un seul et même texte, les dispositions concernant les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres ont été transférées dans le titre V de la loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement258. Un « système » constitue un « accord formel régi [(i)] par le droit luxembourgeois, désigné par la Banque centrale du Luxembourg en tant que système de paiement ou système de règlement des opérations sur titres et notifié par les soins du Ministre ayant dans ses attributions la place financière à la Commission européenne, ou [(ii)] par le droit d’un autre Etat membre, désigné en tant que système et notifié à la Commission européenne par un Etat membre » (art. 107 1)). La Banque centrale du Luxembourg tient le tableau officiel des systèmes de paiement et des systèmes de règlement des opérations sur titres notifiés à la Commission européenne (Article 110 (2)). La notion de « participant » utilisée par la loi du 10 novembre 2009 est large et vise « toute personne admise comme participant à un système, y compris une institution, une contrepartie centrale, un organe de règlement et une chambre de compensation » (art. 107 6))259. L’article 113 (1) de la loi du 10 257 Mémorial A, N° 84, 23 décembre 1991, p. 1762 s. 258 Mémorial A, N° 215, 11 novembre 2009, p. 3698 s. 259 Les termes « institution », « contrepartie centrale », « organe de règlement » et « chambre de compensation » 38 novembre 2009 consacre deux règles de conflit de loi. Il dispose tout d’abord que lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre d’un participant à un système luxembourgeois (participant pouvant être luxembourgeois ou étranger), les droits et obligations (y compris le droit de compensation) découlant de sa participation ou liés à cette participation sont déterminés par la loi luxembourgeoise. Dans l’hypothèse où le participant insolvable est luxembourgeois, la lex concursus et la loi du système coïncideront. Cette même disposition prévoit ensuite que lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre d’un participant luxembourgeois à un système régi par le droit d’un autre Etat membre, les droits et obligations (y compris le droit de compensation) découlant de sa participation ou liés à cette participation sont déterminés par la loi applicable à ce système. Dans ce cas, la lex concursus luxembourgeoise régissant la procédure d’insolvabilité du participant luxembourgeois devra céder face à la loi du système étranger. 5. Règles applicables en l’absence de texte communautaire ou international 83. Application de la lex concursus aux rapports de droit préexistants. – La règle de conflit de lois selon laquelle les effets d’une procédure d’insolvabilité s’apprécient selon la lex concursus s’applique lorsque la procédure est ouverte à au Luxembourg260. Ainsi, dans le cas où une banque canadienne a conclu un contrat avec un organisme de placement collectif luxembourgeois faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg, la lex concursus luxembourgeoise réglera le sort de la compensation légale ou conventionnelle des créances nées de ce contrat. 84. Règle spéciale prévue pour les accords de compensation régis par une loi étrangère. – Outre la protection qu'elle confère aux accords de compensation régis par la loi luxembourgeoise, la loi du 5 août 2005 contient également une règle spéciale qui immunise les accords de compensation régis par une loi étrangère lorsqu’ils sont conclus par une partie située au Luxembourg. L’article 24, qui figure dans la partie VI de la loi du 5 août 2005 intitulée « Dispositions de droit international privé », prévoit en effet que « les dispositions nationales visées à l’article 20 (4) [de la loi du 5 août 2005] sont inapplicables, au cas où […] la partie défaillante dans un arrangement de compensation est établie à Luxembourg ou y réside ». sont également définis à l’article 107 de la loi du 10 novembre 2009. 260P. Kinsch « La faillite … » (note 45), n° 31. ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 Prix ALJB 2010 Cette disposition signifie que le bénéficiaire (étranger ou luxembourgeois) d’un accord de compensation régi par une loi étrangère pourra opposer son droit de compensation en cas de procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg à l’encontre d’un débiteur luxembourgeois et que les règles luxembourgeoises relatives aux nullités ou à l’action paulienne seront inapplicables261. Composition du Jury du Prix ALJB 2010 Président du Jury : Me Philippe Dupont, Avocat à la Cour Membres : Mme Danièle Berna-Ost, Secrétaire Général, CSSF M. Philippe Bourin, Responsable Juridique Crédit Agricole Luxembourg, Vice-Président de l’ALJB Me André Hoffmann, Avocat à la Cour, Président de l’ALJB Me Patrick Kinsch, Avocat à la Cour Me Christian Kremer, Avocat à la Cour Mme Françoise Thoma, Membre du Comité de Direction BCEE 261 On notera que le projet de loi N° 6164 du 9 septembre 2010 visant notamment à modifier la loi du 5 août 2005 modifie l’article 24 dont la teneur est la suivante: « Les dispositions nationales visées à l’article 20 (4) sont inapplicables, au cas où le constituant d’une garantie financière ou de toute autre garantie similaire à laquelle une loi étrangère s’applique, ou la partie défaillante dans une opération de mise en pension ou à un arrangement de compensation auxquels une loi étrangère s’applique est établi à Luxembourg ou y réside ». ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011 39