Les regles de conflit de lois en matiere de compensation dans le

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Les regles de conflit de lois en matiere de compensation dans le
Prix ALJB 2010
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LES REGLES DE CONFLIT DE LOIS
EN MATIERE DE COMPENSATION
DANS LE SECTEUR FINANCIER
Par
Grégory Minne
Avocat à la Cour
Arendt & Medernach
Introduction
1. Intérêt du sujet. – La crise financière
internationale des dernières années a rendu les
professionnels du secteur financier plus attentifs à
la compensation de leurs obligations réciproques.
Le caractère singulier de la place financière
luxembourgeoise a pour effet que la compensation
comporte régulièrement un ou plusieurs éléments
d’extranéité entraînant un conflit de lois. En effet,
lorsqu’une relation juridique entre deux personnes
présente un caractère international, les lois de
plusieurs pays sont susceptibles de s’appliquer.
Ainsi, par exemple, si une société anglaise et une
société luxembourgeoise concluent régulièrement
des opérations financières mais n’ont pas prévu
d’accord particulier de compensation, les juristes
de chacune de ces sociétés consulteront leurs règles
de conflit de lois respectives pour savoir quelle loi
s’appliquera à la compensation de leur obligations
réciproques. En revanche, si les contrats conclus
entre ces sociétés contiennent des clauses relatives
à la compensation des créances nées de ces contrats
ou si ces sociétés ont conclu un accord général en
vertu duquel leurs obligations réciproques seront
compensées, se posera la question de savoir quelle
loi s’appliquera à cette compensation, selon que les
sociétés auront ou non choisi une loi applicable.
Par ailleurs, si l’une de ces sociétés rencontre des
difficultés financières et fait l’objet d’une procédure
d’insolvabilité, on peut se demander si la loi
applicable à cette procédure aura une incidence sur
la compensation et si la réponse à cette question sera
la même selon que la société en difficulté est une
société opérationnelle, une banque, une entreprise
d’investissement, une entreprise d’assurances ou un
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organisme de placement collectif. Enfin, se posera
également la question de savoir si la localisation
des deux sociétés sur le territoire de l’Union
européenne impliquera des réponses différentes
de celles qui seraient données si la contrepartie
de la société luxembourgeoise était établie en
Suisse ou dans l’Etat de New York. Ces questions
montrent à quel point la résolution des conflits de
lois en matière de compensation présente un intérêt
fondamental pour le secteur financier.
2. Notions. – La compensation, que l’on classe
traditionnellement parmi les modes d’extinction des
obligations, constitue à la fois un double paiement
abrégé et une garantie de paiement1. Sa fonction
de double paiement est d’une utilité économique
évidente dans le secteur financier puisqu’elle
simplifie les rapports entre les parties qui ne
doivent plus procéder à de multiples prestations
monétaires. Sa fonction de garantie permet au
créancier qui compense sa créance avec celle de
son débiteur de recevoir paiement à concurrence
du montant de la créance la plus faible et, dans
un contexte de procédure d’insolvabilité, d’éviter
d’entrer en concours avec les autres créanciers de
son débiteur devenu insolvable. Ces deux fonctions
expliquent pourquoi la compensation est prisée
1M. Ekelmans, « La loi applicable à la compensation »,
RDC-TBH, 2006/9, n° 2; M.-N. Jobard-Bachellier,
« Obligations », Rép. internat. Dalloz, 1998, n° 64; Y.
Loussouarn, « Les sûretés personnelles traditionnelles en
droit international privé », in Les sûretés, Feduci, 1984, p.
430 et 445; J.-P. Rémery, note sous Cass. fr. (civ.), 6 juin
1990, D., 1991, p. 139; N. Watté, « L’opposabilité des
sûretés dans le nouveau règlement européen des procédures
d’insolvabilité », Rev. dr. ULB, vol. 24, 2001, n° 39; Idem
« Questions de droit international privé des sûretés », in Le
droit des sûretés, Editions du Jeune Barreau, 1992, n° 43.
7
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par les professionnels du secteur financier tant
localement que sur le plan international.
Les formes que peut revêtir la compensation
diffèrent selon son origine. La compensation est
légale lorsqu’elle résulte de la loi, sans le concours de
la volonté des parties. Elle est judiciaire lorsqu’elle
fait intervenir un juge qui, saisi de deux demandes
fondées sur des créances réciproques dont l’une au
moins n’est pas liquide, procède à la liquidation de
ces créances et prononce leur extinction totale ou
partielle. Elle est conventionnelle quand elle naît
d’un accord de volontés entre parties. Cette triple
origine a des conséquences sur le terrain des conflits
de lois car les questions que la compensation suscite
en droit international privé appellent des réponses
différentes selon que la compensation est légale,
judiciaire ou conventionnelle2.
3. Précisions terminologiques. – Nous
utiliserons le terme « créance passive » pour
désigner la prétention qu’une partie (A) exerce
contre une autre partie (B) à laquelle B oppose
la compensation, et le terme « créance active »
pour nommer la prétention de B opposée en
compensation à la créance passive de A. Ainsi, si A
demande à B de lui payer 100 et que B lui oppose
une créance de 50, la créance de A est la créance
passive qui « subit » la compensation et celle de B
est la créance active.
La compensation conventionnelle peut prendre soit
la forme d’une ou de plusieurs clauses insérées dans
un contrat ayant un objet plus large (par exemple,
un contrat de prêt d’instruments financiers), soit
celle d’un contrat dont le seul objet est d’organiser
la compensation de créances entre parties. Sauf
lorsque la distinction sera nécessaire, nous
emploierons le terme « accord de compensation »
pour englober ces deux formes et nous présumerons
que les clauses de compensation contenues dans un
contrat ayant un objet plus vaste sont régies par la
même loi que ce contrat.
conventionnelle. La seconde partie est consacrée
au régime de la compensation dans l’hypothèse
de l’ouverture d’une telle procédure. Nous
examinerons les règles prévues par les instruments
communautaires pertinents ainsi que par le droit
commun. Notre étude se concentrera sur les règles
de conflit de lois relatives à la compensation entre
professionnels du secteur financier. Les règles
particulières du droit de la consommation ne seront
pas examinées3.
I. Compensation en dehors du
contexte d’une procédure
d’insolvabilité internationale
5. Remarque introductive. – Les incidences
de l’origine légale, judiciaire ou conventionnelle
de la compensation en matière de conflit de lois
seront examinées dans cette première partie. Dans
ce cadre, nous étudierons les règles en matière de
compensation légale et conventionnelle prévues
par le Règlement Rome I4 qui reprend dans les
grandes lignes le système mis en place par la
Convention de Rome5 mais comble toutefois
une lacune importante de celle-ci en matière de
compensation légale. La ressemblance entre ces
deux instruments nous autorisera, dans certains
cas6, à nous inspirer des sources disponibles
avant l’application du Règlement Rome I. Il
s’agit, notamment, du Rapport Giuliano/Lagarde
qui est le rapport explicatif de la Convention de
3
Enfin, les termes « insolvable » et « insolvabilité »
seront pris ici dans le sens le plus large et ne se
limiteront pas au seul état d’une personne faisant
l’objet d’une procédure collective luxembourgeoise
ayant pour objet son assainissement ou sa
liquidation.
4. Délimitation du sujet. – Notre contribution
comprend deux parties. La première partie a pour
objet les règles de conflit de lois applicables en
matière de compensation en dehors du contexte
d’une procédure d’insolvabilité internationale
ouverte à l’encontre de l’une des parties. Nous
aborderons successivement la compensation légale,
la compensation judiciaire et la compensation
4
5
6
2Y. Loussouarn (note 1), p. 445; N. Watté, « Questions
… » (note 1), n° 45.
8
Sur les contrats de consommation, voy. O. Boskovic, « La
protection de la partie faible dans le Règlement Rome I »,
D., 2008, p. 2175 s.; P. Cachia, « Consumer contracts in
European private international law: The sphere of operation
of the consumer contract rules in the Brussels I and Rome
I Regulations », European Law Review, juin 2009, p. 476
s.; F. J. Garcimartín Alférez, « New Issues in the Rome
I Regulation: the Special Provisions on Financial Market
Contracts », in Le nouveau règlement européen “Rome I”
relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles
(Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 161 s.,
sp. p.165 s.; P. Mankowski, « Consumer Contracts under
Article 6 of the Rome I Regulation », in Le nouveau
règlement européen “Rome I” relatif à la loi applicable
aux obligations contractuelles (Ed. Cashin Ritaine/
Bonomi), Schulthess, 2008, p. 121 s.; F. Ragno, « The
Law Applicable to Consumer Contracts under the Rome
I Regulation », in Rome I Regulation. The Law Applicable
to Contractual Obligations in Europe (Ed. Ferrari/
Leible), Sellier, 2009, p. 129 s.; P. Wautelet, « Rome I et
le consommateur de produits et services financiers », Rev.
eur. dr. cons., 4/2009, p. 776 s.
Règlement (CE) N° 593/2008 du Parlement européen
et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles (Rome I) (JO, L 177, 4 juillet
2008, p. 6 s.).
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles (JO, C 334, 30 décembre
2005, p. 1 s. (version consolidée)).
Sur l’interprétation des termes de la Convention de Rome
et du Règlement Rome I, voy. F. J. Garcimartín Alférez,
« The Rome I Regulation: Much Ado About Nothing? »,
The European Legal Forum, 2-2008, n° 7 et note 8.
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Rome préparé par M. Giuliano et P. Lagarde7. En
revanche, en matière de compensation judiciaire,
nous verrons que la solution apportée au conflit de
lois est d’origine doctrinale.
6. Champ d’application du Règlement
Rome I8. – Alors que la Convention de Rome
continue de régir les contrats conclus avant le 17
décembre 2009, le Règlement Rome I s’applique aux
contrats conclus à compter du 17 décembre 20099. Il
se substitue totalement au droit international privé
des Etats membres de l’Union européenne qui sont
liés par ses termes en matière de loi applicable aux
obligations contractuelles10. Le Règlement Rome I
a un caractère universel (art. 2). Il s’applique
lorsque la question de la loi applicable est posée
à une juridiction de l’un des Etats membres liés,
peu importe la nationalité des parties, le lieu de
leur établissement ou la loi qu’il désigne (il peut
s’agir de la loi d’un Etat membre ou de celle d’un
Etat tiers)11. Le Règlement Rome I est applicable
dans tous les Etats membres12, à l’exception du
7M. Giuliano/P. Lagarde, Rapport concernant la convention
sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO, C
282, 31 octobre 1980, p. 1 s.).
8 Pour les détails, S. Francq, « Le règlement “Rome I”
sur la loi applicable aux obligations contractuelles. De
quelques changements… », Clunet, 2009, n° 7 s.; H.
Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome du 19 juin 1980
et règlement “Rome I” du 17 juin 2008 », JCL Europe
Traité, 2009, Fasc. 3200 et JCL Droit international, 2009,
Fasc. 552-11, n° 28 s.; P. Lagarde/A. Tenenbaum, « De
la convention de Rome au règlement Rome I », RCDIP,
2008, n° 6 s.; V. Marquette, « Le Règlement “Rome I”
sur la loi applicable aux contrats internationaux », RDCTBH, 2009/6, n° 9 s.; C. Nourissat, « Le nouveau droit
communautaire des contrats internationaux. Le règlement
(CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles (“Rome I”) », Defrénois,
N° 19/09, 2009, n° 10 s.; R. Plender/M. Wilderspin, The
European Private International Law of Obligations, 3ème
éd., Sweet & Maxwell, 2009, n° 4-001 s. et n° 5-001 s.;
P. Wautelet, « Le nouveau droit européen des contrats
internationaux », in Actualités de droit international privé,
Anthémis, 2009, p. 9 s.
9 Sur l’application dans le temps du Règlement Rome I, voy.
le rectificatif publié au JO, L 309, 24 novembre 2009, p. 87
qui modifie l’article 28 du Règlement Rome I. Ce dernier
se lit aujourd’hui comme suit: « Le présent règlement
s’applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre
2009 ». La loi qui détermine le moment auquel un contrat
est conclu est la loi du contrat (H. Gaudemet-Tallon
(note 8), n° 40; F. Schockweiler, « La loi applicable
aux obligations contractuelles au Luxembourg, après
l’adoption, en droit national, des règles de la convention de
Rome du 19 juin 1980 », in Diagonales à travers le droit
luxembourgeois, 1986, n° 125; P. Wautelet (note 8), p. 9).
10H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 28; P. Mayer/V. Heuzé,
Droit international privé, 10ème éd., Montchrestien, 2010,
n° 693.
11 Pour un exemple, voy. Cour d’appel, 24 septembre 1998,
Pas. 31, p. 58 s.
12 Dès l’adoption du Règlement Rome I, l’Irlande a souhaité
y être soumise (considérant 44). Le Royaume-Uni a notifié
à la Commission, par lettre du 24 juillet 2008, son intention
d’accepter le Règlement Rome I et d’y participer. Suite à un
avis favorable transmis au Conseil le 11 novembre 2008, la
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Danemark (considérant 46). Il s’applique, dans
des situations comportant des conflits de lois, aux
obligations contractuelles relevant de la matière
civile et commerciale qui ne sont pas exclues de
son champ d’application (art.1 §1). Les notions
reprises à l’article 1 §1 ne sont pas définies par le
Règlement Rome I. Celui-ci indique, toutefois, que
son champ d’application matériel doit être cohérent
par rapport au Règlement Bruxelles I13 et au
Règlement Rome II14 (considérant 7)15. La notion
de « conflits de lois » est, cependant, définie dans
le Rapport Giuliano/Lagarde16 et a été reprise en
substance dans l’exposé des motifs du Règlement
Rome II. Elle vise toutes les « situations qui
comportent un ou plusieurs éléments d’extranéité
par rapport à la vie sociale interne d’un pays et
qui donnent vocation à s’appliquer à plusieurs
systèmes juridiques »17. La notion d’« obligation
contractuelle » variant en fonction du droit des
Etats membres auxquels le Règlement Rome
I s’applique, c’est à l’interprétation autonome
de cette notion donnée par la Cour de justice
qu’il convient de se référer18. La Cour de justice
Commission a adopté une décision le 22 décembre 2008
rendant le Règlement Rome I applicable au Royaume-Uni
(JO, L 10, 15 janvier 2009, p. 22). Le considérant 45 du
Règlement Rome I est aujourd’hui caduc.
13Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22
décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale (JO, L 012, 16 janvier 2001, p. 1 s.),
tel que modifié.
14 Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen
et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles (Rome II) (JO, L 199, 31
juillet 2007, p. 40 s.).
15 Sur l’interaction de ces règlements, voy. S. Francq, « Les
champs d’application (matériel et spatial) dans les textes de
référence. De la cohérence terminologique à la cohérence
systémique. En passant par la théorie générale… », in La
matière civile et commerciale, socle d’un code européen
de droit international privé ? (Dir. Fallon/Lagarde/Poillot
Peruzzetto), Dalloz, 2009, p. 35 s.; B. Haftel, « Entre
“Rome II” et “Bruxelles I”: l’interprétation communautaire
uniforme du règlement “Rome I” », Clunet, 2010, p. 761
s.; E. Lein, « La nouvelle synergie Rome I / Rome II /
Bruxelles I », in Le nouveau règlement européen “Rome
I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles
(Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 27
s.; F. Pocar, « Some Remarks on the Relationship
between the Rome I and the Brussels I Regulations », in
Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual
Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009,
p. 343 s.
16Rapport Giuliano/Lagarde, p. 10.
17 Exposé des motifs, COM(2003) 427 final, p. 9.
18A. Bonomi, « Conversion of the Rome Convention on
Contracts into an EC Instrument », Yearbook of Private
International Law, vol. V, 2003, p. 63-64; F. J. Garcimartín
Alférez (note 6), n° 12; H. Gaudemet-Tallon (note 8), n°
42; V. Marquette (note 8), n° 11; P. Wautelet (note 8), p.
12. Sur les notions de « matière civile et commerciale » et
de « matière contractuelle », voy. H. Gaudemet-Tallon,
Compétence et exécution des jugements en Europe.
Règlement 44/2001. Convention de Bruxelles (1968) et de
Lugano (1988 et 2007), 4ème éd., LGDJ, 2009, n° 36 s. et n°
178 s.
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a essentiellement défini la notion de « matière
contractuelle » dans le cadre de la délimitation
du champ d’application des articles 5, 1° et 5, 3°
de la Convention de Bruxelles19 et du Règlement
Bruxelles I. Ainsi, selon la Cour de justice, la
matière contractuelle suppose un « engagement
librement assumé d’une partie envers une autre »20.
La notion de « matière civile et commerciale » doit
également recevoir une interprétation autonome21
qui coïncide, en substance, avec les matières de
droit privé22. On notera d’ailleurs que le Règlement
Rome I exclut expressément les matières fiscales,
douanières et administratives (art. 1 §1).
est généralement admis que la solution se trouve
dans son article 10 §1 d) selon lequel les divers
modes d’extinction des obligations, en ce compris
la compensation légale, sont inclus dans le domaine
de la loi du contrat (lex contractus)24. Cette solution
n’est toutefois satisfaisante que si les créances
sont régies par la même loi. Si, par exemple, une
société grecque et une société luxembourgeoise ont
conclu en 2008 un contrat régi par la loi anglaise, la
compensation légale de leurs créances réciproques
nées de ce contrat sera soumise à la loi anglaise.
A. Compensations non
conventionnelles
9. Règles antérieures à la Convention de
Rome. – Lorsque les créances à compenser sont
régies par des lois différentes, chacune des lois a
un titre à s’appliquer. Ainsi, si l’une des parties
est allemande et l’autre luxembourgeoise et si l’un
de leurs contrats est soumis à la loi allemande et
l’autre à la loi luxembourgeoise, la question se
pose de savoir quelle loi régit la compensation
des créances réciproques issues de ces contrats.
Les solutions retenues varient en fonction des
systèmes juridiques25. Il n’entre pas dans notre
propos d’examiner toutes ces solutions, la
doctrine internationaliste ayant fait montre d’une
imagination très fertile26. Nous examinerons
1. Compensation légale
a. Détermination de la loi applicable
1) Règles antérieures au Règlement
Rome I
a) Cas où les créances à compenser sont
régies par la même loi
7. Règles antérieures à la Convention de
Rome. – La question de la loi applicable à la
compensation légale trouve une réponse évidente
lorsque les créances à compenser relèvent de la
même loi. C’est la loi commune aux deux créances
qui régit la compensation23.
8. Convention de Rome. – Aucune règle
explicite n’est prévue par la Convention de Rome
concernant la compensation légale. Cependant, il
19 Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant
la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale, approuvée par la loi du 8
août 1972 (Mémorial A, N° 57, 20 septembre 1972, p.
1364 s.).
20 Voy. Cour de justice, 20 janvier 2005, C-27/02, Engler,
Rec. 2005, I-481, n° 50; 5 février 2004, C-265/02, Frahuil,
Rec. 2004, I-1543, n° 24; 17 septembre 2002, C-334/00,
Tacconi, Rec. 2002, I-7357, n° 23; 27 octobre 1998,
C-51/97, Réunion européenne, Rec. 1998, I-6511, n° 17;
17 juin 1992, C-26/91, Handte, Rec. 1992, I-3967, n° 15.
21S. Francq, « Le Règlement Rome II sur la loi applicable
aux obligations non contractuelles. Présentation générale »,
in Actualités de droit international privé, Anthémis, 2009,
p. 77, note 22; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 10; P.
Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 6; V. Marquette (note
8), n° 12; C. Nourissat (note 8), n° 11.
22 H. Gaudemet-Tallon (note 8), n° 43. Voy. Cour de justice,
15 mai 2003, C-266/01, Préservatrice Foncière TIARD,
Rec. 2003, I-4867, n° 36 et les conclusions de M. l’Avocat
Général Dàmaso avant Cour de justice, 15 février 2007,
Lechouritou, Rec. 2007, I-1519, n° 35.
23H. Batiffol, Traité élémentaire de droit international privé,
2ème éd., LGDJ, 1955, n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde, Droit
international privé, 7ème éd., tome II, LGDJ, 1983, n° 614;
M.-N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 65;Y. Loussouarn
(note 1), p. 446; N. Watté, « Questions … » (note 1), n°
46; N. Watté/V. Marquette, « Faillite internationale –
Compétence – Effets d’une faillite prononcée à l’étranger
– sûretés réelles – droit de préférence », European Review
of Private Law, 1999, n° 51.
10
b) Cas où les créances à compenser sont
régies par deux lois différentes
24M. Ekelmans (note 1), n° 5; F. J. Garcimartín Alférez (note
6), n° 85; P. Lagarde, « Le nouveau droit international privé
des contrats après l’entrée en vigueur de la Convention de
Rome du 19 juin 1980 », RCDIP, 1991, n° 58; U. Magnus,
« Set-off and the Rome I Proposal », Yearbook of Private
International Law, vol. VIII, 2006, p. 114; Max Planck
Institute, Comments on the European Commission’s
Green Paper on the conversion of the Rome Convention
of 1980 on the law applicable to contractual obligations
into a Community instrument and its modernization, p. 87
(disponible sur www.mpipriv.de (dernière consultation:
15 octobre 2010)); F. Schockweiler (note 9), n° 134;
Idem, Les conflits de lois et les conflits de juridictions en
droit international privé luxembourgeois, 2ème éd. (mise à
jour par J.-C. Wiwinius), Paul Bauler, s.d., n° 574; J.-C.
Wiwinius, « La convention de Rome du 19 juin 1980 sur
la loi applicable aux obligations contractuelles. Aperçu de
la jurisprudence luxembourgeoise », Bulletin du Cercle
François Laurent, 2001/III, n° 106.
25 Pour un aperçu des solutions en droit comparé, voy.
Commission on European Contract Law, Principles of
European Contract Law - Part III (Ed. Lando/Clive/Prüm/
Zimmermann), Kluwer Law International, 2003, p. 139 s.;
Max Planck Institute (note 24), p. 87 s.; R. Zimmermann,
Comparative Foundations of a European Law of Set-Off
and Prescription, Cambridge University Press, 2002, p. 18
s. Voy. aussi les conclusions de M. l’Avocat Général Léger
avant Cour de Justice, 13 juillet 1995, Danværn Production
/ Schuhfabriken Otterbeck, C-341/93, Rec. 1995, p. I-2053
(n° 27 s. des conclusions) et avant Cour de justice, 10
juillet 2003, C-87/01 P, Commission / CCRE, Rec. 2003 p.
I-7617 (n° 44 s. des conclusions).
26 Sur les solutions proposées, voy. H. Batiffol (note 23), n°
629; H. Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614; M. Hellner,
« Set-off », in Rome I Regulation. The Law Applicable to
Contractual Obligations in Europe (éd. Ferrari/Leible),
Sellier, 2009, p. 253; Y. Loussouarn (note 1), p. 446-447;
U. Magnus (note 24), p. 115; J.-P. Rémery (note 1), p. 140;
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uniquement deux solutions qui ont trouvé un écho
en doctrine luxembourgeoise, à savoir la règle
du cumul des lois applicables aux créances à
compenser et celle de la loi applicable à la créance
passive27.
Des auteurs belges et français défendaient l’idée
– et certains la défendent probablement encore
aujourd’hui – selon laquelle, lorsque les créances
à compenser sont soumises à des lois différentes,
la compensation légale est limitée aux seuls
cas où elle est prévue par les deux lois régissant
les créances28. Cette approche était suivie en
jurisprudence française29. Le choix du rattachement
cumulatif, parfois qualifié de distributif30, repose
sur l’analyse du mécanisme de la compensation
qui est d’éteindre deux obligations31. Selon cette
approche, la compensation, constituant une cause
d’extinction totale ou partielle des obligations,
ne peut opérer que si elle est cumulativement
admise par la loi de chacune des obligations32.
Le rattachement cumulatif a l’avantage, écriton, de « préserver l’égalité entre les créanciers
et d’assurer la protection des intérêts de chacune
des parties »33. Il n’y a pas lieu de privilégier
la loi applicable à l’une des créances mais au
N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 47 s.
27 On notera, pour mémoire, quelques autres solutions
évoquées en doctrine: loi du juge saisi, loi de la créance
la plus récente, loi de la créance la plus ancienne, loi avec
laquelle la situation présente les liens les plus étroits, loi
de la résidence habituelle de la personne qui demande la
compensation ou encore loi autorisant la compensation.
28H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde
(note 23), n° 614 (ces auteurs observent qu’il ne s’agit pas
véritablement d’un conflit de lois mais de l’application
cumulative de conditions devant être remplies par
chacune des créances); M. Ekelmans (note 1), n° 1 et 5;
Idem, « L’arrêt CCRE et la compensation des créances
communautaires », Cah. dr. eur., 2003, n° 18; H.
Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome du 19 juin 1980
et règlement ”Rome I” du 17 juin 2008 », JCL Europe
Traité, 2009, Fasc. 3201 et JCL Droit international,
2009, Fasc. 552-15, n° 120; Idem, « Le nouveau droit
international privé européen des contrats (Commentaire de
la convention C.E.E. n° 80/934 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le
19 juin 1980) », Rev. trim. dr. eur., janvier-mars 1981, n°
84 (dans ces deux contributions, l’auteur semble toutefois
hésiter avec la loi applicable à la créance passive); M.N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 68; P. Lagarde (note
24), n° 58; Y. Loussouarn (note 1), p. 447; P. Mayer/V.
Heuzé (note 10), n° 749; V. Marquette (note 8), n° 46;
J.-P. Rémery (note 1), p. 140; F. Rigaux/M. Fallon, Droit
international privé, 3 ème éd., Larcier, 2005, n° 14.59.
29 Cour d’appel de Grenoble, 13 septembre 1995, RCDIP,
1996, p. 676 s., note D. Pardoel; Cour d’appel de Paris, 29
mars 1938, Clunet, 1938, p. 749 s., note P. Tager.
30 J.-P. Rémery (note 1), p. 140.
31N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 49.
32P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 749.
33 Groupe européen de droit international privé, Réponse
au Livre vert de la Commission sur la transformation de la
Convention de Rome en instrument communautaire ainsi
que sur sa modernisation, Vienne, 2003, n° 45 (disponible
sur www.gedip-egpil.eu (dernière consultation: 15 octobre
2010)).
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contraire de constater la réunion des conditions
de la compensation applicables à chacune des
créances34. La question posée à chacune de ces lois
est cependant différente35. Ainsi, à la loi régissant
la créance A, il est demandé si elle permet la
compensation avec la créance B, tandis que pour la
loi gouvernant la créance B, la question posée est
de savoir si elle est compensable avec la créance
A. Le rattachement cumulatif présente, cependant,
des inconvénients. Tout d’abord, si une des deux
lois refuse la compensation, les parties restent
tenues d’exécuter leurs obligations respectives, ce
qui est problématique lorsque ces parties doivent
effectuer de nombreuses prestations monétaires.
Ensuite, il ne permet pas de déterminer la loi
commune de la compensation puisque deux lois
trouvent à s’appliquer36. Enfin, le rattachement
cumulatif s’écarte de la règle retenue par l’article 6
du Règlement Insolvabilité37 et par d’autres textes
communautaires qui retiennent, comme nous le
verrons, la solution de la loi applicable à la créance
passive, ignorant ainsi la fonction de garantie de la
compensation38.
La Cour de justice s’est prononcée en 2003 sur
la question de la loi applicable à la compensation
entre une créance soumise à la loi belge et une
créance régie par le droit communautaire. Il est
utile de noter que la Convention de Rome n’était
pas applicable en l’espèce car l’une des créances
faisant l’objet du litige n’était pas contractuelle. La
Cour de justice a déclaré que « tant qu’elle opère
l’extinction simultanée de deux obligations, une
compensation extrajudiciaire entre des créances
gouvernées par deux ordres juridiques distincts ne
saurait intervenir que pour autant qu’elle satisfasse
aux exigences des deux ordres juridiques en
présence. Plus précisément, toute compensation de
cette nature requiert de s’assurer, en ce qui concerne
chacune des créances concernées, que les conditions
en matière de compensation que prévoit l’ordre
juridique dont elles relèvent, respectivement, ne se
trouvent pas méconnues »39. La règle du cumul a
ainsi été retenue par la Cour de justice.
Certains auteurs proposaient pour leur part
d’appliquer la loi de la créance à l’encontre de
34M. Ekelmans (note 28), n° 18.
35 J.-P. Rémery (note 1), p. 140.
36N. Watté, « Questions … » (note 1), n° 49.
37 Règlement (CE) N° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000
relatif aux procédures d’insolvabilité (JO, L 160, 30 juin
2000, p. 1 s.), tel que modifié.
38M. Ekelmans (note 1), n° 6.
39 Cour de justice, 10 juillet 2003, C-87/01 P, Commission
/ CCRE, Rec. 2003 p. I-7617, n° 61. Sur cet arrêt, voy. A.
Bouveresse, « La compensation de créances ne compense
pas l'absence de créance », Europe, Octobre 2003, p. 1415; M. Ekelmans (note 1), n° 12; Idem (note 28), n° 17-18;
M. Fallon, « Compensation légale de créances en dip et
ses effets dans l’ordre juridique communautaire », Revue@
dipr.be, 2003, p. 68 s.; U. Magnus (note 24), p. 116-117.
11
Prix ALJB 2010
laquelle est opposée la compensation (loi de la
créance passive)40. Cette solution, notamment
retenue en Allemagne41, a pour avantage de
protéger la partie envers qui la créance est invoquée
– et qui doit faire face aux conséquences de la
compensation invoquée par l’autre partie – en la
faisant bénéficier du régime juridique applicable
à sa créance42. De plus, elle permet au juge saisi
d’appliquer la même loi à la demande formulée
par la partie demanderesse et à la compensation43.
Enfin, elle est cohérente avec les solutions adoptées
par l’article 6 du Règlement Insolvabilité et par
d’autres textes communautaires en matière de
procédures d’insolvabilité.
Au Luxembourg, F. Schockweiler44 semblait
favorable à la règle de conflit désignant la loi de
la créance passive tandis que P. Kinsch a adopté la
solution du cumul des lois45. A notre connaissance,
il n’existe pas de jurisprudence luxembourgeoise
publiée sur le sujet.
10. Convention de Rome. – La Convention de
Rome ne donne pas de solution lorsque les créances
à compenser sont soumises à des lois différentes.
2) Règles sous l’empire du Règlement
Rome I
a) Cas où les créances à compenser sont
régies par la même loi
11. Solution ayant des conséquences identiques
à celle antérieure au Règlement Rome I. – L’article
17 du Règlement Rome I, qui porte l’intitulé
« Compensation légale », comble une lacune de
la Convention de Rome concernant cette forme de
compensation46. A l’époque où la Convention de
40B. Audit/L. d’Avout, Droit international privé, 6ème éd.,
Economica, 2010, n° 854 (ces auteurs semblent néanmoins
hésiter avec la règle du cumul). Voy. aussi les références
citées par H. Batiffol (note 23), n° 629 et note 58; H.
Batiffol/P. Lagarde (note 23), n° 614 et note 4; M.
Hellner (note 26), p. 256-257.
41H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note
28), n° 120; Groupe européen de droit international
privé (note 33), n° 46; P. Lagarde (note 24), n° 58;
Idem, « Remarques sur la proposition de règlement de
la Commission européenne sur la loi applicable aux
obligations contractuelles (Rome I), RCDIP, 2006, n° 22.
42M. Hellner (note 26), p. 256-257; Max Planck Institute
(note 24), p. 92.
43Max Planck Institute (note 24), p. 92.
44 F. Schockweiler (note 9), n° 134; Idem (note 24), n° 574.
45P. Kinsch, « La faillite du client étranger d’une banque
luxembourgeoise », in Droit bancaire et financier au
Grand-Duché de Luxembourg, Larcier, tome II, 1994,
n° 20 et note 80; Idem, « La faillite en droit international
privé luxembourgeois », Pas. 31, 1995, n° 34 et note 160.
Voy. aussi l’avis du Conseil d’Etat qui fait expressément
référence aux « lois applicables cumulativement aux
deux créances » dans son avis sur le projet de loi relatif
à l’assainissement et la liquidation des entreprises
d’assurances (Doc. Parl. N° 5108(3), p. 6).
46 Sur les discussions relatives à l’insertion d’un article sur
la compensation légale, voy. le Livre vert du 14 janvier
2003 sur la transformation de la Convention de Rome de
12
Rome a été discutée, les négociateurs ne se sont pas
mis d’accord sur la règle de conflit de lois à retenir
car ils n’ont pu départager la solution française du
cumul des deux lois et la solution allemande de la
loi de la créance passive47. Le Règlement Rome I
a finalement retenu la solution allemande48. Son
article 17 dispose en effet qu’« [à] défaut d’accord
entre les parties sur la possibilité de procéder à
une compensation, la compensation est régie par
la loi applicable à l’obligation contre laquelle
elle est invoquée ». Ainsi, lorsque les créances
à compenser relèvent de la même loi, la solution
retenue par le Règlement Rome I (loi de la créance
passive) a les mêmes conséquences que la solution
retenue avant l’entrée en application du Règlement
Rome I (loi commune des créances). Par exemple,
si une société belge et une société luxembourgeoise
ont des créances réciproques régies par la loi
belge et que la société luxembourgeoise invoque
la compensation à l’encontre de la société belge,
les questions concernant cette compensation seront
soumises à la loi belge.
b) Cas où les créances à compenser sont
régies par deux lois différentes
12. Solution nouvelle: loi applicable à la
créance passive. – En optant pour la loi applicable
à la créance passive, l’article 17 du Règlement
Rome I facilite la compensation de créances
soumises à des lois différentes, tout en respectant
les attentes légitimes de la personne qui n’a pas
pris l’initiative de la compensation49. Ainsi, dans
l’hypothèse où une société espagnole demande à
une société luxembourgeoise le paiement d’une
créance soumise à la loi espagnole et que la société
luxembourgeoise invoque la compensation avec
une créance régie par la loi luxembourgeoise, les
questions liées à la compensation seront régies
par la loi espagnole. On notera que l’article 17
ne s’applique qu’à la compensation légale – la
compensation conventionnelle est expressément
exclue50 – et qu’il n’inclut pas les obligations non
contractuelles51.
1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en
instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation
(COM(2002) 654 final) et les nombreuses réponses
disponibles
sur
http://ec.europa.eu/justice/news/
consulting_public/rome_i/news_summary_rome1_
en.htm# (dernière consultation: 15 octobre 2010).
47P. Lagarde (note 41), n° 22.
48 Pour une critique de cette solution, voy. Groupe européen
de droit international privé (note 33), n° 46.
49 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 9.
50 La solution retenue par l’article 17 du Règlement Rome
I ne concerne pas la compensation conventionnelle qui
est soumise aux règles générales des articles 3 et 4 du
Règlement Rome I (Exposé des motifs, COM(2005) 650
final, p. 9; F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 85).
51 L’article 1 §1 du Règlement Rome I limite, en effet, le
champ d’application de celui-ci aux seules obligations
contractuelles. Voy. aussi en ce sens, M. Ekelmans (note
1), n° 16. Contra: U. Magnus (note 24), p. 118.
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b. Domaine d’application de la loi
déterminée
13. Exemples de questions régies par la loi
de la créance passive. – Une fois que la loi
applicable à la compensation légale est déterminée,
il est nécessaire de savoir ce qu’elle régit. La
question qui vient alors à l’esprit est la suivante:
cette loi régit-elle tous les aspects que soulève la
compensation légale ou peut-elle être contrainte de
s’incliner face à d’autres lois ? Il est, en principe,
admis que la loi désignée en vertu de la règle de
conflit de lois détermine l’ensemble du régime
de la compensation légale52. Sans prétendre à
l’exhaustivité, les questions suivantes sont régies
par la loi de la créance passive53: la possibilité
de compenser, le type d’actifs à compenser54, la
nature des créances à compenser55, les conditions
de la compensation56, le moment et la manière dont
la compensation doit être invoquée57, le moment
où la compensation prend effet58, la possibilité
pour les parties d’exclure la compensation dans
leurs relations ou pour une partie de renoncer à
s’en prévaloir et la possibilité pour une partie
d’invoquer à l’encontre d’une succursale d’une
société la compensation d’une créance qu’elle
possède envers cette société. C’est en revanche la
loi propre à chaque créance qui détermine si cette
créance existe ou non.
2. Compensation judiciaire
a. Détermination de la loi applicable
14.
Loi du for. – Les conflits de lois en
matière de compensation judiciaire semblent plus
faciles à résoudre. La doctrine internationaliste
ne s’attarde d’ailleurs généralement pas sur ce
52M. Hellner (note 26), p. 258; N. Watté, « Questions … »
(note 1), n° 54.
53 Sur le domaine de la loi applicable pour la compensation
légale, voy. M. Hellner (note 26), p. 258 s.; U. Magnus
(note 24), p 121-122.
54 La compensation peut ne viser que les créances de sommes
d’argent ou y inclure également d’autres choses fongibles.
55 Dans certains systèmes juridiques, la compensation ne peut
pas être invoquée à l’encontre d’une créance alimentaire,
salariale ou fiscale.
56 Les conditions de la compensation légale peuvent varier
selon les systèmes juridiques. Ainsi, la loi applicable peut
requérir la réunion de différentes conditions: (i) créances
réciproques, (ii) créances entre les mêmes personnes
agissant en la même qualité (chacune est créancière et
débitrice de l’autre), (iii) créances fongibles, exigibles et
liquides.
57 Dans certains systèmes juridiques, comme le système
luxembourgeois, la compensation légale est automatique
pour autant que les conditions prévues par la loi
soient réunies. Dans d’autres systèmes juridiques, la
compensation légale nécessite une déclaration de volonté
de la partie qui l’invoque.
58 Le moment où la compensation devient effective varie
selon les systèmes juridiques. Il peut correspondre,
notamment, au moment où toutes les créances viennent à
exister ou à celui où la déclaration de compensation est
faite par la partie qui l’invoque.
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type de compensation. La majorité des auteurs se
prononce en faveur de l’application de la loi du
pays où siège le juge saisi (lex fori) au motif qu’elle
est fondée sur le pouvoir du juge de remédier à
l’absence des conditions de fond requises pour la
compensation légale59. La compensation judiciaire
a lieu lorsque le juge liquide les créances et leur
confère les caractéristiques requises pour en
permettre la compensation. Ainsi, si une société
luxembourgeoise intente une action devant une
juridiction luxembourgeoise pour obtenir le
paiement d’une somme d’argent qui lui est due par
une société irlandaise au titre de l’un des contrats
qu’elles ont conclus ensemble, cette dernière
pourra introduire une demande reconventionnelle
devant cette même juridiction pour demander
la compensation judiciaire alors même que sa
créance contre la société luxembourgeoise n’est
pas liquide60.
b. Domaine d’application de la loi
déterminée
15. Exemples de questions régies par la loi
du for. – Les points suivants sont régis par la
loi du for qui a vocation à s’appliquer au régime
de la compensation judiciaire: la possibilité
d’invoquer la compensation, les conditions de
la compensation61, le moment à partir duquel la
demande de compensation doit être formulée par le
défendeur devant le juge62, la forme dans laquelle
cette demande doit être formulée63 et la mesure
59H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde
(note 23), n° 614; F. Despagnet, Précis de droit
international privé, 5ème éd., LGDJ, 1909, n° 316 (bien que
cet auteur affirme qu’il faille s’en tenir à la loi du for, il
écrit que la question de savoir si la dette est susceptible de
compensation est fixée par la loi du contrat); M. Ekelmans
(note 1), n° 20; H. Gaudemet-Tallon, « Convention de
Rome … » (note 28), n° 120; Idem, « Le nouveau droit … »
(note 28), n° 84; M.-N. Jobard-Bachellier (note 1), n° 83;
P. Kinsch, « La faillite du client … » (note 45), n° 20 et
note 80; Idem, « La faillite … » (note 45), n° 34 et note 160;
Y. Loussouarn, (note 1), p. 448; U. Magnus (note 24), p.
120; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 749 et note 98; J.-P.
Rémery (note 1), p. 140; F. Schockweiler (note 9), n° 134;
Idem (note 24), n° 574; N. Watté, « Questions … » (note
1), n° 50-51 (cet auteur considère qu’il ne faudrait admettre
la compétence de la lex fori que si « les créances en cause
[sont], quant au principe en tout cas, compensables au
regard de la législation étrangère qui les régit ». Cette
position est critiquée par M. Ekelmans ((note 1), n° 20) au
motif qu’elle reviendrait à appliquer un système de cumul
à la compensation judiciaire).
60 Pour un exemple, voy. Trib. arr. Luxembourg, 29 février
1996, numéro 54678 du rôle.
61 Comme les deux autres formes de compensation, la
compensation judiciaire requiert que les dettes soient
réciproques et existent entre les mêmes personnes agissant
en la même qualité (P. Van Ommeslaghe, Droit des
obligations, tome 3, Bruylant, 2010, n° 1562).
62La lex fori précisera s’il est possible de demander la
compensation judiciaire pour la première fois en instance
d’appel.
63La lex fori indiquera si la demande de compensation doit
être formulée par une demande que le défendeur oppose
13
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dans laquelle la créance invoquée par le défendeur
envers laquelle une demande en paiement est
formulée peut être facilement constatée et liquidée
sans porter préjudice au demandeur.
B. Compensation conventionnelle
1. Détermination de la loi
applicable
a. Règles particulières en matière de
capacité
16. Personnes morales. – La capacité juridique
des personnes morales de conclure un accord
de compensation n’entre pas dans le champ
d’application du Règlement Rome I (art. 1 §2
f)). Cette question est réglée par la loi applicable
à la personne morale (lex societatis). En droit
luxembourgeois, la capacité juridique d’une société
commerciale est régie par la loi du pays où se situe
son administration centrale64.
17. Mandat. – Les professionnels du secteur
financier agissent parfois par le truchement
d’intermédiaires pour conclure un accord de
compensation en leur nom et pour leur compte.
La capacité juridique du mandataire d’agir au
nom et pour le compte du mandant relève de
la lex societatis lorsque ce mandataire est une
société. Le Règlement Rome I exclut de son champ
d’application la question de savoir si un mandataire
peut engager le mandant envers les tiers (art.
1 §2 g))65. Cette question relève de la loi du lieu
d’exécution du mandat66. C’est la loi choisie qui
régit la relation contractuelle entre le mandant et le
mandataire67. En cas d’absence de choix, c’est la loi
du pays où le mandataire, débiteur de la prestation
caractéristique, a sa résidence habituelle qui devra
s’appliquer68.
à l’action principale (demande reconventionnelle) ou
comme une simple exception.
64 Articles 2 et 159 de la loi du 10 août 1915 concernant les
sociétés commerciales (Mémorial A, N° 90, 30 octobre
1915, p. 925 s.), telle que modifiée. L’administration
centrale est présumée, jusqu’à preuve du contraire,
coïncider avec le lieu de son siège statutaire (art. 2). Sur
la notion de siège en droit des sociétés, voy. P.-H. Conac,
« Le siège social en droit luxembourgeois des sociétés »,
Journal des Tribunaux Luxembourgeois, 2009, p. 2 s.
65 L’exclusion est justifiée par le fait que le principe de
l’autonomie de la volonté peut difficilement être admis
(Rapport Giuliano/Lagarde, p. 13).
66C. Jassogne, « Les mandataires », in Traité pratique de
droit commercial (Dir. Verougstraete), 2ème éd., tome II,
Kluwer, 2010, n° 886-887; F. Rigaux/M. Fallon, Droit
international privé, 2ème éd., tome II, Larcier, 1993, n° 932;
P. Wéry, Le mandat, Larcier, 2000, n° 291.
67 F. Rigaux/M. Fallon (note 28), n° 14.136; F. Schockweiler
(note 9), n° 42; Idem (note 24), n° 481; P. Wéry (note 66),
n° 286. Pour rappel, le Luxembourg n’est pas lié par la
Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux
contrats d’intermédiaires et à la représentation.
68 Trib. arr. Luxembourg, 10 juin 1996, numéro 57409 du rôle.
Cette solution a, notamment, l’intérêt de maintenir l’unité
de la loi applicable pour les intermédiaires professionnels
14
b. Règles particulières en matière de
forme et de preuve
18. Forme. – L’élaboration d’un accord de
compensation appelle la question de savoir quelle
forme doit revêtir cet accord. L’article 11 du
Règlement Rome I prévoit des règles de conflit en
ce qui concerne la loi applicable à la forme69. Ces
règles, qui ont un caractère alternatif, s’appliquent
aux accords de compensation. Le Règlement Rome I
fait la distinction selon que les parties (ou leurs
représentants) se trouvent ou non dans le même pays
lors de la conclusion de l’accord de compensation.
Lorsque les parties sont situées dans le même pays,
l’accord est valable quant à la forme s’il satisfait aux
conditions de forme (i) de la loi qui le régit au fond
ou (ii) de la loi du pays dans lequel il a été conclu
(art. 11 §1). Lorsque les parties se trouvent dans
des pays différents, l’accord de compensation est
valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions
de forme (i) de la loi qui le régit au fond ou (ii) de
la loi d’un des pays dans lequel se trouve l’une ou
l’autre des parties au moment de sa conclusion ou
(iii) de la loi du pays dans lequel l’une ou l’autre des
parties avait sa résidence habituelle à ce momentlà (art. 11 §2)70. Les rattachements utilisés par le
Règlement Rome I étant larges, le risque de voir un
accord de compensation être annulé pour vice de
forme est faible.
19. Preuve. – L’utilisation d’un accord de
compensation conduit à s’interroger sur la façon
dont peut être prouvé un tel accord. Les questions
de preuve sont en principe exclues du domaine du
Règlement Rome I (art. 2 §3). Cependant, celui-ci
traite de l’objet et de la charge de la preuve (art.
18 §1) ainsi que de l’admissibilité des modes de
preuve (art. 18 §2). La loi applicable à l’accord de
compensation s’appliquera à l’objet et à la charge de
la preuve dans la mesure où, en matière d’obligations
contractuelles, elle établit des présomptions légales
ou répartit la charge de la preuve. Ces règles sont en
effet des règles de fond et non de procédure71. En ce
qui concerne l’admissibilité des modes de preuves,
un accord de compensation peut être prouvé par
tout mode de preuve admis soit par la loi du for, soit
par l’une des lois visées à l’article 11 du Règlement
agissant pour plusieurs mandants (D. Bureau/H. Muir
Watt, Droit international privé. Partie spéciale, 2ème éd.,
PUF, 2010, n° 952).
69 Sur cette notion, voy. le Rapport Giuliano/Lagarde, p.
29: « Il est néanmoins permis de considérer comme une
forme […] tout comportement extérieur imposé à l’auteur
d’une manifestation de volonté juridique et sans lequel
cette manifestation de volonté ne peut se voir attribuer une
pleine efficacité ».
70 Cette troisième branche à la règle de conflit alternative
vise les contrats conclus par voie électronique (P. Lagarde
(note 41), n° 19.
71H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note
28), n° 140; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n°
102; P. Lagarde (note 24), n° 55.
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Rome I (y compris donc la lex contractus), selon
laquelle l’acte est valable quant à la forme. Le
Règlement Rome I prévoit une limite en précisant
que le mode de preuve prévu par la loi de la forme
n’est admis que pour autant que la preuve puisse
être administrée selon ce mode devant le juge saisi.
Cette limite ne devrait viser que l’hypothèse où la
loi de la procédure du for ne permet pas, de manière
générale, tel ou tel mode de preuve72.
c. Cas où une loi est choisie par les
parties
1) Autonomie de la volonté
20. Règle générale. – La liberté laissée aux
parties de choisir la loi applicable constitue « l’une
des pierres angulaires » du Règlement Rome I
(considérant 11). Un accord de compensation peut
ainsi être régi par la loi choisie par les parties (art. 3
§1) 73. Le Règlement Rome I prévoit toutefois trois
limites au choix de la loi applicable: (i) les règles
impératives, (ii) les lois de police et (iii) l’ordre
public. On notera que le Règlement Rome I fait,
en effet, une distinction entre les « dispositions
auxquelles il ne peut être dérogé par accord »
(les règles impératives) et les « lois de police »,
cette dernière notion devant être interprétée
plus restrictivement (considérant 37). Une telle
distinction n’existait pas avant le Règlement
Rome I.
21. Règles impératives. – L’expérience montre
que des professionnels du secteur financier
luxembourgeois peuvent vouloir soumettre un
contrat contenant une clause de compensation à
une loi étrangère bien que la situation ne présente
des liens qu’avec le Luxembourg (parties situées
au Luxembourg, exécution des obligations nées du
contrat au Luxembourg, …) et que le seul élément
d’extranéité soit le choix de cette loi pour régir leurs
obligations contractuelles. Il n’est, en effet, pas rare
de voir ces professionnels conclure des contrats
standards contenant des clauses de compensation
soumis à une loi étrangère tels que ceux élaborés
par l’ISDA74 en matière de produits dérivés ou par
l’ISLA75 pour les prêts d’instruments financiers.
72Rapport Giuliano/Lagarde, p. 36; H. Gaudemet-Tallon,
« Convention de Rome … » (note 28), n° 143; Idem, « Le
nouveau droit … » (note 28), n° 104; P. Geortay, « Règles
de conflits de lois applicables aux principales sûretés
personnelles conventionnelles », in Droit bancaire et
financier au Luxembourg, Larcier, vol. 2, 2004, n° 29-17;
F. Schockweiler (note 9), n° 172; Idem (note 24), n° 624.
73 F. Despagnet (note 59), n° 316; H. Gaudemet-Tallon,
« Convention de Rome … » (note 28), n° 120; Idem,
« Le nouveau droit … » (note 28), n° 84; M.-N. JobardBachellier, « Opérations sur créances », Rép. internat.
Dalloz, 1998, n° 70; P. Kinsch, « La faillite du client … »
(note 45), n° 20 et note 80; Idem, « La faillite … » (note
45), n° 34 et note 160; F. Schockweiler (note 9), n° 134;
Idem (note 24), n° 574.
74 International Swaps and Derivatives Association.
75 International Securities Lending Association.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Afin d’éviter que des parties ne choisissent une loi
sans aucun rapport avec leur contrat dans le seul but
d’échapper à l’application de règles impératives
de la loi qui serait applicable à défaut de choix, le
Règlement Rome I précise que le choix d’une loi
étrangère pour régir un contrat purement interne ne
peut porter atteinte aux dispositions impératives de
la loi du pays qui présente toutes les connexions
avec ce contrat (art. 3 §3). Le Règlement Rome
I applique la même règle aux contrats purement
intracommunautaires que les parties ont décidé de
faire régir par la loi d’un pays tiers. Ainsi, lorsque
tous les éléments de la situation sont localisés au
moment du choix de la loi d’un pays tiers dans un
ou plusieurs États membres, y compris le Danemark
(art. 1 §4), le choix de la loi d’un pays tiers ne peut
avoir pour effet d’exclure l’application des règles
impératives de droit communautaire telles que
mises en œuvre par la loi de l’Etat du for (art. 3
§4)76. Ces dispositions visent l’hypothèse de la «
fraude à la loi »77.
22. Lois de police. – La loi choisie par les parties
pour régir leur accord de compensation peut
également être écartée par le jeu des lois de police78.
Dans un souci de sécurité juridique, le Règlement
Rome I introduit une définition de la notion de « lois
de police ». Il s’agit d’« une disposition impérative
dont le respect est jugé crucial par un pays pour
la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son
organisation politique, sociale ou économique, au
point d’en exiger l’application à toute situation
entrant dans son champ d’application, quelle que
soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après
le présent règlement » (art. 9 §1). Cette définition
s’inspire des termes de l’arrêt Arblade rendu par
76 Sur ces mécanismes, voy. L. d’Avout, « Le sort des règles
impératives dans le Règlement Rome I », D., 2008, p. 2165
s.; A. Bonomi, « Le régime des règles impératives et des lois
de police dans le Règlement “Rome I” sur la loi applicable
aux contrats », in Le nouveau règlement européen “Rome
I” relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles
(Ed. Cashin Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 217 s.;
Idem, « Prime considerazioni sul regime delle norme di
applicazione necessaria nel nuovo regolamento Roma I
sulla legge applicabile ai contratti », in Liber Fausto Pocar,
Giuffrè, 2009, p. 107 s.; F. J. Garcimartín Alférez (note
6), n° 22-23; A. Nuyts, « Les lois de police et dispositions
impératives dans le Règlement Rome I », RDC-TBH,
2009/6, p. 553 s.
77 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 5. Cette
notion de « fraude à la loi » suscite des questions (voy. S.
Francq (note 8), n° 30).
78 Sur l’exception de lois de police en droit luxembourgeois,
voy. P. Kinsch, « Chronique de jurisprudence
luxembourgeoise. Quelques aspects d’actualité du droit
international privé », Bulletin du Cercle François Laurent,
1995/I, n° 14 s. (« Du point de vue de la technique du
droit international privé, les lois de police se caractérisent
par leur volonté d’application immédiate à une situation
donnée, quelle que soit la loi, le cas échéant étrangère,
qui est normalement appelée à régir celle-ci en vertu des
règles normales (bilatérales) de conflits de lois », n° 14); F.
Schockweiler (note 9), n° 106 s.; Idem (note 24), n° 197 s.
et n° 548 s.
15
Prix ALJB 2010
la Cour de justice79 dont l’objet n’était cependant
pas de créer une définition propre de lois de police
puisque cet arrêt se rapporte au droit du marché
intérieur80.
Le Règlement Rome I contient une disposition
autorisant le juge saisi à s’opposer à l’application,
dans l’Etat où il siège, d’une loi étrangère pouvant
porter atteinte aux lois de police du for (art. 9 §2).
L’importance de cette liberté ne doit cependant pas
être exagérée car la Cour de justice a le droit de
contrôler la qualification de dispositions nationales
des Etats membres en lois de police81. En outre, le
recours aux lois de police doit se justifier dans des
circonstances exceptionnelles (considérant 37).
Le Règlement Rome I reconnaît également
la faculté au juge saisi d’appliquer les lois de
police étrangères (art. 9 §3)82. Ceci a entraîné
un changement au Luxembourg puisque, avant
l’entrée en application du Règlement Rome
I, le législateur luxembourgeois avait exclu
l’application de lois de police étrangères d’un autre
Etat par le juge luxembourgeois en faisant usage
d’une réserve prévue par la Convention de Rome83.
Sous le Règlement Rome I, le juge saisi souhaitant
appliquer des lois de police étrangères devra
néanmoins tenir compte de la nature, de l’objet et
des conséquences de l’application ou de la nonapplication de ces lois. De plus, les lois de police
pouvant être appliquées seront uniquement celles
du lieu d’exécution des obligations contractuelles84.
L’effet de ces lois de police se limite, par ailleurs,
au seul cas où elles rendraient l’exécution du contrat
illégale85. La limitation prévue par le Règlement
79 Exposé des motifs, COM(2005) 650 final, p. 8. Voy. Cour
de justice, 23 novembre 1999, C-369/96 et C-376/96,
Arblade, Rec. 1999, I-8453, n° 30: les lois de police sont
des « dispositions nationales dont l’observation a été jugée
cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique,
sociale ou économique de l’État membre concerné, au
point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant
sur le territoire national de cet État membre ou à tout
rapport juridique localisé dans celui-ci ».
80 Sur cette définition, voy. A. Bonomi, « Le régime … »
(note 76), p. 223 s.; Idem, « Prime considerazioni … »
(note 76), p. 112 s.; A. Nuyts (note 76), n° 7 s.
81M.-E. Ancel, « Le règlement Rome I, nouvelle pièce du
système communautaire de droit international privé »,
Revue Lamy Droit Civil, octobre 2008, p. 10; H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 95; P.
Wautelet (note 8), p. 44. Voy. au sujet de l’ordre public
de l’Etat requis, Cour de justice, 11 mai 2000, Renault,
C-38/98, Rec. 2000, p. I-2973, n° 27; 28 mars 2000,
Krombach, C-7/98, Rec. 2000, p. I-1935, n° 22.
82 Il peut s’agir de lois de police d’un Etat membre ou d’un
Etat tiers (P. Wautelet (note 8), p. 46-47).
83 Sur cette exclusion, voy. F. Schockweiler (note 9), n° 111
s.; Idem (note 24), n° 553-554.
84 Sur les questions suscitées par cette limitation, voy. P.
Wautelet (note 8), p. 47-48.
85 Il s’agit notamment de dispositions en matière de contrôle
des changes, d’embargo, de contrebande, de contrefaçon
de monnaie ou de trafics en tout genre que les dispositions
de nombreux Etats rendent illégales (P. Wautelet (note 8),
p. 47).
16
Rome I en matière de lois de police étrangères
devrait donc avoir un impact réduit en pratique86.
23. Ordre public. – L’exception d’ordre public,
dont le jeu est moindre en matière contractuelle87,
permet au juge saisi d’écarter la loi étrangère
normalement applicable lorsque l’application de
cette loi (et non la loi elle-même) au litige qui lui
est soumis porte une atteinte suffisamment grave
à un intérêt que l’ordre juridique du for considère
comme devant être protégé88. Cette exception est
évoquée par le Règlement Rome I dans des termes
similaires à ceux de la Convention de Rome. La
loi choisie par les parties pour régir un accord
de compensation ne peut être écartée que si son
application est manifestement incompatible avec
l’ordre public du for (art. 21). A l’instar des lois de
police, le recours à l’exception d’ordre public devra
se justifier dans des circonstances exceptionnelles
(considérant 37).
2) Loi pouvant être choisie par les
parties
24. Choix d’une loi étatique. – Tout comme pour la
Convention de Rome, le Règlement Rome I se place
dans la perspective d’un choix par les parties d’une
loi étatique89. La jurisprudence luxembourgeoise
va en ce sens90. Le fait que le Règlement Rome I
indique qu’il « n’interdit pas aux parties d’intégrer
par référence dans leur contrat un droit non étatique
ou une convention internationale » (considérant
13) ne signifie pas que les parties puissent désigner
une loi non étatique comme loi applicable à leur
accord de compensation. Le choix d’une loi non
étatique ne constitue pas un choix de loi au sens du
Règlement Rome I. Un accord de compensation qui
comporterait un tel choix (par exemple, les usages
d’un milieu professionnel déterminé) devra être
régi par la loi désignée par la règle de conflit de lois
applicable en l’absence de choix91. Il appartiendra
ensuite à cette loi de préciser la place qu’elle
accorde à la loi non étatique choisie par les parties
à l’accord de compensation92.
86P. Wautelet (note 8), p. 49. Sur l’utilisation très rare par
le juge de l’article 7 §1 de la Convention de Rome, voy. H.
Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note 28),
n° 100.
87D. Bureau/H. Muir Watt (note 68), n° 908; P. Wautelet
(note 8), p. 43.
88 Sur l’exception d’ordre public en droit luxembourgeois,
voy. P. Kinsch (note 78), n° 1 s.; F. Schockweiler (note
24), n° 181 s.
89S. Francq (note 8), n° 24-25; H. Gaudemet-Tallon,
« Convention de Rome … » (note 28), n° 5; P. Lagarde/A.
Tenenbaum (note 8), n°9; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n°
703.
90 Voy. Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 426 s., où
dans cette espèce la Cour fait expressément référence au
choix d’un « système juridique » (p. 433).
91P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 703; P. Wautelet (note 8),
p. 25.
92P. Lagarde (note 24), n° 19; P. Mayer/V. Heuzé (note
10), n° 703; F. Rigaux, « Examen de quelques questions
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
25. Choix négatif. – La clause d’un accord de
compensation excluant l’application de toute loi
étatique ne constitue pas un choix de loi au sens
du Règlement Rome I93. Dans une telle hypothèse,
le juge devra rechercher la loi applicable à défaut
de choix. Cette solution doit également être retenue
en cas de choix négatif partiel, excluant une ou
plusieurs lois. Un choix négatif partiel ne permet
en effet pas d’identifier une loi choisie et équivaut
donc à une absence de choix94.
26. Dépeçage. – Les parties peuvent-elles diviser
un contrat contenant une clause de compensation
en plusieurs éléments qui seraient soumis à des
lois différentes choisies par elles ? On notera que
le Règlement Rome I n’interdit pas expressément
aux parties de pratiquer elles-mêmes le dépeçage.
Il indique sur ce point que « les parties peuvent
désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie
seulement de leur contrat » (art. 3 §1). Plusieurs
sources disponibles semblent admettre le dépeçage
par les parties. Le Rapport Giuliano/Lagarde (p.
17), après avoir rappelé la position partagée des
experts sur cette question, indique qu’en cas de
dépeçage le choix des parties doit être cohérent,
« c’est-à-dire concerner des éléments du contrat
qui peuvent être régis par des lois différentes sans
donner lieu à des résultats contradictoires ». La
jurisprudence et la doctrine luxembourgeoises
paraissent favorables au dépeçage95. Les doctrines
belge et française semblent également aller en ce
sens96. Bien que nous ne recommandions pas cette
solution en pratique, le choix par les parties à un
contrat contenant une clause de compensation de
faire régir cette clause par une loi différente de celle
qui gouverne le contrat devrait donc être reconnu à
condition qu’il soit cohérent avec la loi régissant les
autres aspects de ce contrat. En pratique, il s’agira
de vérifier si l’accord de compensation peut avoir
une existence autonome. Si les parties soumettent
laissées ouvertes par la convention de Rome sur la loi
applicable aux obligations contractuelles », Cah. dr. eur.,
1988, n° 16.
93P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 702.
94P. Lagarde (note 24), n° 19.
95 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 426 s.; F.
Schockweiler (note 9), n° 61; Idem (note 24), n° 503.
96D. Bureau/H. Muir Watt (note 68), n° 897 (ces auteurs
n’envisagent le dépeçage qu’en présence « d’éléments
du contrat objectivement détachables »); H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 13
s.; Idem (note 28), n° 47; B. Hanotiau, « La Convention
C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles »,
Journal des Tribunaux, 1982, n° 21; P. Lagarde (note
24), n° 21; Idem, « La convention de Rome », Banque &
Droit (hors série), juin 1993, p. 2; V. Marquette (note
8), n° 17; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 710 (selon ces
auteurs, le dépeçage est admis lorsque le contrat comporte
des « aspects objectivement détachables »); C. Nourissat
(note 8), n° 25; F. Rigaux (note 92), n° 15; B. Sousi-Roubi,
« La convention de Rome et la loi applicable aux contrats
bancaires », Bulletin Droit et Banque, N° 21, 1994, p. 8; P.
Wautelet (note 8), p. 22.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
leur contrat à plusieurs lois qui ne peuvent pas
respecter cette condition de cohérence, le juge
appliquera la règle qui s’appliquerait en l’absence
de choix97. Enfin, si les parties ont choisi une loi
applicable à une partie seulement de leur contrat, le
juge saisi déterminera la loi applicable aux autres
parties du contrat en recourant également à la loi
applicable en l’absence de choix98.
27. Modification de la loi choisie par l’autorité
qui l’a édictée et clause de stabilisation. – Le choix
de la loi étant un choix de droit international privé et
non de droit matériel99, un accord de compensation
sera soumis à la loi choisie par les parties. Si cette
loi est modifiée ultérieurement par l’autorité qui
l’a édictée et que les dispositions nouvelles sont
applicables aux contrats en cours, ces dispositions
s’appliqueront à l’accord de compensation100.
En choisissant la loi applicable à leur accord de
compensation, les parties s’exposent donc aux
modifications ultérieures de cette loi. La clause –
appelée clause de stabilisation ou d’intangibilité –
par laquelle les parties choisissent de soumettre un
tel accord à une loi dans sa teneur au jour de sa
conclusion équivaut à un choix de droit matériel101.
Dans un tel cas, le juge saisi devra rechercher la
loi applicable au contrat selon les critères de
rattachement prévus par le Règlement Rome I en
l’absence de choix et vérifier, ensuite, le sort que
cette loi réserve à la clause de stabilisation102.
3) Limites quant au choix de la loi par les
parties
28. Forme du choix de la loi. – Selon le Règlement
Rome I, le choix de la loi applicable à un accord
de compensation doit être exprès ou résulter de
façon certaine des dispositions du contrat ou des
circonstances de la cause (art. 3 §1). Le choix de
la loi applicable est un choix exprès lorsqu’il figure
dans une clause spéciale faisant partie de l’accord
de compensation ou annexée à celui-ci103.
Comment apprécier le choix lorsqu’il n’est pas
exprès ?
Lorsque les créances sont soumises à la même
loi, il est généralement admis que les parties ont
implicitement voulu soumettre la compensation à
cette loi104. Cette solution, que la doctrine considère
97Rapport Giuliano/Lagarde, p. 17; B. Hanotiau (note 96),
n° 21; P. Lagarde (note 24), n° 21.
98B. Hanotiau (note 96), n° 21; P. Lagarde (note 24), n° 21.
99P. Lagarde (note 24), n° 18; B. Sousi-Roubi (note 96), p. 8.
100P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 708.
101P. Lagarde (note 24), n° 22; Idem (note 96), p. 2; F. Rigaux
(note 92), n° 17; B. Sousi-Roubi (note 96), p. 9.
102P. Lagarde (note 24), n° 22; Idem (note 96), p. 2; B. SousiRoubi (note 96), p. 9.
103 F. Rigaux/M. Fallon (note 28), n° 14.43.
104H. Batiffol (note 23), n° 629; H. Batiffol/P. Lagarde
(note 23), n° 614; M.-N. Jobard-Bachellier (note 73), n°
70; Y. Loussouarn (note 1) p. 446; N. Watté, « Questions
… » (note 1), n° 52; N. Watté/V. Marquette (note 23), n°
17
Prix ALJB 2010
comme valable dans le cas où la Convention de
Rome s’applique105, nous semble devoir également
être retenue lorsque le Règlement Rome I est
applicable.
La réponse à donner à la question posée est plus
difficile lorsque les créances sont régies par des lois
différentes. Le Rapport Giuliano/Lagarde donne
quelques exemples de ce que pourrait être cette
volonté certaine non expressément invoquée106. La
jurisprudence luxembourgeoise a reconnu certains
cas de choix implicite de la loi applicable107. Elle
a cependant exigé que la volonté implicite des
parties s’induise avec une certitude suffisante soit
des termes de l’accord, soit du comportement des
parties108. La désignation implicite doit donc être
suffisamment certaine et ne pas obliger le juge à se
livrer à une recherche hypothétique de la volonté
des parties car, si tel était le cas, la loi applicable
serait celle déterminée en cas d’absence de choix109.
Certains éléments peuvent exprimer le choix
implicite des parties. Ainsi, par exemple, le choix
d’une juridiction pour connaître des litiges liés à un
accord de compensation peut être un révélateur du
choix des parties quant à la loi applicable. A cet
égard, dans son préambule, le Règlement Rome I
dispose qu’un « accord entre les parties visant à
donner compétence exclusive à une ou plusieurs
juridictions d’un État membre pour connaître des
différends liés au contrat devrait être l’un des facteurs
à prendre en compte pour déterminer si le choix de
la loi a été clairement énoncé » (considérant 12). La
jurisprudence luxembourgeoise a déjà recouru à ce
facteur pour déterminer la loi applicable à un contrat
en l’absence de choix exprès110. La jurisprudence et
la doctrine luxembourgeoises utilisent également
d’autres critères tels que la référence à une loi
précise ou à des articles déterminés du code d’un
pays111, l’ensemble des dispositions du contrat,
son environnement économique, les relations
habituelles des parties, l’utilisation de contrats
types connus uniquement d’un pays déterminé112
51.
105N. Watté/V. Marquette (note 23), n° 51.
106 Référence dans un contrat à des articles du code civil d’un
pays déterminé ou lien avec un contrat antérieur conclu
entre les mêmes parties et comportant un choix de la loi
applicable (p. 17).
107 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434; Trib. arr.
Luxembourg, 21 avril 1993, n° 45158 du rôle.
108 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434.
109 F. Schockweiler (note 9), n° 60.
110 Trib. arr. Luxembourg, 21 avril 1993, n° 45158 du rôle.
111 Cour d’appel, 11 septembre 2000, n° 23382 du rôle;
Cour d’appel, 15 janvier 1992, n° 12225 du rôle; Trib.
arr. Luxembourg, 5 mai 1999, n° 59929 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826 du rôle.
La référence à des dispositions d’une loi étrangère peut
cependant s’avérer insuffisante (Trib. arr. Luxembourg, 7
janvier 2005, n° 87357 du rôle).
112 Trib. arr. Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826
du rôle; F. Schockweiler (note 9), n° 59; Idem (note 24), n°
501.
18
ou encore le lieu où des litiges doivent être tranchés
par voie d’arbitrage113. L’attitude des parties après
la conclusion du contrat peut, le cas échéant,
également être révélatrice de leur volonté114. Les
indications qui précèdent seront utiles en pratique
mais ne suffiront sans doute pas toujours à prévenir
certaines divergences d’interprétation.
29. Choix de la loi et changement de choix
postérieurs à la conclusion du contrat. – Le choix
de la loi applicable à un accord de compensation
se fait en principe par l’insertion d’une clause
d’élection de droit dans l’accord. Il n’est cependant
pas exceptionnel en pratique que les parties n’aient
pas choisi de loi applicable avant la conclusion de
leur accord de compensation ou qu’elles décident
de modifier leur choix après la conclusion de
cet accord. Le Règlement Rome I reconnaît aux
parties la faculté de convenir, à tout moment,
de faire régir leur contrat par une loi autre que
celle qui le régissait auparavant (art. 3 §2). La
loi choisie tardivement par les parties régit, en
principe, l’accord de compensation rétroactivement
depuis sa conclusion115. Le Règlement Rome I
fixe néanmoins deux exceptions à ce principe. Si
l’accord était valable au moment de sa conclusion
quant à la forme selon l’une des lois désignées à
l’article 11 du Règlement Rome I, le choix tardif
d’une autre loi ne pourra pas affecter sa validité
formelle. Le choix tardif ne pourra, en outre, pas
porter atteinte aux droits des tiers.
30. Consentement quant au choix de la loi
applicable. – Selon l’article 3 §5 du Règlement
Rome I, l’existence et la validité du consentement
des parties quant au choix de la loi applicable sont
soumis à la même loi que l’accord de compensation
si cet accord était valable (art. 10 §1). Si une
partie à un accord de compensation souhaite
établir qu’elle n’a pas consenti à cet accord, elle
peut toutefois invoquer la loi du pays où elle a sa
résidence habituelle mais uniquement s’il résulte
des circonstances qu’il serait déraisonnable de
déterminer l’effet de son comportement d’après la
loi applicable si l’accord était valable (art. 10 §2).
d. Loi applicable à défaut de choix
31. Mécanisme de l’article 4 du Règlement
Rome I. – La question de la détermination de
la loi applicable est délicate lorsque les parties
n’ont pas choisi une loi pour régir leur accord de
compensation. Bien que l’hypothèse du défaut
de choix de la loi applicable par les parties
devrait être rare en pratique pour les accords de
113 F. Schockweiler (note 9), n° 59; Idem (note 24), n° 501.
114 Cour d’appel, 13 juillet 2000, Pas. 31, p. 434.
115H. Gaudemet-Tallon, « Le nouveau droit … » (note 28),
n° 48; P. Lagarde (note 24), n° 24; P. Mayer/V. Heuzé
(note 10), n° 716 (ces auteurs exceptent toutefois les
contrats à exécution successive); F. Schockweiler (note 9),
n° 57; Idem (note 24), n° 499.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
compensation conclus par les professionnels du
secteur financier116, il nous semble néanmoins utile
d’examiner la solution donnée par le Règlement
Rome I qui s’éloigne considérablement de celle
consacrée par la Convention de Rome.
Sous l’empire de la Convention de Rome, la
désignation de la loi applicable à défaut de choix
par les parties repose sur une règle tenant en trois
éléments: 1) désignation de la loi du pays avec
lequel le contrat présente les liens les plus étroits
(art. 4 §1); 2) présomption selon laquelle les liens
les plus étroits sont censés être établis avec le pays
dans lequel réside habituellement la partie qui doit
fournir la prestation caractéristique (art. 4 §2); 3)
clause d’exception écartant la présomption si les
circonstances montrent que le contrat présente des
liens plus étroits avec un autre pays (art. 4 §5)117.
Dans le cadre du Règlement Rome I, à défaut de
choix par les parties à un accord de compensation118,
c’est l’article 4 qui pose les règles de détermination
de la loi applicable. Les principes directeurs qui
sous-tendent cette disposition tiennent en quatre
éléments119:
1) Règle principale: plusieurs règles fixes
déterminent la loi applicable à huit contrats
courants (art. 4 §1);
2) Règle subsidiaire: si ces règles ne sont pas
utilisables (soit parce que le contrat n’est visé par
aucune d’elles soit parce qu’il est visé par plusieurs
d’entre elles), le contrat est régi par la loi du pays
dans lequel la partie qui doit fournir la prestation
caractéristique a sa résidence habituelle (art. 4 §2
et considérant 19);
3) Règle sous-subsidiaire: si la loi ne peut être
déterminée en utilisant la règle principale ou la
règle subsidiaire, le contrat est régi par la loi du
pays avec lequel il présente les liens les plus étroits
(art. 4 §4 et considérant 21);
4) Clause d’exception: s’il résulte de l’ensemble
des circonstances de la cause que le contrat présente
des liens manifestement plus étroits avec un pays
116Les contrats standards contiennent généralement des
clauses d’élection de droit. Cependant, la pratique nous
montre que les parties à certaines opérations financières
non standardisées ou conclues sur la base d’un contrat
standard ne contenant pas de clause d’élection de droit
peuvent ne pas procéder à un choix de la loi applicable.
117 Pour plus de détails sur cette règle, voy. H. GaudemetTallon, « Convention de Rome … » (note 28), n° 26
s.; Idem, « Le nouveau droit … » (note 28), n° 49 s.; P.
Lagarde (note 24), n° 26 s.; F. Schockweiler (note 9), n°
62 s.; Idem (note 24), n° 504 s.; J.-C. Wiwinius (note 24),
n° 36 s.
118Pour mémoire, il convient généralement de réserver
l’application des articles 5, 6, 7 et 8 prévoyant des règles
spéciales pour certains contrats.
119 Pour une synthèse de la mécanique du Règlement Rome I,
voy. le tableau de S. James, « Rome I: Shall we dance ? »,
Law and Financial Markets Review, mars 2008, p. 115.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
autre que celui visé par la règle principale ou la
règle subsidiaire, le contrat est régi par la loi de cet
autre pays (art. 4 §3 et considérant 20)120.
1) Règle principale
32. Rattachements fixes pour huit contrats. –
L’article 4 §1 du Règlement Rome I prévoit des
règles spécifiques déterminant la loi applicable
à huit contrats déterminés qui se fondent sur le
système de la prestation caractéristique ou sur
d’autres fondements121. Certains de ces contrats,
susceptibles d’intéresser le secteur financier,
peuvent contenir des clauses de compensation. Il
s’agit du contrat de vente de biens, du contrat de
prestation de services et du contrat conclu au sein
d’un système multilatéral.
33. Vente de biens. – L’article 4 §1 a) du
Règlement Rome I dispose que le contrat de vente
de biens est régi par la loi du pays où le vendeur
a sa résidence habituelle. Que recouvre le terme
« biens » ? De prime abord, l’utilisation de ce
terme pourrait laisser croire que cette disposition
s’applique, par exemple, aux contrats de vente
d’instruments financiers contenant une clause de
compensation. Cependant, les versions anglaise
et espagnole visent la vente de marchandises
(sale of goods, compraventa de mercaderías)
alors que les versions française et italienne se
réfèrent à la vente de biens (vendita di beni).
De plus, le considérant 17 précise que la notion
de « vente de biens » devrait recevoir la même
interprétation que celle retenue pour l’application
de l’article 5 du Règlement Bruxelles I qui utilise
l’expression « vente de marchandises ». Enfin, les
commentateurs du Règlement Rome I semblent
considérer que la notion visée soit la vente de
marchandises122. Le fait que la notion de « biens »
vise les marchandises plutôt que les biens au sens
large (en ce compris, par exemple, les instruments
financiers) ne devrait pas avoir de conséquences
pratiques car si un contrat de vente d’instruments
financiers contenant une clause de compensation
120 A l’inverse de la Convention de Rome (art. 4 §1 2ème
phrase), le Règlement Rome I ne prévoit pas que si une
partie du contrat est séparable du reste du contrat et
présente un lien plus étroit avec ce pays, il pourra être fait
application à cette partie du contrat de la loi de cet autre
pays.
121 Sur les différents fondements des rattachements fixes,
voy. B. Ancel, « La loi applicable à défaut de choix »,
in Le nouveau règlement européen “Rome I” relatif à la
loi applicable aux obligations contractuelles (Ed. Cashin
Ritaine/Bonomi), Schulthess, 2008, p. 83 s.; P. Wautelet
(note 8), p. 35 s.
122B. Ancel (note 121), p. 89-90; M.-E. Ancel (note 81), p. 11;
H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note
28), n° 43; U. Magnus, « Article 4 Rome I Regulation.
The Applicable Law in the Absence of Choice », in
Rome I Regulation. The Law Applicable to Contractual
Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009,
p. 36-37; V. Marquette (note 8), n° 23; P. Wautelet (note
8), p. 32 et note 123.
19
Prix ALJB 2010
ne constitue pas un contrat de vente de biens au
sens de l’article 4 §1 a), la détermination de la loi
applicable à ce contrat pourra se faire en recourant
au critère de la résidence habituelle du débiteur de
la prestation caractéristique, en l’espèce le vendeur,
prévu à l’article 4 §2 du Règlement Rome I.
34. Prestation de services. – L’article 4 §1 b)
du Règlement Rome I prévoit que le contrat de
prestation de services est régi par la loi du pays où
le prestataire de services a sa résidence habituelle.
Il retient donc comme critère de rattachement la
résidence habituelle du débiteur de la prestation de
services. Cette disposition, qui risque d’être très
sollicitée123, est susceptible d’intéresser les accords
de compensation conclus par des professionnels
du secteur financier dans la mesure où ces
professionnels peuvent agir en tant que prestataires
de services (par exemple, agent de règlement,
prêteur et dépositaire). Le Règlement Rome I ne
précise pas le sens de la notion de « prestation de
services ». La jurisprudence de la Cour de justice
devrait cependant constituer une source utile à la
détermination du contenu de ce terme (considérant
17). Ainsi, dans l’arrêt Falco Privatstiftung, la
Cour de justice a indiqué que « la notion de services
implique, pour le moins, que la partie qui les fournit
effectue une activité déterminée en contrepartie
d’une rémunération » 124. A l’instar de la vente de
biens, il est probable que cette question n’ait pas
beaucoup d’incidence en pratique puisque le juge
saisi pourra toujours recourir à la règle de conflit
subsidiaire prévue à l’article 4 §2 du Règlement
Rome I125.
35. Notion de « résidence habituelle ». –
L’article 4 §1 a) et b) doit se lire en conjonction avec
l’article 19 du Règlement Rome I qui contient une
définition de la notion de « résidence habituelle ».
Cette disposition fait une distinction entre les
personnes physiques et les personnes morales.
Pour les personnes morales, qui nous intéressent
ici, la résidence habituelle correspond au lieu de
l’« administration centrale ». Le Règlement Rome I
ne définit pas cette notion qui est également utilisée
par la Convention de Rome (art. 4 §2), le Règlement
Bruxelles I (art. 60 §1) et le Règlement Rome II
(art. 23 §1). Pour certains auteurs, l’administration
centrale devrait désigner « le lieu où la société est
effectivement administrée (le siège réel) »126. Il
123M.-E. Ancel (note 81), p. 11; H. Gaudemet-Tallon,
« Convention de Rome … » (note 28), n° 48.
124 Cour de Justice, 23 avril 2009, Falco Privatstiftung /
Weller-Lindhorst, C-533/07, Rec. 2009, p. I-3327, n° 29.
125 Voy. aussi en ce sens, P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8),
n° 12; P. Mayer/V. Heuzé (note 10), n° 727.
126M. Fallon/J. Meeusen, « Le commerce électronique, la
directive 2000/31/CE et le droit international privé »,
RCDIP, 2002, n° 20. Cette définition est reprise par R.
Jafferali dans son commentaire sur le Règlement Rome
II, « Rome II ou la loi applicable aux obligations non
contractuelles » (2ème partie), RGAR, 2008, F. 298, 14399,
20
a, en outre, été suggéré de s’inspirer de la notion
de « centre des intérêts principaux » utilisée dans
le Règlement Insolvabilité127. Une connaissance
de la réalité de la société concernée sera en tout
état de cause nécessaire pour déterminer son
administration centrale128. Afin d’éviter tout conflit
mobile, le Règlement Rome I prévoit expressément
que la résidence habituelle à prendre en compte est
déterminée au moment de la conclusion de l’accord
de compensation (art. 19 §3). Le changement
ultérieur de résidence habituelle sera donc sans
effet sur la détermination de la loi applicable à cet
accord.
36. Notions de « succursale, agence et
autre établissement ». – Lorsqu’un accord
de compensation est conclu dans le cadre de
l’exploitation d’une succursale, d’une agence
ou de tout autre établissement, ou lorsque, selon
cet accord, la prestation doit être fournie par une
succursale, une agence ou un autre établissement,
c’est le lieu où est situé cette succursale, cette
agence ou cet autre établissement qui sert de
résidence habituelle (art. 19 §2). Les notions de
« succursale, agence et autre établissement » ne sont
pas définies par le Règlement Rome I. La Cour de
justice considère que ces notions impliquent « un
centre d’opérations qui se manifeste d’une façon
durable vers l’extérieur comme le prolongement
d’une maison mère, pourvu d’une direction et
matériellement équipé de façon à pouvoir négocier
des affaires avec des tiers, de telle façon que ceuxci, tout en sachant qu’un lien de droit éventuel
s’établira avec la maison mère dont le siège est à
l’étranger, sont dispensés de s’adresser directement
à celle-ci, et peuvent conclure des affaires au centre
d’opérations qui en constitue le prolongement »129.
37. Systèmes multilatéraux. – Le Règlement
Rome I contient une règle de conflit de lois, qui
ne figure pas dans la Convention de Rome, selon
laquelle les contrats conclus « au sein d’un système
multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de
multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés
par des tiers pour des instruments financiers »
sont soumis à la loi du pays qui régit ce système
(art. 4 §1 h)). Les contrats visés, susceptibles de
contenir des clauses de compensation, peuvent
être des contrats de vente d’instruments financiers
mais aussi des contrats de prêt ou de sûretés130. Le
concept de « système multilatéral » n’est pas défini
par le Règlement Rome I mais il y est précisé que
« [l]es systèmes multilatéraux devraient être ceux
au sein desquels des opérations commerciales sont
conduites tels que les marchés réglementés et les
n° 20.
127 F. J. Garcimartín Alférez (note 6), n° 45.
128P. Wautelet (note 8), p. 35.
129 Cour de justice, 22 novembre 1978, Somafer SA / SaarFerngas AG, 33/78, Rec. 1978, p. 2183 s., n° 12.
130 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 165.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
systèmes multilatéraux de négociation131 mentionnés
à l’article 4 de la [Directive MIF132], qu’ils reposent
ou non sur une contrepartie centrale » (considérant
18). Les contrats conclus dans les systèmes de
paiement et de règlement des opérations sur titres
tels que les systèmes Clearstream et Euroclear sont
exclus de cette disposition (art. 23 et considérant
31)133. Les marchés et les systèmes visés par le
Règlement Rome I peuvent être ceux d’un Etat
tiers à condition qu’ils soient équivalents à ceux
visés par la Directive MIF134. La loi que désigne la
règle de conflit est celle du pays qui régit le système
multilatéral. Autrement dit, il s’agit de la loi du
marché135. En pratique, le juge saisi identifiera les
règles d’accès du système ou l’autorité qui autorise
ou reconnaît un marché comme étant un marché
national136. Cette règle de conflit de lois, intervenue
tard dans les négociations137 et critiquée par certains
auteurs138, se justifie notamment par le fait que les
contrats conclus au sein de ces marchés et systèmes
doivent être régis par une seule loi139.
2) Règle subsidiaire
38. Résidence habituelle du débiteur de la
prestation caractéristique. – La règle générale
de l’article 4 §1 prévoyant des rattachements fixes
pour huit contrats n’est utile ni dans l’hypothèse
d’un contrat de compensation (qui ne figure
pas parmi ces huit contrats) ni lorsque le contrat
contenant la clause de compensation n’est pas
énuméré dans la liste des huit contrats ou lorsqu’il
est susceptible de rentrer dans plusieurs catégories
de cette liste. Dans ce cas, le juge saisi devra se
tourner vers la règle de conflit de lois subsidiaire
prévue par l’article 4 §2 du Règlement Rome I qui
prévoit que le contrat est régi par la loi du pays dans
131 Multilateral Trading Facilities.
132 Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil
du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments
financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/
CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE
du Conseil (JO, L 145, 30 avril 2004, p. 1 s.), telle que
modifiée.
133 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 165; Idem (note 6),
n° 41; P. Wautelet (note 8), p. 38.
134 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 164.
135 H. Gaudemet-Tallon, « Convention de Rome … » (note
28), n°45; V. Marquette (note 8), n° 23; P. Wautelet (note
8), p. 38. Cette règle permet d’assurer une application
uniforme des règles du marché aux opérations et de faire
coïncider la loi applicable aux contrats avec le statut de
l’intermédiaire qui, en principe, intervient pour l’exécution
de ces contrats (P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n° 26).
136 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 164.
137 Sur la genèse de cette règle, voy. F. J. Garcimartín Alférez
(note 3), p. 162-163; P. Lagarde/A. Tenenbaum (note 8), n°
21 s.
138M. Lehmann, « Financial Instruments », in Rome
I Regulation. The Law Applicable to Contractual
Obligations in Europe (Ed. Ferrari/Leible), Sellier, 2009,
p. 85 s.; U. Magnus (note 122), p. 27 s.
139 F. J. Garcimartín Alférez (note 3), p. 162. Pour une
critique de cette règle, voy. M. Lehmann (note 138), p. 85 s.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
lequel le débiteur de la prestation caractéristique
a sa résidence habituelle. La détermination de la
prestation caractéristique d’un contrat ne soulève
pas de difficulté pour les contrats unilatéraux. En
revanche, l’individualisation de cette prestation est
plus délicate pour les contrats synallagmatiques où
les parties effectuent des prestations réciproques,
parfois uniquement sous forme monétaire.
39. Notion de « prestation caractéristique ». –
Le Règlement Rome I ne définit pas la notion de
« prestation caractéristique » qui ne semble pas
avoir une signification différente de celle utilisée
dans la Convention de Rome140. Les sources
interprétant cette notion pour les besoins de la
Convention de Rome restent donc, selon nous,
pertinentes pour le Règlement Rome I141. Parmi
les sources disponibles, le Rapport Giuliano/
Lagarde (p. 20) apporte quelques éclaircissements
en indiquant que la prestation caractéristique est
celle « pour laquelle le paiement est dû, c’est-àdire, selon les différentes catégories de contrats,
le transfert de la propriété, la livraison d’objets
mobiliers corporels, l’attribution de l’usage d’une
chose, la fourniture d’un service, du transport, de
l’assurance, de l’activité bancaire, de la caution,
etc., qui constitue le centre de gravité et la fonction
socio-économique de l’opération contractuelle ».
Selon la jurisprudence luxembourgeoise, afin
de déterminer la prestation caractéristique, il
convient d’identifier la prestation qui distingue
un contrat d’un autre, qui est spécifique au contrat
en cause142. La formule utilisée par les magistrats
est constante: ce qui est caractéristique dans les
contrats synallagmatiques, ce n’est pas le paiement
du prix, mais la prestation pour laquelle le paiement
du prix est effectué143. Ainsi, notamment, il a été
jugé que la prestation caractéristique est celle du
prêteur en cas de contrat de prêt144, du dépositaire
140Sur la prestation caractéristique, voy. M.-E. Ancel,
La prestation caractéristique du contrat, Economica,
2002, n° 414 s.; G. Kaufmann-Kohler, « La prestation
caractéristique en droit international privé des contrats
et l’influence de la Suisse », Annuaire suisse de droit
international, 1989, p. 195 s.; P. Mankowski, « The
Principle of Characteristic Performance Revisited Yet
Again », in Liber Amicorum Kurt Siehr, Schulthess, 2010,
p. 433 s.; A.-C. Van Gysel/J. Ingber, « A la recherche de la
prestation caractéristique », Rev. dr. ULB, 1994, p. 55 s., F.
Vischer, « The Concept of the Characteristic Performance
Reviewed », in Liber Amicorum Georges Droz, Kluwer
Law International, 1996, p. 499 s.
141 Voy. aussi en ce sens, R. Plender/M. Wilderspin (note 8),
n° 7-057-7-058.
142 Cour d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s.
143 Voy. not. Cour d’appel, 23 mai 2001, n° 20289 du rôle;
Cour d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s.; Cour
d’appel, 20 juin 1995, n° 16651 du rôle; Cour d’appel, 10
mai 1994, n° 15664 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 1er juin
2005, n° 91269 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 27 février
2003, n° 47586 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 10 juillet
2002, n° 75629 du rôle; Trib. arr. Luxembourg, 20 juillet
2001, n° 49020 du rôle.
144 Cour d’appel, 11 juillet 2001, n° 24959 du rôle; Cour
21
Prix ALJB 2010
en cas de contrat de dépôt145, du vendeur en cas
de contrat de vente146, de l’entrepreneur en cas
de contrat d’entreprise147, du prête-nom en cas de
contrat de prête-nom148, du livreur en cas de contrat
de livraison149, de l’agent commercial en cas de
contrat d’agence commerciale150. La fourniture d’un
service, d’une assurance ou de l’activité bancaire
constitue donc la prestation caractéristique151.
40. Contrats contenant une clause de
compensation. – Dans certains cas, en particulier
dans le secteur financier, les prestations dues par
les parties au titre d’un contrat comprenant une ou
plusieurs clauses de compensation peuvent être de
multiples prestations réciproques, financières et en
nature. Dans ce cas, on peut s’interroger sur l’identité
de celui qui effectue la prestation caractéristique
et sur la pertinence du facteur de rattachement
proposé par l’article 4 §2 du Règlement Rome I.
Il nous semble toutefois erroné d’ôter toute utilité
au critère de la prestation caractéristique du fait
que l’on est en présence de prestations réciproques
multiples. Il n’entre pas dans l’objet de notre
contribution d’analyser les hypothèses où le critère
de la prestation caractéristique pourrait être retenu
lorsque des parties se doivent des prestations
réciproques multiples. Il est toutefois utile de
mentionner l’étude réalisée par deux auteurs
belges, A.-C. Van Gysel et J. Ingber152 pour
lancer quelques pistes de réflexion. En substance,
ces auteurs considèrent que, pour déterminer la
prestation caractéristique, il convient tout d’abord de
rechercher si la qualité d’une des parties au contrat
permet ou non de déterminer la loi applicable. Ils
citent, par exemple, les contrats bancaires où la loi
du lieu du siège de la banque est applicable aux
d’appel, 2 mars 2000, Pas. 31, p. 274 s.; Trib. arr.
Luxembourg, 10 juillet 2002, n° 75629 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 20 décembre 1995, n° 45828 du rôle; Trib.
arr. Luxembourg, 15 janvier 1992, n° 38484 et 39826 du
rôle.
145 Trib. arr. Luxembourg, 5 mai 1999, n° 59746 du rôle; Trib.
arr. Luxembourg, 14 janvier 1999, n° 47824 du rôle.
146Cour d’appel, 18 juin 2008, n° 29158 du rôle; Cour
d’appel, 25 octobre 2006, n° 30460 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 27 février 2003, n° 47586 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 4 octobre 2001, n° 4020/01 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 17 décembre 1993, n° 42054 du rôle; Trib.
arr. Luxembourg, 29 novembre 1990, n° 39468 du rôle.
147Cour d’appel, 18 juin 2008, n° 29158 du rôle; Cour
d’appel, 13 juillet 2006, n° 29278 du rôle; Cour d’appel,
10 mai 1994, n° 15664 du rôle.
148 Trib. arr. Luxembourg, 6 juin 2002, n° 49563 du rôle.
149 Trib. arr. Luxembourg, 20 juillet 2001, n° 49020 du rôle.
150 Cour d’appel, 21 février 2002, n° 25161 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 21 février 2002, n° 25161 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 17 février 2000, n° 47638 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 14 janvier 1999, n° 47252 du rôle; Trib. arr.
Luxembourg, 7 juillet 1988, n° 37654 du rôle.
151 F. Schockweiler (note 24), n° 510; A.-C. Van Gysel/J.
Ingber (note 140), p. 92-93. A propos des nuances
à apporter en matière bancaire, voy. J. Stoufflet/E.
Bouretz, « Banque et opérations de banque », JCL Droit
international, 2007, Fasc. 566-25, n° 54 s.
152A.-C. Van Gysel/J. Ingber (note 140), p. 55 s.
22
relations contractuelles. Dans l’hypothèse où la
qualité des parties ne peut pas être prise en compte
(par exemple, lorsque les parties au contrat sont
toutes les deux des banques), il faut distinguer les
contrats unilatéraux des contrats synallagmatiques.
Pour les contrats unilatéraux, la loi applicable est
celle du lieu où se trouve le débiteur de la seule
prestation. Pour les contrats synallagmatiques, trois
hypothèses sont possibles: (i) prestation monétaire
contre prestation en nature, (ii) pas de prestations
monétaires et (iii) uniquement des prestations
monétaires. Dans la première hypothèse (prestation
monétaire contre prestation en nature), la loi
applicable est celle du pays où se trouve le débiteur
de la prestation en nature. Dans la seconde (pas de
prestations monétaires), les auteurs recommandent
de recourir à d’autres critères (par exemple, le
lieu d’exécution ou de conclusion du contrat) car
chacune des prestations peut être caractéristique.
Dans la troisième hypothèse (uniquement des
prestations monétaires), il convient de distinguer
si l’argent constitue une rémunération (« argent
rémunératoire ») ou plutôt un service ou un crédit
au sens large (« argent service »). Seul ce dernier
pourra être pris en compte pour déterminer la loi
applicable.
41. Contrat ayant pour seul objet la
compensation. – Lorsque deux parties concluent
un contrat dont le seul objet est de régler la
compensation de leurs obligations réciproques au
titre de différents contrats conclus entre elles, le
recours à l’article 4 §2 du Règlement Rome I est
vain puisqu’il est impossible d’identifier le débiteur
de la prestation caractéristique. C’est donc la règle
sous-subsidiaire des liens les plus étroits qui devra
s’appliquer.
3) Règle sous-subsidiaire
42. Liens les plus étroits. – À défaut de pouvoir
déterminer la loi applicable en recourant aux
rattachements fixes prévus pour les huit contrats
mentionnés à l’article 4 §1 ou au rattachement
subsidiaire de la résidence habituelle du débiteur de
la prestation caractéristique mentionné à l’article
4 §2, le Règlement Rome I prévoit à titre soussubsidiaire que le contrat est régi par la loi du pays
avec lequel il présente les liens les plus étroits (art.
4 §4). Cette disposition confère au juge une marge
d’appréciation afin de déterminer la loi qui présente
les liens les plus étroits avec la situation qui lui est
soumise. Cette liberté ne doit cependant pas être
exagérée dans la mesure où les règles de conflit
de lois du Règlement Rome I doivent présenter
un haut degré de prévisibilité (considérant 16). Le
critère des liens les plus étroits n’a pas la même
fonction dans la Convention de Rome (où il est le
premier critère applicable en l’absence de choix
de loi applicable) et dans le Règlement Rome I.
La jurisprudence luxembourgeoise rendue sous
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
l’empire de la Convention de Rome pourra être
consultée afin de connaître les critères auxquels
les magistrats luxembourgeois ont généralement
recours. Parmi ces critères, on mentionne
habituellement le lieu de conclusion du contrat et
le lieu d’exécution des obligations nées du contrat.
Dans son analyse, le juge saisi pourra également
prendre en compte l’existence de liens plus étroits
avec un ou plusieurs autres contrats (considérant
21).
4) Clause d’exception
43. Liens manifestement plus étroits. – L’article
4 §3 du Règlement Rome I énonce que « [l]orsqu’il
résulte de l’ensemble des circonstances de la cause
que le contrat présente des liens manifestement
plus étroits avec un pays autre que celui visé au
paragraphe 1 ou 2 [de l’article 4 du Règlement
Rome I], la loi de cet autre pays s’applique ». Cette
disposition, que l’on qualifie de clause d’exception,
permet au juge d’appliquer la loi qui présente les
liens manifestement plus étroits avec le cas qui
lui est soumis. Elle apporte de la flexibilité dans
la résolution du conflit de lois dans la mesure où
elle permet d’écarter les rattachements de l’article
4 §1 et §2 dans l’hypothèse où l’application de
ces rattachements n’apporterait pas de solution
satisfaisante. A la différence de la Convention de
Rome (art. 4 §5), le texte du Règlement Rome
I exige que les liens soient « manifestement »
plus étroits avec le pays en cause. L’ajout de cet
adverbe vise, en effet, à faire en sorte que l’article
4 §3 reste d’un usage exceptionnel. Le juge pourra,
entre autres, prendre en compte l’existence de
liens étroits du contrat avec un ou plusieurs autres
contrats (considérant 20). L’article 4 §3 ne précise
pas si les liens manifestement plus étroits qui
déclenchent l’application de la clause d’exception
doivent avoir existé dès la conclusion de l’accord
de compensation ou s’ils peuvent être apparus
ultérieurement (à la suite, par exemple, d’un
déplacement du lieu de l’administration centrale de
l’une des parties). II paraît cependant raisonnable
de s’en tenir en principe, par analogie avec l’article
4 §2, aux éléments existant lors de la conclusion de
l’accord de compensation.
2. Domaine d’application de la loi
déterminée
44. Questions générales relevant du droit des
contrats. – En droit international privé des contrats,
la loi du contrat est généralement dotée d’un empire
très vaste afin d’assurer l’unité et l’économie
du contrat. Il n’existe, à notre connaissance,
pas de jurisprudence luxembourgeoise publiée
relative au domaine de la loi de la compensation
conventionnelle. Il nous semble que, pour assurer
l’unité de compétence législative, l’ensemble du
régime de la compensation doit relever de la lex
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
contractus. Il existe très peu de nouveautés sur ce
point dans le Règlement Rome I par rapport à la
Convention de Rome. L’article 12 du Règlement
Rome I, qui reprend à l’identique le contenu de
l’article 10 de la Convention de Rome, est un texte
général qui énumère, à titre indicatif, une série de
questions qui entrent dans le domaine de la loi du
contrat. Ainsi, la lex contractus régit notamment:
l’interprétation de l’accord de compensation,
l’exécution des obligations qu’il engendre, les
conséquences de l’inexécution totale ou partielle
des obligations nées de l’accord de compensation,
y compris l’évaluation du dommage dans la mesure
où des règles de droit la gouvernent (dans les limites,
toutefois, des pouvoirs attribués au juge saisi par
son droit procédural), les divers modes d’extinction
des obligations, ainsi que les prescriptions et
déchéances fondées sur l’expiration d’un délai,
et les conséquences de la nullité de l’accord de
compensation (art. 12 §1)153. En revanche, les
modalités d’exécution et les mesures à prendre
par le créancier en cas de défaut dans l’exécution
des obligations nées d’un accord de compensation
relèvent de la loi du pays où l’exécution a lieu (art.
12 §2). Enfin, l’existence et la validité d’un accord
de compensation sont soumises à la loi qui serait
applicable si cet accord était valable (art. 10 §1).
45. Questions propres à la compensation. – La
loi applicable à la compensation conventionnelle
régit, notamment, le type d’actifs à compenser154, la
nature des créances à compenser155, les conditions de
la compensation156, le moment auquel compenser,
la manière dont la compensation fonctionne,
la possibilité pour les parties de conférer un
caractère fongible aux objets de plusieurs dettes
qui n’auraient pas en soi ce caractère, le moment
de l’extinction des obligations157 et le fait de savoir
si une convention de compensation peut être tacite.
153 Sur le champ d’application de la lex contractus, voy. le
Rapport Giuliano/Lagarde, p. 32-33; F. Schockweiler
(note 9), n° 116 s.; Idem (note 24), n° 555 s.; J.-C. Wiwinius
(note 24), n° 90 s.
154La compensation conventionnelle peut concerner des
créances de sommes d’argent et des instruments financiers.
155La compensation conventionnelle peut ne pas pouvoir
être invoquée à l’encontre d’une créance alimentaire ou
salariale.
156A l’instar des deux autres types de compensation, la
compensation conventionnelle exige au minimum que
les dettes soient réciproques et qu’elles existent entre les
mêmes personnes agissant en la même qualité (P. Van
Ommeslaghe (note 61), n° 1562).
157 Les parties peuvent souhaiter que l’extinction de leurs
obligations se fasse au moment de la conclusion du contrat
de compensation (compensation immédiate) ou au moment
prévu dans le contrat de compensation (compensation
future).
23
Prix ALJB 2010
II. Compensation dans le contexte
d’une procédure d’insolvabilité
internationale
46. Remarque introductive. – Le législateur
européen, soucieux de garantir la sécurité
juridique, a élaboré des règles de conflit de lois
en matière d’insolvabilité internationale qui
intéressent la compensation. Plusieurs instruments
communautaires contiennent des règles en la
matière. Il s’agit du Règlement Insolvabilité,
de la Directive Banques158 transposée en droit
luxembourgeois par la loi du 19 mars 2004159,
de la Directive Assureurs160 transposée en droit
luxembourgeois par la loi du 11 mars 2004161
et de la Directive Finalité162 transposée en droit
luxembourgeois par la loi du 12 janvier 2001163.
Dans la mesure où le Règlement Insolvabilité a
succédé à la convention européenne du 23 novembre
1995 relative aux procédures d’insolvabilité (qui
n’est jamais entrée en vigueur) et en a repris les
principes, le Rapport Virgòs/Schmit164, qui est le
158Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du
Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la
liquidation des établissements de crédit (JO, L 125, 5 mai
2001, p. 15 s.).
159 Loi du 19 mars 2004 portant transposition dans la loi
modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier de
la directive 2001/24/CE du Parlement européen et du
Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la
liquidation des établissements de crédit (Mémorial A, N°
45, 29 mars 2004, p. 708 s.).
160Directive 2001/17/CE du Parlement européen et du
Conseil du 19 mars 2001 concernant l’assainissement et la
liquidation des entreprises d’assurance (JO, L 110, 20 avril
2001, p. 28 s.).
161 Loi du 11 mars 2004 relative à l’assainissement et la
liquidation des entreprises d’assurances et modifiant la loi
modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances
(Mémorial A, N° 44, 29 mars 2004, p. 696 s.).
162 Directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil
du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du
règlement dans les systèmes de paiement et de règlement
des opérations sur titres (JO, L 166, 11 juin 1998, p. 45 s.).
La Directive Finalité est modifiée par la directive 2009/44/
CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009
modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère
définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de
règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/
CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui
concerne les systèmes liés et les créances privées (JO, L
146, 10 juin 2009, p. 37 s.).
163Loi du 12 janvier 2001 portant transposition de la
directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du
règlement dans les systèmes de paiement et de règlement
des opérations sur titres dans la loi modifiée du 5 avril
1993 relative au secteur financier et complétant la loi du
23 décembre 1998 portant création d’une commission
de surveillance du secteur financier (Mémorial A, N° 16,
6 février 2001, p. 681 s.). Les dispositions relatives aux
systèmes ont été transférées dans la loi du 10 novembre
2009 relative aux services de paiement (Mémorial A, N°
215, 11 novembre 2009, p. 3698 s.).
164M. Virgòs/E. Schmit, Rapport sur la convention relative
aux procédures d’insolvabilité, 3 mai 1996 (réf. 6500/96).
Le Rapport Virgòs/Schmit est notamment reproduit
dans The EC Regulation on Insolvency Proceedings. A
24
commentaire officiel de cette convention, constitue
une clé d’interprétation importante du Règlement
Insolvabilité. Nous examinerons dans une première
partie les règles de conflit de lois applicables lorsque
la procédure d’insolvabilité est ouverte à l’étranger.
Une seconde partie sera consacrée aux règles
de conflit de lois applicables dans le cadre d’une
procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg.
A. Procédure d’insolvabilité
ouverte à l’étranger
1. Règlement Insolvabilité
47. Champ d’application165. – Le Règlement
Insolvabilité est entré en vigueur le 31 mai
2002 (art. 47) et est directement applicable dans
l’ensemble des Etats membres, à l’exception du
Danemark (considérant 33). Il s’applique « aux
procédures collectives fondées sur l’insolvabilité
du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel
ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un
syndic » (art. 1 §1). Le Règlement Insolvabilité
pose quatre conditions à son application. Il vise des
« procédures collectives », ce qui exclut les actions
individuelles (1ère condition). Les procédures
d’insolvabilité visées doivent être fondées sur
l’insolvabilité du débiteur (2ème condition). La
notion d’« insolvabilité » n’est pas définie par le
Règlement Insolvabilité. Il appartient à la loi de l’Etat
d’ouverture de la procédure d’insolvabilité (lex
concursus) de déterminer les conditions d’ouverture
d’une telle procédure (art. 4 §2). Le « débiteur »
peut être une personne physique ou morale, un
commerçant ou un particulier (considérant 9). Il
Commentary and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/
Isaacs), 2ème éd., Oxford University Press, 2009, p. 382 s.
165 Pour les détails, voy. D. Bureau, « La fin d’un îlot de
résistance. Le Règlement du Conseil relatif aux procédures
d’insolvabilité », RCDIP, 2002, n° 6 s.; P. De Cesari/G.
Montella, Le procedure di insolvenza nella nuova
disciplina comunitaria. Commentario articolo per articolo
del regolamento CE N. 1346/2000, Giuffrè, 2004, p. 81
s.; I. Fletcher, « Scope and Jurisdiction », in The EC
Regulation on Insolvency Proceedings. A Commentary
and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème
éd., Oxford University Press, 2009, n° 3.01 s.; Idem,
Insolvency in Private International Law. National and
International Approaches, 2ème éd., Oxford University
Press, 2005, n° 7.29 s.; M. Lemal, « La faillite (loi du 7
août 1997 sur les faillites) », in Traité pratique de droit
commercial (Dir. Verougstraete), 2ème éd., tome II, Kluwer,
2010, n° 670 s.; F. Mélin, Le règlement communautaire
du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité,
Bruylant/FEC, 2008, n° 15 s.; M. Raimon, Le règlement
communautaire 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux
procédures d’insolvabilité, LGDJ, 2007, n° 43 s.; P. L. C.
Torremans, Cross Border Insolvencies in EU, English and
Belgian Law, Kluwer Law International, 2002, p. 140 s.;
I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat,
Kluwer, 2003, n° 1180 s.; M. Virgòs/F. Garcimartín,
The European Insolvency Regulation: Law and Practice,
Kluwer Law International, 2004, n° 25 s.; B. Wessels,
International Insolvency Law, Kluwer Law International,
2006, n° 10426 s.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
appartient également à l’Etat d’ouverture de la
procédure d’insolvabilité de déterminer qui sont
les débiteurs visés par le Règlement Insolvabilité
(art. 4 §2 a)). Les procédures collectives doivent
entraîner le « dessaisissement » total ou partiel
du débiteur (3ème condition) et la désignation d’un
« syndic » (4ème condition) qui est défini comme
« toute personne ou tout organe dont la fonction
est d’administrer ou de liquider les biens dont le
débiteur est dessaisi ou de surveiller la gestion de
ses affaires » (art. 2 b)). Le Règlement Insolvabilité
ne s’applique que si le « centre des intérêts
principaux » du débiteur est localisé dans l’Union
européenne (considérant 14) et si les procédures
d’insolvabilité ont des effets transfrontaliers
(considérants 3 et 8). Enfin, le Règlement
Insolvabilité exclut de son champ d’application
les établissements de crédit, les entreprises
d’assurances, les organismes de placement collectif
et les entreprises d’investissement dont les services
impliquent la détention de fonds ou de valeurs
mobilières (art. 1 §2). Ces entités relèvent d’autres
textes communautaires ou du droit commun de
l’insolvabilité internationale que nous examinerons
plus loin.
48. Description générale du mécanisme
du Règlement Insolvabilité en matière de
compensation. – La compensation n’est évoquée
expressément que dans les considérants 26 et 27
ainsi que dans deux dispositions du Règlement
Insolvabilité. Or, ce sont au total quatre dispositions
qui intéressent la compensation.
Tout d’abord, l’article 4 §2 d) du Règlement
Insolvabilité prévoit, comme règle principale,
que la loi de l’État d’ouverture de la procédure
d’insolvabilité détermine « les conditions
d’opposabilité d’une compensation ».
Ensuite, l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité
introduit une exception à la règle principale de
l’article 4 §2 d) en disposant que « [l]’ouverture de
la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit
d’un créancier d’invoquer la compensation de sa
créance avec la créance du débiteur, lorsque cette
compensation est permise par la loi applicable à la
créance du débiteur insolvable ». L’expression un
peu laborieuse de « loi applicable à la créance du
débiteur insolvable » doit s’entendre comme la loi
applicable à la créance dont le débiteur insolvable
est le titulaire envers l’autre partie166. On notera que
la règle de l’article 6 §1 est semblable à celle prévue
à l’article 17 du Règlement Rome I qui retient la
règle de la loi de la créance passive en matière de
compensation légale. Le Règlement Insolvabilité
opte donc pour une solution où deux lois auraient
vocation à s’appliquer en matière de compensation:
la lex concursus comme règle principale et la loi
166Rapport Virgòs/Schmit, n° 108.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
applicable à la créance du débiteur insolvable (loi
de la créance passive) en tant que règle subsidiaire.
Puis, l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité
prévoit une exception à la règle subsidiaire de
l’article 6 §1 en disposant que celui-ci ne fait
pas obstacle aux actions en nullité, en annulation
ou en inopposabilité visées à l’article 4 §2 m)
du Règlement Insolvabilité selon lequel la lex
concursus détermine les règles relatives à la nullité,
à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes
préjudiciables à l’ensemble des créanciers. Ces
règles visent les nullités de la période suspecte.
Enfin, l’exception prévue à l’article 6 §2 fait ellemême l’objet d’une exception prévue à l’article 13
du Règlement Insolvabilité qui dispose que l’article
4 §2 m) « n’est pas applicable lorsque celui qui a
bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des
créanciers apporte la preuve que: [(i)] cet acte est
soumis à la loi d’un autre État membre que l’État
d’ouverture, et que, [(ii)] cette loi ne permet en
l’espèce, par aucun moyen, d’attaquer cet acte ».
Les règles établies par le Règlement Insolvabilité en
matière de compensation peuvent être récapitulées
comme suit:
1) Règle principale: application de la lex
concursus à la compensation (art. 4);
2) Règle subsidiaire: application de la loi de la
créance passive à la compensation lorsque la
lex concursus ne permet pas la compensation
(art. 6 §1);
3) Exception à la règle subsidiaire: application
des règles de la lex concursus aux actes
préjudiciables envers les autres créanciers du
débiteur insolvable (art. 6 §2 et art. 4 §2 m));
4) Exception à l’exception à la règle
subsidiaire: non application des règles de la
lex concursus aux actes préjudiciables envers
les autres créanciers du débiteur insolvable (i)
si l’acte préjudiciable est soumis à la loi d’un
Etat membre autre que l’Etat d’ouverture de la
procédure d’insolvabilité et (ii) si la loi de cet
autre Etat membre ne permet pas d’attaquer
l’acte concerné (art. 13).
On notera que la compensation est considérée
comme un moyen d’extinction d’obligations
réciproques lorsque l’article 4 du Règlement
Insolvabilité s’applique tandis qu’elle assume un
rôle de garantie lorsque l’article 6 §1 est invoqué167.
Cette dernière disposition se situe, en effet, dans
167Rapport Virgòs/Schmit, n° 109; P. De Cesari/G. Montella
(note 165), p. 150; European Financial Markets Lawyers
Group, Protection for Bilateral Insolvency Set-off and
Netting Agreements under EC Law, October 2004, n° 66 s.,
sp. n° 71; I. Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.100;
M. Lemal (note 165), n° 703; M. Virgòs/F. Garcimartín
(note 165), n° 185.
25
Prix ALJB 2010
la ligne de l’article 5 (droits réels des tiers) et de
l’article 7 (réserve de propriété) du Règlement
Insolvabilité qui établissent des régimes spéciaux
destinés à protéger les droits des créanciers.
Enfin, la fonction de garantie de la compensation
est expressément rappelée dans le préambule du
Règlement Insolvabilité: « La compensation devient
ainsi une sorte de garantie régie par une loi dont le
créancier concerné peut se prévaloir au moment de
la naissance de la créance » (considérant 26).
Les sections suivantes détaillent les règles résumées
ci-dessus et examinent les questions particulières
pouvant se poser en matière de compensation.
a. Règle principale
49. Application de la lex concursus. – La règle de
conflit de lois prévue par l’article 4 du Règlement
Insolvabilité semble claire de prime abord.
L’article 4 §1 indique, en effet, que la loi applicable
à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est la
lex concursus et l’article 4 §2 ajoute que la lex
concursus détermine les conditions d’ouverture,
le déroulement et la clôture de la procédure ainsi
qu’une série d’autres questions énumérées à
titre d’illustrations comme les débiteurs pouvant
faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité, les
pouvoirs du débiteur et du syndic et, ce qui nous
intéresse davantage, les conditions d’opposabilité
d’une compensation.
50. Interprétations doctrinales de l’article 4
du Règlement Insolvabilité. – Malgré sa clarté
apparente, l’article 4 du Règlement Insolvabilité est
l’objet de différentes interprétations en doctrine168.
Ceci semble résulter des différentes versions
linguistiques de l’article 4 §2 qui mentionne au
titre de question régie par la lex concursus les
« conditions d’opposabilité » de la compensation.
Alors que la version anglaise paraît neutre (the
conditions under which set-offs may be invoked),
les versions française, espagnole (las condiciones
de oponibilidad de una compensación), allemande
(die Voraussetzungen für die Wirksamkeit einer
Aufrechnung) et italienne (le condizioni di
opponibilità della compensazione) se lisent de
façon plus restrictive en ne mentionnant que les
conditions d’opposabilité de la compensation. Une
première lecture de l’article 4 §2 d) du Règlement
Insolvabilité, isolée des autres dispositions de
l’article 4, pourrait laisser croire que le législateur
communautaire n’a voulu soumettre que les
conditions d’opposabilité de la compensation à
la lex concursus en laissant le soin à la loi de la
créance passive de régir les autres aspects de la
compensation.
168 Pour un aperçu de la question, voy. F. Mélin (note 165), n°
203; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181.
26
Une partie de la doctrine est donc d’avis que c’est
la loi de la créance passive qui déciderait de la
validité et de l’opposabilité de la compensation
tandis que la lex concursus ne déterminerait que
la place que peut occuper le créancier qui invoque
la compensation par rapport aux autres créanciers
du débiteur insolvable169. Selon cette approche, la
première question que le juge saisi devrait se poser
serait donc celle de savoir si le créancier dispose
ou non du droit de compenser en vertu de la loi
qui régit sa créance (application de la lex causae).
Si le créancier bénéficie effectivement d’un tel
droit, le juge devrait alors se demander si ce droit
de compensation peut être invoqué dans le cadre
d’une procédure d’insolvabilité (application de la
lex concursus).
Cette interprétation, qui résulte d’une lecture
restrictive de l’article 4 §2 d), ne nous semble
cependant pas refléter la finalité du Règlement
Insolvabilité et devrait donc être écartée. En effet,
comme l’ont souligné les éminents auteurs M.
Virgòs et F. Garcimartín, une telle interprétation
du Règlement Insolvabilité aurait pour effet
d’imposer un modèle national de compensation
en cas d’insolvabilité d’un débiteur au niveau de
l’Union européenne alors que le but du Règlement
Insolvabilité est précisément de préserver la
neutralité de l’article 4 à l’égard des différents
modèles de compensation qui existent dans le droit
des Etats membres170.
Afin d’apprécier la portée de l’article 4 du
Règlement Insolvabilité, certains auteurs171, à
l’avis desquels nous nous rangeons, recommandent
plutôt d’en faire une lecture globale. L’article 4
§1 confère, en effet, une compétence de principe
à la lex concursus. Cette compétence connaît des
exceptions prévues aux articles 5 et suivants du
Règlement Insolvabilité. L’article 4 §2 liste, quant
à lui, des exemples de questions soumises à la lex
concursus, parmi lesquelles figurent expressément
les conditions d’opposabilité de la compensation.
La liste de ces exemples ne limite donc pas le
champ d’application de la lex concursus mais
vise uniquement à illustrer son rôle et à éliminer
certains doutes concernant le champ d’application
de l’article 4 §1172.
169D. Bureau (note 165), n° 82; M.-N. Jobard-Bachellier,
« Le sort des garanties », in L’effet international de la
faillite: une réalité ? (Dir. Jault-Seseke/Robine), Dalloz,
2004, p. 142. Voy. aussi les références citées par M.
Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181.
170M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 181-182.
171 F. Mélin (note 165), n° 203; Idem, « La loi applicable à
la compensation dans les procédures communautaires
d’insolvabilité », Clunet, 2007, n° 12 s.; M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 182.
172 F. Mélin (note 171), n° 12-13; M. Virgòs/F. Garcimartín
(note 165), n° 182.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
On notera que certains systèmes juridiques prévoient
des règles particulières qui précisent les conditions et
les effets de la compensation en cas d’insolvabilité.
Ces règles existent parallèlement aux règles de
droit commun régissant la compensation en dehors
du contexte d’une procédure d’insolvabilité.
D’autres systèmes juridiques se limitent à indiquer
si une compensation, possible en vertu des
règles de droit commun, peut produire des effets
dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité173.
L’article 4 du Règlement Insolvabilité doit être lu
en tenant compte de ces différences. Lorsque le
système juridique relève de la première catégorie
(existence parallèle de règles de droit commun et
de règles particulières en cas d’insolvabilité), la
lex concursus déterminera si une compensation est
possible et, dans l’affirmative, à quelles conditions.
Le point d’attache sera, dans ce cas, l’article 4 §1
du Règlement Insolvabilité. En revanche, lorsque
le système juridique appartient à la seconde
catégorie (existence de règles de droit commun et
de règles sur les seuls effets de la compensation de
droit commun dans une procédure d’insolvabilité),
il sera alors utile de se référer à l’article 4 §2 du
Règlement Insolvabilité174.
b. Règle subsidiaire
51. Application de la loi de la créance passive
lorsque la lex concursus ne permet pas la
compensation. – La règle principale de la lex
concursus présente deux désavantages pour les
professionnels du secteur financier. Tout d’abord,
si une partie à un contrat souhaite évaluer les
conséquences de l’éventuelle insolvabilité de son
cocontractant, elle devra déterminer au préalable
l’Etat membre où la procédure d’insolvabilité
serait susceptible d’être ouverte à l’encontre de
ce cocontractant175. Pour ce faire, elle devra avoir
connaissance du lieu où se trouve le centre des
intérêts principaux de son cocontractant lors de
la conclusion de leur contrat. Une telle situation
ne rencontre évidemment pas les attentes de
cette partie si, durant l’existence du contrat, son
cocontractant vient à transférer le centre de ses
intérêts principaux. Ensuite, des parties croyant
pouvoir se prévaloir d’une compensation au regard
de la loi applicable à leurs créances réciproques ou
d’un accord de compensation dont elles auraient
choisi la loi applicable, pourraient voir leurs
prévisions déjouées par l’ouverture d’une procédure
173Pour un aperçu en droit comparé, voy. M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 182.
174M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 182; Pour une
illustration, voy. F. Mélin (note 165), n° 203; Idem (note
171), n° 13.
175I. Fletcher, Insolvency… (note 165), n° 7-82 et 7.98;
Idem, « Choice of Law Rules », in The EC Regulation on
Insolvency Proceedings. A Commentary and Annotated
Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème éd., Oxford
University Press, 2009, n° 4.23; M. Virgòs/F. Garcimartín
(note 165), n° 179.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
d’insolvabilité relevant d’une loi n’admettant pas la
compensation. Cette solution va donc à l’encontre
de la fonction de garantie que joue la compensation
dans un contexte d’insolvabilité internationale176.
Afin de pallier ces désavantages177, le Règlement
Insolvabilité prévoit une exception à la lex concursus
dans le but de protéger « la confiance légitime et
la sécurité des transactions » (considérant 24).
Selon l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité,
l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité
n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer
la compensation de sa créance avec la créance du
débiteur insolvable lorsque cette compensation
est permise par la loi de la créance passive. Le
droit de compensation dépend ainsi d’une loi qui
est prévisible dès la conclusion du contrat qui
fait naître la créance du débiteur. Un changement
du centre des intérêts principaux du débiteur
insolvable n’affectera pas cette solution. Cette
intention est clairement reflétée dans le préambule
du Règlement Insolvabilité qui prévoit que si la
lex concursus n’admet pas la compensation, un
créancier a toutefois droit à une compensation
si la compensation est possible en vertu de la loi
applicable à la créance du débiteur insolvable
(considérant 26). Ainsi, il est généralement admis
que l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité a pour
objet d’écarter l’application de toute restriction
de la lex concursus aux questions liées à la
compensation si celle-ci est autorisée par la loi de la
créance passive178. On notera que la disposition de
la loi de la créance passive en faveur de la validité
de la compensation a été qualifiée de « sorte de loi
de police » prévalant sur la lex concursus179.
En pratique, si une banque luxembourgeoise et
une société opérationnelle ayant le centre de ses
intérêts principaux dans un autre Etat membre
auquel le Règlement Insolvabilité s’applique ont
conclu des contrats et si la société opérationnelle
fait ultérieurement l’objet d’une procédure
d’insolvabilité ouverte dans cet Etat membre,
le juge saisi devra d’abord examiner si la lex
concursus admet l’opposabilité de la compensation.
Si la lex concursus admet cette opposabilité, la
compensation sera normalement possible. Cela
176M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 179.
177 Une approche permettant à des créanciers d’échapper à la
lex concursus pourrait consister à demander l’ouverture
d’une procédure secondaire dans un Etat membre où leur
débiteur, déjà soumis à une procédure dans l’Etat membre
où est situé le centre de ses intérêts principaux, dispose
d’un établissement afin de se soumettre à la loi l’Etat de
la procédure secondaire. Cette approche ne serait toutefois
intéressante que si cette loi admettait la compensation (F.
Mélin (note 165), n° 204; Idem (note 171), n° 15).
178V. Marquette, « L’incidence du règlement 1346/2000
relatif aux procédures d’insolvabilité sur les sûretés
bancaires contractuelles », in Sûretés bancaires et
financières, Cahiers AEDBF/EVBFR Belgium, Nº 15,
Bruylant, 2004, n° 72.
179M. Raimon (note 165), n° 589.
27
Prix ALJB 2010
suppose bien évidemment que la loi de la créance
passive soit différente de la lex concursus. Si la lex
concursus ne reconnaît pas la compensation, le juge
se tournera alors vers la loi de la créance passive
pour savoir si la compensation peut être opposée
dans le cadre de la procédure d’insolvabilité. Si la
loi applicable à la créance du débiteur insolvable
n’offre pas plus de possibilités de compensation
que la lex concursus, cette dernière retrouvera alors
un titre à s’appliquer180.
52. Notion de « compensation ». – Le Règlement
Insolvabilité ne précise pas ce que recouvre le
terme « compensation » utilisé à l’article 6 §1. Se
pose donc la question de savoir si cette disposition
ne vise que la compensation légale ou si elle
inclut la compensation conventionnelle. Cette
question est fondamentale pour les professionnels
du secteur financier désireux de voir leurs accords
de compensation rendus opposables dans un
contexte d’insolvabilité internationale. Les sources
disponibles confirment que l’article 6 §1 inclut la
compensation conventionnelle. Tout d’abord, le
Rapport Virgòs/Schmit (n° 110) prévoit dans son
commentaire sur l’article 6 « qu’en cas d’accord
portant sur la compensation conventionnelle de
diverses créances entre deux parties, la loi de
l’Etat contractant applicable à cet accord régira la
compensation de créances visées par l’accord et nées
avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ».
Ensuite, M. Virgòs181 et F. Garcimartín182,
confirment que la compensation conventionnelle
est visée par l’article 6 §1 en invoquant trois
éléments. Tout d’abord, l’article 6 §1 n’exclut pas
expressément la compensation conventionnelle
de son champ d’application. Ensuite, le champ
d’application de l’article 6 §1 doit inclure la
compensation conventionnelle afin de respecter
son objectif qui est de protéger la confiance
légitime des créanciers d’un débiteur insolvable et
la sécurité des transactions (considérant 24). Enfin,
180P. Wautelet, « Le nouveau droit international privé
belge », Forum financier / Droit bancaire et financier,
2005/II, n° 42.
181M. Virgòs, « The 1995 European Community Convention
on Insolvency Proceedings: an Insider’s View », Forum
Internationale, N° 25, n° 44.
182M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 191 s.
L’argumentaire développé par M. Virgòs/F. Garcimartín
a été critiqué par F. Mélin qui estime hasardeux de se
baser sur la Directive Banques qui admet expressément la
prise en compte de la compensation conventionnelle et le
recours à la loi qui lui est applicable pour en déduire que
la même approche devrait être retenue pour le Règlement
Insolvabilité alors qu’aucune disposition du Règlement
Insolvabilité ne va explicitement dans ce sens. De plus,
cet auteur est d’avis qu’un argument de texte devrait
aussi être pris en compte. L’article 6 §1 se réfère à « la
loi applicable à la créance du débiteur insolvable ». Cette
formule ne s’accorderait pas, selon F. Mélin, avec la
proposition de prise en compte de la loi régissant l’accord
de compensation ((note 165), n° 208; (note 171), n° 2628).
28
admettre que la compensation conventionnelle soit
visée par l’article 6 §1 permet d’articuler le régime
prévu par la Directive Banques qui sera examiné
plus loin. A ce stade, on mentionnera que l’article
23 §1 de la Directive Banques contient une règle de
conflit de lois semblable à celle de l’article 6 §1 du
Règlement Insolvabilité (application de la loi de la
créance passive) mais que l’article 25 de la Directive
Banques énonce, en outre, que les conventions de
compensation sont régies exclusivement par la loi
applicable au contrat régissant ces conventions
(application de la lex contractus). Ne pas admettre
que l’article 6 §1 s’applique à la compensation
conventionnelle mènerait à une situation
paradoxale car, dans ce cas, si une banque et une
société opérationnelle concluaient un accord de
compensation, la compensation conventionnelle
serait opposable dans l’hypothèse où ce serait
la banque qui ferait l’objet d’une procédure
d’insolvabilité (application de l’article 25 de la
Directive Banques) alors que la compensation
conventionnelle ne serait pas opposable si c’était
la société opérationnelle qui faisait l’objet d’une
procédure d’insolvabilité (application – erronée –
de l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité)183. Au
vu de ce qui précède, il ne fait donc aucun doute
que les accords de compensation sont visés par la
règle protectrice de l’article 6 §1 du Règlement
Insolvabilité184.
Une autre question qui se pose est de savoir si
l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité vise la
compensation avec déchéance du terme (closeout netting). Cette forme de compensation est
définie dans plusieurs textes185 dont la Directive
Collateral186 qui donne la définition suivante:
« une clause d’un contrat de garantie financière
ou d’un contrat qui contient un contrat de garantie
financière, ou, en l’absence de toute clause de ce
type, toute disposition législative et réglementaire,
en vertu de laquelle la survenance d’un fait
motivant l’exécution, que ce soit par novation ou
compensation ou d’une autre manière, entraîne
les effets suivants: [(i)] le délai restant à courir
avant l’échéance des obligations des parties est
supprimé, de sorte que lesdites obligations sont
soit immédiatement exigibles et exprimées comme
une obligation de payer un montant représentant
183M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 193-194.
184 Voy. aussi en ce sens, M. Lemal (note 165), n° 703; I.
Verougstraete (note 165), n° 1210.
185 Voy. les définitions données par l’article 2 k) de la Directive
Finalité, par l’article 31 j) de La Convention d’Unidroit sur
les règles matérielles relatives aux titres intermédiés et les
recommandations 101 à 107 du Guide législatif sur le droit
de l’insolvabilité de la Commission des Nations Unies
pour le droit commercial international.
186Directive 2002/47/CE du Parlement européen et du
Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie
financière (JO, L 168, 27 juin 2002, p. 43 s.). La Directive
Collateral est modifiée par la directive 2009/44/CE citée à
la note 162 ci-dessus.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
leur valeur courante estimée, soit éteintes et
remplacées par une obligation de payer le montant
susmentionné, et/ou [(ii)] un relevé est établi des
sommes que se doivent mutuellement les parties en
vertu de ces obligations et un montant égal au solde
net doit être versé par la partie dont la dette est la
plus élevée » (art. 2 §1 n)). La compensation avec
déchéance du terme est une forme particulière de
compensation187 élaborée par la pratique et destinée
à assurer le règlement de dettes et de créances
résultant, par exemple, de transactions financières.
Puisque l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité
ne prévoit pas d’exclusion ni de restriction en
matière de compensation conventionnelle, nous
estimons que cette disposition vise les accords de
compensations relatifs à des créances monétaires
réciproques et toutes les autres formes d’accords de
compensation plus complexes dont la fonction est
de prévoir la compensation comme les clauses de
compensation avec déchéance du terme188.
53. Application des dispositions du droit de
l’insolvabilité de la loi de la créance passive. – La
question s’est posée de savoir si le juge examinant si
la compensation est permise par la loi de la créance
passive doit se référer aux dispositions de droit
commun (applicables en l’absence d’insolvabilité)
en matière de compensation de la loi concernée
ou aux dispositions du droit de l’insolvabilité
relatives à la compensation. Le rapport Virgòs/
Schmit (n° 109) est clair sur ce point: « [l]’article
6 constitue une exception à l’applicabilité générale
de [la lex concursus] à cet égard en permettant la
compensation dans les conditions prévues pour la
compensation en cas d’insolvabilité189 par la loi
applicable à la créance du débiteur insolvable ».
La doctrine considère également que c’est bien aux
règles de la loi de la créance passive applicables en
matière d’insolvabilité qu’il faut se référer190 même
si aucune procédure d’insolvabilité n’est ouverte
dans cet État191.
187P. Van Ommeslaghe (note 61), n° 1560.
188 Voy. aussi en ce sens, M. Virgòs/F. Garcimartín (note
165), n° 193. Contra: V. Marquette (note 178), n° 71. Cet
auteur est d’avis que l’article 6 §1 ne s’applique pas à la
compensation avec déchéance du terme au motif que la
compensation n’est qu’un des éléments constitutifs de la
compensation avec déchéance du terme.
189 C’est nous qui soulignons.
190 F. Mélin (note 165), n° 209; Idem (note 171), n° 30-31;
G. Moss/T. Smith, « Commentary on Council Regulation
1346/2000 on Insolvency Proceedings », in The EC
Regulation on Insolvency Proceedings. A Commentary
and Annotated Guide (Ed. Moss/Fletcher/Isaacs), 2ème
éd., Oxford University Press, 2009, n° 8.203; P. Nabet,
La coordination des procédures d’insolvabilité en droit
de la faillite internationale et communautaire, Litec,
2010, n° 148; M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n°
187; I. Verougstraete (note 165), n° 1210; N. Watté,
« L’opposabilité … » (note 1), n° 42.
191M. Raimon (note 165), n° 592.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
54. Créances nées avant la procédure
d’insolvabilité. – L’article 6 §1 du Règlement
Insolvabilité ne précise pas si son régime de
faveur vise à la fois les créances nées avant et
celles nées après l’ouverture d’une procédure
d’insolvabilité. En se basant sur la lettre de l’article
6 §1, qui ne contient aucune limitation expresse,
certains auteurs192 sont d’avis que l’article 6 §1
devrait s’appliquer sans distinguer les créances
antérieures des créances postérieures à l’ouverture
de la procédure d’insolvabilité. En Belgique, N.
Watté193 considère que la réponse à cette question
devrait être réglée par la loi applicable à la créance
du débiteur insolvable. Cette solution reposerait sur
la philosophie de l’article 6 qui est de préserver le
droit acquis à la compensation en vertu d’une loi
différente de la lex concursus. Selon la majorité
des auteurs194, cependant, l’article 6 §1 ne doit
s’appliquer que dans l’hypothèse où les créances
à compenser existaient avant l’ouverture de la
procédure d’insolvabilité. Cette dernière solution
doit, selon nous, être retenue. Tout d’abord, la
finalité de l’article 6 §1 est de protéger les attentes
des créanciers en matière de compensation lorsque
ces attentes sont nées avant l’ouverture de la
procédure d’insolvabilité195. Cette disposition
s’applique dès lors aux créances nées, par exemple,
de contrats conclus avant cette ouverture. Ensuite,
en mentionnant que « [l]’ouverture de la procédure
d’insolvabilité n’affecte pas le droit d’un créancier
d’invoquer la compensation de sa créance », le
texte semble se limiter aux créances nées avant
l’ouverture de la procédure196. Les créances nées
après l’ouverture de la procédure devraient donc
être soumises à la lex concursus et à l’article 4 du
Règlement Insolvabilité197.
55. Créances régies par la loi d’un Etat
membre ou d’un Etat tiers. – A l’inverse d’autres
dispositions du Règlement Insolvabilité, l’article
6 §1 n’indique pas expressément que la loi de la
créance passive doit être celle d’un Etat membre198.
192P. De Cesari/G. Montella (note 165), p. 153.
193N. Watté, « L’opposabilité … » (note 1), n° 42.
194Rapport Virgòs/Schmit, n° 110; D. Devos, « La directive
européenne du 19 mai 1998 concernant le caractère
définitif dans les systèmes de paiement et de règlement
des opérations sur titres », Euredia, 1999/2, n° 11; Idem,
« Collateral transactions in payment and securities
settlement systems: the EU Framework », Forum financier
/ Droit bancaire et financier, 2002/I, n° 11; F. Mélin (note
165), n° 207; Idem (note 171), n° 25; M. Hellner (note 26),
p. 266; I. Fletcher (note 175), n° 4.24 et 4.26; G. Moss/T.
Smith (note 190), n° 8.205; M. Virgòs (note 181), n° 44;
M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 188; B. Wessels
(note 165), n° 10662.
195 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note 171), n° 25; M.
Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 188.
196 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note 171), n° 25.
197 F. Mélin (note 165), n° 207; Idem (note171), n° 25; G.
Moss/T. Smith (note 190), n° 8.205; B. Wessels (note 165),
n° 10662.
198 Voy. sur ce point le Rapport Virgòs/Schmit, n° 93.
29
Prix ALJB 2010
Certains auteurs, dont nous partageons l’avis,
estiment que les créances régies par la loi d’un Etat
tiers entrent donc dans le champ d’application de
l’article 6 §1199. Cette approche nous semble en
accord avec l’esprit du Règlement Insolvabilité
qui tend à favoriser la compensation200. Selon
d’autres auteurs, la formulation de l’article 6
§1 du Règlement Insolvabilité ne requerrait pas
qu’il soit fait expressément référence à la loi
d’un Etat membre dans le texte de l’article 6 §1
pour que cette restriction s’applique puisqu’elle
est implicitement reconnue par la limitation du
Règlement Insolvabilité au cadre communautaire201.
Si cette dernière solution était retenue, les règles de
conflit de lois de droit commun des Etats membres
devraient s’appliquer en cas de créances régies
par la loi d’un Etat tiers avec pour conséquence
possible que la compensation ne serait pas aussi
bien protégée que dans le cadre du Règlement
Insolvabilité.
c. Exception à la règle subsidiaire
56. Application de la lex concursus aux actes
préjudiciables aux créanciers. – La règle
principale rendant applicable la lex concursus à
la compensation peut être écartée lorsque cette loi
n’est pas favorable à la compensation et céder la
place à la règle subsidiaire selon laquelle la loi de la
créance passive s’applique à la compensation. Afin
de protéger les créanciers du débiteur insolvable ne
bénéficiant pas d’un droit de compensation, l’article
6 §2 du Règlement Insolvabilité prévoit cependant
une exception à la loi de la créance passive et confère
à la lex concursus un titre à s’appliquer aux actions
en nullité, en annulation ou en inopposabilité des
actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.
Par conséquent, même si la compensation échappe
à l’application de la lex concursus par l’effet de
l’article 6 §1, la lex concursus entre à nouveau en jeu
s’il y a lieu d’annuler ou de rendre inopposables des
actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers ou
encore si l’ouverture de la procédure d’insolvabilité
199P. De Cesari/G. Montella (note 165), p. 152; I.
Fletcher, Insolvency … (note 165), n° 7.100-7.101 (cet
auteur rappelle l’évolution historique du texte sur la
règle subsidiaire applicable en matière de compensation
et souligne que la référence initiale à la loi d’un Etat
contractant a été supprimée du texte par la suite); Idem
(note 175), n° 4.25; G. C. Giorgini, Méthodes conflictuelles
et règles matérielles dans l’application des « nouveaux
instruments » de règlement de la faillite internationale,
Dalloz, 2006, n° 873; F. Mélin (note 165), n° 210; Idem
(note 171), n° 32-33; P. Nabet (note 190), n° 148; M.
Raimon (note 165), n° 590; P. L. C. Torremans (note 165),
p. 178-179; I. Verougstraete (note 165), n° 1210; N.
Watté, « L’opposabilité … » (note 1), n° 42; B. Wessels
(note 165), n° 10665.
200 Voy. aussi en ce sens, F. Mélin (note 165), n ° 210; Idem
(note 171), n° 33.
201G. Moss/T. Smith (note 190), n° 8.200 et 8.202; M.
Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 137 et n° 189.
30
entraîne automatiquement l’annulation de tels
actes.
57. Accords de compensation conclus pendant
la période suspecte. – Des accords de compensation
conclus pendant la période suspecte sont
susceptibles d’être annulés ou rendus inopposables
en vertu des règles sur les actes préjudiciables aux
autres créanciers du débiteur insolvable prévues par
la lex concursus202. On notera qu’il appartient à la
lex concursus de déterminer si c’est la conclusion
d’un accord de compensation pendant la période
suspecte ou le paiement effectué pendant cette
période sur base d’un accord de compensation
conclu en dehors de la période suspecte qui
constitue l’acte préjudiciable aux créanciers203.
58. Changement de choix de loi applicable à la
compensation. – Nous avons vu dans la première
partie de cette contribution que l’article 3 §2 du
Règlement Rome I autorise les parties à un accord
de compensation à faire régir cet accord par une
loi autre que celle qui le régissait antérieurement
sous la double réserve que cette modification
n’affecte pas la validité formelle de l’accord de
compensation et ne porte pas atteinte aux droits
des tiers. Dans l’hypothèse où l’ouverture d’une
procédure d’insolvabilité menacerait l’une des
parties à un accord de compensation, les parties
pourraient être tentées de recourir à cette faculté.
Un tel changement pourrait cependant être déclaré
nul ou inopposable conformément aux dispositions
prévues par l’article 6 §2 du Règlement
Insolvabilité204.
d. Exception à l’exception à la règle
subsidiaire
59. Non application des règles relatives aux
actes préjudiciables sous certaines conditions.
– Lorsque la règle principale de l’article 4 rendant
applicable la lex concursus est écartée au profit
de la règle subsidiaire de l’article 6 §1 relative
à la loi de la créance passive et que cette règle
subsidiaire est frappée de l’exception prévue
par l’article 6 §2 (qui renvoie à l’article 4 §2 m))
pour les actes préjudiciables à l’ensemble des
créanciers, l’exception de l’article 6 §2 fait à son
tour l’objet d’une exception prévue à l’article
13 du Règlement Insolvabilité. En effet, cette
disposition prévoit que l’article 4 §2 m) n’est pas
applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte
préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte
la preuve que cet acte est soumis à la loi d’un État
membre autre que celui de la lex concursus et que
cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen,
202V. Marquette (note 178), n° 78; P. L. C. Torremans (note
165), p. 179.
203V. Marquette (note 178), n° 78.
204I. Fletcher, Insolvency (note 165), n° 7.101; G. C. Giorgini
(note 199), n° 875.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
d’attaquer cet acte. Ainsi, par exemple, si une
banque luxembourgeoise liée en vertu d’un accord
de compensation à une société qui fait l’objet
d’une procédure d’insolvabilité dans un autre Etat
membre peut prouver (i) que cet accord est soumis
à une autre loi que la lex concursus et (ii) qu’en
vertu de cette autre loi l’accord de compensation ne
peut, par aucun moyen, faire l’objet d’une action
en nullité, en inopposabilité ou en annulation dans
ce cas d’espèce, alors la lex concursus devrait
être écartée. L’exception de l’article 13 ne trouve
cependant à s’appliquer que s’il n’existe aucun
moyen d’attaquer l’acte de compensation qui cause
préjudice aux autres créanciers. Le Règlement
Insolvabilité ne précise pas le sens des mots « par
aucun moyen ». Le Rapport Virgòs/Schmit (n°
137) indique sur ce point que l’acte préjudiciable
aux autres créanciers ne doit être susceptible
d’être attaqué ni sur la base des règles en matière
d’insolvabilité, ni sur la base des règles générales
applicables à l’acte. Il s’agirait, par exemple, des
recours prévus en matière de nullités de la période
suspecte205. Le Rapport Virgòs/Schmit (n° 137)
précise également que les mots « en l’espèce »
signifient que l’acte de compensation ne doit pas
être susceptible d’être attaqué en tenant compte de
toutes les circonstances de l’espèce206.
e. Règle spéciale en matière de
systèmes et de marchés financiers
60. Application de la loi de l’Etat membre du
système ou du marché financier. – Le Règlement
Insolvabilité contient une règle de conflit de lois
spéciale concernant les systèmes de paiement, les
systèmes de règlement d’opérations sur titres et les
marchés financiers qui déroge à la règle principale
selon laquelle la lex concursus s’applique à
la compensation. Aux termes de l’article 9 du
Règlement Insolvabilité, « [s]ans préjudice de
l’article 5 [du Règlement Insolvabilité]207, les
effets de la procédure d’insolvabilité sur les droits
et obligations des participants à un système de
paiement ou de règlement ou à un marché financier
sont régis exclusivement par la loi de l’État membre
applicable audit système ou marché ». Cette règle
signifie que les effets de la procédure d’insolvabilité
205D. Bureau (note 165), n° 41 et note 125; F. Mélin (note
165), n° 205.
206 Voy. aussi M. Raimon (note 165), n° 513; M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 240.
207L’article 9 §1 réserve l’application de l’article 5 du
Règlement Insolvabilité dans l’hypothèse où un créancier
ou un tiers serait titulaire de droits réels constitués dans
le cadre d’un système ou d’un marché sur des biens du
participant insolvable situés sur le territoire d’un autre
Etat membre au moment de l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité. Les droits de ces créanciers ou tiers ne sont
par conséquent affectés ni par la lex concursus ni par la
loi applicable au système ou au marché. Sur cette réserve,
voy. le Rapport Virgòs/Schmit, n° 124; M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 218.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
sur les droits et obligations des participants (y
compris le droit de compensation) sont soumis aux
règles d’insolvabilité de l’Etat membre dont la loi
est applicable au système ou au marché financier208.
L’opposabilité de la compensation dans le
cadre d’une procédure d’insolvabilité affectant
un participant sera à apprécier exclusivement
en fonction de la loi du système ou du marché
financier209. A l’instar de l’article 6 §1 du Règlement
Insolvabilité, l’article 9 constitue une exception à
la lex concursus. Cependant, alors que l’article 6
§1 – qui est une règle de conflit de lois négative
– se contente de garantir que l’ouverture d’une
procédure d’insolvabilité « n’affecte pas » le droit
qu’un créancier peut opposer à la masse, l’article
9 constitue une règle de conflit de lois classique
qui indique la loi qui s’applique à la question
particulière exclue du champ de la lex concursus.
On notera que le champ de l’article 9 se limite à la
loi des Etats membres. Les règles de conflit de lois
de chaque Etat membre retrouveront donc un titre à
s’appliquer si le système ou le marché est régi par
la loi d’un Etat tiers210.
61. Objectifs poursuivis par la règle spéciale.
– Le Rapport Virgòs/Schmit (n° 120) apporte un
éclaircissement sur les motifs qui ont conduit le
législateur communautaire à prévoir une telle règle.
L’article 9 du Règlement Insolvabilité a pour objet
de faire produire à une procédure d’insolvabilité
ouverte dans un Etat membre autre que celui du
système ou du marché financier les mêmes effets
que ceux qu’elle aurait produit dans le cadre
d’une procédure d’insolvabilité ouverte selon la
loi de ce système ou marché. En soumettant les
effets de l’insolvabilité exclusivement à la loi
applicable au système ou au marché financier,
l’article 9 sauvegarde la confiance générale dans
les mécanismes de règlement et de liquidation
des transactions prévus dans les systèmes ou sur
les marchés financiers. En ce qui concerne ces
mécanismes, le Rapport Virgòs/Schmit (n° 120)
mentionne expressément la compensation et la
compensation avec déchéance du terme211. Le
considérant 27 du Règlement Insolvabilité indique,
en outre, que les systèmes et les marchés financiers
requièrent une protection particulière et que cette
protection s’applique à la compensation prévue
dans les systèmes conformément, notamment, à
la Directive Finalité. En vertu de cette protection
particulière, c’est la loi applicable au système ou
au marché financier concerné qui devra s’appliquer
208Rapport Virgòs/Schmit, n° 121; M. Virgòs/F. Garcimartín
(note 165), n° 216; B. Wessels (note 165), n° 10691.
209D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 12; Idem,
« Collateral transactions … » (note 194), n° 12; I.
Verougstraete (note 165), n° 1210.
210 Voy. aussi en ce sens, G. C. Giorgini (note 199), n° 428; M.
Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 219.
211 Voy. aussi M. Virgòs (note 181), n° 51; B. Wessels (note
165), n° 10690.
31
Prix ALJB 2010
à la compensation. Cette disposition vise à éviter
toute modification des mécanismes de règlement
et de liquidation des transactions prévues dans
les systèmes ou sur les marchés financiers des
États membres, en cas d’insolvabilité d’une des
parties à une transaction. Enfin, il est précisé
que les dispositions particulières de la Directive
Finalité priment les dispositions générales du
Règlement Insolvabilité. La Directive Finalité
est une lex specialis par rapport à l’article 9 du
Règlement Insolvabilité212. En conséquence, les
règles nationales imposées sur base de la Directive
Finalité l’emportent sur les règles générales du
Règlement Insolvabilité213.
62. Notions de « participants à un système
de paiement ou de règlement ou à un marché
financier ». – Le Règlement Insolvabilité ne définit
pas ces notions. Elles devraient être comprises
comme dans le cadre de la Directive Finalité214.
Aux termes de cette directive, un « participant »
est « une institution, une contrepartie centrale,
un organe de règlement, une chambre de
compensation ou un opérateur de système »215 (art.
2 f)). Le « système » est défini comme « un accord
formel convenu: [(i)] entre trois participants ou
davantage, sans compter l’opérateur de ce système,
un éventuel organe de règlement, une éventuelle
contrepartie centrale, une éventuelle chambre de
compensation ou un éventuel participant indirect,
et comportant des règles communes ainsi que des
procédures normalisées pour la compensation,
qu’elle soit effectuée par l’intermédiaire d’une
contrepartie centrale ou non, ou l’exécution des
ordres de transfert entre participants, [(ii)] régi
par la législation d’un État membre choisi par les
participants; toutefois, les participants peuvent
uniquement choisir la législation d’un État membre
dans lequel l’un d’entre eux au moins a son siège
social, et [(iii)] désigné, sans préjudice d’autres
conditions d’application générale plus strictes
prévues par la législation nationale, en tant que
système et notifié à la Commission [européenne]
par l’État membre dont la législation est applicable,
après que cet État membre s’est assuré du
caractère adéquat des règles de fonctionnement
du système. Un accord conclu entre des systèmes
interopérables ne constitue pas un système » (art.
212M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 212.
213M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 212.
214 Les définitions utilisées ici tiennent compte des
changements opérés par la directive 2009/44/CE. Sur ces
notions suite à la modification de la Directive Finalité,
voy. S. Lo Giudice, « The EU Framework for Settlement
Finality: its Past, Present and Future », Euredia, 2010/2,
p. 189 s. Voy. aussi G. C. Giorgini (note 199), n° 426; F.
Mélin (note 165), n° 222; M. Virgòs/F. Garcimartín (note
165), n° 212 s.
215 Les termes « institution », « contrepartie centrale »,
« organe de règlement », « chambre de compensation » et
« opérateur de système » sont définies à l’article 2 de la
Directive Finalité.
32
2 a)). Le « marché financier » est, selon le Rapport
Virgòs/Schmit (n° 120), « [u]n marché situé dans
un Etat [membre], où sont négociés des instruments
financiers, d’autres avoirs financiers ou des contrats
à terme sur marchandises et des droits d’option.
Il se caractérise par des transactions régulières
et ses conditions de fonctionnement et d’accès
sont réglementées par la loi de l’Etat [membre]
concerné, ce qui inclut, le cas échéant, un contrôle
approprié exercé par les autorités chargées de la
réglementation dans cet Etat [membre] »216.
63. Actes préjudiciables aux créanciers. –
L’article 9 §2 du Règlement Insolvabilité dispose
que l’article 9 §1 « ne fait pas obstacle à l’exercice
d’une action en nullité, en annulation ou en
inopposabilité des paiements ou des transactions en
vertu de la loi applicable au système de paiement ou
au marché financier concerné ». Bien qu’il ne soit
fait mention que du système de paiement, il nous
semble que le système de règlement des opérations
sur titres devrait également être visé par cette
disposition. L’article 9 §2 n’est pas sans rappeler
l’article 6 §2 du Règlement Insolvabilité. Cependant,
contrairement à l’article 6 §2, les actions en nullité,
en annulation ou en inopposabilité visées par
l’article 9 §2 ne sont pas régies par la lex concursus
mais par la loi applicable au système ou au marché
financier. Cette solution a pour avantage d’assurer
l’unité de la loi applicable aux questions liées à un
système ou à un marché financier et de permettre
aux professionnels du secteur financier intervenant
dans un système ou sur un marché financier de faire
reposer leurs attentes sur une seule loi, en principe
connue, sans devoir prendre en considération
d’autres lois potentiellement applicables217. Si,
par exemple, une société néerlandaise agit en tant
que participant à un système de paiement régi
par la loi anglaise et fait l’objet d’une procédure
d’insolvabilité aux Pays-Bas, les lois de deux
216M. Virgòs/F. Garcimartín font également référence à
la définition de « marché réglementé » contenue dans
la Directive MIF pour inclure notamment les systèmes
multilatéraux de négociation (Multilateral Trading
Facilities) dans le champ de l’article 9 du Règlement
Insolvabilité ((note 165), n° 215). Il s’agit d’un « système
multilatéral, exploité et/ou géré par un opérateur de
marché, qui assure ou facilite la rencontre - en son sein
même et selon ses règles non discrétionnaires - de
multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par
des tiers pour des instruments financiers, d’une manière
qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des
instruments financiers admis à la négociation dans le cadre
de ses règles et/ou de ses systèmes, et qui est agréé et
fonctionne régulièrement conformément aux dispositions
du titre III [de la Directive MIF] » (art. 4 §1 14)). Voy. aussi
les exemples de marchés – dont les règles contiennent des
clauses de compensation – cités par I. Fletcher, Insolvency
… (note 165), n° 7.109 et note 180; Idem (note 175), n°
4.32 et note 38.
217Rapport Virgòs/Schmit, n° 120 s.; I. Fletcher, Insolvency
… (note 165), n° 7.109; G. C. Giorgini (note 199), n°
428; P. L. C. Torremans (note 165), p. 181; M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 217.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
Etats membres auront vocation à s’appliquer: la
loi néerlandaise en tant que lex concursus et la loi
anglaise en tant que loi du système. Sous réserve
d’éventuels droits réels de créanciers ou de tiers,
la loi anglaise déterminera les droits et obligations
des participants au système (y compris les effets de
la procédure d’insolvabilité sur la compensation) et
appréhendera également les actions en nullité, en
annulation et en inopposabilité218. La lex concursus
sera dès lors totalement exclue.
2. Directive Banques
64. Champ d’application219. – Les établissements
de crédit, exclus du champ d’application
du Règlement Insolvabilité, font l’objet de
règles particulières en matière de procédures
d’insolvabilité. La Directive Banques est applicable
à tous les Etats membres, y compris le Danemark,
alors que le Règlement Insolvabilité – dont cette
directive s’inspire fortement – n’est pas applicable
au Danemark. La Directive Banques s’applique en
outre à la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein220.
Elle vise les établissements de crédit ainsi que
leurs succursales au sens de l’article 1er, premier
et troisième points de la directive 2000/12/CE221.
Depuis la directive 2006/48/CE222, la notion
d’établissement de crédit inclut les entreprises dont
l’activité consiste à recevoir du public des dépôts
ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des
crédits pour leur propre compte et les établissements
de monnaie électronique, au sens de la directive
2000/46/CE223, qui émettent des instruments de
218 Sur les hypothèses pratiques en matière de systèmes et de
marchés financiers, voy. G. C. Giorgini (note 199), n° 429;
F. Mélin (note 165), n° 224.
219Pour les détails, voy. J.-P. Deguée, « La directive
2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des
établissements de crédit : une solution aux défaillances
bancaires internationales ? », Euredia, 2001-2002/1, n° 14
s.; F. Mélin (note 165), n° 102 s.; Ph.-E. Partsch, Droit
bancaire et financier européen, Larcier, 2009, n° 467 s.; B.
Wessels, « Commentary on Directive 2001/24/EC on the
Reorganisation and Winding-Up of Credit Institutions », in
EU Banking and Insurance Insolvency (Ed. Moss/Wessels),
Oxford University Press, 2006, n° 2.01 s.
220 Voy. l’Annexe IX de l’accord sur l’espace économique
européen (JO, L 1, 3 janvier 1994, p. 3 s.).
221Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du
Conseil du 20 mars 2000 concernant l’accès à l’activité des
établissements de crédit et son exercice (JO, L 126, 26 mai
2000, p. 1 s.).
222Article 4 de la directive 2006/48/CE du Parlement
européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès
à l’activité des établissements de crédit et son exercice
(refonte) (JO, L 177, 30 juin 2006, p. 1 s.), telle que
modifiée. Cette directive remplace la directive 2000/12/CE
citée à la note 221 ci-dessus.
223Directive 2000/46/CE du Parlement européen et du
Conseil du 18 septembre 2000 concernant l’accès à
l’activité des établissements de monnaie électronique et
son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces
établissements (JO, L 275, 27 octobre 2000, p. 39 s.). Cette
directive sera remplacée en 2011 par la directive 2009/110/
CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre
2009 concernant l'accès à l'activité des établissements
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
paiement sous la forme de monnaie électronique224.
Les procédures visées par la Directive Banques sont
les mesures d’assainissement et les procédures de
liquidation. Ces mesures comprennent notamment
les mesures qui comportent la possibilité d’une
suspension de paiements, d’une suspension des
mesures d’exécution ou d’une réduction des
créances (considérant 7).
65. Description générale du mécanisme de la
Directive Banques en matière de compensation.
– La Directive Banques fait référence à la
compensation dans trois dispositions. La règle
principale figure à l’article 10 §2 c) qui dispose que
la loi de l’État membre d’origine (lex concursus)
détermine les conditions d’opposabilité d’une
compensation225. L’article 23 §1, qui constitue
une exception à la règle principale de l’article
10 § 2c), consacre la règle de la loi de la créance
passive. L’article 25 – qui n’a pas d’équivalent
dans le Règlement Insolvabilité – précise que
« [l]es conventions de compensation et de novation
(«netting agreements») sont régies exclusivement
par la loi applicable au contrat régissant ces
conventions » (lex contractus). Trois lois ont ainsi
vocation à s’appliquer en matière de compensation
lorsqu’un établissement de crédit fait l’objet d’une
procédure d’insolvabilité: (i) la lex concursus en
tant que règle principale, (ii) la loi de la créance
passive en tant que règle subsidiaire et (ii) la loi
applicable à la convention de compensation en
tant que règle spéciale. On notera également que
l’article 23 §2 de la Directive Banques précise que
le principe de l’article 23 §1 ne fait pas obstacle à
l’application des règles de la lex concursus relatives
à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des
actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.
L’exception prévue à l’article 23 §2 fait également
l’objet d’une exception prévue à l’article 30 de la
Directive Banques.
a. Règles similaires à celles retenues par
le Règlement Insolvabilité
66. Synthèse des règles et renvoi. – La Directive
Banques contient des règles similaires à celles
du Règlement Insolvabilité. Les commentaires
formulés ci-dessus à propos du Règlement
Insolvabilité s’appliquent donc également à la
Directive Banques sous réserve du commentaire
de la règle spéciale prévue à l’article 25 de la
Directive Banques en matière de compensation
conventionnelle que nous formulons ci-dessous.
de monnaie électronique et son exercice ainsi que la
surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant
les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la
directive 2000/46/CE (JO, L 267, 10 octobre 2009, p. 7 s.).
224 Sur ces notions, voy. J.-P. Deguée (note 219), n° 14; Ph.-E.
Partsch (note 219), n° 326 s.
225 L’Etat membre d’origine correspond à l’Etat membre où
l’établissement de crédit a été agréé (art. 4 7) de la directive
2006/48/CE).
33
Prix ALJB 2010
Les principes directeurs qui sous-tendent les
dispositions de la Directive Banques tiennent en
cinq éléments: 1) règle principale: application
de la lex concursus à la compensation (art. 10);
2) règle subsidiaire: application de la loi de la
créance passive à la compensation lorsque la lex
concursus ne permet pas la compensation (art. 23
§1); 3) exception à la règle subsidiaire: application
des règles de la lex concursus relatives aux actes
préjudiciables aux autres créanciers du débiteur
insolvable (art. 23 §2 et 10 §2 l)); 4) exception à
l’exception à la règle subsidiaire: non application
des règles de la lex concursus relatives aux actes
préjudiciables (i) si l’acte préjudiciable est soumis à
la loi d’un Etat membre autre que l’Etat d’ouverture
et (ii) si la loi de cet autre Etat membre ne permet
pas d’attaquer cet acte (art. 30) et 5) règle spéciale
en matière de compensation conventionnelle:
application exclusive de la lex contractus (art. 25).
b. Règle spéciale en matière de
compensation conventionnelle
67. Application exclusive de la lex contractus.
– L’article 25 de la Directive Banques prévoit
que les conventions de compensation sont régies
exclusivement par la loi qui leur est applicable.
Cet article n’a pas d’équivalent dans le Règlement
Insolvabilité. L’existence de cette règle spéciale sur
la loi applicable à la compensation conventionnelle
dans la Directive Banques pourrait laisser croire –
par une lecture a contrario – que la règle de conflit
prévue à l’article 6 §1 du Règlement Insolvabilité
ne vise pas la compensation conventionnelle.
L’objectif poursuivi par la règle spéciale de
l’article 25 nous montre qu’une telle interprétation
est erronée.
68. Objectif de protection des marchés
financiers et de ses participants. – La règle spéciale
sur la compensation conventionnelle ne figurait pas
dans le texte de la proposition de la Commission
européenne226. Elle est apparue pour la première
fois dans la position commune arrêtée par le Conseil
le 17 juillet 2000227. Elle figurait dans un article 20
intitulé « Effets sur certains contrats et sur certains
droits » et se lisait comme suit: « les conventions
de compensation et de novation («contractual
netting») entre l’établissement de crédit et sa
contrepartie sont régis exclusivement par la loi de
l’État membre applicable à ces conventions » (art.
20 §1 c)). Aux termes de la position commune,
l’article 20 « contient des dispositions relatives
aux effets des mesures et des procédures sur
certains contrats et sur certains droits. Cet article
déroge au principe fondamental de l’application
de la lex concursus établi aux articles 3 et 10
226 Proposition initiale (JO, C 356, 31 décembre 1985, p. 55 s.)
et proposition modifiée (JO, C 36, 8 février 1988, p. 1 s.).
227 Position commune (CE) N° 43/2000 arrêtée par le Conseil
le 17 juillet 2000 (JO, C 300, 20 octobre 2000, p. 13 s.).
34
[application de la loi de l’Etat membre d’origine].
L’objectif global de cet article est de garantir la
sécurité juridique dans des cas particuliers pour
lesquels il est estimé que l’importance ou la nature
particulière du contrat justifie la dérogation au
principe d’universalité »228. La position commune
précise que « [l]e paragraphe 1, point c), concerne
des conventions de compensation et de novation
(«contractual netting») (conventions destinées à
mettre en balance les soldes négatifs et les soldes
positifs) entre un établissement de crédit et sa
contrepartie […]. Dans [ce] cas, c’est la loi [de
l’Etat membre229] applicable à la convention qui
s’applique. Ces conventions sont couramment
utilisées sur les marchés financiers et le Conseil
estime que la fonction spéciale de ces contrats
exige une dérogation au principe de l’application
universelle de la loi de l’Etat membre d’origine
afin de protéger le fonctionnement des marchés
financiers et de garantir la sécurité juridique des
parties contractantes »230. La position commune
a été modifiée par la suite et la règle spéciale
sur la compensation conventionnelle contenue à
l’article 20 §1 c) a été transférée dans un article
ayant la même teneur que celle de l’article 25 de
la Directive Banques. Il résulte de ce qui précède
que l’intention claire des auteurs de l’article 25
est d’écarter l’application de la lex concursus
dans tous les cas231 – y compris en ce qui concerne
les actes préjudiciables aux autres créanciers –
afin de protéger le fonctionnement des marchés
financiers et de garantir la sécurité juridique
des professionnels du secteur financier. En
conséquence, l’article 25 de la Directive Banques
a pour effet d’écarter les règles de la lex concursus,
en particulier les règles relatives aux actions en
nullité, en annulation et en inopposabilité prévues
à l’article 23 §2 (qui est équivalent à l’article 6 §2
du Règlement Insolvabilité) et de limiter le champ
d’application de l’article 23 §1 à la compensation
légale232. Comme nous l’avons déjà indiqué ci228 Position commune (CE) N° 43/2000, p. 28.
229 On notera que l’article 25 de la Directive Banques ne
contient plus cette restriction à la loi d’un Etat membre.
230 Position commune (CE) N° 43/2000, p. 29.
231J.-P. Deguée (note 219), n° 41 et n° 63; Idem, « La
directive 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation
des établissements de crédit: enfin un droit international
privé uniforme des procédures d’insolvabilité en
matière bancaire ! », in Sûretés bancaires et financières,
Cahiers AEDBF/EVBFR Belgium, Nº 15, Bruylant,
2004, n° 24; Idem, « The Winding Up Directive Finally
Establishes Uniform Private Law for Banking. Insolvency
Proceedings », European Business Law Review, 2004, n°
24.
232J.-P. Deguée (note 219), n° 66. Voy. aussi en ce sens,
Doc. Parl. N° 5153 (p. 22): « Eu égard à l’article 61-14
[de la loi du 5 avril 1993 qui transpose l’article 25 de la
Directive Banques en droit luxembourgeois] prévoyant
une règle de conflit de lois dérogeant à la lex concursus
pour les conventions de netting, le présent article [61-12
de la loi du 5 avril 1993 qui transpose l’article 23 de la
Directive Banques en droit luxembourgeois] ne présente
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
dessus, l’article 25 n’implique en aucun cas
l’exclusion de la compensation conventionnelle du
champ d’application de l’article 6 §1 du Règlement
Insolvabilité233. La différence entre l’article 25 de
la Directive Banques et l’article 6 §1 du Règlement
Insolvabilité concerne essentiellement les règles
relatives aux actes préjudiciables qui sont exclues
pour l’article 25 mais qui restent applicables pour
l’article 6234.
69. Notion de « compensation conventionnelle ».
– La Directive ne précise pas ce qu’il faut entendre
par « compensation conventionnelle ». Il nous
semble, au vu de l’objectif poursuivi par l'article
25, que cette notion doive s’entendre dans un
sens large et inclure, notamment, la compensation
au sens strict ainsi que la compensation avec
déchéance du terme235.
c. Règle spéciale en matière de marchés
réglementés
70. Application de la loi du contrat régissant
les transactions sur un marché réglementé. –
L’article 27 de la Directive Banques, qui constitue
une exception à la lex concursus, prévoit une règle
de conflit de lois selon laquelle les transactions
effectuées dans le cadre d’un marché réglementé
sont régies exclusivement par la loi applicable aux
contrats régissant ces transactions. A la différence
de l’article 9 du Règlement Insolvabilité (qui vise
la loi du système ou du marché financier), l’article
27 pointe vers la loi applicable aux transactions.
Même si la pratique montre que le règlement
de marché peut prévoir que la loi applicable aux
transactions est celle du marché, il est malheureux
que les textes de l’article 27 de la Directive Banques
et de l’article 9 du Règlement Insolvabilité soient
différents alors qu’ils ont un objet similaire236. La
notion de « marché réglementé » devrait être la
même que celle utilisée dans la Directive MIF237.
3. Directive Assureurs
71. Champ d’application238. – La Directive
Assureurs ne vise que les entreprises d’assurances
un intérêt que pour la compensation légale [c’est nous qui
soulignons]. Les parties à une convention de compensation
vont en effet choisir comme loi applicable une loi dont les
dispositions en matière d’insolvabilité ne remettent pas en
cause la compensation ».
233M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 193-194.
234J.-P. Deguée (note 219), n° 63 s., sp. n° 66; M. Virgòs/F.
Garcimartín (note 165), n° 194.
235Voy. aussi en ce sens, European Financial Markets
Lawyers Group (note 167), n° 125. Voy. aussi B. Wessels
(note 219), n° 2.138.
236J.-P. Deguée (note 219), n° 51; M. Virgòs/F. Garcimartín
(note 165), n° 220.
237M. Virgòs/F. Garcimartín (note 165), n° 215 et n° 220.
238 Pour les détails, voy. J.-P. Deguée, « Aspects juridiques
de la liquidation des entreprises d’assurances », Euredia,
2003/4, n° 2 s.; F. Mélin (note 165), n° 95 s.; G.
Moss/T. Smith, « Commentary on Directive 2001/17/
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
qui ont obtenu un agrément au sens de l’article
6 de la directive 73/239/CEE239 ou de l’article
4 de la directive 2002/83/CE240. Les procédures
d’insolvabilité visées par la Directive Assureurs
sont les mesures d’assainissement et les procédures
de liquidation. Cependant, à la différence de la
Directive Banques, des procédures qui ne sont pas
fondées sur l’état d’insolvabilité de l’entreprise
d’assurances sont également visées par la Directive
Assureurs. Ainsi, les procédures de liquidation
volontaires impliquant l’intervention d’une autorité
administrative ou judiciaire entrent dans le champ
d’application de la Directive Assureurs241.
a. Règles similaires à celles retenues par
le Règlement Insolvabilité
72. Synthèse des règles et renvoi. – A l’instar du
Règlement Insolvabilité et de la Directive Banques,
la Directive Assureurs prévoit des exceptions
à la lex concursus pour protéger la confiance
légitime des créanciers et la sécurité de certaines
transactions dans des États membres autres que
l’État membre d’origine (considérant 24). En
raison de la similarité des dispositions applicables
en matière de compensation contenues dans la
Directive Assureurs et le Règlement Insolvabilité,
les commentaires formulés à propos de ce dernier
s’appliquent également à la Directive Assureurs.
Celle-ci compte également quatre règles: 1)
règle principale: application de la lex concursus
à la compensation (art. 9); 2) règle subsidiaire:
application de la loi de la créance passive à la
compensation lorsque la lex concursus ne permet
pas la compensation (art. 22 §1); 3) exception à
la règle subsidiaire: application des règles de la
lex concursus relatives aux actes préjudiciables
aux autres créanciers du débiteur insolvable (art.
22 §2 et 9 §2 l)) et 4) exception à l’exception à la
règle subsidiaire: non application des règles de la
lex concursus relatives aux actes préjudiciables (i)
si l’acte préjudiciable est soumis à la loi d’un Etat
membre autre que l’Etat membre d’origine et (ii)
si la loi de cet autre Etat membre ne permet pas
d’attaquer cet acte (art. 24). La Directive Assureurs
ne contient pas de disposition semblable à l’article
25 de la Directive Banques.
EC on the Reorganisation and Winding-Up of Insurance
Undertakings », in EU Banking and Insurance Insolvency
(Ed. Moss/Wessels), Oxford University Press, 2006, n°
3.01 s.
239 Première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet
1973, portant coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l’accès à
l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la
vie, et son exercice (JO, L 228, 16 août 1973, p. 3 s.) telle
que modifiée.
240 Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil
du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur
la vie (JO, L 345, 19 décembre 2002, p. 1 s.) telle que
modifiée.
241J.-P. Deguée (note 238), n° 4.
35
Prix ALJB 2010
b. Règle spéciale en matière de marchés
réglementés
73. Renvoi et actes préjudiciables aux autres
créanciers. – L’article 23 §1 de la Directive
Assureurs contient une règle de conflit de lois
similaire à celle de l’article 9 du Règlement
Insolvabilité. Elle n’a pas suivi la même voie que
l’article 27 de la Directive Banques. Ainsi, selon
la Directive Assureurs, la loi applicable au marché
régit les effets d’une procédure d’insolvabilité
ouverte à l’encontre d’une entreprise d’assurances
sur les droits et obligations (y compris le droit
de compensation) des participants à ce marché
(exception faite éventuellement aux droits réels de
créanciers ou de tiers). L’article 23 §2 de la Directive
Assureurs permet, en outre, l’exercice d’actions en
nullité, en annulation ou en inopposabilité prévues
par la lex concursus. Les commentaires formulés
ci-dessus à propos de l’article 9 du Règlement
Insolvabilité sont valables pour la Directive
Assureurs.
4. Directive Finalité
74. Champ d’application242. – La Directive
Finalité s’applique aux Etats membres ainsi qu’à
la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein243. La
Directive Finalité s’applique à tout système de
paiement et de règlement des opérations sur titres
ainsi qu’à tout participant à un tel système entrant
dans son champ d’application (art. 1 a) et b)). Elle
veille, notamment, à ce que la compensation244
d’ordres de transfert à l’intérieur d’un système de
paiement ou de règlement des opérations sur titres
puisse produire ses effets en cas d’insolvabilité
d’un participant. Les notions de « système » et
de « participant », applicables pour la Directive
Finalité, ont déjà été examinées ci-dessus dans le
cadre de notre étude de l’article 9 du Règlement
Insolvabilité.
75. Application de la loi du système. – L’article
8 de la Directive Finalité dispose que « lorsqu’une
procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre
d’un participant à un système, les droits et
obligations découlant de sa participation ou liés à
242 Pour les détails, voy. P. Bloch, « La directive 98/26/CEE
concernant le caractère définitif du règlement dans les
systèmes de paiement et de règlement des opérations sur
titres », in Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF
– France II (Ed. Mattout/De Vauplane.), Banque, 1999, p.
54 s.; D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 19 s.;
Idem, « Collateral transactions … » (note 194), n° 19 s.; S.
Lo Giudice (note 199), p. 189 s. et p. 218 s.
243 Voy. l’Annexe IX de l’accord sur l’Espace économique
européen (JO, L 1, 3 janvier 1994, p. 3 s.).
244 La Directive Finalité définit la compensation comme
« la conversion des créances et des obligations résultant
d’ordres de transfert qu’un ou plusieurs participants
émettent en faveur d’un ou plusieurs autres participants ou
reçoivent de ceux-ci en une créance ou en une obligation
nette unique, de sorte que seule une créance nette peut être
exigée ou une obligation nette peut être due » (art. 2 k)).
36
cette participation sont déterminés par la législation
applicable audit système ». L’article 8, qui rappelle
notamment l’article 9 du Règlement Insolvabilité,
dispose qu’en cas d’insolvabilité d’un participant
(d’un Etat membre mais aussi d’un Etat tiers) à un
système, ses droits et obligations envers le système
pour les questions réglées par la Directive Finalité
comme la compensation seront déterminés par la
loi du système et non par la lex concursus245. Ainsi,
lorsqu’une banque luxembourgeoise et une banque
espagnole, qui participent à un même système de
paiement régi par la loi anglaise, ont conclu des
opérations de change à travers ce système et que
la banque espagnole fait l’objet d’une procédure
d’insolvabilité en Espagne, l’opposabilité de
la compensation des créances de la banque
luxembourgeoise sera régie par la loi anglaise (loi
du système).
76. Détermination de la loi du système. – La
Directive Finalité envisage les systèmes comme
des accords et consacre l’application de la loi
d’autonomie (art. 2 a)). Les participants peuvent
choisir la loi d’un Etat membre pour régir leur
système246. Il doit s’agir de la loi d’un État membre
dans lequel l’un d’entre eux au moins a son siège
social (art. 2 a), 2ème tiret). En l’absence de choix
de loi applicable, c’est en principe la loi de l’Etat
où se trouve l’organe de règlement qui fournit la
prestation caractéristique entre les participants du
système qui devra s’appliquer sur base de l’article 4
§2 du Règlement Rome I247.
5. Règles applicables en l’absence
de texte communautaire ou
international
77. Application de la lex concursus aux
rapports de droit préexistants. – Il n’existe
pas, sur le plan communautaire, d’harmonisation
complète en matière de procédures d’insolvabilité.
Ainsi, par exemple, les organismes de placement
collectif et les entreprises d’investissement qui
fournissent des services impliquant la détention de
fonds ou de valeurs mobilières ne font pas l’objet
de règles particulières en matière de procédures
d’insolvabilité. Or, ces personnes peuvent recourir
à la compensation dans le cadre de leurs opérations
financières. Se pose donc la question de savoir
quelle solution apporte le régime de droit commun
en matière de compensation lorsque ces personnes
font l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Selon
la jurisprudence, les effets qu’une procédure
d’insolvabilité ouverte a sur les droits qu’un
créancier peut invoquer envers le débiteur
245D. Devos, « La directive … » (note 194), n° 36; Idem,
« Collateral transactions … » (note 194), n° 36.
246P. Bloch (note 242), p. 70.
247 Voy. aussi en ce sens, P. Bloch (note 242), p. 70.
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Prix ALJB 2010
insolvable s’apprécient selon la lex concursus248.
Cette règle de conflit de lois vaut tant pour les
procédures d’insolvabilité ouvertes au Luxembourg
que pour celles déclarées à l’étranger249. Le principe
d’application de la lex concursus est néanmoins
atténué par l’application potentielle de lois de police
ou de l’exception d’ordre public du for250. Ainsi, par
exemple, si une banque luxembourgeoise a conclu
un contrat avec un organisme de placement collectif
établi en Suisse, la lex concursus (loi suisse) aura
vocation à déterminer si la compensation légale ou
conventionnelle (selon qu’il existe ou non un accord
de compensation) est opposable dans le cadre de la
procédure d’insolvabilité ouverte en Suisse. Cette
solution a pour conséquence que si la lex concursus
écarte la compensation, la banque luxembourgeoise
qui l’invoque dans le cadre de la procédure suisse
ne pourra pas bénéficier de la compensation.
78. Règle spéciale prévue pour les accords de
compensation régis par la loi luxembourgeoise.
– La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie
financière251 contient des dispositions qui protègent
les accords de compensation régis par la loi
luxembourgeoise qui sont conclus avec une partie
faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité à
l’étranger. Bien qu’une analyse de ces dispositions de
droit matériel sorte du champ de cette contribution,
on notera que la loi du 5 août 2005 prévoit que
les accords de compensation sont valables et
opposables aux tiers, commissaires, curateurs,
liquidateurs et autres organes similaires nonobstant
l’existence d’une mesure d’assainissement, d’une
procédure de liquidation ou la survenance de
toute autre situation de concours étrangère (art.
20 (1)). De plus, la loi du 5 août 2005 précise que
les dispositions étrangères régissant les mesures
d’assainissement, les procédures de liquidation, les
autres situations de concours ainsi que les saisies
(civiles, pénales et judiciaires), confiscations
pénales, cessions et aliénations des droits
concernés ne sont pas applicables aux accords de
compensation et ne font pas obstacle à l’exécution
de ces accords (art. 20(4)). Cette disposition – qui
constitue une loi de police252 – vise notamment à
protéger les professionnels du secteur financier qui
concluent des accords de compensation régis par la
loi luxembourgeoise avec des personnes ne faisant
pas l’objet d’un régime harmonisé en matière de
procédures d’insolvabilité en écartant l’application
de la lex concursus étrangère.
248 Trib. arr. Luxembourg, 10 novembre 1993, n° 538/93.
249P. Kinsch, « La faillite … » (note 45), n° 31.
250P. Kinsch, « La faillite du client … » (note 45), n° 19; Idem,
« La faillite … » (note 45), n° 32-33.
251 Mémorial A, N° 128, 16 août 2005, p. 2212 s.
252 Doc. Parl. N° 5251, p. 20.
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B. Procédure d’insolvabilité
ouverte au Luxembourg
1. Règlement Insolvabilité
79. Application de la lex concursus ou de la loi
du système ou du marché. – Lorsqu’un débiteur
luxembourgeois fait l’objet d’une procédure
d’insolvabilité au Luxembourg253, le juge saisi
examinera tout d’abord la règle de l’article 4 du
Règlement Insolvabilité qui consacre l’application
de la lex concursus à la compensation. Il consultera
sa loi pour savoir quel sort est réservé à la
compensation que pourrait invoquer un créancier
du débiteur luxembourgeois insolvable. En ce qui
concerne la compensation légale de créances, le
juge luxembourgeois examinera sa loi – et non la
loi de la créance passive254 – afin de déterminer
si les conditions sont remplies pour reconnaître
l’opposabilité d’une telle compensation dans le cadre
de la procédure d’insolvabilité luxembourgeoise.
Pour les accords de compensation régis par la loi
luxembourgeoise, il aura nécessairement égard à
la loi du 5 août 2005 qui immunise les accords de
compensation en cas de procédure d’insolvabilité
ouverte au Luxembourg255. En présence d'un
système ou d'un marché au sens de l'article 9 du
Règlement Insolvabilité, c'est la loi applicable
à ce système ou marché qui s'appliquera à la
compensation.
2. Loi du 19 décembre 2004
portant transposition de la
Directive Banques
80. Application de la lex concursus, de la loi
régissant les transactions sur un marché ou de la
lex contractus. – Le législateur luxembourgeois a,
par la loi du 19 décembre 2004, transposé les règles
de conflit de lois relatives à la compensation dans
la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier256, telle
que modifiée, qui contient les dispositions relatives à
l’insolvabilité d’établissements de crédit et d’autres
établissements qui ont la gestion de fonds de tiers:
1) règle principale (art. 61-2); 2) règle subsidiaire
(art. 61-12 (1)); 3) exception à la règle subsidiaire
(art. 61-12 (2) et 61-2 (2) l)); 4) exception à
l’exception à la règle subsidiaire (art. 61-19) et
5) règles spéciales en matière de compensation
conventionnelle (art. 61-14) et de marché
réglementé (art. 61-16). Le juge luxembourgeois
adoptera une attitude semblable à celle décrite cidessus pour le Règlement Insolvabilité. Il aura,
253 Les procédures luxembourgeoises expressément visées par
le Règlement Insolvabilité et qui nous intéressent ici sont
la faillite, la gestion contrôlée et le concordat préventif de
la faillite.
254 A supposer que la loi de la créance passive ne soit pas la loi
luxembourgeoise.
255 Voy. les articles 18 et suivants de la loi du 5 août 2005.
256 Mémorial A, N° 27, 10 avril 1993, p. 462 s.
37
Prix ALJB 2010
en outre, égard à la règle spéciale applicable en
matière de compensation conventionnelle.
3. Loi du 11 mars 2004 portant
transposition de la Directive
Assureurs
81. Application de la lex concursus ou de la loi
du marché. – Les règles de conflit de lois relatives
à la compensation ont été transposées par la loi du
11 mars 2004 dans la loi du 6 décembre 1991 sur
le secteur des assurances257, telle que modifiée, qui
contient les dispositions relatives à l’insolvabilité
des entreprises d’assurances: 1) règle principale (art.
58); 2) règle subsidiaire (art. 58-4 (1)); 3) exception
à la règle subsidiaire (art. 58-4 (2) et 58 (2) l)); 4)
exception à l’exception à la règle subsidiaire (art.
58-6) et 5) règle spéciale en matière de marché
réglementé (art. 58-5). De la même façon que
pour le Règlement Insolvabilité et la loi du 5 avril
1993, le juge luxembourgeois adoptera une attitude
similaire à celle décrite ci-dessus.
4. Loi du 12 janvier 2001 portant
transposition de la Directive
Finalité
82. Application de la loi du système. – Le
législateur luxembourgeois a transposé la
Directive Finalité dans la loi du 5 avril 1993 et,
afin de regrouper les dispositions légales relatives
aux systèmes de paiement dans un seul et même
texte, les dispositions concernant les systèmes
de paiement et de règlement des opérations sur
titres ont été transférées dans le titre V de la loi
du 10 novembre 2009 relative aux services de
paiement258. Un « système » constitue un « accord
formel régi [(i)] par le droit luxembourgeois,
désigné par la Banque centrale du Luxembourg
en tant que système de paiement ou système de
règlement des opérations sur titres et notifié par
les soins du Ministre ayant dans ses attributions la
place financière à la Commission européenne, ou
[(ii)] par le droit d’un autre Etat membre, désigné
en tant que système et notifié à la Commission
européenne par un Etat membre » (art. 107 1)). La
Banque centrale du Luxembourg tient le tableau
officiel des systèmes de paiement et des systèmes
de règlement des opérations sur titres notifiés à
la Commission européenne (Article 110 (2)). La
notion de « participant » utilisée par la loi du 10
novembre 2009 est large et vise « toute personne
admise comme participant à un système, y compris
une institution, une contrepartie centrale, un organe
de règlement et une chambre de compensation »
(art. 107 6))259. L’article 113 (1) de la loi du 10
257 Mémorial A, N° 84, 23 décembre 1991, p. 1762 s.
258 Mémorial A, N° 215, 11 novembre 2009, p. 3698 s.
259 Les termes « institution », « contrepartie centrale »,
« organe de règlement » et « chambre de compensation »
38
novembre 2009 consacre deux règles de conflit
de loi. Il dispose tout d’abord que lorsqu’une
procédure d’insolvabilité est ouverte à l’encontre
d’un participant à un système luxembourgeois
(participant pouvant être luxembourgeois ou
étranger), les droits et obligations (y compris le
droit de compensation) découlant de sa participation
ou liés à cette participation sont déterminés par
la loi luxembourgeoise. Dans l’hypothèse où le
participant insolvable est luxembourgeois, la
lex concursus et la loi du système coïncideront.
Cette même disposition prévoit ensuite que
lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte à
l’encontre d’un participant luxembourgeois à un
système régi par le droit d’un autre Etat membre,
les droits et obligations (y compris le droit de
compensation) découlant de sa participation ou
liés à cette participation sont déterminés par la
loi applicable à ce système. Dans ce cas, la lex
concursus luxembourgeoise régissant la procédure
d’insolvabilité du participant luxembourgeois
devra céder face à la loi du système étranger.
5. Règles applicables en l’absence
de texte communautaire ou
international
83. Application de la lex concursus aux rapports
de droit préexistants. – La règle de conflit de
lois selon laquelle les effets d’une procédure
d’insolvabilité s’apprécient selon la lex concursus
s’applique lorsque la procédure est ouverte à au
Luxembourg260. Ainsi, dans le cas où une banque
canadienne a conclu un contrat avec un organisme
de placement collectif luxembourgeois faisant
l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte au
Luxembourg, la lex concursus luxembourgeoise
réglera le sort de la compensation légale ou
conventionnelle des créances nées de ce contrat.
84. Règle spéciale prévue pour les accords de
compensation régis par une loi étrangère. –
Outre la protection qu'elle confère aux accords de
compensation régis par la loi luxembourgeoise, la
loi du 5 août 2005 contient également une règle
spéciale qui immunise les accords de compensation
régis par une loi étrangère lorsqu’ils sont conclus
par une partie située au Luxembourg. L’article
24, qui figure dans la partie VI de la loi du 5 août
2005 intitulée « Dispositions de droit international
privé », prévoit en effet que « les dispositions
nationales visées à l’article 20 (4) [de la loi du 5 août
2005] sont inapplicables, au cas où […] la partie
défaillante dans un arrangement de compensation
est établie à Luxembourg ou y réside ».
sont également définis à l’article 107 de la loi du 10
novembre 2009.
260P. Kinsch « La faillite … » (note 45), n° 31.
ALJB - Bulletin Droit et Banque N° 47 – Avril 2011
Prix ALJB 2010
Cette disposition signifie que le bénéficiaire
(étranger ou luxembourgeois) d’un accord de
compensation régi par une loi étrangère pourra
opposer son droit de compensation en cas de
procédure d’insolvabilité ouverte au Luxembourg à
l’encontre d’un débiteur luxembourgeois et que les
règles luxembourgeoises relatives aux nullités ou à
l’action paulienne seront inapplicables261.
Composition du Jury du Prix ALJB 2010
Président du Jury :
Me Philippe Dupont, Avocat à la Cour
Membres :
Mme Danièle Berna-Ost, Secrétaire Général, CSSF
M. Philippe Bourin, Responsable Juridique Crédit Agricole Luxembourg,
Vice-Président de l’ALJB
Me André Hoffmann, Avocat à la Cour, Président de l’ALJB
Me Patrick Kinsch, Avocat à la Cour
Me Christian Kremer, Avocat à la Cour
Mme Françoise Thoma, Membre du Comité de Direction BCEE
261 On notera que le projet de loi N° 6164 du 9 septembre 2010
visant notamment à modifier la loi du 5 août 2005 modifie
l’article 24 dont la teneur est la suivante: « Les dispositions
nationales visées à l’article 20 (4) sont inapplicables, au cas
où le constituant d’une garantie financière ou de toute autre
garantie similaire à laquelle une loi étrangère s’applique,
ou la partie défaillante dans une opération de mise en
pension ou à un arrangement de compensation auxquels
une loi étrangère s’applique est établi à Luxembourg ou y
réside ».
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