Et pourtant, est-ce si vrai que le sujet soit « épuisé » ? L`analyse de

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Et pourtant, est-ce si vrai que le sujet soit « épuisé » ? L`analyse de
LE PROLAPSUS RECTAL ET SA PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE : DONNÉES INCERTAINES
DE LA LITTÉRATURE
G Meurette et PA Lehur
Clinique chirurgicale 2, Pôle digestif. Hôtel-Dieu. CHU de Nantes. F44093 Nantes Cedex 1
Ce texte destiné à l'enseignement post-universitaire de l'AFC 2003 reprend les arguments développés dans une publication
récente des Annales de chirurgie (Ann Chir 2003 ;128 :73-4) sur les incertitudes persistantes dans la compréhension du prolapsus
rectal et les aspects empiriques de sa prise en charge chirurgicale actuelle.
Ces réflexions se basent sur la revue extensive de la littérature menée à l'occasion du Rapport au Congrès de Chirurgie 2002 sur
le même thème (Gallot D, Lehur PA. Les troubles de la statique rectale. Rapport au 104° Congrès français de chirurgie. Arnette
éditeur, Septembre 2002 Paris, 188 p).
« S'il est un domaine de la chirurgie digestive où tout semble avoir été dit, c'est bien celui du prolapsus rectal. Ce problème est
connu de si longue date, ses techniques chirurgicales si largement débattues et éprouvées ont donné lieu à tant de publications
qu'il paraît bien peu probable qu'un quelconque doute persiste aujourd'hui sur la façon optimale de prendre en charge un patient
consultant pour un prolapsus rectal, ou pour employer la terminologie actuelle, un trouble de la statique rectale.
Et pourtant, est-ce si vrai que le sujet soit « épuisé » ? L'analyse de la littérature et
l'étude des pratiques en France et dans le monde prouvent tout le contraire et nous
allons essayer de montrer combien les connaissances que nous avons sur le
prolapsus rectal sont encore incomplètes et en quoi nos décisions thérapeutiques
gardent un caractère empirique.
Le prolapsus rectal : une entité encore incomplètement comprise.
Il y a une vingtaine d'années, les différents troubles de la statique rectale ont été
regroupés au sein d'un ensemble nosologique sous le terme de « syndrome du prolapsus
rectal ». Il était commode, à l'époque, d'intégrer des entités nouvellement identifiées
grâce aux moyens d'exploration modernes (la procidence interne du rectum visualisée en
défécographie par exemple) dans le cadre anciennement connu du prolapsus extériorisé du
rectum. Ont été ainsi réunis le prolapsus rectal extériorisé, la procidence interne, le
syndrome de l'ulcère solitaire et la rectocèle, auxquels on associe assez régulièrement le
prolapsus muqueux anorectal, le syndrome du périnée descendant et l'incontinence anale
par neuropathie pudendale d'étirement [1].
Ce regroupement, pendant un temps utile pour faire progresser les connaissances, montre
actuellement ses limites et mérite d'être remis en question. On peut en effet s'interroger
par exemple sur la réalité des liens existant entre le prolapsus rectal extériorisé qui
traduit la faillite de tous les moyens de suspension du rectum et la rectocèle antérieure
de la femme, conséquence d'un accouchement traumatique et que favorise une
hystérectomie ultérieure. Sur le plan physiopathologique, cette dernière lésion est bien
plus proche de l'élytrocèle à laquelle elle est bien souvent associée, que du prolapsus
rectal proprement dit. Reconnaître cette différence, c'est éviter la mobilisation complète
du rectum et son risque de constipation post-opératoire si la voie abdominale est retenue
pour la cure d'une volumineuse recto-élytrocèle [2]. Quel lien également entre le
prolapsus muqueux ano-rectal qui s'apparente plus à la maladie hémorroïdaire et le
prolapsus du rectum ? Quel crédit apporter aux signes défécographiques de procidence
interne du rectum pour décider d'un geste chirurgical, alors qu'elle est si fréquente chez le
volontaire sain [3] ? On sait également maintenant que la présence d'un trouble de la
statique rectale est loin d'être systématiquement retrouvée au cours du bilan d'un
syndrome de l'ulcère solitaire du rectum, un quart des 53 patients explorés en
défécographie n'ayant pas d'anomalies dans la seule série homogène de la littérature [4].
D'autres exemples du polymorphisme du prolapsus rectal existent, à commencer par le
terrain très variable sur lequel il peut survenir. Ils soulignent la nécessité de poursuivre
l'étude de ces populations pour mieux comprendre l'histoire naturelle des troubles de la
statique rectale et leur physiopathologie.
Si tous les troubles appartenant au syndrome du prolapsus rectal ont bien en
commun une perte des rapports anatomiques normaux de tout ou partie du rectum
avec son contenant, le compartiment postérieur du pelvis, de nombreux éléments les
distinguent les uns des autres. Il faut se garder de simplifier à l'excès le problème
complexe des troubles de la statique rectale et les traiter de façon univoque. Il faut
au contraire reconnaître leur diversité et adapter la stratégie thérapeutique au cas
par cas.
Le prolapsus rectal : des attitudes thérapeutiques variables.
A la lecture de la littérature, il est assez surprenant de voir combien le traitement du
prolapsus rectal peut varier. L'intervention idéale qui réponde à toutes les situations
cliniques dont on a vu la variabilité, n'existe bien évidemment pas dans le prolapsus du
rectum et la multiplicité des techniques proposées depuis plus d'un siècle, utilisant l'une
ou l'autre des voies d'abord possibles, abdominale ou périnéale, reflète bien les
incertitudes chirurgicales [1]. A l'heure de la médecine factuelle, on pouvait cependant
espérer trouver une réponse basée sur des évidences scientifiques fortes dans
l'importante littérature publiée sur le sujet. Le constat fait par Bachoo et al pour la
Cochrane Library est malheureusement sévère. En dépit de la relative fréquence de cette
pathologie, de l'importance d'y apporter une solution fonctionnelle et anatomique adaptée
et de l'ancienneté de sa prise en charge, il n'y a pratiquement pas d'études contrôlées de
qualité suffisante, et quelque soit l'option étudiée (voie haute vs voie basse par
exemple), pour supporter des recommandations solides [5]. Dans cette revue, seuls 8
essais comparatifs étaient identifiés malgré une recherche approfondie de la littérature.
Tous souffraient de sérieux défauts méthodologiques, notamment pour les critères
d'inclusion dans l'étude et les conditions d'évaluation des résultats. Les auteurs
concluaient qu'il n'existait actuellement aucune preuve permettant de juger si une
technique chirurgicale était supérieure à une autre, que soient choisies la voie abdominale
ou périnéale, ou l'approche ouverte ou coelioscopique pour la voie abdominale. Des
constatations similaires ont été récemment faites par Karem Slim sur l'abord
coelioscopique du prolapsus rectal [6].
Le consensus d'experts n'est pas mieux établi. Les options défendues sont éminemment
variables et restent très clairement affaire de formation chirurgicale et « d'écoles » [1].
On ne peut que constater également les différences « géographiques » de prise en charge
pour un problème fonctionnel qui n'a aucune particularité de cet ordre. Entre autres
exemples, on peut rapporter, pour l'abord périnéal du prolapsus rectal extériorisé, la
préférence nord-américaine marquée pour la résection recto-sigmoïdienne selon Altemeier
à comparer à l'engouement européen pour l'opération de Delorme. Les différences existent
également pour la voie abdominale où l'attitude anglo-saxonne qui défend une fixation
postérieure du rectum (avec ou sans matériel prothétique) s'oppose à l'exception
francophone de rectopexie antéro-latérale selon Orr Loygue, technique qui n'est
pratiquement pas évoquée ou décrite dans les « textbooks » de la spécialité en langue
anglaise [7] ou considérée comme anecdotique [8]. Le consensus n'est pas plus obtenu
sur l'intérêt éventuel d'associer une sigmoïdectomie à la rectopexie dans le but de
prévenir le risque de constipation post-opératoire [9].
Ces incertitudes sur la conduite à tenir dans le prolapsus rectal sont bien évidemment
préjudiciables. C'est dire tout l'intérêt de l'essai prospectif qu'ont mis en place nos
collègues anglais sous l'impulsion de Michael Keighley. Cet essai, dénommé « Prosper »
pour PROlapse Surgery : PErineal or Rectopexy, envisage de recruter 1000 patients ayant
un prolapsus extériorisé du rectum sur une période de 3 ans, avec un suivi moyen 3 ans.
Le plan de randomisation à 2 niveaux et 4 bras permettra de comparer la voie abdominale
à la voie périnéale et pour chaque voie d'abord respectivement, la rectopexie seule vs
avec sigmoïdectomie, et l'opération de Delorme vs celle d'Altemeier, les critères de
jugement étant la récidive, la continence fécale (score de Kamm) et la qualité de vie
(score EuroQoL). Volontairement pragmatique et supporté par l'Association of
Coloproctology of Great Britain and Ireland, cet essai à l'échelle d'un pays et pourquoi pas
de l'Europe, laisse espérer un certain nombre de réponses aux questions que nous nous
posons encore sur le traitement d'un bien vieux problème chirurgical. Qu'il est dommage
d'avoir à attendre 5 ans ! »
Références
2.
Lehur PA, Kahn X, Hamy A. Traitement chirurgical de la rectocèle antérieure de la femme. La voie périnéo-vaginale. Ann
Chir 2000;125:782-6
4.
Halligan S, Nicholls RJ, Bartram CI. Evacuation proctography in patients with solitary rectal ulcer syndrome: anatomic
abnormalities and frequency of impaired emptying and prolapse. Am J Radiol 1995;164:91-5
6.
Slim K. La chirurgie colorectale par coelioscopie à l'heure de « l'evidence-based medicine ». Gastroenterol Clin Biol
2001 ;25 :1096-104
7.
Corman ML. Treatment of rectal prolapse. In Colon and rectal surgery 4°edition ; p. 437. Lippincott - Raven publishers.
PhiladelphiaNew York 1998
9.
Lehur PA, Tison C, Lazorthes F, Portier G. Sigmoïdectomie associée à la rectopexie. Dissensus. Le Courrier de
Coloproctologie 2001 ;2 :135-9
8.
Meagher AP, Lubowski DZ, Kennedy ML. Rectal prolapse. In The pelvic floor. Its function and disorders. p. 267. Pemberton
JH, Swash M, Henry MM eds. London 2002
5.
Bachoo P, Brazzelli M, Grant A. Surgery for complete rectal prolapse in adults. Cochrane data base Syst Rev 2000 ;
CD001758
3.
Mellgren A, Bremmer S, Johansson C, Dolk A, Uden R et al. Defecography : results of investigations in 2816 patients. Dis
Colon Rectum 1994;37:1133-41
1.
Madoff RD, Mellgren A. One hundred years of rectal prolapse surgery. Dis Colon Rectum 1999;42:441-50
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Traitement laparoscopique du prolapsus rectal
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