Comprendre la jeunesse d`aujourd`hui

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Comprendre la jeunesse d`aujourd`hui
Comprendre la jeunesse d’aujourd’hui
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Comprendre la jeunesse d’aujourd’hui
Guy Bajoit1
Être jeune aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile que de l’avoir été il
y a trente ou quarante ans. La raison immédiate est que l’avenir de la
jeunesse actuelle est bien plus incertain que ne l’était celui de la
génération qui les a précédés. Mais cette incertitude générale a une origine,
qu’il faut d’abord rappeler.
1. Deux changements contradictoires, générateurs d’incertitude
On peut le dire en une phrase : ceux qui sont jeunes aujourd’hui sont nés
et ont été socialisés dans une société qui les fait rêver plus haut et plus
grand, mais qui répartit très inégalement les opportunités et les ressources
pour réaliser les rêves qu’elle éveille. Il faut préciser et nuancer ce constat.
Une société qui fait rêver plus haut et plus grand
La plupart des messages culturels que les jeunes reçoivent (par la
télévision, le cinéma, la publicité, les magazines, les livres… et les
copains, mais aussi par la famille et même par l’école) les invitent à voir
grand, à mettre très haut la barre. Ils leur disent qu’ils ont le droit :
- de devenir eux-mêmes : de réaliser de leurs goûts, leurs préférences,
leurs talents ; d’épanouir leur corps, leur esprit et leur cœur ; de se réaliser
comme personne, d’être authentiques, d’être singuliers ;
- de choisir leur vie : de décider eux-mêmes de tout (études, amis,
couple, religion, travail, opinion, mode de vie…) ; d’exercer leur liberté de
choix ;
- de vivre avec plaisir et passion : de ne plus souffrir (ni pour naître,
pour étudier, pour travailler, pour vivre en couple, ni pour être malade, ni
même pour mourir) ; de jouir, de prendre du plaisir ; de vivre tout ce qu’ils
font avec passion ;
- de prendre garde à eux : d’être prudents, de se méfier des maladies (le
sida, le cancer, l’obésité, la « malbouffe », le tabac, l’alcool…), des
accidents (la ceinture de sécurité…), de l’exclusion sociale (le chômage, la
drogue, la solitude, la délinquance…)
Avoir un projet («deviens toi-même») personnel («choisis ta vie»),
épanouissant («cherche la passion et le plaisir») et cependant réaliste
(«prends garde à toi») est devenu ce que la culture régnante attend de tous,
mais surtout des jeunes, s’ils veulent avoir une vie bonne. C’est leur droit,
1 Sociologue, professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain.
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mais c’est aussi leur devoir de réussir à se conformer à ces injonctions. Cet
appel s’adresse à tous les jeunes : qu’ils soient nés dans un berceau doré ou
que leurs parents soient chômeurs, ils ont le nez sur les mêmes écrans, la
même télévision et les mêmes vitrines ! S’ils étaient nés cinquante ou cinq
cents ans plus tôt, ou dans une autre culture, ils auraient eu à se conformer
à d’autres « commandements ». Mais voilà : c’est ici et maintenant qu’ils
doivent vivre, et cela, ils ne l’ont pas choisi !
Une société qui répartit inégalement les moyens de réaliser les rêves
Réussir une telle entreprise n’est facile pour personne : il faut de
l’audace, de la créativité, du courage, du travail, du temps, de la formation,
de l’argent…. Or, l’autre changement majeur que nos sociétés ont connu
depuis quelques décennies concerne le modèle économique et social sur
lequel elles reposent. Elles ont adopté un modèle néolibéral qui se fonde
sur trois piliers :
- la compétition : la performance, l’autonomie individuelle, la
créativité, l’imagination, la flexibilité ; il faut courir et gagner ; vive
les winners et tant pis pour les loosers ;
- la consommation : pour être « quelqu’un », pour exister dans la
société, il faut acheter et avoir ; il faut se procurer tous les gadgets
technologiques que les entreprises vendent et les renouveler chaque
fois qu’elles produisent un nouveau modèle ; et pour cela, il faut
s’endetter, puis travailler pour payer ses dettes ;
- la communication : il faut « être dans le coup », être connecté avec
le monde entier : surfer sur le web, chater sur internet, envoyer des
SMS, se faire des « amis » sur facebook, voyager, être mobiles…
La logique même de ce système est exclusive : elle élimine, elle rejette à
sa marge tous ceux qui sont incapables de faire tout cela, parce qu’ils n’en
ont pas les ressources. Il est vrai que les États essayent, les uns plus, les
autres moins, d’aider leurs citoyens à acquérir ces ressources, mais les
efforts qu’ils font pour cela sont nettement insuffisants pour compenser
l’exclusion que le système ne cesse de produire. Et s’ils sont insuffisants,
c’est parce que les politiques sociales et publiques sont incompatibles avec
le modèle néolibéral : elles sont, en effet, financées par des impôts.
2. Les visages multiples de l’incertitude
Entre ces deux changements majeurs (culturel d’une part et socioéconomique de l’autre), il y a donc une contradiction : le premier invite
les jeunes à rêver haut et grand, le second les ramène sur terre ! Leurs
incertitudes viennent de cette contradiction et elles ont des visages
multiples.
Bien sûr, il y a d’abord la question de l’emploi, donc, celle de l’argent,
du pouvoir d’achat. Quand le taux de chômage des jeunes varie entre 7%
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(aux Pays-Bas) et 44% (en Espagne), on comprend qu’ils s’inquiètent.
Mais il ne suffit pas, pour les rassurer, qu’ils trouvent un emploi : ceux qui
en ont un doivent souvent se contenter d’un travail précaire, mal payé – la
« génération 800 Euros ! » – et surtout sans perspective d’épanouissement
personnel, ce qui est contraire aux attentes que leur culture leur inspire.
Mais il y a au moins un autre visage de l’incertitude, dont les effets sont
aussi dévastateurs : la question du lien social. Les jeunes ont le sentiment
de vivre dans un monde social et politique qui ne les protège pas, qui les
laisse se débrouiller tout seuls, ou avec le seul appui, souvent limité, de
leurs parents. A part ça, rien n’est sûr ! Former un couple et avoir des
enfants dans un monde où les liens affectifs sont si fragiles, leur apparaît
comme un risque grave, qu’il faut reporter à plus tard, même si leur
épanouissement personnel en dépend. Participer à la vie citoyenne, quand
l’intérêt général tombe sous la coupe de politiciens qui se font élire en en
parlant, en le promettant, mais qui ne s’occupent que des intérêts
particuliers d’une classe dominante (« les Marchés ») qui les corrompt et
décide à leur place, leur semble complètement inutile, voire dérisoire.
Compter sur cette classe dominante et ces politiciens pour se préoccuper
d’un environnement sûr et sain, dans lequel ils voudraient vivre, leur
semble illusoire. Les jeunes ne manquent donc, certainement pas, de
réalisme, ni de capacité d’analyse !
3. Les réactions à l’incertitude
Il faut dire un mot des réactions des jeunes face à ce monde incertain.
Ceux qui ne savent pas quoi faire, qui se sont trompés, qui n’ont pas assez
travaillé, qui n’ont pas su être compétitifs ou pas assez motivés, qui ont
pris trop de risques et se sont « plantés », qui ont manqué de chance… se
sentent « nuls », « out », « marginalisés ». Se conformant avec peine aux
normes culturelles régnantes de la « vie bonne », ils ont, forcément, des
problèmes d’identité – d’où la centralité actuelle de la question identitaire.
Ils réagissent à cela de quatre manières différentes :
- certains s’efforcent s’adapter au modèle social et économique
dominant : ils sont les « bons élèves » du modèle
néolibéral ; remplis de bonne volonté, ils étudient, ils cherchent un
emploi ; s’ils échouent, ils essaient encore et encore d’être plus
compétitifs, plus connectés sur le web et plus consommateurs ;
- d’autres, à l’inverse, se découragent et fuient ce modèle, se réfugiant
dans les marges, les contre-cultures, faites d’oisiveté, de drogues
diverses, et parfois de violence et de délinquance, créant ainsi de
l’insécurité autour d’eux ;
- d’autres encore sont pragmatiques : ils profitent du « système », ils
font semblant, ils trichent autant qu’ils peuvent avec la sécurité
sociale (le chômage, les aides publiques) ;
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-
d’autres enfin protestent : ils se politisent, rejoignent les indignés,
les alter-mondialistes, les anonymus ; parfois aussi les partis de
l’extrême gauche ou… de l’extrême droite !
Ils peuvent, bien sûr, combiner (à doses variables) ces quatre logiques,
mais ils n’ont, comprenez-le, que ces solutions-là, dans un monde qui les
invite à rêver haut et grand, mais qui ne leur offre pas les moyens d’ « aller
jusqu’au bout de leurs rêves » – comme le voulait Jacques Brel (qui, lui, en
avait les moyens !)
4. Socialisateurs et socialisés2
Ceux qui, parents ou enseignants, ont à assumer la tâche délicate de
socialiser les jeunes d’aujourd’hui – de leur enseigner ce qu’ils doivent
savoir et faire pour avoir une « vie bonne » en société : pour qu’ils puissent
s’épanouir comme des individus singuliers et être reconnus pour cela par
les autres – se heurtent à des difficultés importantes qu’ils n’auraient pas
rencontrées s’ils étaient nés cinquante ans plus tôt.
Jadis, en effet, il y avait aussi des « modèles culturels » régnants
(religieux chrétien d’abord, puis rationaliste moderne) qui, par la bouche
de leurs « exégètes », faisait savoir aux gens comment ils devaient s’y
prendre pour avoir une « vie bonne » : ils devaient respecter les
commandements de Dieu, traduits et complétés par la Sainte Église ; ou
bien ils devaient se soumettre aux exigences de la Raison, interprétées par
des élites (étatiques, politiques, scientifiques, morales). Bref, ils savaient
ce qu’ils avaient à faire pour avoir une « vie bonne » et les injonctions
auxquelles ils devaient se plier leur venaient de sources externes à leur
conscience et leur étaient imposées par des autorités légitimes. Ils
n’avaient qu’à leur obéir, et plus cela leur serait pénible, plus ils auraient
du mérite ; s’ils n’étaient pas récompensés ici-bas, ils le seraient dans l’audelà ! S’épanouir comme individu et jouir pour cela de la reconnaissance
des autres, c’était, pour eux, se soumettre à des commandements attribués
à des Personnages méta-sociaux, à des universaux silencieux (Dieu,
jusqu’à l’avènement de la modernité, puis, par un « polythéisme »
retrouvé : la Raison, le Progrès, l’Égalité, la Démocratie, le Socialisme, la
Liberté, la Nation, la Patrie, le Devoir, le Travail, la Nature… et j’en
passe). Ce n’était pas toujours facile d’obéir, mais, au moins, c’était clair !
Le modèle culturel qui règne aujourd’hui – que j’ai appelé
« subjectiviste » parce qu’il invite chacun à être sujet de lui-même, donc à
n’obéir qu’à sa conscience – invite, voire impose, à tout individu de se
2 Je renvoie le lecteur à un autre texte (« Pour enseigner, j’en saigne ») que je ne fais que
résumer ici.
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conformer aux « commandements » énoncés au point 1 ci-dessus3. Fort
logiquement, plus ils sont jeunes, plus ils ont été socialisés sous l’emprise
de ce modèle, et plus ils sont sensibles à son appel, surtout quand ils
appartiennent à des milieux sociaux plus instruits, plus urbanisés et plus
laïcisés. Cela qui ne signifie nullement que les jeunes entendraient tous
l’appel du modèle subjectiviste, alors que leurs parents ou leurs
enseignants ne l’entendraient pas du tout. C’est plus compliqué que çà ! Ce
n’est pas surtout une question d’âge mais plutôt de socialisation : le
malentendu – ou le « pas-entendu », le « pas-audible » – s’installe surtout
entre des individus qui ont été socialisés dans des modèles culturels
différents. Cependant, c’est aussi une question d’exigences concrètes de
l’organisation : il est beaucoup plus facile de « gérer » trois enfants dans
une famille, que trente élèves dans une classe ou trois cents travailleurs
dans une entreprise.
Dans la relation pédagogique scolaire, les malentendus générationnels
semblent se cristalliser principalement autour de deux problèmes :
l’exercice de l’autorité (donc la discipline) et la motivation au travail. J’ai
relevé à maintes reprises ces deux difficultés majeures chez bon nombre
d’enseignants, rencontrés dans les journées pédagogiques organisées par
les écoles secondaires.
Le rapport à l’autorité
En passant du règne du modèle culturel rationaliste (et de ce qui restait
du religieux) au modèle subjectiviste, le rapport à l’autorité a changé d’une
manière radicale : on est passé d’un modèle disciplinaire à un modèle
réflexif.
- Sous le mode disciplinaire, les normes sont prescrites par un code
formel, préexistant à la relation, et auquel les conduites sont comparées ; le
détenteur de l'autorité est investi d'un statut social qui l'autorise à juger les
conduites ; il décide si celles-ci sont conformes ou non à la norme ; la
déviance est punie par des sanctions codifiées et applicables à tous.
3 Comme le confirment les recherches sur les valeurs en Europe. Sous l’égide de l’Union Européenne,
des sociologues organisent tous les neuf ans (1981, 1990, 1999 et 2008), dans tous les pays de l’Union, un
European Values Survey (EVS) : un long questionnaire est passé à des échantillons représentatifs de la
population de chaque pays ; on recueille ainsi les opinions des gens sur toutes sortes de questions : la
famille, le travail et les loisirs, l’éducation, la religion et la morale, la politique, l’économie,
l’environnement, la sociabilité, etc. Les résultats sont analysés et publiés dans chaque pays : par exemple,
pour la Belgique, L'univers des Belges (1984) ; Belges heureux et satisfaits (1992) et Belge toujours
(2001) ; pour la France : Les valeurs des Français (1984), Les valeurs des Français (2000), La France à
travers ses valeurs (2009). Certaines études proposent aussi des comparaisons internationales : par
exemple, Jean Stoetzel, Les valeurs du temps présent, (1983) et Ronald Inglehart, La transition culturelle
dans les sociétés industrielles avancées (1993). D’autres portent sur certaines catégories particulières de la
population, et notamment sur les jeunes : par exemple, Olivier Galland, Les jeunes Français ont-ils raison
d’avoir peur ? (2009) ; Bernard Roudet, Regard sur les jeunes en France (2009) ; Pierre Bréchon et JeanFrançois Tchernia (sous la direction de…) : La France à travers ses valeurs (Paris, Armand Colin, 2009).
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- Sous le mode réflexif, les normes sont construites par discussion avec
ceux auxquels elles s'appliquent (donc elles ne peuvent former un code
préexistant à la relation) ; le détenteur de l'autorité est avant tout un
médiateur qui s'efforce d'engager les parties dans un contrat ; la conformité
des conduites aux normes est évaluée par tous les acteurs concernés ; les
sanctions sont définies au cas par cas dans le but de reconstruire la relation
perturbée par la déviance.
En clair, cela veut dire que les jeunes s’attendent à une autorité
réflexive, mais que les adultes – à cause de leur âge, de leur rôle, de leur
statut et des contraintes de l’organisation dans laquelle ils sont pris –, ne
savent pas toujours comment l’exercer : le mode disciplinaire leur est plus
habituel, plus facile, plus gratifiant et plus adéquat. L’idéal serait sans
doute de faire participer les jeunes à l’élaboration et à l’application des
normes de la vie commune, en famille, à l’école ou ailleurs. Comme le
disait très justement une enseignante : « quand les élèves font la discipline
eux-mêmes, ils sont souvent plus exigeants que nous ». Bien sûr, cela
demande, notamment, du temps (pour discuter et justifier les normes, pour
évaluer les infractions et décider des sanctions), et ce temps, les
enseignants ne l’ont pas, car ils doivent le plus souvent le consacrer à
d’autres activités : « mon rôle est d’enseigner les mathématiques à Pierre,
pas de lui apprendre le savoir-vivre ». Donc, c’est difficile !
Le rapport au travail
Le travail a été, au cours de l’histoire, considéré par notre culture de
plusieurs manières différentes : comme un labeur pénible et indigne,
comme une punition nécessaire au rachat des péchés, comme un devoir et
un service utile à la collectivité, comme un moyen d’épanouir des talents
par une créativité personnelle. Clairement, sous le règne du modèle
culturel subjectiviste, le travail n’a de sens que s’il permet à l’individu de
se conformer aux injonctions de ce modèle, rappelées au point 1 ci-dessus :
on est passé d’une implication laborieuse à une implication hédoniste dans
le travail. Faute de quoi, il n’a pas de sens, il est absurde, donc, il ne
saurait motiver personne.
En clair, cela veut dire que pour motiver les jeunes à travailler, il faut les
passionner pour ce qu’on leur propose de faire. Comme le disait la même
enseignante : « quand les élèves sont passionnés, ils soulèveraient des
montagnes ». Sinon, c’est un labeur pénible, qu’il faut bien faire « pour
avoir des points à l’examen » (de la reconnaissance sociale) ; donc, ils font
juste ce qu’il faut, en traînant les pieds. Bien sûr, passionner les élèves
demande du temps, du travail, de la créativité, de l’esprit d’équipe, et … de
la passion de l’enseignant pour son propre métier. Et il faut surmonter pas
mal de difficultés et de déboires : « les élèves se passionnent pour un
thème qui demande trois mois de travail ; trois semaines après, ça ne les
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intéresse plus et ils veulent passer à autre chose » ; ou bien « les thèmes
qui les intéressent sont pluridisciplinaires, alors que je dois enseigner les
mathématiques prévues au programme, un point c’est tout ».
5. Les réactions des enseignants
De même que les jeunes ont quatre réactions possibles devant
l’incertitude qui pèse sur leur avenir (voir le point 3 ci-dessus), les
enseignants réagissent, eux aussi, selon ces mêmes logiques à l’incertitude
qui gangrène leur difficile métier.
- Certains s’efforcent de s’adapter au changement : ils essayent
d’acquérir des compétences nouvelles, ils font des formations en
pédagogie, suivent des cours de systémique, de PNL, de gestion des
conflits et du stress, essaient par tous les moyens, et avec plus ou
moins de bonheur, de motiver leurs élèves et de négocier avec eux
les normes de la vie commune.
- D’autres se découragent et fuient : ils ne veulent plus faire ce
métier, ils le quittent (entièrement ou en partie), ils tombent
malades, ils se font mettre en disponibilité ou en mission de service ;
- D’autres sont pragmatiques : ils restent mais sans conviction, sans
passion, ils essaient de continuer comme ils ont toujours fait, mais
ils s’usent, se fatiguent (burn out), parfois deviennent amers, et
finissent par faire « juste leur boulot » sans prendre d’initiative ;
- Et d’autres encore protestent : ils réclament auprès de leur directeur,
ils font du syndicalisme ou créent des « coordinations », organisent
des manifestations, dans ou hors des syndicats, ils réclament des
conditions de travail qui leur permettent de s’adapter aux
changements.
Pour conclure
Ni les jeunes, ni leurs parents, ni les élèves, ni les enseignants, ni les
directeurs, ni les fonctionnaires du ministère de l’éducation ne sont
coupables des grandes mutations économiques, sociales et culturelles qui
se sont produites dans les sociétés industrielles depuis quatre ou cinq
décennies. Ces mutations sont le résultat des rapports de force entre des
acteurs emportés par des logiques d’action qui les dépassent et aucun
d’eux n’a décidé de tels changements4. Personne n’étant coupable dans
cette affaire, si l’on veut comprendre ce qui se passe, il faut d’abord cesser
de se renvoyer la faute : « les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus de valeurs »,
« les parents ont démissionné », « les profs ont la belle vie : ils ne
4 Pour ceux qui veulent en savoir plus, j’ai traité de cette question dans un livre : Le
changement social. Approche sociologique du changement social et culturel dans les sociétés
occidentales contemporaines. Paris, Armand Colin, 2003.
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travaillent pas assez », « les fonctionnaires décrètent tout d’en haut, sans
savoir ce que c’est qu’une classe », etc… Tout cela est largement faux et
surtout, ne permet pas d’analyser la réalité.
S’ils ne sont pas coupables, par contre, ils sont responsables : ils doivent
tenir compte des mutations qui se sont produites, il leur faut essayer de les
comprendre, de les évaluer, pour savoir comment s’y adapter et protester
(à moins de s’en aller, mais c’est pareil ailleurs) !