Panel : Oil Governance in the Current Energy Crisis

Transcription

Panel : Oil Governance in the Current Energy Crisis
Panel : Oil Governance in the Current Energy Crisis
Pluralité de gouvernances des sociétés nationales de pétrole en
Amérique latine (Brésil, Mexique et Venezuela)
Isabelle Rousseau1
Au début du XXI ème siècle, la conjonction de la hausse importante du prix du
baril et l’arrivée au pouvoir de nouvelles forces politiques (en Russie, au Venezuela et
en Bolivie) ou l’émergence politique et économique de certains Etats et régions
(Caspienne et Asie Centrale) ont favorisé la révision des politiques libérales au profit
d’un nouvel interventionnisme de l’Etat dans les activités de l’énergie.
Outre la flambée des cours du pétrole, rentrent aussi en ligne de compte d’autres
facteurs : l’arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernements (en Russie, au Venezuela et
en Bolivie) qui se sont montrés très peu satisfaits des politiques engagées par les
gouvernements précédents (ce fut aussi le cas en Algérie et au Kazakhstan) ainsi que les
grandes constantes qui épaulent les nationalisations dans le secteur minier: la méfiance
vis à vis des étrangers – notamment des puissances occidentales (pays et compagnies
confondus) et le besoin de contrôler l’ensemble de la chaîne de production des
hydrocarbures pour avoir la maîtrise de l’économie et résoudre les problèmes sociaux
auxquels ces pays sont confrontés. Cette nouvelle vague de nationalisations a remplacé
une époque de forte libéralisation (1980-2000) qui s’était traduite dans l’industrie
pétrolière par un vent d’ouverture et de re-privatisations. Bien que les raisons aient
différé selon les pays, ce mouvement était accompagné partout de la diffusion de
normes juridiques contraignantes encadrant les relations contractuelles entre Etats
propriétaires des ressources en terre et compagnies privées étrangères pour garantir aux
investisseurs un haut degré de sécurité des droits acquis par contrat.
En ce qui concerne l’Amérique latine, le nouveau nationalisme pétrolier a
accompagné l’arrivée au pouvoir de nouvelles forces de gauche, antagoniques à
l’idéologie neo-libérale qui intégrait le fameux « consensus de Washington ». Le
Venezuela, sous l’égide du Président Hugo Chávez, a été le pionnier de ce revirement,
suivi bientôt par la Bolivie et l’Equateur. La visibilité de ce phénomène a été d’autant
plus notable que certains d’entre eux s’étaient largement engagés dans la voie neolibérale. Ce fut le cas de l’Argentine et de la Bolivie qui avaient privatisé totalement
leur industrie. Quoique le Venezuela n’ait pas suivi une voie aussi extrême, néanmoins
la Apertura était conséquente. Le contraste n’en n’a été que plus frappant.
Néanmoins, hormis ces quelques cas, ni l’ouverture ni le nouveau nationalisme
de l’industrie pétrolière n’ont acquis ces dimensions dans les autres pays latinoaméricains. Le Mexique et le Brésil, deux autres grands pays pétroliers (principalement
le Mexique), présentent des situations différentes. L’intérêt du Brésil –qui vient tout
récemment d’accéder à la catégorie de pays exportateur (il a été importateur jusqu’en
2006)- provient de son expérience et de la capacité qu’il a su développer dans l’off
1
. Professeure et Chercheuse. Centro de Estudios Internacionales. El Colegio de México. Responsable d’un projet CONACYT
“Vers une meilleure gouvernance de Pemex et de l’industrie pétrolière mexicaine ».
1
shore mais aussi de la bonne gouvernance de sa société nationale – Petrobras - qui en
fait un modèle parmi les NOC’s. De son côté, le Mexique est resté fidèle au
nationalisme qui a imprégné l’industrie pétrolière depuis l’expropriation des
compagnies pétrolières internationales en 1938. L’Etat n’a jamais perdu sa place
centrale dans l’organisation de ce secteur même durant les années 90 alors que le
Mexique signait le traité de l’ALENA avec les Etats-Unis et le Canada et faisait montre
d’une très grande ouverture de son économie dans les autres secteurs d’activités
industrielles, financières et commerciales.
L’hypothèse que nous voulons développer ici est la suivante : l’hétérogénéité
dans les modèles de gouvernance de l’industrie et de la société nationale dépendent du
rôle que l’Etat a joué dans la création et dans le développement du secteur minier –et
donc de l’industrie pétrolière- et du type d’institutions qu’il a voulu, pu ou su construire
pour encadrer ce secteur. Ainsi, en fonctions de l’organisation de ce secteur et de
l’encadrement institutionnel établi, les vagues de libéralisation et ensuite de
nationalisation n’ont acquis ni la même dimension ni suivi les mêmes modalités.
Pour ce faire, nous allons procéder à une comparaison principalement entre le
Venezuela et le Mexique. En effet, ces deux pays sont les deux grands pays pétroliers
latino-américains. Nous n’aborderons le Brésil que de facon tangentielle car, jusque
très récemment (2007), le Brésil n’était pas un pays auto-suffisant en pétrole.
Nous nous proposons d’étudier dans les deux cas les stratégies développées
par les Etats pour construire leur industrie pétrolière. Nous observerons, en particulier,
la relation que l’Etat a entretenu avec sa société nationale –le rôle qui lui a attribué pour
consolider le régime politique et pour le développement industriel et économique du
pays- les institutions qu’il a crées et aussi la place accordée aux compagnies étrangères
dans la production pétrolière.
Nous examinerons, dans un premier temps, la naissance et le développement de
l’industrie pétrolière jusqu’au moment de l’ère libérale (années 90). Puis nous
étudierons les modalités qui ont présidé à l’ouverture dans les deux cas, en montrant
comment la construction institutionnelle a conduit à des modes d’ouverture et de
gouvernance totalement différents. Enfin, nous analyserons comment ce construit
institutionnel et organisationnel préside le renouveau du nationalisme pétrolier dans ces
deux pays.
La naissance et le développement de l’industrie pétrolière au
Mexique et au Venezuela
Introduction
En Amérique latine, l’industrie pétrolière est née et a été faconnée par les
compagnies internationales (américaines, en général), à la fin du XIXème siècle.
Pour ce faire, en général, le cadre légal et fiscal a été modifié de manière à attirer les
capitaux étrangers. Néanmoins, l’histoire propre de chacun des pays de la région
modèlera de facon différente l’évolution de ce secteur économique. Les cas du
Mexique et du Venezuela sont patents à cet égard.
2
Mexique
Les origines de l’industrie pétrolière au Mexique
L’exploration et la production de pétrole au Mexique commencent, au XIX ème
siècle, vers la fin des années soixante, cependant le début de la production à grande
échelle date de 1901, dans la région de Ébano-Pánuco. Le développement de l’industrie
pétrolière est corrélatif à un changement du cadre légal en vigueur. En effet, s’il est vrai
que, jusqu’en 1884, le régime de propriété du sol et du sous-sol était favorable à la
nation (couronne espagnole puis nation mexicaine), en 1884, le gouvernement de
Porfirio Díaz adopte la conception anglo-saxonne des droits de propriété : les ressources
du sous-sol se convertissent en propriété exclusive du propriétaire du sol. La loi de 1901
– spécifique au pétrole - confirme ce droit et délivre en outre au gouvernement mexicain
la possibilité de donner en concession aux compagnies privées des aires appartenant à la
nation. Ce nouveau cadre légal va favoriser la venue de compagnies anglaises et
américaines qui se bénéficieront aussi d’un cadre fiscal très favorable. En très peu de
temps, le Mexique va devenir un des principaux pays producteur et exportateur de
pétrole.2 Le développement de l’industrie pétrolière était totalement dépendant de
l’étranger quant aux capitaux étrangers, aux cadres et hauts cadres et à la technologie.
En effet, la Révolution mexicaine avait affecté et désorganisé les entrepreneurs et l’Etat
était en pleine reconstruction. Bien que la Constitution de 1917 ait restitué à la nation
les droits de propriété sur les ressources du sous-sol, durant de nombreuses années la
législation porfiriste continuera à prévaloir. Si bien qu’après la Révolution, la
production pétrolière continuera à croître.
De facon graduelle, les gouvernements émanant de la Révolution chercheront à
reprendre le contrôle des ressources pétrolières, mais il leur faudra plus de deux
décennies pour y parvenir : entre la promulgation de la Constitution de 1917 et la
Nationalisation en 1938. Ils tenteront à la fois de faire reconnaître les droits et la
souveraineté de la Nation aux investisseurs étrangers et aussi d’augmenter les revenus
fiscaux. Dès 1915, ils vont se doter de spécialistes pour surveiller l’industrie pétrolière
et la réguler puis, en 1918 et ensuite en 1925, les gouvernements mexicains ont émis des
lois qui, à partir d’un nouveau cadre fiscal, tentaient de remettre en cause le principe de
concession à perpétuité (pour lui fixer une durée temporelle) ; solution qui a essuyé le
refus total des compagnies étrangères. Ayant un besoin urgent de réactiver l’économie
du pays, le gouvernement cherche à négocier avec les compagnies (loi du Pétrole de
1928) et leur donner des garanties concernant leurs activités au Mexique tandis qu’en
contrepartie les compagnies devaient prouver qu’elles étaient réellement les
propriétaires des terrains et qu’elles avaient vraiment réalisé des investissements pour
produire du pétrole (et obtenir ainsi des concessions confirmées).3 Néanmoins, de par la
conjonction de divers facteurs, à partir de 1922 la production a commencé à diminuer.
En outre, lorsque les compagnies comprirent que tôt ou tard le gouvernement mexicain
appliquerait les principes de la Constitution, leur unique objectif fut d’extraire et
d’exporter le plus possible de facon à récupérer rapidement leurs investissements et
financer leurs futures opérations (négligeant toute mesure de conservation et de
protection des puits et des champs). En 1932, la Anglo-Dutch Mexican Eagle Co.
2
. En 1918, 73% de la production était d’origine américaine, 21% anglaise, 4% hollandaise et 2% hispano-mexicaine.
. Angel de la Vega. La evolución del componente petrolero en el desarrollo y la transición de México. PUE/UNAM. 1999. pp-3840
3
3
découvrit et développa le champ de Poza Rica, (Veracruz) ce qui a réactivé un peu la
production du pays. Cependant, au moment où le président Cárdenas décide
d’exproprier les compagnies étrangères, les revenus fiscaux provenant du pétrole
avaient nettement diminué (vu la baisse générale de la production).
De la nationalisation du pétrole à la fin des années 1980
Le processus d’édification de Pemex et de l’industrie pétrolière mexicaine a été
un acte éminemment politique. En effet, bien que l’article 27 de la Constitution de 1917
revendique pour la nation la propriété des ressources du sous-sol, cette Charte, dans sa
version originale, n’excluait pas la participation du secteur privé, que ce soit sous forme
de concessions ou d’autres formules juridiques. Sur la base des principes contenus dans
l’article 27, la loi pétrolière de 1925 et son règlement avaient en effet instauré un
système de concessions. Ce sont les conditions dans lesquelles s’est produite la
nationalisation du pétrole au Mexique et la nature de l’Etat mexicain qui émerge de la
Révolution qui conduiront à donner une interprétation particulière à cet article
constitutionnel et forger une équivalence entre les termes suivants : « Nation = Etat =
Pemex « 4.
Comme nous l’avons vu, les conceptions des gouvernements émanant de la
Révolution (1910-1917) ne se différenciaient pas fondamentalement – eu égard aux
capitaux étrangers - de celles des Porfiristes du siècle précédent : la reconstruction du
pays et la réactivation des entreprises rendaient indispensable le recours au secteur
privé, qu’il soit national ou étranger. La seule obligation pour les investisseurs étrangers
consistait à accepter le nouveau rôle exercé par l’Etat mexicain dans la conduite des
processus économiques5. Or, les compagnies étrangères qui exploitaient les
hydrocarbures au Mexique n’avaient pas voulu reconnaître les lois mexicaines6.
Confrontées aux demandes des syndicats qui réclamaient une augmentation de salaire et
une participation majeure dans la prise de décisions concernant la gestion de l’industrie,
elles refusèrent de reconnaître la décision de la Cour Suprême de Justice qui donnait
raison aux syndicats. Cette négation fut interprétée comme une atteinte inacceptable
envers la souveraineté de l’Etat. Ce conflit mettait à l’épreuve le système corporatiste
qui appuyait ouvertement les organisations de travailleurs ainsi que la nouvelle
jurisprudence7. C’était un comportement jugé inadmissible par un régime qui cherchait
encore à s’affirmer, et ce dans un pays qui n’avait pas encore pansé les blessures
morales que les invasions étrangères de la seconde moitié du XIXème siècle lui avaient
laissées. Ceci a conduit le Président Lázaro Cárdenas, le 18 mars 1938, à nationaliser le
pétrole et à créer par décret, le 7 juin 1938, une société publique – Petróleos Mexicanos
(Pemex)-. Dès lors, Pemex sera une entreprise décentralisée du gouvernement fédéral,
dotée d’un caractère technique, industriel et commercial et d’une personnalité juridique
et un patrimoine propres.8 Elle a pour mission d’administrer, mettre à profit,
transformer, commercialiser et conserver une ressource non renouvelable d’intérêt pour
la souveraineté nationale et de grand impact sur la structure économique du pays.
4
. Isabelle Rousseau. « A la recherche d’une meilleure gouvernance d’entreprise : Petróleos Mexicanos (Pemex) ». Etudes du CERI.
CERI/ Sciences Po. 2007. p. 6.
5
. Knight, Alan. The Mexican Revolution. Cambridge University Press. 1986 (Vol. 2).
6
. Parmi les compagnies étrangères, les intérêts anglo-hollandais prédominaient. En 1938, sous l’égide de la Royal Dutch-Shell
(groupe El Aguila), ils possédaient 70% de l’industrie pétrolière au Mexique.
7
. Vega, Angel (de la), op.cit.
8
. PEMEX, Marco jurídico básico. 1ra edición. México. 1988. p. 23-25
4
Néanmoins, l’expropriation des compagnies étrangères et l’acte de
nationalisation de l’industrie pétrolière ne suffisent pas à expliquer à eux seuls le statut
de monopole public qu’a acquis Pemex. Ce sont la construction du système politique
mexicain post-révolutionnaire et les assises légales qu’il s’est données qui permettent de
comprendre comment on est passé du statut de « nation détenant la propriété des
hydrocarbures » à celui de « société nationale, monopole d’Etat dans la gestion de
l’activité pétrolière »9. Bien que le principe du monopole d’Etat n’ait pas présidé à la
naissance de Pemex, il sera instauré quelques années après. C’est avec la réforme de
l’Article 27 de la Constitution, le 9 novembre 1940, que l’industrie pétrolière deviendra
une industrie d’Etat. Par un transfert de droits, l’Etat est le représentant juridique et
politique de la nation et Pemex, un instrument qui permet à l’Etat – et au gouvernement
fédéral qui le représente - d’organiser l’industrie pétrolière et gazière et de promouvoir
son développement. Par le truchement de la société nationale, l’Etat va prendre en
charge toutes les opérations de l’industrie pétrolière. Parallèlement, il se dote d’un cadre
légal qui couvrira toutes les activités du secteur – tant minières que de transformation
industrielle. La Constitution achèvera de consolider le statut de monopole de Pemex en
attribuant un caractère stratégique à l’industrie pétrolière.
Dans ce contexte, Pemex s’est vu confier des objectifs et des tâches qui
excédaient de loin celles qui incombent normalement aux compagnies pétrolières.
Depuis sa nationalisation, PEMEX a traversé trois grands moments.
De 1938 au milieu des années soixante-dix, le secteur pétrolier a été un des
piliers fondamentaux de l’industrialisation du pays. Sous le lemme “Au service de la
Patrie”, la paraétatique a eu pour tâche de fournir de l’énergie bon marché et d’assurer
l’autosuffisance énergétique du pays. En bien des égards, l’entreprise a réussi à
satisfaire les buts assignés: durant plus de trente ans, Pemex a pu alimenter le marché
national avec une énergie très bon marché -au profit, en particulier, du développement
industriel de quelques secteurs clés de l’économie.10 Cependant, les coûts de cette
politique ont été particulièrement élevés. En tant que monopole d’Etat dans un marché
national fermé et protégé, les prix provenaient d’une décision politique et n’avaient que
peu de relation avec les prix en vigueur sur le marché international. La capacité
d’autofinancement de l’entreprise s’est progressivement réduite. 11 Au début des années
soixante-dix, la relative obsolescence de Pemex avait atteint un niveau critique: pour la
première fois, le Mexique a dû importer du pétrole!
A partir de 1977, la politique pétrolière a effectué un virage. La découverte de
gisements impressionnants au Chiapas et au Tabasco (et ensuite dans l’état de
Campeche) et les niveaux records du prix du baril de brut ont favorisé la
« pétrolisation » de l’économie. La politique pétrolière s’est orientée vers l’exportation
massive de brut.12 Pour ce faire, de 1977 à 1982, l’industrie pétrolière s’est transformée
et développée de manière notable; elle s’est convertie en détonateur du dynamisme
9
. Meyer, Lorenzo y Morales, Isidro. Petróleo y Nación (1900-1987). La política petrolera en México. FCE. 1990.
. En ce sens, le pétrole a participé à l’élaboration et au maintien du Pacte social et de la politique priiste.
11
. En donnant la priorité aux prix bons marchés, les prix de vente de Pemex sont restés bas en comparaison avec les prix
internationaux tandis que les coûts étaient beaucoup plus élevés.
12
. Ce changement s’est fondé sur deux croyances: 1. très rapidement, au niveau mondial, de nouvelles sources d’énergie allaient
substituer le pétrole et 2. le prix du barril allait continuer à augmenter de facon exponentielle et ininterrompue.
10
5
économique national.13 Parallèlement, le pétrole est devenu un instrument de
financement –une garantie sur tous les prêts internationaux. Ceci a précipité un
endettement pharamineux, de l’entreprise bien sûr mais aussi du pays.14 Dans
cette
économie extrêmement fragile, la crise est survenue quand, simultanément, le prix du
pétrole s’est effondré et que les taux d’intérêt bancaire se sont brusquement élevés. En
1982, endetté de facon extrême (la dette publique externe atteignait alors 100,000
millions de dollars), le Mexique était sur le point de se déclarer en banqueroute.15
La nouvelle administration –sous la houlette de Miguel de la Madrid (19821988)- a émis un diagnostique très sévère: la crise était le produit d’une politique
économique erronée qui avait provoqué de grands déséquilibres dans les secteurs public
et externe et des distorsions dans le système financier et le marché de biens et des
facteurs de production. Considérant que le protectionnisme de l’appareil productif et la
prédominance du secteur public étaient des options anachroniques, peu viables et, en
outre, inefficaces, cette équipe a proposé des changements radicaux pour vaincre la
crise, récupérer la capacité de croissance et obtenir un développement soutenu et sans
inflation. Fort de ces principes, le gouvernement de Miguel de la Madrid a décidé de
promouvoir les exportations non pétrolières ; parallèlement, il s’est efforcé de construire
un “Nouveau Pemex”, le soumettant à un ajustement économique rigoureux et, dans une
moindre mesure, à des changements administratifs. La réduction budgétaire a affecté de
manière importante l’investissement pétrolier.16 Pour contrebalancer cette mesure, on a
cherché à assainir ses finances.17 On a aussi mis sur pied un programme de substitution
des importations qui a permis d’épargner un montant substantiel de devises.18 En outre,
on a restructuré les termes de la dette externe dont la plus grande partie était engagée à
court terme.19 Bien que la structure financière de l’entreprise se soit considérablement
améliorée, le programme d’austérité engagé a eu des conséquences fâcheuses sur la
capacité de l’entreprise pour faire face aux besoins futurs en énergie et fournir les
facteurs de production de base, de moyen et long terme. La baisse du volume des
exportations combinée avec la chute dramatique des prix internationaux a durement
affecté le montant des devises obtenues. En outre, une charge fiscale croissante –qui va
rapidement représenter presque 80% des revenus pour concept de ventes- a commencé à
asphyxier l’entreprise. S’il est vrai qu’à la fin du sexennat de Miguel de la Madrid, le
pétrole en tant que bien d’exportation avait cessé d’être une plateforme pour la
croissance économique, néanmoins les revenus provenant des hydrocarbures
deviendront un des principaux instruments pour financer le service de la dette externe et
des dépenses publiques.
Par contre, l’organisation de l’entreprise et l’industrie pétrolières a très peu
changé : elle est restée à l’image d’un modèle de développement industriel replié sur
lui-même. Pemex ne s’intéressait alors nullement aux règles de fonctionnement du
13
.Grâce à un programme d’actualisation technologique très coûteux et de grandes découvertes (sonde de Campeche), Pemex a élevé
considérablement sa plateforme de production de pétrole brut (de 156. 586 barils par jour de pétrole brut en 1970 à deux millions
750 mille barils en 1982) et de gaz naturel (d’environ 18,ooo millions de pies cubiques en 1970 à 43 millions 890 mille en 1982),
de renouer avec les exportations de pétrole (en 1976, 34.5 millions de barils) et, enfin, d’élever le volume des réserves prouvées
(de 7,000 millions de barils en 1976 à 70,000 millions en 1982).
14
. PEMEX requérait un gros endettement pour se moderniser et être à la hauteur des nouveaux défis.
15
. Les statistiques de 1982 montrent la profondeur de la récession dans laquelle le pays était tombé: le PIB enregistrait un taux de
croissance négative de 0.2%, l’inflation avait atteint 100% tandis que le chômage avait vu doubler ses chiffres.
16
. En termes réels, l’investissement total dans l’industrie pétrolière s’est restreint ; en 1989, il ne représentait plus qu’un quart de ce
qu’il représentait en 1981 (la production primaire a été la plus affectée).
17
. On a révisé à la hausse les prix et on a réduit les subventions pour diminuer la demande interne et réduire la brèche eu égard aux
prix internationaux. On a aussi cherché à attaquer les goulots d’étranglements concernant l’infrastructure pour emmagasiner et
transporter les hydrocarbures. Et tenté de freiner la corruption galopante qui avait oxydé la paraétatique.
18
. On a réussi à diminuer les biens de production importés de 60% en 1982 à 15% en 1985.
19
. Son montant s’est réduit de 19.200 millions de dollars en 1982 à 15.700 en 1985.
6
marché pétrolier international : la compétition avec des entreprises étrangères ne rentrait
pas dans sa sphère de préoccupations. Pemex était restée une entreprise dédiée à
alimenter le marché interne et avait négligé presque complètement son rôle commercial,
qui fonctionnait sur des notions antiéconomiques concernant les prix et les coûts.
Monopole d’Etat, Pemex répondait au modèle classique d’organisation centralisée avec
une intégration verticale. Ce modèle avait été fonctionnel pour coordonner efficacement
les activités de l’entreprise et satisfaire les besoins internes (fournir du pétrole à bas prix
et fomenter le développement industriel du pays). Les objectifs poursuivis étaient
politiques plus qu’économiques et l’organisation centralisée représentait un moyen
efficace de contrôle. Cependant, cet ensemble institutionnel et organisationnel montrait
ses insuffisances. Quoique les revenus de la rente pétrolière aient aidé à différer les
changements, l’urgence de la crise économique et financière a obligé l’administration de
Miguel de la Madrid à s’attaquer au problème financier et à reléguer à un second terme
la réforme organisationnelle. Le tournant radical que le projet économique du pays
avait effectué et l’ouverture commerciale qui l’avait accompagné (entrée dans le GATT
puis signature de multiples accords –dont le principal reste l’ALENA-) devait répercuter
sur l’organisation d’une entreprise stratégique pour le pays. Dotés d’intentions plus ou
moins cachées et plus ou moins proches de privatisation et avec un sceau évident
d’internationalisation, les décideurs se sont efforcés de transformer Pemex en une
entreprise orientée vers la productivité, la rentabilité. De même que le reste des
entreprises pétrolières d’Etat dans le monde, la réorganisation administrative de Pemex
est devenue alors un des grands sujets de préoccupation.
Venezuela
L’histoire de l’industrie pétrolière au Venezuela montre le lent apprentissage de
l’Etat vénézuélien à exercer son rôle de propriétaire des ressources en terre ; c’est à dire
à comprendre l’importance de ces ressources pour le développement du pays (et aussi
pour le maintien de l’élite au pouvoir) et ensuite à apprendre à jouer son rôle d’agent
fiscal puis de régulateur et de planificateur avant de devenir producteur (avec la création
de sa propre compagnie pétrolière, en 1975, Petróleos de Venezuela, Sociedad Anónima
(PDVSA) .
De la découverte du pétrole à la création d’une société nationale pétrolière…
Il faut attendre 1878 pour que la prospection du sous-sol vénézuélien révèle les
premiers gisements d’hydrocarbures du pays, mais en réalité ce n’est qu’en 1914 -avec
la découverte par Royal Dutsch Shell du gisement Zumaque I dans le champ de Mene
Grande au large du lac de Maracaibo- que naît officiellement l’industrie des
hydrocarbures au Venezuela. Avec la mise en production en 1917 de ce gisement, les
activités liées aux ressources d’hydrocarbures entrent dans une phase résolument
industrielle. Les compagnies pétrolières internationales affluent massivement sur le
territoire national, déplacant par la même les
grands propriétaires fonciers
(latifundistas) qui avaient jusque-là exploré le sous-sol de leur propriété afin d’en
extraire les quantités de pétrole nécessaires au fonctionnement de leur exploitation
agricole.
7
Face à l’attrait exercé soudainement par le sous-sol, le gouvernement de Juan
Vicente Gómez (1908-1935) décide d’intervenir en légiférant pour que l’Etat contrôle
l’accès à la ressource en terre tout en s’appropriant une part relative des revenus
engendrés par l’industrie. En 1920 puis en 1922, le gouvernement émet des lois qui
affirment clairement la propriété de l’Etat sur les ressources en terre et permet de
construire un cadre contractuel au sein duquel sont définis les droits et obligations entre
le propriétaire institutionnel des réserves en terre (l’Etat vénézuélien) et l’exploitant
privé de la concession pétrolière octroyée (la compagnie étrangère) et qui établissent un
cadre fiscal propice aux investissements dans le pays. 20 Cela aura pour effet un
accroissement du volume des investissements pétroliers étrangers, beaucoup de
découvertes majeures et une augmentation des volumes de production (le Venezuela des
positionnera comme le 2eme producteur mondial après les Etats-Unis en 1928 et le 1er
exportateur mondial). Mais parallèlement, les finances publiques qui se
« pétroliseront ». A partir de 1935, apparaît une nouvelle génération de dirigeants
politiques qui décide de réviser le cadre fiscal pétrolier pour augmenter la part relative
de l’Etat dans le partage des revenus issus de l’exploitation des ressources présentes
dans son sous-sol. En 1935 puis en 1936 de nouvelles lois apparaissent : elles
reformulent le cadre fiscal mais aussi le cadre légal concernant le développement des
activités des concessionnaires (on les oblige à privilégier la main-d’oeuvre
vénézuélienne dans cette industrie et consacrer une partie de leurs revenus
d’exploitation à la formation des ressources humaines vénézuélienne. Ceci contribuera a
former une élite pétrolière vénézuélienne qui pourra plus tard servir les intérêts
nationaux). Parallèlement, cette nouvelle loi oblige les compagnies étrangères à se
conformer à l’arbitrage national.21
L’avènement de la seconde Guerre Mondiale a accru les capacités de production de
l’industrie pétrolière vénézuélienne. Malgré cela, le taux de croissance des revenus
pétroliers destinés à l’Etat reste bien en decà du taux de croissance de la production
tandis que parallèlement les dépenses à caractère économique et social continuent d’
augmenter. Le gouvernement en place promulgue de nouvelles lois –la loi de 1945 qui
instaurera le principe du fifty-fifty (50-50%) pour tous les contrats de concession.
Cependant l’application de ce principe sera variable puisque le gouvernement
vénézuélien ne dispose d’aucun mécanisme (institutions) pour contrôler la quantité de
pétrole produite, le coût de son extraction et son prix de vente. Cette asymétrie
d’informations permettra aux compagnies étrangères de fixer elles-mêmes le montant de
leurs taxes et impôts.
Adoptant une attitude plus processive, Rómulo Betancourt - élu à la Présidence de la
République vénézuélienne en décembre 1958- promulgue un décret qui redéfinit les
termes contractuels des concessions (éliminant leur reconduction tacite) et instaure un
nouveau système de partages des profits. Parallèlement, il se rapproche des autres
grands pays producteurs de pétrole dans le but de mutualiser les connaissances sur la
régulation pétrolière domestique. Dans le prolongement de la réunion du Caire (16 avril
1959), est créé à Bagdad en 1960 l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
(OPEP) dont le Venezuela est un des membres fondateurs. Les Etats membres de
l’OPEP décident d’établir des compagnies pétrolières nationales. Le gouvernement
Betancourt décide de créer en décembre 1960 l’entreprise publique, Corporación
20
. Mora-Contreras. « El derecho de propiedad de los hidrocarburos en Venezuela : origen y tradición legal ». Revista Venezolana
de Economía y Ciencias Sociales, vol. 8, n0. 2 (mayo-agosto). 2002. Pp. 219-235. concessionnaire dispose d’un droit de propriété
exclusif de 30 années sur la concession octroyée par le gouvernement et l’Etat propriétaire recoit en contrepartie financière une
redevance annuelle fixée par un taux de royaltie de 15% de la valeur marchande des quantités de pétrole vendues ainsi qu’un impôt
sur le revenu sur les activités des concessionnaires.
21
. Juan Carlos Boué. Venezuela : The Political Economy of Oil. Oxford University Press. OIES. UK. 1993. 233. p
8
Venezolana del Petróleo qui devient un observatoire qui permet de surveiller les
activités des compagnies internationales tout en bénéficiant de leur savoir faire et
expérience. En outre ce gouvernement introduira toute une série de mesures -tout au
long des années soixante- qui transforment peu à peu la structure des rapports de force
entre les concessionnaires et le propriétaire. L’influence de plus en plus grande de
l’OPEP et l’insertion de Corporación Venezolana del Petróleo dans les structures du
système pétrolier national ont entraîné une modification des contours institutionnels de
l’industrie pétrolière nationale. Entre 1970 et 1975, toute une série de mesures prises par
le gouvernement vénézuélien accroîtront les tensions entre le propriétaire et les
concessionnaires. En 1974, un comité présidentiel associant l’ensemble des partis
politiques et des composants de la société civile est chargé d’élaborer un projet de loi de
nationalisation. Celle-ci est proclamée le 29 août 1975.
De la nationalisation à l’ouverture de l’industrie pétrolière
La promulgation de la loi organique sur les hydrocarbures de 1975 constitue l’acte
fondateur de l’industrie pétrolière vénézuélienne. La nationalisation des actifs
immobiliers et mobiliers présents sur le territoire national, les droits de propriété, les
prérogatives, les rentes pétrolières sont intégralement transférés vers l’Etat vénézuélien
et sa société pétrolière nationale, Petróleos de Venezuela, S.A. Entre 1975 et 1979, on
va procéder à une homogénéisation et une rationalisation des structures des différents
opérateurs nationaux qui constituent la holding (qui finalement seront réduits à trois :
Corpoven, Maroven et Lagoven) et on va créer un centre de recherche et de
développement, Intenvep.
Cependant contrairement à ce qui se passe au Mexique, où Pemex est concu comme
un véritable appareil au service de l’administration et du gouvernement mexicain, au
Venezuela la nationalisation marquera le point de départ d’une relation conflictuelle
entre les différents dirigeants des opérateurs de PDVSA et l’Etat vénézuéliens. Cela
soulignera la contradiction latente entre la logique nationale et la logique commerciale
des sociétés pétrolières nationales. En période de boom pétrolier (de 1973 à 1981), les
affrontements ne sont pas visibles car les hauts prix permettent aux opérateurs et au
propriétaire d’atteindre leurs objectifs respectifs ; par contre, en période de bas prix, les
affrontements deviennent notoires. Ce fut le cas à partir de 1981-1982. Le
gouvernement d’Herrera Campins va intervenir de plus en plus dans les domaines de
compétence propres à la holding pétrolière (pour lesquels il ne dispose ni du savoir faire
ni des informations techniques) en lui ôtant son autonomie financière et en lui déléguant
–contre son gré- un rôle économique et social croissant (missions nationales),
nécessaires au développement économique et à la stabilité sociale. Les résultats sont
contrastés pour la holding : ils sont positifs en ce qui concerne le renouvellement des
réserves pétrolières et l’augmentation de la capacité de raffinage mais le sont nettement
moins en ce qui concerne le volume de production, d’exportation et l’évolution de la
structure des coûts opératoires. En outre, pour des raisons politiques (subvention des
produits pétroliers sur le marché interne), le prix de cession est bien inférieur au prix
international ce qui se traduit par de nettes pertes pour la holding à peine compensés par
les profits réalisés à l’exportation. Ainsi le revenu net de PDVSA en 1983 est inférieur à
celui de 1977. Face à cette situation de blocage, les dirigeants de PDVSA initient une
stratégie d’expansion – d’internationalisation - pour recouvrir l’autonomie financière et
opérationnelle de la société nationale : ils développent une partie de leurs activités aval
(raffinage) hors du territoire national. Cette stratégie se déroule en trois étapes au cours
9
desquelles PDVSA va créer une entité nouvelle qui regroupera l’ensemble des filiales
de la holding situées hors du pays.22 Le gouvernement ferme les yeux vu la nécessité de
stabiliser les revenus publics, affectés par les soubresauts des prix internationaux du
pétrole. Parallèlement, les dirigeants de PDVSA vont acquérir une autonomie
opérationnelle importante vis à vis de leur actionnaire unique mais, en même temps, une
dépendance accrue vis à vis de leurs partenaires dans les joint ventures et aussi des
consommateurs internationaux : il doivent honorer leurs engagements contractuels en
termes d’approvisionnement ce qui crée à l’intérieur même de PDVSA un rapport de
forces entre les filiales de l’amont et de l’aval.
En conclusion, que l’industrie pétrolière vénézuélienne soit sous le régime des
concessions ou de la propriété publique, les mécanismes de création et d’appropriation
des rentes pétrolières sont toujours à l’origine de tensions, de conflits et de rapports de
forces entre l’Etat propriétaire des réserves et le(s) locataire(s) de la terre sous laquelle
se trouvent les gisements d’hydrocarbures. Par ailleurs, l’exacerbation des tensions qu’a
engendré la baisse des prix du pétrole, achemine les dirigeants de la holding à chercher
à s’émanciper vis-à-vis de leur actionnaire unique (notamment par le biais d’une large
autonomie opérationnelle et financière).
Bilan et conclusion
Les sociétés nationales pétrolières mexicaines et vénézuéliennes se sont développées
dans des pays d’économie mixte où l’Etat assurait un rôle important. Dans les deux cas,
le processus de nationalisation de compagnies privées internationales et de création
d’une société nationale détenant un monopole sur l’ensemble des activités du secteur
n’a pas été uniquement lié à des logiques de contrôle de la manne pétrolière. Ce fut
aussi et surtout le résultat d’une politique plus générale d’affirmation de la souveraineté
nationale se concrétisant dans des options développementalistes, où l’État jouait un rôle
central dans l’économie, et plus particulièrement dans la grande industrie. Il a suivi
(précédé, dans le cas du Mexique) un phénomène généralisé à cette période dans
l’ensemble des pays exportateurs de pétrole – et en particulier, au sein de l’Organisation
des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP).
La création d’entreprises publiques, dotées généralement du monopole public,
répondait à une logique à la fois industrielle et politique. Vu la faiblesse historique du
secteur privé dans cette région, seul l’État disposait de la force économique pour assurer
les investissements nécessaires à la création et au maintien d’une industrie exigeante en
capital et dotée d’une importante complexité technologique. Pour les gouvernements de
ces deux pays, c’était également un moyen de promouvoir le développement de
l’industrie nationale, en concevant le contrôle des ressources énergétiques comme un
levier pour le reste de l’industrie nationale. Ils avaient aussi investi ces entreprises d’un
rôle à la fois fiscal et social : tout en contribuant de manière très significative aux
budgets publics, elles devaient assurer l’accès et la distribution d’une énergie à faible
coût. Enfin, ces sociétés nationales étaient dotées d’une fonction d’intégration de
l’espace national, par la construction d’infrastructures dans les régions de production, et
d’un réseau de distribution et de commercialisation des produits finis dans l’ensemble
22
. Dans un premier temps, PDVSA s’associe avec des petites compagnies européennes pour le raffinage (VEBA OEL puis la
RURH OEL ; ensuite il acquèrera en deux temps les parts de CITGO Petroleum Corporation aux Etats-Unis).
10
du territoire national. Mais comme le montre l’analyse des deux cas étudiés - Mexique
et Venezuela- l’histoire de la construction institutionnelle et de l’organisation du secteur
pétrolier a été différente. Bien que, dans les deux cas, les compagnies pétrolières
internationales découvrent et exploitent les gisements de pétrole dès la fin du XIX ème
siècle, elles auront un statut différent dans chaque cas et donc joueront un rôle distinct.
Au Venezuela, elles seront acceptées et intégrées pleinement sur le plan légal, et les
différends qui se produiront entre le propriétaire des ressources du sous-sol et les
opérateurs porteront essentiellement sur la question de la rente pétrolière. Au contraire,
au Mexique, avec la Révolution et le changement de Constitution (1917), les
compagnies internationales seront vues comme des parasites qui violent la Charte du
pays. Vu les conditions économiques et financières déplorables dans lesquelles s’est
trouvé le pays à la sortie du mouvement armé, les différents gouvernements mexicains
se verront dans l’obligation de fermer les yeux sur cette anomalie. Néanmoins, dès
qu’ils sera possible de consolider les institutions du pays, l’expropriation des
compagnies étrangères deviendra un must.
Cette différence essentielle engendrera des relations IOC’s/NOC’s et des
comportements complètement différents. En premier chef, le processus de
nationalisation prendra des formes distinctes. Dans le cas du Mexique, il surviendra très
tôt , bien avant la vague des nationalisations promue par l’OPEP (années 60) et il sera
vécu sur le mode de la rupture (traumatisme et vengeance du côté des compagnies
internationales) et défi pour les mexicains (auront-ils la capacité de monter tout seuls
une industrie pétrolière digne de ce nom ?). Au contraire, dans le cas du Venezuela, la
nationalisation deviendra une suite logique, quasiment naturelle, d’une évolution
graduelle (en douceur) de l’organisation du secteur pétrolier ; du coup, la logique de
fonctionnement des compagnies étrangères sera préservée au sein de PDVSA. La
nouvelle société nationale bénéficiera d’un savoir faire, d’informations et de
technologie de pointe. En deuxième lieu, et par conséquent, Pemex sera concue comme
un appendice du gouvernement fédéral qui contribue au maintien de la stabilité du pacte
priiste tandis que PDVSA fonctionnera des le départ comme une véritable compagnie
pétrolière, quoique par ailleurs, la rente pétrolière contribuera au maintien de la stabilité
économique, politique et sociale du pays.
Ces différences structurelles auront des conséquences sur les décisions et la manière
d’aborder et de répondre aux injonctions et aux transformations qui vont affecter
l’industrie pétrolière internationale.
La libéralisation de l’industrie pétrolière : Mexique et
Venezuela
Introduction
Dans les pays producteurs latino-américains, bien que les sociétés nationales
pétrolières aient généralement rempli avec succès les différents rôles, fiscal, social et
d’intégration qui leur avait été dévolu, la question pétrolière a pleinement participé de la
spirale de l’endettement. L’attrait d’énormes profits liés aux exportations pétrolières les
a conduit à financer par un endettement énorme la modernisation de leur infrastructure
11
(en exploration, production et industrie de transformation)23. L’insolvabilité financière
de la région a conduit la plupart des pays latino-américains à adopter des programmes
de « stabilisation » et d’ « ajustements structurels » qui ont réduit le rôle de l’État dans
l’activité économique (privatisations, libéralisations) et l’ont conduit à devenir bien
souvent un simple régulateur de secteurs ouverts à la concurrence, incitant à travers
différentes mesures le secteur privé -national et étranger- à devenir l’acteur principal.
Le secteur énergétique a été touché par ces politiques néo-libérales, d’autant
qu’il était considéré comme l’une des sources principales de l’endettement public. Selon
la perspective des réformateurs, déréguler ce secteur n’avait pas pour seul objectif de
garantir une meilleure exploitation de la ressource ; il s’agissait aussi de contribuer
grandement au désendettement des États. En outre, ce changement s’est déroulé dans un
contexte de profonde mutation du secteur pétrolier au niveau mondial : face aux
nouvelles formes de compétitivité et la multiplication des incertitudes et des risques
auxquelles se voient confrontées l’ensemble des compagnies pétrolières sur le plan
international,une des réponses des entreprises du secteur aux défis de ces
transformations a été la réalisation de très importantes fusions-acquisitions ou
rapprochements entre grandes compagnies, à la fin des années 1990.
Dans un tel contexte, les sociétés pétrolières latino-américaines se sont vues
contraintes d’adopter de nouvelles structures organisationnelles pour réagir rapidement
et de façon adéquate face à une situation fortement changeante afin d’apparaître comme
plus compétitives. Néanmoins, pour différentes raisons, dans l’industrie pétrolière, les
politiques d’ouverture et de privatisation ont différé selon les pays, contrairement à ce
qui se passait dans le reste des secteurs économiques. A cet égard, les exemples du
Mexique et du Venezuela sont deux cas d’école.
Mexique : La réorganisation administrative de Pemex
Introduction
Comme nous l’avons vu, l’histoire et la configuration du système politique et
économique mexicains ont assigné des traits particuliers aux stratégies et mesures
adoptées pour réorganiser l’entreprise et l’industrie pétrolière nationales. La
recomposition administrative de Pemex a dû prendre en compte des aspects qui
dépassent les considérations d’ordre « managérial » et/ou économique et financier pour
intégrer des éléments d’ordre politique et symbolique.
Dans ce cadre légal et politique, la question qui se pose a été la suivante :
Comment faire de Pemex une entreprise compétitive qui s’insère plus efficacement dans
le processus de modernisation et d’internationalisation de l’économie du pays sans
enfreindre les principes clés de la Constitution ni remettre en cause la conception –
encore vivace- de souveraineté nationale? Comment établir un équilibre viable entre ces
deux rationalités –la nationale et la logique d’entreprise- et mettre en oeuvre les
réformes nécessaires pour réaliser sans à coups le passage du statut d’établissement
public protégé à celui d’entreprise pétrolière capable d’engranger les meilleurs revenus
possibles et de résister aux règles de la compétition mondiale?
23
D’après l’Organisation latino-américaine de l’énergie (OLADE), l’endettement externe dû à l’énergie représentait 20 % du total
de la dette extérieure.
12
Vu les limites constitutionnelles, dès la fin des années quatre-vingt, les
différentes administrations de Pemex ont décidé que la réorganisation administrative de
l’entreprise pétrolière serait une manière adéquate de répondre avec succès à ces grands
défis. Dans ce cadre, la question devient alors la suivante: quelles sont les nouvelles
modalités organisationnelles qui permettent, à la fois, à Pemex de conserver son statut
d’entreprise d’Etat tout en fonctionnant d’après les modalités et les critères en vigueur
dans le secteur privé –critères qui, selon la théorie, du moins, garantissent la meilleure
gouvernance d’entreprise possible?
Pemex: entre le monopole et la logique de marché (1989-1992)
Au début des années 90, l’avenir de Pemex a été l’objet de nombreux débats
parmi les spécialistes du secteur de l’énergie; différentes visions sur la restructuration de
l’organisme -qui allaient du statu quo jusqu’à la privatisation- se sont alors confrontées.
L’option intermédiaire s’est finalement imposée.
La réorganisation s’est efforcée de concentrer Pemex sur ses activités de base
(l’exploration et la production d’hydrocarbures) au détriment d’activités telles que la
transformation industrielle ou de certains services des hydrocarbures. Ceci a induit la
compagnie à se défaire d’activités qui n’appartiennent pas proprement dit à l’industrie
pétrolière (telles que l’entreprise de construction, l’Institut d’Ingéniérie et d’autres
activités de services et de logistique) et les placer en sous-traitance à des compagnies
privées. S’il s’agit bien d’une privatisation partielle des activités périphériques, c’est
une mesure dotée néanmoins d’une valeur stratégique et politique très différente à celle
qui aurait consisté à vendre partiellement ou dans sa totalité les actifs principaux. La
réforme de 1992 a divisé Pemex en un corporatif et quatre filiales et a introduit une
gestion basée sur les lignes de négoces.24 Jusque-là, Pemex était organisée de facon
verticale et fonctionnait de manière globale. La division de la compagnie a cherché à
décentraliser le pouvoir, assignant à chaque filiale ses propres responsabilités (dans les
domaines financier, du patrimoine, légal, etc.)25. Il s’agissait aussi d’identifier et de
séparer les entités fonctionnelles de celles qui étaient déficitaires26. Cette restructuration
a été transcrite dans la Loi Organique de Pemex et des filiales de juillet 1992 ce qui
rendrait plus difficile tout retour en arrière.
La division en filiales a été pensée en fonction de la considération des “coûts de
transaction” qui prennent en compte les prix internationaux. Parallèlement, on a
construit un édifice de prix qui intègre les “coûts d’opportunité” pour simuler la
formation d’un marché au sein d’une entreprise qui conservait son statut de monopole
(en permettant d’éliminer toute subvention de la part de l’Etat). Cependant, ce système
de prix inter-organismes a privilégié la filiale Pemex Exploration et Production (PEP)
au détriment des aires de transformation (raffinage et pétrochimie) qui, du coup, ont
commencé à enregistrer des pertes dans leur bilan financier.
Parallèlement, on a instauré un système de réglementation et crée de nouvelles
institutions pour introduire la compétition. Deux types de règlements ont été mis en
oeuvre: les génériques qui s’appliquent de facon identique quelque soit le secteur et
24
. Il s’agit de Pemex Exploration et Production (PEP), Pemex Raffinage, Pemex Gaz et Petrochimie de Base (PGPB) et Pemex
Pétrochimie.
25
. Chacune possède son propre Conseil d’administration; un département corporatif stratégique assure la coordination; il doit
superviser les activités des filiales et possèdent son propre Conseil de Directeurs.
26
. La structure verticale de l’entreprise ne permettait pas d’effectuer un tel bilan.
13
cherchent à mettre sous tutelle le comportement administratif (dans le domaine des
travaux publics et des achats mais aussi pour surveiller le comportement des
fonctionnaires) et les règlements spécifiques, propres à l’industrie concernée, qui ont
pour mission d’encadrer le fonctionnement du marché. La Loi Fédérale de Compétition
Economique (LFCE) et la Commission Fédérale de Compétition (CFC) appartiennent
au premier type ; les diverses lois et règlements du gaz naturel et, surtout, la
Commission Régulatrice de l’Energie (CRE), qui doit établir des normes pour les quatre
segments qui tomberont sous la coupe du secteur privé dans l’industrie du gaz naturel
relèvent du deuxième type. Dans ce but, on a fixé les prix du gaz naturel en fonction des
conditions du marché du sud du Texas - le Houston Ship Channel). On cherchait aussi à
construire un environnement de certitude pour l’investissement privé.
La nouvelle administration de Pemex a également manifesté un vif intérêt pour
les questions relatives au marché pétrolier international et a créé une entreprise publique
dotée d’une personnalité juridique propre - Pemex Comercio Internacional, S.A. de
C.V. - pour commercialiser les produits pétroliers mexicains à l’extérieur et affronter les
défis dus à la volatilité du marché pétrolier international27. Il s’agissait aussi d’optimiser
les bénéfices dans les transactions commerciales à tous les niveaux – production,
raffinage et distribution. Par ailleurs, PMI a été concu comme un centre pilote
inaugurant un nouveau style de gestion en vue de fomenter une culture d’entreprise
différente (organisée sous la forme de Profit Centers extrêmement fluides et flexibles,
autour de relations horizontales entre les différentes catégories de personnel, sans jamais
abriter une organisation syndicale).
Cette réforme administrative a été imaginée et réalisée depuis une perspective et
des critères économiques (et par un groupe d’économistes). On a voulu, d’un côté,
mettre en ordre la comptabilité de l’entreprise sans cesser pour autant de préserver le
rôle fiscal et social de Pemex. La réorganisation en un holding (doté d’un corporatif et
de quatre filiales) cherchait à promouvoir la transparence des subsides: éviter de
protéger des entités inefficaces et les obliger à se responsabiliser de leurs biens et
actions. Dans le même sens, elle a été guidée par la notion de compétition: placer les
différents acteurs en situation de concurrence (tant les filiales que leur personnel) où
chaque ligne de négoce cherche à maximiser ses bénéfices. Par ailleurs, l’établissement
d’un environnement de marché (coût d’opportunité, prix y tarifs en accord avec le
marché international, etc.) a été un des grands défis relevés.
Bien que ce fût une réforme administrative de grande envergure (la transformation la
plus importante qui ait été réalisée), en réalité les piliers de la construction originelle
n’ont pas été affectés : le monopole restera intact (même si on ouvre aux
investissements étrangers (et, ce, très légèrement) certains segments de l’aval
(downstream) et le syndicat pétrolier, quoiqu’il ait été affecté, ne sera pas brisé dans sa
logique de fonctionnement. On ne touchera pas finalement à la culture bureaucratique et
corporatiste en vigueur dans l’industrie pétrolière.
Venezuela : La libéralisation de l’industrie des hydrocarbures ou
l’Apertura Petrolera (1989- 1998)
27
Constituée comme société anonyme de capital variable où Pemex participe avec 85% du capital social, la Banque du Commerce
Extérieur (BANCOMEXT) avec 7.5% et Nacional Financiera (NAFIN) avec 7.5%.
14
En réalité, plus que le désir d’émancipation manifesté par les dirigeants de la
holding, ce sont les conditions déplorables de l’économie vénézuélienne qui vont être à
l’origine de l’ouverture pétrolière.28
De facon à faire face aux dépenses courantes les plus pressantes pour éviter une
crise sociale plus profonde, le gouvernement se tourne vers le Fonds monétaire
international. Le FMI accepte de lui accorder des lignes de crédit si, en échange, le
gouvernement s’engage à rembourser la dette externe qu’il détient auprès des différents
créanciers mais aussi à entreprendre des réformes profondes de ses structures et de sa
politique économique. Le plan d’ajustement structurel que met en place le
gouvernement de Carlos Andrés Pérez s’inscrit dans la lignée des politiques préconisées
par le « Consensus de Washington » ; cette période sera connue comme celle du « Gran
Viraje » (Grand Virage). En ce qui concerne l’industrie pétrolière, la politique
d’ouverture vise à inverser la tendance déclinante des indicateurs pétroliers nationaux
en augmentant le volume de l’investissement pétrolier domestique et en n’excluant plus
la participation du capital pétrolier privé, national ou étranger. Elle se fera de facon
graduelle. On commencera par les activités du secteur aval, puis le secteur amont de
l’industrie. Le Plan d’expansion de Petróleos de Venezuela, S.A., extrêmement
ambitieux, incite les dirigeants pétroliers à vouloir s’associer avec des compagnies
étrangères pour explorer certains gisements d’hydrocarbures. Pour résoudre le problème
constitutionnel –la loi de nationalisation de 1975 (la loi organique sur les
hydrocarbures) et notamment l’article 5- PDVSA utilise plusieurs tactiques : soit
s’immiscer dans les failles de l’article 5, soit de passer outre le Congres et de soumettre
les contrats d’association à l’avis consultatif de la Cour suprême de justice de la
République en vue de démontrer que l’accord d’association ne viole pas la loi de
nationalisation29 ou bien encore de faire appel à différents experts et juristes nationaux
et internationaux pour qu’ils qualifient comme d’authentiques contrats de services des
contrats qui ne le sont pas vraiment (pour réouvrir et exploiter certains puits marginaux
(1991)).
Les compagnies internationales exigent que soient modifiés les conditions
fiscales et mais aussi le cadre légal en vigueur pour qu’elles acceptent d’investir
massivement dans l’amont vénézuélien -en particulier, dans la ceinture de l’Orénoque
(pétroles extra-lourds) et pour extraire le gaz. Sur le plan fiscal, elles font pression pour
être exonérées de la royaltie et de l’impôt sur les exportations d’hydrocarbures et
veulent être imposées selon le taux auquel sont soumises les entreprises non
productrices d’hydrocarbures (30% et non pas 67.7%) en ce qui concerne l’exploitation
de gisements peu rentables. Le nouveau cadre fiscal pour les associations est
comparable à celui qui prévalait lors de la première loi sur les hydrocarbures de 1920.
Sur le plan légal, elles exigent que le gouvernement vénézuélien accepte de conformer
ses modes d’intervention aux normes internationales, c'est-à-dire au nouveau droit
international des investissements. Les fondements de la loi organique des hydrocarbures
de 1975 sont directement remis en cause en ce qui concerne l’extraction et le
développement des pétroles non conventionnels au sein des associations stratégiques
avec les compagnies étrangères. Bien entendu, la loi de 1975 régit encore l’ensemble
des champs en exploration et à l’ensemble des gisements exploités sur le territoire
national. Dans un deuxième temps, les dirigeants de PDVSA mettent en place un
nouveau type de contrat –les contrats à risque- qui doivent permettre l’exploration et la
28
. En janvier 1989, au moment où Carlos Andrés Pérez est investi pour la seconde fois président de la République, les principaux
indicateurs économiques et financiers du pays sont au plus bas.
29
. Ce fut le cas de Lagoven en 1990 pour le contrat d’association avec Exxon, Shell et Mitsubishi.
15
production de nouveaux gisements pétroliers pas encore développés par la holding mais
qui possèdent potentiellement d’importantes réserves. Les aires de El Sombrero et de
Catacumbo sont les deux aires les plus importantes qui ont été octroyées. Enfin, on
ouvrira les zones anciennement productrices d’hydrocarbures dont l’activité a été
interrompue du fait de leur faible rentabilité ou du manque de moyens financiers
nécessaires à l’entretien des gisements. Dans la poursuite de cette logique d’ouverture,
les dirigeants de PDVSA décident d’ouvrir le marché interne des hydrocarbures
(rapprocher les prix intérieurs des prix d’exportation), puis privatiser partiellement
Pequiven -la filiale pétrochimique- et l’industrie du gaz naturel, à l’aide d’un nouveau
cadre de régulation.
Avec la politique d’ouverture, le niveau des réserves va augmenter notablement,
la production pétrolière domestique aussi (2Mbd à 3.5 entre 1989 et 1998). Les
investisseurs privés en association avec PDVSA occupent une position importante dans
la production (près de 25% de la production totale). Cependant les dépenses réelles ont
doublé passant de 3 à 6 milliards de dollars alors que la production n’augmentait que de
50%.
La mise en œuvre de la Política de Apertura Petrolera va renforcer le rôle et
l’influence politique des dirigeants de PDVSA. Par ailleurs, le Venezuela tourne le dos
manifestement aux politiques émises par l’OPEP (PDVSA cherche à maximiser les
volumes de production en négligeant les quotas de l’OPEP et ses objectifs de prix).
Bilan et conclusion
L’impact des politiques néo-libérales sur l’organisation du secteur pétrolier n’a
pas été le même, s’agissant du Mexique ou du Venezuela.
Au Mexique, l’ouverture a été –tout compte fait- extrêmement « bénigne ». Le
Core business a été totalement préservé ; seuls quelques segments de l’aval seront
ouverts aux capitaux privés (et encore, seul l’aval de l’industrie gazière (et non
pétrolière, sera touché) ainsi que l’industrie parapétrolière (contrats de service). Même
si la réorganisation de la société nationale –Pemex- a été un phénomène important, les
analyses qui seront faites ultérieurement sur ces transformations organisationnelles
montreront que leur impact sur la productivité et l’efficacité de l’entreprise sera bien
diminué vu que le monopole d’Etat n’a pas été affecté. En outre, comme le pouvoir du
syndicat n’a pas été touché dans son essence, les changements que les dirigeants de
l’entreprise pourraient formuler auront peu de chance d’être mis en œuvre. La mise en
place d’institutions de régulation (lois et Commission de Régulation de l’Energie (CRE)
ou les prix de transfert et les coûts d’opportunité montrent que l’on a cherché à instaurer
un cadre de régulation qui permette ensuite - peut-être - d’ouvrir ce secteur.
Au contraire, au Venezuela, l’ouverture a été plus radicale. Néanmoins, en ce
qui concerne l’amont pétrolier, elle n’a concerné que quelques segments : la Ceinture de
l’Orénoque et la production de bruts ultra lourds, les gisements de faible rentabilité ou
les nouveau gisements. Ce qui montre, une fois de plus, le pragmatisme du Venezuela
qui sait mettre à profit les compétences et ne pas s’embarrasser de diktats idéologiques.
Quant à l’aval pétrolier, l’ouverture a été un peu plus poussée qu’au Mexique puisqu’on
a privatisé partiellement l’industrie pétrochimique.
16
Les années 2000 : le nouveau nationalisme pétrolier
Introduction
A l’image du processus d’ouverture, ce que l’on a eu tendance à appeler le
« nouveau nationalisme pétrolier » différera entre ces deux pays.
Avant toute chose, il faut signaler que trop souvent, on confond “ nationalisme
pétrolier” avec “expropriation de TOUS les actifs des compagnies existantes”. En fait,
il s’agit bien plutôt du désir qu’éprouvent certains gouvernements de reprendre le
contrôle de leurs ressources naturelles; ce qui les conduit à restreindre ou conditionner
l’accès des compagnies étrangères aux ressources minières (l’amont pétrolier) et
parallèlement à augmenter la participation de leur propre société publique nationale
dans ce segment de l’industrie.
En quels termes peut-on parler de « nouveau » nationalisme pétrolier au
Mexique et au Venezuela ?
Mexique
Introduction
Contrairement à une grande partie des pays latino-américains, les années 2000
au Mexique n’ont pas accueilli des gouvernements issus de la gauche. La transition
démocratique au Mexique s’est traduite par l’arrivée au pouvoir de gouvernements
issus du Parti d’Acción Nacional (PAN), un parti libéral sur le plan économique et
s’identifiant à la Démocratie Chrétienne (donc plutôt favorable aux entrepreneurs, à
l’église catholique et aux américains). Pour autant, les réformes que ces gouvernements
ont entreprises dans le secteur pétrolier n’ont pas été influencées par la nouvelle vague
de ce qu’on a appelé « le nouveau nationalisme pétrolier ».
Par ailleurs, la transition démocratique s’est inscrite, à partir de 1997, sous
l’égide d’un Congrès (Chambre des députés et Sénat) dominé par trois forces politiques
d’importance égale. Ceci a eu une répercussion extrêmement importante sur le secteur
pétrolier. En effet, toute restructuration profonde de cette industrie –qui implique du
moins l’ouverture d’un de ses segments- oblige à modifier la Constitution (article 27) à
un moment où le processus de démocratisation a amené “un gouvernement divisé »,
c'est-à-dire un système où aucune force politique ne domine suffisamment le Congrès
pour imposer sa volonté. Ceci oblige à forger d’amples consensus parmi tous les partis
politiques (toute modification de la Constitution requiert l’approbation des deux tiers du
Congrès Fédéral outre la majorité simple des parlements locaux), situation
particulièrement compliquée, ce qui aura pour effet de retarder toute réforme dans ce
secteur.
Nous allons analyser rapidement les tentatives de remodelage que les dirigeants
actuels de PEMEX ont tenté de lui imprimer depuis la fin de l’année 2000.
17
La vision entrepreneuriale de la réorganisation de PEMEX :
2000-2006
A partir de décembre 2000, la nouvelle équipe sous les ordres de l’Ingénieur
Raúl Muñoz Leos a cherché à développer une conception totalement
« entrepreneuriale » opposée, à certains égards, à la conception (économique) qui avait
présidé à la restructuration de Pemex en 1992 et après. Le nouveau président - Vicente
Fox - a nommé un entrepreneur à la tête de Pemex et a cherché à intégrer, sans succès,
au sein du conseil d’administration de la paraétatique, quatre entrepreneurs parmi les
plus importants du secteur privé.30 De même, les hauts exécutifs du Corporatif et des
filiales - hommes de confiance de Raúl Muñoz Leos ou bien du Président Vicente Fox proviennent du secteur privé où ils ont développé une brillante carrière. Il s’agissait
d’appliquer l’orthodoxie « entrepreneuriale » à une entreprise d’Etat pour que Pemex
soit à la hauteur des plus grandes compagnies internationales, sans cesser d’être une
entreprise d’Etat.
Bien que l’équipe qui dirige la paraétatique depuis le 1er décembre 2000 n’a
cessé de reconnaître les mérites de bien des actions entreprises au début des années
quatre-vingt dix (les institutions et règles simulant un environnement de marché
(transparence dans les subsides, ordre dans les finances de l’entreprise, etc.)), par contre
la division de Pemex en filiales a été l’objet de fortes critiques.31 Depuis le début de sa
gestion, l’équipe de Raúl Muñoz Leos a cherché –sans succès- à réintégrer
administrativement les quatre filiales sous le chapeautage d’une forte direction
corporative qui définisse les objectif communs et favorise une meilleure coordination et
coopération. En même temps, la nouvelle équipe a manifesté la volonté de favoriser le
développement de l’industrie nationale à partir des ressources pétrolières. Parmi les
différentes mesures envisagées pour ce faire, la plus visible fut le projet Fenix
(construction de deux nouveaux complexes pétrochimiques de grande taille à
Coatzacoalcos (Veracruz) et l’autre à Altamira (Tamaulipas), au moyen d’un coinvestissement entre le secteur privé et Pemex). Malheureusement, El Fénix est mort-né.
Paral}element, elle a cherché à restaurer une meilleure interaction entre Pemex et les
compagnies privées nationales dans le secteur de la construction et des biens de
capitaux. Cet objectif n’a pas connu le succès espéré.32
Depuis le début, la nouvelle administration n’a eu de cesse d’impulser une
profonde réforme fiscale de l’entreprise, pour contrecarrer les restrictions financières
auxquelles la soumet le fisc, sans affecter substantiellement le fisc. Enfin, cette nouvelle
équipe a voulu aussi promouvoir l’autonomie de gestion de l’entreprise, c’est à dire
concéder une grande autonomie budgétaire à Pemex et formuler un cadre normatif
propre en accord avec les caractéristiques de l’industrie. Ces idées ont intégré très
tardivement l’agenda des commissions d’énergie du pouvoir législatif (en 2005), de
sorte que le sexennat s’est déroulé sans aucun changement notable, sauf une réforme
fiscale de dernière heure largement insuffisante.
30
. L’ingénieur Raúl Muñoz Leos est, de fait, l’ancien président de Dupont México.
. Selon cette équipe, la division a conduit à sous-estimer l’importance de la chaîne de valeur de l’industrie (qui va depuis
l’exploration jusqu’à la vente d’essence ou la fabrication de plastiques), à bénéficier le fournisseur -Pemex Exploration et
Production (PEP)- créant des rivalités inutiles entre les différentes filiales tandis que le corporatif -trop restreint dans ses fonctionsn’a pas la capacité de coordonner et d’harmoniser les objectifs de l’ensemble.
32
. Les Contrats de Services Multiples (CSM’s) ont été pensés en fonction des majors et non pas des petites compagnies.et, selon les
critiques émises }a leur encontre, ils ne favorisent pas la formation du personnel mexicain –à la différence des joint ventures.
31
18
En conclusion, les changements ont été minimes et n’ont pas été dans le sens
d’un regain nationaliste.
La réforme pétrolière : 2008
La situation difficile que vivent la société nationale et l’industrie pétrolière
mexicaine ont conduit les différents acteurs (stakeholders) à émettre des diagnostiques
et proposer différentes solutions pour remédier à ces difficultés. Le bilan de l’entreprise
en termes de réserves, exploration et production de pétrole et de produits pétroliers est
préoccupant. Les réserves ont diminué de facon accentuée (9.2 ans au rythme de
production actuelle) et leur renouvellement reste très bas ; par ailleurs le déclin du méga
gisement de Cantarell (qui les dernières années fournissait 60% de la production
nationale) a affecté sérieusement la production de pétrole. Enfin le Mexique est un
importateur net en termes de produits pétroliers (essences, fioul lourd,) et de gaz naturel
(même si dans ce dernier cas, la production est en hausse). Par ailleurs, Pemex a été
déclarée officiellement en faillite technique en 2006 : le montant de ses passifs était de
3% supérieure à la valeur de ses actifs. Enfin le régime fiscal confiscatoire de la société
nationale ne lui permet pas de pouvoir réinvestir dans la modernisation de l’industrie à
sa charge. Les diagnostiques des principales forces politiques (PRI, PAN et PRD) ont
été souvent guidés par des considérations de type électoral. Les thèmes centraux de
leurs divergences concernent le rôle de l’Etat et du gouvernement dans la gestion des
ressources des hydrocarbures et l’importance des investissements privés pour
redynamiser ce secteur. Selon le PRD et une fraction du PRI, le régime fiscal
confiscatoire et le « plan silencieux de privatisation » dont a pâti Pemex depuis les
vingt-cinq dernières années ont affaibli certains segments de l’industrie (la
transformation industrielle, l’ingéniérie et les sous-contratants mexicains). Selon le
PAN et l’autre fraction du PRI, il faut privilégier deux aspects : l’amélioration de la
« corporate governance » de Pemex (transparence de l’information, système d’audits et
une plus grande autonomie budgétaire et de gestion) et l’association avec des
compagnies privées dans les domaines où la société ne dispose ni du savoir faire ni du
capital pour mener à bien ces entreprises (exploration et production dans l’offshore
profond du Golfe de Mexico, le raffinage et le transport, la distribution et le stockage
des produits dérivés du pétrole).
Le 8 avril 2008, le président Felipe Calderón (2006-2012) a présenté cinq projets
de loi pour renforcer Pemex sans privatiser l’entreprise ni lui ôter le contrôle des
hydrocarbures ou la propriété des actifs. D’un côté, le gouvernement a cherché à
améliorer la gouvernance corporative de Pemex au moyen de différentes mesures : le
renforcement du Conseil d’administration avec quatre nouveaux membres, experts
reconnus de la question pétrolière, sept nouveaux comités chargés de conseiller les
membres du Conseil d’administration sur des thèmes spécifiques et une plus grande
autonomie budgétaire (et d’endettement) par rapport au ministère des finances. En
outre, une réforme à la loi des travaux publics autorise la possibilité de contrats
« incentivados » (des stimulants en espèce pour émuler les compagnies, notamment
dans les segments jugés difficiles). Enfin, une très légère réforme du régime fiscal de
Pemex complètera ce premier ensemble de propositions (un allègement des impôts pour
les gisements peu productifs ou jugés difficiles). Par ailleurs un ensemble de mesures
visent à renforcer le rôle du ministère de l’Energie. Notons en particulier la création
d’un bras consultatif - la Commission Nationale des Hydrocarbures - qui devra aider le
19
ministère de l’énergie en lui fournissant les informations dont il a besoin pour prendre
des décisions en ce qui concerne l’upstream. La CNH jouera le rôle de contrepoids à
Pemex (qui jusque-là disposait d’informations privilégiées dont le ministère ne disposait
pas). Ces projets de lois seront conservés –après corrections pour quelques-uns- dans la
réforme finale qui sera votée le 23 octobre au Sénat et le 28 octobre à la Chambre des
Députés. Par contre, deux des projets présentés le 8 avril seront rejetés par le PRI et le
PRD: l’opération du raffinage par des compagnies privées et le transport, la distribution
et le stockage du gaz, du fioul lourd et des dérivés de la pétrochimie.
Du 8 mai au 22 juillet, les différents projets seront examinés et amplement
critiqués au cours de 22 forums organisés par le Sénat et où participeront les principaux
experts au niveau national (170 au total), suite de quoi les deux principaux partis
d’opposition présenteront leurs propres projets. Outre les initiatives déjà mentionnées,
la réforme finale ajoutera deux lois concernant, l’une, la transition énergétique et,
l’autre, les énergies renouvelables.33
Cette réforme est le produit du consensus des différentes forces politiques du
pays. En ce sens, c’est un véritable succès vu les difficultés rencontrées depuis les
années 90 pour transformer les règles de fonctionnement de l’industrie des
hydrocarbures. Indubitablement, cette réforme ouvre de nouvelles portes : le nouveau
régime fiscal permettra d’intensifier les activités d’exploration dans certaines aires
complexes (Chicontepec et l’offshore profond) et on a réussi à éliminer le schéma
extrêmement onéreux des PIDIREGAS. Par ailleurs, l’adoption de nombreuses
recommandations au sujet des pratiques internationales aidera à une meilleure gestion
de Pemex. Finalement, on peut espérer aussi que les lois sur la transition énergétique,
les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique auront un impact favorable sur le
développement soutenable.
Néanmoins, les grands obstacles au bon fonctionnement de Pemex n’ont pas été
levés. En premier lieu, le monopole de Pemex reste intact et les problèmes qui émanent
de là subsisteront. Deuxièmement, l’un des principaux acteurs qui a entravé la formation
d’une culture entrepreuneuriale au sein de l’entreprise –le syndicat des travailleurs
pétroliers (STPRM)- a été épargné, pour d’évidentes raisons politiques. On a également
oublié de traiter un des thèmes majeurs quant à l’endettement pharamineux de Pemex :
celui de la retraite et des « pasivos laborales ». Par ailleurs, le refus d’ouvrir le
midstream (transport et distribution des produits dérivés du raffinage et de la
pétrochimie) présente certaines incohérences : d’un côté ce segment est ouvert au
secteur privé en ce qui concerne le gaz naturel et de l’autre c’est une décision
antiéconomique vu que le transport routier est beaucoup plus onéreux que le transport
par pipelines.34 Enfin on est en droit de se demander si certaines mesures telles que la
multiplication des comités ne risquera pas de bureaucratiser encore d’avantage la
gestion de la société nationale ou si les nouveaux contrats attireront les compagnies
pétrolières vu leurs limitations (ils ne permettent pas aux compagnies d’inscrire sur
leurs registres les réserves découvertes ni la production qui en émanera).
Au total, les réformes sont surtout restées au niveau des bonnes intentions : elles
n’ont pas été consolidées au niveau légal, en particulier, les lois secondaires, qui
permettraient de concrétiser les décrets. Restent à voir quelles formes vont adopter les
nouvelles institutions, comment on va gérer les opérations administratives, quelles
33
. Ces deux lois proviennent de la proposition de réforme du PRI.
. Les raisons sont politiques: quelques familles –de véritables mafias- détiennent le monopole du transport routier du gaz LP, en
particulier.
34
20
aspects privilégieront les nouveaux contrats qui vont émaner de cette réforme
législative.
Il est notoire que cette réforme n’ait pas touché –non plus- le cœur du
nationalisme pétrolier mexicain : le monopole d’Etat.
Venezuela : Le nouveau nationalisme bolivarien des hydrocarbures
En 1998, face aux excès du libéralisme de la politique d’Apertura Petrolera, les
nouveaux dirigeants politiques – sous l’égide d’Hugo Chávez – mettent en œuvre un
processus de re-étatisation qui consiste à redonner à l’Etat l’initiative du développement
de l’industrie des hydrocarbures.
Dans un premier temps, le gouvernement Chávez décide de renouer avec la
discipline de l’OPEP à un moment où la conjoncture des prix était particulièrement
défavorable aux économies des pays producteurs. Parallèlement, le nouveau
gouvernement va établir deux grandes lignes directrices en termes de politique
pétrolière : d’un côté, il va à chercher à favoriser au niveau national les activités à forte
valeur ajoutée (développement d’une industrie de transformation des hydrocarbures sur
le territoire national) et promouvoir l’exploration, la production et la commercialisation
du gaz naturel, peu développé malgré les très abondantes réserves que détient le
Venezuela.
En décembre 1999, l’Assemblée Constitutive (ex-Congrès vénézuélien) adopte
une nouvelle Constitution qualifiée de bolivarienne, entérinant l’ensevelissement du
pacte de Punto Fijo et annoncant l’avènement d’une Vème République. En matière
d’hydrocarbures, elle réaffirme les fondements de la nationalisation –le contrôle sur les
ressources pétrolières nationales et sur la direction des opérations de PDVSA- sans pour
autant remettre en question la politique d’ouverture pétrolière.
A travers toute une série d’articles, la nouvelle Constitution redonne les prérogatives à
l’Etat qu’il avait dans la loi de 1975. Les mesures les plus significatives concernent le
rétablissement de l’article 127 de la Constitution de 1936 qui stipule que les différents
ne seront plus résolus qu’au sein des tribunaux vénézueliens et l’annulation de l’article
123 de la Constitution nationale de 1961 qui rétablit le droit aux investisseurs pétroliers
nationaux d’investir dans le développement des hydrocarbures. Mais, parallèlement, elle
n’exclut pas une participation accrue et active des compagnies pétrolières privées. En
novembre 2001, le gouvernement Chávez promulgue un décret-loi qui instaure un
nouveau cadre légal et réglementaire : la loi organique sur les hydrocarbures de 2001.
Le gouvernement redéfinit le champ des activités proposées aux investisseurs privés et
les conditions d’accès aux rentes pétrolières. Il détermine l’existence de deux catégories
d’activités : celles qui sont réservées à l’Etat ou soumises à condition et celles qui sont
totalement libres et ouvertes à la concurrence. Ces dernières concernent les segments de
l’industrie où les marges bénéficiaires sont les plus basses et où le montant des
investissements est trop élevé par rapport à la rentabilité escomptée. L’Etat consent
même à réduire les impôts sur le revenu. Quant aux activités réservées à l’Etat, elles
sont accessibles aux opérateurs pétroliers à condition qu’ils obtiennent au préalable
l’accord du gouvernement et des membres de l’assemblée constitutive. Elles doivent
obligatoirement être développées avec PDVSA dans le cadre d’une association appelée
« entreprises mixtes » où la société nationale conservera au moins 51% du capital
social. Ces entreprises seront soumises aussi au respect des traités internationaux
21
souscrits par l’Etat vénézuélien. On rétablit ainsi la clause d’exigence minimale de
contrôle par l’Etat annulée en 1993 dans la loi sur les pétroles lourds et on annule la
clause relative aux traités internationaux. Par ailleurs, la nouvelle loi impose aux
compagnies publiques et privées de lui présenter annuellement l’ensemble de leurs
comptes de facon séparée selon les différentes phases des processus d’extraction et de
production. Parallèlement, la loi de 2001, concernant le gaz naturel, est très libérale sur
le plan fiscal et légal, en ce qui concerne l’exploitation des gisements pour lesquels
PDVSA ne dispose pas du savoir faire et des technologies nécessaires. Cette ouverture
concerne aussi tous les niveaux de la chaîne gazière. Cependant, pour éviter la création
de monopoles privés sur certains segments on crée une structure de régulation
spécifique pour le gaz : ENAGAS.
L’application de la loi de 2001 est immédiate pour PDVSA et ne sera effective pour les
compagnies privées qu’avec leur reconversion en entreprises mixtes.
La re-réglementation des hydrocarbures va provoquer l’accroissement des
tensions entre les dirigeants et hauts cadres de PDVSA et le gouvernement. En 2001, le
directeur général de PDVSA, Guaicaipuro Lamenda, critique ouvertement l’action du
gouvernement Chávez : il devient le porte parole des revendications des cadres de la
holding et acquiert un rôle politique dans la société vénézuélienne. En février 2002, le
président Chávez nomme un nouveau directeur général de PDVSA ; il limogera ensuite
les directeurs généraux de la holding pour les remplacer par des gens qui lui sont
totalement dévoués. La situation s’envenime et prend rapidement une dimension
politique nationale : de nombreuses manifestations de l’opposition contre le
gouvernement et un putsch qui renverse le président en place (pour deux jours) sont les
plus notables. Le 2 décembre 2002, une grève illimitée est déclarée par les travailleurs
pétroliers qui suspendent toutes les activités de production. La production s’effondre et
les activités économiques du pays en pâtissent. Le président envoie l’armée pour qu’elle
reprenne le contrôle de tous les sites de production et de raffinage. Des changements
majeurs sont apportés à l’organisation et au mode de fonctionnement de la holding qui
devient la « nueva PDVSA » ; une grande partie des cadres et hauts cadres sont
renvoyés et on cherche à diversifier les destinations pour l’exportation des ressources et
des produits vers le reste de l’Amérique latine, la Russie, la Chine et l’Inde.
Parallèlement à sa fonction pétrolière, la nouvelle PDVSA est en charge de missions
externes qui n’ont pas de rapport direct avec sa fonction pétrolière. Vu que le
financement des missions externes se fait sur la base de ses fonds propres, ceci a des
conséquences préjudiciables sur sa capacité à entretenir ses infrastructures pétrolières et
maintenir son volume de production.
Une des questions d’envergure aujourd’hui consiste à se demander jusqu’à quel
point la crise économique et financière mondiale –et son impact sur le prix du baril- va
affecter ce regain nationaliste.
Bilan et conclusions
Il est difficile de parler d’un changement de gouvernance pétrolière à partir des
années 2000, en ce qui concerne le Mexique. Le cœur du nationalisme pétrolier n’a été
ni renforcé ni diminué, puisque les piliers institutionnels n’ont pas été modifiés en
essence depuis 1938, ce qui fait du Mexique une véritable exception au niveau mondial.
22
Par ailleurs, le Venezuela qui est devenu pionnier au niveau mondial, en termes de
nationalisme pétrolier, sous l’égide d’Hugo Chávez a une industrie qui reste beaucoup
plus ouverte et libérale en matière pétrolière que le Mexique. La Loi de 2001 est
extrêmement libérale s’agissant du gaz naturel et le Venezuela continue à accepter les
associations avec des compagnies étrangères pour développer l’upstream (même si la
formulation qui préside aux nouvelles compagnies mixtes redonne à l’Etat vénézuélien
le contrôle des joint ventures).
En d’autres termes, l’histoire de la naissance et de la formation de l’industrie
pétrolière (hydrocarbures) dans les deux cas montre combien elle reste prégnante sur le
développement de ce secteur et sur la conception de la place de la nation dans
l’industrie.
23