liberation-zoufris-maracas - Concerts et Spectacles à PAU

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liberation-zoufris-maracas - Concerts et Spectacles à PAU
Zoufris Maracas, bel effet de
manche
PHILIPPE BROCHEN 3 MAI 2015 À 17:26
CRITIQUE
Rame . Repéré dans le métro, le duo zadiste et alter aux
hymnes festifs fait son Bataclan mardi avec «Chienne de
vie».
Un wagon de métro qui écoute attentivement un chanteur et un guitariste, les applaudit
quasi à l’unisson et garnit leur chapeau. Puis un autre. Et encore un… Cette scène surréaliste,
les voyageurs de la ligne 2 de la RATP -«seulement la 2, car elle est en partie aérienne et on
voulait voir le ciel en jouant» - l’ont vécue souvent à partir de 2007 à Paris. «Je n’ai jamais
vu ça,dit Rico, quadra qui travaille dans un label et doté d’un solide vécu musical.Les gens
en redemandaient. Il y en avait même qui renonçaient à descendre à leur station pour
pouvoir continuer de les écouter.»
Un soir, Thierry Melloul, qui organise le Festitival, rendez-vous annuel et parisien de chanson
française et à textes, pousse la porte d’un bistrot où jouent Zoufris Maracas, alias Vin’s et
Micho. L’ami d’enfance et collaborateur de feu Mano Solo perçoit leur potentiel et les
présente à Julio, de la bande de la Rue Kétanou. Qui les met à son tour en relation avec
François Causse, batteur chevronné qui a joué avec Lavilliers, Bashung… Aujourd’hui, Julio
est toujours leur manager, mais aussi «producteur, régisseur - car ils n’en veulent pas, alors
je m’y colle - et baby-sitter», vanne l’intéressé, blouson de cuir élimé, queue de cheval et
grosse boucle d’oreille.
«Colère». En 2012, Zoufris Maracas sort son premier album, Prison Dorée,puis un
second, Chienne de vie, le mois dernier. Soit une chanson française anarcho-libertaire tissée
sur une musique métissée, à la fois manouche, latino, rumba, créole et africaine.
Aujourd’hui, les deux Zoufris (de l’appellation des ouvriers algériens qui émigraient)
Maracas sillonnent la France et l’étranger avec quatre compères musiciens (guitare,
accordéon-trompette, basse, batterie) à raison de près de cent dates par an, figurent une
sorte de porte-voix générationnel antisystème politique et capitaliste à la manière de leurs
aînés les Béruriers noirs, dans les années 80. Le groupe a joué dans les ZAD de Notre-Damedes-Landes et de Sivens, il a aussi rempli le Trianon de Paris, fin mars, jouera au Bataclan
mardi et au festival Solidays le 26 juin.
Mi-avril, ils ont fait salle comble aux Cuizines, à Chelles (Seine-et-Marne) devant un public
fervent, chanteur et danseur. Dont Romain, animateur de 26 ans : «Ce que j’aime avec les
Zoufris, c’est leur sincérité. Ils sont festifs, drôles et aussi revendicatifs dans leurs textes. Ça
me parle.» Longues dread, son voisin, Arsène, aide médico-psychologique de 23 ans, opine
en roulant un joint : «Comme nous, ils sont en colère contre l’Etat, contre la montée des
individualismes, la toute-puissance du fric. Leurs paroles sont engagées, mais ils les écrivent
et les chantent avec beaucoup d’humour.» Ce qui plaît également à Arsène dans les Zoufris,
c’est leur mode de vie «un peu gitan, sur la route. Roots, quoi». Et de résumer : «Ce sont des
punks alter.»Pas faux.
Vincent Sanchez (Vin’s), 37 ans, et Vincent Allard (Micho) - «Quand on jouait dans le métro,
Vin’s m’appelait Michel pour déconner ; c’est resté» - 36 ans, se sont rencontrés à 15 ans à
Sète dans un bar autour d’un flipper :«On était les seuls avec des cheveux longs et des mobs
quand les autres avaient un scooter et étaient habillés en Quicksilver», se rappelle Micho,
qui n’a commencé la guitare qu’à 27 ans, «avec trois accords, maximum». Ils vont faire
connaissance dans un parc - «en fumant un bédo», se souvient Vin’s. Après le bac, Micho
s’inscrit en fac d’histoire à Jussieu, en anthropologie. Il y restera trois mois, avant de devenir
maçon en Haute-Provence, puis animateur et enfin projectionniste. Vin’s, lui, a une maîtrise
de géographie. Son mémoire porte sur le développement en milieux tropicaux. Tous deux
jouent du djembé et sont passionnés par la culture subsaharienne. C’est décidé : ils partent
en voiture - avec leurs économies de caissiers sur les Champs-Elysées et diverses
subventions - pour l’Afrique, avec un vidéo-projecteur et plusieurs films dans le coffre, avec
le projet de faire du cinéma itinérant.
Mali, Burkina Faso, Bénin, Niger… Leur périple durera un an et demi. «C’est un souvenir
plutôt optimiste, disent-ils. Ici, matériellement, c’est plus facile, mais c’est dur humainement.
Là-bas, c’est l’inverse !» Sur la place des villages reculés, ils projettent des longs métrages
de Charlie Chaplin, Jackie Chan, Bruce Willis… Ils filment les populations avec leur caméra
DV, une centaine d’heures d’images dont ils ont tiré un documentaire à leur retour. Micho,
lui, repart. Au Mexique, cette fois, avec sa compagne. Pendant ce temps, Vin’s est recruteur
dans la rue pour Greenpeace pendant dix-huit mois. «J’ai dû parler avec 10
000 personnes, calcule-t-il. Je voulais savoir ce que pensaient les gens de ce climat de merde,
les inviter à l’émeute, à la révolte. Je voulais aussi évacuer le problème par rapport à moi en
me disant que j’avais fait de la pédagogie populaire.»
«Poubelle». Son sacerdoce effectué, il achète une guitare, écrit et compose une dizaine de
morceaux. Micho rentre tout juste du Mexique. Ils se retrouvent et commencent à jouer les
morceaux de Vin’s aux terrasses de Montmartre, durant l’été. «Le premier jour, on a fait
50 centimes. Le lendemain, 70 euros, en deux heures. Après, on arrêtait quand on avait
100 euros pour aller boire des coups.» L’automne les chasse de la rue. Ils décident de jouer
dans le métro, de Belleville à Barbès. Cela durera trois ans. Le temps de prendre moult
amendes de la RATP. «Le tarif, à chaque fois, c’était 80 euros pour le ticket et 80 pour les
chansons.» Ils ne paient pas. Aujourd’hui, ils doivent quelque 4 000 euros à la régie. La dette
est échelonnée sur vingt ans.
En septembre 2009, ils entrent en studio. Leur premier album sortira trois ans plus tard.
Pour autant, ils continuent à «faire la manche» dans le métro, le temps d’obtenir le statut
d’intermittent. «On prenait des amendes alors qu’il y avait des affiches de notre album dans
les couloirs du métro et que l’on passait à la radio», se marre Vin’s, qui écrit les textes quand
tous deux signent les compositions. Ils donnent aussi leurs premiers concerts en salles,
et font «payer les gens le moins cher possible». Micho : «Au Cabaret sauvage, les places
étaient à 5 euros. Là, on réfléchit à faire des concerts gratos, avec une poubelle dans laquelle
les gens donneraient ce qu’ils veulent.» Vin’s : «En tournée, on dort dans des hôtels de merde
en zone industrielle. Mais ça n’a pas d’importance. On ne fait pas ça pour le spectacle, mais
pour la vie, assure le chanteur. Tout ce qu’on veut, c’est s’amuser. On ne vit pas ça comme
un métier.»
Leur projet ultime serait d’acheter un camion et un chapiteau pour aller à la rencontre des
gens et des lieux qui veulent les accueillir. Loin des circuits balisés et des salles officielles.
Philippe Brochen

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