Qu`est-ce qui fait courir le VIH

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Qu`est-ce qui fait courir le VIH
Qu’est-ce qui fait courir le VIH ?
Par Pierre-Yves Comtois,
coordonnateur diffusion de l’information et soutien éducatif
Ce texte a d’abord été publié dans le magazine Fugues
L’année qui s’achève a été riche en découvertes scientifiques au sujet du VIH/sida. Les
nouvelles sont excellentes. Une seule ombre au tableau, le virus court toujours dans notre
communauté. Alors que l’épidémie recule dans la population en général, les hommes gais et
bisexuels sont plus nombreux parmi les nouveaux diagnostics.
La XIXe Conférence internationale sur le sida, AIDS 2012, s’est déroulée à Washington en juillet
dernier. L'événement a été porté par une vague d’optimisme sans précédent. Au cours des
dernières années, la science a fait des pas de géants dans sa connaissance du virus de
l’immunodéficience humaine (VIH). Des équipes de chercheurs sont parvenues à percer certains
mystères qui entouraient la réplication du virus. Ils comprennent mieux les mécanismes qui lui
permettent de rester latent dans les réservoirs du corps. Les espoirs de trouver un vaccin
préventif deviennent plus tangibles. Des chercheurs se sont penchés sur les cas de Timothy
Brown, seul patient guéri du VIH dans le monde, et de certains séropositifs qui arrivent à
contrôler le virus en l’absence de traitement. Ces recherches ouvrent de nouvelles pistes qui
pourraient mener vers des traitements plus efficaces. Plusieurs chercheurs considèrent
désormais la guérison du VIH ou la rémission des patients comme un objectif réaliste. Mais le
travail qui reste à faire pour y arriver est colossal. La recherche scientifique exige du temps et
des fonds importants, ce qui demeure problématique dans le contexte économique actuel.
Le traitement : un outil de prévention
Le traitement comme outil de prévention (TasP) a été un des thèmes importants de la
conférence. L’arrivée de combinaisons d’antirétroviraux efficaces a eu un impact majeur sur la
transmission du VIH. En contrôlant la réplication du virus, les antirétroviraux réduisent les
risques de transmission. Leur efficacité a d’abord été démontrée chez les femmes enceintes
séropositives. Le traitement pendant la grossesse a pratiquement éliminé la transmission de la
mère à l’enfant, dans les pays développés. En 2008, le Dr Hirschel, un médecin suisse, a fait
grand bruit en affirmant qu’une personne séropositive en traitement ne transmettait pas le
virus, sous certaines conditions. L’essai clinique HPTN 052 a permis de constater que les
personnes séropositives hétérosexuelles qui commencent à prendre de manière précoce un
traitement antirétroviral avaient 96 % moins de risque de transmettre le virus à leurs
partenaires non infectés. Les résultats de cet essai ont été déclarés découverte scientifique de
l’année 2011 par le prestigieux magazine Science. Certaines études en sont arrivées aux mêmes
conclusions, alors que d’autres les ont nuancées : sans éliminer totalement les risques, un
traitement efficace réduit de manière drastique les risques de transmission.
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L’efficacité des antirétroviraux peut aussi être mise à profit pour les personnes séronégatives à
risque, afin de prévenir la transmission du VIH. Ce traitement est appelé « prophylaxie ». La
prophylaxie post-exposition (PPE) est utilisée dans les heures qui suivent une prise de risque
(par exemple, le bris du condom) pour prévenir la transmission. Plus récemment, des recherches
ont été faites sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP), un traitement qui pourrait être offert aux
personnes séronégatives à risque, en prévision d’une prise de risque éventuelle.
PPE et PrEP : Des antirétroviraux pour les séronégatifs
Administrée à une personne séronégative dans les 72 heures suivant l’exposition au virus, la
prophylaxie post-exposition (PPE) pourrait empêcher l’infection par le VIH. Ce traitement est
une combinaison d’antirétroviraux qui doivent généralement être pris pendant quatre
semaines. Au Québec, la PPE peut être prescrite dans les urgences des hôpitaux et les cliniques
spécialisées.
La prophylaxie pré-expositon (PrEP) consiste à administrer des antirétroviraux aux personnes
séronégatives à risque, sur une base régulière ou ponctuelle, afin de prévenir la transmission du
VIH en cas d’exposition. Quelques études ont démontré une efficacité avoisinant les 70 %
lorsque les participants prenaient fidèlement leur traitement. Dans toutes les études sur la PrEP,
les participants recevaient un counselling et étaient encouragés à utiliser le condom. Malgré les
résultats inégaux de certains essais cliniques et les coûts associés à la PrEP, la Food and Drugs
Administration (FDA) a autorisé aux États-Unis l’utilisation du Truvada comme traitement
prophylactique pré-exposition pour les personnes les plus à risque. Pour le moment, l’utilisation
du Truvada comme PrEP n’est pas approuvée au Canada. L’étude IPERGAY étudiera l’efficacité
de la PrEP chez les hommes gais et bisexuels en France et au Québec. L’étude a débuté à Paris et
à Lyon. Le volet montréalais de l’étude vient tout juste d’être lancé.
Vers la fin de l’épidémie ?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’avec les traitements actuels, il serait
possible de mettre fin à l’épidémie en quelques générations. Pour y arriver, il faudrait
généraliser l’accès au dépistage et proposer systématiquement un traitement aux personnes
diagnostiquées. Dépister et traiter les personnes séropositives permettraient de faire baisser la
quantité de virus en circulation. Et donc, de réduire les cas de transmission. À partir d’un certain
seuil, il serait possible de contrôler ainsi l’épidémie. Le défi est énorme puisque plus de 97 % des
personnes atteintes proviennent des pays en développement où l’accès au dépistage et aux
traitements est problématique. Même dans les pays développés, ce modèle reste difficile à
appliquer. Seule une fraction des personnes porteuses du VIH connaissent leur statut. Parmi
celles qui sont diagnostiquées, toutes n’entreprennent pas un traitement. Pour le moment, le
pourcentage de personnes traitées dont la quantité de virus dans le sang est contrôlée est
insuffisant pour mettre un terme à l’épidémie.
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Des diagrammes appelés « cascades » montrent les zones de vulnérabilité en matière de prise
en charge médicale des personnes séropositives.
Centers for Diseases Control and Prevention, juillet 2012
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Chez les hommes gais et bisexuels
Malgré l’impact positif des antirétroviraux, l’épidémie ne semble pas reculer chez les hommes
gais et bisexuels. Au Québec, comme dans la plupart des pays développés, les hommes gais et
bisexuels constituent le groupe le plus touché par le VIH. En 2002, alors que le gouvernement
québécois mettait en place un réseau de surveillance de l’épidémie, les hommes gais et
bisexuels représentaient 40 % des nouveaux diagnostics. Depuis, cette proportion est en hausse
constante. Elle atteignait 57,5 % en juin 2010. La progression des autres infections
transmissibles sexuellement chez les hommes gais, comme la syphilis et la gonorrhée, laisse
présager que le virus se transmet toujours.
Cette résurgence des cas de VIH chez les hommes gais et bisexuels a été constatée un peu
partout dans le monde. Des facteurs biologiques peuvent expliquer pourquoi les hommes gais
sont plus susceptibles de contracter le VIH. Les muqueuses rectales sont plus fragiles que les
muqueuses vaginales, puisqu’elles sont plus minces et ne produisent pas de sécrétions
lubrifiantes pour réduire la friction lors de la pénétration. Le virus a donc plus de chances de les
traverser.2 Des facteurs liés au mode de vie de certains hommes gais augmentent les risques de
transmission : partenaires multiples, usage de drogues récréatives. Les autres infections
transmissibles sexuellement augmentent les risques de transmission du VIH. Au fil des années,
la perception du risque a également changé chez les hommes gais et bisexuels. Le VIH affecte
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http://www.cdc.gov/nchhstp/newsroom/docs/2012/Stages-of-CareFactSheet-508.pdf
http://www.catie.ca/fr/pdm/automne-2011/lexposition-linfection-biologie-transmission-vih
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désormais des hommes plus jeunes qui n’ont pas connu la dévastation de la première vague de
l’épidémie.
Augmentation des comportements à risques ?
Depuis 1984, la Cohorte d’Amsterdam3 a recueilli des données sur des centaines d’hommes gais
et bisexuels aux Pays-Bas. En analysant ces données à l’aide d’un modèle mathématique et en
les comparant aux données d’autres cohortes, les chercheurs ont estimé que les
comportements à risques avaient diminué de moitié entre 1980 et 1990. Après une période de
stabilité, les comportements à risque ont progressivement augmenté à partir de 19974. C’est à
partir de cette époque que des antirétroviraux efficaces ont été disponibles. Cette
augmentation des comportements à risque a contrebalancé les bénéfices obtenus grâce aux
efforts de dépistage et aux traitements. Ces résultats ont été corroborés par d’autres études
semblables menées à France, en Suisse et aux États-Unis. Dans leur article publié dans l’édition
de septembre de la revue AIDS, les chercheurs concluent que trois facteurs seront essentiels
pour ralentir l’épidémie chez les hommes gais : augmenter le dépistage, réduire le délai entre le
diagnostic et le début du traitement et promouvoir de façon plus importante le sexe sécuritaire.
Indétectable ?
Le mot circule de plus en plus dans la communauté. Mais que signifie-t-il vraiment ? Lorsqu’une
personne séropositive entreprend un traitement et que celui-ci est efficace, la quantité de virus
en circulation dans son corps diminue. Elle devient si faible que les tests de laboratoires actuels
ne peuvent la quantifier précisément. On dit alors que la charge virale est indétectable. C’est le
signe que le traitement fonctionne. La personne est toujours séropositive et porteuse du VIH,
mais celui-ci se réplique moins rapidement. En contrôlant le virus, le traitement permet au
système immunitaire de se reconstruire.
Une charge virale indétectable réduit les risques de transmission. Cette notion d’indétectabilité
a été un très grand soulagement pour les séropositifs qui vivaient avec la crainte constante de
transmettre le virus. À ce jour, la plupart des études sur l’impact de la charge virale indétectable
sur la transmission ont été faites chez des couples hétérosexuels. Des études similaires sont en
cours chez les couples gais.
Toutefois, la charge virale indétectable n’est pas aussi fiable que l’utilisation du condom. La
charge virale peut fluctuer dans les premiers mois du traitement. Elle peut augmenter
momentanément en présence d’une autre infection transmissible sexuellement. La quantité de
virus dans le sang peut aussi être instable si la personne séropositive ne prend pas fidèlement
son traitement.
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http://www.amsterdamcohortstudies.org/menu/reports/ACSSummary20012009.pdf
http://journals.lww.com/aidsonline/Abstract/2012/09100/Increasing_sexual_risk_behaviour_among_Dutch_men.17.aspx
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Plusieurs chercheurs estiment que nous nous trouvons à un moment décisif de l’épidémie. De
nouveaux outils biomédicaux sont à notre disposition pour réduire la transmission du VIH. Mais
le « tendon d’Achille » de la communauté gaie se trouve peut-être du côté des connaissances et
des comportements. Les nouvelles technologies de prévention (TasP, PPE, PrEP) auront-elles un
impact positif sur l’épidémie si elles ne sont pas combinées à des campagnes d’information et
de promotion du sexe sécuritaire ?
Paradoxalement, si la maladie a été banalisée, la stigmatisation demeure. Elle empêche certains
hommes de se faire dépister. Et elle en pousse d’autres à agir comme si le VIH n’existait pas.
Pour lutter contre la stigmatisation, les acteurs de la prévention devront prendre position contre
toutes formes de discrimination. Ils devront promouvoir les stratégies de réduction de risque en
les débarrassant de tout jugement moral. Le travail d’information des organismes
communautaires devient primordial à l’heure où les gouvernements se désengagent. Le manque
d’information est criant. L’éducation à la sexualité est pratiquement absente du système
d’éducation québécois. Un sondage de la firme EKOS publié récemment dans La Presse révélait
que 27 % des Canadiens croient que l’on peut guérir le VIH. Et que seulement 63 % en
connaissent les modes de transmission. Un Canadien sur cinq serait mal à l'aise de côtoyer un
collègue porteur du VIH/sida au bureau. Les projets qui ramènent la question du dépistage au
cœur de la communauté, comme l’Actuel sur rue ou le projet SPOT, sont essentiels. Ils
redonnent une visibilité à l’épidémie et sont une porte d’entrée vers les services offerts aux
hommes gais et bisexuels. Le VIH/sida est en train de redevenir un problème particulièrement
aigu dans notre communauté. Pour mettre un terme à l’épidémie, peut-être faudra-t-il que la
communauté gaie se réengage.

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