Podemos et les électeurs catalans - Institut Français de Géopolitique
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Podemos et les électeurs catalans - Institut Français de Géopolitique
Albert BORRAS Institut Français de Géopolitique [email protected] Podemos et les électeurs catalans Les élections régionales de la Catalogne le 27 Septembre dernier ont été décevantes pour le nouveau parti espagnol Podemos (8,94 %, soit 367.613 voix, et 11 élus régionaux). Ses résultats ont effet singulièrement contrasté avec ceux des élections régionales andalouses de Mars 2015 (14,84 % des suffrages, soit 590.011 voix, et 15 élus régionaux), et celles des régionales de mai 2015 (13,48 % des suffrages, soit 1.796.930 voix, et 119 élus régionaux). Afin d’affronter les prochaines législatives dans la meilleure posture possible, Podemos doit donc séduire l’électorat catalan. Mais cette tache risque de se révéler ardue. La thématique nationaliste catalane a en effet limité les possibilités de Podemos en Catalogne. En juillet dernier, les intentions de vote dans cette région pour les législatives1 plaçaient le parti au premier rang. Pourtant, force est de constater qu’en octobre 2015, cette position s’est affaiblie Podemos en Catalogne : un vote essentiellement urbain et populaire Lors de la campagne pour l’élection du Parlement autonome Catalan, Podemos a adopté une stratégie de confluence avec des groupes politiques d’extrême-gauche et écologistes au sein d’une coalition appelée Catalunya Sí Que es Pot (« Catalogne, oui c’est possible »), CSQP. Comme Podemos au niveau national, la liste CSQP proposait « un véritable processus constituant » pour changer le modèle économique et social et les relations des régions avec l’Etat. Elle s’engageait à organiser un référendum 1 El mapa político catalán salta por los aires y Podemos se afianza como la gran revelación, http://www.elconfidencial.com/espana/cataluna/2015-07-05/el-mapa-politico-catalan-salta-por-los-airesy-podemos-se-afianza-como-la-gran-revelacion_915022/, Octobre 2015. d’autodétermination tout en annonçant qu’elle voterait alors « non » à la séparation de la Catalogne. L’analyse géographique des résultats de CSQP à l’élection du Parlement autonome en septembre 2015, montre que ce sont les territoires urbains qui ont le plus voté CSQP. Comme on le voit sur la carte, les « comarques » (41 subdivisions administratives) offrant le plus grand nombre de suffrages à CSQP se trouvent pour la plupart autour de Barcelone2. 2 À l’exception du Maresme (avec 7,34 %) dont le Baix Llobregat (12,95 %), le Vallès Occidental (11,67 %), le Barcelonès (10,62 %) et le Vallès Oriental (9,54 % Ces résultats pouvaient d’ailleurs se prévoir car ces comarques concentrent la plupart des Cercles de militants de Podemos (environ 553). Au contraire, le vote en faveur de l’extrême gauche indépendantiste catalane, la CUP (« Candidature d’Unité Populaire ») qui a obtenu 8,21 % des suffrages soit 337.794 voix, et 10 députés régionaux), a connu un repli sur des communes rurales4. La comparaison des résultats de la CUP en 2012 avec ceux de 2015 fait en effet apparaître une évolution de la répartition des voix d’espaces urbains en 2012 vers des espaces ruraux en 2015. CSQP a vraisemblablement concurrencé la CUP en milieu urbain. A Barcelone, CSQP a obtenu des voix dans les quartiers les plus populaires, les mêmes que ceux qui ont donné le pouvoir à Ada Colau, aujourd’hui maire de Barcelone. La géographie des soutiens de la liste CSQP découle aussi de la présence dans la coalition des communistes-verts (ICV). Ce parti de gauche écologiste a récolté, en 2012 dans les mêmes territoires 358.857 voix (13 élus), et en 2015, la liste CSQP (Podemos ICV-EUiA et Equo, autre parti écologiste) n’a obtenu que 9.000 voix de plus que ICV en 2012. Pourtant, malgré cet apparent enracinement local, les résultats de CSQP aux régionales ont été décevants. Dans les quartiers de la moitié nord ainsi que du nord-est et du sud de Barcelone - forte proportion de chômage (plus de 10 %) et de personnes nées en Espagne hors Catalogne (plus de 20 %) - l’ascension du parti Ciudadanos hostile au séparatisme a été très forte et concurrence CQSP. Grâce à ce succès à la fois dans des quartiers populaire et bourgeois, Ciudadanos, un parti de centre-droit créé en Catalogne en 2006 pour combattre le nationalisme catalan, s’est donc imposé aux régionales de septembre 2015, freinant ainsi l’élan qu’aurait dû donner à CSQP l’élection en mai 2015 d’Ada Colau. Ce scénario pourrait également se répéter lors des législatives de décembre 2015. 3 Nous n’avons pas les données exactes du nombre de Cercles sur ce territoire car ils sont en train d’être validés par la Commission de Garanties Démocratiques de Podemos. Pour l’instant 55 Cercles sont validés sur le territoire catalan. 4 Pallars Sobirà (16,85 %), Alta Ribagorça (12,81 %) et Priorat (13,13 %). En Comú Podem : un radeau électoral pour Podemos A l’échelle de l’Espagne, selon les sondages du Centre d’Investigations Sociologiques (CIS), les intentions de vote pour Podemos ont beaucoup chuté (de 23, 9 % des intentions de vote en octobre 2014, à 10,8 % en octobre 2015) et la géographie de ses résultats permettent de penser la question catalane est une des causes de ce recul dans les intentions de vote. C’est pourquoi, le parti a tout intérêt à dévier la campagne catalane vers les questions sociales, sur le thème d’un « plan de sauvetage citoyen » afin de sortir du piège du débat territorial.5 Sur ce plan, CSQP rejoint la position de la liste victorieuse aux élections municipales, Barcelona en Comú. L’actuelle mairesse de la ville, Ada Colau, et son groupe 5 Catalunya Sí que es Pot demana un pla de rescat ciutadà i un referèndum, http://www.naciodigital.cat/noticia/97140/catalunya/si/es/pot/demana/pla/rescat/ciutada/referendum, 28 Octobre 2015. parlementaire, Barcelona en Comú (constitué de Guanyem Barcelona, Podemos Bcn, ICV-EUiA, Equo et Procés Constituent), se montrent prudents sur la question nationale catalane. Ada Colau a participé en présence d’Artur Mas, le président indépendantiste du gouvernement autonome, aux cérémonies de commémoration de l’exécution par les franquistes du président du gouvernement catalan Lluís Companys, en 1940 ; elle a aussi exprimé sa solidarité avec Artur Mas face aux menaces de procès pour son implication dans le processus indépendantiste. Mais, a contrario, avant les élections catalanes du 27 septembre 2015, le conseil municipal n’a pas approuvé l’intégration de Barcelone dans l’Association de Communes pour l’Indépendance (AMI) à laquelle 777 communes et 48 conseils de comarques, conseils provinciaux et autres entités locales ont adhéré6. Suite à ses mauvais résultats aux élections autonomiques, CSQP a choisi de se rapprocher de la coalition de la mairie de Barcelone qui présente pour les législatives une liste appelée En Comú Podem. Celle-ci intègrera donc les candidats de Podemos, mais aussi d’ICV et de EQUO, dans l’idée de bénéficier de l’élan de mobilisation citoyenne qui a fait la victoire aux municipales. La liste En Comú Podem, est dirigée par un proche de Pablo Iglesias et d’Ada Colau, Xavier Domènech, actuellement en responsabilité dans l’équipe municipale de Barcelone. Un sondage de novembre 2015 révèle que ce calcul pourrait être le bon car on note une remontée significative des intentions de vote pour Podemos dans toute l’Espagne avec 15,7 % (il reste encore en novembre 41, 6 % d’indécis)7; les débats sur le terrorisme depuis les attentats de Paris et sur les frappes en Syrie sont aussi une aubaine pour Pablo Iglesias et Podemos, parce qu’ils permettent ainsi de sortir du débat nationaliste. Mais c’est sans doute un bref répit car la question se posera encore de la capacité de ce parti à faire valoir sa troisième voie face aux rivalités identitaires qui commencent à fracturer l’Espagne. 6 Le groupe Barcelona en Comú (avec 11 élus), et celui d’Union (1 élu) se sont abstenus afin d’empêcher une association avec l’AMI. Cette proposition d’adhésion a été votée avec 17 voix pour (CIU, ERC et CUP) et 12 voix contre (Ciudadanos, PSC et PP). 7 Encuesta del CIS para el 20-D, http://elpais.com/elpais/2015/12/03/media/1449142505_535753.html, 3 décembre 2015. Source : El País Le front indépendantiste divisé : une chance pour Podemos ? Les indépendantistes d’extrême gauche, la CUP, qui ont obtenu 10 députés au Parlement autonome en 2015 se réuniront le 27 décembre 2015, après les législatives, afin de décider si leurs députés votent l’investiture du président sortant Artur Mas à la présidence du gouvernement autonome (Generalitat). Ses militants ont effet très majoritairement rejeté cette investiture le 30 novembre dernier. Pour les prochaines législatives, ces électeurs indépendantistes de gauche qui ne veulent pas être gouvernés par le président sortant pourraient ne pas donner leur voix à la coalition séparatiste Junt pel Si qui défend Artur Mas, mais plutôt à la liste En Comú Podem très à gauche, contre Artur Mas, favorable à un référendum d’autodétermination. Les négociations pour l’investiture du président catalan commencent donc à fissurer le mouvement indépendantiste catalan. L’institut de sondage catalan a publié le 30 novembre dernier une estimation situant la plateforme En Comú Podem en quatrième position pour les législatives en Catalogne (avec 15 %).8 Le lendemain, un autre sondage, émanant cette fois du Cabinet d’Etudes Sociales et d’Opinion Publique (GESOP), plaçait la plateforme en première position des intentions de vote (avec 19,4 % des voix). Des résultats confirmés par l’enquête du CIS pour la Catalogne où En Comú Podem atteindrait la première position. Il reste à savoir si la CUP et Junt pel Si sont susceptibles de s’entendre sur un pré-accord à la veille des élections législatives. Auquel cas En Comú Podem se verrait probablement amputé de nombreuses voix. Le rôle des maires « du changement » va être primordial afin que Podemos puisse atteindre des parts importantes de pouvoir ; la forte personnalité d’Ada Colau, qui joue un rôle de catalyseur, se révèle absolument nécessaire pour satisfaire les ambitions de Podemos. La stratégie actuelle du parti est celle d’une remobilisation des mouvements citoyens à partir des mairies dont ils ont pris le contrôle, comme à Barcelone, des mouvements sociaux contre l’austérité, et par la participation à quelques quelques grandes manifestations (contre la violence sexiste le 7 novembre, en réaction contre l’attentat de Paris, ou un grand meeting le 13 décembre qui a réuni plus de 10.000 personnes à Madrid). Ces actions ont pour but avoué de réveiller l’esprit de changement des citoyens exprimé ces dernières années avec le cycle de mobilisations du « mouvement des Indignés » et d’apparaître encore comme le parti des masses. 17 décembre 2015 8 Catalunya dibuja un cuádruple empate en las elecciones del 20-D, http://www.lavanguardia.com/politica/elecciones/20151129/30476172602/cuadruple-empate-eleccionesgenerales-20d-sondeo-feedback-la-vanguardia.html, 29 Novembre 2015.