Exercice : L`incipit

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Exercice : L`incipit
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Français — automne 2016
Mathieu RODUIT
Exercice : L’incipit
Définition
Le terme « incipit » vient du verbe latin incipere, « commencer » et désigne
en littérature le début d’un texte narratif.
Fonctions
L’incipit remplit plusieurs fonctions dans un roman :
• l’incipit établit un pacte de lecture avec le lecteur. Il indique au lecteur le
code qu’il doit utiliser et les attentes qu’il peut nourrir dans le cadre de
sa lecture à travers un contrat de genre. En effet, l’incipit laisse apercevoir le genre (roman, nouvelle, conte, etc.) et le sous-genre du texte narratif (roman policier, nouvelle fantastique, conte philosophique, etc.),
les choix de narration (point de vue, fonctions du narrateur, vocabulaire, registre de langue, etc.), ainsi que le style de l’auteur ;
• l’incipit doit amener le lecteur à quitter le monde dans lequel le lecteur
vit pour pénétrer dans l’univers de la fiction narrative. Pour ce faire, il
crée un monde fictif en donnant des informations sur le contexte, c’est-àdire le lieu et le temps, ainsi que sur les personnages et l’intrigue. Des
descriptions intégrées à la narration permettent de répondre aux différentes questions : « Qui ? », « Quoi ? », « Où ? », « Quand ? », « Comment ? » « Combien ? » et « Pourquoi ? ;
• l’incipit doit accrocher et séduire le lecteur. L’attention et la curiosité du
lecteur doivent être stimulées par l’imprévisibilité du récit, l’originalité
du style, l’adresse directe au lecteur, la confrontation de celui-ci à une
énigme ou l’entrée d’emblée dans l’intrigue ;
Typologie
On distingue quatre formes d’incipit :
• l’incipit statique décrit avec une très grande précision le décor de
l’histoire, les personnages, mais aussi le contexte historique, social, politique et économique de l’action. La multitude de détails suspend
l’action et met le lecteur en état d’attente. Il est très fréquent dans les
romans réalistes du XIXe siècle ;
• l’incipit progressif prodigue, au fur et à mesure du développement de
l’action, les informations attendues par le lecteur. Ses attentes sont
comblées progressivement ;
• L’incipit suspensif donne peu ou pas d’informations, tout en repoussant
également le début de l’action. Son objectif est principalement de dérouter le lecteur.
• l’incipit dynamique ou in médias res jette le lecteur dans une histoire qui
a déjà commencé, sans explication préalable sur la situation, les personnages, le lieu et le moment de l’action. Héritée du genre épique,
cette technique est surtout utilisée dans les romans du XXe siècle.
Synthèse de la typologie
Saturation informative
Raréfaction informative
Dramatisation retardée
Incipit statique
Incipit suspensif
Dramatisation immédiate
Incipit progressif
Incipit dynamique
1. Quelle est la forme des incipits suivants ? justifiez votre réponse en analysant les extraits.
A. Honoré de Balzac, Illusions perdues, 1874.
À l’époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l’encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries de province. Malgré la spécialité qui la met en rapport avec la typographie parisienne, Angoulême se servait toujours des presses en bois, auxquelles
la langue est redevable du mot faire gémir la presse, maintenant sans application. L’impri-merie arriérée y employait encore les balles en cuir frottées
d’encre, avec lesquelles l’un des pressiers tamponnait les caractères. Le plateau
mobile où se place la forme pleine de lettres sur laquelle s’applique la feuille de
papier était encore en pierre et justifiait son nom de marbre. Les dévorantes
presses mécaniques ont aujourd’hui si bien fait oublier ce mécanisme, auquel
nous devons, malgré ses imperfections, les beaux livres des Elzevier, des Plantin, des Alde et des Didot, qu’il est nécessaire de mentionner les vieux outils
auxquels Jérôme-Nicolas Séchard portait une superstitieuse affection ; car ils
jouent leur rôle dans cette grande petite histoire.
Ce Séchard était un ancien compagnon pressier, que dans leur argot typographique les ouvriers chargés d’assembler les lettres appellent un Ours. Le
mouvement de va-et-vient, qui ressemble assez à celui d’un ours en cage, par
lequel les pressiers se portent de l’encrier à la presse et de la presse à l’encrier,
leur a sans doute valu ce sobriquet. En revanche, les Ours ont nommé les
compositeurs des Singes, à cause du continuel exercice qu’ils font pour attraper les lettres dans les cent-cinquante-deux petites cases où elles sont contenues. À la désastreuse époque de 1793, Séchard, âgé d’environ cinquante ans,
se trouva marié. Son âge et son mariage le firent échapper à la grande réquisition qui emmena presque tous les ouvriers aux armées. Le vieux pressier resta
seul dans l’imprimerie dont le maitre, autrement dit le Naïf, venait de mourir
en laissant une veuve sans enfants.
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B. Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maitre, 1796.
Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde.
Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le
plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ?
Le maitre ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce
qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.
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C. Franz Kafka, La Métamorphose, 1915.
En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva,
dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un
dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé,
brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel
la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence
qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux.
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« Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa
chambre, une vraie chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il connaissait bien. Au-dessus de la table où
était déballée une collection d’échantillons de tissus — Samsa était représentant de commerce — on voyait accrochée l’image qu’il avait récemment découpée dans un magazine et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait
une dame munie d’une toque et d’un boa tous les deux en fourrure et qui, assise bien droite, tendait vers le spectateur un lourd manchon de fourrure où
tout son avant-bras avait disparu.
Le regard de Gregor se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps maussade
— on entendait les gouttes de pluie frapper le rebord en zinc — le rendit tout
mélancolique. « Et si je me rendormais un peu et oubliais toutes ces sottises ? »
se dit-il ; mais c’était absolument irréalisable, car il avait l’habitude de dormir
sur le côté droit et, dans l’état où il était à présent, il était incapable de se
mettre dans cette position.
Quelque énergie qu’il mît à se jeter sur le côté droit, il tanguait et retombait à chaque fois sur le dos. Il dut bien essayer cent fois, fermant les yeux pour
ne pas s’imposer le spectacle de ses pattes en train de gigoter, et il ne renonça
que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une petite douleur sourde qu’il
n’avait jamais éprouvée.
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D. Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.
Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé
en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui
dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rassoir ; puis, se tournant vers le maitre
d’études :
— Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires,
il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le
nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et
plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur
le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé.
Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons
noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles,
attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’appuyer sur
le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maitre d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par
terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la
porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant
beaucoup de poussière ; c’était là le genre.
Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou qu’il n’eût osé s’y
soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses
deux genoux. C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve
les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette
de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile.
Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ;
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puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de
poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en
manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.
— Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un coup de coude,
il la ramassa encore une fois.
— Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un
homme d’esprit.
Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si
bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre
ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux.
— Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom inintelligible.
— Répétez !
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées
de la classe.
— Plus haut ! cria le maitre, plus haut !
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un, ce mot :
Charbovari.
Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en crescendo, avec des
éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand’peine, et
parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un banc où saillissait encore çà
et là, comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé.
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2. Voici une liste d’incipits célèbres. Montrez comment ils procèdent pour captiver le lecteur ?
A. Léon Tolstoï, Anna Karénine, 1877.
Les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses
sont malheureuses chacune à leur façon.
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B. Albert Camus, L’Étranger, 1942.
Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu
un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments
distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
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C. Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959.
Doukipudoktan, se demanda Gabriel excédé.
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Objectifs de l’exercice :
— être capable de reconnaitre les différentes formes d’incipit en
justifiant sa réponse ;
— être capable d’apprécier la qualité d’un incipit.
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