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NOTE n° 65 - Fondation Jean-Jaurès - 29 septembre 2010 - page 1
Les Français
et l’été
sécuritaire
Jérôme Fourquet*
Jean-Jacques Urvoas**
* Directeur adjoint
du département Opinion
et stratégies d’entreprise
de l’Ifop
** Député du Finistère,
secrétaire national du Parti
socialiste à la sécurité
«
C
arton plein pour Nicolas Sarkozy », se félicite Le Figaro du 5 août 2010.
L’étude réalisée par l’Ifop juste après le discours de Grenoble ne laisse en
effet pas de doute sur l’accord des personnes interrogées. Que ce soient le
« contrôle par bracelet électronique des délinquants multirécidivistes », le « retrait de la
nationalité pour les délinquants d’origine étrangère », le « démantèlement des camps
illégaux de Roms », la « condamnation des parents de mineurs délinquants », la « mise en
place de 60 000 caméras de vidéo-surveillance d’ici à 2012 », le soutien est systématiquement affirmé et dans une proportion très large puisque les réponses vont de 89 %
d’avis favorable jusqu’à 55 %1.
Pourtant, dix jours plus tard, Marianne claironne que « la claque est monumentale » en
s’appuyant sur une autre enquête de CSA, réalisée le 11 août 2010. Et de fait, ce
sondage infirme la quasi-totalité des enseignements dressés quelques jours auparavant
par le quotidien de droite. Ainsi par exemple 51 % des interviewés sont « plutôt défavorable[s] à la proposition de loi qui consisterait à retirer la nationalité française à une
personne d’origine étrangère ayant volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un
gendarme ou tout autre personne dépositaire de l’autorité publique ou ayant commis
d’autres crimes graves ». Qu’en déduire ? Que la première étude n’était qu’un « push
poll », c’est-à-dire un sondage d’influence intégré dans un plan média finement concocté
à l’Elysée ? Que les aspirations des Français sont contradictoires ? Chacune de ces
hypothèses manichéennes fut successivement avancée. Comme souvent, le recul permet
de tirer des conclusions plus apaisées et aussi plus complexes.
1. Un sondage CSA pour L’Humanité réalisé au même moment donnait, avec des formulations différentes, une
légère majorité en faveur de ces mesures.
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UN
DESIR DE REPRESSION QUI S’EXPRIME DE LONGUE DATE
DANS LE PAYS
Il faut d’abord relever que la sécurité n’est pas la préoccupation principale de l’opinion.
Elle n’arrive qu’en troisième position des « problèmes qui paraissent les plus importants
aujourd’hui pour la France » avec seulement 14 % dans une étude Ifop conçue pour
France Soir et réalisée entre le 24 et le 26 août 2010, soit plusieurs semaines après le
début de la « séquence sécuritaire ». L’emploi (38 %) et le pouvoir d’achat (22 %) la
devancent nettement, mais le thème de la sécurité se place en seconde position dans
l’électorat de droite, nous y reviendrons. D’autres enquêtes plus anciennes permettent
de corroborer ce constat. Ainsi dans le sondage BVA pour la « Matinale » de Canal Plus
du 18 décembre 2009, le chômage, conséquence concrète de la tempête économique
et financière, arrive largement en tête des événements marquants de l’année 2009.
C’est l’item le plus cité par tous les interviewés quel que soit leur sexe, leur âge, leur
préférence politique ou leur profession. Bien loin derrière le second événement ancré
dans la mémoire récente relève également de la rubrique « économique et sociale » :
la crise laitière (32 %), à quasi égalité avec un autre événement aux photos et vidéos
chocs, la grève en Guadeloupe (31 %). De même, dans le baromètre que BVA a réalisé
en mai 2010 pour l’Institut Paul Delouvrier, 75 % des sondés estiment que « les
pouvoirs publics devraient en priorité s’occuper » de la lutte contre le chômage, viennent
ensuite l’éducation (43 %) et le logement (38 %). Citons encore l’enquête de la Sofres
pour La Croix2 en juin 2010, dans laquelle la « sécurité des biens et des personnes »
n’occupait que le dixième rang, mentionnée par 22 % des sondés, parmi les « préoccupations des Français », bien loin derrière le chômage (74 % des citations), les retraites
(58 %) ou la santé (48 %).
Ensuite, quand ils sont conduits à juger l’action du gouvernement, les Français
sont sévères, comme cela vient d’être démontré. Ils le sont d’ailleurs depuis longtemps
comme en témoigne le « baromètre Politoscopie LCI - Le Figaro » d’OpinionWay.
Dans l’étude de janvier 2008, 72 % des personnes interrogées estimaient qu’en
« matière d’insécurité, depuis huit mois3, les choses n’ont pas évolué », et parmi les
anciens électeurs du chef de l’Etat, ils étaient 63 % à le penser, seuls 32 % pensant que
« les choses s’étaient améliorées ». Une condamnation qui se retrouve dans la dernière
étude de CSA/Marianne qui porte essentiellement sur le bilan. 69 % pensent globalement que la politique menée depuis huit ans a été inefficace pour lutter contre
2. Enquête Sofres pour La Croix des 26 et 29 juin 2010.
3. C’est-à-dire depuis l’élection de Nicolas Sarkozy.
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l’insécurité et quand ils sont conduits à préciser leur jugement, la rudesse est de mise :
78 % estiment que l’action gouvernementale est inefficace en matière de violences
urbaines, impuissante aussi contre la délinquance financière pour 72 % des sondés,
tout comme pour les atteintes aux personnes pour 69 % des personnes ou pour les
atteintes aux biens pour 58 % des sondés. A chaque fois, l’avis des sympathisants de
droite est majoritairement négatif même si la sévérité est moins marquée.
Enfin, pour comprendre les réponses, il faut lire les questions. Les Français interrogés
– relevait déjà Gérard Le Gall en 1994 – ne sont ni le reflet passif de statistiques
gouvernementales jetées à l’encan, ni durablement impressionnés par la galaxie
médiatique. Ce sont des « personnes en situation, aptes à se forger une opinion, toujours
interactives dans le champ social »4. Confrontées à une problématique sans doute un
peu simpliste, elles répondent, y compris en étant respectueuses du débat public.
Faut-il dès lors s’étonner que 79 % répondent favorablement au fait de « démanteler les
camps illégaux de Roms » ? Est-il réellement surprenant qu’elles soient 80 % à approuver
« l’instauration d’une peine incompressible de trente ans de prison pour les assassins de
policiers et de gendarmes » ?
En effet, face à ce défi préoccupant pour la cohésion de notre société que constitue la
montée des crimes et des délits, l’opinion penche depuis toujours pour la culture
punitive. En 1991, une large majorité de l’opinion (65 %5) estimait déjà qu’en France
« on ne punissait pas assez » notamment dans les affaires criminelles, tandis que 55 %
jugeaient les peines « trop légères ». Et en l’espèce, la coupure traditionnelle gauchedroite de même que le clivage libéral-conservateur apparaissaient inopérants. Le
consensus se faisait sur la nécessité de punir vite, bien, fort et longtemps le seul
responsable de l’infraction. Les réponses à l’enquête de l’Ifop s’inscrivent dans cette
conception rigoriste de la punition. La faute ne doit pas s’oublier, la sanction non plus.
De pédagogique, la peine se fait répressive. Le châtiment doit être violent pour inspirer
la crainte à celui qui serait tenté de transgresser la loi. La culture du cachot demeure
une spécificité de notre pays. Et la perception que les Français ont de la justice est très
critique puisque c’est un service public qui donne peu de satisfaction : on ne trouve
que 35 % des Français à en avoir une image positive6.
Il faut donc bien admettre que l’opinion exprimée incline vers un compromis irénique.
Elle a sûrement inscrit au fronton de son Panthéon la justice et la liberté tout comme
4. Gérard Le Gall, Les Français et la sécurité, l’état de l’opinion 1994, Seuil, 1994, p. 125.
5. Enquête Sofres pour l’ordre des avocats du barreau de Paris du 14 au 21 juin 1991.
6. Enquête BVA pour l’Institut Paul Delouvrier de mai 2010.
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la sécurité et les droits de l’homme. Mais au quotidien, son point d’équilibre se déplace :
face à des options concrètes, elle penche vers les solutions coercitives. On peut
retrouver la confirmation de cette demande de répression dans le sondage CSA pour
Le Parisien7 après le meurtre en juin dernier d’Aurélie Fouquet où 56 % des personnes
interrogées se prononcent en faveur de la généralisation du port d’arme aux policiers
municipaux. Ou encore dans celle de BVA pour la « Matinale » de Canal Plus sur la
violence scolaire8. Faut-il rappeler qu’en France, premier pays à avoir aboli la torture,
les sondages ont toujours souligné l’indéfectible soutien des personnes interrogées au
principe du droit des hommes à donner la mort à leur semblable ?
Paradoxalement, l’opinion jamais réductible à un taux moyen laisse apparaître ses
contradictions et toute la complexité du social. Ainsi à côté de ce désir de répression,
53 % des personnes interrogées9 à la fin du mois d’août dernier se prononcent en
faveur de l’ouverture de « salles de shoot » pour les usagers de drogue. A rebours des
choix gouvernementaux, l’opinion se révèle plus compréhensive même si le clivage
majorité-opposition est clairement dessiné puisque 67 % des sympathisants de gauche
y sont favorables quand 58 % des sympathisants de droite y sont opposés.
Quant au point de savoir si les deux principaux sondages estivaux s’annulaient tant les
réponses auraient été contradictoires, l’argument ne tient pas. En effet, une seule mesure
fut réellement évoquée de manière assez comparable, quoiqu’avec des libellés de réponse
différents : celle de la déchéance de la nationalité pour les meurtres de forces de l’ordre
ou les actes graves commis par des Français d’origine étrangère. Et dans les deux cas,
l’opinion y est favorable (51 % pour CSA et 70 et 80 % pour l’Ifop). Sur tous les autres
points, les deux enquêtes choisissent des focales différentes : l’étude CSA porte sur un
bilan global de la situation en matière de sécurité (qui est jugée sévèrement) quand le
sondage Ifop se concentre sur l’approbation aux mesures ponctuelles proposées, qui
rencontrent à ce moment précis un certain écho dans le pays.
LE
DISCOURS DE
GRENOBLE
INTERVIENT DANS UN CONTEXTE
DE DEGRADATION DE LA CREDIBILITE GOUVERNEMENTALE EN
MATIERE DE LUTTE CONTRE LA DELINQUANCE
Les annonces sécuritaires de Nicolas Sarkozy lors de son discours de Grenoble le
30 juillet dernier ont été interprétées par certains comme une manœuvre de diversion
9. Enquête Ifop pour La Lettre de l’Opinion du 17 au 19 août 2010.
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visant à faire oublier l’affaire Woerth-Bettencourt et à revenir sur un terrain plus
favorable à la droite, celui de la sécurité. Si les considérations tactiques ne sont sans
doute pas absentes, nous pensons que des motivations plus profondes ont conduit
Nicolas Sarkozy, et à sa suite différents ténors de l’UMP, à lancer dans le débat public
ces propositions sécuritaires au cours de l’été. Il s’agissait d’abord et avant tout de
reprendre la main en matière de lutte contre la délinquance, terrain éminemment
stratégique pour Nicolas Sarkozy, dans la mesure où c’est sur ce thème qu’il avait en
partie gagné l’élection présidentielle et que sa crédibilité se joue puisqu’il en a la
responsabilité depuis 2002, date de sa nomination place Beauvau. Or la confiance
dans le gouvernement s’était considérablement érodée depuis 2007 comme le montre
le graphique suivant10.
L’évolution de la confiance accordée au gouvernement
en matière de lutte contre l’insécurité
•
71
•
• • •
61
62
62
•
54
•
63
• • 57 55
• •
62
61
Ao
ût
20
02
Ao
ût
20
02
Ao
ût
20
Dé
04
cem
bre
20
04
Ao
ût
20
Dé
05
cem
bre
20
05
Ao
ût
20
06
Ao
ût
20
Dé
07
cem
bre
20
07
Ao
ût
20
Dé
08
cem
bre
20
Se
08
pte
mb
re
20
Dé
09
cem
bre
20
09
56
•
78
•
49
Les résultats des élections régionales et notamment l’abstention d’une part non
négligeable des sympathisants de l’UMP ainsi que le regain observé du Front national
avaient d’ailleurs été analysés comme une demande de davantage de sévérité et de
fermeté en matière de sécurité. A cette situation dégradée est venue s’ajouter au cours
des derniers mois toute une série de faits divers particulièrement violents qui ont
fortement marqué l’opinion. Le 16 mars 2010, à Dammarie-lès-Lys, un policier est tué
par un membre présumé de l’ETA. Le 17 avril, suite à une plainte pour tapage
nocturne, un couple est violemment agressé chez lui à Perpignan par un groupe
d’individus. A plusieurs reprises durant le mois d’avril, des bus sont caillassés à Tremblayen-France. Le 20 mai, une jeune policière municipale trouve la mort dans une course
10. Données issues du Baromètre semestriel Ifop pour Dimanche Ouest-France.
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poursuite avec des braqueurs. Le 31 mai, Marseille est le théâtre d’une attaque de
fourgon blindée par une équipe qui n’hésite pas à utiliser des armes de guerre. Un mois
plus tard, le 28 juin, en région parisienne, un père de famille est agressé et décède suite
à un banal accident de la route sur l’A13. Enfin, suite à la mort d’un jeune braqueur le
17 juillet, un quartier de Grenoble est victime de plusieurs nuits d’émeutes au cours
desquelles les forces de l’ordre essuient des tirs et, le 18 juillet, des gens du voyage
attaquent la gendarmerie de Saint-Aignan pour venger la mort d’un des leurs.
L’impact de ces événements a été très important dans l’opinion publique. Ainsi, par
exemple le « Tableau de bord des conversations des Français » réalisé par l’Ifop pour
Paris Match les 1er et 2 juillet 2010 indique que 50 % des personnes interrogées ont
évoqué avec leurs proches « le lynchage d’un homme sur l’autoroute A13 », soit exactement la même proportion que « les affaires autour de Liliane Bettencourt impliquant
Eric Woerth », alors que la polémique médiatique sur ces affaires battait son plein à
cette période, ce qui illustre au passage le décalage pouvant exister entre l’agenda
médiatique et celui des Français ainsi que leur forte sensibilité à ce type de faits divers.
Une autre enquête de l’Ifop pour France Soir, effectuée du 22 au 23 juillet – soit
quelques jours après les événements de Grenoble et de Saint-Aignan –, révélait que
59 % des Français avaient « le sentiment que la délinquance avait augmenté ces derniers
mois ». A la même question posée en février 2007, pendant la campagne présidentielle,
« seulement » 43 % des personnes interrogées (soit une progression de seize points en
trois ans) faisaient la même réponse, la part de ceux qui estiment que la délinquance a
« beaucoup augmenté » passant dans le même temps de 21 % à 32 %. Cette perception
d’une aggravation de la délinquance est davantage répandue chez les ouvriers (66 %)
que parmi les cadres (45 %) et elle progresse linéairement avec l’âge des interviewés.
L’évolution perçue de la délinquance en France au cours des derniers mois
TOTAL - A augmenté
- A beaucoup augmenté
- A peu augmenté
24
62
25
27
61
46
42
15
18 à 24 ans
21
25 à 34 ans
72
26
21
30
35 à 49 ans
48
36
50 à 64 ans
65 ans et plus
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La sensibilité plus forte des seniors à ce développement de la délinquance est un sujet
de préoccupation pour la majorité présidentielle dans la mesure où cet électorat est
proche de la droite. D’ailleurs, 62 % des sympathisants UMP et 82 % de ceux du FN
partageaient cette idée d’une progression de la délinquance au cours des derniers mois.
Cette perte de crédibilité du gouvernement en matière de lutte contre l’insécurité,
y compris dans son propre électorat, était également décelable dans un « post-test »
Ifop de l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, réalisé le 13 juillet 2010 pour Le
Figaro. Une majorité (56 %) de personnes ayant regardé le président de la République
ne l’ont pas trouvé convaincant d’une manière générale. Derrière cette appréciation
globale, quand on détaille thème par thème, on s’aperçoit que Nicolas Sarkozy n’a pas
convaincu sur l’affaire Woerth-Bettencourt (40 % l’ayant trouvé « plutôt convaincant »
sur ce sujet), qui était pourtant l’un des objectifs de sa prise de parole et en même
temps une tâche compliquée vu le contexte. Mais la force de conviction présidentielle
n’a pas mieux fonctionné sur la lutte contre la délinquance : 40 % seulement de réponse
« plutôt convaincant ». Ce chiffre était moins attendu et plus problématique pour
l’Elysée et ce d’autant plus que 36 % des sympathisants UMP ayant suivi son intervention se disaient « plutôt pas convaincus » et 71 % parmi les proches du FN. La
crédibilité de Nicolas Sarkozy était donc en ce début d’été sérieusement érodée sur un
sujet hautement stratégique, il convenait donc de réagir pour montrer à l’opinion
publique que l’exécutif avait repris la main et qu’une réponse ferme allait être apportée
à cette spirale de la violence, qui avait profondément marqué les Français au cours des
derniers mois. C’est dans ce contexte d’opinion particulier qu’allait être prononcé le
discours de Grenoble.
L’OPINION
FACE A LA QUESTION DES
ROMS
Si de nombreuses annonces ont été faites dans ce fameux discours, la polémique s’est
progressivement focalisée sur la question des Roms et notamment sur le démantèlement des camps. Durant l’été dernier, l’Ifop a effectué trois mesures consécutives
afin de suivre l’évolution de l’opinion sur cette question précise des démantèlements
des camps illégaux. Comme on peut le voir sur le graphique suivant, on observe un
décrochage entre le premier coup de sonde réalisé du 3 au 5 août 2010 pour Le Figaro,
où 79 % des Français se disaient favorables à ce qui n’était encore qu’une annonce, et
la seconde mesure faite du 17 au 19 août où, sous l’effet de la multiplication des
opérations de police largement couvertes dans les journaux télévisés, l’approbation de
cette action, désormais très concrète, recule de dix points. On peut certes estimer que
cette chute de dix points en deux semaines est importante, mais face à l’intensité de
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la polémique et le fort impact d’image de pelleteuses détruisant cabanes et caravanes
ou de familles se retrouvant sans rien sur le trottoir, nous pensons que c’est plutôt le
score encore très élevé de 69 % d’approbation qu’il faut retenir.
L’adhésion aux démantèlements de camps illégaux de Roms
par les forces de l’ordre
TOTAL Favorable
Très favorable
Plutôt favorable
5 août 2010
38
41
79
19 août 2010
32
37
69
26 août 2010
30
36
66
La solidité de l’adhésion de la population à cette question précise du démantèlement
des camps illégaux de Roms va de nouveau se manifester à l’occasion de la troisième
mesure effectuée du 24 au 26 août 2010 pour La Lettre de l’Opinion. Alors que les
évacuations s’enchaînent à un rythme soutenu toujours sous l’œil des caméras et que la
polémique gagne encore en intensité avec la prise de position de plusieurs membres du
clergé en France et les sorties de différentes personnalités de droite (Dominique de
Villepin, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin), 66 % se disent favorables à cette action11.
Le recul n’est donc que de trois points par rapport à la précédente enquête et de treize
points par rapport au début du mois. La proportion de personnes qui se disent « très
favorables » s’établit à 30 %, soit un taux très élevé pour un sujet hautement polémique.
Quand on analyse ces résultats dans le détail, on s’aperçoit que l’essentiel de la baisse
a été le fait des sympathisants de gauche dont l’approbation est passée de 60 % à
45 % pour terminer à 38 % lors de la dernière mesure. A l’inverse, les sympathisants
de droite sont restés massivement en soutien : 94 % lors de la première enquête et
95 % dans la dernière (dont 56 % de « très favorables »).
11. Un sondage OpinionWay effectué pour Le Figaro aux mêmes dates de terrain indique 69 % d’approbation des
démantèlements.
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Brésil
Les enjeux
des élections du
3 octobre 201
Outre le décalage entre l’opinion publique (« la France d’en bas », dirait Jean-Pierre
Raffarin) et une partie des élites intellectuelles, médiatiques et spirituelles12, ces
données d’enquête indiquent également que le dossier des Roms est très particulier.
En effet, en août 2006, « seuls » 52 % des Français approuvaient l’évacuation du squat
de Cachan occupés par des familles africaines13. Ce décalage (alors que les formulations des questions étaient très proches) s’explique, selon nous, notamment par le
fait que les Roms bénéficient d’une toute autre image que les Africains sans papiers.
En novembre dernier, dans une enquête Ifop pour L’Humanité, 78 % des Français
estimaient ainsi que ces derniers jouaient un rôle important dans le bon fonctionnement de certains secteurs de l’économie nationale (restauration, bâtiment,
nettoyage). Gageons que la réponse serait sensiblement différente si la même question
était posée à propos des Roms…
Si 66 % des Français se disent favorables au démantèlement des camps illégaux de
Roms (l’image de cette communauté et le caractère illégal des installations jouant pour
beaucoup), l’efficacité de ces actions est néanmoins fortement mise en doute car dans
la même enquête pour La Lettre de l’Opinion, 69 % estiment que « cette mesure n’est
pas efficace car elle ne fait que déplacer le problème ». Les sympathisants de gauche sont
les plus critiques (84 %), tout comme les cadres supérieurs (72 %) quand 58 % des
électeurs de droite et 70 % de ceux du FN y voient une mesure efficace.
Quant à la question de l’expulsion des Roms, l’opinion publique y adhère également
mais dans des proportions variables selon les instituts. 48 % des Français interrogés par
CSA pour Le Parisien se disent favorables aux reconduites en Roumanie des Roms
dont les camps ont été démantelés cet été, 42 % y étant opposé… et 10 % se réfugiant
dans le très politiquement correct « Ne se prononce pas ». Avec une formulation assez
proche14, OpinionWay pour Le Figaro obtient 65 % d’avis favorable aux expulsions.
LE
PRESIDENT QUI S’ADRESSE D’ABORD A SA BASE
Au terme de cette séquence, Nicolas Sarkozy a-t-il atteint son objectif ? Pour pouvoir
répondre, encore faudrait-il connaître le but réel que s’était fixé le président de la
12. A ce sujet, une enquête CSA pour Le Parisien, réalisée du 24 au 25 août 2010, indique que 53 % des
Français jugent que « l’Eglise catholique n’était pas dans son rôle quand elle a critiqué la politique du gouvernement
en matière de sécurité et notamment sa politique à l’égard des Roms ». 40 % des catholiques pratiquants partageant
même cet avis.
13. Sondage Ifop pour Le Figaro.
14. Dans l’enquête CSA, il est fait mention du gouvernement ce qui n’est pas le cas dans l’autre enquête.
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République. Faisons l’hypothèse qu’il s’agissait pour lui non pas de s’adresser au pays
mais de remobiliser son socle électoral. Celui-ci donnait en effet des signaux
convergents de désapprobation de son action. La déroute électorale des régionales en
est le témoignage incontestable. Dans les six premiers mois de l’année 2010, le soutien
à Nicolas Sarkozy a en effet fondu dans trois catégories de la population qui avaient fait
son succès présidentiel : les agriculteurs, les classes populaires et les personnes âgées.
Ainsi au mois de mars 201015, juste avant la consultation régionale, 44 % des sondés
âgés de 65 ans et plus approuvaient l’action du président, tout comme 35 % des
employés et 33 % des ouvriers. Un mois plus tard16, il perd trois points chez les plus de
65 ans, onze points chez les employés et trois chez les ouvriers. L’intensité du mécontentement bat alors des records. Minoritaire bien sûr partout, il est fragilisé même dans
sa famille politique puisqu’il chute de 11 % chez ses électeurs du premier tour de 2007
et de 10 % chez les sympathisants UMP (32 % de critiques).
Il y avait donc urgence à redresser la barre. Il est probable aussi que l’Elysée ait observé
le succès, le 9 juin 2010, aux législatives des Pays-Bas du Parti de la liberté (PVV) de
Geert Wilders dont le discours populiste et islamophobe lui a permis d’arriver en
troisième position avec 15,5 % des suffrages et doubler son nombre de députés. De
même, quelques jours plus tard, le 12 juin 2010, en Flandre, la radicalisation des partis
nationalistes trouvait l’appui des électeurs qui plaçaient la Nouvelle Alliance flamande
(N-VA) en tête.
Nicolas Sarkozy n’oublie sans doute pas non plus les préceptes de Karl Rove, principal
stratège des campagnes présidentielles victorieuses de George W. Bush : plutôt que de
s’épuiser à chercher à convaincre les électeurs indépendants (et a fortiori ceux des
démocrates), il vaut mieux s’assurer du vote de ceux que Karl Rove appelait les « irregular
Republicans », c’est-à-dire ces soutiens républicains ponctuellement abstentionnistes.
Transposée en France, cette stratégie consiste à s’adresser en priorité à la base
conservatrice de l’UMP et à multiplier les clins d’œil à l’électorat du FN d’autant que
ceux-ci estiment que la délinquance a augmenté au cours des derniers mois17.
A l’aune de cette perspective, le chef de l’Etat semble bien réussir son pari. Le
baromètre de l’action politique d’Ipsos18 souligne la progression de quatre points chez
15. Enquête Ifop pour Paris Match du 11 au 12 mars 2010.
16. Enquête Ifop pour Paris Match du 1er au 2 avril 2010.
17. Enquête Ifop pour France Soir du 22 au 23 juillet 2010.
18. Enquête Ipsos pour Le Point du 20 au 21 août 2010.
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les ouvriers et de cinq points chez les employés, même si le niveau de soutien reste bas
puisque situé autour de 30 %. Celui réalisé par l’Ifop19 corrobore cette légère tendance
puisqu’il remonte de quatre points chez les employés et de seize points dans ses
soutiens présidentiels de 2007 tout comme chez les personnes âgées de plus de 65 ans.
Globalement, dans cette dernière étude, l’approbation augmente de cinq points pour
atteindre 38 %, soit son meilleur score de popularité depuis les élections régionales. Et
dans l’enquête de CSA20, le président obtient un niveau jamais atteint auprès de sa
base électorale puisque 86 % des sympathisants UMP lui affichent leur confiance.
A l’évidence, le choix de durcir le ton en matière de lutte contre l’insécurité explique
cette remobilisation. Ainsi testé pour la première fois par cet institut, « l’efficacité du chef
de l’Etat » dans ce domaine est saluée par 69 % des sondés âgés de plus de 65 ans !
Parallèlement, on note la progression des cotes d’avenir, notamment chez les
sympathisants de droite, des deux ministres les plus concernés : Eric Besson (plus cinq
points à 20 % et plus dix points à droite) et Brice Hortefeux (plus quatre points à 19 %
et plus huit points à droite)21.
Le président peut-il, dès lors, aborder l’automne avec confiance ? Il serait hasardeux
de l’affirmer. D’abord parce que la désapprobation de son action reste un phénomène
largement majoritaire. Dans plusieurs segments de l’opinion mesurée, l’hostilité progresse
même. C’est notamment le cas chez les jeunes de moins de 35 ans (+ 3 points), chez les
diplômés du supérieur (+ 4 points). Le même constat fut fait outre-Atlantique au
milieu du second mandat de George W. Bush où la radicalisation du parti républicain
fit fuir progressivement un électorat plus modéré, ce qui entraîna dès les législatives
de 2006 une alternance au profit du parti démocrate dans les deux chambres
parlementaires.
Ensuite parce que même dans les catégories réputées sensibles au thème de la sécurité,
la mise en scène estivale ne fut pas un succès. Ainsi les ouvriers sont, pour l’Ifop, en
septembre 2010 plus mécontents de Nicolas Sarkozy qu’ils ne l’étaient en juin dernier.
Globalement d’ailleurs, sa politique dans ce domaine suscite toujours un jugement négatif.
Et comme les mauvais jugements sur la justesse et la justice de la politique économique
conduite par le gouvernement ne cessent de se renforcer, on peut légitimement douter
de la pérennité de la légère remontée constatée au début du mois de septembre.
19. Enquête Ifop pour Paris Match du 2 au 3 septembre 2010.
20. Enquête CSA pour Le Parisien du 1er au 2 septembre 2010.
21. Enquête Sofres pour Le Figaro Magazine du 27 au 30 août 2010.
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Enfin, parce que le FN – principale hantise de l’Elysée – loin d’être affaibli, semble
ragaillardi. De fait, les électeurs de l’extrême droite ne font plus crédit au chef de l’Etat
puisqu’en dépit de son discours de Grenoble, de ses propositions provocantes sur la
déchéance de la nationalité, de l’expulsion scénarisée des Roms, ils sont, en septembre
2010, 3 % de moins qu’en avril à l’approuver (39 % contre 42 %). Conséquence :
Marine Le Pen arrive en troisième position avec 13 % d’intentions de vote pour
l’élection présidentielle de 2012 dans toutes les configurations testées par la Sofres22.
CONCLUSION
GENERALE
L’été 2010 aura-t-il été la première étape de la campagne présidentielle pour 2012 ?
Le discours de Grenoble sera-t-il demain perçu comme le fut l’attaque de Jacques
Chirac, le 14 juillet 2001, sur la sécurité lors de son traditionnel entretien télévisé ?
« Un très grand nombre de Français sont confrontés à une réalité qui leur fait peur » : en
attaquant ainsi très fort sur « cette insécurité croissante, grandissante, cette espèce de
déferlante insupportable », le président sortant avait planté le décor de sa campagne.
A partir de cette date, le sujet deviendra obsessionnel dans les médias au point d’occulter,
six mois plus tard, le débat présidentiel.
Est-ce l’ambition de Nicolas Sarkozy ? Probablement, mais il s’est écoulé depuis
presque dix ans. Et il n’est pas acquis que la droite puisse à nouveau exploiter ce thème
tant les Français restent à convaincre de l’efficacité de son action.
Le 18 mars dernier, à quelques jours des élections régionales et alors que les sondages
favorables à la gauche se multipliaient, Nicolas Sarkozy s’était rendu à Dammarie-lèsLys pour honorer la mémoire du policier tué par un membre de l’ETA. La tentation
était trop grande… Il avait alors, une fois de plus, usé de son registre favori : profiter
de l’émotion pour promettre la sécurité en accroissant les peines plus sévères pour les
délinquants. En l’espèce, il avait réclamé l’application « systématiquement » d’une peine
de sûreté incompressible de trente ans pour les meurtriers de membres des forces de
l’ordre. Déjà, la veille, le Premier ministre en meeting à Nantes n’avait pas hésité à
enfourcher le même argument. Plus tard, dans une autre réunion publique, emporté
par son élan, il avait annoncé le décès d’un fonctionnaire de police qui avait été
grièvement blessé lors d’un contrôle routier à Epernay. Ses effets restèrent sans échos.
Le 21 mars 2010, la droite parlementaire enregistrait son plus mauvais score sous la
22. Enquête Sofres pour Le Nouvel Observateur du 20 et 21 août 2010.
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Ve République, tous scrutins confondus, et la gauche remportait 22 des 25 régions
françaises. Ajoutons, pour finir, que deux semaines après la rentrée, alors que
l’actualité sociale avec notamment la question des retraites occupait de nouveau le
devant de la scène, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy dans le baromètre Ifop/
Le Journal du Dimanche23 reculait de quatre points pour s’établir à 32 %, soit un niveau
identique à celui observé avant l’été 2010 au sortir des élections régionales très
défavorables à la droite.
23. Sondage Ifop pour Le Journal du Dimanche réalisé du 9 au 17 septembre 2010 auprès d’un échantillon de
1833 personnes.
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