Droits d`auteur et téléchargement P2P

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Droits d`auteur et téléchargement P2P
8 mars 2006
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§Point de vue
droits d’auteur et téléchargement p2p
Le concept de « licence globale » introduit dans le projet de loi relatif aux
« droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information » (DAVSI)
prend acte des attentes du consommateur. Celles-ci bousculent les intérêts des
parties prenantes et obligent une intégration tant juridique qu’économique.
§ ce qui est en jeu
1 Le droit d’auteur reste un compromis entre trois intérêts : celui des créateurs en
récompensant leur création, celui de l’intérêt général en incitant à la création
d’œuvres utiles et, enfin, la sécurisation des investissements engagés.
2 Il ne faut pas confondre intérêt du public et intérêt général. La révolution numé-
rique et l’explosion des systèmes de « peer to peer » (P2P), capable de diffuser
mondialement n’importe quelle oeuvre sans autorisation, et les revendications
des consommateurs internautes changent la donne. Leurs intérêts ne peuvent pas
dissoudre la protection des droits de l’auteur et sa légitime rémunération.
3 Le projet de loi DAVSI tente de fournir un cadre juridique viable. Il est urgent de
sortir d’une situation juridique intenable ; les poursuites judiciaires mettent des
millions d’internautes en porte à faux. Il faut pourtant légiférer sans bloquer l’innovation technologique, sans empêcher la distribution des œuvres, sans privilégier une politique répressive et sans méconnaître les aspirations sociales.
4 L’enjeu n’est pas seulement juridique, il est politique. Il y a urgence à démontrer
que la conception européenne de l’auteur avec son droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute diffusion publique de son œuvre et toute reproduction de celle-ci peut
s’adapter simplement aux évolutions technologiques face à la redoutable efficacité
du copyright anglo-saxon (le propriétaire d’un droit peut le vendre à sa guise).
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ne pas faire l’impasse sur les
comportements nouveaux
Laurent Maruani
Professeur à HEC, maître de conférences à l’École
Polytechnique
§ Sortir d’une sorte de Verdun de l’édition des signes (texte, musique
et image confondus), une guerre des tranchées où il y aura des morts des
deux côtés sans beaucoup d’intérêt. La situation n’est pas nouvelle ; une
technologie en chasse une autre, et les créateurs sont loin d’être les seuls ;
la voix sur IP menace les télécoms, l’open source menace Microsoft, etc.
§ La
désintermédiation touche la culture, favorisant une forme d’accès directe, rapprochant créateurs et consommateurs culturels. Les jeunes montrent des voies originales, discutables parfois, mais constitueront
rapidement le centre de gravité de ces marchés. Les intermédiaires surtout
s’ils ajoutent de la valeur ajoutée doivent non seulement s’adapter mais y
chercher une rénovation de leurs pratiques.
§ L’effondrement des coûts de productions ouvre de nouvelles oppor-
tunités et de nouveaux « modèles d’affaire » ; les musiciens par exemple
l’ont déjà bien intégré, le piratage de leurs disques permet de remplir les
concerts, l’économie de la scène remplace celle des studios. Pourquoi alors
entraver un modèle différent qui favorise l’émergence d’auteurs, et de surcroît relativement économique ?
§ Imaginer une politique de la demande au lieu d’ajuster « aux forceps »
un cadre juridique et un cadre de lobbyiste de l’offre avec la réalité sociale.
Jusqu’à aujourd’hui les deux grands modèles culturels qui ont fonctionné
étaient celui de la protection du patrimoine du Louvres aux Maisons des
Jeunes et de la Culture, et celui de l’offre avec les Sofica pour le cinéma, la
mutualisation du risque des majors du disque. Une politique de la demande pas nécessairement étatiste peut y trouver ses marques.
§ La licence globale ouvre une piste intéressante. Malgré ses insuffisan-
ces, voire ses effets pervers à maîtriser le plus en amont possible, elle ne
doit pas être balayée d’un revers de la manche. Au juridique et au politique
de trouver une autre solution qui réponde aux attentes et qui permette de
constater qu’il n’y a pas dix millions de délinquants en France et peut-être
cinq cents millions dans le monde.
la licence globale n’est ni juridiquement
conforme ni économiquement opportune
Pierre Sirinelli
Professeur à l’université Paris I - Panthéon-Sorbonne,
directeur du Centre d’études et de recherche en droit de
l’immatériel (CERDI)
§ Les hypothèses de licence légale sont déterminées strictement par les
textes internationaux ; le « peer to peer » n’en fait pas partie. Aucune autre
licence, même rebaptisée globale, n’est possible sauf à voir la France quitter l’OMC et l’Union européenne. La Directive européenne de 2001 qu’on
essaie de transposer signifie qu’un État-membre ne peut créer une exception aux droits d’auteur que si cette exception ne cause pas de préjudices
injustifiés aux intérêts des ayants droit, ni ne porte atteinte à l’exploitation
normale de l’œuvre. On en est loin !
§ La licence globale est statique sur le plan économique. Fondée sur une
compensation forfaitaire, elle ne permet pas un retour sur investissement
proportionnel aux engagements financiers des créateurs, ni aux succès
suscités. § Les nouvelles technologies ne doivent bien évidemment pas être com-
battues en tant que telles. Elles sont le mode de distribution des œuvres de
demain. Il s’agit simplement d’essayer de se les approprier, d’en sécuriser
le cadre, mais certainement pas de les interdire.
§ La demande sociale, tendant justement à cet accès large et facilité au
contenu culturel, doit être entendue. Pas n’importe comment, mais il s’agit
de faire en sorte que la satisfaction de cette demande respecte le cadre
juridique et les réalités économiques.
§ La technique du « peer to peer », n’est pas en elle-même illicite. Juridi-
quement, le « peer to peer », est neutre. Ce qui importe est son usage. Si les
téléchargements sans autorisation sont indiscutablement illicites, l’usage
du téléchargement n’est pas en soi répréhensible. Le « peer to peer », peut
être aussi le vecteur efficace de distribution légale, licite des œuvres de
l’esprit.
§ qui dit quoi ?
§ Selon l’étude de faisabilité commandée par la Spedidam et l’Adami sur la
licence globale : « Le P2P et les réseaux placent l’auteur dans l’impossibilité de
gérer individuellement ses droits. Ce système reste bien du domaine de l’exception. Toutes les oeuvres ne sont pas diffusées de cette manière ».
§ Selon la SNEP, il ne s’agit pas de reprendre la main mais de la tendre aux
amateurs de musique. L’offre légale est là. Et de nombreuses pistes pour de
nouveaux modèles apparaissent également. Aux Etats-Unis, certains portails
(Yahoo, Napster) proposent des services d’abonnement à un catalogue de titres
téléchargeables.
§ propositions § Ne pas chercher à tout figer une fois pour toutes. La loi doit être simple, pédagogique et prendre effet le plus rapidement possible, quitte à l’ajuster périodiquement en fonction de l’évolution de la technologie. Il faut donner un message clair
aux internautes.
§
Laisser sa chance au droit exclusif, à la législation sur le droit d’auteur telle
qu’elle existe, et permettre aux offres légales de s’imposer. Sans combattre le p2p
illégal, l’offre légale n’a aucune chance. Il faut pouvoir lutter contre les éditeurs
de logiciels qui ne jouent pas ce jeu d’intégrer dans leurs logiciels des moyens qui
permettent ces échanges sécurisés.
§ Mettre en place un bouquet de mesures préventives :
- prévenir, limiter, cantonner le dommage, en s’attaquant aux éditeurs de logiciels qui font un business model de la contrefaçon ;
- prévenir encore, par des avertissements répétés aux internautes ;
- développer un arsenal juridique, enfin, qui atteigne les internautes récidivistes.
§ Favoriser un modèle de « super distribution », alliant contrôle et liberté, cadre
légal et autorisation des ayants droit. Avec le marquage des fichiers, les logiciels
de P2P peuvent bloquer la diffusion des œuvres, suivant qu’elles sont autorisées
ou interdites au partage – le cas échéant l’ayant-droit peut être sollicité automatiquement à valider l’échange.
§ Ne pas développer une schizophrénie entre une restriction de libertés inimaginable pour du téléchargement culturel et accepté dans la téléphonie ou le câble
(systèmes de technologie de surveillance) ou le système fermé d’IPod.
§ Clairement distinguer les responsabilités des parties prenantes :
- maximales pour les éditeurs et les acteurs qui incitent à la contrefaçon ;
- graduées pour les internautes qui justifient un usage privé.
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