Le paysage sonore

Transcription

Le paysage sonore
Le paysage sonore
R. Murray Schafer
Extraits pour Voix urbaines.
Le travail est à remettre le 18 octobre 2006:
L’extrait doit être lu dans un lieu, un contexte, un paysage sonore adéquat. Comme suite
à la lecture d’un extrait choisi, vous devez discuter à deux, dialoguer au sujet de ce que
l’extrait évoque en vous, à quoi il vous fait penser; théorie, anecdote, œuvre d’art,
moment quotidien ou rêve, ce qu’il procure comme sentiment, à quoi cela réfère dans vos
expériences récentes ou souvenirs plus anciens. Vous ne pourrez retenir au montage que
2 minutes de voix sur trois minutes en tout. Dont 30 secondes de paysage sonore seul
(introduction), 2 minutes de lecture et discussion puis enfin 30 secondes de paysage
sonore seul (conclusion). Vous devrez ensuite intégrer, en travaillant en cubicules, 10
secondes de sons bien intégrés par l’entremise du logiciel Tassman et ce, dans les
sections d’introduction et de conclusion.
Paysage sonore naturel
p.37 (1)
L’eau ne meurt pas et l’homme sage la chérit. Il n’est pas deux gouttes de pluie qui
sonnent de la même manière. L’oreille attentive le sait. Comment la pluie persane
pourrait-elle ressembler à celle qui tombe sur les Açores? Aux îles Fidji, une averse d’été
passe en un tourbillon formidable -- en moins d'une minute elle a disparu; à Londres, elle
traîne son ennui à n’en plus finir. Certaines régions de l’Australie ne voient pas la pluie
pendant des années. Mais lorsqu’elle fait son apparition, son fracas terrorise parfois les
jeunes enfants. Sur la côte nord-américaine du Pacifique, il pleut de façon régulière et
modérée une moyenne de 148 jours par ans.
p.50 (1)
Le langage et le chant des oiseaux ont fait l’objet de nombreuses études, et on discute
encore aujourd’hui la question de savoir si les oiseaux «chantent» ou «parlent», dans le
sens courant donné à ces deux termes. Aucun son de la nature n’est cependant lié, dans
l’imagination de l’homme, au bien-être et au bonheur comme l’est le chant des oiseaux.
Au cours des enquêtes que nous avons menées dans divers pays nous avons demandé à
un certain nombre de gens de citer les sons les plus agréables de leurs environnements; le
chant des oiseaux est apparu à maintes reprises en tête de liste ou en très bonne position.
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Lo-fi, hi-fi
p.69 (1)
Dans l’environnement hi-fi, le rapport signal/bruit est satisfaisant. Le paysage sonore hi-fi
est celui dans lequel chaque son est clairement perçu, en raison du faible niveau sonore
ambiant. La campagne est généralement plus hi-fi que la ville, la nuit l’est plus que le
jour, le passé plus que le présent. Dans un paysage sonore hi-fi, les sons se chevauchent
moins fréquemment; la perspective existe, avec un premier et un arrière-plan (…) Le
calme du paysage sonore hi-fi permet d’entendre plus loin, de même qu’un paysage rural
offre des panoramas plus vastes. La ville réduit les possibilités d’audition (et de vision)
opérant ainsi l’une des modifications les plus importantes de l’histoire de la perception.
Dans un paysage sonore lo-fi, les signaux acoustiques individuels se perdent dans une
surpopulation des sons. Un son clair -- un pas dans la neige, la cloche d’une église à
travers la vallée, un animal qui décampe dans un fourré – disparaît dans le bruit général.
La perspective s’évanouit.
Du bourg à la ville
p.84 (1)
Le son le plus caractéristique de la communauté chrétienne est la cloche de l’église.
Celle-ci définit la communauté de façon très concrète, car elle circonscrit, par sa portée,
l’espace acoustique qu’est la paroisse. La cloche est un son centripète; elle attire à elle et
rassemble les fidèles, crée une unité sociale, de même qu’elle établit un lien entre
l’homme et Dieu. Il lui est également arrivé dans le passé, lorsqu’elle servait à chasser les
démons, d’être investie d’un pouvoir centrifuge. La cloche s’est, semble-t-il, répendue en
Europe avant le VIIe siècle.
La révolution industrielle
p.110 (1)
Les pulsations de machines, leur constante vibration finirent par avoir, partout sur les
hommes, un effet anesthésiant. D.H. Lawrence (1915). (…) Puis les bruits de la vie
industrielle moderne l’ont emporté sur ceux de la nature, événement que le futuriste Luigi
Russolo fut, dans son manifeste l’art des bruits (1913), le premier à signaler. À la veille
de la Première Guerre mondiale, Russolo proclamait avec exaltation que la nouvelle
sensibilité de l’homme allait dépendre de son appétit et de sa passion pour les bruits,
bruits qui allaient trouver leur moyen d’expression le plus total dans la guerre mécanisée.
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Les bruits de la technologie
p.116 (1)
Autre conséquence de la révolution industrielle: l’apparition de la ligne droite en
acoustique. Lorsque les sons s’inscrivent visuellement sur un appareil enregistreur, on
peut en analyser ce que l’on appelle l’enveloppe. Les principales caractéristiques d’une
enveloppe sonore sont l’attaque, le corps, les transitoires (ou variations internes) et la
chute. Lorsque le corps du son se prolonge, inchangé, il est reproduit sur le graphique par
une ligne horizontale continue. (…) Ce phénomène acoustique nouveau, né de la
révolution industrielle et amplifiée par la révolution électrique, nous soumet aujourd’hui
à des bruits de fond permanents, nous enveloppe de sons à large bande de fréquence, sans
personnalité ni dynamique.
Le mythe des trains
p.121 (1)
Les bruits des trains, comparés ceux des transports modernes, étaient riches et
personnalisés: le sifflement, la cloche, le lent halètement de la machine au départ,
s’accélérant soudain au glissement des roues, puis sa lenteur à nouveau, (…) les
grincements des roues, le cliquetis des wagons, le claquement des rails, la détonation
contre la vitre au croisement d’un autre train, tous ces bruits restent inscrits dans la
mémoire.
Muzak (moozak)
p.145 (1)
Moozak est né d’un excès de radio. L’excès de Moozak a inspiré une autre manière de
mur sonore, qui aujourd’hui s’intègre de plus en plus à la partie fixe des constructions
modernes: il s’agit de l’écran de bruit blanc ou, comme ses promoteurs préfèrent
l’appeler, du «parfum acoustique». Le sifflement de l’appareil climatiseur et le
ronflement du calorifère sont utilisés par les ingénieurs acousticiens pour masquer les
sons gênants, et, quand ils ne sont eux-mêmes pas suffisamment forts, on les aide dans
leur tâche par l’installation de générateur de bruits blanc.
La rencontre de la musique et de l’environnement
p.161 (1)
Des poètes, comme Ezra Pound et F.T. Marinelli, eurent aussi leur période-machine, mais
également des peintres comme Léger, et les artisans du Bauhaus. En 1924, Pound
écrivait:
Je présume que la musique est l’art le mieux fait pour exprimer les meilleures
qualités de la machine. La machine fait aujourd’hui partie de notre vie, il est bon que les
hommes éprouvent des sentiments envers elle. L’art serait bien faible s’il ne pouvait
traiter ce nouveau contenu.
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Le retour à la maison sous marine
p.171 (1)
Il est un autre type d’écoute, celle qui a lieu dans un espace clos où la distance et la
direction sont absentes. C’est celle de beaucoup de concerts de musique contemporaine
ou populaire, celle aussi de la chaîne stéréo que l’on a chez soi. L’auditeur se trouve alors
au centre même du son qui le masse, l’inonde. Ce mode d’écoute est celui d’une société
sans classes, à la recherche de plénitude. (…) Ce type d’espace sonore n’est, en aucun cas
nouveau. Il connu ses heures de gloire au Moyen Age, avec le chant grégorien.
Le son, qui dans les églises romanes et gotiques entoure l’assemblée, renforce le
lien entre les individus et la communauté. La perte des hautes fréquences et
l’impossibilité qui en résulte de localisation du son intégrant chaque fidèle à un
environnement sonore.
Les bruits de la technologie
p.116 (1)
Attaque, corps chute. À la chute, se mêle habituellement une réverbération. L’acousticien
W.C. Sabine a techniquement défini le temps de réverbération. Il se situe entre l’instant
où est coupée l’arrivée du son et le moment où l’énergie de ce dernier tombe à un
millionième de sa force originelle (une chute de 60 décibels). Pour l’oreille, cela
correspond au temps que met un son à se fondre et à se perdre dans le bruit ambiant.
L’écho diffère de la réverbération. Il se traduit par une répétition, totale ou partielle, du
son réfléchi par une surface située à une certaine distance. La réverbération, qui
correspond, elle aussi, à une réflexion, ne donne naissance à aucune répétition distincte
de l’original.
Gestes et tissus sonores
p.219 (1)
Le paysage lo-fi qui nous entoure ne connaît pas la perspective; les sons nous massent de
leur continuelle présence. L’accroissement de la population sonore du monde transforme
les gestes en tissus. Tissus et multitude sont liés. La vision quotidienne d’une foule, sa
mouvance rapide, sont des phénomènes auxquels les sens ont dû s’adapter. Mais une fois
maîtrisée, une nouvelle technique visuelle, les foules ont cessé de dérouter et le citadin a
appris à promener posément sur elle son regard, cédant les rênes au hasard, laissant surgir
de lui-même le sujet. (…) Cela nous est, à tous, arrivé. Nous ne cherchons rien, et nous
trouvons. Nous n’écoutons pas et soudain, de la confusion, s’élève un son qui devient
figure.
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Sons du dehors contre sons du dedans
p.297 (1)
Les sons du dehors sont différents des sons du dedans. Le même son se modifie en
changeant d’espace. La voix humaine est toujours plus forte en plein air. Si l’on passe,
équipé d’un enregistreur portatif de l’intérieur vers l’extérieur, tout en continuant de
parler à la même distance du micro, le volume, à l’écoute de l’enregistrement, s’élèvera.
Cela s’explique par le niveau supérieur du bruit ambiant, mais également par le fait
qu’une réverbération moindre réclame plus d’énergie vocale pour que le son garde le
même volume apparent. Psychologiquement aussi, la tendance instinctive est souvent,
lorsque l’on passe d’un lieu privé à un lieu public, de se montrer dans ce dernier plus
démonstratif.
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