LES GRANDS DOSSIERS Le Web dont vous êtes le héros

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LES GRANDS DOSSIERS Le Web dont vous êtes le héros
leSoleil dimanche 4 février 2007
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LES GRANDS DOSSIERS Le Web dont vous êtes le héros
À mesure que le commerce en ligne fleurit, la matrice du Web 2.0 prend la forme d’une
« longue traîne ». Un phénomène qui pourrait signer le déclin de la culture des hits et
des best-sellers, ici et ailleurs.
Quand l’exception
change la règle
INFOGRAPHIE LE SOLEIL
Marc
Allard
[email protected]
En janvier 2004, Chris Anderson, rédacteur en chef de la
revue américaine Wired, se
rend au bureau de Robbie
Vann-Adibé, le pdg d’Ecast, un
juke-box numérique sur Internet. Durant la conversation,
Van Adibé lui pose une question : « D’après toi, quel pourcentage des 10 000 albums
disponibles sur le juke-box se
vendent au moins une fois par
trois mois ? » Anderson pense
d’abord à la règle du 80/20,
énonçant que dans la plupart
des magasins, 20 % des produits comptent pour 80 %
des ventes.
Mais il se dit que c’est une question
piège. Alors, il avance «50 %».
Mauvaise réponse, lui répond le
PDG. « La bonne est 98 %. Tout le
monde se trompe. » Van Adibé luimême avait été surpris par ce
chiffre. Or, même en ajoutant des
titres au juke-box, la proportion
restait la même. Vrai que les
chansons de groupes obscurs se
vendaient beaucoup moins que
les succès de Britney Spears,
mais elles se vendaient quand
même. En les additionnant, Van
Adibé a ainsi découvert un important marché insoupçonné, fait de
vieux groupes oubliés et de post
tout ce que vous voulez.
C’est ce que Van Adibé a surnommé « la règle du 98 % ». Une règle
qu’en bon journaliste, Chris Anderson se met en tête de vérifier
auprès des leaders de la distribution en ligne. Partout où il va cogner, la réponse est la même : les
hits c’est bien, mais les « niches »
(nom donné aux goûts particuliers) sont en train de devenir un
marché incontournable.
Apple affirme que chacune des
1 million de chansons sur Itunes, le
plus gros distributeur de musique
en ligne (dont l’inventaire est
maintenant du double), s’est vendu au moins une fois par trois
mois. Netflix, le plus gros distributeur de DVD en ligne, dit que 95 %
des 25 000 DVD se vendent au mois
une fois par trois mois. Amazon, le
plus gros distributeur de livres en
ligne, refuse de dévoiler le nombre
exact. Mais selon une recherche académique, 98 % de ses
100 000 titres les plus populaires
se vendent au moins une fois par
trois mois. Et ainsi de suite, d’une
compagnie à l’autre.
Sur Internet, constate-t-il, les entreprises ne sont pas soumises à la
tyrannie de l’espace et de la géogra-
phie. Contrairement au disquaire, à
la librairie, au club vidéo ou au WalMart, les distributeurs en ligne peuvent offrir des produits qui moisiraient sur les tablettes d’un magasin. D’autant plus que, peu importe
où les consommateurs habitent,
tout est à la portée d’un clic.
Pour la première fois, Anderson
a l’impression de voir la vraie forme de la demande culturelle. À
l’abondance de l’offre correspond
une demande inépuisable. Graphiquement, cette dernière prend la
forme d’une « longue queue »
puisqu’elle ne touche jamais le zéro et que la courbe est beaucoup
plus longue que la tête.
Le modèle de la Long Tail était
né (rebaptisé la «longue traîne» en
français) S’ensuivit, en octobre
2004, un article dans Wired, rapidement devenu le papier le plus cité que le magazine n’a jamais publié. Puis, un livre qui a fait grand
depuis sa sortie en mai 2006.
Sans doute parce qu’au-delà
d’être la nouvelle matrice économique du Web 2.0, la Long Tail
prédit le déclin de la culture populaire dominée par les best-sellers.
« Certes, reconnaît Chris Anderson, chacun des titres puisés au
fond du catalogue ne sont achetés
qu’en toutes petites quantités,
mais si on cumule tous les non-succès de la longue traîne, on obtient
un marché qui dépasse largement
celui des succès.»
LE QUÉBEC À LA TRAÎNE
Le Soleil a tenté de voir ce qu’il
en était au Québec. Premier obstacle, le commerce en ligne est encore peu développé ici, estime Simon
Lamarche, de chez Adviso Conseil,
une firme de consultants en affaires électroniques. Selon un sondage NETendances CEFRIO - Léger
Marketing , seuls 14,4 % des Qué-